Citation
Procès en appel de Pascal SIMBIKANGWA: communiqué de presse.
14/10/2016
Le 14 mars 2014, les jurés de la Cour d’assises de Paris condamnaient monsieur Pascal SIMBIKANGWA à 25 ans de prison pour “génocide et complicité de crimes contre l’humanité“. Son procès en appel se déroulera du 25 octobre au 9 décembre à la Cour d’assises de Bobigny.
Monsieur Pascal SIMBIKANGWA, qui a nié tous les faits qui lui étaient reprochés, a fait appel de sa condamnation? Occasion nous sera donnée de rappeler qu’en 1994, au Rwanda, plus d’un million de personnes ont été exterminées parce qu’elles étaient Tutsi. Cette première condamnation a été plus récemment suivie de celle de messieurs NGENZI et BARAHIRA. Ces deux anciens bourgmestres de Kabarondo ont écopé, le 6 juillet dernier, de la réclusion criminelle à perpétuité . Ils ont aussi fait appel.
Ces deux décisions judiciaires n’ont pas eu le retentissement qu’elles auraient dû avoir: le silence d’un grand nombre de médias a été assourdissant. Ce “génocide sans importance” n’intéresserait pas nos concitoyens? C’est ce qu’aurait laissé entendre le directeur de l’information d’une radio nationale. Il faut dire que, de leur côté, les autorités politiques françaises d’hier et d’aujourd’hui ne veulent toujours pas reconnaître le rôle que le gouvernement de cohabitation de l’époque a joué dans ce drame qui a emporté hommes, femmes, enfants, vieillards, bébés, tous innocents. Des nazis auraient été jugés et condamnés, aurions-nous assisté à la même indifférence?
Aux assises de Bobigny, monsieur Pascal SIMBIKANGWA aura de nouveau à rendre des comptes à la justice. Pourra-t-il continuer à nier toute responsabilité personnelle dans l’extermination de milliers d’innocents? L’avenir nous le dira. Souhaitons toutefois que les débats ne restent pas confinés dans une salle de Cour d’assises. Nos concitoyens, mais aussi les citoyens du monde entier, doivent savoir qu’un génocide a été perpétré au Rwanda en 1994. Ils doivent savoir aussi que certains responsables de ces crimes contre l’humanité ont trouvé refuge en France où ils doivent être jugés.
Le CPCR s’engage à publier très régulièrement sur son site les comptes-rendus d’audience. Mais ce travail ne peut remplacer celui de la presse qui a aussi le devoir d’informer.
www.collectifpartiescivilesrwanda.fr
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Contact: 06 40 57 09 44
Collectifrwanda@aol.com
Qui est Pascal SIMBIKANGWA ?
21/10/2016
Des identités multiples
Pascal SIMBIKANGWA est né en 1959 à Rambura, dans le Nord du Rwanda, d’une famille de cultivateurs relativement aisés. Son père est Hutu, sa mère Tutsi, mais du fait de la patrilinéarité instaurée par les belges à partir de 1932, lui-même est Hutu.
Pascal SIMBIKANGWA dit être né sous l’identité de Pascal SAFARI SEYANIUKARA.
Il dit avoir, à 15 ans, changé son nom pour faciliter son entrée au Lycée et se serait dès lors fait connaître sous le patronyme de Pascal SIMBIKANGWA.
Des informations démenties par son père, selon lequel son fils aurait été nommé Pascal SIMBIKANGWA dès la naissance.
En 1992, devenu particulièrement méfiant après une tentative d’attentat dont il réchappe de peu, il aurait à nouveau changé d’identité et repris son nom de naissance, SAFARI, auquel il aurait adjoint celui de son grand père, SEDINAWARA.
Enfin, lors de son entrée à Mayotte, il se présente aux services de l’OPFRA sous une quatrième identité : Safari SENYAMUHARA.
Des liens « du sang et du sol » avec le président HABYARIMANA et son entourage
Le père de Pascal SIMBIKANGWA était issu du même village et du même clan que Juvénal HABYARIMANA.
Leurs grands pères étaient frères, ce qui fait de Pascal SIMBIKANGWA, selon ses propres dires, un cousin de l’ancien président, auquel il a toujours voué une loyauté et une affection sans bornes.
Pascal SIMBIKANGWA est également le beau-frère d’Elie SAGATWA, chef d’Etat major particulier du président HABYARIMANA, lequel était le cousin d‘Agathe HABYARIMANA et membre du « noyau dur » de son réseau d’influence, l’Akazu.
Une carrière militaire prometteuse, brisée à 29 ans
À l’âge de 18 ans, Pascal SIMBIKANGWA intègre l’ESM (Ecole Supérieure Militaire). Il en sort 4 ans plus tard, avec le grade de sous-lieutenant. Il poursuit ses études pendant deux années supplémentaires, à la gendarmerie de Kigali.
Durant cette période, il aurait réalisé plusieurs stages dans des prisons étrangères.
En 1983, il intègre la garde présidentielle et devient instructeur commando. Son travail consiste à assurer l’entraînement des militaires et la protection du président Juvénal HABYARIMANA au sein de l’escorte présidentielle.
Sportif accompli, un accident de la route, le 27 juillet 1986, le rend paraplégique et met un terme à son ascension professionnelle.
De l’armée au civil : de la garde présidentielle au Service Central de Renseignement (SCR)
Après un séjour d’un an à l’hôpital, en Belgique, où il se découvre un goût pour l’écriture, il est affecté au service des renseignements militaires de l’État-Major de l’armée.
En 1988, il bascule dans le civil, en tant que directeur du Service Central de Renseignement (SCR), qui était à l’époque attaché directement à la Présidence du Rwanda.
En avril 1992, à la suite de l’instauration d’un gouvernement multipartite, le renseignement intérieur est transféré à la Primature (services du Premier ministre) : Pascal SIMBIKANGWA quitte le giron du Palais présidentiel pour travailler sous les ordres d’Augustin IYAMUREMYE, membre du PSD (parti d’opposition au régime).
Pascal SIMBIKANGWA, dit « Le tortionnaire »
De 1988 à 1992, Pascal SIMBIKANGWA s’illustre par le surnom qui lui est donné par les opposants politiques et particulièrement les journalistes qui ont eu affaire à lui.
« Le tortionnaire » semble avoir une prédilection pour les sévices appliqués sur les membres inférieurs, et certains témoins relatent son ardeur à frapper leurs plantes de pieds, jusqu’à les empêcher de marcher.
Le changement de direction à la tête de son service, passé à l’opposition du fait du multipartisme, permet de faire cesser la torture.
Celle-ci aurait aussi pris fin, selon l’ambassadeur français MARLAUD, grâce à l’intervention des français : informés des actes perpétrés par le colonel Pascal SIMBIKANGWA, ces derniers auraient demandé qu’il soit écarté du Centre de recherche criminelle et de documentation (CRCD).
Pascal SIMBIKANGWA, auteur, éditeur et journaliste
Pascal SIMBIKANGWA devient progressivement un idéologue, une « éminence grise » selon certains témoins, gagnant cette nouvelle dimension avec la publication, en 1989, de son premier ouvrage « L’homme et sa croix », son autobiographie, puis en 1991, de « La guerre d’octobre » sur la guerre avec le Front Patriotique Rwandais (FPR) de 1990.
Sa position privilégiée au cœur de la surveillance des médias aurait dépassé le seul travail de censure.
Il aurait participé à la création de UMURAVA Magazine, apporté un soutien financier au journal KANGURA et rejoint la rédaction du journal INTERA, qui a publié, en décembre 1990, quasi-simultanément avec KANGURA, les « dix commandements du Hutu ».
Pascal SIMBIKANGWA se serait surtout illustré par la création du journal « L’indomptable IKINANI », dont les propos étaient si violents, notamment à l’encontre de la ministre de l’enseignement de l’époque, que le premier numéro fut mis au pilon peu après son impression.
Enfin, Pascal SIMBIKANGWA faisait également partie des 50 premiers actionnaires-fondateurs de la radio-télévision des Mille Collines ( RTLM), la « radio du génocide ».
D’après un article initialement publié sur “Procès Génocide Rwanda”, un site conçu et réalisé par Stéphanie Monsénégo (SCM Conseil) et Sophie Chaudoit pour le procès de Pascal Simbikangwa en 2014.
Pascal SIMBIKANGWA :
Procès en appel à Bobigny
21/10/2016
[…]
Arrêté à Mayotte pour trafic de faux papiers alors qu’il était déjà recherché par Interpol pour génocide, cet ancien capitaine de l’armée rwandaise, membre des services de renseignements du régime de Juvénal Habyarimana était un proche du défunt président, surnommé “le tortionnaire” par les opposants au régime qui allait conduire au génocide des Tutsi en 1994.
• Qui est Pascal SIMBIKANGWA ?
• Tous les comptes rendus du procès en appel, jour par jour
La cour d’assises était présidée par M. Régis DE JORNA.
Le Parquet
Le Parquet était représenté par l’avocat général, M. Rémi CROSSON du CORMIER et Ludovic HERVELIN-SERRE.
La Défense
La défense de M. SIMBIKANGWA était assurée par Me Fabrice EPSTEIN et Me Alexandra BOURGEOT.
Les parties civiles
• Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (C.P.C.R),
ayant pour avocats Me Simon FOREMAN et Domitille PHILIPPART.
• Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (F.I.D.H),
ayant pour avocat Me Léa RABAUX.
• SURVIE, ayant pour avocats Me Jean SIMON et Me Safya AKORRI
• Ligue Internationale contre le Racisme et l’Antisémitisme (LICRA),
ayant pour avocats Me Rachel LINDON.
Procès en appel de SIMBIKANGWA: mardi 25 octobre 2016. J1
25/10/2016
Le procès en appel de Pascal SIMBIKANGWA s’est ouvert ce matin aux assises de Bobigny. Les médias ont dû se donner le mot: personne au rendez-vous, ou presque. Il est vrai que “le génocide des Tutsi au Rwanda n’intéresse personne“.
La matinée a commencé par un bref interrogatoire concernant l’identité de l’accusé. Puis le Président, monsieur Régis De JORNA, a procédé au tirage au sort des 9 jurés titulaires et des 5 jurés suppléants qui ont ensuite prêté serment. La matinée se terminera par l’évocation des associations parties civiles: le CPCR, la FIDH, la LDH, SURVIE et la LICRA.
Une bonne partie de l’après-midi va être consacrée à la lecture quelque peu fastidieuse de “l’ordonnance de mise en accusation des juges d’instruction” (OMA): occasion d’évoquer le contexte historique et les faits reprochés à monsieur SIMBIKANGWA ainsi que de rappeler toute la procédure. Le président souhaitait ensuite ne lire que deux pages de la “feuille de motivation” rendue publique lors du procès de première instance. Mais monsieur SIMBIKANGWA a demandé que la lecture intégrale soit faite. Probablement une erreur de sa part car cette lecture a mis en lumière les raisons pour lesquelles il a été condamné à 25 ans de prison par la Cour d’assises de Paris: beaucoup plus parlant pour les jurés que l’OMA qui les avait probablement un peu perdus avec l’abondance des détails.
Alors que la journée tirait à sa fin, il a fallu entendre les avocats de la défense, Maîtres BOURGEOT et EPSTEIN, présenter le commentaire de leurs “Conclusions aux fins de nullité” transmises tardivement hier soir aux parties: dénonciation de la convocation, ce matin-même, du “frère” de SIMBIKANGWA, Bonaventure MUTANGANA, à la Cour d’appel de Versailles (pas une simple coïncidence pour la défense); dénonciation du CPCR qui aurait “beaucoup de contacts au Rwanda“; dénonciation des conditions dans lesquelles leur client a été arrêté et détenu à Mayotte; dénonciation de “l’inégalité des armes“, en comparaison avec les parties civiles, le Parquet… propos quelque peu “pleurnichards”: “Être là tous les jours, c’est très compliqué. Nous avons des cabinets. Si on était rémunérés un peu plus… Nous n’aurions pas été trop à trois.”
Et de comparer la situation de la justice avec celles d’autres instances (Canada, TPIR, en oubliant de reconnaître que ce sont des systèmes totalement différents), de réclamer, comme au procès en première instance, un “transport sur les lieux” qu’ils savent pertinemment impossible, de souligner le “manque de moyens criants face aux parties civiles“, de regretter les problèmes rencontrés pour avoir accès au dossier… et de ramener leur rengaine si souvent entendue: “ Quand vous témoignez au Rwanda en faveur d’une personne soupçonnée d’avoir participé au génocide, vous êtes en danger…”
Pour la défense, ce procès est “impossible” à tenir. Maître EPSTEIN, évoquant l’existence du pôle spécialisé (avec des juges spécialisés), réclame une “défense spécialisée“. Et de terminer son intervention en réclamant à son tour un transport sur les lieux avec la possibilité d’entendre d’autres témoins: “Aller au Rwanda est absolument essentiel“.
Maître Domitille PHILIPPART, avocate du CPCR aux côtés de Simon FOREMAN, n’aura pas de mal à démonter point par point les arguments de la défense qui “veut décrédibiliser ce procès“. Les jurés ne sont en rien concernés par cette demande de nullité: seule la Cour peut délibérer. Ce n’est donc ni le lieu, ni le moment. La plupart des griefs concernent l’instruction: “C’est trop tard. Il fallait demander la nullité avant la clôture de l’instruction.” La défense n’a pas déposé de recours en temps voulu? “La défense n’avait qu’à passer la main à d’autres avocats si elle ne croyait pas au recours.” Et d’ajouter que “tout est purgé par l’ordonnance de mise en accusation“. Ni les conditions de détention dans les prisons françaises, ni l’indigence de l’aide juridictionnelle ne sont des motifs de nullité. Maître PHILIPPART constate que les attaques portées par la défense contre le CPCR sont “injustes“. Quant à la peur qui serait liée à la pression à l’égard des témoins, elle est plutôt dans le camp des témoins à charge. Et de conclure: “Le CPCR souhaite un procès le plus équitable possible.”
Au tour du conseil de la FIDH de dénoncer la demande de la défense. De citer l’arrêt de la Cour de cassation qui déboute le pourvoi contre le refus de déplacement sur les lieux et de dénoncer le fait que la défense ait remis des conclusions de 40 pages avec 70 pièces la veille du procès, tard dans la soirée.
Maître Safya AKORRI, pour SURVIE, fait savoir qu’elle n’a pas reçu le texte des conclusions et que ce n’est pas le lieu de réclamer la création d’un “pôle de défense spécialisé“.
L’avocat général, monsieur Rémi CROSSON du CORMIER, va s’adresser aux jurés en précisant que ce débat ne les concerne pas. C’est le Président et ses deux assesseurs qui auront à prendre un décision. Il réfute les déclarations de la défense qui a laissé entendre qu’il y aurait eu un “complot” avec l’arrestation de Bonaventure MUTANGANA, cousin de SIMBIKANGWA, le jour de l’ouverture du procès: il n’était pas au courant. “L’accusation aurait énormément de moyens“? Il l’apprend. Comparer la situation française avec celle du Canada? “Le système est très différent”. Idem concernant les moyens dont disposent les avocats. L’avocat général préfère évoquer la notion de “compétence universelle” qui justifie la tenue de ce procès en France: “Nous défendons des valeurs communes, universelles.” C’est pour cela qu’un procès est possible en France. Une défense spécialisée? “Ce serait une défense fonctionnarisée!”
L’avocat général reconnaît que toutes les questions abordées par la défense ont déjà été évoquées en première instance, et réglée. Et d’ajouter, en direction de la Cour: ” “On vous demande des choses qui ne sont pas réalisables. On ne peut pas faire un transport de Cour d’assises dans un pays étranger”. Demander des actes supplémentaires? “Pourquoi la veille du procès? La défense avait plus de deux ans pour le faire.”
Pour conclure, toujours à la Cour: “Vous refuserez la demande de remise en liberté de monsieur SIMBIKANGWA, et toutes les autres demandes qui ont été rejetées en première instance.”
L’audience est suspendue à 19h25.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
Procès en appel de SIMBIKANGWA. Mercredi 26 octobre 2016. J2
27/10/2016
• Arrêt de la Cour sur la demande de nullité.
• Interrogatoire sur le CV de SIMBIKANGWA.
• Audition de Julie LANDRY, enquêtrice de personnalité.
• Reprise de l’interrogatoire de personnalité.
• Audition de Bonaventure MUTANGANA, “frère” de SIMBIKANGWA.
Arrêt de la Cour sur la demande de nullité.
La journée commence par la lecture de l’arrêt de la Cour sur la demande de nullité déposée la veille par la défense. La Cour rejette toutes les demandes: de nullité de l’OMA, de nullité des débats et d’un procès équitable, du transport sur les lieux et le complément d’information. Enfin, rejet de la demande de remise en liberté de monsieur SIMBIKANGWA car il n’y a pas de garantie de représentation.
Interrogatoire sur le CV de SIMBIKANGWA.
Tout le reste de la journée va être consacré à l’interrogatoire sur le CV de l’accusé. Membre d’une fratrie de 7 enfants, monsieur SIMBIKANGWA va être amené à s’expliquer sur ses nombreux changements d’identité: au collège il a choisi de s’appeler SIMBIKANGWA pour avoir plus de chance d’être inscrit (nom qui fait moins Hutu du Nord que SENYAMUHARA. En fait, son père déclare l’avoir dénommé SIMBIKANGWA à sa naissance!) S’il a menti sur son identité devant les policiers, c’est parce qu’il voulait protéger les gens de sa famille. Autant d’explications difficiles à comprendre, même si pour lui il n’y a rien d’extraordinaire: VOLTAIRE avait bien changé de nom aussi! . D’ailleurs, l’accusé a du mal à s’en tenir à son CV: à plusieurs reprises, il reviendra sur le fait que son “dossier a été fabriqué de toutes pièces” qu’il “est vide“. S’il est en prison, “c’est de la vengeance“. Il lui sera rappelé de revenir à son CV.
Issu d’une famille mixte, maman Tutsi et papa Hutu, il reconnaît qu’il est apparenté au président HABYARIMANA, leurs arrière-grands-parents étant communs. Il a plus d’affinité avec sa mère, son père étant assez volage et parfois violent envers sa femme.
Élève brillant, il finira, après deux ans d’université, par choisir la carrière militaire, ébloui par la tenue des soldats un dimanche à la messe. Monsieur SIMBIKANGWA ne manquera pas de signaler qu’il éprouvait une certaine fascination pour son président, “un président exemplaire en Afrique“.
Le tournant de sa vie se passe un jour de juillet 1986: il est victime d’un accident de la route qui le laissera paraplégique: “le temps zéro de mon existence” avouera-t-il plus tard. Malgré des soins prodigués en Belgique (privilège dont il aurait bénéficié par sa proximité avec HABYARIMANA?), il rentre en fauteuil roulant. Lui qui était un grand sportif, récompensé par de nombreuses coupes, voilà qu’il est condamné à l’immobilité. Sa jeune épouse accouche l’année suivante mais finira par le quitter au bout de quelques années. Il obtient la garde de sa fille, Marie-Merci (même prénom qu’une fille du président!) qu’il décidera d’envoyer aux Etats-Unis où elle réside. Il n’a jamais souhaité qu’elle soit entendue, par souci de sa sécurité! Il est amené assez vite à quitter l’armée et sera versé au Service de Renseignements (recueil et recoupement des informations, contrôle de la presse…) Il continuera toutefois à être appelé “capitaine”. A ceux qui s’en étonnent, il déclare: ” Ne dit-on pas encore aujourd’hui Capitaine d’Artagnan?” Il obtient le grade de directeur sans en exercer la fonction. Ce qu’il appelle “la guerre des mines” change la situation dans le pays et la mise en place du multipartisme, auquel il n’est pas favorable, le prive de toute fonction officielle à partir de 1992. Mais il continuera quelques temps à employer des informateurs à titre personnel.
L’attentat du 6 avril 1994 contre le président HABYARIMANA le laisse “abasourdi“. Rien ne sera dit sur la période du génocide, si ce n’est qu’en juillet il fuit vers le Zaïre avec l’aide de son “frère” Bonaventure MUTANGANA. Il se rendra plus tard au Kenya avec sa fille et un neveu, mais sera incapable de dire ce qu’il a fait dans ce pays. Ne se sentant plus en sécurité (assassinat de deux membres du FPR, Messieurs LIZINDE et SENDASHONGA), il choisira l’exil vers les Comores, pour arriver à Mayotte: il est enfin en France! C’est là qu’il sera appréhendé pour trafic de faux papiers et condamné à deux reprises à des peines de prison. (NDR. C’est là aussi qu’une plainte sera déposée contre lui pour génocide).
L’audience est suspendue à 13h10.
Audition de madame Julie LANDRY, enquêtrice de personnalité.
A la reprise, nous assistons à l’audition, par visioconférence, de madame Julie LANDRY, enquêtrice de personnalité. L’enquête dont il est question date de juin 2010, si bien que le témoin aura du mal à se détacher de ses notes, malgré de nombreux rappels à l’ordre du président. L’enquêtrice a en fait recueilli beaucoup de renseignements de la bouche de Constantine, une sœur de l’accusé. Cette dernière est très élogieuse à l’égard de son frère qu’elle décrit comme “un homme au grand cœur” qui n’aura de cesse d’aider les membres de sa famille. Elle évoque à son tour l’attachement quasi filial de SIMBIKANGWA pour son président: “Je l’aimais beaucoup, peut-être trop” aurait-il avoué. Et le témoin d’ajouter: “Il l’aimait autant que sa femme“, confirmant son admiration exclusive pour le président. L’exposé du témoin n’apportera que peu d’éléments nouveaux, le Président ayant déjà évoqué lui-même un certains nombres de caractéristiques de la personnalité de l’accusé.
Questionnée par le président, madame LANDRY ne pourra pas vraiment expliquer pourquoi SIMBIKANGWA ne lui a jamais parlé de son “frère” Bonaventure MUTANGANA. Par contre, elle reviendra rapidement sur un autre événement qui aurait profondément marqué l’accusé: la mort de sa petite sœur de 6 ans, dans ses propres bras. Sa détention à Mayotte? “Quelque chose d’horrible” à cause des conditions dégradantes auxquelles il est soumis. Il en fera une dépression. Suite à son accident de 1986, l’accusé va “se surinvestir dans le domaine professionnel“. Pendant son séjour en Belgique, il va profiter de sa rééducation pour lire beaucoup: cette année va lui permettre de rebondir. Il refuse surtout qu’on ait pitié de lui.
Le président va revenir longuement sur le thème des “privilèges” dont aurait bénéficié l’accusé: il n’était qu’un officier subalterne et il est envoyé aussitôt se faire soigner en Belgique! Pour l’accusé il ne s’agit pas d’un privilège: il ne pouvait pas être soigné au Rwanda. Monsieur DE JORNA s’étonne aussi que SIMBIKANGWA ait choisi l’exil au Kenya, ce que sa famille n’a pas les moyens de faire. A la question de savoir pourquoi il ne retourne pas au Rwanda, il est répondu qu’il avait peur pour sa sécurité. Questionné sur son sentiment suite aux réactions de l’avocat général, monsieur SIMBIKANGWA exprimera une demande: “Je souhaite qu’il soit juste avec moi!“
Reprise de l’interrogatoire de personnalité.
C’est au tour de Maître Domitille PHILIPPART, avocate du CPCR, de prendre la parole. Elle revient avec insistance sur les changements d’identité de l’accusé. SIMBIKANGWA s’énerve: ” Ces gens (désignant la défense) cherchent toujours à dévier. La question est de savoir si SIMBIKANGWA a participé au génocide ou non!” ajoute l’accusé qui fait semblant d’oublier qu’il ne s’agit ici que de sa personnalité et non des faits qui lui sont reprochés. L’avocate insiste: pourquoi avoir encore changé de nom après l’épisode de la mine placée sous sa voiture en 1993? “Je n’ai changé que sur mon passeport, pas à l’état civil! C’était pour ma sécurité, aux barrières en particulier“. Étonnant! Ses mensonges à l’OFPRA? L’accusé est mis en difficulté et finit par dire, une fois encore, qu’on “veut noyer le poisson”! Une façon de ne pas répondre.
SIMBIKANGWA est ensuite interrogé par Maître PHILIPPART sur les ressources dont il dispose. La question dérange l’accusé qui finit par s’énerver tout en reconnaissant qu’il possède un ranch avec un troupeau, des maisons en location, un salaire…
C’est au tour de monsieur Ludovic HERVELLIN-SERRE d’interroger l’accusé. De revenir sur ses ressources, en particulier sur l’indemnisation qu’il aurait reçue après son accident. La question le dérange, mais sur l’insistance de l’avocat général, il finit par reconnaître qu’il a reçu environ 1 500 000 francs rwandais, ce qui lui a permis d’obtenir un prêt auprès des banques, de construire une maison qu’il louera à des Américains… Il ajoute, faisant sourire la maigre assistance: “Je suis socialiste. Je n’aime pas beaucoup l’argent.” Et pourtant! SIMBIKANGWA préfère choisir son terrain: “En 1972, je me suis caché car certains disaient que j’étais Tutsi!” Pourquoi pas? Et de continuer: “J’ai toujours été sensible aux faibles… J’étais proche des Tutsi… J’aime la Révolution de 1789… Je n’aime pas les privilèges!”
Monsieur CROSSON du CORMIER terminera l’interrogatoire en reprenant le thème des “privilèges” ou plutôt des “avantages” dont bénéficie SIMBIKANGWA. Il le questionne en particulier sur son logement de fonction: n’est-ce pas un avantage? “Les avantages, je les ai eu par moi-même“, insiste l’accusé. Et d’ajouter, un peu hors sujet: “HABYARIMANA vivant, il n’y aurait pas eu de génocide!”
“Et votre départ vers le Zaïre, puis le Kenya, les Comores, Mayotte? Quels moyens avez-vous utilisés?” insiste l’avocat général. SIMBIKANGWA va finir pas reconnaître qu’il a traversé la frontière à Goma en voiture (on apprendra qu’il était avec son “frère” MUTANGANA) , qu’il a pris ensuite l’avion pour aller à Nairobi (pour 400 euros!) “Et pourquoi la France“? “La France est un pays fort, déclare l’accusé, où je serais sûr de ma sécurité… question aussi de liberté… pays où je pouvais m’épanouir et avoir des projets. La France est le pays des hommes libres“.
