Attention : ce document exprime l'idéologie des auteurs du génocide contre les Tutsi ou se montre tolérant à son égard.
Citation
Cahiers d'outre-mer
Analyse géographique de l'incidence du V.I.H. et du SIDA au
Rwanda en 1990
J.F. Gotanegre
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Gotanegre J.F. Analyse géographique de l'incidence du V.I.H. et du SIDA au Rwanda en 1990. In: Cahiers d'outre-mer. N° 183
- 46e année, Juillet-septembre 1993. pp. 233-252;
doi : https://doi.org/10.3406/caoum.1993.3486
https://www.persee.fr/doc/caoum_0373-5834_1993_num_46_183_3486
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Abstract
Geographical study of H. I. V. and AIDS infection in Rwanda in 1990. The people infected in 1990 by
H.I.V. and AIDS patients are more numerous than datas specified by R wandese officials showed. The
increase of the epidemy has been 9 1 % per year from 1983 to 1990. The infection affected mainly 1934 year old youths, low income people, Tutsi people, unmarried or single parents, especialy young
ladies. Two thirds of new cases mentionned in 1990 live in towns or close to service centres implanted
along the main roads or in the major modern activity areas. Under urbanized wards or suburbs are
more H.I.V. infected than modern centre town wards at the two large cities of Kigali and Butare. In the
partly urbanised townships, the 1990 incidence rate decrease from the centre town to the rural-urban
periphery. H.I.V. infection and AIDS must be concerned as a major health problem for Rwanda as for
Burundi, Uganda and Tanzania. The issue is tremendously dramatic for the whole Rwandese nation.
Résumé
Les personnes infectées par le V.I.H. et les malades du SIDA sont plus nombreuses que les
déclarations officielles du Rwanda en 1990 ne le laissent supposer. La progression de l'épidémie fut de
91 % par an entre 1983 et 1990. Le virus affecte en priorité les jeunes adultes des deux sexes de 19 à
34 ans, les petits revenus monétaires, les célibataires, femmes surtout, et l'ethnie tutsi. Les deux tiers
des nouveaux malades dépistés en 1990 vivent dans les villes rwandaises et près des bourgs de
services qui s'égrènent le long des principaux axes de communication ou dans les zones d'activités
dites modernes. Dans les deux grandes villes rwandaises, Kigali et Butare, les quartiers déstructurés
«africains» et les faubourgs mal urbanisés sont plus affectés par 1 ' infection que les quartiers
modernes centraux. Dans les dix petites villes, le taux d'incidence en 1990 diminue du centre vers la
périphérie. Le V.I.H. et le SIDA représentent un grave problème de santé publique comme dans les
pays voisins (Burundi, Ouganda, Tanzanie) mettant en question l'avenir de la nation dans son
ensemble.
Analyse géographique de l'incidence du V.I.H.
et du SIDA au Rwanda en 1990
par Jean-François GOTANEGRE *
Résumé - Les personnes infectées par le V.I.H. et les malades du SIDA sont plus
nombreuses que les déclarations officielles du Rwanda en 1990 ne le laissent supposer.
La progression de l'épidémie fut de 91 % par an entre 1983 et 1990. Le virus affecte en
priorité les jeunes adultes des deux sexes de 19 à 34 ans, les petits revenus monétaires,
les célibataires, femmes surtout, et l'ethnie tutsi. Les deux tiers des nouveaux malades
dépistés en 1990 vivent dans les villes rwandaises et près des bourgs de services qui
s'égrènent le long des principaux axes de communication ou dans les zones d'activités
dites modernes. Dans les deux grandes villes rwandaises, Kigali et Butare, les quartiers
déstructurés «africains» et les faubourgs mal urbanisés sont plus affectés par 1 ' infection
que les quartiers modernes centraux. Dans les dix petites villes, le taux d'incidence en
1990 diminue du centre vers la périphérie. Le V.I.H. et le SIDA représentent un grave
problème de santé publique comme dans les pays voisins (Burundi, Ouganda, Tanzanie)
mettant en question l'avenir de la nation dans son ensemble.
Summary - Geographical study of H. I. V. and AIDS infection in Rwanda in 1990. The
people infected in 1990 by H.I.V. and AIDS patients are more numerous than datas
specified by R wandese officials showed. The increase of the epidemy has been 9 1 % per
year from 1983 to 1990. The infection affected mainly 19-34 year old youths, low
income people, Tutsi people, unmarried or single parents, especialy young ladies. Two
thirds of new cases mentionned in 1990 live in towns or close to service centres
implanted along the main roads or in the major modern activity areas. Under urbanized
wards or suburbs are more H.I.V. infected than modern centre town wards at the two
large cities of Kigali and Butare. In the partly urbanised townships, the 1990 incidence
rate decrease from the centre town to the rural-urban periphery. H.I.V. infection and
AIDS must be concerned as a major health problem for Rwanda as for Burundi, Uganda
and Tanzania. The issue is tremendously dramatic for the whole Rwandese nation.
Mots-clés - Rwanda, incidence, V.I.H., SIDA, espaces à risque, personnes à risque.
