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Outre l'emploi aussi controversé que sujet à caution du terme "génocide", le
rapport de l'ONU sur les crimes commis dans l'ex-Zaïre, qui doit être publié le
1er octobre, commet une deuxième erreur. Il passe sous silence la
responsabilité du HCR dans le noyautage des camps de réfugiés rwandais par les
génocidaires. Décryptage.
Dans un contexte aussi sensible que celuilà, où la vérité des convictions n'a
parfois que faire de la vérité des faits, il suffit d'un mot pour faire la une
des médias, mais aussi pour porter atteinte à la crédibilité d'un rapport
d'enquête, aussi documenté soit-il. Le 1er octobre, le Haut-Commissariat des
Nations unies aux droits de l'homme (HCDH) devrait rendre publique la version
officielle de sa compilation portant sur les violations des droits humains
commis en République démocratique du Congo de 1993 à 2003. Nul ne sait encore
si le terme tragiquement connoté de « génocide », qui figure dans la version
officieuse de ce document pour qualifier les massacres de réfugiés hutus en RD
Congo, sera maintenu. S'il l'était, ce rapport dont l'existence et le contenu
provisoire ont été révélés le 8 août par Jeune Afrique, avant d'être plus
largement repris trois semaines plus tard dans Le Monde, ne rendrait service à
personne : ni à la mémoire des morts, ni aux droits des vivants, encore moins à
la décence et à la vérité historique.
Sans doute est-ce tout sauf un hasard si le buzz médiatique suscité par ce
prérapport s'est pour l'essentiel articulé autour de l'emploi par ses
rédacteurs du mot génocide. Certes, des précautions sémantiques minimales ont
été prises : il y est question d'« attaques systématiques et généralisées » des
camps de réfugiés hutus par l'armée rwandaise et les rebelles congolais de
Laurent-Désiré Kabila en 1996 et 1997, qui « pourraient être qualifiées de
crimes de génocide » ou encore de « crimes contre l'humanité, crimes de guerre,
voire de génocide ». Mais le mal, si l'on peut dire, est fait. En évoquant la
possibilité d'une deuxième tragédie équivalente à la première, qui serait en
quelque sorte la réplique de l'extermination planifiée des Tutsis du Rwanda,
les auteurs du rapport confortent de facto la thèse négationniste des
idéologues du Hutu Power selon lesquels il n'y a pas eu génocide, mais
massacres spontanés et contre-massacres. Or cette interprétation est une
falsification.
Exode encouragé
Les mots ont un sens, et pour qu'il y ait eu un génocide des Hutus il eût fallu
que les conditions qui entourèrent celui des Tutsis se soient répétées.
Préparation minutieuse, support idéologique, relais médiatique, constitution de
listes, exécution systématique, etc. Non seulement rien de tel ne s'est
produit, mais 70 % des Hutus du Rwanda n'ont jamais quitté le pays et plus de
80 % de ceux qui avaient fui en 1994 sont rentrés depuis, au point que le
Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) envisage d'appliquer la clause de
cessation du statut de réfugié pour les Rwandais (hors cas individuels) au 31
décembre 2011.
Ce qui s'est passé en RD Congo en 1996 et 1997, lors de l'offensive victorieuse
des troupes de Kagamé et de Kabila qui devait sceller l'effondrement du régime
Mobutu, ne s'apparente donc ni de près ni de loin à un génocide. Des
massacres ? Oui. Des crimes de guerre ? Peut-être. Combien de victimes ? Aucun
chiffre avancé jusqu'ici n'a la moindre valeur scientifique. Quelles
responsabilités ? Le rapport remis à la haute-commissaire de l'ONU aux droits
de l'homme, la Sud-Africaine Navi Pillay, ne fournit pas les noms des
commandants rwandais, congolais ou burundais susceptibles d'être traduits
devant une juridiction pour l'instant fictive puisque les faits évoqués ont été
commis avant la création de la Cour pénale internationale et échappent donc à
sa compétence.
Outre l'emploi irresponsable du mot génocide, le rapport du HCDH présente -
tout au moins dans sa version non définitive - un défaut majeur. Il passe
pratiquement sous silence l'écrasante responsabilité de la communauté
internationale, de l'ONU et de ses institutions spécialisées ainsi que de
certaines ONG dans l'enchaînement des causes qui ont abouti au « nettoyage »
des camps de réfugiés hutus. La fuite de près de deux millions d'hommes, de
femmes et d'enfants vers ce qui s'appelait encore le Zaïre, en juillet 1994, ne
fut pas en effet un exode désordonné, mais un exode encouragé, encadré (et
parfois forcé) par les bourgmestres, préfets, responsables de secteurs et de
districts qui avaient exécuté le génocide.
Balayer devant sa porte
Plusieurs dizaines de milliers de miliciens Interahamwes et Impuzamugambis, et
environ 50 000 soldats et officiers des Forces armées rwandaises en déroute se
joignirent au flot, parfois avec armes et bagages. Ni les militaires français
de l'opération Turquoise, ni les agents du HCR, ni la plupart des humanitaires
ne voulurent empêcher que les camps de réfugiés installés à quelques kilomètres
de la frontière - une aberration criminogène maintes fois dénoncée, à l'époque,
par le FPR au pouvoir à Kigali - se transforment en autant de poudrières où les
génocidaires faisaient régner la terreur, recréant les médias de la haine,
pratiquant l'épuration expéditive des présumés espions et militarisant la
population afin de retourner au Rwanda pour y « finir le travail ».
Lorsque deux ans plus tard, en octobre 1996, les troupes du FPR entrent au
Zaïre, elles se trouvent face à des camps « mixtes », fixés grâce aux subsides
fournis par le HCR et où les tueurs d'hier ont eu tout le loisir de noyauter
chaque groupe de tentes. Leur démantèlement se fait à coup de canons, sans
quartier ni états d'âme. Un demi-million de réfugiés est repoussé dans la forêt
congolaise. On estime que la moitié y périt de malnutrition, de maladie
(choléra) ou de mort violente.
Si le rapport du HCDC devait servir de base à la mise en place d'une
juridiction spéciale, nul doute que cette dernière se devrait de balayer
d'abord devant sa propre porte.