Le dernier mot revient à la défense. Maître EPSTEIN, comme il sait bien le faire, pose de fausses questions. ” Vous partez de bas et arrivez haut?” “On veut faire de vous un dignitaire rwandais qui a donc participé au génocide?” Pour toute réponse, son client lance: ” J’ai acquis des biens par mes efforts. Je suis un combattant!” L’avocat va se rasseoir, satisfait.
Audition de monsieur Bonaventure MUTANGANA, “frère” de SIMBIKANGWA.
Entendu à sa demande, monsieur MUTANGANA va donner un portrait extrêmement flatteur de son “frère”. Il le décrit comme un homme brillant, qui a le souci des autres membres de sa famille, mais aussi des gens de sa colline. Comme son “frère”, il aime citer les auteurs français. “A force de faire le bien, on devient coupable” (Bossuet), soulignant le fait que SIMBIKANGWA se retrouve injustement poursuivi par la justice alors qu’il ne savait qu’être généreux. Il insiste aussi sur son courage dans l’adversité et reconnaît qu’il lui doit ce qu’il est devenu. “Beaucoup croient que c’est un criminel! Je demande au tribunal d’user de son indulgence.” Être devenu Français? C’est sa joie et son honneur!
Le président: ” Vous vous sentez libre de dire ce que vous dites ou vous avez peur?”
MUTANGANA: “ J’ai demandé d’être entendu en toute liberté. SIMBIKANGWA est un homme de bien.” Lors du premier procès, il n’avait pas témoigné dès le début parce qu’il avait peur de représailles. Et il reconnaît qu’il avait raison puisqu’il avait appris, voici deux jours, qu’on le recherchait suite à un mandat d’arrêt international délivré par le Rwanda.
Le président, calmement, tente de faire faire prendre conscience au témoin que son “frère” n’a peut-être pas que des qualités puisque des témoins l’accusent. “Votre frère a peut-être une autre face sombre?” MUTANGANA botte en touche: ” SIMBIKANGWA a la chance d’être incarcéré dans ce pays. Sinon, il serait déjà mort.”
” Le 7 avril, vous venez chez votre frère avec son ami HIGIRO. Quel était son état d’esprit?”
” Il était triste, abattu. Mais il a accueilli son ami HIGIRO. Les Tutsi venaient de tuer HABYARIMANA. Cela ne l’a pas empêché d’accueillir ses amis dans sa maison.” Il reconnaît que ce jour-là il voit des cadavres dans les rues de Kigali mais qu’il n’assiste pas à des exécutions. A partir de là, le témoin va refuser de répondre aux questions qui le concernent personnellement dans la mesure où il est poursuivi lui-même. Ses réponses pourraient le desservir. Il finit par dire qu’il a traversé la frontière zaïroise en voiture, avec SIMBIKANGWA.
L’avocat général veut connaître la date à laquelle le témoin a obtenu la nationalité française. Ce dernier, fidèle à sa ligne de conduite, refuse de répondre. Ce que le magistrat ne comprend pas puisque sa nationalité française le protège contre toute décision d’extradition. Le ton monte et monsieur CROSSON du CORMIER finit par renoncer.
Parole est donnée à la défense. Maître BOURGEOT demande au témoin s’il connaît d’autres personnes accusées à tord. Ce dernier évoque alors l’affaire MUNYESHYAKA accusé par les rescapés qu’il a accueillis dans son église de la Sainte Famille à Kigali: “Les mains qui lui ont été tendues l’ont mordu”. Des femmes qu’il a sauvées l’accusent de viol!
“Et HIGIRO?”, poursuit l’avocate. “C’est un homme bien. Il est devenu riche. Ils étaient amis!”
Maître EPSTEIN entre en scène: ” Je vous félicite pour votre courage. D’autant qu’il y a dans la salle des parties civiles qui prennent des notes…” Suivez mon regard! Maître EPSTEIN fait du Maître EPSTEIN, comme on l’a connu en première instance. Et nous ne sommes qu’au début du procès.
SIMBIKANGWA s’adresse à l’avocat général. ” Si Bonaventure n’a pas à être inquiet car il ne peut être extradé vers le Rwanda, il court le risque d’être jugé pour génocide“. Remarque qui n’amènera pas de réponse et qui clôturera la journée.
L’audience est suspendue à 20h15.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
Procès en appel de SIMBIKANGWA. Jeudi 27 octobre 2016. J3
27/10/2016
• Interrogatoire de monsieur SIMBIKANGWA.
• Audition de trois experts médicaux
Interrogatoire de monsieur SIMBIKANGWA.
Le président, monsieur Régis DE JORNA, souhaite interroger l’accusé sur les grandes lignes de sa défense.
1. “Une Cour d’assises vous a déclaré coupable de certains faits, vous a acquitté pour d’autres. Coupable de génocide et non de complicité. 25 ans de prison. Vous avez fait appel et le Parquet, à son tour, a fait un “appel incident”. Pourquoi avez-vous fait appel?” SIMBIKANGWA de répondre qu’il ne reconnaît pas la condamnation qu’on lui a infligée, condamnation qui n’est pas équitable: “On m’a condamné pour le contraire de ce que j’ai fait!“
2. “Le TPIR a fait un constat judiciaire: “Le génocide des Tutsi est un fait de notoriété publique qui ne peut raisonnablement être contesté”. Bien sûr, le négationnisme, le révisionnisme existent. Et vous, qu’en pensez-vous?” (NDR. Le président utilise indifféremment l’expression “génocide des Tutsi” ou “génocide rwandais”. Maître FOREMAN attirera son attention pour qu’on utilise l’expression “génocide des Tutsi“). SIMBIKANGWA indique qu’il n’a pas compris tout de suite qu’un génocide avait lieu car il y avait 2500 soldats de la MINUAR, 50 000 soldats des FAR et 10 000 du FPR! Il finit par avouer que le génocide a existé, que des gens sont morts “parce qu’ils étaient Tutsi, c’est connu!” SIMBIKANGWA devra toutefois s’expliquer sur des propos qu’il avait tenus en prétendant que le génocide était devenu pour certains “un fonds de commerce”, “un instrument de pouvoir“! D’ajouter: ” Je suis un homme probe. Les Rwandais me connaissent. Avec les forces présentes au Rwanda, je n’ai pas cru que les gens puissent s’entretuer.” Etonnant! Il rappelle que dans sa commune de 40 000 habitants, il n’y a eu que 3 morts! Etonnant? Pas vraiment. Et de rappeler qu’il n’a fait que sauver des gens, que le TPIR n’a pas voulu le poursuivre pour insuffisance de charges! Le président se permet de lire des propos qu’il a tenus en d’autres lieux: ” Je suis victime d’une cabale d’associations de victimes qui poursuivent les rescapés parmi les Hutu partout dans le monde...” SIMBIKANGWA, une nouvelle fois, répondra à côté de la question.
3. Concernant le nombre de victimes, le président fait remarquer à l’accusé qu’il a déclaré n’en avoir vu aucune pendant le génocide! Réponse de SIMBIKANGWA: ” C’est une question très difficile. Je me souviens avoir vu un homme se faire brûler vif… Les rues étaient régulièrement nettoyées, je ne suis sorti que le 9 avril… Une seule personne qui a sauvé un Juif est considérée comme un Juste…” Pourquoi pas lui qui a sauvé des Tutsi?
4. Le président reprend. “Après la mort d’HABYARIMANA, vous êtes resté prostré alors que vous vous considérez comme un “combattant”. Comment expliquer ce comportement?” Réponse: “J’étais triste. Je n’ai rien fait”!
L’interrogatoire va être interrompu pour être repris après l’audition des experts médicaux.
Reprise de l’interrogatoire.
Maître FOREMAN commence par réagir aux propos des experts médicaux. On a bien compris que si SIMBIKANGWA était reconnu coupable, il serait pleinement responsable de ses actes dans la mesure où il avait une pleine conscience de ce qui se passait. A la question de savoir s’il y a eu un double génocide, l’accusé finira par avouer, après de nombreuses circonvolutions, qu’il y a eu aussi un génocide des Hutu entre 1996 et 1998. Le président s’était permis juste avant de lui rappeler ses propos: ” Tout le monde sait très bien que tous ceux qui sont morts, ce sont des Hutu, cinq fois plus que de Tutsi. Après le génocide, le FPR a massacré des millions de Hutu!”
Maître FOREMAN veut revenir sur l’unique victime que l’accusé a finalement vu brûler sur un tas de pneus. Pourquoi SIMBIKANGWA s’acharne-t-il à dire qu’il s’agissait d’un infiltré? Comment le sait-il? Pour toute réponse, l’accusé dira que “les gens criaient que c’était un infiltré. Vous ne pouvez pas nier que des membres du FPR étaient infiltrés!”
Dernière remarque de l’avocat du CPCR. “Monsieur SIMBIKANGWA a dit que le TPIR n’avait rien trouvé à lui reprocher lorsqu’il a remis le dossier aux autorités rwandaises. C’est faux. Lorsqu’on évoque la fermeture du TPIR en 2005, personne ne sait où se trouve l’accusé et son cas n’a pu être étudié“! Ce n’est pas plus compliqué, et c’est cela la vérité.
Monsieur CROSSON du CORMIER prend la parole à son tour. Il s’étonne que l’accusé, un proche du président, ne soit au courant de rien de ce qui se passe en avril 1994. Il aimerait savoir aussi ce qu’il a fait de son temps pendant les dix ans de son exil, avant son arrivée à Mayotte. Comme à son habitude, SIMBIKANGWA s’embrouille, noie le poisson. Réaction de l’avocat général: ” Quand vous serez d’humeur, j’aimerais que vous me disiez ce que vous avez fait pendant cette période!” Réponse étonnante de l’accusé: ” Mon pays, c’est la liberté… Mon pays, c’est le XVIII ème siècle français”. Comprenne qui pourra.
Audition de trois experts médicaux: madame Annie SOUSSY, monsieur FINALTAIN, médecins légistes, et monsieur PROSPER, psychiatre.
Il n’est pas nécessaire de reprendre dans le détail chacune des dépositions, d’autant que certains détails relèveraient presque du secret médical. Que l’expertise soit médicale ou psychiatrique, les conclusions sont les mêmes: SIMBIKANGWA est responsable de ses actes. S’il est condamné par la justice, aucune déficience ne pourra minimiser sa responsabilité. Bien sûr, l’accusé a de nombreux problèmes de santé, il est soumis à de nombreux traitements médicaux. La vie en prison est difficile, il a très mal vécu sa détention à Mayotte. La question qui avait été posée aux experts consistait à savoir si monsieur SIMBIKANGWA pouvait supporter un procès. La réponse est claire: si on lui accorde des temps de repos, si on aménage une salle où il pourra avoir les soins dont il a besoin, si le transport peut se faire en ambulance… rien ne s’oppose à ce que le procès ait lieu, “l’accusé est parfaitement apte à comparaître“. Le président rassurera les experts en soulignant que la plupart des demandes qui avaient été faites ont été réalisées.
L’audience est suspendue à 18h40.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
Procès en appel de SIMBIKANGWA. Vendredi 28 octobre 2016. J4
29/10/2016
Seule la matinée devait être consacrée à l’audition de monsieur André GUICHAOUA, mais l’accusé ayant fait appel à un médecin juste avant le début de l’audience, celle-ci a commencé avec beaucoup de retard. Monsieur le Président lui demande, à l’avenir, de ne pas attendre le dernier moment pour faire sa demande. On ne peut se permettre de commencer régulièrement en retard. L’audition de monsieur GUICHAOUA durera finalement toute la journée.
Audition de monsieur André GUICHAOUA, témoin de contexte.
Dans un long développement, le témoin va présenter le contexte géographique et historique du pays dans lequel s’est déroulé le génocide des Tutsi. Il commence par souligner que le Rwanda, et le Burundi avec lequel il fera de nombreux parallèles, sont des exceptions dans cette région des Grands Lacs : petits pays très peuplés entourés de géants sous-peuplés, dont le Zaïre et la Tanzanie, l’Ouganda à de moindres proportions.
Il poursuivra en parlant de la colonisation et du peuplement du pays, évoquant la composition de la population avec l’arrivée, à des dates indéterminées, des Twa, des Hutu (les Bantu) et des Tutsi, «nilotiques qui seraient venus d’Israël ou du Moyen Orient”, sans qu’aucune preuve ne puisse être apportée.
Tout s’est joué au Rwanda, dans le processus de la décolonisation. Après avoir soutenu et formé l’élite tutsi, le colon belge, à la fin des années 50, va devoir faire face à la demande de décolonisation de cette élite. La Belgique va alors s’appuyer sur l’Eglise pour “mobiliser la majorité hutu“. Sera alors publié le “Manifeste des Bahutu” en opposition à l’élite tutsi. Des premiers massacres de Tutsi ont lieu en 1959 puis va se mettre en place la République de Gitarama, proche de l’archevêché de Kabgayi et de son responsable, monseigneur PERRAUDIN, de nationalité suisse. On va alors parler, de “la démocratie du peuple majoritaire“, les Hutu de Centre/Sud prenant le pouvoir à la faveur des élections ethnicisées. Ce changement politique provoque l’exil de nombreux Tutsi vers les pays voisins: Burundi, Ouganda, Congo, Tanzanie. L’incursion répétée de certains de ces exilés provoque systématiquement des représailles sur la population tutsi restée au pays. Et ce jusqu’en 1967. Pour le témoin, le génocide ne commence pas à cette époque, mais il reste chez les gens “une mémoire vive des massacres”.
Après avoir fait une brève analyse de la situation au Burundi à la même époque, monsieur GUICHAOUA en arrive à l’année 1973 et au coup d’Etat du président HABYARIMANA, époque marquée par la mise en place de quotas dans la fonction publique, les écoles, l’armée… quotas qui visent d’abord la composante Hutu/Tutsi, puis très vite celle Hutu du Nord/Hutu du Sud. Politiquement, on insiste sur le développement. Le Parmehutu cède la place au MRND.
Pour le témoin, il existe une caractéristique propre au Rwanda. Contrairement aux pays africains côtiers, les élites restent proches de leur commune d’origine, proches de la paysannerie dont ils ont besoin pur subsister. Ce qui fait que ces élites, grâce à cette proximité, garderont une influence importante sur les masses populaires qui, si elles ne s’en laissent pas toujours compter, leur restent soumises. Toutefois, cette élite n’hésite pas à montrer ostensiblement sa richesse et s’installe une grande corruption. On distribuera des pâturages à ces nouveaux riches: SIMBIKANGWA fera partie des bénéficiaires de cette largesse.
A partir de 1985 va se poser le problème des réfugiés qui souhaitent revenir dans leur pays. Le témoin oublie de dire que le président HABYARIMANA a toujours refusé ce retour car le pays est trop petit et il ne peut accueillir tout le monde. Toutefois, en 1990, 90 000 réfugiés d’Ouganda reviendront au Rwanda. La famine de 1989 obligera plus de 20 000 Rwandais à se réfugier en Tanzanie
En Ouganda, une partie des réfugiés tutsi bénéficient d’une structure militaire si bien que le 1 octobre 1990, l’attaque du FPR en provenance de ce pays, “va déclencher un séisme intérieur“, ” l’armée rwandaise mal entraînée étant incapable de combattre. L’armée zaïroise appelée en renfort va se contenter de piller et de fuir“. Le témoin prétend que le FPR craint de ne pouvoir atteindre le pouvoir si des élections sont organisées, l’attaque du FPR ayant pour but de “contrecarrer la démocratisation“.
La nouvelle constitution de 1991 met en place le multipartisme et de nombreux partis d’opposition au MRND se créent, mais chacun joue sa propre carte. Les partis d’opposition, le MDR, le PL, le PSD… s’allient, pour une part, au FPR qui possède son armée. Le 16 avril 1992 voit la mise en place d’un gouvernement pluripartite. Malgré la signature des accords d’Arusha le 4 août 1993, les choses ne s’arrangent pas, le pouvoir ne voulant pas vraiment les appliquer car une part trop belle est faite au FPR auquel se sont ralliés les partis d’opposition. Cette période va voir aussi ces nouveaux partis se scinder en deux: une tendance Power, intransigeante et extrémiste, et une tendance que nous dirons modérée. L’année 1993, avec la mort du président burundais Melchior NDADAYE en octobre, est” l’année de tous les dangers“. L’ethnisme revient au cœur de la politique, essentiellement chez les élites, mais pas encore dans la population paysanne.
La série des questions va donner l’occasion d’aborder des sujets quelque peu passés sous silence: les cartes d’identité avec mention ethnique et leur rôle, retour sur l’année 1973 et les caractéristiques du régime HABYARIMANA (restructuration de l’armée, de la police, des renseignements, beaucoup de pouvoirs aux mains du président, mise en place à des postes clés de membres familiaux, surtout des proches de l’épouse du président (Elie SAGATWA, Protais ZIGIRANYIRAZO: l’Akazu.) “Un système mafieux prend le contrôle de la fore économique“, surtout entre 1988 et 1992, et toujours au profit des proches du président ou de son épouse. C’est alors que SIMBIKANGWA entre dans le jeu. “Homme de l’ombre, des basses œuvres, il fait ce que RWAGAFILITA (chef d’état major de la gendarmerie) et SERUBUGA (chef d’état major adjoint de l’armée) ne peuvent ou ne veulent pas faire. Toutefois, toutes les exactions commises à l’époque ne sont pas toutes à mettre au compte du pouvoir.”
Avec le multipartisme apparaissent de nouveaux médias: on ne craint plus les transgressions (voir la RTLM [1]). C’est aussi l’occasion pour les partis politiques de créer leur propres mouvements de jeunes qui deviendront les bras armés du génocide.
A une question de Domitille PHILIPPART, avocate du CPCR, monsieur GUICHAOUA est amené à préciser que SIMBIKANGWA fait bien partie de l’Akazu, même s’il n’est pas au cœur du dispositif. Même s’il avait quitté l’armée, il avait gardé une grande influence. “Il avait gardé une autorité car il était responsable des basses œuvres.”
Monsieur l’avocat général voudrait avoir une définition claire de l’Akazu. Ce qui donne l’occasion au témoin de préciser: ” L‘Akazu est régi par des liens familiaux. On parle aussi des OTP, Originaires du Territoire Présidentiel. Tous en effet sont de Karago, et Giciye; ils bénéficient de rentes. Il s’agit d’un clientélisme familial et politique. Quant au Réseau Zéro, les Amasasu et autres Escadrons de la mort, ils s’occupent plutôt de terrorisme.”
Malicieusement, la défense en faisant allusion à des propos du témoin, cherche à lui faire dire que les renseignements de Kagame sont beaucoup plus efficaces que ceux d’Habyarimana. Monsieur GUICHAOUA voit le piège et lui demande de “ne pas faire d’anachronisme“, le contexte et les moyens techniques n’étant pas les mêmes.
Monsieur GUICHAOUA, toujours interrogé par la défense, admet que le TPIR n’a pas prouvé qu’il y avait eu “entente à commettre le génocide“: ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de tueries avant le 6 avril 1994. Se reporter au massacre des Bagogwe, de Kibilira ou encore du Bugesera. Ce sont bien “des pratiques génocidaires“. La défense voudrait bien mettre ces massacres au compte du FPR: ils seraient la conséquence des tentatives de déstabilisation du FPR. Le témoin ne suit pas la défense. Pour lui, le génocide, comme politique assumée, commence le 12 avril 1994 lorsque le gouvernement créé le 9 met en place la politique génocidaire. Contestable, bien sûr.
Maître BOURGEOT, pour la défense, revient sur l’éternelle question des témoins de la défense qui viennent du Rwanda et qui seraient menacés! Évoque les faux témoins au TPIR, revient sur le rôle de l’association de rescapés IBUKA qui manipulerait les témoins. Monsieur GUICHAOUA, qui n’est pas un ami du FPR, dit toutefois qu’il ” n’y a pas au Rwanda d’institution pour inventer de faux témoins”. Et maître FOREMAN de préciser qu’il n’y a pas que le régime de KAGAME qui fasse peur aux témoins.
GUICHAOUA est à Kigali du 6 au 11 avril: son expérience personnelle.
La journée va se terminer par ce que le témoin a retenu de son séjour à Kigali dans les premiers jours du génocide.. Il était réfugié à l’Hôtel des Mille Collines où il fallait racheter la vie de rescapés qui étaient venus se réfugier dans ce lieu.
Dès la chute de l’avion, les massacres ont commencé dans Kigali. Les Gardes présidentiels (GP) font leur triste besogne dans plusieurs quartiers. (NDR: Le témoin n’évoque pas ce qui s’est passé autour de l’aéroport, autour de la résidence d’HABYARIMANA. Dans les heures qui suivent l’attentat, les GP vont exterminer toute la population civile. Très peu de témoins sont là pour le rapporter). Le 7, la première ministre Agathe UWILINGIYIMANA est assassinée ainsi que nombre d’opposants hutu. La mort des dix Casques Bleus belges entraîne le retrait des soldats belges. Peu à peu toutes les préfectures s’embraseront, mais sur l’incitation des responsables politiques. La communauté internationale brillera par son inefficacité.
Question est posée pour savoir si, quand on était à Kiyovu, on pouvait n’avoir rien vu, rien entendu! Réponse du témoin: “C’est invraisemblable“. Or, SIMBIKANGWA se trouvait à 200 mètres en- dessous de l’Hôtel des Mille Collines. (NDR: Il a déjà prétendu, en première instance, qu’il n’avait vraiment compris qu’il y avait eu un génocide au Rwanda qu’après la lecture du livre d’Abdul RUZIBIZA, préfacé par GUICHAOUA, livre qui semble être devenu sa nouvelle bible. L’accusé était alors à Mayotte.) “Avec les personnalités qui sont là, impossible qu’il n’y ait pas eu de connexions”.
Génocide: conséquence d’une colère populaire de la population dont on a tué le président? Non, ce ne fut pas le cas. ” Il a fallu inciter la population à tuer“.
Maître PHILIPPART revient sur un extrait du livre du témoin “De la Guerre au génocide” [2]. pages 470/471, l’auteur évoque le nombre de 34 159 victimes à Gisenyi. Or, SIMBIKANGWA a récemment déclaré que dans sa commune, il y avait eu seulement 3 morts sur 40 000 habitants! Pas très crédible!
L’avocat général HERVELLIN-SERRE interroge le témoin sur la présence des barrières à Kiyovu. Le témoin confirme, “Kiyovu étant un des quartiers les plus redoutables“. “Outre les barrages, les GP circulaient et tuaient dans les maisons. Les cadavres ont été assez rapidement ramassés et jetés dans des bennes des Travaux publics, Kigali étant devenu un cimetière à ciel ouvert“.
Si le témoin n’a pas vu ni entendu parler de SIMBIKANGWA dans ces quelques jours du début du génocide, il le connaissait bien. Dans les années 92/93 existait une “réelle peur du personnage. On ne pouvait pas ne pas le connaître. Ainsi que sa réputation!”
Maître BOURGEOT, pour la défense, revient pour énoncer, comme elle sait bien le faire, ce que j’ai appelé de fausses questions: la réponse est induite dans la question. “Pour le FPR, la priorité n’était pas de sauver les Tutsi? Mais bien de prendre le pouvoir? La Parquet veut vous faire dire qu’il y a eu un plan concerté mais le TPIR ne l’a jamais prouvé?”
Idem pour maître EPSTEIN qui vient de temps en temps au secours de son confrère quand il estime qu’elle ne pose pas la question de la bonne façon. “L’accès à la vérité est donc très compliqué au Rwanda? Il existe des séances collectives de concertation des témoins avant leur départ du Rwanda?” Monsieur GUICHAOUA a pris le parti de donner des réponses très évasives pour ne pas se laisser piéger par la défense.
La parole est donnée à monsieur SIMBIKANGWA à qui on demande de faire court, ce qui est souvent difficile pour lui, son avocat étant obligé de lui faire signe de se taire: il est globalement satisfait des propos de monsieur GUICHAOUA.
L’audience est suspendue à 19h 35 et ne reprendra que le mercredi 2 novembre.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
1. Pascal SIMBIKANGWA fut l’un des 50 premiers actionnaires de la tristement célèbre Radio des Mille Collines (RTLM).
Voir également : “les médias de la haine“.
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2. “Rwanda, de la guerre au génocide : les politiques criminelles au Rwanda, 1990-1994” – La Découverte (Paris), ouvrage complété par un site en ligne regroupant une abondante documentation.
Pour plus de références, voir notre page “Bibliographie“.
[Retour au texte]
Procès en appel de SIMBIKANGWA. Mercredi 2 novembre 2016. J5
03/11/2016
• Audition de Stéphane AUDOIN-ROUZEAU, directeur d’étude à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)
• Audition de Jacques SEMELIN, directeur de recherche au CNRS et professeur à Sciences Po.
Audition de monsieur Stéphane AUDOIN-ROUZEAU, directeur d’étude à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)
Le témoin commence par reconnaître qu’il n’est pas un spécialiste du génocide des Tutsi, qu’il n’a rencontré ce génocide que tardivement, en 2008: il le regrette. En 1994, il n’a pas vu ce génocide qui est resté en dehors de son champ d’investigation. Ce n’est que plus tard qu’il a compris ce qui s’était passé au Rwanda et qu’il aurait dû relier ce génocide au génocide des Arméniens et des Juifs. Il souhaite donc “adopter une posture de modestie“.
Monsieur AUDOIN-ROUZEAU a compris alors qu’il s’agissait bien, au Rwanda, d’un génocide. La définition qu’il en donne n’est pas une définition juridique. Ce qui lui prouve que c’est un génocide, ce sont les pratiques utilisées: “Quand on tue hommes, femmes, enfants, fœtus… et qu’on les jette dans les latrines, il y a génocide.” Et d’ajouter: “Il s’en est fallu de peu que ce projet réussisse.”
D’autre part, “ce génocide est à relier absolument aux deux autres génocides du XXème siècle, celui des Arméniens et celui des Juifs d’Europe“. La racine idéologique est la même, elle est européenne. Il s’agit d’une pensée “raciste et racialiste de la fin du XXème siècle et du début du XXIème siècle“. Concernant le Rwanda, cette pensée racialiste est aussi “coloniale”: les colons ont “classé” les populations du Rwanda, “ils ont appliqué leur pensée ethnique sur la société rwandaise“. Point d’orgue de cette politique: la création de la carte d’identité avec mention ethnique en 1931, cette carte d’identité qui sera synonyme de condamnation à mort immédiate sur les barrières en 1994!