* Maitred'Outre-Mer,
Cahiers
de Conférences
46 à(183),
l'Université
juillet-septembre
Paul-Valéry1993
(Montpellier IH)
234
LES CAHIERS D'OUTRE -MER
Au vu des statistiques officielles, l'Afrique est actuellement le continent
où le virus de l'immunodéficience humaine à l'origine du SIDA fait le plus de
ravages : bien que le pourcentage de personnes infectées par le virus du V.I.H.
par rapport au reste du monde y diminue (63 % en 1989 ; 58 % à mi-1993), on
répertorie sur ce continent le tiers des malades du SIDA. Le Rwanda se classe
en 8ème position des pays africains pour le nombre de cas de SIDA confirmés
(6 578 en juin 1992 contre 10 en 1983, soit une progression annuelle de 91 %).
A ce rythme, toute la population rwandaise actuelle pourrait être infectée dans
1 1 ans ! Le SIDA était déjà la cinquième cause de décès en 1989. C'est donc
une catastrophe humaine et économique que toute la stratégie de développement
doit prendre en compte dans l'attente d'un vaccin (fig. 1).
Les déclarations officielles émanant du Rwanda ne reflètent pas la
situation dramatique qui y règne : en effet, en 1990, seulement 1121 nouveaux
cas de SIDA furent déclarés àl'O.M.S. parles responsables de santé. Il ne s'agit
en l'occurrence que des cas confirmés par le Programme National de Lutte
contre le SIDA (P.N.L.S.) provenant des 9 centres sentinelles de sérosurveillance
localisés seulement dans 3 préfectures sur les 1 1 du pays. Les résultats des
centres de transfusion sanguine contrôlés par la Croix-Rouge ne sont pas
publiés. Les répertoires des tests de dépistage effectués dans les 6 formations
sanitaires (sur les 329 que compte le pays) permettent de dénombrer 7 840 cas
de V.I.H. et 2 979 cas de SIDA, soit 2,6 fois plus que les déclarations officielles
n'en formulent. Le cumul de ces deux formes de morbidité détermine un taux
d'incidence, en 1990, de 15 %oo. Grâce à la consultation des fiches médicales
des patients il est possible d 'effectuer une approche de cette épidémie des points
de vue spatial et social.
I - Une épidémie a priori discriminatoire
La surveillance de la progression de l'épidémie est dévolue à chaque
formation sanitaire (Tabl. I). Toute personne «suspecte» de V.I.H. et de SIDA
se voit prélever un échantillon de sang qui est envoyé aux centres régionaux de
PNLS pour confirmation (recherche d'anticorps au V.I.H. par les tests Elisa,
IFA ou Western-Blot). Il est accompagné d'un formulaire caractérisant son
genre de vie. Malgré l'informatisation du service (courant 1989), la
sérosurveillance nationale est négligée du fait de la non-fiabilité des diagnostics
1-Le taux d'incidence en 1990 =
(7 840 VIH = 2 979 sidéens) - 226 étrangers x 10 000
Population rwandaise estimée au 31.12.90
soit 6 936 000 habitants
Le recensement national d'août 1991 donne 7 155 000 habitants.
INCIDENCE DU V.I.H. ET DU SIDA AU RWANDA
235
des assistants-médicaux, du pourcentage des fiches de santé restées incomplètes
et des difficultés de circulation en ces temps de guerre. 44 % des fiches
seulement (soit 4 807) sont exploitables. 1 976 malades du SIDA (soit 66 %
des formulaires notifiés «sidéens») présentent soit 2 des 3 critères majeurs
associés à une des 1 8 maladies retenues comme caractéristiques pour les adultes
ou à deux pour les moins de quinze ans, soit une des 7 infections opportunistes
du Control Diseases Center (C.D.C.) d 'Atlantaen plus des deux tests sérologiques
positifs. 36 % des formulaires notifiés «séropositifs» (soit 2 831 personnes)
n'ont pas la totalité des diagnostics répertoriés ou sont asymptômatiques
(Tabl. II).
TANZANIE
Parc des
Virunga.
Gisenyi
ZAÏRE
'j Lac Bulera
4Lac Ruhondo
Ruhengeri
Forêt de
Gishwati
Parc de
Byumba
Lac '
Kivu
l'Akagera
• Kigali
Kibuye
• Gitarama
Kibungo •
Gikongoro •
i Forêt de
Cyangugu / Nyungw0
Lac Rweru
Butare •
BURUNDI
30 km
Fig.l - Localisation
2-Les fiches inexploitables proviennent del'hôpital de Kigali (C.H.K.). 96 % de ces fiches (soit 6 012) n'ont
que les confirmations cliniques et les résultats sérologiques. Le manque de temps et l'impératif confidentiel
pour certains cas ne permettent d'exploiter géographiquement que 4 % des morbidités dépistées parle C.H.K.
236
LES CAHIERS D'OUTRE-MER
Signes majeurs
1
2
3
Infections opportunistes
4
5
6
7
8
9
10
Signes mineurs
11
12
13
14
15
16
17
18
Perte de poids > 10 % ou retard de croissance
staturo-pondéral *
Diarrhée chronique > 1 mois *
Fièvre > 1 mois (intermittente ou constante) *
Méningite à cryptocoques *
Toxoplasmose du système nerveux central *
Pneumonie *
Cryptosporidiose *
Sarcome de Karposi *
Tuberculose *
Candidose œsophagienne *
Toux persistante > 1 mois
Dermatite prurigineuse généralisée
Zona
19
20
21
Candidose orophaiyngée *
Herpès muco-cutané chronique *
Lymphadénopathie généralisée
Infections banales à répétition
Pour l'enfant : infection VIH confirmée chez
la mère *
M.S.T.
