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Le président rwandais, Paul Kagame, a tourné en dérision jeudi 25 mars les affirmations des autorités françaises selon lesquelles Paris aurait sauvé des vies pendant le génocide de 1994.
« Oui, ils (les Français) ont sauvé des gens, mais ils ont sauvé ceux qui tuaient et pas ceux qui étaient en train d'être tués », a déclaré Paul Kagame lors d'une conférence de presse à Kigali, en réponse au ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin.
Ce dernier avait affirmé le 18 mars que les soldats français avaient sauvé « plusieurs centaines de milliers de vies humaines » au Rwanda en 1994.
Il faisait référence à la mission militaro-humanitaire, déployée dans l'ouest du Rwanda à l'été 1994 par la France, sous mandat des Nations unies. Les autorités rwandaises actuelles ont toujours accusé cette mission, appelée opération Turquoise, d'avoir organisé la fuite des responsables du génocide vers le Zaïre voisin (actuelle République démocratique du Congo).
« On ne peut pas continuer à prétendre de ne pas connaître les faits liés à l'implication des Français ici au Rwanda avant, pendant et après le génocide. Il s'agit de faits », a martelé le président rwandais.
Commission d'enquête
Il a par ailleurs annoncé qu'il « envisageait de créer une commission d'enquête sur les responsabilités des différents acteurs dans le génocide », précisant qu'il s'agirait essentiellement des acteurs « étrangers ».
« Cela devrait permettre de faire la lumière sur ce dossier », a souligné Paul Kagame au sujet de ses accusations à l'encontre de la France.
Il a estimé que cette commission pourrait voir le jour « dans un futur proche », mais il n'en a décrit ni la composition, ni les modalités d'enquête, ni le mandat exact.
Le 16 mars, dans un entretien accordé à Radio France Internationale (RFI), Paul Kagame avait déjà accusé les Français d'avoir participé « directement » au génocide de 1994 en fournissant « des armes » et « donnant des ordres aux génocidaires ».
Jeudi, il a étayé ses accusations, affirmant que les soldats français avaient « entraîné des milices, commandé l'armée (rwandaise) pendant les combats » qui l'opposaient depuis octobre 1990 au Front patriotique rwandais (FPR), l'ex-rébellion tutsie de Paul Kagame.
En citant le lieutenant-colonel français Gilles Chollet, qui conseillait le chef d'état-major des Forces armées rwandaises avant le génocide, Paul Kagame a accusé les Français d'avoir également donné « des directives et des instructions » aux soldats rwandais.
La France devrait s'excuser
« Ils (les Français) étaient ici pour diriger ces gens qui tuaient des civils innocents », a expliqué le président.
Selon lui, la France devrait demander pardon, comme l'ont déjà fait la Belgique, les Etats-Unis et l'Onu, au moment où le Rwanda s'apprête à commémorer le 10ème anniversaire du génocide, le 7 avril prochain.
« Se montrer récalcitrant (à demander pardon) alors que vous êtes encore plus responsables que ceux qui demandent pardon, c'est négatif », a-t-il dit.
Depuis quelques semaines, le ton est considérablement monté entre Paris et Kigali. Cette tension est en grande partie due à la publication, dans le quotidien français Le Monde du 10 mars, du contenu d'un rapport de police effectué dans le cadre d'une enquête du juge français Jean-Louis Bruguière, désignant Paul Kagame comme le principal « décisionnaire » de l'attentat qui a coûté la vie, le 6 avril 1994, à l'ancien président rwandais Juvénal Habyarimana.
Cet attentat est considéré comme le déclencheur du génocide.
« La crédibilité de ce juge est très gravement mise en doute », a lancé jeudi le président rwandais.
« Tout cela est ordurier (...) et les gens qui se cachent derrière ces foutaises ne font que fuir leurs propres responsabilités », a-t-il ajouté, en faisant allusion aux autorités françaises.
D'avril à juillet 1994, le génocide planifié par le régime extrémiste hutu de l'époque a fait près d'un million de morts parmi la minorité tusie et les Hutus modérés, selon les autorités rwandaises actuelles.
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