Il existe des pré-requis pour parler de génocide: la guerre et la participation d’un État. Il n’y a pas de génocide sans guerre et sans l’angoisse de la défaite, celle déclenchée par le FPR en octobre 1990. La guerre est importante car “elle abaisse les seuils de tolérance de la violence“. Pas de génocide non plus sans État, “seul un État peut prendre en charge un tel crime de masse“, un état avec son appareil politique et administratif. Il existe toutefois une spécificité du génocide des Tutsi: le rôle joué par les voisins. “On ne peut pas comprendre la rapidité de ce génocide sans considérer qu’il s’agit d’un génocide de voisinage“. Sans oublier le rôle central de médias tels que le journal Kangura et la RTLM (Radio Télévision Mille Collines). Il est donc absurde de parler de pogrom spontané.
Monsieur AUDOIN-ROUZEAU termine son audition en évoquant Raul HILBERG, qui écrit, en 2006, dans la dernière édition de son ouvrage, La destruction des Juifs d’Europe: “Au Rwanda, l’histoire a recommencé ce qui s’était terminé en 1945“. Et le témoin de conclure: “Le génocide des Tutsi est un événement qui n’est pas encore reconnu à sa juste mesure. Nous devons nous intéresser à ce génocide: sinon, nous assassinons les victimes une seconde fois.”
Les questions du président DE JORNA vont donner au témoin l’occasion d’apporter quelques précisions. Pour le Rwanda, on ne parle pas de “pureté de la race” car Hutu et Tutsi ne sont pas des races. On peut parler, comme le dit Sigmund FREUD, de “narcissisme des petites différences“. C’est cette différence mineure qui exacerberait l’angoisse et qui serait à l’origine des meurtres de masse.
D’autre part, “il n’y a pas de génocide sans négationnisme” et ceux qui le commettent savent qu’il faut le nier (voir la Turquie actuellement). Une des formes du génocide des Tutsi est la “théorie du double génocide“, tentative de relativiser ce qui s’est passé au Rwanda entre avril et juillet 1994. (NDR: cette notion de double génocide a été reprise à plusieurs reprises par des responsables politiques français).
Et il ne peut s’agir d’une “révolte spontanée“: fin avril, on comptait 65 000 morts à Kigali, soit le quart de la population de la capitale. Le génocide va se répandre dans le pays au gré des déplacements du gouvernement ou au gré des interventions de ce même gouvernement (cf. le début du génocide à Butare après le discours du président SINDIKUBWABO): le génocide va se répandre jusque dans les collines et “la population va se sentir légitimée à commettre le génocide“.
Quant à dater le début du génocide en 1959 comme on a “la fâcheuse tendance de le faire au Rwanda dans les discours politiques ou dans les commentaires des guides des mémoriaux“, c’est “une mauvaise façon d’aborder la question.” En 1994, on assiste à une changement d’échelle et à un changement de nature par rapport aux massacres des années qui ont précédé le génocide (cf. les églises lieux de refuge autrefois, lieux de massacre en 1994).
Dans ce génocide, il faut souligner le rôle important des élites (professeurs, médecins, prêtres…), comme chez les SS. “L’intelligence et la culture font bon ménage avec la pensée exterminatrice“.
Au Rwanda, on a le sentiment d’avoir été abandonné par la communauté internationale en 1994. Le départ de la force de l’ONU a ouvert le champ des possibles: ” Un espace de liberté meurtrière s’ouvrait“.
Concernant la réconciliation? “Je suis assez méfiant de cette exigence des Occidentaux à demander la réconciliation” déclare le témoin. “La plupart des tueurs sont sortis de prison et viennent revivre auprès de leurs victimes. A la campagne, les rescapés ne vivent pas tranquilles, l’hostilité est toujours là. La population tutsi du Rwanda reste en danger: le feu est toujours sous la cendre.” Et le témoin de rapporter les propos d’une rescapée qu’il a rencontrée: ” Je demande tous les jours à Dieu pardon de ne pas pouvoir accorder le pardon!” Quant aux Gacaca, cette “justice sur le gazon“, elles ont été importantes non pour la réconciliation mais pour la pacification“.
La dernière question du président porte sur “le désintérêt de l’opinion internationale” pour ce génocide. Même les historiens ont mis du temps à comprendre ce qui se passait. S’agirait-il “d’un racisme de l’Occident, d’une indifférence générale”? Commentaire de monsieur AUDOIN-ROUZEAU: “Nous sommes nombreux ici à être éperdus de regrets. Si les Occidentaux ne pouvaient pas comprendre le génocide des Arméniens et celui des Juifs, au Rwanda, il était possible de l’empêcher”. Une consolation cependant? La leçon du Rwanda a peut-être servi ailleurs, comme en Côte d’Ivoire!
L’avocat général, monsieur Ludovic HERVELIN-SERRE, tente un rapprochement entre le génocide au Rwanda et la Shoah dans la mesure où, dans les années 1940, la chambre à gaz n’a pas été le seul mode d’extermination des Juifs (allusion à la Shoah par balles en Europe de l’Est). Le témoin confirme tout en soulignant une fois de plus le rôle des voisins au Rwanda, tout comme ce fut le cas en Pologne, en Ukraine ou en Biélorussie.
“Au Rwanda, il a fallu empêcher de fuir“, continue l’avocat général. Le témoin de reconnaître qu’au Rwanda il y avait peu de lieux de refuge.Le pays s’est couvert de barrières, de lieux de contrôle. La géographie du pays imposait des lieux de passage obligés: donc très difficile de fuir.
“Un citoyen ordinaire pouvait-il ne pas savoir ce qui allait arriver“? questionne l’avocat général. Le témoin précise qu’il y avait des listes d’opposants; des milices avaient été formées et militarisées. Tout citoyen savait.
“Que faut-il attendre du procès en appel de SIMBIKANGWA” ? demande l’avocat général. Monsieur AUDOIN-ROUZEAU de répondre: “ La société française est restée très inconsciente. La salle d’audience est vide. En aurait-il été de même s’il s’était agi de TOUVIER? La société française ne s’intéresse pas au génocide (des Tutsi). Elle ne veut pas savoir. Il s’agit d’une situation de déni, avec des formes de négationnisme perverses. Il s’agit d’un procès sans impact immédiat, mais un procès pour l’Histoire“.
Monsieur CROSSON DU CORMIER avoue que le fait de dire que la notion de génocide est d’importation européenne représente pour lui une honte. Et d’interroger le témoin sur l’existence de “causes propres au Rwanda de 1994“. Le témoin précise qu’au Rwanda on a des récits de meurtres, de viols, mais aussi de prédation. Les tueurs ont volé les biens des victimes (tôles, vaches, terres…). Ces “effets d’aubaine” ont été jugés par les Gacaca. Il s’agit même d’une “prédation festive“: on mange la viande des vaches volées, on gaspille… (NDR: on pourrait rajouter “on festoie” au retour des tueries).
“On a parlé d’un manque de place au Rwanda pour justifier le génocide” interroge l’avocat général? Réponse du témoin: “On trouve ce phénomène en Allemagne, avec la notion du besoin d’un espace vital. Comment mesurer ce manque de place? On interdisait tout droit au retour pour les enfants des exilés, idée martelée à partir de 1973… Aujourd’hui, le Rwanda compte plus de 11 millions d’habitants!”
Parole est donnée à maître BOURGEOT pour la défense. Elle rapporte les propos de Raul HILBERG qui avait déclaré que “dans le désastre du Rwanda, il n’y avait pas de guerre“. Elle tente d’opposer monsieur GUICHAOUA, un véritable expert, au témoin qui, lui, est spécialiste de la Première Guerre mondiale! Que pense le témoin de monsieur Filip REYNTJENS, expert bien connu qui a refusé de venir témoigner?
Réponse du témoin. Monsieur HILBERG était âgé quand il a tenu ces propos! Quant à monsieur GUICHAOUA, “on peut être expert et ne pas avoir raison! Je ne suis pas entièrement d’accord avec GUICHAOUA sur la chronologie du génocide, par exemple!” GUICHAOUA situe le commencement du génocide le 12 avril? Le témoin n’est pas d’accord.
Autre question de la défense: le temps judiciaire et le temps de l’Histoire?
“Il s’agit d’une question fondamentale. Le temps qui passe est une catastrophe dans le domaine de la justice. Pour l’historien, 22 ans, c’est très peu, et c’est beaucoup trop pour la justice. Pour les historiens, il reste beaucoup de travail à faire. Les sciences sociales dont dans la première phase de leurs travaux alors que le temps judiciaire sera terminé!” Tels sont les commentaires du témoin.
Maître BOURGEOT voudrait entraîner le témoin sur “le ressentiment qui serait entretenu par les incursions du FPR” dès lors responsable des répercussions sur les Tutsi de l’intérieur! Le témoin sera amené à préciser qu’il n’est pas le défenseur du FPR et ajoute que l’attitude du pouvoir actuel ne justifie en rien les violences de 1994!
Et toujours le thème de la “manipulation des témoins” selon la défense! Réponse de monsieur AUDOIN-ROUZEAU: ” Ce qui me frappe au Rwanda, c’est que les victimes se sentent toujours menacées. les rescapés ont peur et représentent une minorité menacée.” Les associations des droits de l’Homme disent le contraire? GUICHAOUA parle d’un génocide perpétré par le FPR au Zaïre? Ce n’est pas l’avis du témoin. Au Zaïre, il s’agit de massacres de masse. Mais de toutes façons il n’y a pas de hiérarchie dans les massacres de masse!
Monsieur SIMBIKANGWA à qui on donne la parole reprend le “refrain” qu’on lui connaît depuis une semaine. Il a tardé à reconnaître qu’il y a eu un génocide au Rwanda? Même l’ONU a tardé. Et puis, il y avait de nombreuses forces en présence au Rwanda (ONU, FAR, FPR…) Et de conclure, imperturbable: “ C’est à travers la procédure que j’ai appris que les gens ont perdu les leurs!” (NDR. En première instance, il avait avoué qu’il avait pris conscience du génocide en lisant le livre de RUZIBIZA alors qu’il était à Mayotte!)
Audition de monsieur Jacques SEMELIN, directeur de recherche au CNRS et professeur à Sciences Po.
Le témoin commence par qualifier le génocide des Tutsi de “phénomène monstrueux“. Et de s’interroger sur l’interprétation que l’on va faire de ses propos. C’est en mémoire de Raphaël LEMKIN, inventeur du concept de génocide, qu’il avoue être là. Il parle de sa triple formation de psychologue, d’historien et de sociologue mais refuse de se considérer comme un spécialiste du Rwanda. Il est un “généraliste de l’analyse des crimes de masse“. Et d’ajouter que “vouloir comprendre, ce n’est pas excuser les bourreaux“. C’est montrer les logiques qui vont se mettre en œuvre en impliquant un grand nombre de personnes. “Tout comprendre?”. Impossible, mais le témoin s’interroge: ” Comment est-ce possible d’en arriver là?” Il y a ce qu’il appelle “le trou noir de notre barbarie“. Et d’ajouter que le mot “génocide” a connu “une véritable inflation à cause de la concurrence des mémoires. Tout massacre n’est pas génocide”. Nécessité de bien peser le sens des mots.
Pour comprendre le génocide, il faut partir de la notion de “massacre“: une “action collective de destruction de non- combattants. Il existe une multiplicité des causes, ce qui obsède le témoin. Et de citer Léon POLIAKOV: ” L’événement ayant une multiplicité de causes, il est impossible de connaître la cause de cet événement”. Le génocide est un processus lent qui connaît des inflexions puis une forte accélération.
Selon le témoin, un génocide ne se commet pas dans n’importe quel pays. Il faut qu’il y ait une crise socio-économique, une crise des institutions, une crise des élites. Tout cela est en place au Rwanda à la fin des années 80.
Nécessité aussi de souligner le rôle de l’idéologie. Des “entrepreneurs identitaires” vont proposer une lecture du malheur des gens. On va désigner un “EUX” (les Tutsi) par rapport à un “NOUS” (les Hutu), victimes de l’Histoire. “Cette fois-ci ils ne nous auront pas“! Il faut se défendre contre ce “EUX”, les Tutsi, ces étrangers venus après les Hutu! Ce “EUX” est trop nombreux: on va donc l’animaliser (serpent, cafard…). Quant à la “figure du suspect“, c’est un Hutu, mais un traître, un ennemi aussi.
Le témoin d’ajouter: ” On commence à tuer avec des mots, les mots préforment les crimes de masse. De petites violences précèdent la grande violence. Si ce type d’idéologue prend le pouvoir, on franchit un nouveau cran quand la guerre est là (à partir de 1990). Quand la guerre est là, l’individu se comporte différemment, il défend son groupe. Ce qui change, c’est la manière de voir l’autre. Tu es avec moi ou contre moi? Tu es Hutu ou tu es Tutsi? On s’en prend à des non-combattants!”
Le contexte international est central. Le massacre est un co-produit d’une situation locale et d’une situation internationale. Il s’agit là d’un facteur fondamental. Et de citer TACITE, historien et sénateur romain, pour illustrer cette situation: ” Quelques-uns l’ont voulu, d’autres l’ont fait, tous l’ont laissé faire“. Le politique devrait être là pour “calmer le cheval fougueux“. Au Rwanda, “le politique a fouetté le cheval fougueux“! Et d’ajouter: “ Les planificateurs ne tuent pas, les organisateurs tuent peu, les exécutants tuent”. Expression qui sera reprise par le président et qui amènera le témoin à préciser que “celui qui ne tue pas est responsable. Le crime de masse vise à la massification du crime”: beaucoup de victimes et beaucoup de tueurs.
“On peut basculer dans le crime pour des raisons de carrière, de conformité aux autres, mais certains le font par conviction, parce qu’ils y croient. Même ceux qui sont contraints doivent trouver des raisons, il faut qu’ils se justifient en train de faire ce qu’ils font, qu’ils soient hommes ou femmes.”
Le témoin évoque “la figure pathétique du tueur/ sauveteur“:” Qui veut sauver un Tutsi (ami, voisin, famille…) doit en tuer d’autres pour donner des gages de conformité aux autres“. Cette notion de “tueur/sauveteur” est à distinguer de celle du “Juste“. Au Rwanda, un Juste est un Hutu qui prend des risques considérables pour sauver un Tutsi. Mais ce fut rare. Cette notion de “tueur/sauveteur” est à rapprocher de celle de “zone grise” chez Primo LEVI, instant d’humanité chez des bourreaux dans les camps par exemple. Peu de”tueurs/sauveteurs” au Rwanda: tout le monde est invité à participer à la chasse aux Tutsi, même les enfants!
Pour conclure, monsieur SEMELIN nomme deux types de criminels de masse:
1. celui qui veut conquérir un territoire, détruire pour soumettre et le FPR n’est pas exempt de ce type de pratique.
2. celui qui veut détruire pour éradiquer, déraciner l’autre comme une plante venimeuse, comme un microbe contagieux. C’est ce qui se passe au Rwanda.
Une question du président donne l’occasion au témoin de préciser sa pensée. Au Rwanda, on a tout fait pour faire partir les Occidentaux pour qu’il y ait le moins de témoins possible.. A l’ONU, on décide de retirer les troupes internationales, geste qui est considéré par les autorités rwandaises comme un feu vert donné à commettre le génocide.
Maître FOREMAN, avocat du CPCR, veut savoir si le témoin a travaillé sur les écrits de monsieur SIMBIKANGWA, en particulier sur une Lettre du 6 août 1962 [1] que l’on trouve dans son livre ” La Guerre d’octobre” [1]. Le témoin répond par la négative. On reviendra ultérieurement sur ce document.
Intervention de l’avocat général, monsieur HERVELLIN-SERRE. Il voudrait avoir des précisions sur le fait qu’au Rwanda on a empêché les gens de fuir. Monsieur SEMELIN de préciser qu’au Rwanda on est allé plus loin qu’en ex-Yougoslavie qui a pratiqué le “nettoyage ethnique“. On veut empêcher le Tutsi de fuir pour l’éliminer: ” Cette fois-ci, il ne nous échappera pas“!
La mise en place rapide des barrières est bien une preuve qu’il s’agissait là d’une organisation et non d’une improvisation. Par contre, il n’est pas sûr que l’ampleur des massacres ait été prévue! Dès 1993, on assiste à un achat massif de machettes, information qui arrive aux Nations- Unies mais qui n’en fait rien.
L’avocat général demande au témoin quelle importance il attache à ce procès. Pour lui, “c’est essentiel pour la mémoire, pour l’Histoire, pour la Justice. Il est essentiel que ce procès se déroule en France; procédure essentielle pour notre humanité.”
En réponse à une question de monsieur CROSSON DU CORMIER, avocat général, le témoin précise: ” Il faut distinguer le crime de génocide, le crime de guerre et le crime contre l’humanité. Le crime de génocide vise à éradiquer un groupe selon des critères fixés par les idéologues. Il existe un impérieux besoin de sécurité qui conduit le tueur à éliminer l’autre. Mais tous les individus ne sont pas tenus par le discours dominant. Tous les Hutu ne sont pas devenus des génocidaires. A préciser que les premières victimes ont été ceux qu’on appelle les “Hutu modérés”, les traîtres.”
Maître BOURGEOT, comme à son habitude, voudrait entraîner le témoin sur un chemin qui ne concerne pas l’affaire dont il est question: la responsabilité de la France, sujet traité par le témoin dans un article du Monde en 2008. Elle évoque aussi le dernier rebondissement dans l’affaire de l’attentat contre le président HABYARIMANA: un ancien responsable du FPR, Kayumba NYAMWASA, réfugié en Afrique du Sud, qui veut donner son témoignage dans lequel il accuse le président KAGAME d’avoir fait abattre l’avion. Le président intervient en demandant qu’on ne fasse pas de discussion entre professionnels afin de ne pas perdre les jurés qui ne connaissent probablement rien à ce dernier rebondissement.
La journée se termine par la projection d’un documentaire diffusé fin 1994 dans le cadre de l’émission “La marche du siècle” de Jean-Marie CAVADA: “Etat d’urgence: Rwanda, autopsie d’un génocide“.
L’audience est suspendue à 18h40.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
1. Nombreux sont ceux qui dénoncent les dérives racistes de “La Guerre d’octobre” écrit par Pascal SIMBIKANGWA, en particulier une Lettre du 6 août 1962 qu’il reprend page 50. Télécharger le document : 1ère partie (6,4 Mo) – 2ème partie (7 Mo)
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Procès en appel de Pascal SIMBIKANGWA. Jeudi 3 novembre 2016. J6
04/11/2016
Audition de madame Hélène DUMAS, chargée de recherche au CNRS [1]..
Préambule. Madame DUMAS tient à commencer son audition par l’évocation des recherches qu’elle effectue actuellement au Rwanda. Son travail sur les archives de la CNLG, jalousement conservées au QG de la Police, concerne l’ancienne préfecture de Gisenyi. Un millier de document qui révèlent qu’il y a bien eu une préparation intellectuelle du génocide et que des armes traditionnelles ont bien été distribuées en provenance du Ministère de la Défense. On note également un soin tout particulier de la part du pouvoir à comptabiliser la population, et tout particulièrement les Tutsi. ” On est surpris par les moyens mis en place pour recenser cette population”, poursuit le témoin. Et d’ajouter qu’à partir de 1990 on enseigne à la population à se méfier car “l’ennemi se déguise en mendiant, en fou, en vieille femme… “. Les populations civiles doivent s’investir dans la chasse aux Tutsi (cf. les chansons de BIKINDI).
Concernant la “préparation pratique du génocide”, on trouve des traces de massacres dans les communes de Kibira et de Giciye, entre autres. On retrouve également la liste des biens volés aux victimes, liste établie dans deux paroisses de la région. Un rapport précis porte sur les distributions d’armes à la police communale. ” Dans cette région, on surarme les policiers communaux!”
Les Gacaca. C’est une juridiction pénale mise en place entre 2002 et 2012, à cause de la surpopulation des prisons rwandaises mais aussi parce que le génocide a atteint les liens sociaux les plus intimes. “La violence a atteint le socle le plus intime des relations, jusqu’au sein même des familles. Il s’agissait de ramener le crime dans la sphère intime.”
Des “sages”, les Inyangamugayo, qui ont vécu le génocide, sont désignés comme juges, qu’ils soient Tutsi ou Hutu. Les procès ont comme fondement la prise en compte des aveux des tueurs. Les bourreaux ont amenés à dénoncer leurs complices, car on tuait en bandes (les Ibitero), mais aussi à indiquer où ont été jetés les corps des victimes.
Autour de ce récit des tueurs va se greffer la parole des témoins et des rescapés, quand il y en a. A préciser que les rescapés sont fragiles et minoritaires dans ce processus de justice.
Une autre réalité sera prise en charge par les Gacaca: le viol reconnu comme arme du génocide [2].
On ne peut pas dire que les accusés aient été défavorisés dans ces procès qui se déroulent parfois en extérieur (justice sur le gazon), au plus près des crimes. Le témoin donne l’exemple des Gacaca de Kibuye qui ont été organisées dans le stade même où plus de 10 000 Tutsi ont été exterminés.
Important aussi que les procès puissent se tenir dans la langue du pays, le kinyarwanda. Intéressant de noter qu’on utilise un vocabulaire approprié: quand on dit qu’on “jetait” les enfants dans les latrines, on adopte le même mot que pour “jeter des ordures“. C’est éclairant.
Les acteurs. Le témoin rapporte les propos d’une rescapée qui répète toujours une question obsédante: ” Pourquoi ce sont mes voisins qui ont tué mes enfants“, et non des gens venus d’ailleurs?
Dans les Gacaca, on a jugé des gens de condition sociale différente, pas seulement, comme on le dit à tort, ” des petits tueurs“, notion que l’on ne peut accepter. Même si on doit reconnaître qu’au TPIR ce sont les “planificateurs“, les “organisateurs” qui ont été jugés.
A noter que pendant la période des Gacaca, plus d’une centaine de personnes ont été tuées pour les empêcher de témoigner.
A la fin du génocide, en 1994, environ 120 000 personnes sont incarcérées dans les prisons rwandaises. En 2012, il en reste 60 000 emprisonnées pour génocide.
Le Rwanda post-génocidaire est marqué par le miracle économique dans la ville de Kigali. Mais le témoin, qui travaille auprès des rescapés, a une vision moins idyllique de la situation. Malgré la sécurité qui règne au Rwanda, les rescapés continuent à vivre dans une forme de crainte. Ils ont peur de retourner sur les terres familiales.
“Les enfants chefs de famille” ne sont pas retournés non plus sur les collines, par peur. A la période des commémorations, en avril, “les tueurs continuent à proférer des menaces, à tuer la vache du rescapé, à déféquer devant sa porte...” Et à chaque commémoration, on assiste à des réactions traumatiques. Des cris, des hurlement s’élèvent des tribunes des stades ou des lieux de rencontre: “Baraje! Ils arrivent!” Et ce malgré les demandes des autorités de bannir des écrans les images de tueries, d’entonner des chants moins tristes et plus porteurs d’espoir. La société rwandaise est vraiment fragilisée par le génocide: victimes et bourreaux sont condamnés à vivre ensemble, surtout sur les collines.
Le président énumère tous les lieux de justice: le TPIR qui a fonctionné de novembre 1994 au 31 octobre 2015 (environ 90 personnes jugées et une soixantaine de condamnation), les Gacaca qui ont traité près de deux millions de dossiers et les juridictions classiques nationales. Le témoin précise que jusqu’en 2008, les Gacaca ne jugeaient que les catagories2/3 et 4. A partir de cette date elles pourront juger aussi les crimes de catégorie 1 et les crimes de viol. Au Rwanda, on juge également les personnes qui sont extradées. (NDR. A noter que la justice française a toujours refusé (trentaine de décisions) de renvoyer au Rwanda les personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide sous le prétexte fallacieux que la loi organique qui punit le génocide au Rwanda est postérieure au génocide. Nous avons beau dénoncer cet état de fait – voir article de Danien ROETS, professeur de droit à l’Université de Limoges – la Cour de Cassation garde sa même jurisprudence).
L’impunité qui a eu cours pendant plus de trente ans a favorisé l’impunité, reconnaît monsieur DE JORNA. Le témoin reconnaît qu’effectivement, les crimes des années 50/60 ont été amnistiés. Les Gacaca ont bien contribué a faire comprendre qu’il en était fini de cette impunité: “Les Gacaca ont été une réponse judiciaire à l’impunité.”
“Les aveux”? questionne le président. “Contrition sincère ou aveux de circonstance pour obtenir des allègements de peine?” Madame DUMAS doit bien reconnaître que la contrition était très souvent absente de ces jugements et que le “calcul” était de règle.
“Des phénomènes de faux témoignages, de délations“? poursuit le président. “Dans un processus d’une telle ampleur, répond madame DUMAS, il y a bien sûr eu des cabales, des témoignages fabriqués. Très souvent, concernant les vols, les gens condamnés à rembourser leurs victimes ne le font pas. 14% des personnes jugées seront toutefois acquittées. Ne pas oublier que dans les Gacaca il n’y avait ni avocats ni magistrats. la première partie a consisté en la récolte des témoignages, ce qui peut s’apparenter à une instruction dans notre système judiciaire. Les accusés comparaissaient soit libres soit détenus. Un nombre important de suspects avaient été libérés pour diverses raisons: grand âge, maladie, jeune âge, aveu de leurs crimes…” Ne pas oublier aussi le contexte religieux dans lequel se sont déroulés les massacres, ainsi que le fait que tous les Hutu n’ont pas été des génocidaires, et que d’autres ont été des victimes.
Le président revient sur la notion de “tueur/sauveteur“: on sauve mais on tue!”
Concernant cette cette notion, madame DUMAS évoque ce qu’elle appelle “les parodies de mariages“: on accueille les femmes tutsi pendant le génocide, on les sauve mais on les viole. Elles deviennent des “objets sexuels“. Mais l’argument qui consiste à dire “j’ai sauvé un Tutsi” peut se retourner contre celui qui le dit. On peut alors lui reprocher de ne pas en avoir sauvé d’autres. D’autres personnes ont été condamnées pour complicité, même dans les affaires de viol: celui qui désigne “la proie”, celui qui la dénonce, celui qui incite au viol. C’est l’occasion pour le témoin de souligner le rôle des femmes dans le génocide: 6% des génocidaires ont été des femmes, elles qui “ont fermé l’espace politique du refuge” selon le témoin.