M.P.C.
Abcès
22
23
24
25
26
27
28
Troubles psy.
Paralysie
Adénopathie
Gastrite
Arthralgies
Paludisme
Cancer
Tableau I - Enquête SIDA - Table des signes extérieurs de la maladie.
* Signes ousymptômes considérés comme importants par leProfesseurChoutet, Hôpital Bretonneau à Tours.
INCIDENCE DU V.I.H. ET DU SIDA AURWANDA
Préfecture
Cas de
V.I.H.
BUTARE
1232
BYUMBA
205
CYANGUGU
315
GIKONGORO 282
GISENYI
285
GITARAMA
380
KffiUNGO
324
KIBUYE
562
KIGALI
737
RUHENGERI 450
Etat
Tutsi Polygamie Alphabétisés Pop. active Religion
matrimonial
non agricole
167 301
133 657 9186
239195
13747
55293
108 195
16487 10410
180 034
8 029
190 622
78292
42239 6049
132134
7 943
107 785
102185
49 064 8445
135705
4376
31631
100 598
16 993 12325
171498
13921
165 829
156173
59985 7154
267236
11189
49 869
86684
39011 5903
135350
5920
93 046
75811
55794 8401
130711
6065
49417
166707
93215 9782
312124
36336
81423
111437
4 479 9289
206 885
10315
115388
237
Pop.
résidente
764485
782 678
514659
466 945
734920
851 811
652 032
471 199
1 148691
767971
%cs
47
21
13
50
15
18
36
23
18
18
Tableau II - Situations familiales, sociale, ethnique et religieuse
des populations infectées par le VJ.H.
1-Une épidémie de jeunes adultes
Au sein de la population rwandaise consultée, tous les groupes d ' âge sont
atteints mais les jeunes adultes, hommes (abasore ) et femmes (abahete ) , âgés
de 19 à 34 ans, sont les plus vulnérables dans respectivement 56 % et 66 % des
cas.
Dans les autres groupes d'âge, l'inégalité de la morbidité reflète l'évo¬
lution du sex-ratio : parmi les populations infantile et juvénile (batoya) on note
une légère diminution masculine ; parmi les adolescents (5 à 18 ans) on
remarque plus de cas féminins que masculins par suite d'une surmortalité
masculine ; chez les adultes de 35 à 49 ans et chez les personnes âgées, il y a
une surreprésentation masculine consécutive à la surmortalité féminine décou¬
lant d'un syndrome d'épuisement maternel (fig. 2).
Si la base même de l 'échantillon consulté induit une telle répartition, il est
néanmoins significatif de noter qu'au totall 'incidence du V.I.H. et du SIDA en
1990 touche pratiquement autant le sexe féminin que le masculin :
respectivement 50,4 % et 49,6 %.
238
LES CAHIERS D'OUTRE-MER
Fig.2 - Répartition des nouveaux cas de SIDA et de V.I.H. en 1990
selon les tranches de vie des Rwandais.
2 -Une épidémie affectant surtout les personnes ayant de «petits revenus»
L'activité économique essentielle du Rwanda étant l'agriculture, il est
normal que les agriculteurs représentent près de la moitié des cas d'infection
(49,6 %) tout en sachant que les agriculteurs peuvent exercer un autre métier à
temps partiel. Plus surprenant est de constater que 62 % des cultivateurs infectés
sont des femmes. L'économie rurale à finalité domestique est encore peu
diversifiée et peu intensifiée. Le tiers des ruraux est sous-employé.
L'agriculture ne contribue plus que pour 36 % à la réalisation du P.I.B.
Mais comme le pourcentage de personnes porteuses du virus appartenant
aux secteurs d'activités secondaire et tertiaire est le double du poids respectif de
ces secteurs sur le marché du travail (20,3 % pour 10 %), les employés du secteur
«moderne» de l'activité économique semblent en définitive les plus atteints. En
pourcentage, la réparation trouvée des malades travaillant dans ce secteur est
similaire à celle des effectifs et des sexes pour ces branches d'activité,
INCIDENCE DU V.I.H. ET DU SIDA AURWANDA
239
c'est-à-dire que les agents de l'Etat viennent en tête suivis par les artisans et
salariés d'entreprise, les commerçants, les chauffeurs-routiers, les prostituées
«reconnues» et les militaires.
L'importance relative de la population carcérale (1,5 % des infectés) et
surtout celle des sans-emplois et des travailleurs occasionnels (25 % des
malades) révèle l'acuité des problèmes du pays tant aux plans économique que
sanitaire. Les professions à risque sont aussi bien celles qui associent prestige,
argent, domination que celles liées à la débrouillardise. 19 % des cas de V.I.H.
et de SlDA sont expliqués par la population active non agricole et 26 % par les
alphabétisés, catégorie a priori avantagée pour trouver un emploi non
exclusivement agricole. Mais les exclus du système économique et les oisifs
forcés sont aussi une proie facile pour ce fléau. Par contre, les scolaires et les
universitaires sont encore relativement épargnés, ce qui en font les principaux
donneurs de sang. Ils représentent seulement 1,7 % des malades alors que 35 %
de la jeunesse sont scolarisés.
