Fiche du document numéro 24414

Num
24414
Date
Jeudi 4 avril 2019
Amj
Auteur
Fichier
Taille
932014
Pages
9
Urlorg
Sur titre
Exposition au Mémorial de la Shoah de Paris
Titre
Rwanda, 1994, notre histoire ?
Sous titre
Au Rwanda, d’avril à juillet 1994, le XXe siècle s’est refermé sur un dernier génocide, un de plus : celui des Tutsi. Hommes, femmes et enfants furent traqués et assassinés en masse lors d’une entreprise d’extermination d’une efficacité redoutable. Près d’un million de victimes périrent en moins de trois mois. Vingt-cinq ans après, un épais voile de clichés, de dénis et d’ignorances continue de recouvrir l’événement. L’exposition propose deux espaces distincts visant à présenter un état des savoirs accumulés sur le génocide des Tutsi.
Source
Type
Langue
FR
Citation

Le génocide dans « l’oeil de l’enfance »



What happened to the Tutsis in 1994, dessiné par un enfant survivant du génocide le 3 octobre 1997 / © Richard A. Salem, Witness to genocide : the children of Rwanda, éd Friendship Press, 2000

À hauteur d’enfant, l’histoire du génocide des Tutsi trouve une forme d’expression singulière, au plus près du langage meurtrier et de sa gestuelle. Paroles scripturaires et graphiques donnent à voir les massacres dans leur matérialité brutale, constituant ainsi une source exceptionnelle. Trop souvent captifs du seul registre compassionnel, les enfants peinent à se hisser au statut d’acteurs sociaux et donc de sujets agissants, au même titre que les adultes. Dans les cours de justice comme dans les livres d’histoire, la parole enfantine est souvent disqualifiée en raison de préjugés tenaces.

Prendre au sérieux le récit des enfants rescapés, c’est voir le génocide autrement, à partir du basculement de l’enfance dans un monde adulte devenu impuissant à la protéger, voire transformé en menace mortelle.

« Sans ciel ni terre », les enfants voient s’inverser toutes les normes sociales et culturelles ayant jusqu’alors structuré leur univers. Exposés aux scènes de cruauté et de mise à mort, ils font l’expérience directe de la réversibilité meurtrière du voisinage. Piégés sur leurs collines ou dans leurs paroisses, ils tentent pourtant d’élaborer des stratégies de survie afin d’échapper aux voisins devenus leurs tueurs. Dénigrement, humiliation, haine révélant la puissance d’un imaginaire raciste et animalisant : rien, qu’il s’agisse des mots ou de la gestuelle exterminatrice, n’échappe à la minutie descriptive des enfants. Leurs dessins comme leurs récits sont saturés de descriptions d’hommes armés et de femmes délatrices.

Découvrez dans l’exposition des extraits de textes issus d’un atelier d’écriture réunissant une centaine d’orphelins résidant dans la Province de l’Est (2006), ainsi que des dessins d’enfants survivants du génocide.



« Il a fait jour, c’était lundi. J’ai entendu que les Inkotanyi étaient arrivés. Mais quand ils ont eu fini de tuer Maman, les Interahamwe de Gitaraga et ceux de Gabatasi ont communiqué avec ceux de Kamutete et Ndarage. Ils parlaient du fait qu’à Mitali, il restait deux Inyenzi qu’il fallait tuer. C’était moi et ma cousine. Ils avaient prévu de nous tuer sur le terrain de football avant de manger nos coeurs. Mais cette nuit-là, le chef de l’igitero, Sendanyoye a trop bu, et comme il était ivre, ils n’ont pas voulu venir nous tuer sans lui. Et c’est ainsi que j’ai eu de la chance. J’ai vu le jour se lever. »


Pages originales du cahier de témoignage écrit par une fillette née en 1983 (11 ans au moment du génocide).
Coll. CNLG (Commission nationale de lutte contre le génocide), Kigali.