Le président, probablement pour détendre l’atmosphère, évoque le livre “Petit Pays“ [3], “goncourable”, (NDR: il ne l’est plus depuis), comme événement susceptible de libérer la parole. Le témoin précise qu’au Rwanda la parole s’est libérée rapidement. Des groupes de parole existent. C’est l’association IBUKA (“Souviens-toi” en kinyarwanda) qui tente de venir en aide aux rescapés. Quant à savoir si c’est aussi une force politique, le témoin répond que cela dépend de la personnalité du président.
Monsieur DE JORNA cherche à savoir si les procès qui se déroulent en dehors du Rwanda ont un impact dans le pays. Si l’on parle des procès du TPIR, que le Rwanda souhaitait voir siéger au Rwanda, ils ont eu peu d’impact. Tous les documents n’étaient pas traduits en kinyarwanda, il n’y avait aucun suivi des victimes qui témoignaient. A propos de ce procès en assise, madame DUMAS avoue qu’il n’y a eu qu’un reportage à la télévision. Au Rwanda, “on ne comprend pas le fonctionnement de la justice française. Ce sont plus les refus d’extraditions qui ont on retentissement“. (NDR: des radios nationales ont aussi diffusé des interviews du président du CPCR, le quotidien Newtimes a aussi publié des articles.)
Concernant la relation Hutu/Tutsi, même si au Rwanda tous sont des rwandais, les gens se connaissent. “Imaginez un rescapé de la Shoah qui épouserait un enfant de nazi!” La composition des jurés dans les Gacaca ne tenait pas compte de “l’appartenance ethnique“. Par contre, il y avait un souci de parité entre hommes et femmes. Les Gacaca ne pouvaient pas prononcer de peine de mort, peine supprimée au Rwanda en 2007.
Maître Domitille PHILIPPART interroge le témoin sur la notion du négationnisme. “ Il existe une vulgate officielle qui fait commencer le génocide en 1959. Plusieurs type de négationnisme sont évoqués: celui qui vient de l’extérieur (PÉAN par exemple), celui qui consiste à défendre l’armée française, celui des tueurs eux-mêmes. Les condamnés du TPIR, de leur côté, ne reconnaissent souvent qu’un seul génocide, celui des Hutu!” Autre exemple de négationnisme, celui que l’on trouve dans les livres publiés par l’édition “Les Sources du Nil“. Les rescapés de Bisesero y sont présentés comme faisant partie de l’armée du FPR! Dans certains milieux, on continue à attribuer l’attentat contre l’avion de HABYARIMANA au FPR! Mais quel que soit l’auteur, cela change-t-il le fait que le génocide des Tutsi a eu lieu?
A la question de monsieur Ludovic HERVELIN-SERRE qui voudrait savoir si existe au Rwanda une soumission à l’autorité, le témoin rétorque que ce n’est pas un trait culturel. Il n’y a pas d’obéissance systématique. Il n’est qu’à voir la liberté qu’ont prise les tueurs dans les atrocités commises. “Travailler” voulait bien dire “tuer“. Il s’est opéré une “routinisation des massacres“. Et il est clair que le génocide était bien préparé: distribution d’armes, mise en place de la “défense civile“… Si Kigali a été le “centre névralgique” du génocide, on note des massacres de masse très tôt à Cyangugu, par exemple, à l’autre bout du pays. A la question de savoir si le préfet RENZAHO a fait nettoyer la ville, le témoin conseille de voir le documentaire de Jean-Christophe KLOTZ: “Des images pour un massacre” qui montre les camions-bennes ramasser les cadavres dès la seconde semaine. Il était donc impossible, si on était à Kigali, de ne pas voir de cadavres. Pire, “ça pue la mort“. “Y aurait-il une perte de repères temporels chez les témoins”, demande l’avocat général? C’est une constante dans les témoignages de voir les témoins perdre les repères spatio-temporels. “Le jour était la nuit, la nuit était le jour” avouera un témoin. Un témoin peut aussi donner des versions différentes des mêmes faits vu l’intensité du traumatisme.
Monsieur CROSSON DU CORMIER s’étonne qu’au Rwanda on ne connaisse pas le système judiciaire français. (NDR: étonnant effectivement. Le président du CPCR, à chacun de ses séjours au Rwanda, explique comment fonctionne la justice française, tout particulièrement lors des refus d’extrader!)
Maître FOREMAN, avocat du CPCR, souhaiterait que le témoin éclaire les jurés sur le journal Kangura et sur la parution de nombreuses “feuilles de chou” dont on peut voir de nombreux exemplaires dans les archives des Dominicains. Et de faire allusion au journal Ikinani, journal auquel SIMBIKANGWA a participé.
Maître BOURGEOT, avocate de la défense, prend la parole à son tour, mais pour poser des questions déjà évoquée comme la médiatisation des procès de France au Rwanda. Contrairement à ce qu’elle dit, les Gacaca n’ont pas traité que du génocide rural. A Kigali il y a eu de nombreux procès. L’avocate rappelle aussi que les rapport entre le TPIR étaient souvent tendus. Le témoin rapporte alors l’exemple connu de la femme qui témoigne du viol qu’elle a subi et à qui un magistrat va demander depuis combien de temps elle ne s’était pas lavée. (NDR: ce qui avait entraîné des sourires dans l’assistance et la colère des autorités rwandaises). D’où la décision du Rwanda de ne plus collaborer avec le TPIR.
Monsieur SIMBIKANGWA, à qui la parole est donnée en dernier, n’a pas de commentaire à faire.
Projection du documentaire “Tuez-les tous (Rwanda. Histoire d’un génocide sans importance)“, réalisé par Raphaël GLUCKSMANN, David HAZAN et Pierre MEZERETTE diffusé le 17 novembre 2004.
L’audience est suspendue à 16 heures.
Attention! Lundi 7 novembre dans la matinée, messieurs CRUVELLIER et TWAGIRAMUNGU initialement prévus ne viendront pas. Ils seront remplacés par Pierre PÉAN, cité aussi par la défense.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
1. Hélène DUMAS, Le génocide au village. Le massacre des Tutsi au Rwanda – Seuil, Paris (2014). Pour plus de références, voir notre page “Bibliographie“.
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2. Quelques références à ce sujet :
“Le viol comme méthode de génocide au Rwanda” (Courrier International, 1/10/03)
“Le rôle des femmes dans le génocide des Tutsis” (Collectif VAN, 7/2/11)
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3. Gaël FAYE, Petit pays – Grasset, Paris (2016). Pour plus de références, voir notre page “Bibliographie“.
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Procès en appel de SIMBIKANGWA. Vendredi 4 novembre 2016. J7
05/11/2016
• Rapport de René DEGNI-SEGUI, envoyé spécial des Nations Unies au Rwanda.
• Audition de Gaspard MUSABYIMANA, écrivain/éditeur, chercheur, cité par la défense.
Le témoin René DEGNI-SEGUI, qui devait être entendu ce jour, réside en Côte d’Ivoire et pour des raisons de logistiques, il n’a pu faire le déplacement à Bobigny: ces exigences pour le transport n’avaient pu être satisfaites. Une visioconférence avait été envisagée mais son pays n’était pas en mesure de l’organiser. Le tribunal décide de passer outre sans toutefois renoncer à l’entendre [1]. Il est donc décidé, en attendant, de procéder à une lecture du rapport qu’il a remis en 1994.
La Cour décide de passer outre concernant les auditions de messieurs Thierry CRUVELLIER (injoignable) et Faustin TWAGIRAMUNGU (malade) prévues lundi 7 novembre. La défense demande à faire entendre monsieur Pierre PÉAN!
Monsieur René DEGNI-SEGUI, envoyé spécial des Nations Unies au Rwanda.
Monsieur René DEGNI-SEGUI était membre de la Mission d’enquête de la FIDH en 1993 aux côté de jean CARBONARE et autres militants des droits de l’Homme. En juin 1994, il se rendra au Rwanda en tant qu’envoyé spécial des Nations Unies. Monsieur le président propose de faire la lecture du rapport qu’il a rédigé.
Rapport du 28 juin 1994 [2]. Lors de son séjour au Rwanda, monsieur DEGNI-SEGUI a rencontré toutes les parties en présence et visité des lieux symboliques, tel que le Stade Amahoro.. L’attaque de l’avion est présenté comme “la cause immédiate des événements dramatiques” qui continuent à se dérouler. Le rapporteur note une certaine frustration des personnes rencontrées, en proie à la terreur des milices. Monsieur DEGNI-SEGUI parle de massacres “d’une ampleur inégalée” perpétrés par les Interahamwe. Dans la zone occupée par le FPR, il note qu’il y a eu peu de morts. Les massacres ont visé les Tutsi et les Hutu modérés, “contre des personnes nues et sans défense“. Le génocide s’est répandu dans tout le pays suite aux exhortations des autorités politiques. S’est organisée aussi une “chasse à l’homme de maison en maison“.
A ce stade de la lecture, monsieur Régis DE JORNA interroge l’accusé. ” Monsieur SIMBIKANGWA, vous étiez sur place. Vous venez d’entendre la lecture du rapport. Comment expliquez-vous que vous n’avez rien vu?”
Monsieur SIMBIKANGWA. “Mon problème n’est pas de ne pas reconnaître des morts. Je suis sorti un peu tard, la première fois le 9 avril. La mairie avait déjà déplacé les corps. J’ai la chance de ne pas avoir vu les morts. Béatrice m’a fait souvenir d’un corps qui brûlait à Nyamirambo. A cause du couvre-feu le 7, je ne suis pas sorti. Les FAR et le FPR étaient là et j’ai toujours pensé que ces deux forces se battaient. Les deux gardes qui m’accompagnaient sont sortis le 8 pour accompagner mon “frère” (Bonaventure MUTANGANA) qui était allé chercher monsieur HIGIRO. On sait bien que les Tutsi étaient menacés de puis 1960!”
A la question du président qui insiste sur sa sortie du 9, l’accusé parle de “malveillance à son égard.” “Je ne suis ni PLATON ni SOCRATE. Je suis intègre. Si je n’ai rien vu! Pas vu de corps sur la route!” Il parle de la “profondeur de la catastrophe, si importante“, pour ajouter que “les Rwandais sont devenus des menteurs. Ce qu’on raconte sort de la vérité”! (NDR. Propos pas toujours cohérents, raisonnement difficile à suivre).
Monsieur DE JORNA demande à l’accusé si les images qu’on a vues (projection de la veille “Tuez-les tous“) sont truquées. “S’agit-il d’un montage?”
Comme à son habitude, l’accusé ne répond pas à la question: “Il y a eu des morts, même dans mon entourage, dans ma famille. On ne veut pas reconnaître la vérité”. Évoquant son cas personnel: “On prend l’innocent, on le rend fautif!”
Le président insiste. “On insiste parce qu’on est incrédules face à votre témoignage. On lit dans le dossier que vous n’avez jamais vu de cadavres, que les images ont été faites par la télévision américaine à Byumba dans la zone tenue par le FPR“. SIMBIKANGWA de répondre: “Il y a eu des morts dans la zone tenue par le FPR. Je suis un homme juste. J’ai fait 8 ans de prison à partir d’un dossier faux. Rien ne peut démontrer que je ne dis pas vrai. Jamais je n’aurais fait 8 ans de prison si on avait suivi les juges!”
Le président lui rappelle que c’est bien la justice française qui l’a déféré devant la Cour d’assises, ce ne sont pas des témoins. “C’est un magistrat français qui a pris les décisions. Le titre de la détention a été rédigé par un magistrat“. L’accusé ferraille à nouveau: ” Cette fois, j’espère que la justice de France ne va pas se faire abuser!”
Revenons au rapport de DEGNI-SEGUI [2]. On parle de “massacres programmés” en côte D186. On évoque ” la haine des médias et du gouvernement“, on parle de “distributions d’armes à la population, d’entraînement des miliciens“. Le rapporteur note la “rapidité des massacres juste après l’attentat!” Des barrières ont été installées 30 à 45 minutes après la chute de l’avion. La liste des personnes à exécuter circule et on assiste à l’assassinat des leaders. On décrit “l’horreur des tueries” et vous dites que vous n’êtes pas sorti! Avant 1994, il y a eu une exhortation à la haine ethnique! “Vous, vous êtes au courant de cela. Le renseignement était votre métier?”
Pour toute réponse, SIMBIKANGWA rappelle que “DEGNI-SEGUI faisait partie de la commission CARBONARE, commission qui a fait beaucoup de fautes. Ils ont refusé de me recevoir. Avant la mort de HABYARIMANA, il n’y avait rien!” Quand le président lui demande s’il n’a jamais entendu de messages de haine, l’accusé évoque “Radio Muhabura”, la radio du FPR, le “pendant” de la RTLM qu’il n’écoutait que rarement: “C’était ma radio mais elle ne me fournissait pas ce que je voulais” (NDR: il en était actionnaire.)
Et la distribution massive des armes? “Je n’en ai pas été témoin mais je l’ai appris. les armes distribuées aux Interahamwe ont été récupérées“. Et les barricades? “Il y avait des barrières depuis 1990. Les civils ne les ont occupées qu’après pour lutter contre les pillard et les voleurs!
Lorsque le président continue la lecture du rapport en soulignant les violations des droits de l’Homme causées par le refus de l’alternance, l’incitation à la haine, l’impunité… l’apparition du Hutu Power, l’assassinat de la première ministre…, l’accusé se déclare en désaccord avec l’analyse de DEGNI-SEGUI. Pour lui, le président de la république avait fait trop de concessions à l’opposition.
Maître EPSTEIN surgit et dénonce le fait qu’il ne peut y avoir de “débat contradictoire” en l’absence du témoin.
Imperturbable, le président poursuit la lecture du rapport. Incitation ethnique et violence, tueurs assoiffés de sang et qui s’apprêtent à exterminer, publication des Dix commandements des Bahutu, la RTLM inoffensive dans ses programmes en langue française mais très agressive en Kinyarwanda! Monsieur DE JORNA s’étonne de n’avoir jamais entendu l’accusé dénoncer ces exactions. Ce dernier se défend comme il peut. Et quand un juré l’interroge sur la liste des personnes à exécuter, SIMBIKANGWA répond que son nom est aussi sur cette liste. Mais on lui fait remarquer qu’il ne sera pas exécuté! (NDR: parle-t-on bien de la même liste? A ce stade, on se perd un peu dans les explications!)
Maître Rachel LINDON, pour la LICRA, pose des questions courtes. Doit-elle l’appeler Capitaine? “Appelez-moi Général” ironise l’accusé. L’avocate évoque les non-lieux de la fin de l’instruction. L’accusé signale qu’il s’agit de celui qui concerne madame UMULINGA, ce que réfute maître PHILIPPART qui signale que c’est parce que les faits étaient prescrits que madame UMULINGA est sortie du dossier.
Maître LINDON poursuit. “La feuille liminaire déclare un non-lieu pour les faits de Kesho [3]. Mais vous n’avez pas vu un cadavre. Vous avez un problème de vue, d’odorat, d’ouïe? 65 000 morts, rien entendu, rien vu, rien senti? “Les odeurs, je les ai entendues (sic) partout!” répond l’accusé qui perd un peu pied. Ce dernier, questionné sur la RTLM et la notion de “cafard“, “d’Inyenzi“, va expliquer l’origine et l’emploi du mot [4]. “Vous avez un téléphone”, poursuit l’avocate, vous n’appelez personne?” L’accusé reconnaît qu’il a appelé la Présidence et la Garde présidentielle.
Au tour de l’avocat général de questionner l’accusé: il veut savoir quelle importance s’accorde l”accusé à cette époque. “Même si je ne travaillais plus, j’étais important!” Monsieur CROSSON DU CORMIER veut savoir aussi pourquoi il figure sur cette fameuse liste des 200. Après avoir répondu à côté de la question, il déclare que c’est parce qu’il est un proche de HABYARIMANA.
Va suivre une discussion tendue concernant les différents non-lieux partiels contenus dans le dossier. Les raisons? Ou bien certains faits étaient prescrits (torture et barbarie), ou bien les charges n’étaient pas suffisantes (Kesho [3], morts de la famille UMULINGA). Maître EPSTEIN a beau vouloir dire que c’est parce qu’il y avait de faux témoins, il lui est répondu que ce n’est pas la raison officielle: pas de charges suffisantes.
Maître FOREMAN tente, malgré les protestation de la défense, d’expliquer la démarche du CPCR dans sa constitution des plaintes. Il s’en prend à la défense qui voudrait faire croire que les non-lieux sont “des brevets d’innocence“. “C’est FAUX”, martèle l’avocat, “l‘accusé a bénéficié de charges insuffisantes!”
L’avocat général monsieur CROSSON DU CORMIER se lance dans une leçon pédagogique en direction des jurés qui doivent se sentir un peu perdus par la tournure que prennent les débats. “Personne n’a contesté la présence du CPCR comme partie civile. C’est vous, les jurés, qui allez juger. Des non-lieux ont été prononcés sur des faits dont le juge pense qu’ils ne sont pas suffisamment prouvés. Je suis là pour soutenir l’accusation. Le Parquet n’a pas fait appel concernant les non-lieux prononcés. Vous serez 12 à départager tout ce qui a été dit. Les faits sont graves“.
Cette intervention ramène un peu de sérénité dans les débats, ce dont se félicite la défense qui questionne alors son client. Maître EPSTEIN veut que l’accusé dise clairement quel était son statut en 1994. Il veut surtout faire entendre que SIMBIKANGWA n’était plus celui qu’il avait été. Une question sur Radio Muhabura donne l’occasion à l’accusé de préciser qu’il s’agit de la radio du FPR, une radio de propagande en vue de la prise du pouvoir. L’avocat veut savoir aussi pourquoi son client n’a pas dénoncé les massacres. L’accusé revient sur son livre La guerre d’octobre (1991) [5] pour attribuer au FPR la responsabilité de ce qui est arrivé. “Le FPR savait qu’avec la guérilla qu’elle menait cela allait entraîner la haine tribale. je me suis inquiété pour les Tutsi. Je voulais que cette guerre s’arrête“.
Le dialogue de l’avocat avec son client se termine sur le rapport de DEGNI-SEGUI. ” Guerre/génocide? C’est une question politique plutôt qu’ethnique. Le FPR a tout fait pour semer le chaos et prendre le pouvoir.”
Audition de monsieur Gaspard MUSABYIMANA, écrivain/éditeur, chercheur, cité par la défense.
Le témoin déclare avoir connu l’accusé alors qu’il travaillait lui-même au Service de renseignements comme Directeur des Ressources humaines. ” C’était un fonctionnaire comme les autres. Je le connais comme quelqu’un de courageux. je n’ai rien de répréhensible à dire contre lui“. Il s’étonne qu’on puisse reprocher à SIMBIKANGWA d’avoir commis le génocide. “En fauteuil roulant? C’est comme si on disait que la limace a brûlé la forêt!” La déposition spontanée du témoin s’arrête là et on comprend très vite qu’on n’en saura pas beaucoup plus, même avec la série des questions qui va suivre.
Le président veut connaître l’organisation du Service Central du Renseignement et savoir si le témoin avait des liens privilégiés avec l’accusé. Le témoin décrit l’organigramme: quatre sections (immigration/renseignement intérieur/renseignement intérieur/ressources humaines). Le témoin est directeur de ce dernier secteur. Rien de plus sur l’accusé.
Monsieur DE JORNA évoque le fait que le témoin s’est rendu au TPIR dans deux affaires: celle de Casimir BIZIMUNGU et celle de Protais ZIGIRANYIRAZO, alias monsieur Z, frère de madame HABYARIMANA. Monsieur MUSABYIMANA reconnaît qu’il s’est rendu au TPIR à la demande de maître PHILIPPOT qui voulait qu’il intervienne comme expert. Son rapport s’intitule “De l’Akazu et de son instrumentalisation politique (août 2006). Vont suivre des explications de texte sur les notions d’Akazu, de Réseau Zéro, d’Escadrons de la mort [6].
Akazu [6].
Selon le témoin, ce mot est entré en politique en 1991 avec la naissance du multipartisme, et ce pour discréditer les proches de HABYARIMANA. Etre membre de l’Akazu représentait un danger, et accuser quelqu’un d’y appartenir avait pour but de la salir. Les proches d’Agathe HABYARIMANA sont cités comme faisant partie de l’Akazu (Élie SAGATWA, ZIGIRANYIRAZO…(NDR. Sans oublier Séraphin RWABUKUMBA peu cité et qui n’a jamais été inquiété!) Le témoin se présente comme un chercheur et non comme un proche du pouvoir. Il était membre du MRND. Le témoin évoque aussi l’existence des “ennemis infiltrés“, ces membres du FPR qui détiennent le pouvoir économique. De citer Valens KAJEGUHAKWA, “combattant infiltré“!
Au président qui fait remarquer que le TPIR a utilisé le mot Akazu comme une base de ses accusations, le témoin ne manque pas de faire remarquer à son tour que “Z, accusé d’appartenir à l’Akazu a été acquitté” (NDR. Z a été acquitté en appel mais le témoin se garde bien d’en donner les raisons. Les cinq juges de la chambre d’appel ont conclu que leurs collègues s’étaient “gravement fourvoyés dans le traitement des preuves” et qu’il n’y avait pas d’autre choix que l’acquittement.)
Le témoin va conclure sur le sujet en déclarant que l’Akazu n’a jamais existé. Il s’oppose en cela à madame Alison DESFORGES, qui “a commis beaucoup d’erreurs“. Le témoin en profite pour égratigner les chercheurs qui s’auto nourrissent sans jamais confronter leurs recherches. Et d’ajouter qu’il y a des “failles criantes” dans le rapport de la FIDH de 1993.
Le Réseau Zéro [6].
Cette notion a été inventée par Christophe MFIZI, alors conseiller du président. Ayant eu des démêlés avec monsieur Z, il a été renvoyé de l’ORINFOR (NDR: Office Rwandais d’Information). Il a alors publié un rapport qui lui a ouvert les portes du parti MDR. Il s’agit donc d’une vengeance contre Z. Pour le témoin, MFIZI a pratiqué “la politique du ventre“.
Les Escadrons de la mort [6].
Ce terme n’est pas propre au Rwanda et a été inventé, voire importé par Janvier AFRICA. Ce bagagiste de l’aéroport a fondé un journal, UMURAVA Magazine. Il avait été recruté comme indicateur par SIMBIKANGWA et a été récupéré par Édouard KARAMIRA du MDR. Ce sera ensuite le FPR qui le récupèrera à son tour. Mais le FPR ayant tué ses parents, il a fui le pays. On prétend que les membres des Escadrons de la mort se réunissaient chez SIMBIKANGWA au lieu dit La Synagogue. Le témoin conclut le sujet en disant que l’Enquête citoyenne a été à son tour abusée par Janvier AFRICA. Pour MUSABYIMANA, “tout a été diabolisé pour discrédite le régime HABYARIMANA en vue de prendre le pouvoir”.
“MUSABYIMANA, chercheur ou défenseur de ZINGIRANYIRAZO?” interroge le président qui fait allusion à un article publié par le témoin et intitulé: “L’usage abusif de la notion de constat judiciaire devant le TPIR” (mai 2010), texte diffusé lors d’une conférence qui s’est tenue à Bruxelles.
Le témoin s’explique. “Ce document ne concerne pas la notion de génocide mais porte sur le fait qu’il s’agit d’un conflit venu d’Ouganda“. Monsieur MUSABYIMANA conteste “les arrêts abusifs du TPIR, les rapports biaisés des experts, la genèse de l’agression du Rwanda par l’Ouganda, les faits et les témoignages sur l’agression du Rwanda par le pays voisin. Pour lui, en 1990, “c’est l’Ouganda qui agresse le Rwanda!”
A la question du président qui veut savoir si le témoin conteste l’existence d’un génocide au Rwanda, ce dernier lui réplique assez vertement: ” Vous mélangez beaucoup de choses! Je dis simplement que le constat judiciaire a coupé court à toute discussion.”
Colère de maître EPSTEIN: ” Ce qu’on est en train de faire, c’est du n’importe quoi. Heureusement que le témoin se défend bien“.
Un assesseur cherche à savoir comment on était recruté par le SCR. Le témoin répond qu’il était fonctionnaire et qu’on l’a nommé à ce poste. Quant à SIMBIKANGWA, il a été nommé aussi, peut-être en sa qualité d’handicapé laisse entendre le témoin.
La réputation de SIMBIKANGWA? Manifestement, le témoin ne veut rien en dire. Il sait simplement qu’il “a publié un livre quand il était infirme“.
Une autre question adressée au témoin va encore mettre l’avocat de la défense hors de lui. “Vous êtes chercheur, mais dans quel domaine?” Maître EPSTEIN s’insurge contre le fait que c’est la première fois qu’on pose cette question à un témoin de contexte. Il retiendra la leçon! Monsieur MUSABYIMANA reconnaît que sa position est contraire à celle d’autres chercheurs mais il confirme que, pour lui, c’est bien l’Ouganda qui est à l’origine de la guerre déclenchée en octobre 1990. Thèse minoritaire ou pas, c’est la sienne.
Maître Justine MAHASELA, pour la LICRA, interroge à son tour le témoin. “Madame Alison Des FORGES avait le statut d’expert au TPIR. Et vous?” Le témoin tente des explications mais l’avocate l’arrête et lui signale qu’on lui a refusé le titre d’expert pour lui reconnaître simplement celui de “témoin factuel“.
Maître FOREMAN, pour le CPCR, commence par dire qu’il se sent “frustré” car le témoin avait été présenté comme un témoin des faits alors qu’il n’a finalement que très peu connu SIMBIKANGWA! (NDR. Je pense qu’il en savait beaucoup plus sur l’accusé. Tout le monde, au Rwanda, connaissait la réputation de SIMBIKANGWA. Pas lui?)
Maître FOREMAN de poursuivre. “Votre blog, monsieur MUSABYIMANA, c’est de la recherche ou de la polémique?” Et de faire allusion à un article tendancieux intitulé: ” La France serait-elle prête pour une nouvelle humiliation au Rwanda?” ( NDR: Le témoin commente l’envoi de l’ancienne ministre de la Justice au Rwanda pour représenter la France aux 20èmes commémoration du génocide des Tutsi).