3-Une épidémie de célibataires et de cas sociaux
Le tiers seulement des personnes infectées est marié. La polygamie ne
favorise guère l'épidémie : 4 % des malades et r = 0,01. Ce sont surtout les
célibataires (26,1 %) et les chefs de famille monoparentale (20,3 %) qui
constituent le gros bataillon des personnes touchées par l'épidémie (r = 0,42)3.
L'héritage du virus à la naissance touche 3,5 % des enfants. L'importance du
pourcentage de célibataires contaminés témoigne du rôle joué par les «prosti¬
tuées» occasionnelles ; le concubinage passager évolue très souvent vers une
pseudo prostitution de la femme dès la première séparation. Le concubinage ou
union de fait, tout en étant toléré, n'est pas reconnu par la loi ni par la coutume.
L'aggravation de la distension des liens matrimoniaux par suite de mauvais
traitements après beuverie, par jalousie, par incapacité d'entretenir la famille,
par infécondité, favorise le naufrage de nombreuses femmes. La femme
esseulée n'étant plus protégée par son mari ou sa famille survit parle commerce
de boissons ou d'éventaire, paravent courant d'une prostitution non-officielle.
Au total, 79 % des divorcés, séparés ou concubins malades sont des femmes.
Le veuvage représente aussi un «vivier» de la maladie, mais il y a quatre
fois plus de veuves que de veufs atteints ; la multiplication des relations
sexuelles occasionnelles ou leur inféodation à un lévirat déj à mal ade expliquerait
cette plus grande vulnérabilité des femmes.
3- LaHes
vark
res.
variables
= le
religion
carré
explicatives.
corrélées
du
ne coefficient
prend
datent
L'état
enducompte
de
matrimonial
recensement
corrélation
que 1rscomprend
de
musulmans,
entre
1978.
le nombre
quatre,
les «sans
de casreligion»
catégories
de V.I.H.
: divorcés,
etetles
de animistes.
SIDA
séparés,
parveufs
préfecture
Les 6etpremières
célibatai¬
et des
240
LES CAHIERS D'OUTRE -MER
4-L'ethnie tutsi favorisante
Si toute la population devait être frappée par l'épidémie, le carré du
coefficient de corrélation mettrait en évidence le fait que 76 % des cas de V.I.H.
et de SIDA appartiendraient au groupe ethnique tutsi. Les échanges de
partenaire (Guhanga ingo) sont monnaie courante entre couples et amis appar¬
tenant à ce groupe. Ils pratiquent aussi fréquemment l'homosexualité. Par
ailleurs, de par leur beauté les femmes tutsi sont recherchées comme maîtresses
occasionnelles ou appointées par des hommes appartenant à d'autres groupes.
L'ethnie tutsi a une part primordiale dans le développement urbain et de
l'économie moderne. De plus, en contrôlant les Eglises chrétiennes
(catholique et protestantes) dans un pays peuplé à 90 % de Hutu, ces Tutsi
provoquent un désintérêt de plus en plus grand par la population des règles
morales occidentales et un grand relâchement des mœurs. Seuls les groupes
familiaux pratiquant les cultes animistes ou adhérant à l'Islam semblent peu
atteints par le V.I.H. (r = - 0,43).
La notion d 'épidémie n'est donc pas aveugle : des catégories à risque sont
révélées par l'analyse de l'incidence. Dans la minorité tutsi comme dans la
majorité hutu, les jeunes adultes, les indushyi (femmes seules délaissées), les
ruraux laissés-pour-compte (par suite d'un morcellement extrême des terres),
les individus marginaux au plan économique sont particulièrement vulnérables.
Tous ces gens les plus en contact avec le V.I.H. se concentrent dans les villes et
les bourgs ruraux, faisant des franges citadines mal urbanisées des lieux
épidémiologiques dangereux.
II - Une épidémie soulignant le réseau urbain
En 1990, l'Office National de la Population (ONAPO) estimait à 8 % la
population urbaine du Rwanda (soit 543 000 habitants) ; le recensement d'août
1991 ne retient que 386 35 1 urbains, soit un taux global d'urbanisation de 5 %,
d'où l'expression « le Rwanda est un pays sous-urbanisé». Néanmoins, on y
trouve de nombreux centres présentant certaines infrastructures citadines. Au
plan épidémique, le virus de l'immunodéficience humaine touche pour un tiers
des gens ayant une vie citadine au moins embryonnaire (38,5 % des nouveaux
cas en 1990) (fig.4).
