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De notre envoyé spécial au Rwanda.
LES récits de massacres peuvent être d'une effroyable monotonie. L'horreur a un seul visage, partout le même. Au point d'amener les témoignages des survivants à paraître interchangeables. Byumba, au Nord-Est, Kibungo ou Rwamagana dans le Centre, Butare dans le Sud, où les milices gouvernementales continent de tuer au moment où ces lignes sont écrites... Les pogroms se sont déroulés selon un schéma identique, ce caractère répétitif confirmant et illustrant leur préméditation. Pourtant, chaque témoignage garde intacte sa force individuelle d'épouvante, tant il est impossible de s'habituer à l'inhumain.
J'ai rencontre l'abbé Jean-Léonard Nkurunziza, à l'hôpital de Gahini, non loin de Kibungo, où sont rassemblés les blessés rescapés des massacres des communes avoisinantes. Lui-même était curé de Zaza, municipalité située à une soixantaine de kilomètres plus à l'ouest. Une région elle aussi ravagée par les milices relayées par les forces armées rwandaises.
« Depuis au moins quatre mois, les groupes de miliciens MRND et CDR recevaient des entraînements militaires, raconte l'abbé Nkuruniziza. Le principal de ces groupes était localisé dans la commune voisine de Sake: environ 400 miliciens, organisés par le député MRND Sylvain Mutaruka. On les voyait se promener avec des grenades à la ceinture, ouvertement. Nous nous attendions au massacre, un jour ou l'autre. »
« Ils avaient élaboré des listes de gens à exécuter. Tous ceux qui n'acceptaient pas le système fondé sur une discrimination à la fois ethnique et régionale étaient catalogués opposants. Des tracts avaient été lancés, assurant que l'opposition se préparait pour liquider la population hutue. »
« Le massacre a commencé par Sake. Le député et le bourgmestre y avaient concentré les miliciens de la commune et ceux de trois secteurs voisins de notre paroisse (les « secteurs » sont une subdivision administrative de la commune rwandaise - NDLR). Dès le 7 avril, juste après la mort du président Habyarimana. Durant la nuit précédente, Radio Mille Collines avait diffusé un véritable appel au meurtre collectif. Un autre député, Jean Bosco Jyamubandi, a participé à l'organisation des massacres. Samedi 8 avril, les rescapés de Sake ne cessaient d'arriver à notre paroisse. »
« Vers 16 heures, ils étaient sans doute plus de mille autour de l'église. Tout autour, des miliciens, qui étaient venus de Sake, nous jetaient des pierres. Ils sont entrés en force le dimanche après-midi. Il y a eu au moins 600 morts à ce moment-là. Les survivants s'enfuient et se réfugient dans l'établissement du petit séminaire. Ils sont rejoints par d'autres, venant des communes avoisinantes. Lundi, nous devions être 800 personnes au petit séminaire. Le massacre y a repris le mardi, à partir de midi. Nous sommes six à nous en être échappés: quatre prêtres et deux garçons. »
« Certains miliciens disaient: ``Non, pas les prêtres.'' Nous sommes restés étendus sur le sol jusqu'à 7 heures du soir. Des gendarmes arrivent et lancent: ``On va vous évacuer.'' Pendant ce temps, tout le monde a été tué. Les enfants compris. »
L'abbé Nkuruniziza fuit jusqu'à Rukara, commune voisine de Gahini. Il y arrive au moment même où le massacre se déchaîne là aussi. « Ils jetaient des grenades pour ``intimider''. J'ai vu des militaires fouiller les maisons et menacer: ``On va vous tuer.'' Ils faisaient du chantage également: ``Donne de l'argent, sinon...'' Moi, j'ai dû donner ma montre. La fin de cette tuerie n'est survenue que lorsque le FPR est arrivé et nous a libérés. »
Le curé de Zaza revient en arrière. Aux heures interminables passées couché au sol, dans l'incertitude de son sort personnel. « Il y avait des personnes qui venaient pour vérifier après coup. Elles demandaient si, parmi les cadavres, figurait bien untel ou untel. C'était ces personnes qui étaient chargées de contrôler que les listes des gens à assassiner avaient bien été suivies. »