Citation
SONIA COMBE est conservateur et chercheur en histoire à la bibliothèque
de documentation internationale contemporaine. Son enquête sur les
archives interdites
, publiée en 1994 (1), qui portait - entre autres -
sur la période de l'Occupation, avait été saluée par une bonne partie de
la presse, mais avait suscité des critiques très violentes de quelques
historiens, qui lui reprochaient d'entretenir l'obsession de Vichy
.
Que pensez-vous de la non-publication du travail du professeur Annie
Lacroix-Riz?
Dans cette affaire, il est très intéressant et révélateur de noter
qu'Annie Lacroix-Riz s'est appuyée sur des archives qui lui ont été
ouvertes pour lui permettre de mener sa recherche. En bénéficiant de ce
privilège, qui ne lui est pas imputable mais pose déjà un problème de
fond, elle a franchi un premier barrage. Puis elle a travaillé sur ces
archives, les a exploitées avec sa conscience d'historienne, et on lui a
refusé la publication de son texte pour avoir, comme je l'ai lu, abusé
de la générosité du ministère. C'est tout à fait significatif d'un état
d'esprit qui considère que, en matière d'archives, la règle est de ne
pas montrer. Et je trouve extraordinaire que des universitaires, des
chercheurs, pas tous évidemment, cautionnent cette rétention. Annie
Lacroix-Riz n'a pas joué ce jeu-là et on ne le lui a pas pardonné.
Cette rétention s'applique-t-elle particulièrement à la période de la
collaboration?
Oui, mais elle s'applique toujours à la Première Guerre mondiale et plus
encore à la guerre d'Algérie, c'est-à-dire à tous les sujets sensibles.
Je ne dis pas qu'il existe un complot pour bloquer le travail de
recherche. En réalité, nous restons dans une culture du secret d'Etat,
qui fait qu'un responsable d'archives ne pense pas en termes de droits
du citoyen, mais de raison d'Etat. De la même manière, l'accès, par
dérogation, aux archives des ministères ou de la préfecture de police de
Paris, fait que la plupart de ceux qui en bénéficient s'inscrivent dans
le courant d'une histoire raisonnable, qui anticipe sur la raison
d'Etat. Cela aboutit à une pensée unique dans une discipline
conservatrice par nature.
Un libre accès aux archives ne comporte-t-il pas toutefois le risque
d'atteintes à la vie privée?
Une loi existe pour protéger la vie privée et c'est parfaitement
légitime. Mais lorsque des gens sont cités en raison des fonctions
qu'ils ont occupées dans l'appareil d'Etat, cela n'a rien à voir avec la
vie privée. Or, actuellement, si nous n'avons toujours pas accès aux
archives des camps d'internement en France sous l'Occupation, c'est
uniquement parce que y figurent les noms des commandants de ces camps.
Par contre, on peut très facilement consulter les archives des femmes
violées qui avaient porté plainte à la Libération. Là, figurent leurs
noms et les moindres détails de ce qui a sali leur honneur.
Propos recueillis par G. S.
(1) Archives interdites, les peurs françaises face à l'histoire
contemporaine
, de Sonia Combe, chez Albin Michel.