” Comme ministre française de la Justice, TAUBIRA peut encore inscrire à son actif le récent procès de Pascal SIMBIKANGWA et faire valoir ce bilan à Kigali. Ce procès est tellement vicié que l’Appel fait par les avocats du condamné a été retenu“. Tels sont les propos du témoin dans cet article publié le 4 avril 2014.
(NDR. Madame TAUBIRA n’ira finalement pas au Rwanda. L’ambassadeur de France à Kigali, nommé pour représenter la France, sera éconduit par les autorités rwandaises. D’autre part, le témoin sait très bien que l’Appel est un droit et qu’il ne présage en rien de l’innocence de l’accusé. Il est ridicule et malhonnête pour un homme instruit, d’avancer comme argument le fait que le procès ait été “vicié”.)
L’avocat général, monsieur CROSSON DU CORMIER, rebondit sur la question. Il attire tout d’abord l’attention du témoin que nulle part il n’est fait mention de son ancienne appartenance au SCR. Il lui fait remarquer ensuite, à lui qui n’est pas juriste, qu’il appréhende mal la notion de “constat judiciaire” qui est un terme juridique. Il poursuit: ” Vous connaissez “l’autorité de la chose jugée”? Les Rwandais partis en 1959 ont-ils perdu la nationalité rwandaise? Vous, vous vivez en Belgique. Vous êtes Belge. (NDR. Le témoin n’est plus Rwandais car la Belgique n’accepte pas la double nationalité.) En 1990, ce sont bien des Rwandais qui rentrent au Rwanda. Et vous, vous prétendez qu’il s’agit d’une guerre de l’Ouganda contre le Rwanda!” Et d’enfoncer le clou: ” On est dans une Cour d’assises qui juge des faits graves, Monsieur, des crimes commis dans un contexte particulier. Pourquoi parlez-vous de conflit international?”
Maître EPSTEIN vole à nouveau au secours du témoin qu’il a fait citer. “C’est du n’importe quoi!La contestation du constat judiciaire concerne bien le caractère international de l’agression et non la reconnaissance du génocide!”
Monsieur l’avocat général apprécie peu les propos de la défense: ” J’ai entendu que j’étais ridicule, que c’est n’importe quoi!” Et pointant du doigt l’avocat: ” Je préfère dire n’importe quoi qu’être n’importe qui!” C’est dit!
Maître EPSTEIN de remercier alors le témoin de “tenir dans cet environnement difficile”. Et d’ajouter: ” Vous avez été témoin de BIZIMUNGU et de ZIGIRANYIRAZO. Tous deux ont été acquittés!” CQFD (NDR. L’avocat irait-il jusqu’à dire que les deux personnes poursuivies doivent leur salut au témoin?)
Et pour conclure, de s’étonner qu’un témoin puisse se faire interroger comme s’il était accusé!
L’audience est suspendue vers 18h45.
Rappel. C’est bien Pierre PÉAN, avec les idées qu’on lui connaît, qui sera entendu lundi matin en lieu et place de messieurs CRUVELLIER et TWAGIRAMUNGU. Pierre PÉAN est l’auteur, entre autre, de l’ouvrage Noires fureurs, blancs menteurs et de nombreux articles mensongers sur le CPCR et ses responsables.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
1. René DEGNI-SEGUI sera finalement entendu le 10 novembre.
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2. “Rapport sur la situation des droits de l’homme au Rwanda, soumis par M. R. Degni-Ségui, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme” téléchargeable ici (site de “La France au cœur du génocide des Tutsi” de Jacques Morel).
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3. Plus de mille Tutsi on été tués sur la colline de Kesho. Si la présence de SIMBIKANGWA a fait l’objet d’un “non lieu“, à Kesho, on se souvient de Simbikangwa (Africa n°1, 31/1/2014 et plusieurs témoins l’avaient cité en première instance : Théoneste HABARUGIRA (24/2/2014) – Michel KAGIRANEZA (20/2/2014). Voir aussi : les rescapés de Kesho se souviennent de Simbikangwa (vidéo AFP – 31/1/2014).
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4. Inyenzi : “cafard” en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste. Cf. glossaire.
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5. Nombreux sont ceux qui dénoncent les dérives racistes de “La Guerre d’octobre” écrit par Pascal SIMBIKANGWA, en particulier une lettre du 6 août 1962 qu’il reprend page 50 (déjà évoquée par Maître FOREMAN lors de l’audition de Jacques SEMELIN).
Télécharger le document : 1ère partie (6,4 Mo) – 2ème partie (7 Mo)
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6. Le génocide des Tutsi n’a pas surgi de manière spontanée au Rwanda. Il est au contraire le produit d’une organisation particulièrement sophistiquée, reposant sur des réseaux d’influence intimement imbriqués. A lire dans la rubrique “Focus” : les réseaux d’influence
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Procès en appel de SIMBIKANGWA. Lundi 7 novembre 2016. J8
08/11/2016
Une délégation venue de Kigali (AERG/GAERG) et conduite par l’EGAM assiste à l’audience du matin en soutien aux parties civiles. Merci à tous.
• Audition de Pierre PÉAN, journaliste/écrivain, cité par la défense.
• Audition de Renaud GIRARD, journaliste au Figaro,
professeur à l’IEP de Paris (Institut d’Études Politique).
• Audition de monsieur Philippe CEPPI, journaliste suisse.
Audition de Pierre PÉAN, journaliste/écrivain, cité par la défense.
Le témoin est entendu en vertu du pouvoir discrétionnaire du président. Il est donc dispensé de prêter serment. Monsieur PÉAN commence par s’adresser à la Cour: “ Vous avez une tâche difficile, celle de juger un homme dans un système déséquilibré, largement injuste”. Et de reprocher à cette même Cour de défendre une thèse battue en brèche depuis longtemps: celle de l’entente en vue de commettre le génocide. “BAGOSORA, considéré comme le cerveau du génocide, a été lavé de l’accusation d’entente… L’attentat (contre l’avion de HABYARIMANA) a été le facteur déclenchant du génocide.” Et de citer Carla del PONTE: ” S’il est avéré que c’est le FPR qui a abattu l’avion, c’est toute l’histoire du génocide qui devrait être réécrite.”
Pierre PÉAN, à qui le président a fait remarquer qu’il ne devait pas lire ses notes, commence à perdre pied. Long silence… On fait asseoir le témoin qui a du mal à se remettre. L’audience sera suspendue 15 minutes.
De retour dans la salle d’audience, le témoin répète: ” Vous avez une tâche difficile, celle de juger un homme dans un système déséquilibré pour la défense, largement injuste!” Et de redire que la thèse soutenue par la Cour ne tient pas compte de l’attentat et de ses commanditaires. Il s’agit là d’une question essentielle. Il n’y a pas eu d’enquête internationale, “refusée par le FPR et les Américains“. Et de rappeler que le juge BRUGUIERE a lancé neuf mandats d’arrêt internationaux contre neuf personnes proches du président KAGAME: ce qui va créer une grave crise politique. Et de refaire l’historique de cette crise en évoquant “le rapport MUCYO” qui met en cause nombre d’autorités françaises. D’évoquer aussi le témoin Émile GAFIRITA qui prétendait avoir transporté les missiles de Mulindi à Kigali et qui a disparu avant d’être interrogé! (NDR. Même son avocat n’avait pas réussi à le localiser. Témoin fantôme?) Un autre témoin, Kayumba NYAMWASA, réfugié en Afrique du Sud, a souhaité lui aussi témoigner tardivement: il désigne KAGAME comme responsable de l’attentat! L’instruction a été rouverte par les juges antiterroristes! Et de répéter, comme si personne n’avait compris: “La thèse que vous défendez ne tient pas compte de l’attentat”.
Le pôle génocide? ” C’est une très bonne idée, il s’inscrit dans l’universalisme, mais pour bien fonctionner, il faudrait une coopération loyale et franche entre deux justices indépendantes. Celle du Rwanda ne l’est pas car le Rwanda est une dictature.” Le Rwanda, une dictature: même Human Rights Watch le dit! “Le gouvernement rwandais ne tolère pas la dissidence… en 2014, plusieurs dizaines de personnes ont été victimes de disparition!” Et, pour appuyer sa thèse, le témoin évoque Gérald GAHIMA ( NDR: ancien procureur général passé à la dissidence après de nombreuses malversations financières!), Filip REYNTJENS qui parle de Paul KAGAME comme du “plus grand criminel en fonction, un dictateur sanguinaire“, du rapport GARRETON. Désireux de se mettre en avant, il fait appel à ses souvenirs personnels: “J’ai connu Victoire INGABIRE qui a été condamnée à 15 ans de prison pour avoir voulu se présenter aux élections présidentielles” (NDR. La vraie raison n’est pas du tout celle-là!) Il a eu un contact avec Patrick KAREGEYA qui voulait venir à Paris pour témoigner mais qui a été étranglé à Johannesburg (NDR. Par le FPR, bien sûr!). Et de revenir sur NYAMWASA qui a été victime de deux tentatives d’assassinat! (NDR. Par le FPR, bien sûr!)
Et de régler alors son compte avec le CPCR et son président. “ La fonction accusatrice du pôle est tenue par le CPCR. Alain GAUTHIER est devenu Rwandais pour services rendus. Il travaille en réalité avec le Procureur du Rwanda: c’est le bras armé du Procureur. Il passe la moitié de son temps au Rwanda et est en accord total avec le Procureur. Alain GAUTHIER et sa femme sont des militants du FPR et le CPCR est une excroissance de la justice non indépendante rwandaise (sic). Alain GAUTHIER est à l’origine de 28 plaintes. Une fois les plaintes déposées, le pôle devrait retrouver un mécanisme normal. Aucun problème pour enquêter hors du Rwanda. Mais enquêter au Rwanda, on retombe sur le fait que c’est une dictature, avec des témoins qui ne sont pas libres!” Et d’appeler à son secours les déclarations de Louise HARBOUR et de Carla del PONTE. (NDR. Est-il utile de préciser que ces déclarations sont mensongères et calomnieuses. Ce sont les mêmes insanités que l’on trouve dans son ouvrage Noires fureurs, blancs menteurs ou dans des articles que le témoin commet régulièrement).
L’outrance des propos de Pierre PÉAN (Noires fureurs – blancs menteurs”) rappelle
celle des médias de la haine.
D’aborder ensuite le thème du négationnisme. Il souligne le déséquilibre qui existe au niveau financier entre l’accusation et la défense, “défense commise d’office et taxée de négationnisme“. Les parties civiles le traitent aussi de négationniste depuis la publication de son ouvrage. La plainte déposée contre lui par SOS Racisme pour “incitation à la haine raciale” semble l’avoir profondément marqué, lui qui est un des parrains de cette association! SOS Racisme qu’il qualifiera plus tard de “faux nez du pouvoir à Kigali“, avec pour avocats Lef FORSTER et Bernard MAINGAIN, les deux avocats du gouvernement rwandais dans l’affaire de l’attentat. Le président reconnaîtra un peu plus loin avec lui qu’aucune infraction juridique ne sera retenue contre lui. PÉAN n’a toujours pas digéré qu’on ait osé comparer son ouvrage à Mein Kampf!
Le témoin espère que la Cour verra le documentaire de la BBC, “An untold story“, documentaire négationniste qui a fait couler beaucoup d’encre et qui, ajoutera le témoin ” défend une thèse à l’opposé de la vôtre“. (NDR. Le président fera remarquer que ce documentaire sera proposé le lendemain à la Cour, juste avant l’audition de Linda MELVERN qui a consacré beaucoup de temps à contester cette version de l’histoire du génocide auprès de la radio anglaise). Le témoin souligne le rôle de l’Ouganda dans le déclenchement de la guerre en 1990, reconnaît que l’armée française a volé au secours des FAR (Forces Armées Rwandaises): “massacres du FPR, contre-massacres des extrémistes hutu, guerre, massacres des deux côtés… Il s’agissait d’une guerre civile même si après le 6 avril on peut parler de génocide.”
Et de conclure. ” Je le répète. Je ne connais pas SIMBIKANGWA ni les raisons pour lesquelles il est poursuivi. Je suis un citoyen démocrate et républicain qui a une haute notion de la justice.”
Le président, monsieur DE JORNA, commence par lui faire remarquer que la Cour n’a aucune thèse liée par la première décision. ” La Cour recherche la vérité et à la fin elle se forgera sa conviction. Il ne faut pas se tromper de procès”. La seule question: ” SIMBIKANGWA est-il coupable au non des faits qui lui sont reprochés?” Le président revient sur les trois pages de Noires fureurs, blancs menteurs qui lui ont valu son procès et veut savoir si aujourd’hui il dirait la même chose. Compte tenu de ce qui lui est arrivé, monsieur PÉAN avoue qu’il changerait probablement la forme, mais sur le fond, il ne modifierait rien.
“Vous avez défini le CPCR comme une excroissance de la justice de Kigali. Vous le dites devant le représentant du CPCR?” questionne monsieur le Président. Pierre PÉAN confirme.
Maître Simon FOREMAN, avocat du CPCR, se dit “embarrassé de poser des questions”. “Vous êtes un témoin de contexte. Votre démarche est-elle celle d’un enquêteur objectif? Vous êtes dans une démarche de défense du rôle de la France. Vous avez choisi votre camp!”
Pierre PÉAN de répondre: “Ma démarche? Je dois remonter assez loin. 54 ans que je vais en Afrique. J’ai été fonctionnaire gabonais, mais je ne connaissais pas l’Afrique des Grands Lacs. En 1993, ma fille vivait au Burundi, ce qui a déclenché mon intérêt pour la région. Et j’ai vu avec horreur ce qui s’était passé. Le Rwanda s’est invité dans ma vie car j’ai participé au sauvetage des enfants d’Agathe (NDR. UWILINGIYIMANA, premier ministre assassinée.) J’ai relayé l’appel de GUICHAOUA!” (NDR. On aurait presque envie de sourire!) En 1996, il a rencontré un révolutionnaire pan africaniste qui était copain avec un des lanceurs des missiles dont il ne peut bien évidemment pas révéler le nom! En 1998, “tout le monde à Kigali reconnaît que le FPR était responsable de l’attentat“. Le témoin révèle que Le Monde diplomatique lui refuse un article: préférence est donnée à Colette BRAECKMAN. “On me reproche de ne pas être allé au Rwanda pour mes enquêtes? poursuit-il. Qu’aurait-on pu apprendre dans une dictature? La vérité ne peut être faite qu’à l’extérieur du Rwanda, avec les dissidents. J’ai enquêté comme j’enquête toujours. Je suis allé aussi sur le rôle de la France. Mes conclusions sont les mêmes que celles de la mission parlementaire: la France n’est pas responsable du génocide. MITTERRAND ne peut pas être comparé à HITLER! (NDR. Ce dont le témoin ne s’est pas privé de faire concernant KAGAME dans les premières pages de son ouvrage). Et d’ajouter: ” Il est difficile aujourd’hui de mener des enquêtes quand une plainte est déposée!” (NDR. C’est faux. Le témoin n’a pas à parler au nom des juges d’instruction et des gendarmes enquêteurs qui, à ma connaissance, disent tout le contraire quand ils se rendent au Rwanda en commission rogatoire.)
Simon FOREMAN: “Le CPCR est le bras armé de la justice rwandaise? Les parties civiles ont les mêmes difficultés que la défense pour retrouver des témoins. Et qu’est-ce que ça changerait que l’avion ait été abattu par les uns ou les autres?”
Monsieur PÉAN bafouille et s’en excuse. Il met son malaise sur le compte de son anxiété à l’idée d’être entendu! Devant le silence du témoin, maître FOREMAN continue: “ Deux thèses coexistent. Doit-on arrêter tous les procès en attendant les conclusions sur l’attentat? Peut-on juger SIMBIKANGWA? Peut-on entendre les témoins? Qu’est-ce que ça change?”
Le témoin se reprend: “Ça change tout! Carla del PONTE a essayé de dire que c’était une guerre civile, elle a souhaité enquêter sur les crimes du FPR: elle n’a pas pu! Le FPR a une coresponsabilité dans le génocide.”
Monsieur Rémi CROSSON DU CORMIER, l’avocat général, se contentera d’une seule question. ” Entre avril et juillet 1994, reconnaissez-vous qu’il y a eu le génocide des Tutsi et des Hutu modérés“?. Monsieur PÉAN dit qu’il ne l’a jamais nié. (NDR. On a l’habitude de parler de génocide pour l’extermination des Tutsi et de crimes contre l’humanité pour le massacre des opposants hutu, les Hutu n’ayant pas été tués parce que Hutu mais en tant qu’opposants politiques. Distinction faite lors du procès en première instance à la Cour d’assises de Paris.)
La défense s’abstient de poser des questions au témoin. Maître EPSTEIN semble pressé d’en finir avec un témoin qui ne lui a pas rendu les services attendus.
Audition de monsieur Renaud GIRARD, journaliste au Figaro, professeur à l’IEP de Paris (Institut d’Études Politiques).
Monsieur Renaud GIRARD décrit comment il a connu que des évènements graves se déroulaient au Rwanda, pays qu’il ne savait même pas placer sur une carte en 1994. Toutes les rédactions de France étaient obnubilées par les événements de Bosnie. Ayant appris la chute de l’avion, son journal, Le FIGARO, le dépêche sur place. Avec moult détails, il va raconter son entrée au Rwanda par la frontière avec le Burundi, en compagnie de cinq autres personnes dont son cousin Eric GIRARD et le journaliste Nicolas POINCARÉ. Le groupe arrive à Butare, la ville du sud où le témoin nous dit que règne le calme. (NDR. Les Tutsi du lieu n’en disent pas autant même si la présence du préfet Jean-Baptiste HABYARIMANA réussit à calmer les ardeurs. Contrairement à ce que dit le témoin, le préfet ne sera pas assassiné deux mois plus tard, mais le 19 avril, après le discours du président SINDIKUBWABO. Le témoignage de monsieur GIRARD contiendra d’ailleurs de nombreuses approximations, voire des erreurs!) Sur sa route, il est étonné de croiser de nombreux Blancs qui fuient le Rwanda, dont des membres d’ONG qui d’habitude viennent en aide aux victimes. Seul Michel GAILLARD, du CICR, restera sur place.
Avant d’arriver à la capitale, son convoi est arrêté à une barrière. Pour prouver qu’il n’est pas Belge, il entonne la Marseillaise! (sourires dans la salle!) A Kigali, il s’installe à l’Hôtel des Mille Collines. En compagnie d’un infirmier rwandais de MSF, il va sillonner les quartiers de Kigali: nombreux morts dans les caniveaux, des camions-bennes emplis de cadavres… Il passe par l’École française Antoine de Saint-Exupéry, au bas de Kiyovu où il rédige son premier article. Le directeur de son journal lui demande de rentrer: il ne s’exécutera pas.
Qu’a-t-il vu de significatif? Le témoin passe plus de temps à raconter de petites anecdotes dont il serait presque le héros, qu’à décrire véritablement la situation. Quelques bombardements peu fournis, sa rencontre d’un barrage où il reçoit un coup de crosse qui le fait rouler dans la poussière pendant que son accompagnateur, l’infirmier Isidore, pris pour un Tutsi, échappe de justesse à la mort. Au deuxième passage d’une barrière, il aperçoit trois cadavres fraîchement assassinés. Les soldats belges regroupés à l’École française ne pensent qu’à une chose: rejoindre l’aéroport. Le témoin fait partie du convoi. Et de citer les propos de monsieur GAILLARD sur la route: “Ne tirez pas, nous sommes neutres!!!” Arrivé à bon port, il doit menacer l’ambassadeur de Belgique qui refuse d’évacuer vers le Kenya un couple dont la femme est enceinte: s’il ne s’exécute pas, il aura droit à un article vengeur dans le Figaro dès le lendemain. Le témoin aura gain de cause… L’aéroport est bombardé et des soldats de l’ONU l’envoient sur la piste pour essayer de savoir d’où viennent les tirs!!! ( NDR. Étonnant tout de même!)
Le témoin reviendra deux fois au Rwanda, en mai et juin, rencontrera KAGAME dans le Nord, Marc VAITER dans son orphelinat où il sauvera beaucoup d’enfants, le Père BLANCHARD, un prêtre dont il dira plus tard qu’il sera blessé dans sa paroisse (NDR. C’est le confrère allemand du curé de la paroisse de Nyamirambo, Otto MAYER, qui sera blessé. Le père BLANCHARD quittera le Rwanda après l’attaque de sa paroisse début juin).
Le témoin éprouve une certaine fierté à dire que Bernard KOUCHNER va appeler MITTERRAND avec son téléphone satellitaire. Il reconnaît que sans l’intervention de l’armée française, le FPR aurait pris Kigali beaucoup plus tôt et que si les paras français de l’opération Amaryllis étaient restés au Rwanda le génocide n’aurait pas eu lieu! (NDR. Comment faut-il comprendre ces deux remarques?) Toujours est-il que la cohabitation ne favorise pas la prise de décisions dans le gouvernement français. Seul le général QUESNOT semblait avoir compris la situation! Le témoin égratigne au passage les ambassadeurs français et belge et souligne leur manque de courage. Leur fuite montre qu’ils ont choisi leur camp. Ses articles ont alerté l’opinion: tout juste si ce n’est pas grâce à lui que l’opération Turquoise a été décidée.
La politique française est un “ratage historique” mais on ne peut pas dire que la France ait été complice des génocidaires. Pas de complicité non plus de la part des militaires français. Renaud GIRARD confie qu’il a été appelé à Matignon “pour éclairer la situation faussée par les informations des militaires, qu’il a vu à l’Élysée la lettre dans laquelle le FPR remercie la France pour son rôle dans les accords d’Arusha, que DE SAINT QUENTIN lui a fait part de ses certitudes quant aux auteurs de l’attentat”… (le FPR)
Et de terminer en parlant du président KAGAME, “un despote éclairé“. Pour lui, “le Rwanda n’est pas une démocratie sinon les Hutu prendraient le pouvoir” (NDR. On aura tout entendu! Drôle de notion de la démocratie!) “Le Rwanda est le seul pays d’Afrique où vous ne pouvez pas entendre la BBC!!! KAGAME a décidé de changer la langue du pays car il ne parle pas Français…” Et de poursuivre: “Ceci dit, c’est un homme impressionnant qui n’est pas corrompu et qui combat la corruption. Il est dévoué à son pays mais ce n’est pas un démocrate. On peut avoir des inquiétudes sur l’après KAGAME...” Et le bouquet final: ” Dans leur cœur, les Hutu vont chercher une vengeance!”
Par ses questions, le Président souhaite revenir au factuel. Le témoin dit bien qu’il y avait beaucoup de cadavres dans Kigali, mais surtout dans les quartiers périphériques. Les barrières tenues par des militaires ou des miliciens? “L’armée française avait appris aux FAR à faire la guerre. Si les Français étaient revenus, ils auraient pu ramener l’armée rwandaise à la raison. Sur les barrières il y avait des gens en treillis mais pas possible de savoir qui ils étaient.” Et ça puait la mort? “Oui, une odeur terrible, ça puait la mort!” Mais de préciser aussitôt, comme pour disculper l’accusé: “Un reporter en fauteuil roulant aurait eu du mal à voir... (NDR. On aurait pu poser une autre question au témoin: “Et du mal à sentir?” Personne n’a oser le faire.) “Si on restait aux Mille Collines on ne voyait rien!”
Le témoin reconnaît des discours de haine dans les médias surtout sur RTLM. “Mein Kampf présentait les Juifs comme de la vermine. On parlait des Tutsi comme des cafards!” Mais la population éprouvait un sentiment de haine et de peur à l’égard du FPR. Pour preuve les gens avaient fui la zone occupée par le FPR. Le témoin finit par reconnaître, sur une question de maître FOREMAN, que “la population était chauffée à blanc par une propagande d’Etat” ce qui contredit ses propos précédents quand il parlait de révolte “spontanée“.
Monsieur HERVELIN-SERRE demande au témoin de redonner les dates de son séjour. Arrivé le 11 avril, il restera une dizaine de jours et sera évacué par un Hercules belge vers Nairobi. Des barrages à Kigali? ” Pas très nombreux“. Des contrôles? ” Pour un Français, aucun problème, pour un Belge c’était plus compliqué. Hutu vous passiez, Tutsi vous étiez massacré!” Sur quels critères? “Parfois ça se voit. Ce sont des gens assez différents. Et puis les Africains savent se reconnaître!” (NDR. No comment!) Si le critère est bien l’appartenance ethnique, le témoin avoue “qu’il n’a jamais entendu dire qu’on demandait la carte d’identité!” (NDR. Il est bien le seul!) Mais de reconnaître que “les Tutsi étaient massacrés comme tels, ce n’était pas des combattants. Il n’y avait pas de cinquième colonne à l’intérieur du Rwanda.” D’ajouter que” les victimes ont été tuées essentiellement à la machette. Il y avait un système de propagande qui fait commettre le génocide par la population elle-même. Il y a eu peu de coups de feu.”
Maître EPSTEIN a peu de temps pour poser des questions car le témoin suivant s’impatiente: il doit retourner à Genève et l’audition de Renaud GIRARD a pris trop de temps (NDR. On aurait pu en gagner si le témoin s’était un peu moins mis en scène). L’ambassadeur de France avait peur du FPR? Le témoin confirme. Le génocide s’est commis surtout dans les quartiers populaires? Le témoin confirme encore. Autour de l’École française, pas de corps dans les caniveaux! (NDR. On sait pas d’autres témoins que les cadavres avaient été ramassés quand le témoin est arrivé). Importance des événements du Burundi? Affirmatif!
Le témoin de conclure: ” KAGAME a voulu faire illusion en mettant BIZIMUNGU (NDR. Un Hutu, à la tête de l’État). Il est où maintenant? En prison. (NDR. Faux. Libéré depuis longtemps).
Maître EPSTEIN, cinglant: “ Vous avez été cité par le Parquet ou la défense?” Le témoin hésite pour finir par dire: ” Par le Parquet“.
Audition de monsieur Philippe CEPPI, journaliste suisse.
Il est plus de 17 heures et nous avons été avertis que le témoin devait être libre à 17h30. L’audition va donc être limitée dans le temps.