La vision raciale de la société rwandaise pendant la période coloniale





Carte de la propagation des « races », extraite de la 4<sup>e</sup> édition du Konversationslexicon de Hermann Julius Meyer. Allemagne, 1885–1892. / Domaine Public. La carte divise cette partie du monde en « trois races » distinctes, elles- mêmes déclinées en sous-groupes. Les « Hamites » figurent dans la catégorie des « races caucasiques ».

Catégories socio-politiques perméables à l’origine, Hutu et Tutsi, deviennent des « races » sous la plume des explorateurs européens, le goupillon des missionnaires catholiques (les Pères Blancs) et le joug colonial européen (allemand de 1897 à 1916 puis belge de 1916 à 1962).

Faisant fond sur l’hypothèse d’une antique « coulée blanche » avancée par Arthur de Gobineau dans son Essai sur l’inégalité des races humaines (1854), les explorateurs britanniques comme John Speke qui s’aventurent dans la région des Grands Lacs puisent dans la pensée raciale l’explication de la diversité humaine à laquelle ils sont confrontés. Le « mythe hamitique » assigne aux Tutsi une ascendance « blanche », perçant ainsi le mystère de la présence au cœur du continent noir de populations ne correspondant pas au portrait négatif du « Nègre ». Les voyageurs européens font d’abord état d’un choc esthétique et exaltent la beauté physique des Tutsi, comme l’illustre la prose de l’explorateur autrichien Oscar Baumann : « Il y avait partout des Watussi qui surprenaient par leur sveltesse et leur type presque européen. Certains étaient à peine bruns et ont sans doute été à l’origine de la légende des nègres blancs. »

Devenus les héritiers raciaux de lointains ancêtres blancs, les Tutsi, désormais désignés comme « Hamites » et décrits comme un peuple de pasteurs conquérants auraient asservi les « Bantous », les Hutu plus proches des stéréotypes du « Nègre ». Cette fable raciale et raciste, promise à une immense fortune idéologique, sert de justification à la promotion sociale, politique et culturelle des Tutsi pendant la colonisation.

Découvrez dans l’exposition des cartes d’époque, des extraits de film, des phots de Joseph Dardenne des années 1920, etc.

Illustrations extraites de l’ouvrage « Un royaume hamite au centre de l’Afrique » par le Rév. Père Albert Pagès des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs). Librairie Falk Fils, Bruxelles, 1933. / Domaine Public. Pl. XX, p 728. « Types Mututsi ».

Une lecture raciale du politique





Au cours des années 1950, les élites politiques et culturelles tutsi contestent l’ordre colonial et sèment les premiers ferments du nationalisme. Trahies par ceux-là même qu’elles considéraient comme une « race supérieure », la Belgique et l’Église catholique renversent leur alliance initiale au profit d’une élite hutu qui revendique le pouvoir au nom du « peuple majoritaire ». La lecture raciale du politique et du social se trouve encore renforcée par les partis portant en étendard « l’émancipation » des Hutu. Sous la plume des pamphlétaires hutu, les Tutsi demeurent ces étrangers – envahisseurs et usurpateurs – décrits par la fable hamitique. La soif d’égalité s’affirme alors au nom d’un « peuple » défini non comme une entité politique mais comme une « race ».

En 1959, la mort inopinée du roi Mutara Rudahigwa conjuguée à l’agitation partisane déclenche les premiers pogroms contre les Tutsi. Qualifiées de « révolution sociale » par les propagandistes hutu appuyés par leurs nouveaux soutiens belges et catholiques, ces violences marquent l’avènement d’une équation politique également nouvelle. Reposant sur l’arithmétique raciale et sur l’argument de la majorité, l’idéologie du nouveau régime rwandais, affranchi de la tutelle coloniale en 1962, suppose un exercice exclusif du pouvoir au nom d’une « démocratie majoritaire » de forme « républicaine », par opposition à l’ancienne « féodalité tutsi ».

C’est ainsi que la Ière République de Grégoire Kayibanda, président du Rwanda indépendant (1962-1973), est marquée par une succession de massacres présentés comme autant de représailles populaires incontrôlées succédant aux incursions armées d’une poignée de Tutsi réfugiés dans les pays voisins. Entre 1961 et 1967, au moins 20 000 Tutsi sont assassinés et 300 000 autres sont contraints à l’exil.