4-Cyangugu,
et
D faut tenir compte
espacesduregroupant
fait que la53
moitié
% desdesTutsi.
fiches exploitables proviennent des P.N.L.S. de Butare, Kibuye
INCIDENCE DU V.I.H. ET DU SIDA AU RWANDA
241
Nombre de séropositifs et de sidéens
par commune rwandaise en 1 990
Fig.3 - Nouveaux cas de V.I.H. et de SIDA en 1990 au Rwanda
1-Les noyaux durs de l'épidémie
Si toutes les communes rwandaises ont été touchées par le V.I.H. et le
SIDA en 1990 (sauf celle de Mugambazi), le nombre de cas par commune
(fig.3) et surtout le taux d'incidence communal (fig.4) varient énormément :
l'existence d'un cadre urbain et la présence d'axes majeurs de
communications (routes goudronnées et cabotage lacustre) semblent favoriser
l'épidémie.
242
LES CAHIERS D'OUTRE-MER
Les communes traversées par un axe majeur de communication
totalisent 71 % des nouveaux cas de V.I.H. et de SIDA. La fréquentation
«cosmopolite» des cabarets-boutiques qui s'égrènent le long de ces axes
joue un rôle décisif dans la progression de l'infection à V.I.H..
Fig.4 - Taux d'incidence communal du SIDA et du V.I.H. au Rwanda
Les bourgs servant de haltes enregistrent une incidence du V.I.H. et du
SIDA en 1990 de l'ordre de 0,50 % alors qu'en milieu rural, elle n'allcini que
0,04 % (fig. 5). Evidemment cc résultat peut être influencé par une meilleure
déclaration «en ville» ou par suite d'une sous-déclaration dans les
campagnes : 56,5 % des nouveaux cas sont en effet décelés dans une formation
INCIDENCE DU V.I.H. ET DU SIDA AU RWANDA
243
sanitaire urbaine. D'ailleurs 18 % des nouveaux cas ruraux sont dépistés en
ville. Toutefois, 1 % des nouveaux cas urbains a été décelé dans un centre de
santé rural. La faible incidence rurale tient donc largement au fait que 89
formations sanitaires rurales seulement sur 276 font analyser le sang de malades
en situation de présomption de V.I.H. ou de SIDA.
■
■
Fig.5 - Nouveaux cas de VXH. et de SIDA par centres de soins en 1990
Fait symptom ati que, et à l'exception de Kibungo-ville et de Byumbaville, toutes les petites villes ont un taux d'incidence supérieur à celui de la
5-Tous sur
urbains
les hôpitaux
1 î . Le seul
urbains
hôpital(12)
rurbain
dépistent
ne déclarant
les cas derien
VIHestet l'hôpital
de SIDA psychiatrique
auxquels s'ajodetent
Ndera.
8 centres de santé
244
LES CAHIERS D'OUTRE-MER
capitale, Kigali (commune urbaine de Nyarugenge). Ils s'échelonnent de 0,4 %
à Gisenyi à 1,1 % à Kibuye en passant par 0,5 % à Nyabisindu, Gikongoro,
Gitarama ; 0,6 % à Ruhengeri ; 0,9 % àRwamagana ; 1 % à Cyangugu et Butare
contre 0,2 % à Kigali. L'instabilité de la population des bourgs ruraux peut
expliquer ces résultats.
A l'échelle de la section de commune, on s'aperçoit que 57,5 % des
nouveaux cas de V.I.H. et de SIDA habitent un secteur en voie d'urbanisation,
englobant souvent un village-centre , maillon élémentaire de 1 ' armature urbaine
nationale. Les services administratifs, socio-culturels, commerciaux et artisa¬
naux se localisent souvent le long d'une route tout en s 'éparpillant parfois sur
deux, voire trois secteurs.
Mutara
Ruhengeri
Nyariftovu
Cyohoh
Gisenyi
Lac Nivu
Kabaya
Rupenyi
Cyangug
Gisakur
Buganzs
Gikonabr
Busafiza
34km
Gashora
Kibungo
Mayaga
Butare
Bugarama
RwinkwaA/u
Rukoma
Gisovu
CyesJ/a
yir
Kibilira
axe goudronné
Elevage + Batutsi
WÊM Mines et carrières
Cultures commerciales
Villes et villages-centres
Fig.6 - Pôles séropositifs et sidéens en 1990
6-69 % des secteurs administratifs du Rwanda ont hébergé en 1990 des nouveaux cas de séropositifs et de
sidéens. Quatre nouveaux cas par secteur est la moyenne nationale pour ces 1 03 1 secteurs. Ies deux tiers des
nouveaux cas vivent dans des secteurs urbains possédant un ou plusieurs services.
