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Le 29 janvier 2017, le Journal officiel français a fait savoir que l’article 24 bis de la loi sur la liberté de la presse, relatif à la contestation d’un crime contre l’Humanité, était amendé. Depuis, nier ou minorer le génocide rwandais est désormais puni par la loi en France d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Derrière ce changement, il y a ? entre autres ? Richard Gisagara, lui-même d’origine rwandaise. Tout a commencé en décembre 2013, à la suite de la diffusion d’un sketch sur le génocide rwandais par Canal +…
Jeune Afrique : Comment a commencé l’affaire qui s’est conclue par l’adoption d’un amendement pénalisant la contestation des crimes contre l’humanité ?
Richard Gisagara : Le 20 décembre 2013, Canal+ diffuse un sketch très choquant qui tourne en dérision le génocide des Tutsis. Très vite, Annick Kayitesi-Jozan, rescapée du génocide résidant en France et auteure d’un livre, ainsi que l’association Communauté rwandaise de France portent plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction de Paris pour injure publique envers un groupe de personnes et délit d’apologie de crimes contre l’Humanité après qu’une plainte simple déposée devant le Parquet a été classée sans suite. C’était l’action qu’il fallait engager afin qu’un tribunal soit saisi. Mais en septembre 2014, cette plainte est aussi jugée irrecevable. La raison invoquée est que l’apologie du génocide commis contre les Tutsis n’est pas punissable en France et d’autre part, que la loi n’autorise que les associations qui défendent les intérêts et la mémoire des victimes de la Shoah et des résistants de la Seconde Guerre mondiale à engager une telle action.
C’est là que vous demandez un changement de la loi ?
En effet, nous avons continué la procédure en déposant une question prioritaire de constitutionnalité. Pour résumer, la question qui était posée était de savoir si le fait de ne pas reconnaître la souffrance des Français d’origine rwandaise ne revenait pas à porter atteinte au principe d’égalité devant la loi. Toujours est-il que la cour d’appel, puis la Cour de cassation et enfin le Conseil constitutionnel, ont accueilli favorablement nos arguments. Le Conseil constitutionnel a ainsi ordonné à l’État en octobre 2015 de modifier la loi. Il restait encore du chemin à faire bien sûr, mais c’était juste une question de temps. L’amendement a été voté par l’Assemblée nationale en juillet 2016 puis la copie a fait la navette au Sénat qui a votée en octobre 2016. En janvier dernier, la loi a été définitivement modifiée.
Vous avez mené cette bataille de front avec la société civile arménienne en France…
L’action judiciaire, nous l’avons menée seuls. Mais en effet, lors de différents événements et rassemblements, la communauté rwandaise se retrouve aux côtés de Français d’origine arménienne et d’associations juives luttant contre la négation de la Shoah.
Mais je crois que la question de la négation du génocide arménien n’est pas entièrement close. En effet, la loi punit dorénavant la négation des génocides dès lors qu’ils auront été reconnus par une juridiction, autrement dit lorsque la justice française ou une juridiction internationale aura puni les crimes en question. Dans le cas du génocide arménien, il est reconnu par la France, mais sur le plan judiciaire, personne n’a encore été condamné dans le pays pour participation à ce génocide. La différence sera subtile mais elle existe toujours.
Qu’en est-il de l’affaire concernant Canal + ?
Le dossier est toujours en cours. Il y a eu une audience, le 5 mai 2017 et nous aurons la décision le 16 juin. L’affaire est un peu compliquée : à l’époque des faits, la loi n’existait pas. Il ne s’agit pas de s’acharner et je dois dire que le progrès dans la loi est déjà pour nous une victoire réelle et pas seulement symbolique. Toujours est-il que nous continuons sur cette affaire, car elle est, en l’espèce, une première.
Une « victoire réelle ». Mais la négation du génocide rwandais n’est pourtant pas si courante en France ?
C’est vrai, la négation du génocide des Tutsis n’est pas un fait massif en France. Mais il y a bien des personnes qui tiennent des propos inacceptables et qui ont une certaine influence. Des militaires à la retraite, certains hommes politiques, des journalistes connus, des hommes influents dans la diaspora rwandaise en Europe… Cette loi va changer des choses, j’en suis certain. Je pense qu’une personne comme Pierre Péan (auteur d’un livre polémique, Noires fureurs,
blancs menteurs : Rwanda, 1990-1994, NDLR) fera plus attention à ses propos dorénavant…
Comprenez-vous ceux qui craignent que ce genre de loi n’aboutisse à des formes dommageables de censure ?
Je pense très honnêtement que cette loi – qui punit dorénavant « ceux qui auront nié, minoré ou banalisé de façon outrancière » le génocide – ne concernera que des personnes qui nourrissent de mauvaises intentions. Et soyons clairs : en France, la loi punit depuis longtemps la négation de la Shoah et la recherche historique sur la Shoah est loin d’être empêchée dans ce pays ! Il est donc faux de prétendre que la nouvelle loi empêchera la recherche historique sur le génocide des Tutsis.
En février dernier, Pierre Charon, un élu des Républicains a comparé des hommes politiques français aux Hutus et aux Tutsis. De quoi intenter un procès ?
Voilà un bon exemple. Face à un cas pareil, je n’empêcherais personne de porter plainte, mais en tant qu’avocat, je pense que nous avons là affaire à de la bêtise. Il n’y a pas de volonté de nuire, du moins je n’en ai pas l’impression. Nous avons aussi intérêt à ne pas banaliser les poursuites, justement.
Pensez-vous que cette loi puisse inspirer les législateurs congolais, britanniques ou belges, qui peuvent être confrontés à des propos négationnistes ?
Concernant le Congo, le contexte est radicalement différent. En Grande-Bretagne aussi, je pense que la loi est très différente, de même que l’esprit qui l’anime. En revanche, je me suis moi-même rendu il y a peu en Belgique. J’ai donné une conférence au Sénat. Et les sociétés civiles françaises et belges sont très proches. Dans ce cas, il est possible qu’une influence s’exerce.