Fiche du document numéro 24996

Num
24996
Date
Mercredi 21 août 2019
Amj
Auteur
Fichier
Taille
129705
Pages
2
Urlorg
Titre
Beata Umubyeyi Mairesse. L’écriture pour « consoler en soulevant le couvercle du chagrin »
Nom cité
Source
Type
Langue
FR
Citation
Née au Rwanda, elle a échappé de justesse au génocide à l’âge de 15 ans, parce qu’elle parlait français. Son premier roman, Tous tes enfants dispersés, dans lequel elle a « lâché la bride », elle le voit comme un livre « sur la transmission et le métissage ». En tant que survivante, elle a le sentiment de « vivre une seconde vie » et veut « se rendre utile ».

Après le temps des documents sur le génocide des Tutsis au Rwanda, voici celui des romans écrits par des rescapés. En 2014, c’était la Chanson de l’aube, de Vénuste Kayimahe (Izuba éditions). Aujourd’hui paraît le premier roman de Beata Umubyeyi Mairesse, Tous tes enfants dispersés (Autrement). Pourquoi une fiction ? « Je ne voulais pas être réduite à ma biographie, bien qu’il soit dit en quatrième de couverture que je suis une survivante. Dans le roman, je ne suis pas tenue de raconter l’histoire exacte, même si j’ai vérifié des dates, écouté des documents radiophoniques. Et je ne veux pas passer pour une pilleuse d’histoire. » Beata Umubyeyi Mairesse a déjà publié des nouvelles. « Mon souffle était encore trop court. Cette fois, j’ai lâché la bride. » S’agit-il de catharsis ? « Non, car il a fallu que j’aille mieux pour me mettre à écrire. » Les survivants sont-ils supposés ne pas parler de « l’indicible » ? « Pas du tout. On a besoin d’en parler entre nous. Cela ne s’arrêtera jamais, le temps n’adoucit rien. »

Elle est née à Butare, en 1979. Son père, polonais, est décédé. Sa mère, tutsie, est une survivante. Beata a pu fuir le pays avec sa mère plus de deux mois après le début des massacres. Son récit est criant de vérité, entremêlant trois voix d’une même famille sur trois générations. « Ce n’est pas un roman sur le génocide » mais un livre « sur la transmission et sur le métissage », via une quête des origines, compliquée par les conséquences du traumatisme collectif monstre. Le personnage de Blanche, métisse, vit en France, à Bordeaux. Elle décide de revenir au pays trois ans après les tueries. Dans la réalité, Beata a mis treize ans à revenir, juste après son mariage. Elle a retrouvé, entre autres, sa cousine de lait, dont un pan de la famille a été décimé. Blanche est escortée par ­Immaculata, sa mère tutsie rescapée, devenue mutique à force d’épreuves. « La résilience, c’est comme la césarienne, on y a droit un nombre limité de fois », nous dit Beata. Elle ajoute : « J’ai écrit un roman qui console quand on soulève le couvercle du chagrin. » Roman admirablement composé, Tous tes enfants dispersés chemine vers un possible ­apaisement, afin de retisser un lien entre des « cœurs en ­lambeaux ». « La littérature est une surface de réparation. Il s’agit de repriser quelque chose dans la ­déchirure de ­l’humanité. » Elle reste soucieuse de ne pas évoquer sa mère, « toujours en vie ». « Je la protège. »

Elle passe de cachette en cachette avec sa mère



La langue a sauvé Beata ; parce qu’elle est blanche de peau, parce qu’elle a fait semblant de ne pas saisir un mot en kinyarwanda, les tueurs qui traquent les Tutsis décident de l’épargner. « Je sais à quel point la langue peut sauver, à quel point elle peut enfermer. » « Au Rwanda, on me voyait comme une Blanche. En France, où je suis arrivée en 1994, on me voit comme une Noire. » Fille unique, élevée à Butare par sa mère seule, parrainée par des Français, elle va à l’école internationale « des enfants blancs ou des métis de pères occidentaux ». À la maison, elle parle le ­kinyarwanda, langue très métaphorique, riche en doubles sens, très présente dans son écriture. Elle apprend le français avec les Belges, l’anglais avec les Canadiens. Elle a 15 ans au début du génocide, le 7 avril 1994. Elle a pu quitter le pays le 18 juin, dans un convoi de Terre des hommes. Elle était passée de cachette en cachette avec sa mère. « Quand les tueurs sont arrivés, ils ont exterminé les jeunes qui travaillaient au restaurant. » Beata la Blanche fait semblant de ne pas comprendre le kinyarwanda, s’exprime en français. Les tueurs l’épargnent ainsi que sa mère et une autre femme.

Elle vit à Bordeaux. Elle y coordonne un projet de ­prévention du suicide. Elle exprime sa gratitude envers la famille qui l’a accueillie en 1994 à Lille. Elle a fait de brillantes études, dont Sciences-Po, parle plusieurs langues, a des responsabilités dans des organisations humanitaires. « Nous, survivants, avons le sentiment de vivre une seconde vie. Je veux me rendre utile. »
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