INCIDENCE DU V.I.H. ET DU SIDA AU RWANDA
245
Donc il est très difficile d'évaluer l'impact précis de l'urbanisation sur la
distribution du V.I.H.. Néanmoins, on constate que les lieux où se propagent
V.I.H. et SIDA correspondent aux secteurs où se développe une forte activité
«moderne» (fig.4) : zones de production de mines et de carrières (Rwinkwavu,
Kibilira, Rutongo, Muganza), zones de plantations (théiers de Pfunda, Cyohoha,
Karago-Gaseke, Mata, Shagasha-Gisakura, Gisovu ; caféiers du CyeshaRusenyi ; riz du Bugarama ; pommes de terre de Nkuli), abords des camps
militaires (Mbyo-Gashora). Les seules zones traditionnelles fragiles sont si¬
tuées à proximité des grandes routes, là où la conjonction élevage/Batutsi/
tuberculose se révèle primordiale (par exemple sur l'axe Bufundu-Est/Buzanzanord/Muyaga, le Rukoma, le Buganza-sud et le Mutara). Dans tous les noyaux
urbains élémentaires (petites villes et villages-centres) on assiste à un grand
brassage d'individus socialement instables : fonctionnaires ayant une activité
itinérante tout autant qu 'oisifs que l 'économie traditionnelle du rugo ne fait plus
vivre. L'alcool et l'argent mettent en présence débrouillards et petits potentats
et favorisent la mise en place d'une faune interlope faisant commerce du sexe
assurant bien souvent les seuls passe-temps jugés agréables à l'intérieur de ces
lieux mal structurés propices au désœuvrement. Les jours de marché voient se
rassembler les gens des alentours. Pour les paysans, le jour de marché est
l'occasion de s 'évader des contraintes sociales inhérentes à la vie des «collines»,
à la société rurale traditionnelle. Par la proposition des partenaires sexuels
multiples, ces «enclaves» de la modernité mal assimilée sont le terrain idéal de
la diffusion de l'infection à V.I.H..
2-Le V.I.H., comme révélateur des espaces urbains
Officiellement, l'administration a délimité l'espace urbain. Mais celui-ci
déborde ses frontières administratives et recèle des paysages différents bien mis
en valeur par le gradient intra-urbain du V.I.H.. Dans de nombreuses villes,
autour du quartier central colonial, s'étendent des banlieues restées rurales. La
moitié de la population des circonscriptions urbaines déclare toujours avoir
l'agriculture comme activité principale. Les agglomérations «rurbaines» sont
plus le résultat du cumul de hautes densités de population et d'une grande
pauvreté que d'une vitalité économique diversifiée. A l'exception de Kigali et
de Butare où l'individualisation précise de quartiers résidentiels modernes et
indigènes est possible, les villes du Rwanda associent donc un quartier axial
réellement urbanisé et des secteurs de dense habitat rural. Il arrive même qu'on
ne puisse séparer la périphérie «rurbaine» du quartier central (cas de Kibuye et
Kibungo). Dans ces villes, petites et mal structurées, le gradient du V.I.H.
diminue depuis le centre vers la périphérie. Les auréoles rurbaines ont une
incidence intermédiaire entre les quartiers urbains centraux à forte endémie et
246
LES CAHIERS D'OUTRE-MER
les «collines» rurales peu touchées car bien structurées. Gikongoro fait exception,
les lieux d'animation dont l'hôpital et l'ancien centre commercial (Nzega) se
situant dans l'espace rurbain.
A Kigali, l'espace indigène ou déstructuré est plus atteint (0,24 %) que
les quartiers modernes (0,14 %), et surtout, que les zones rurbaines (0,05 %). Le
vagabondage sexuel semble être l'apanage des petits salaires des quartiers
populeux. Faute d'éducation minimale on enregistre chez eux absence de
protection et fatalisme vis-à-vis de la maladie alors que les nantis mieux avertis
qui habitent les beaux quartiers commencent à se prémunir contre ce fléau
(fig.7).
III - Une épidémie favorisée
L'évolution de la société rwandaise rend problématique la gestion de
l'épidémie : démographie galopante, dégradation de l'économie, instabilité
politique se conjuguent, ce qui aboutit à la déstructuration du corps social.
1-L'influence d'un fort accroissement démographique
Une densité brute de 271 hab/km et un taux annuel d'accroissement
naturel de 3 % font que tout l'espace rural traditionnel est aménagé : 60 % du
pays regroupent plus des trois quarts de la population. La S.A.U. (Surface
Agricole Utilisée) moyenne familiale relève déjà delà structure du jardin (moins
de 1 ha) ; dans 25 ans, on ne pourra plus compter que sur 30 ares pour une famille
de 5 personnes. L'acuité de la succession foncière est ainsi posée.
De moins en moins de jeunes hommes peuvent nourrir une famille : ils ne
peuvent donc se marier officiellement. Le retard important de l'âge au mariage
et ce faisant le nombre extrême de jeunes adultes célibataires dénotent le
caractère explosif du phénomène. Il arrive de plus en plus souvent qu'une jeune
femme considère que son mari n'arrive pas à l'entretenir correctement, surtout
lorsque sa dot n'est pas payée ; elle retourne alors chez ses parents. Cette
séparation de fait multiplie à l'extrême le nombre des femmes esseulées, en
particulier le long du lac Kivu (zone à forte incidence de V.I.H.) où les Bashi
zaïrois contractent facilement des unions de fait avec ces Rwandaises à la dérive.
L'inverse est rare parce que le Rwandais ne pourrait satisfaire l'alimentation
fortement carnée d'une femme Shi. Le caractère non officiel de ces unions
(souvent polygamiques) rend ces liens fragiles. Les Rwandaises qui les expé¬
rimentent ne s'en satisfont pas et viennent rapidement grossir les rangs des
femmes-célibataires, prostituées d'occasion à Bukavu ou à Goma. De plus en
plus, elles fréquentent maintenant Bujumbura, Butare et Kigali.
Ces formes actuelles de célibat forcé semblent donc encourager le
vagabondage sexuel, facilitant la diffusion des M.S.T. (Maladies Sexuellement
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V.I.H.
