Fiche du document numéro 24061

Num
24061
Date
Jeudi 21 mars 2019
Amj
Auteur
Fichier
Taille
258655
Pages
2
Urlorg
Titre
Génocide des Tutsi au Rwanda : pas de déclassification à Paris, prévient l’amiral Lanxade
Sous titre
Lors d’un colloque à Sciences-Po, l’ancien chef d’état-major s’est fait le porte-parole de l’Élysée qui, a-t-il fait comprendre, renoncerait à déclassifier les documents secrets sur l’implication de Paris dans le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994. Peu après l’Elysée faisait savoir que Emmanuel Macron ne se rendrait pas à Kigali pour la XXVe Commémoration.
Nom cité
Source
Type
Blog
Langue
FR
Citation
L’amiral Jacques Lanxade au débat de Sciences Po Paris, le 20 mars 2019

Déclassifier les archives secrètes sur l’implication de Paris dans la guerre civile au Rwanda entre 1990 et 1994. C’était l’une des promesses d’Emmanuel Macron. Né en décembre 1977, le chef de l’Etat français avait à peine 17 ans lors du génocide des Tutsi. A la différence de son prédécesseur François Hollande, il ne se sent en rien responsable de la tragédie, ni lié par le secret des archives d’Etat françaises. Or, la question est pendante depuis un quart de siècle : un lobby politico-militaire à l’Élysée avait-il profité de la maladie de Mitterrand pour imposer son terrible Kreigspeil au cœur de l’Afrique ? Une expédition coloniale d’un autre âge dont le point d’orgue a été l’extermination d’environ huit cent mille Tutsi et des dizaines de milliers de Hutu démocrates en moins de cent jours ? Un crime de complicité de génocide dans ce qui est l’une des pires tragédies de l’histoire mondiale du XXe siècle ? Et une responsabilité qui apparaîtrait clairement en cas de déclassification des documents de l’époque, toujours estampillés « Secret-Défense » ?

Les premiers gestes de Paris vers Kigali



En 2018, le président français avait multiplié les signes d’apaisement envers Kigali, au nom d’un impératif de vérité : rencontres avec le président Paul Kagame et soutien de Paris à la candidature de la Rwandaise Louise Mushikiwabo à la tête de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Une initiative qui lui avait valu de nombreuses critiques du fameux lobby politico-militaire, émanant notamment des réseaux tentaculaires de Hubert Védrine – secrétaire général de l’Élysée à l’époque du génocide. Emmanuel Macron n’en avait cure.

La suite de l’agenda semblait écrite d’avance : non-lieu judiciaire dans l’enquête sur les responsabilités militaires françaises dans le sauvetage tardif des rescapés tutsi de Bisesero, non-lieu dans l’enquête impliquant des militaires rwandais dans l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, geste fort du président français pour la vingt-cinquième commémoration du génocide, le 7 avril 2019 à Kigali ; agrément d’un ambassadeur de France à Kigali. Et large ouverture des archives françaises à une commission d’historiens, préalable à une éventuelle communicabilité au public.

Lanxade mange le morceau



Mais la crise des Gilets jaunes a transformé l’agenda présidentiel en château de cartes. Plus question de susciter la colère des anciens militaires de l’Opération Turquoise en remuant les complicités de Paris dans le génocide. Emmanuel Macron doit consacrer la quarantaine de mois qui le séparent de la prochaine présidentielle à survivre politiquement. A peine le gouvernement avait-il annoncé que des militaires protègeront les ministères des « Gilets jaunes » et des casseurs, que l’Élysée faisait savoir qu’il n’était plus question de se rendre à Kigali. Et la veille, l’amiral Lanxade a « mangé le morceau » : l’Elysée renoncerait à ouvrir les archives secrètes sur le rôle de Paris au Rwanda entre 1990 et 1994.

Lanxade : « La question des archives est fondamentale, pas seulement les archives de la France, mais les archives des Etats-Unis et les archives du FPR »

Jacques Lanxade a été successivement chef de l’État-major particulier du président Mitterrand (1989-1991) et chef d’État-Major des armées (1991-1995). Cet homme alerte malgré ses 84 ans révolus était l’invité de Sciences Po Paris le mercredi 20 mars pour un débat sur le thème « La France au Rwanda, l’opération Turquoise en question ». Il devait être confronté avec le lieutenant-colonel Guillaume Ancel, ancien officier de la Force d’Action Rapide, qui apporte un témoignage personnel sur l’implication de l’Elysée auprès du gouvernement génocidaire, notamment par des livraisons d’armes en violation de l’embargo de l’ONU. Un débat à fleurets mouchetés dont les spectateurs n’ont pas forcément relevé toutes les nuances. Après avoir répété la position officielle de Paris, l’amiral Lanxade a dit que « la question des archives est fondamentale, pas seulement les archives de la France, mais les archives des Etats-Unis et les archives du FPR ». Sous-entendu, que toute le monde, à commencer par les Américains, ouvre ses archives. Comme si la question n’était pas le rôle de Paris dans le génocide des Tutsi.

Jacques Lanxade a évoqué « la commission d’historiens » prévue pour se pencher sur la question des archives secrètes de Paris. Il a laissé comprendre qu’il en savait beaucoup sur cet dispositif. Et que le « lobby militaire » – une expression qu’il récuse -, avait la haute main sur l’agenda de cette « commission d’historiens », pour autant qu’elle soit effectivement créée. On comprend à l’entendre qu’elle n’aura pas de grain à moudre…

Ses déclarations ont suscité un certain malaise, car cet homme qui dirigea l’armée française voici un quart de siècle se pose non seulement comme le gardien du Temple, mais comme une porte-parole de l’Élysée,

Pour Jacques Lanxade, il n’y a rien à dévoiler, car rien n’a été caché dans le processus décisionnaire sur le Rwanda. Les décisions étaient prises dans les « conseils restreints de Défense » créés à son initiative après la guerre du Golfe. Selon l’amiral, le processus était donc impeccable et transparent. Dommage qu’il y ait eu un génocide que Paris n’aurait pas vu venir ni pu stopper à temps…

Nous avons interrogé l’historien Stéphane Audouin–Rouzeau sur les affirmations de l’amiral. Directeur d’études à l’EHESS, Stéphane Audouin–Rouzeau était, selon nos informations, pressenti pour présider la commission d’historiens. « Je n’ai aucun commentaire à faire », nous a-t-il laconiquement répondu.

L’Éysée se contenterait finalement d’envoyer au Rwanda Hervé Berville pour les vingt-cinquièmes commémorations. Ce jeune tutsi rescapé du génocide, devenu Français, est député de la deuxième circonscription des Côtes-d’Armor et porte-parole du groupe parlementaire La République en marche à l’Assemblée nationale. Fin des ambitions de transparence, retour au vague registre compassionnel et aux promesses non tenues style François Hollande…

Jean-François DUPAQUIER
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024