Sous titre
Qu’est-ce qu’une approche extrêmement locale peut apporter à la compréhension des crimes de masse et des génocides ? En quoi l'approche micro-historienne se différencie-t-elle de la pratique de la monographie traditionnelle, ou de la notion d'histoire totale développée par Ernest Labrousse ? Avec Pierre Benetti (critique à En attendant Nadeau), Nicolas Werth (directeur de recherche émérite au CNRS et président de la branche française de Memorial International), Isabelle Backouche [directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS)].
Citation
Emmanuel Laurentin s'entretient avec les historiens Isabelle Backouche, Pierre Benetti, Nicolas Werth des atouts de la micro-histoire dans un contexte de crime de masse.
Isabelle Backouche : L’approche micro-historienne nous permet de comprendre des milliers de complicités – ou de résistance – non volontaires qui se jouent à plusieurs niveaux. Elle a une vertu heuristique sur le regard que l’on porte en tant qu’historien. Parce que face à des processus aussi extraordinaires que les processus génocidaires, on est nous-mêmes écrasés par ce qui est arrivé. Il faut décrasser le regard.
Nicolas Werth : Dès ses origines, une des idées centrales de la micro-histoire est de s’intéresser aux anonymes, aux petites gens, c’est-à-dire de déplacer le regard des élites, des grands personnages. Il y a une vision politique et en même temps le refus de faire de l’histoire sociale au sens traditionnel de l’histoire des masses : donc un double décentrage. Cela consiste aussi à essayer de saisir un autre moment que celui d’où nous réfléchissons trente ou cinquante ans après. Mais qu’est-ce qu’il se passait sur le moment ? Comment les gens ressentaient les choses ?
Pierre Benetti : En effet, pour ce qui concerne l’exemple du Rwanda, ce qui apparaît dans la quinzaine d’entretiens que j’ai pu mener à Kinazi, c’est qu’en 1994, on ne parle pas encore de génocide. Ce sont des meurtres entre voisins, ce sont des gens qui se retournent contre leurs propres voisins.