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Fig.7
248
LES CAHIERS D'OUTRE-MER
Transmissibles) de plus en plus difficiles à guérir : 77 cas de V.I.H. et de SIDA
sont soignés aussi pour M.S.T. et 1 175, soit le quart des infectés, déclarent avoir
eu des antécédents vénériens. La nature des premiers rapports sexuels subit de
fait une translation. Traditionnellement, ils s'acquiéraient en fréquentant des
prostituées attitrées. Actuellement, ils font référence aux services des jeunes
miséreux oisifs, présents en particulier dans les zones péri-urbaines ou
«rurbaines».
Dans cette société rurale à habitat dispersé, les réunions autour de
boissons alcoolisées (issues de la transformation des céréales et bananes en
bières et cidres) sont aussi l'occasion de nouvelles rencontres débouchant sur la
multiplication des partenaires sexuels : passer la nuit sans bière ni femme
(kurara umugore n'inzoga) est au Rwanda un signe de pauvreté. La buvette ou
cabaret-bar, commerce de détail le plus vulgarisé du pays, souvent situé le long
des pistes ou dans des zones d'habitat rural mal urbanisé, est un lieu privilégié
de rencontre et ce faisant un foyer de contamination par M.S.T. et V.I.H..
2-De faibles moyens sanitaires
Le Service de santé rwandais est handicapé par un budget limité (5 % du
budget national) actuellement en forte régression (-26 % entre 1986 et 1989).
Son efficacité passe donc par l'aide extérieure. Celle-ci finance 45 % de ses
dépenses du service de santé. Le tiers de cette aide est versée pour la lutte contre
le SIDA (soit 450 millions de FRwa). Les conséquences de cette situation sont
multiples :
a-La rareté des seringues et gants de caoutchouc dans les centres de soins
Les seringues réutilisables n'y sont pas toujours correctement stérilisées.
De plus, les personnels médical et paramédical s'en servent subrepticement
pour des soins à domicile dans de mauvaises conditions hygiéniques. Ces
magendu ou faux guérisseurs peuvent être des agents involontaires du V.I.H. .
34 % des nouveaux infectés ont reçu des injections dans des formations
médicales et 37 % ont subi des piqûres administrées par de faux guérisseurs
ambulants.
b-Le problème du sang contaminé
Jusqu'en 1985, les transfusions sanguines ne dépistaient pas le V.I.H. .
Comme ce virus fut notifié au Rwanda en 1983, une enquête menée en 1985
parmi les donneurs de sang montra que 18 % des donneurs urbains étaient
7-1 FRwa = 0,0407 F
INCIDENCE DU V.I.H. ET DU SIDA AU RWANDA
249
infectés contre 4 % des ruraux. Les élèves testés étaient séronégatifs. Aussi les
6 centres de transfusion sanguine recrutant 86 % de leurs donneurs dans le
milieu rural et les écoles. Le taux moyen de séropositivité reste tout de même
voisin de 3 % en 1990. Or les prélèvements n'arrivent pas à satisfaire une
demande exacerbée par la guerre et la famine et ne peuvent pas tous être testés
par manque de moyens. La tentation est donc forte d'utiliser tous les lots
sanguins malgré l'interdiction d'utiliser du sang non testé. 2 % des nouveaux cas
de V.I.H. et de SIDA ont subi une transfusion sanguine. Les malnutris, les
parturientes, les paludéens et les accidentés sont les principaux visés.
c-Le problème des préservatifs
Si la quasi-totalité de la population connaît le SIDA, c'est grâce aux
efforts éducatifs des organismes de santé nationaux et internationaux. Mais la
moitié des ruraux et le tiers des urbains estiment que l'épidémie progresse
lentement. Cette maladie est moins redoutée que le paludisme car elle touche
infiniment moins d'individus. Lors d'enquêtes comportementales en 1988,
3,5 % des personnes interviewées utilisaient des préservatifs. La rareté de la
protection personnelle ancrée dans les mœurs et soutenue par le clergé catholi¬
que ne peut que favoriser l'épidémie. Pour le moment, les préservatifs sont
distribués gratuitement à raison de 60 000 par mois. C'est peu, d'autant plus que
la moitié profite aux militaires, aux étudiants et aux urbains de Kigali, la
capitale. Le monde rural dans son ensemble et les scolaires négligent ce mode
de protection. L'aide extérieure pour lutter contre le SIDA risquant de diminuer,
on commence à vendre des préservatifs en pharmacie et chez des boutiquiers à
raison de 10 FRwa l'unité, équivalent à un douzième d'une journée de salaire
de base. Ainsi, si les gens fortunés peuvent facilement avoir accès à ce nouveau
produit (à condition qu'il n'y ait point de pénurie), par contre, les petits salaires
(«
salaires sérums») et les ruraux mal monétarisés ne pourront se protéger faute
de numéraire et seront les plus exposés à la transmission du V.I.H.. Le caractère
sélectif de la maladie est une réalité grave.
