Citation
Les voies de Dieu sont impénétrables, celles de Paul Kagamé
également. C'est sans aucune explication officielle que le président
rwandais a décidé de gracier Pasteur Bizimungu, son prédécesseur,
détenu depuis cinq ans à la prison centrale de Kigali. Libéré le 6
avril, veille de la commémoration du 13e anniversaire du génocide, et
lui-même surpris de cette mesure de clémence, celui qui, de 1994 à
2000, fut le premier chef d'État du Rwanda d'après les massacres, a
tenu à remercier son successeur de ce geste, avant d'abandonner le
pyjama rose des détenus et de regagner son domicile.
Cet homme de 57 ans a eu un parcours pour le moins atypique. Hutu du
Nord marié à une Tutsie, il est natif de Bushiri. Il fut étudiant en
France avant de devenir banquier, puis directeur général d'une société
d'État. Dans les années 1970, proche du clan Habyarimana, Bizimungu
passait pour un « Hutu de choc », membre des comités de salut public
et partisan des thèses ethnicistes. Mais à la fin des années 1980, il
rompt avec le régime, s'exile en Belgique puis adhère au Front
patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagamé. Il devient l'un des rares
Hutus à la tête de cette formation, participe aux négociations
avortées d'Arusha, puis regagne Kigali en 1994, dans les fourgons du
FPR.
Président de la République plutôt symbolique (Kagamé, le
vice-président, détient l'essentiel du pouvoir), Bizimungu cohabite
tant bien que mal avec ce dernier pendant six ans, avant de
démissionner en mars 2000. À ses yeux, les Hutus sont discriminés dans
le nouveau Rwanda et il n'hésite pas à le dire publiquement, quitte à
jouer avec le feu mal éteint du génocide. Il tente de fonder un parti
aussitôt interdit pour « divisionnisme ethnique », est placé en
résidence surveillée, puis incarcéré en avril 2002. Deux ans plus
tard, Bizimungu est condamné par la Haute Cour de Kigali à quinze ans
de prison. Motifs : association de malfaiteurs, désobéissance civile
et détournement de deniers publics.
Régulièrement demandée par les ONG et les bailleurs de fonds du
Rwanda, sa libération anticipée avait jusqu'ici été refusée par
Kagamé, qui, dans J.A. n° 2404 (4-10 février 2007), expliquait qu'il
s'agissait d'une affaire de justice et que l'intéressé n'avait pas
formulé de demande de grâce. En outre, tant que Bizimungu ne serait
pas revenu sur ses déclarations incendiaires du passé (« si les choses
continuent, les Hutus vont fourbir leurs armes et chasser les Tutsis
», avait-il notamment, en 2004, déclaré à J.A.), une amnistie ne lui
paraissait pas envisageable. À l'évidence, l'un des deux hommes a
changé d'avis?