Correspondant à Nairobi, le témoin entrera au Rwanda avec Jean HÉLÈNE dans la nuit du 8 au 9 avril 1994. Le matin du 9, les rues de Kigali sont jonchées de cadavres, certains déjà dévorés par les chiens. A l’hôpital de la ville, plus de 400 cadavres sont entassés, la morgue déborde. Le témoin rapport
e qu’un médecin est effondré: des militaires sont venus achever des blessés à la baïonnette! “C’est un chaos indescriptible!” Monsieur CEPPI rapporte d’autres faits qui se déroulent à Gikondo, une colline proche de Kiyovu. Il évoque aussi un sauvetage qu’il effectue au lac Muhazi: des blessés sont retirés d’un puits où ils ont dû sauter avant que les tueurs ne lancent des grenades! On évacue les Européens, on abandonne les Rwandais! Il n’a pas vu d’exécution et il était protégé par son passeport suisse.
En réponse à monsieur Ludovic HERVELIN-SERRE, le témoin confirme que les cadavres ont été enlevés par le CICR puis par la voirie de Kigali. Les corps sont restés longtemps sur place. Il y en avait beaucoup à Gikondo. Les cris des victimes se mêlaient à ceux des tueurs. Mais aussi cris de joie lors du sauvetage des blessés! Les tueurs empestaient l’alcool. Questionné par le témoin qui lui demande s’il se rend compte de ce qu’il fait, un tueur se contente de dire: “Quel gâchis!“. “Folie collective!” avoue le témoin, manifestement marqué. On entendait aussi des coups de feu: rafales de mitraillettes, tirs de mortiers…
Rôle des médias, des radios? Le témoin s’est rendu à la RTLM, y a rencontré une journaliste “obèse et agressive“, Valérie BEMERIKI. “Cette radio était très écoutée”. Le témoin confie avoir enquêté après le génocide: il a récupéré des archives de la RTLM à l’ambassade de Belgique.
Monsieur CROSSON DU CORMIER demande au témoin s’il a entendu parler de SIMBIKANGWA. ” J’ai entendu parler de lui très tôt, après la prise de Kigali. Je me suis rendu à la Centrale du Renseignement où j’ai saisi quelques documents. Le nom de SIMBIKANGWA revenait en boucle, il inspirait la terreur. Lors d’une enquête au Kenya, j’ai publié un article après avoir rencontré le chauffeur de SIMBIKANGWA: ” L’exil doré des dignitaires hutu” du 6 avril 1995.”
http://www.liberation.fr/evenement/1995/04/06/l-exil-dore-des-dignitaires-hutus_131044
Le témoin confirme que lors d’interview et de rencontres, le nom de SIMBIKANGWA revient en boucle. Il aurait fait partie de l’Akazu. Il inspirait la terreur, faisait partie des durs du régime, ceux qui auraient abattu l’avion. SIMBIKANGWA a fini par rejoindre le Kenya. “Je n’enquêtais pas sur lui mais on parlait de cet homme en fauteuil roulant et qui pratiquait la torture.”
Maître EPSTEIN sort de ses gonds. ” C’est la première fois qu’on entend parler d’un chauffeur de SIMBIKANGWA à NAIROBI. Quelles sont vos sources?” Calmement, le témoin rétorque que la personne lui a dit: ” Je suis le chauffeur de SIMBIKANGWA.”
Interrogé, SIMBIKANGWA, dit évidemment qu’il n’avait pas de chauffeur et qu’il prenait le taxi (NDR. Il vivait dans “un quartier huppé” et se déplaçait en taxi. Il avait donc un certain niveau de vie! A condition qu’il dise la vérité!)
L’avocat de la défense repart à l’attaque. ” L’Akazu n’existe pas et on vous dit que SIMBIKANGWA appartient à l’Akazu! Si vous le considérez comme un dignitaire, c’est faux.” Le témoin insiste. Des tirs de mortiers provenaient bien de l’aéroport où étaient les FAR. “Vous êtes déjà allé dans une zone de guerre?” tente le témoin. Maître EPSTEIN réplique: ” C’est moi qui pose des questions!” De poursuivre: “On ne peut pas comprendre sans être allé sur place. Les jurés ne peuvent pas comprendre…” Le témoin poursuit son raisonnement: “Je ne voudrais pas passer pour un idiot mais je ne peux pas distinguer d’où venaient les tirs. Le FPR est resté un moment au Parlement (NDR. Et non dans une caserne proche du Parlement comme le disait le témoin précédent) et entre le 9 et le 12 le FPR n’était en mesure de combattre.”
Le président procède alors à la lecture de l’article L’exil doré des dignitaires hutu que lui a remis le témoin. Après la lecture, l’accusé veut prendre la parole: il conteste le témoin, rappelle qu’il ne travaillait plus en 1994. Le Président lui fait remarquer que l’article est daté de 1995! SIMBIKANGWA s’énerve à nouveau, fatigué que l’on revienne sans cesse sur la question des cadavres! Réponse du Président: ” S’il n’y a pas de morts, il n’y a pas de génocide!”
SIMBIKANGWA parlant de lui à la troisième personne: “SIMBIKANGWA n’a jamais dit qu’il n’y a pas eu de morts. Ça fait deux semaines qu’on revient sur ce sujet! On est là pour savoir si monsieur SIMBIKANGWA a participé à un massacre de masse. Il ne faut pas sortir du fond”.
Le témoin doit partir. Le Président suspend l’audience.
Demain nous entendrons monsieur SWINNEN, ambassadeur belge, en visioconférence, avant de visionner le documentaire de la BBC “An untold story“. L’après-midi sera consacrée à l’audition de madame Linda MELVERN et de madame Esther MUJAWAYO.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
Procès en appel de SIMBIKANGWA. Mardi 8 novembre 2016. J9
10/11/2016
• Audition de Johan SWINNEN, ancien ambassadeur de Belgique au Rwanda de 1990 au 12 avril 1994.
• Audition de Linda MELVERN, journaliste d’investigation cité par les parties civiles.
• Audition de Esther MUJAWAYO, rescapée, psychothérapeute citée par les parties civiles.
Audition de monsieur Johan SWINNEN, ancien ambassadeur de Belgique au Rwanda de 1990 au 12 avril 1994.
L’ancien ambassadeur de Belgique au Rwanda commence par dire que lorsqu’il est nommé à ce poste, le Rwanda a une bonne réputation sur le plan internationale. Sa bonne gouvernance tranche avec la plupart des autres pays africains. Il avait toutefois constaté une certaine usure du pouvoir avant même son arrivée: corruption, assassinats politiques, problème des réfugiés tutsi qui aspirent à rentrer au pays… Le pays a deux défis à relever: l’attaque du FPR qui débouchera sur les accords d’Arusha[1] et celui de la réforme institutionnelle. HABYARIMANA n’avait pas attendu les recommandations de MITTERRAND dans son discours de La Baule pour engager des réformes. Ces réformes vont déboucher sur l’adoption d’une nouvelle constitution en juin 1991 qui prévoyait le multipartisme.
Des centaines de milliers de Hutu du nord qui ont fui l’avancée du FPR s’entassent aux portes de Kigali. On assiste à la formation d’une douzaine de partis politiques, d une quarantaine de journaux sont créés, des organisations des Droits de l’Homme vient le jour. “Un vent de liberté souffle sur le Rwanda, encouragé par la communauté internationale“. Mais il existe un envers du décor: massacres, assassinats politiques, reprise des incursions du FPR, naissance des médias de la haine avec des discours ethnicisés. Le Rwanda nouveau est loin d’être arrivé.
Les partis politiques vont pratiquement tous se radicaliser pour finir par se scinder en deux et donner naissance au Hutu Power[2]. Même au PL[3], on assiste à une scission entre les Hutu et les Tutsi, signale d’un profond mécontentement. Les raisons sont connues: les accords d’Arusha font la part trop belle au FPR, l’armée sera constituée de 60% de FAR et de 40% de soldats de l’armée du FPR,. Quant aux postes de commandement, c’est pire: c’est du 50/50.
Dans cette situation incertaine, le témoin fait part de ses efforts pour demander, en attendant des élections dans le 22 mois, que les autorités rwandaises tiennent des discours rassurants. Ces accords d’Arusha ne soulevaient pas un véritable engouement et monsieur SWINNEN rencontrait aussi le FPR qui ne voyait pas d’un bon œil la tenue des élections. A KAGAME, il fait remarquer qu’il ne peut pas demander qu’on tempère les propos de la RTLM si lui-même ne fait pas la même chose par rapport à Radio Muhabura, la radio du FPR.
Entretemps, les choses évoluent: apparition des milices, distribution des machettes et des armes fin 1993, les bourgmestres étant eux-mêmes les artisans de ces distributions. Ne pas oublier un événement capital pour la région: le 21 octobre 1993, le premier président hutu élu démocratiquement, “incarnation vivante de la réussite démocratique” est assassiné. HABYARIMANA appelle le témoin le jour même pour lui faire part de ses inquiétudes: “ Vous me poussez tout le temps à faire des concessions. Vous voyez ce qui se passe dans le pays voisin!” L’ambassadeur insiste encore pour que le président continue à tenir des propos rassurants. Et monsieur SWINNEN d’avouer: “ Nous critiquions le régime, mais toujours de façon constructive. Ce processus n’a pas réussi et a débouché sur une grande radicalisation.” Aujourd’hui, il reste profondément déçu par l’échec de la communauté internationale. Les premiers responsables du génocide sont les extrémistes rwandais. Le témoin espère que les procès puissent continuer à faire la vérité: “Ne restons pas emprisonnés dans une histoire à pensée unique. Nous n’avons pas trouvé toute la vérité sur cette époque. Le Rwanda et la communauté internationale ont intérêt à poursuivre ces efforts.”
Le président, monsieur DE JORNA cherche à savoir si HABYARIMANA jouait vraiment le jeu. “N’avait-il pas un double langage? Avait-il une véritable volonté de réformer? N’a-t-il pas parlé des accords d’Arusha comme d’un “chiffon de papier”? Quel était le rôle de l’entourage familial? Ne torpillait-il pas son action?”
Le témoin reconnaît qu’il a été très déçu par cette déclaration faite dans un discours en Kinyarwanda. HABYARIMANA a bien tenté de se justifier: “Aussi longtemps que cet accord est sur le papier, ce n’est qu’un chiffon de papier, tant qu’il n’est pas traduit dans les faits!” Le témoin reconnaît que le président tenait un double langage et souligne le rôle de l’entourage de la belle-famille. “Le président était-il otage de sa famille et des extrémistes de son parti ou acteur?” Cette question à laquelle il ne peut répondre reviendra à plusieurs reprises. Et de poursuivre: “Je n’exclus pas que HABYARIMANA ait trempé dans l’extrémisme. J’ai passé des heures avec le président pour essayer de trouver des solutions.”
“Et le 6 avril, vous étiez sur place, que pouvez-vous en dire?” questionne le président. Le témoin parle d’une situation chaotique. Il ne pouvait pas se déplacer et est resté longtemps à sa résidence avec sa famille. Seul le téléphone lui permettait d’avoir des informations. RUSATIRA est venu lui dire de ne pas sortir car son nom était inscrit sur une liste des gens à éliminer: dix Casques Bleus avaient été tués, sans compter une dizaine de civils belges. Des personnalités avaient été assassinées, dont le président du Conseil Constitutionnel, monsieur KAVARUGANDA, le ministre tutsi Landouald NDASINGWA et toute sa famille, la Première Ministre qui devait se rendre à la radio pour appeler au calme ses concitoyens… Le témoin regrette l’inefficacité de la communauté internationale. De retour à l’ambassade, il s’occupe de l’évacuation de ses concitoyens, de celle de Enoch RUHIGIRA, directeur de cabinet du président. Par les fenêtres de son bureau, il voir les camions-bennes chargés de cadavres. La RTLM hurlait sa haine des Tutsi et des Belges qu’il fallait tuer. Lui-même quittera le Rwanda le 12 avril 1994. Une délégation du gouvernement constitué le 9 avril vient le rencontrer. ” Une rencontre houleuse, dira le témoin, car on venait me demander ma compréhension et mon soutien!” C’était impossible.
Le président interroge ensuite le témoin sur un fax qu’il avait transmis le 27 mars 1992 à son ministre des Affaires Étrangères et dans lequel il signalait qu”un “état major secret était chargé d’éliminer les Tutsi et d’écraser l’opposition hutu intérieure.” A ce fax était joint une liste de responsables dont il fallait se méfier. Les noms de ZIGIRANYIRAZO, de SAGATWA, de SIMBIKANGWA et autres Anatole NSENGIYUMVA et Tharcisse RENZAHO apparaissent sur cette liste. Jean BIRARA, dans cette note, parle aussi des Escadrons de la mort, du Réseau Zéro, de l’Akazu[4]…
Monsieur SWINNEN évoque le rôle “pas clair” d’Elie SAGATWA. Il le croisait quand il se rendait à la présidence mais ne le connaissait pas plus que cela.. Quant à SIMBIKANGWA, il aurait souhaité le rencontrer mais pour diverses raisons, cela n’a pas pu se faire. Et le témoin d’évoquer la visite, le 6 décembre 1991, de l’abbé André SIBOMANA, président de l’association des journalistes indépendants. Il était accompagne de Boniface NTAWUYIRUSHINTEGE, de la Revue Umurava. Ce dernier était blessé suite à une rencontre avec SIMBIKANGWA. Les deux visiteurs signalent aussi que d’autres ont été torturés. Ce que le témoin signalera aux autorités.
Un autre souvenir. SIMBIKANGWA était soupçonné d’avoir voulu corrompre un certain BAKONDO pour compromettre des gens qui n’étaient pas en odeur de sainteté. Le major SABAKUNZI parlait de SIMBIKANGWA comme du “cerveau des Interahamwe”. Boniface sera de nouveau arrêté le soir-même puis remis en liberté après avoir promis de ne plus s’en prendre au président, à l’armée et aux gens du Nord. L’abbé SIBOMANA ira même jusqu’à réclamer la mise à l’écart de l’accusé (décembre 1991/début 1992). Jean-Baptiste MUGABE se réfugie à l’ambassade belge suite aux menaces d’agents de la présidence: le nom de SIMBIKANGWA est donné. Allusion aussi à l’arrestation d’un activiste des Droits de l’Homme, Fidèle KANYABUGOYI, arrêté par le SCR le 1 avril 1992. On demande à l’ambassadeur qui intervient pour sa libération de “ne pas toujours défendre les Tutsi“. (NDR. Monsieur KANYABUGOYI sera tué le 11 avril à Kigali avec de nombreux Tutsi, au lieu dit Nyanza, suite au départ des Casques Bleus belges basés à l’ETO, école technique du quartier de Kicukiro.)
A la question de savoir si le témoin parle de SIMBIKANGWA avec le président, le témoin hésite mais finit par dire que c’est fort probable. En tout cas, il en a parlé souvent avec le ministre de la Justice, avec Mathieu NGIRUMPATSE, le président du MRND, avec le ministre des Affaires Étrangères. Et de se souvenir: “Avec le président, je suis formel.” Le témoin affirme que SIMBIKANGWA est bien connu de toutes ces autorités. “On va s’en occuper!” lui aurait dit un jour le président lors d’une visite du président kényan. L’a-t-il fait? C’est une autre question. Le témoin est intervenu aussi auprès du président pour lui demander de calmer la RTLM: il l’a fait. “Sans grand résultat” fait remarquer monsieur DE JORNA. Et le témoin de se demander si le président avait encore un pouvoir. En tout cas, il redit que HABYARIMANA avait un double langage.
Domitille PHILIPPART, avocate du CPCR, veut avoir plus de précisions sur Jean BIRARA. C’était le gouverneur de la Banque Centrale du Rwanda qui venait lui glisser de temps en temps des mots sous sa porte ou le rencontrer. Il était très critique envers la belle- famille du président. C’était un homme bien connu en Belgique en qui le témoin avait toute confiance, même s’il était “énigmatique“. ” Nous savions qu’il y aurait une multiplication de massacres généralisés. Des tracts circulaient mais on ne savait pas d’où ils venaient. ” Nous étions très inquiets, très vigilants. On ne peut pas dire qu’il y avait une responsabilité pré-établie. On peut lire avec intérêt les ouvrages de LUGAN qui est intervenu au TPIR qui n’a pas reconnu l’entente à commettre le génocide dans l’affaire BAGOSORA!”
Monsieur HERVELIN-SERRE. “Vous confirmez qu’il existait un groupe d’influence autour de HABYARIMANA, Akazu ou pas”!
Le témoin. “Nous savions qu’il y avait des forces négatives autour du président qui luttait contre l’arrogance du FPR, et nous ne savions pas si HABYARIMANA était un acteur ou un otage de ces forces négatives. Avait-il assez de forces autour de lui pour s’opposer aux durs? A Dar-Es-Salam, le 6 avril, HABYARIMANA avait souhaité faire les dernières concessions pour que les accords se mettent en place la semaine suivante. Et ce sous la pression de la communauté internationale qui venait de prolonger de trois mois le mandat de la MINUAR.” Et d’ajouter qu’il aurait condamné le comportement de SIMBIKANGWA s’il avait pu le rencontrer. Le témoin avait une perception très négative sur les deux frères d’Agathe KANZIGA, ZIGIRANYIRAZO et RWABUKUMBA (NDR. Ce dernier est réfugié depuis longtemps en Belgique sans être inquiété!)
Monsieur HERVELIN-SERRE. ” Vous exprimez vos inquiétudes à propos de la RTLM en novembre 1993?” Le témoin de reconnaître que “ la radicalisation s’est accélérée après l’assassinat de Melchior NDADAYE. On entendait même un journaliste au fort accent belge et qui appelait à l’extermination des Tutsi, RUGGIU.”
Et les livraisons d’armes? ” Question difficile. La Belgique a livré une partie des armes commandées en octobre 1990″. Mais ce n’est pas la question de l’avocat général qui veut évoquer la distribution des armes aux civils. Le témoin dit avoir reçu fin 1993 un appel d’un compatriote qui lui disait que les bourgmestres distribuaient des armes à la population.
Sur les camions remplis de cadavres et les barrières? “Je n’ai pas fait le tour de la ville, mais dès la nouvelle de l’attentat, on parle de barrages, barrages qui existaient déjà. Très vite on entend des coups de feu et très tôt le matin on apprend que des assassinats ont eu lieu, d’abord des personnalités politiques ciblées, une violence bien organisée.”
Au tour de monsieur CROSSON DU CORMIER d’interroger le témoin. “SIMBIKANGWA était-il important dans cette société extrêmement hiérarchisée?”
Le témoin explique. “Je ne sais pas ce qu’il est devenu après le transfert du SCR à la primature, à partir d’avril 1992.. Avant 1992, il agissait avec le comportement dont j’ai parlé. Il avait une attitude néfaste qui nous inquiétait”.
Parole est donnée à la défense. Maître EPSTEIN fait remarquer au témoin qu’il a été prudent dans son intervention, “car avec le Rwanda il faut être prudent. De quelles preuves dispose-t-on aujourd’hui?” Monsieur SWINNEN souligne que dans cette période il n’y a pas eu que des éléments négatifs: retour des réfugiés, partage du pouvoir politique et militaire, mise en place d’une démocratie à la rwandaise, refus de l’insécurité… Beaucoup de gens étaient engagés dans ce processus. Nous avons été très durs avec HABYARIMANA, avec raison. Mais nous étions très constructifs.
Maître EPSTEIN rappelle qu’en Cour d’assises il faut des preuves. Et de parler de l’assassinat de GATABAZI en février 1994. Après avoir mis en cause HABYARIMANA, son épouse, 10 ans après, accusait le FPR de la mort de son mari! “Les attentats imputés aux Escadrons de la mort, en réalité c’était l’œuvre du FPR.”
” Je suis un diplomate, pas un juge, répond le témoin. Si la veuve de GATABAZI me donne une information, je la relaie. Je ne peux pas faire plus.”
Maître EPSTEIN. “Et les informations concernant les listes sur lesquelles figure le nom de SIMBIKANGWA, ce peut être la même chose”? “Je ne peux pas répondre, poursuit le témoin. Je ne suis pas juge. Je ne peux pas faire d’extrapolation sur ce qu’a fait SIMBIKANGWA. Si madame GATABAZI me dit le contraire de ce qu’elle m’a dit dix ans plus tôt, j’entends, c’est tout”.
Maître EPSTEIN fait remarquer au témoin que l’ambassadeur de France Jean-Michel MARLAUD n’a jamais fait mention du double langage du président HABYARIMANA. “Vous devinez ma réponse. Je suis plus nuancé. J’ai évoqué ma frustration de l’entendre parle de “chiffon de papier” en Kinyarwanda et pas en Français. Il devait tenir compte des durs de son entourage.”
Concernant LUGAN, le témoin en recommanderait-il la lecture? “Toute lecture qui permet d’éclairer le débat est la bienvenue. Le TPIR n’a pas prouvé l’entente en vue de commettre le génocide.”
L’avocat de la défense d’évoquer l’affaire de corruption à laquelle aurait été mêlé SIMBIKANGWA. “L’accusé était soupçonné d’avoir voulu corrompre un certain BAKONDO. Ce dernier devait porter plainte contre le major SABAKUNZI accusé d’avoir ourdi un complot contre HABYARIMANA en aidant au transport des armes pour le FPR. SABAKUNZI a été acquitté.”
A la question de savoir s’il rencontrait des gens importants, le témoin fait remarquer qu’il fréquentait toutes sortes de gens. Il rencontrait souvent Faustin TWAGIRAMUNGU. Il ne voyait pas que des gens importants. Il ajoute qu’il a refusé une interview à la RTLM pour ne pas cautionner sa politique de haine. Il n’a pas rencontré SIMBIKANGWA entre 1992 et 1994, c’est vrai, mais c’était un ” obscur personnage à l’époque”. Il a toutefois tenté de le voir. Si on a peu entendu parler de lui à cette époque, “cela ne veut pas dire qu’il ne jouait aucun rôle. Se cachait-il mieux?”
SIMBIKANGWA fera remarquer, alors qu’on lui donne la parole en dernier déclare qu’il ne connaît pas SABAKUNZI dont maître FOREMAN vient de dire que l’histoire avait été rapportée par GUICHAOUA.
Visionnage du documentaire ” Rwanda: an untold story” de Jane CORBIN et diffusé par la BBC en octobre 2014.
Audition de madame Linda MELVERN, journaliste d’investigation cité par les parties civiles.
Madame MELVERN est une spécialiste des missions de maintien de la paix de l’ONU. En octobre 1993, elle s’intéresse au Rwanda pour “surveiller le traité de paix“. Elle travaille sur ce pays depuis 22 ans: enquêtes sur la préparation du génocide et sur son financement par la Banque Mondiale et le FMI. Et d’ajouter que “l’ONU arrive trop tard au Rwanda. Nous pouvons critiquer nos hommes politiques pour leurs manques et pour leur leadership. Aujourd’hui c’est la Syrie, en 1994 c’était le Rwanda“.
Dès les premières semaines, il était évident que nous étions sur la même échelle que lors de la Seconde Guerre Mondiale. En 1994, le CICR avait déjà lancé un cri d’alarme et le Conseil de sécurité, au lieu de répondre positivement à une demande de Roméo DALLAIRE, va décider le 21 avril une réduction drastique de son contingent: “ Un signal fort est donné aux génocidaires et le génocide va se répandre dans le sud du pays. Il s’agit du grand scandale du XXe siècle que cette autorisation donnée pour que ce génocide ait lieu.”.
Il existe beaucoup de preuves de la planification du génocide. De nombreuses instances l’évoquent: Human Rights Watch, le Sénat belge, OXFAM, Amnesty international et toutes les cours européennes qui ont organisé des procès pour génocide. “La volonté des génocidaires était de créer un état hutu, idée qui est la clé de voûte de ce génocide.” Le témoin a rencontré beaucoup de témoins directs “qui ne guériront jamais.” Beaucoup de médecins et d’infirmiers de la Croix Rouge pourraient aussi témoigner. Et de citer le nom du docteur ZACHARIAS qui était venu témoigner au procès des “quatre de Butare” à Bruxelles en 2001. Kigali est décrit comme un charnier où règne une odeur de chair pourrie. On voit “des rats gros comme des chiens”. Impossible d’être à Kigali et de ne pas savoir. Les tueurs, sûrs de bénéficier de l’impunité, tuaient sans se cacher.
Le témoin fait une première enquête au Rwanda en 1997 et a accès aux archives et découvre des documents qui ont été remis au TPIR. Selon BAGOSORA, ” les Tutsi sont les maîtres du déguisement, ils se comparent aux Juifs de l’Europe pour gagner la faveur d’un lobby puissant“. C’est lui qui a organisé le meurtre des dix Casques Bleus belges. “Ces meurtres ont créé un vide politique aussitôt rempli par un gouvernement hutu qui a mis en œuvre le génocide. Cette opération a été menée pas à pas et chaque étape du génocide est marqué par la cruauté qui le caractérise.” Et de rappeler toute ces étapes qui jalonnent un génocide: classification, symbolisation, déshumanisation, polarisation, préparation, extermination, négation (selon le président de Genocide Watch).
Et madame MELVERN de souligner que le génocide était dans l’air, raison pour laquelle un certain nombre de Tutsi ont quitté Kigali. Beaucoup d’autres sont restés, confiants dans l’ONU. Dans ses différents séjour au Rwanda, le témoin a eu accès à des informations sur SIMBIKANGWA. En mai 1994, un document américain dénonce les excès de certains hommes politiques rwandais, dont l’accusé. L’ambassadeur SWINNEN avait aussi signalé l’existence de ” membres d’un commando secret chargés d’éliminer les éléments libéraux”. Et de citer aussi les témoignages de Janvier AFRICA. Le nom de SIMBIKANGWA apparaît dans de nombreux documents, à propos de la mort de GATABAZI par exemple. Il aurait menacé le Procureur NSANZUWERA s’il ne relâchait pas les suspects arrêtés. Le témoin évoque aussi les menaces que l’accusé aurait proférées contre le président du Conseil Constitutionnel, monsieur KAVARUGANDA, qui sera assassiné dès le 7 avril: ” Les hommes qui doivent vous tuer sont déjà choisis” aurait dit l’accusé. ” L’histoire nous apprend que les génocides tissent une toile de mensonges. Il n’y a rien de spontané dans un génocide. Et de conclure en évoquant le documentaire de la BBC qui a été visionné avant son audition, documentaire qui contient beaucoup d’erreurs et qui ignore des témoins et des années de recherche.