3-Des comportements traditionnels aggravants
Certaines pratiques de médecine traditionnelle sont susceptibles de
transmettre le virus du V.I.H. comme les scarifications (indasage). Les lancettes
ou les lames de rasoir utilisées passent d'un patient à l'autre sans jamais être
stérilisées. L'incision-aspiration (kurumika, kunywana) peuvent contaminer à
la fois le guérisseur, le malade et les échangeurs de sang s'ils ont des blessures
buccales. Dans 8 % des cas (en 1990) la contamination fait référence à la
scarification.
Malgré des attitudes puritaines induites par l'influence dominante des
missionnaires, les Rwandais changent de partenaires sexuels de manière
250
LES CAHIERS D'OUTRE -MER
fréquente : kwikiriza ntibibuza uwanga kwanga, comme ditle dicton. L 'hospitalité
passagère, les veillées, l'infécondité reconnue sont propices aux échanges de
partenaires. Le harcèlement sexuel est d'autant plus grand que celui qui le
pratique détient une parcelle de pouvoir. Or la soumission devant les «petits
chefs» est systématique tant on a peur de sa vengeance, par exemple de perdre
son travail. Croire que le contact avec la vulve d'une petite fille peut guérir une
M.S.T. masculine est encore malheureusement fréquent. Au total, les infectés
pour plus d'un tiers au moins reconnaissent avoir plusieurs partenaires sexuels
(fig-8).
Ainsi, en 1990, l'incidence du V.I.H. et du SIDA montre que l'épidémie
peut atteindre n'importe quel lieu au Rwanda mais qu'il existe des individus et
des lieux à risque : célibataires, Batutsi, actifs ayant une profession itinérante
(fonctionnaires peu payés, commerçants et artisans vivotant) concentrés soit
dans les zones de grande activité «moderne» (axes majeurs de communications,
postes de services, mines et plantations) soit dans les zones à très forte pression
démographique (microfundium, zones rurbaines, espaces pastoraux surexploités).
Le V.I.H. révèle la marginalité sociale et la misère économique liées à une
croissance démographique incontrôlée.
La combinaison linéaire de l'état matrimonial et de l'importance des
Tutsi rend compte de 77 % de la variabilité de l'incidence du V.I.H. et du SIDA
à l'échelle des préfectures régionales en 1990. Cette image momentanée prise
en 1990 a des similitudes avec celle de 1986 : la séropositivité au V.I.H. 1
touchait déjà plus le milieu urbain (18,1 %) que le milieu rural (1,7 %). 17 %
avaient eu des antécédents d'injections et 27,5 % des antécédents de transfusion.
Les individus sans partenaires stables présentaient déjà un taux élevé de
séropositivité. Le taux d 'incidence dans les cellules urbaines testées démontraient
que 5 petites villes avaient autant, sinon plus, de séropositifs que Kigali ;
toutefois un gradient décroissant du V.I.H. du centre vers la périphérie «rurbaine»
était déjà visible à Butare et à Kigali ; le centre commercial et résidentiel de la
capitale détenait alors un taux maximal comme celui de Butare actuellement ;
l'atténuation du phénomène à Kigali témoigne-t-elle de la prise de conscience
des nantis de la nécessité de se protéger ? Et de ce fait les rurbains et les citadins
des quartiers déstructurés seraient-ils à présent plus exposés que les riches
urbains ? On peut le penser, mais il nous est difficile de le vérifier par une
méthode quantitative puisque l' échantillon de population de 1986 ne représente
que le tiers des fiches analysées en 1990 et, surtout, l'enquête de 1986
privilégiait le milieu urbain (les 3/4 de l'échantillon).
Les conséquences socio-économiques du V.I.H. sont multiples : 1 ,5 % du
coût des soins hospitaliers sont perdus. On constate l'augmentation du nombre
des orphelins que Cari tas et les O.N.G. essaient d'aider ou de caser dans des
familles de pays riches ; mais surtout on doit signaler la perte des cadres (formés
souvent à l'étranger), des gens de pouvoir qui ont souvent tendance à affirmer
INCIDENCE DU V.I.H. ET DU SIDA AU RWANDA
251
□
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1
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SEXE MASCULIN
SEXE FEMININ
Fig.8 - Répartition des antécédents favorisant le V.I.H.
par sexe et cycles de vie
Types d' antécédents : 1-voyages à l'étranger ; 2-transfusion sanguine ; 3-M.S.T. ; 4-scarification ;
5-injections de guérisseur ; 6-injections dans un centre de soins ; 7-plusieurs partenaires sexuels ; 8-parents
séropositifs ou sidéens ; 9-partenaire séropositif ou sidéen.
252
LES CAHIERS D'OUTRE-MER
leur position dominante par une activité sexuelle extrême sur leurs
subordonné(e)s ; avant la vulgarisation du préservatif, ils étaient les plus
exposés à la transmission du
Depuis, le V.I.H. touche des individus de
couches sociales plus «basses», économiquement et culturellement instables.
Ce faisant, le potentiel d'infection s'est très largement accru. La situation est à
présent dramatique. Elle ne pourra être modifiée sans une éducation adaptée.
Ensuite faut-il que l'Etat puisse assumer son rôle d'organisation de la société,
ce qui semble difficile dans le contexte actuel de guerre civile.
Toutefois l'épidémie, comme la guerre, apparaissent à certains comme un
moyen pour le Rwanda, de rééquilibrer sa densité démographique à ses maigres
ressources.
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