Découvrez dans l’exposition des extraits du film « Fils d’Imana » du Père Eric Weymeersch (1959), des photographies de Joseph Dardenne (années 1920), des illustrations, des extraits de textes et ouvrages et des ouvrages originaux.

Obsession du nombre, obsession de la menace



 Carte d’identité Tutsi. 11 x 16 cm. Coll. Kigali Genocide Memorial, Gisozi, Rwanda.

Le 5 juillet 1973, le président Grégoire Kayibanda est renversé par le général-major Juvénal Habyarimana. Le coup d’État intervient quelques mois après un nouveau massacre accompagné de purges menées dans les écoles et la fonction publique contre une présence tutsi jugée intolérable. L’avènement de la IIe République ne change pas fondamentalement la nature d’un régime fondé sur un parti unique créé en 1975 – le Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement (MRND) – et sur la discrimination institutionnalisée d’une partie de la population.

Loin de rompre avec la rhétorique du « peuple majoritaire » justifiant l’exclusion des Tutsi, le nouveau pouvoir se proclame héritier de la « révolution sociale » de 1959 dont il entend affermir les principes. Sous couvert d’une rhétorique de justice sociale, la politique d’« équilibre ethnique et régionale » masque une véritable institutionnalisation de la discrimination à l’encontre des Tutsi. Dès le mois d’août 1973, le ministre de l’Éducation encourage les directeurs d’écoles secondaires à prêter une attention scrupuleuse aux proportions « ethniques » et « régionales » dans les modalités d’accès à leurs établissements.

Cette force du nombre, le « peuple majoritaire » ne saurait la préserver sans le recours à un appareil statistique s’imposant dans toutes les sphères de la vie sociale. Ainsi, la politique du nombre conduite par le régime Habyarimana confère à la « majorité » une existence rationnelle et objective quand elle entretient l’imaginaire d’une « minorité » sournoise et menaçante.

Découvrez dans l’exposition la lettre du Mwami (Roi du Rwanda) au Résident belge du Rwanda à propos des mentions raciales sur les documents officiels (1957), le message émis par les services de renseignement rwandais de la préfecture de Kibungo (1986), le compte-rendu de la réunion des conseillers de la commune Nyamagabe (1978), etc.

Mener la guerre totale : l’appel au « peuple majoritaire »



Message du sous-préfet de Rwamagana au préfet de Kibungo. Rwamagana, Rwanda, 29 décembre 1990. / Coll. Fonds Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG). Ce document mentionne de manière particulièrement explicite la participation de civils aux opérations de guerre dans la préfecture.



Quelques jours à peine avant le déclenchement du génocide des Tutsi, le 7 avril 1994, les mots suivants crépitèrent sur les ondes de la radio extrémiste RTLM (Radio télévision libre des mille collines) : « Le peuple, le voilà le vrai bouclier, c’est la véritable armée qui est forte. » Ces appels à mobilisation du peuple en armes se font entendre dès le début de la guerre contre le Front patriotique rwandais (FPR) en 1990. Ce mouvement politico-militaire fondé en 1987 agrège dans ses rangs les descendants des exilés tutsi de la décennie 1960 et les dissidents hutu du régime Habyarimana. Suite aux fins de non recevoir du gouvernement qui refuse le retour dans leur pays des quelques 500 000 réfugiés tutsi dispersés dans les pays voisins, le FPR engage le combat le 1er octobre 1990 depuis l’Ouganda.

Face à la menace réelle que représentent les offensives du FPR, un double amalgame s’impose progressivement. En premier lieu, tous les Tutsi sont présentés par la propagande comme autant d’alliés cachés de leurs « frères tutsi » du FPR, et donc prêts à renverser les acquis de la « révolution hutu » pour rétablir féodalité et monarchie. Ensuite, l’ensemble du « peuple majoritaire » est encouragé à défendre la patrie en danger en soutenant les Forces armées rwandaises (FAR).