Le président questionne le témoin sur les preuves de la planification. Elle donne des éléments qui ont été déjà donnés par d’autres témoins. Elle répond aussi qu’au TPIR elle a été “conseillère de l’accusation” à cause de son ouvrage “Conspiration pour un meurtre.” Le dernier chapitre de son livre rend compte du procès BAGOSORA. Le TPIR n’a pas pu prouver l’entente en vue de commettre le génocide, mais il ne l’écarte pas.
A propos du documentaire de la BBC, le témoin dit qu’elle “a décidé d’envoyer un courrier suite à de nombreux appels de Rwandais survivants choqués par ce film, et beaucoup d’autres personnes”. Totale incompréhension de voir la BBC produire un tel document. La minimisation du nombre des victimes est scandaleuse. L’enquête du juge TREVIDIC n’est même pas mentionnée: la BBC a reconnu que c’était une erreur! Si ce documentaire n’a pas été publié à l’étranger, de nombreuses copies ont circulé sur l’initiative des négationnistes.
Maître FOREMAN précise que BAGOSORA n’a pas été déclaré coupable “d’entente en vue de commettre le génocide“, crime qui n’existe pas dans le droit français. “Mais qui dit génocide dit planification“, précise le témoin.
Monsieur CROSSON DU CORMIER fait remarquer que l’entente avec d’autres est différent de la planification. On veut engager la responsabilité de KAGAME, mais “un crime peut-il en justifier un autre?” Madame MELVERN affirme qu’on a cherché l’angle sensationnaliste. Et de faire appel à la notion de “équivalence morale“. On pourrait dire “accusation en miroir“. On ne peut pas parler de double génocide car les faits ne le montrent pas.
Maître EPSTEIN, par des questions lapidaires interroge le témoin à son tour: les sources du témoin, documents bancaires (voir rapport de Pierre GALAND). Le témoin se considère-t-elle comme “expert” du Rwanda? Sa priorité est d’écrire des livres et le TPIR souhaitait entrer en possession des documents utilisés dans le livre. Madame MELVERN reconnaît ne pas s’intéresser vraiment à ce que disent les autres chercheurs, ce qui étonne l’avocat de la défense. “J’ai lu les autres mais je suis journaliste d’investigation et pas chercheur.” REYNTJENS? ” C’est un scientifique, je suis journaliste“. A propos de l’assassinat de GATABAZI, le témoin dit que SIMBIKANGWA a exercé des pressions. Madame GATABAZI donne une autre version! “Je fais confiance aux officiers belges“. Elle n’est pas en position de commenter le revirement de madame GATABAZI. Les autres questions n’apporteront pas d’éléments nouveaux.
Audition de madame Esther MUJAWAYO, rescapée, psychothérapeute citée par les parties civiles.
” Je suis née au Rwanda en 1958. J’ai assisté à l’évolution de la situation. En 1959, sur le dos de ma mère, nous devons déjà fuir. En 1994, j’avais moi-même un bébé sur le dos.” Le décor est planté et c’est dans ce Rwanda de la peur qu’elle va vivre jusqu’au génocide.
Le verbe qui illustre sa jeunesse, c’est “recommencer”. A plusieurs reprises, la maison familiale sera brûlée, les troupeaux tués. D’évoquer ensuite les difficultés permanentes qu’elle va éprouver, en tant que Tutsi, à poursuivre des études. , que ce soit pour passer en secondaire, pour entrer au lycée Notre Dame de Citeaux “par la petite porte” grâce à l’intervention de son père, un instituteur. Ce sera un véritable parcours du combattant: plusieurs fois elle devra arrêter ses études et ira garder les vaches ou travailler dans un atelier de couture parce qu’elle parle bien Français. Elle aura les mêmes difficultés pour s’inscrire à l’Université. Par chance, son père qui est évangéliste lui obtient une bourse pour partir à Louvain la Neuve mais LIZINDE lui refuse le passeport. Elle reprend son emploi d’institutrice. A une de ses amies qui demande au ministre pourquoi il lui refuse un passeport, ce dernier répond: “Mais elle est Tutsi, non?”. Elle partira alors trois ans en Belgique. De retour au Rwanda, on l’envoie enseigner le Français alors qu’elle travailler dans le développement. Elle finira par travailler dans l’association OXFAM qui finançait des ONG locales. Et d’évoquer à ce stade la seule rencontre qu’elle a eue avec SIMBIKANGWA, chez lui, en compagnie du directeur d’OXFAM. En arrivant dans le salon, le capitaine dépose son pistolet sur la table. Le témoin précise que c’est par commodité, et non pour menacer les visiteurs.
En avril 1994, elle est en congé maternité. Ses collègues sont parties en formation à Gisenyi: ils seront tous exécutés. Elle va se réfugier à l’internat du Lycée Notre Dame de Citeaux où enseigne son mari. Ils seront trahis par une de leurs connaissances. Les hommes seront séparés des femmes et des enfants et exécutés dans le quartier, à la barrière de Gitega. Les tueurs leur couperont les tendons avant de les exécuter le lendemain. Ses parents seront aussi tués ainsi que les 45 personnes qui étaient venues se réfugier chez eux. La quasi totalité de sa belle-famille périra également. Avec l’aide d’un soldat qui garde le Lycée, elle réussira à rejoindre l’Hôtel des Mille Collines puis se rendra dans la partie occupée par le FPR. Évacuée ver s l’Ouganda elle reviendra à Kigali dès la fin du génocide.
Avec d’autres rescapées, elle s’efforce de reformer des familles, de façon informelle. Un enfant hutu venu du Nord, fils du gardien que son mari avait aidé, lui révéla où étaient les corps. Le gamin avait vu son mari mort: ” Ce n’était pas un Tutsi, il était gentil!” confiera l’enfant.
Les rescapées se sont donc regroupées: “ Nous avons su que nous n’étions pas folles mais que c’était la situation qui était folle! J’ai perdu mon mari, mais j’ai aussi perdu mes voisins en perdant leur confiance!” Et d’avouer: ” Mon mari a été tué par un de ses élèves!” Au sein de leur groupe de femmes, on opère un travail de reconstruction. Les femmes avaient survécu mais elles mouraient pour avoir été violées et infectées par le SIDA. Elles créent alors l’association des veuves du génocide: AVEGA (1995). Il fallait inverser l’image qu’on avait de soi. Il n’y avait pas de honte à avoir été violée. La honte devait être pour le violeur. Le viol sera reconnu comme arme du génocide. Il fallait aussi reconstruire les maisons: les femmes se battent pour obtenir l’aide du gouvernement. Un fond d’aide aux rescapés sera créé: le FARG (1998). Et comme il fallait soigner les rescapés, les suivre psychologiquement les jeunes rescapés: l’AERG est créée.
Questionnée par le président, Esther confie qu’elle s’est remariée après le génocide et qu’elle a suivi son mari en Allemagne où ils vont rester à cause de leurs enfants. Au Rwanda, on forme des mamans à “l’écoute active” par manque de psychothérapeutes. Elle même travaille dans un Centre de psychothérapie.
Concernant SIMBIKANGWA, elle avoue que tout le monde avait peur de lui. On parlait d’interrogatoires musclés à la criminologie. Le capitaine était devenu président d’une association d’handicapés: raison pour laquelle elle s’était un jour rendue chez lui. Le pistolet posé sur la table lui aura fait moins peur que celui brandi par l’abbé MUNYESHYAKA à l’Hôtel des Mille Collines!
Les tueurs/sauveteurs? Cela a existé, mais c’était souvent en échange de faveurs sexuelles!
Ce qu’elle attend de la justice? C’est un élément qui contribue à la réparation. Être condamné pour avoir tué un Tutsi, c’est important! La culture de l’impunité s’était installée, terreau du génocide. “La justice ne nous rendra pas les nôtres! Le pire c’est quand on dit que le génocide n’a pas eu lieu!”
“IBUKA, école du mensonge?” demande le président. Il y a eu des faux témoignages, mais cette association n’est pas une école du mensonge, pas plus que AVEGA. “J’ai beaucoup de respect pour les rescapés” poursuit le témoin. Ils ont besoin des tueurs pour les aider: travailler dans les champs, aller à l’hôpital… “Ce qui n’est pas tolérable, c’est que des ONG ou des Églises forcent les gens à se réconcilier en échange d’une aide!”
Maître PHILIPPART.”Vous n’êtes pas sortie jusqu’à votre transfert aux Mille Collines (18 juin). Comment étiez-vous informée de la situation?” “On ne pouvait pas sortir mais les Hutu sortaient et circulaient. On entendait des bruits sur les deux barrières voisines… Lors de notre évacuation des Mille Collines, le soldat qui m’avait conduit là m’a insultée: il croyait que j’étais Hutu. Sur la route, les miliciens criaient, nous injuriaient, les barrières avaient été enlevées pour nous laisser passer”.
Monsieur HERVELIN-SERRE. Et l’enlèvement des corps? La Croix Rouge avait ramassé les cadavres, mais la ville aussi qui utilisait des camions-bennes. Le domicile de SIMBIKANGWA? Il habitait en face de l’église presbytérienne. (NDR. Au bord de la route qui descend des Mille Collines vers l’école française.)
“Vous avez connu des tueurs”? continue l’avocat général. “C’est compliqué, on peut devenir bourreau quand les conditions s’y prêtent. Des gens ont choisi de ne pas tuer, ce qui me réconcilie avec le genre humain. On ne nait pas monstre. 40 ans d’impunité, qu’est-ce que cela crée comme type d’homme? Et tous ces génocidaires qui vivent en France, ça nous fait mal! Rendre justice, c’est dire Stop!”
Maître EPSTEIN remercie le témoin pour son témoignage avant de lui poser des questions. Les tueurs/sauveteurs? ” Surtout avec les filles: question de sexe“. Écoles du mensonge? “Le spécialiste, c’est Joseph MATATA qui martèle cette thèse.” (NDR. Voir son audition lors du procès NGENZI/BARAHIRA sur le site. Ca vaut son pesant d’or!) L’ethnopsychiatrie? “Un mot à la mode pour les Blancs. Je pourrais m’improviser ethno-psychiatre!” Procès de la France? ” On n’est pas là pour cela!” Et si SIMBIKANGWA est acquitté? “Vous aurez fait votre travail. Vous serez content, vous aurez gagné! S’il n’y a pas de preuves, la Cour décide.”
SIMBIKANGWA a la parole en dernier. Il s’énerve et dit que le témoin a menti. Il ne la connaît pas, elle n’est jamais venue chez lui. Il y a une Cabale contre lui. Et de se relancer dans ses explications habituelles. Le président aimerait l’arrêter mais l’accusé insiste. “Toujours des mensonges!” Le président a beau dire que le témoin ne l’accuse pas de l’avoir menacée, il ne veut rien entendre. “Est-ce que vous êtes d’accord pour dire que dans ce procès il y a beaucoup de mensonges? Les Rwandais sont menteurs. IBUKA, c’est comme les Interahamwe, c’est comme le PARMEHUTU!” Et de pousuivre: ” Tout n’est pas faux mais il y a beaucoup de fabrications et nous démontrerons qu’ils mentent. Nous sommes des rationnels, nous sommes de DESCARTES.”
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
1. Accords de paix, signés en août 1993, à Arusha (Tanzanie), entre le gouvernement du Rwanda et le FPR (Front patriotique Rwandais). Ils prévoient notamment la diminution des pouvoirs du Président HABYARIMANA au profit d’un gouvernement « à base élargie » (cinq portefeuilles sont attribués au FPR), l’intégration des militaires du FPR dans la nouvelle armée gouvernementale, la nomination de Faustin TWAGIRAMUNGU au poste de Premier ministre et l’envoi d’un contingent de 2 500 hommes de l’ONU, la MINUAR, pour faciliter la mise en place des nouvelles institutions. Le président HABYARIMANA fit tout pour différer la mise en place de ces accords. L’attentat contre lui survint le soir du jour où il s’y résigna.Cf. glossaire.
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2. Terme qui traduit la radicalisation ethnique d’une partie des militants des mouvements politiques. A partir de 1993, la plupart des partis politiques se sont disloqués en deux tendances : une extrémiste dite « power » (ex. MDR-POWER; MRND-POWER; PL-POWER, etc), et l’autre modérée, rapidement mise à mal. Cf. glossaire.
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3. Parti Libéral. Le Parti Libéral va se scinder en deux fin 1993 : la tendance de son président, Justin MUGENZI, rejoint le Hutu Power, l’autre tendance, sera anéantie le 7 avril 1994. Cf. “Glossaire“.
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4. Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda. L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises d’État.Cf. “Glossaire“.
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Procès en appel de SIMBIKANGWA. Mercredi 9 novembre 2016. J10
12/11/2016
• Audition de Jean-François DUPAQUIER, journaliste, cité par les parties civiles.
• Audition du colonel Michel ROBARDEY, cité par la défense.
• Audition de messieurs Le FOLL et JACQUEMIN,
policiers à Mayotte lors de l’arrestation de Pascal SIMBIKANGWA.
Audition de monsieur Jean-François DUPAQUIER, journaliste, cité par les parties civiles.
Monsieur DUPAQUIER arrive au Burundi en décembre 1971 et, jeune coopérant, il vit les événements de 1972 qui ne bénéficient d’aucune couverture médiatique. Rédacteur en chef à L’Événement du Jeudi, il a du mal à faire passer des articles. Il publiera cependant en novembre 1992 “La France au chevet d’un fascisme africain“. En 1994, il sera envoyé au Rwanda dans le cadre d’une enquête diligentée par Reporters sans Frontières. Jean-Pierre CHRETIEN l’accompagne. Il découvre alors le journal Kangura numéro 6 du 10 décembre 1990: y figure un texte raciste intitulé Les 10 commandements des Bahutu.“ On disait sur les Tutsi ce qu’on avait dit sur les Juifs“.
Journal extrémiste Kangura n°6 (décembre 90)
Il y a 25 ans, le Rwanda est un pays pauvre avec une bureaucratie efficace et qui produit beaucoup de documents écrits bien archivés. Pour comprendre le génocide, il faut assimiler la notion de propagande: un génocide de voisins qui va aller jusqu’à la transgression brutale de toutes les valeurs qui font le pays. Comme nombre de témoins l’ont fait, il souligne le rôle capital de la RTLM.
Monsieur DUPAQUIER avait entendu parler de SIMBIKANGWA en 1993 avec la publication du rapport de la Commission internationale d’enquête de la FIDH/Human Rights Watch qui dénonce “une situation qui peut mener au génocide au Rwanda“.
Se pose au journaliste une double question:
Quand a-t-on décidé d’exterminer les Tutsi et comment la propagande était-elle organisée? Pas de réponse définitive. Comme pour la Shoah, la question est polémique. En 1959 comme le laisserait entendre la thèse officielle au Rwanda? En 1963 avec les massacres de Gikongoro qui firent plus de 20 000 morts (NDR. Événements qualifiés de “petit génocide” par Bertrand RUSSEL). “Les Tutsi se considéraient d’ailleurs comme les Juifs de l’Afrique“: perte d’un territoire et carte d’identité ethnique, existence de quotas comme sous le régime de Vichy pour les Juifs. (NDR. Les nombreuses références à la Shoah que fait le témoin irritent passablement maître EPSTEIN. Serait-il un adepte de l’unicité de la Shoah?)
Même si les premières années du “règne” de HABYARIMANA sont plutôt calmes, le président était prêt de perdre le pouvoir avec l’attaque du FPR du 1er octobre 1990: ce qui va souder les Hutu. Et le témoin rappelle les propos de l’accusé: “Si HABYARIMANA n’était pas mort, il n’y aurait pas eu de génocide.“
Peu à peu le pouvoir va se radicaliser. En 1991, le président réunit une dizaine de hauts militaires pour définir l’ennemi. En janvier 1992, cette commission définit le Tutsi comme ennemi, qu’il soit de l’intérieur ou de l’extérieur. C’est à ce moment qu’a germé l’idée d’exterminer les Tutsi. A l’instigation de Ferdinand NAHIMANA, docteur en Histoire (Sorbonne), et Directeur de l’Office Rwandais d’Information (ORINFOR) on organise une sorte de “galop d’essai“. Il produit un faux document pour chauffer à blanc les élites du Bugesera. Se constitue une force qui regroupe les paysans, les miliciens et les élèves de l’École de Gendarmerie de Ruhengeri. Protestions de l’Occident, demande est faite de limoger NAHIMANA. Dans le même temps, Agathe KANZIGA, épouse HABYARIMANA, commence à fomenter contre son mari.
La colère du peuple s’exprime alors dans les journaux. Dans “L’indomptable IKINANI“ publié par SIMBIKANGWA, on relativise ces événements du Bugesera. KANGURA est créé en réponse à KANGUKA de Vincent RWABUKWISI. Il est de notoriété publique que l’accusé avait terrorisé les journalistes démocrates du Messager. Deux d’entre eux seront même torturés.
La presse d’opposition, tenue en laisse par la capitaine SIMBIKANGWA – Rwanda Rushya n°16 – janvier 1992
Les femmes sont tout particulièrement livrées à la vindicte populaire. Les femmes tutsi sont dénudées, violées: cas d’une femme qui, après qu’on lui eut placé des électrodes sur les seins, fuira en Ouganda où elle mourra
(NDR. Maître EPSTEIN se fait rappeler à l’ordre pour interrompre sans cesse le témoin).
Monsieur DUPAQUIER fait la découverte de “L’indomptable IKINANI“, journal que SIMBIKANGWA avait demandé d’imprimer et qui contenait des attaques violentes contre la Premier Ministre Agathe UWINGILIYIMANA comparée à une prostituée poursuivie par des clients pour lui faire subir ce qu’elle avait déjà subi à quatre reprises à Butare (viols)[1].
Caricature publiée dans “L’indomptable IKINANI”.
Avec IKINANI, on transgresse le tabou de la nudité. C’est la première fois qu’on ose une caricature de gens nus. On va retrouver ces caricatures dans Kangura. L’idéologie génocidaire s’accompagne de la multiplication des caricatures pornographiques. Le témoin évoque à son tour le rapport de l’ambassadeur SWINNEN dont on a déjà parlé et affirme que le rapport de la FIDH de 1993 a retardé l’agenda du génocide. Et de préciser que l’accusé avait une haine particulière pour les Hutu démocrates. Rappel aussi de l’affaire KAVARUGANDA. Pour le témoin, ce sont les Hutu extrémistes qui ont tué HABYARIMANA: ils publient un faux document du FPR en 1992 et une fausse accusation toujours contre le FPR en 1994. Évoquant la solitude de l’accusé, le témoin la met sur le compte du fait qu’il a sans doute connu les assassins du président à qui il est tout dévoué.
Concernant l’attentat contre l’avion du président, le témoin affirme sa conviction: les responsables sont les extrémistes hutu. Il le dit depuis 1994 vu l’endroit d’où sont partis les tirs, proche du camp de la Garde présidentielle. A qui profite le crime? Pas aux Tutsi mais bien à BAGOSORA qui voulait faire un coup d’état[2]. L’audition s’oriente ensuite sur le livre Les médias du génocide qui a valu à deux de ses auteurs d’aller témoigner au TPIR. Si une partie de leur expertise a été retirée de l’accusation, c’est que la France avait réussi à faire en sorte que les procès ne portent que sur l’année 1994. “Façon de protéger les intérêts moraux de la Mitterrandie” . L’accusé phare était sans conteste Ferdinand NAHIMANA. Hassan NGEZE était un homme de paille. Mais il y avait aussi Edouard KAREMERA, NGIRUMPATSE. “La propagande avait été menée par des intellectuels qui utilisent les règles de la propagande nazie pour faire la même chose au Rwanda.”
Le président revient sur la RTLM ce qui donne l’occasion au témoin de dire qu’on assiste à une dérive progressive: radio commerciale et enjouée qui devait rapporter de l’argent aux actionnaires. NAHIMANA avait eu le génie de regrouper une équipe étonnante où chacun avait son rôle à jouer. On reparle aussi de l’attentat contre NDADAYE au Burundi et de ses conséquences sur le Rwanda.
Habyarimana acteur ou otage? Le témoin rapporte une anecdote qui s’est passée lors de la visite de HABYARIMANA à Paris. Le journaliste interroge le président sur les Dix commandements des Bahutu. Ce dernier de répondre: ” Au Rwanda, ça s’appelle la liberté d’expression“. “HABYARIMANA essayait de durer, c’était un homme seul. Il ne lui restait que deux amis: SAGATWA et SIMBIKANGWA. Il avait deux fers au feu: les extrémistes d’un côté, les modérés et le FPR de l’autre.” D’où ses hésitations à signer les accords d’Arusha. Il sera d’ailleurs assassiné le jour de la signature. Quelques propos sur la belle-famille, sur l’attachement quasi amoureux de l’accusé pour son président. Quant à l’attentat, l’accusé n’était probablement pas dans la confidence. SIMBIKANGWA s’est retrouvé seul, misérable, impossible de réagir, coupé de ses anciens amis.
Des génocidaires se sont retrouvés à Nairobi à vivre dans des conditions très favorables (cf. monsieur CEPPI et son article L’exil doré des dignitaires hutu.) D’où vient l’argent? “Ils ont beaucoup volé les banques avant de fuir, tiraient leurs revenus des FDLR qui pillent le Congo et leur envoient des ressources... Mais à un moment, SIMBIKANGWA n’émarge plus!” Et le témoin d’ajouter: ” Ce qui l’a isolé c’est d’avoir été le dernier fidèle de HABYARIMANA“. Madame HABYARIMANA? “Un personnage abominable“! selon le témoin. Si on ne voit plus SIMBIKANGWA après 1992, “peut-être appartient-il à un organe parallèle. Cela a existé dans l’Allemagne nazie“.
Lorsque le témoin affirme que “l’extermination de la race tutsi est une forme de folie comme l’extermination des Juifs“, maître EPSTEIN se met à trépigner et proteste.
Maître PHILIPPART souhaite savoir dans quelle conditions le témoin s’est procuré “L’ Indomptable IKINANI“. C’est le directeur de l’Imprimerie nationale qui lui en a montré un numéro. Mais ce journal n’a circulé que sous forme de photocopie, et encore de mauvaise qualité. Le Journal n’a pas été diffusé vu la violence des propos.
Maître Justine MAHASELA. En 1994, on instrumentalise l’action du FPR? “Exact”, répond le témoin. L’avocat d’interroger: “C’est une forme d’équivalence de morale“? reprenant les termes de madame MELVERN. Le témoin: “Grande efficacité d’une propagande auprès de la population marquée par la manipulation”.
Monsieur HERVELIN-SERRE demande s’il existe une censure de la presse écrite. “Il y a bien eu des arrestations de journalistes tutsi en 90 mais cette pratique a diminué. On était plus dans l’intimidation. Les caricatures se répandent dans la presse et même sous forme de tracts. “KANGUKA a eu un énorme succès et on a essayé de le détruire.” “Au Rwanda, il fallait être courageux pour diriger un journal d’opposition”. Un plan de colonisation tutsi? C’était un faux document qui laissait entendre que les Tutsi voulaient prendre le pouvoir dans les années 70. C’est un pendant du “Protocole des Sages de Sion.”
L’avocat général veut connaître l’importance du numéro 6 de KANGURA. ” Il sera tiré à 15 000 exemplaires et on en a distribué aux étudiants de Butare en grand nombre“.
Et UMURAVA? ” C’était une réplique de KANGURA, le deuxième journal de la haine. Quand on était propriétaire d’un Journal, on devenait un homme important.“
« Un article fait état de massacres au Bugesera. Y est évoquée la mort de « 35 petits cancrelats » alors qu’il y a eu 350 morts et beaucoup de blessés, sans compter les destructions des biens ! » Le témoin complète : « On a retiré un zéro. On a même dit qu’ils s’étaient suicidés : façon de mépriser les victimes, de minimiser les crimes, de les nier.» DUPAQUIER a bien eu un exemplaire de ce Journal. Il a prêté serment, il ne ment pas.
Monsieur CROSSON DU CORMIER souligne le « potentiel exceptionnel de vie de l’accusé. Sa fuite à la fin du génocide en atteste. Et de s’interroger :” Comment un homme dans cet état a-t-il pu commettre des actes de torture?” Le témoin n’a pas enquêté sur ce sujet-là.
Maître EPSTEIN ouvre le feu, ironique. « Vous êtes plus qu’un journaliste ; spécialiste des photocopieurs, de la Shoah ! Vous avez écrit sur la Shoah ? « Non, j’ai lu, ce qui m’a permis de faire des parallèles ! »
« Hervé DEGUINE vous considère comme un écrivain militant ! » lance l’avocat « C’est comme dire que l’avocat partage les convictions de son client ! » rétorque le témoin.
« Pourquoi ne retrouve-t-on pas la haine raciale dans les livres de l’accusé ? » « Demandez à votre client ! » Et quand l’avocat insiste, il s’attire une réponse cinglante : « Votre question n’a pas de sens ! »
« Vous citez Hannah ARENDT à tord et à travers ! SIMBIKANGWA pourrait faire partie d’une structure secrète ? ZIGIRANYIRAZO et SAGATWA restent sur la scène politique ? » DUPAQUIER de répondre : « Le nom de SIMBIKANGWA est cité par monsieur SWINNEN et par le Département d’État Américain ! » “Ma source, concernant le document de SWINNEN, c’est Jean BIRARA, un homme respectable qui vit au cœur du régime. Il donne la liste de 1500 Tutsi à tuer!”
Et l’attentat? Le témoin a ses convictions: ce sont les extrémistes hutu! Il y a deux thèses? “Oui, il y a deux thèses sur l’attentat: il y a la vérité et le mensonge!“[2]
Suit une série de questions qui ne nous apprennent rien de plus.
Maître EPSTEIN change de sujet. “Vous êtes ami avec Alain GAUTHIER!” Le témoin de répondre: ” C’est grâce aux GAUTHIER qu’on est là. On les appelle les KLARSFELD du Rwanda. Alain GAUTHIER, je le respecte et je l’admire. Je le considère comme un ami. Jamais Alain GAUTHIER ne m’a parlé de l’instruction. On nous a même confondus lors de l’arrestation de RWAMUCYO, ce qui lui a valu d’être menacé lors d’une audience à la Cour d’appel de Versailles“.
Si le témoin a été partie civile dans l’affaire MUNYESHYAKA, c’est parce qu’une parente de son épouse était dans l’église de la Sainte Famille à Kigali. Comme il s’agissait d’une affaire de viol, elle n’a pas souhaité qu’ils soient dans le dossier!
