La Croix : Les Pères blancs et les Sœurs blanches fêtent les 150 ans de leur fondation à Alger par le cardinal Charles Lavigerie pour évangéliser l’Afrique. Qu’est-ce qui vous touche dans son œuvre et dans sa manière d’envisager la mission ?
Père Anselme Tarpaga : Je suis convaincu que le cardinal Lavigerie reste d’actualité et pas seulement parce qu’il est le fondateur de la société des missionnaires d’Afrique à laquelle j’appartiens. Évidemment, son langage et certaines terminologies utilisées dans ses instructions sont de son temps, comme lui-même était de son temps.
Mais son message et son action apostolique font écho dans l’Église en général, et en particulier dans l’Église d’Afrique, et auprès de toute personne soucieuse d’un monde où l’Homme est placé au centre des préoccupations humaines.
En Algérie, une Église ouverte à tous
Les Africains sont de plus en plus nombreux parmi les Pères blancs et c’est d’ailleurs un Zambien, le P. Stanley Lubungo, qui est à la tête de la congrégation. Quel regard portez-vous sur le rapport du cardinal Lavigerie à l’Afrique et aux Africains, comme Africain vous-même ?
Père Anselme Tarpaga : Lavigerie était un amoureux passionné de l’Afrique. Il disait souvent « j’ai tout aimé dans notre Afrique… », et comme un refrain il rappelait cela sans cesse à ses missionnaires : « Aimez-les (les Africains) comme une mère aime son fils. » Et il n’a pas fait que le dire ! Lui-même a arraché de l’administration française le droit d’assister les orphelins de la famine en Kabylie, alors qu’elle avait refusé tout accès à eux.
Plus tard, et malgré les contraintes liées à l’époque aux déplacements, il a parcouru les grandes capitales européennes pour les inviter à agir contre l’esclavage des noirs qui persistait encore dans les colonies malgré son abolition en Europe.
À mon avis, ces combats doivent rester ceux de l’Église en Afrique aujourd’hui. L’Église doit aider les Africains à aimer leur continent, et elle doit s’engager, avec d’autres, pour que cesse vraiment toute nouvelle forme d’esclavage. Et en tant que Père blanc africain, je me sens vraiment appelé à être en première ligne pour aimer et faire aimer ce continent et libérer tous ses enfants : il n’y a rien de plus chrétien que l’Homme débout et libre !
Les Pères Blancs ont élu le P. Stanley Lubungo supérieur général
C’est lors de l’assassinat de quatre Pères blancs à Tizi Ouzou en 1994 que vous avez entendu parler pour la première fois de l’Église d’Algérie et c’est dans ce pays que vous avez fait votre premier stage en 2002 et que vous avez été envoyé ces dernières années. La manière qu’avait le cardinal Lavigerie d’envisager la mission est-elle pertinente dans un contexte très majoritairement musulman ?
Père Anselme Tarpaga : Vivant sur une terre à majorité musulmane, en contact quotidien avec les musulmans, je m’appuie beaucoup sur son respect pour la conscience de l’autre. Archevêque d’Alger pendant la colonisation française, Lavigerie a voulu une société apostolique missionnaire avec un désir de ressusciter l’Église ancienne d’Afrique. À ses yeux, il n’y avait rien de mieux à donner à l’Afrique que la foi chrétienne.
Mais il disait aussi aux missionnaires : « À aucun degré, je ne veux ni de la force, ni de la contrainte, ni de la séduction, pour amener les âmes à une foi dont la condition première est d’être libre. » Faire le bien à tous, sans condition, était ce qu’il demandait à ses missionnaires, qui se sont d’ailleurs énormément impliqués dans l’éducation et les œuvres sociales.
Son admiration pour tout ce qui est vrai et beau chez les autres croyants m’inspire au quotidien. Je pense notamment à sa rencontre avec l’Émir Abd el Kader, qu’il est allé rencontrer à Damas pour le remercier pour son hospitalité et sa protection à l’égard des chrétiens persécutés en Syrie et à ces mots qu’il a écrits juste après : « Je l’écoutais, avec admiration et avec bonheur parler, lui, musulman sincère, un langage que le christianisme n’eût pas désavoué. »
Recueillis par Anne-Bénédicte Hoffner