Police Judiciaireauprès de l’état-major de la gendarmerie. Quelques mois après son retour, le génocide des Tutsi du Rwanda débutait – et l’épouse du prévenu, une Rwandaise tutsi réfugiée en France, perdait une trentaine de membres de sa famille.
personnes recherchées et à surveiller(PRAS), qui était avant cela « un fichier cartonné », et ils l’ont fait « justement de manière à ce qu’il ne soit pas utilisé pour autre chose ». Comment ? En le plaçant « sous le contrôle d’un magistrat », toujours selon le colonel, qui affirme que grâce à leur travail le fichier « ne comportait plus de mention ethnique ». Le juge lui demande de confirmer que cette mention n’apparaissait pas : « moi je ne l’ai jamais vue. On était dans une posture pédagogique. (…) On a balayé le passé. » L’officier en retraite l’affirme, ni ses hommes ni leurs collègues rwandais ne faisaient de confusion entre l’ensemble des Tutsi du Rwanda – pourtant désignés à cette époque par le pouvoir comme des
ennemis de l’intérieur– et le Front Patriotique Rwandais (FPR), rébellion venue de l’Ouganda voisin où vivaient depuis une trentaine d’années des milliers de Rwandais tutsi qui avaient fui les pogroms à partir de 1959, et qui était accusé de commettre des attentats à l’intérieur du Rwanda. Il affirme ainsi que « la vision manichéenne de la guerre, des Hutu d’un côté, et Tutsi d’un autre côté, est extrêmement réductrice ». A la barre, ce jour-là, il ne va pas plus loin dans l’analyse : cela lui évite de dévoiler, comme il l’a régulièrement fait ailleurs, un confusionnisme qui oppose en miroir au génocide des Tutsi une accusation de génocide portée contre les membres du FPR, qu’il appelle parfois « khmers noirs » pour les envelopper d’un imaginaire génocidaire. Ainsi, celui qui a par le passé défendu la thèse négationniste du
double génocidese contente ce jour-là d’affirmer que ses hommes et lui ne faisaient pas d’amalgame vis à vis des Tutsi de l’intérieur du pays.
ennemis intérieursà laquelle la frange extrémiste du pouvoir assimilait les Tutsi passait-elle par la mention en toutes lettres de leur
ethnie? Cette question, les juges ne l’ont pas posée. Pourtant, si la nature des informations contenues dans ce fameux fichier n’est pas connue des chercheurs, on sait toutefois qu’en octobre 1990, donc au moment où débutait la mission de Robardey et ses hommes, les fiches de motifs d’arrestation ne mentionnaient certes pas
Tutsimais indiquaient souvent à la place, pudiquement, l’absence de pièce d’identité ou des papiers non conformes, voire carrément
complicité avec l’ennemi,
collaborationet surtout
Inyenzi(« cafards » en kinyarwanda), terme utilisé pour déshumaniser les Tutsi. Jacques Morel, spécialiste de l’implication française au Rwanda, rappelle que le vocabulaire employé par les coopérants français est le même : « Michel Robardey et son supérieur le colonel Ruelle utilisent habituellement dans leurs rapports le terme Inyenzi, qui veut dire cafard, qu’ils écrivent
Inienzy, pour désigner les membres du FPR. Par exemple :
Un service de recherche [...] limite son action aux interrogatoires des Inienzy prisonniers.[Source : Jacques Ruelle, Au Chef d’Etat-Major Gendarmerie Nationale. Objet : Visite du Groupement de Ruhengeri , 20 avril 1991] » [1]. Trois ans plus tard, pendant le génocide, le terme ne désignait pas uniquement les rebelles du FPR, mais servait à désigner l’ensemble des Tutsi à exterminer [2].
Fichier Centralrwandais, lieu d’enquête de la gendarmerie rwandaise et de mauvais traitements et exactions dénoncés, à juste titre, par les défenseurs des droits humains ». Selon elle, ce coopérant militaire français a « tout mis en œuvre pour [y] mettre un terme », et elle « considère que le Colonel Robardey est un de ces gendarmes d’exception qui sont l’honneur de la police judiciaire française et d’une gendarmerie au service de l’État de droit ».
ennemis de l’intérieur, qui seront en grande partie exterminés quelques mois plus tard, ou seulement « les délinquants » et « les terroristes » – c’est-à-dire ceux « qui avaient posé des bombes », selon Robardey ? Affirmer que les listes de personnes à exterminer n’ont tout simplement pas existé est une constante chez les tenants de la thèse d’un
génocide spontané, provoqué par l’attentat contre le président rwandais le 6 avril 1994, qui aurait amené la population à vouloir se venger. Pourtant, en mai 2018, la Cour de cassation a confirmé la condamnation en appel de Pascal Simbikangwa, le premier génocidaire rwandais jugé en France ; et, ce faisant, confirmé la reconnaissance par la justice française d’un « plan concerté », d’un « ensemble d’actes relevant nécessairement d’une organisation collective », dans une mécanique se mettant en place bien avant l’attentat (cf. Billets n°278, juin 2018). Cela n’impressionne nullement Bernard Lugan, universitaire dépeint par Jacques Morel « comme un historien d’extrême droite, apologiste de la colonisation et ouvertement raciste » [3] et qui se targue de son statut d’expert auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), comme ce jour-là à la barre, comme témoin : « à ma connaissance, il n’a jamais été question de listes » dans les éléments pris en compte par le TPIR. Et d’affirmer que la gendarmerie rwandaise a été blanchie par le même TPIR de l’accusation de préméditation du génocide. D’ailleurs, selon lui, « pour les historiens qui ont travaillé au TPIR, il y a aujourd’hui consensus sur 3 ou 4 grands aspects, dont : le génocide a eu lieu ; le génocide n’a pas été programmé ». Mais ce qu’ignorent sans doute les juges de Nîmes, c’est que le mandat du TPIR ne couvrait pas la phase de préparation du génocide : il ne couvrait que l’année 1994, empêchant largement de se prononcer sur l’amont. Or à cette période, même le chef de la mission militaire de coopération dont dépendaient Robardey et ses hommes, le général Varret, craignait un fichage des Tutsi par la gendarmerie rwandaise, comme l’explique le rapport de la mission d’information parlementaire française de 1998 (p. 156) : « A la différence de l’Ambassadeur de France qui soutenait le projet, le Général Jean Varret a indiqué à la Mission qu’il était resté très sceptique quant à la possibilité de faire de la Gendarmerie rwandaise une Gendarmerie “démocratique”. A la question de savoir si le Gouvernement rwandais, à travers cette demande, n’avait pas en réalité le désir de ficher les Tutsis, le Général Jean Varret a répondu que cela correspondait effectivement à son sentiment et qu’il avait tout entrepris pour éviter cela. »
fgtquery v.1.9, 9 février 2024