Concrètement, cet imaginaire du peuple en armes prend la forme d’une politique de distribution d’armes à feu aux habitants dans le cadre de « l’autodéfense civile », et d’entraînements militaires dispensés aux milices des partis extrémistes, en particulier les Interahamwe.

Découvrez dans l’exposition le discours du président Juvénal Habyarimana (7 décembre 1990), le message du sous-préfet de Rwamagana au préfet de Kibungo (29 décembre 1990), des notes concernant des renseignements et l’armée rwandaise, des extraits filmés de meeting du parti extrémiste, etc.

Les massacres (1990-1993)



Dès la première offensive du Front patriotique rwandais (FPR) le 1er octobre 1990, les arrestations massives et les massacres des populations tutsi ainsi que des opposants politiques font l’objet d’une intense campagne de dénonciation publique menée par des militants des droits de l’homme et des journalistes. À la faveur du multipartisme instauré en juin 1991, la presse d’opposition et les organisations de défense des droits humains s’emparent de ce nouvel espace d’expression pour documenter et dénoncer les exactions du régime. La logique des tueries, impliquant toujours les autorités locales, est partout la même : une offensive du FPR ou la rumeur d’un supposé plan de conquête intérieur justifie l’attaque contre les Tutsi.

Habitations incendiées, bétail abattu et dévoré, viols des femmes et des fillettes, assassinats par armes à feu ou armes blanches : l’ensemble des pratiques de mise à mort et de cruauté identifiables pendant le génocide se déploient dès les massacres des Bagogwe (1990-1991, janvier 1993) et des Tutsi du Bugesera (mars 1992). Seules les églises demeurent encore des sanctuaires protecteurs. Le génocide ne relève donc pas d’une tragique fatalité ethnique, il est le fruit d’une politique délibérée puisant sa justification dans un imaginaire raciste et la peur obsidionale d’un ennemi d’autant plus menaçant qu’il revêt les traits du voisin.

Découvrez dans l’exposition un extrait du journal « Imbaga » (1990) sur les massacres, un dessin de presse, les listes de biens pillés aux Tutsi, le rapport de la mission effectuée par le Collectif
des Ligues et Associations de Défense des Droits de l’Homme au Rwanda (1993), etc.

Intérieur de l’église de Nyamata, actuel mémorial de Nyamata, Rwanda. 2018. © Mémorial de la Shoah, Paris.

La politique française au Rwanda (1990-1994)





Vingt-cinq ans après le génocide des Tutsi, la question des responsabilités françaises laisse apparaître, sous des contours de moins en moins flous, les figures d’une poignée d’hommes réunis autour du président Mitterrand : officiers d’état-major ou conseillers du prince, ils sont les premiers responsables de la dérive criminelle d’une politique de soutien à un régime lui-même criminel. En dépit de l’absence de tout travail d’histoire exhaustif, faute d’accès à l’ensemble des fonds d’archives, les enquêtes journalistiques et parlementaires conduites tant en France qu’au Rwanda auxquelles s’ajoutent les témoignages de soldats envoyés en opération sur place, font apparaître un ensemble de faits avérés et permettent d’avancer une première interprétation.

Guidé par une attitude paternaliste, pétri d’une vision « ethno-majoritaire » et obsédé par la perte d’influence de la France (et de sa langue) en Afrique, ce cercle restreint de responsables politiques et militaires français a choisi de soutenir, à grand renfort d’opérations militaires et d’« assistance technique », un pouvoir aux abois, responsable du massacre de milliers de ses citoyens avant même le génocide. Pas une seule fois, entre 1990 et 1994, le soutien français ne lui a fait défaut.

Découvrez dans l’exposition un extrait du message de l’attaché de défense à Kigali sur la situation politique (1990), une note du conseil restreint de la présidence de la République française (1993) témoignant de la volonté du président François Mitterrand de poursuivre le soutien militaire français aux Forces armées rwandaises, un témoignage d’un ancien parachutiste au 3e RPIMa, etc.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024