Maître EPSTEIN revient au dossier. “En 2009, les juges ont entre les mains la plainte du CPCR. Ils demandent des informations aux parties civiles. Alain GAUTHIER est convoqué.” (NDR. On ne voit pas trop où veut en venir l’avocat!) DUPAQUIER répond à côté: ” Je suis de ces journalistes qu’on appelle parfois “fouillent merde”. Si c’est pour la vérité, je veux bien fouiller dans les poubelles.”
Maître PHILIPPART intervient à son tour: “On reproche à Alain GAUTHIER de ne pas avoir appelé Jean-Pierre CHRETIEN pour obtenir une copie de L’Indomptable IKINANI! C’était aux juges de le faire!”
Maître BOURGEOT intervient à son tour, manifestement de mauvaise foi: ” Parce que monsieur GAUTHIER n’est pas un enquêteur? Il est bien allé dans les prisons pour enquêter!” Et de poursuivre en parlant de TWAGIRAMUNGU qui est venu témoigner en faveur de SIMBIKANGWA en première instance. ” Il y a un faux dans le dossier? s’étonne maître Rachel LINDON. ” Vous pouviez attaquer en diffamation la publication de ce faux!”
On s’en tiendra là! Ce sera au tour du colonel ROBARDEY, “un ami du CPCR”, qui sera entendu en début d’après-midi. Les échanges s’annoncent musclés au vu des dépositions qu’il a déjà faites à la Cour d’assises de Paris en 2014, lors du premier procès SIMBIKANGWA.
Audition du colonel Michel ROBARDEY, au Rwanda de septembre 90 à septembre 93, témoin cité par la défense.
Le colonel commence par s’étonner qu’on éprouve le besoin de préciser qu’il est cité à la demande de la défense: cela ne change rien à son témoignage.
Le colonel ROBARDEY déclare ne pas connaître SIMBIKANGWA: il ne l’a jamais rencontré, ne lui a jamais parlé. Il va ensuite rapporter longuement la mission qui lui a été confiée. On l’a nommé au Rwanda pour moderniser les services de police judiciaire. Comme il arrive quelques jours avant l’attaque du FPR, il devra différer son intervention auprès de l’unité de gendarmerie qui a été envoyée au front. Il se contente, dans un premier temps, de faire des audits.
A propos des arrestations opérées à la suite de l’attaque du FPR le 1er octobre 1990, il reconnaît bien que 8 000 personnes ont été enfermées au stade de Nyamirambo et précise que ce sont des opposants politiques, dont 2/3 de Hutu. De 1973 à 1990, le témoin présente HABYARIMANA comme un “protecteur des tutsi“! Il a été le premier a alerter les autorités françaises de la possibilité d’un génocide, dès 1991.
Lors de son séjour, il a rencontré des personnes de tout bord. Il va parler longuement, et à plusieurs reprises, d’une activiste des Droits de l’Homme, dont il s’étonne qu’elle n’ait pas été convoquée dans cette Cour: il s’agit de Monique MUJAWAMARIYA (NDR. Elle vit au Canada et sillonne le monde pour rencontrer les membres de l’association de femmes qu’elle a créée, la Leading Women of Africa.) Le témoin la citera à plusieurs reprises, cette dame étant restée son amie.
Concernant les massacres de Kibilira et ceux des Bagogwe, sa conviction est faite. Jean-Marie NDAGIJIMANA a démontré qu’ils étaient l’œuvre du FPR!!! [3]
Les massacres du BUGESERA? Le témoin s’est rendu sur place. Les assassins étaient des bandes de jeunes avinés qui portaient des armes traditionnelles et qui lui disent: “ Quand on est attaqué, on se défend.” Il reconnaît que “l’inaction des autorités rwandaises était inadmissible“. 450 personnes seront arrêtées, grâce à son intervention, semble-t-il. Mais il oublie de dire qu’elles ne seront pas poursuivies!
Pour former les membres de la Police judiciaire, le témoin préfère les envoyer sur le terrain en leur fournissant des méthodes d’investigation. Trois directions:
– les attentats perpétrés à l’époque: on analyse les débris d’explosifs, on reconstitue la traçabilité. Les armes étaient d’origine belge et russe. Les mines avaient été livrées à KADHAFI, puis à l’Ouganda via le Burundi. C’est donc le FPR qui était responsable de ces massacres aveugles. CQFD.
– les massacres commis dans le Nord, à Byumba en 1992, puis à Ruhengeri: le FPR rassemblait la population et ouvrait le feu. Le FPR ne voulait pas garder des adversaires sur ses ligne arrières. Il fallait faire de la place pour les réfugiés tutsi qui rentraient d’Ouganda
– l’Akazu/le Réseau Zéro? Clair que Janvier AFRICA n’était en rien crédible: c’était un menteur. On reproche à SIMBIKANGWA d’être un cousin de HABYARIMANA, d’être membre de l’AKAZU [4]? “Une des parties civiles est cousine de KABAREBE (NDR. Actuel ministre de la Défense.), membre de l’Akazu de KAGAME! La parole des témoins est fragilisée!”
– les Escadrons de la mort? “ Nous n’avons trouvé aucune victime! S’il n’y a pas de victimes, pas d’Escadron de la mort!” (NDR. Raisonnement tout militaire!)
L’audition du témoin se poursuit par un échange avec le président sur l’identité de ceux qui ont attaqué en octobre 1990. “C’était des troupes venues d’Ouganda pour attaquer Kigali et qui portaient des uniformes ougandais et possédaient des cartes d’identité ougandaises. Qui avait-il sous ces uniformes? Nous avons fait une vingtaine de prisonniers: la majorité était rattachée à la diaspora tutsi qui avait aidé MUSEVENI à prendre le pouvoir en Ouganda.”
Le Rwanda à l’époque? “Un gouvernement autoritaire qui encadre la population, avec la pratique de l’Umuganda, ces chantiers à la Mao. Je suis reconnaissant à HABYARIMANA d’avoir ramené la paix. Au Burundi, gouverné par les Tutsi, se produisaient des massacres de masse périodiques.”
“Votre rôle au Rwanda: extirper les mauvaises méthodes?” demande le président. Le colonel semble gêné de répondre. Lui-même n’a pas constaté ces mauvaises méthodes. “Mon travail était pédagogique. J’étais chargé de nettoyer les écuries d’Augias. Quant à l’accusé, il n’est jamais intervenu au Fichier Central.”
Le président interroge le témoin sur les enquêtes qu’il a eu à conduire. Monsieur ROBARDEY insiste sur les arrestations qui ont suivi les massacres du Bugesera: plus de 400 personnes, qui seront d’ailleurs libérées par la suite. Quant aux massacres en zone du FPR, il souligne la difficulté qu’il y avait à enquêter sur place. Il doit donc se fier aux témoins. Mais il s’appuie aussi sur ses constatations personnelles: à Byumba et Ruhengeri en particulier, il a pu ramasser des armes sur les victimes. Il évoque les massacres perpétrés à la Cour d’appel par le FPR (NDR. D’autres témoins rencontrés attribuent ces massacres aux FAR!) Mention faite ensuite des témoignages des déplacés du Nord: toujours les massacres du FPR qui voulait vider le Nord et “envoyer la population dans les pattes du gouvernement“.
Impossible d’éviter le personnage de Janvier AFRICA. Pour le témoin, “on est au cœur des querelles dans ce dossier rwandais. Escroc incarcéré en 1992, il prétend être responsable des services de renseignements… Certaines des parties civiles l’ont “statufié” comme un dieu incontournable, tout comme Jean-Pierre TURATSINZE. Tout cela est une construction, une manipulation politique du FPR.” Puisque Janvier AFRICA n’a jamais participé aux réunions dont il parle, ces réunions n’ont pas existé! L’accident dans lequel Monique MUJAWAMARIYA évoque le nom de SIMBIKANGWA permet au témoin de dire que, “au Rwanda, un handicapé n’est pas sympathique. Un handicapé en fauteuil roulant c’est suspect au Rwanda, même si le fauteuil a été payé par les assurances!” Plus loin, le témoin reviendra sur cet accident. MUJAWAMARIYA avait “accusé” SIMBIKANGWA de ne pas y être étranger. Ce dernier, rencontré à l’aéroport, lui aurait dit: “Arrête de raconter des conneries, sinon la prochaine fois tu n’en réchapperas pas“. Propos proférés en présence de madame Alison DES FORGES.
D’aborder ensuite le thème de la presse d’opposition. ” J’ai vu la liberté d’expression se développer“, ajoute le témoin. “La liberté de parole? Au Rwanda, le pouvoir fort, c’est celui de KAGAME. Parole libre? Vérité? C’est ce qui va permettre à celui qui s’exprime de nourrir sa famille, de vivre au jour le jour. Il est inimaginable de dire à une autorité autre chose que ce qu’elle veut entendre.” Et d’évoquer la mort des parents de CORNEILLE! (NDR. Pour éviter toute polémique, on ne relèvera pas!)
Le président relance l’audition sur les Escadrons de la mort; l’Akazu, le Réseau Zéro! Il n’en sortira rien de nouveau. Le témoin donne les noms des gens qu’il a l’habitude de rencontrer. Quant à BARRIL, il n’a fait que l’apercevoir un jour à l’aéroport! Il ne semble pas vouloir en parler. Il poursuit en évoquant la présence des soldats français: ” Nous avons été les premiers à alerter de la possibilité d’un génocide, dès 1990. Le génocide s’est produit au départ de l’armée française.” Pour lui, il se dit choqué: on ne différencie les notions de génocide et de crimes contre l’humanité qu’après enquête. “Pourquoi KAGAME a-t-il refusé que le TPIR travaille au Rwanda? On a qualifié les faits de génocide sans enquête!” Le colonel ROBARDEY exprime aussi ses craintes: ” J’ai peur que cette Cour d’assises prenne le contre-pied de ce qu’a dit le TPIR. J’ai peur qu’on condamne SIMBIKANGWA pour génocide et qu’on dise qu’il y a donc eu planification”!
Le rapport de la FIDH de 1993? “J’ai été stupéfait de lire tous ces mensonges gravés dans le marbre quand on venait de prouver que les attentats étaient commis par le FPR! Sur les 100 pages, 10 sont consacrées aux massacres du FPR. Ils n’ont passé qu’une journée dans leur zone dans laquelle il y a eu 10 fois plus de morts que dans la zone gouvernementale!” L’assassinat de GATABAZI? “L’enquête a été conduite par Pascal KAYIHURA, personne d’une grande probité qui sera assassiné par le FPR en 1995 pour avoir refusé de témoigner contre la France. Pour moi, il en savait trop sur les assassinats politiques!” (NDR. On peut noter que le témoin attribue systématiquement tous les méfaits au FPR. Avec des preuves?) Et de continuer en attirant l’attention de la Cour sur le sort qui aurait été réservé à un témoin qui était venu témoigner au procès en première instance. Nous n’en dirons pas plus.
Sur la question de la liberté des enquêteurs français lors des commissions rogatoires, le témoin profère une contre-vérité manifeste. Les juges français et les gendarmes enquêteurs semblent bien enquêter en toute liberté, aucun membre du parquet rwandais n’assistant aux interrogatoires.
Maître FOREMAN s’adresse au témoin. “Vous parlez d’un procès qui dépasse l’accusé! Vous ne le connaissez pas? Nous sommes là pour examiner des faits qui lui sont reprochés. Vous n’avez rien à dire sur lui pendant le génocide.” Le témoin rétorque: “Ce n’est pas moi qui évoque ce procès sur internet. D’autres le font. J’ai droit de lire les comptes-rendus!”
Bilan de la mission du colonel ROBARDEY? “La mission parlementaire française a émis un jugement modéré. Le général VARLET a dit que la mission avait échoué parce que, ce que les Rwandais cherchaient, c’était de montrer les Tutsi”, déclare l’avocat du CPCR. Monsieur ROBARDEY évoque “le naufrage de la vieillesse” à propos de son collègue. ” Je lui ai envoyé une lettre d’injures au général VARLET!” “Et pas à l’ambassadeur MARTRE qui a dit la même chose?” poursuit l’avocat. Réponse du colonel: “MARTRE avait pour mission que la France décroche du Rwanda.”
Le président: “Vous avez travaillé avec PÉAN, vous lui avez rendu hommage?
Monsieur ROBARDEY: “Il a reproduit ce que j’ai dit.”
Le président: “Selon PEAN, votre mission consistait à faire de la propagande!”
Monsieur ROBARDEY: ” Ma mission était d’apaiser le pays.”
Le président insiste: “ PEAN dit “activité de contre-propagande!”
Monsieur ROBARDEY: ” Je pensais que c’était l’intérêt du Rwanda.”
Le président: “ Quelques personnes molestées”, écrivez-vous dans une lettre ouverte à l’ambassadeur SWINNEN pour parler des massacres des Tutsi!”
Monsieur ROBARDEY: “ Quand j’écris cela, 40 000 Hutu ont été tués dans le Nord.”
Le président: “Boniface torturé par SIMBIKANGWA! Les faits sont dans le dossier!”
Boniface NTAWUYRTUSHINTEGE torturé par le capitaine SIMBIKANGWA – Umurangi n°5 – 1992
Monsieur ROBARDEY: “J’ai pas lu CHRÉTIEN” (“Vous avez raison” intervient maître EPSTEIN). “J’ai enquêté sur SIMBIKANGWA et les dires de Janvier AFRICA missionné par le FPR. Après, je ne me suis plus intéressé à lui.” A la question de savoir s’il a lu le rapport “CARBONARE” (FIDH): ” J’ai dit 10 pages sur le FPR et 100 sur les autres crimes. Kibilira et les Bagogwe? NDAGIJIMANA dit que c’est le FPR!” (NDR. Si NDAGIJIMANA le dit! On n’est pas à une affabulation près! [3]) Et à maître FOREMAN qui proteste: ” Vous dites n’importe quoi pour faire un meltingpot. Votre position est ridicule!”
A maître Jean SIMON qui s’étonne des propos du témoin (” J’ai enquêté et n’ai pas trouvé de traces de planification!“), le colonel répète qu’après le Bugesera, 400 personnes ont été arrêtées. “Ma présence a fait arrêter les massacres au Bugesera. Ayant constaté les carences du pouvoir rwandais au Bugesera, j’ai enquêté: c’était le FPR qui était à l’instigation!” (NDR. On aura tout entendu. Le FPR aurait tué les Tutsi au Bugesera!) Il ajoute: “Génocide des Tutsi mais aussi massacres au Zaïre qui sont un génocide (voir le rapport Mapping). Il faudrait une décision de justice.”
Monsieur HERVELIN-SERRE revient sur les massacres du Bugesera en faisant remarquer que les 400 personnes arrêtées ont été libérées et sont restés en liberté, en toute impunité.
Réponse du témoin: “Je ne suis pas intervenu car ce n’était pas mon domaine. Je ne suis pas responsable des errements de la justice rwandaise.”
Concernant le rétablissement de réseaux parallèles du renseignement lorsque le SCR est passé de la Présidence à la Primature, le témoin précise qu’il a cru comprendre que SAGATWA avait tenté de rétablir un service de renseignements à la Présidence.
Monsieur CROSSON DU CORMIER fait remarquer au témoin qu’il a lu internet et qu’il est influencé par ce qu’il a lu avant de se présenter. Réponse du témoin: ” C’est pourquoi je m’étonne que le CPCR puisse faire des comptes-rendus. Pour influencer les témoins?”
Suit un court débat sur les conditions dans lesquelles se déroulent les commissions rogatoires françaises au Rwanda, la défense prétendant que les enquêteurs sont toujours accompagnés d’un OPJ local. C’est FAUX.
Une dernière question est posée au témoin. ” Quelle valeur accordez-vous au procès?”
” Je ne continuerais pas à témoigner si je n’y croyais pas, par respect pour le travail de la Cour. J’ai de la considération pour les gens qui m’interrogent” poursuit monsieur ROBARDEY. (NDR. On peut parfois en douter!). Et d’évoquer une “justice ethnique” au Rwanda. Il ajoute qu’il a peur que ce soit comme cela en France. Quant au rapport de la FIDH, “C’est une manipulation.”
Le témoin reconnaît-il le génocide des Tutsi? ” Vous m’avez entendu le nier?” répond le témoin.
Le pire reste à venir. Se tournant vers le banc des parties civiles, il ose ces mots indécents: “ Dans cette salle, je suis peut-être celui qui a perdu le plus d’amis pendant ce génocide!”
L’audience se termine par un dialogue entre maître BOURGEOT et le témoin. On évoque l’intervention de Pierre PEAN, le fait que Jean CARBONARE soit devenu conseiller du président KAGAME, l’assassinat de GATABAZI, “assassinat attribué au FPR aujourd’hui, ce que personne ne conteste“. Le témoin se plaint des pages d’insultes dont il a fait l’objet et publiées sur Google après son témoignage en première instance. (NDR. Il ne parle pas de ses propres calomnies, de celles de ses amis PEAN, NDAGIJIMANA, Emmanuel NERETSE ou autres MUSABYIMANA à l’encontre du CPCR et de ses responsables!)
Audition de messieurs Le FOLL et JACQUEMIN, policiers à Mayotte lors de l’arrestation de Pascal SIMBIKANGWA.
Ils seront entendus séparément mais leurs déclarations présentent peu d’intérêt pour l’affaire qui concerne la Cour d’assises de Bobigny. SIMBIKANGWA a été appréhendé pour fabrication de faux documents. S’en est suivie une garde à vue et les avocats de la défense veulent savoir dans quelles conditions leur client a été détenu. A souligner que l’accusé n’a pu obtenir l’aide d’aucun avocat. Renseignements pris auprès du bâtonnier: SIMBIKANGWA avait des dettes à l’égard de son avocat et il ne souhaitait pas en nommer un nouveau. Aucun ne voulait peut-être le défendre! Le président veut connaître aussi dans quel état d’esprit était l’accusé lors des interrogatoires auquel il a été soumis. Il a collaboré, généralement calme, mais il s’énervait parfois, cherchant à la fois à minimiser son rôle tout en refusant qu’on le considère comme un personnage insignifiant. On s’y perd un peu dans le dédale des procédures. Le président fait d’ailleurs remarquer que la Cour n’est pas saisie de cette affaire.
Alors que maître SIMON demande à la défense de poser des questions plutôt que de refaire le procès des faux papiers, maître EPSTEIN revient sur les conditions de la détention de leur client.
Monsieur CROSSON DU CORMIER pose une dernière question et veut savoir pourquoi il y a eu deux procédures dans cette affaire de faux papiers. Le dernier témoin fait remarquer qu’à Mayotte le trafic de faux papiers est “un sport national“. Il ajoute que ” c’est la première fois qu’il voyait des faux si bien faits.” La question de l’avocat général n’obtiendra pas vraiment de réponse.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
1. Extrait de “L’indomptable IKINANI“, traduit du kinyarwanda dans “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995). [Retour au texte]
2. “Pour que les choses soient claires au sujet de l’attentat”, Jean-François DUPAQUIER a publié un nouvel article à la suite de son audition : “Rwanda : un pas de plus vers la rupture des relations diplomatiques avec Paris” (12/11/16 – Afrikarabia.com)
[Retour au texte]
3. Ancien ministre et ancien ambassadeur à Paris au déclenchement du génocide, Jean-Marie NDAGIJIMANA avait déjà exposé ses convictions à l’occasion de son audition au procès NGENZI/BARAHIRA le 13 mai 2016.
[Retour au texte]
4. Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda. L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises d’État. Cf. “Glossaire“.
[Retour au texte]
Procès en appel de SIMBIKANGWA. Jeudi 10 novembre 2016. J11
12/11/2016
• Audition de René DEGNI-SEGUI, envoyé spécial des Nations-Unies au Rwanda en 1994 (visioconférence).
• Audition de Théophile GAKARA, ancien major de la gendarmerie, enseignant en Belgique.
Audition de monsieur René DEGNI-SEGUI, envoyé spécial des Nations-Unies au Rwanda en 1994. En visioconférence.
Monsieur DEGNI-SEGUI commence par préciser les objectifs de son mandat: proposer des mesures pour qu’il n’y ait pas de représailles après le génocide des Tutsi. Il lui a été difficile de se rendre sur le terrain mais il a rencontré les principales autorités et échangé avec de nombreux témoins. Dans son rapport du 28 juin 1994 [1], il a pu qualifier les faits de “génocide”.
Pour le témoin, trois éléments constituent le génocide:
– les faits matériels: massacres, meurtres, assassinats… 500 000 victimes à l’époque, mais le nombre importe peu.
– l’intention d’exterminer: ceux qui ont commis ces massacres ne s’en cachaient pas. L’élément intentionnel a pu être reconnu.
– les victimes: même si la notion de “groupe visé” lui a posé des problèmes, deux éléments déterminants permettent de dire qu’il y a bien eu “génocide des Tutsi“: le tri aux barrages (Tutsi exécutés) et un document du Ministère de la Défense qui définissait le Tutsi comme personne à éliminer. Le Hutu n’est visé qu’en tant que “traître”, ce qui correspond à “un crime de guerre”. Même si après, il a pu noter des actes de vengeance, “il n’y a pas eu de double génocide.”
Monsieur le Président rappelle les assassinats ciblés dès le 7 avril, suivis de massacres généralisés. Dès le 6 avril, tous les ingrédients du génocide étaient là. “Il existait un plan dans le but d’exterminer les Tutsi” (NDR. Dans la nuit du 6 au 7 avril, tous les habitants tutsi qui vivaient autour de la résidence du président à Kanombe seront systématiquement éliminés par la Garde présidentielle.) Le témoin ajoute que “l’attentat a été l’étincelle“.
Monsieur DEGNI-SEGUI fait bien la distinction, dans son analyse, entre le conflit armé qui opposait le FPR aux FAR, et les massacres perpétrés par les milices et la population “forcée de participer”. Il a bien demandé aux autorités d’arrêter les massacres, mais ce sont précisément les autorités qui ont elles-mêmes participé: gouvernement intérimaire, préfets, bourgmestres, militaires. Allusion à la situation de Butare qui plongera dans le génocide avec l’élimination du préfet Jean-Baptiste HABYARIMANA juste après le discours du président SINDIKUBWABO. “Les ordres venaient d’en haut” ajoutera le témoin.
Monsieur DE JORNA, le président, questionne le témoin sur SIMBIKANGWA (il ne se souvient pas avoir entendu son nom). Quant aux Escadrons de la mort, le Réseau Zéro et l’Akazu, il en a entendu parler en 1993, lors de la Commission de la FIDH, mais il était difficile d’avoir des informations. Il dit assumer ce rapport: “Nous avons constaté qu’il y avait les germes d’un génocide. Nous avons tiré la sonnette d’alarme mais nous n’avons pas été entendus.” Le témoin ne se souvient pas que SIMBIKANGWA ait voulu remettre un document aux membres de la Commission: ” Nous travaillions par équipes de deux ou trois. Il est possible qu’il ait remis son document.”
Sur question du président, le témoin confirme que madame Alison DES FORGES, membre de la Commission, était une “référence”. ” Je l’ai vue travailler avec méthode, elle se rendait souvent au Rwanda. Elle avait beaucoup de connaissances, pour une Américaine!”
Maître Safya AKORRI lit un paragraphe du rapport. Le document remis par SIMBIKANGWA “n’a pas été jugé crédible dans la mesure où il émanait de quelqu’un qui était soupçonné de faits graves et de pires violations contre les Droits de l’Homme.” Maître BOURGEOT parle “d’un rapport vicié” dans la mesure où SIMBIKANGWA était visé. ” Il a voulu se défendre“. On en reparlera lors de l’audition de maître GILET.
Le témoin répond à maître Justine MAHASELA qui évoque “la programmation des massacres“, termes utilisés dans son rapport de 1994. Il confirme ses propos: il y avait bien eu distribution d’armes, les milices avaient été entraînées… ” Le Sénat belge l’a dit aussi!” Les armes ont bien été achetées avant le 6 avril 1994.
Monsieur HERVELIN-SERRE fait allusion au rapport du témoin du 25 mai 1994 dans lequel ce dernier décrit l’ampleur des massacres commis à Kigali: ” A Gikondo, en un seul jour, dimanche 10 avril, la route était couverte de cadavres sur 1 km.” “Qu’en est-il de l’enlèvement des cadavres”? Le témoin précise qu’il reçoit des informations en provenance des agents des Nations-Unies. Et d’évoquer “le ramassage des ordures” et “les cadavres jetés dans des fosses communes.”
L’avocat général de revenir sur l’impunité qui règne depuis des décennies. “Il y a eu des vagues successives de massacres: les auteurs n’ont jamais été poursuivis. Les gens étaient si sûrs de l’impunité qu’ils tuaient à visage découvert. Et on élimine ceux qui veulent refuser les massacres (préfet de Butare).”
Maître BOURGEOT, citant REYNTJENS [2], demande au témoin s’il est interdit de séjour au Rwanda. “Vous me l’apprenez” répond le témoin. ” Jusqu’en 1996, mon mandat était renouvelé. J’étais invité à la dixième commémoration mais ce sont les autorités ivoiriennes qui ne m’ont pas laissé partir.” L’avocate de la défense voudrait entraîner le témoin sur la situation actuelle du Rwanda. Le témoin dit qu’il ne peut répondre mais qu’il “a dénoncé la justice des vainqueurs“.
Maître BOURGEOT de revenir sur la décision du TPIR de ne pas reconnaître “l’entente en vue de commettre le génocide!” Elle veut savoir ce qu’en pense le témoin. Monsieur DEGNI-SEGUI de reprendre: “J’ai dit que l’incitation à la haine raciale, l’auto-défense civiles, l’entraînement des milices et le climat d’insécurité étaient des éléments susceptibles de créer les conditions d’un génocide.”
Toujours questionné par la défense, le témoin dit faire confiance à GUICHAOUA comme expert. Quant à REYNTJENS [2], il l’a rencontré mais “il a des positions que je n’ai pas toujours partagées.”
Le témoin est remercié et parole est donnée à SIMBIKANGWA. Ses problèmes viendraient-ils du rapport de la FIDH? « La cabale est venue avec le livret de Christophe MFIZI contre le Président. C’était un règlement de compte car il avait été évincé de l’ORINFOR. J’ai fustigé le mensonge en écrivant L’Indomptable IKINANI.” Selon lui, MFIZI avait sali HABYARIMANA, lui qui avait tout fait pour régler les problèmes. Mais ce livret a disparu à l’imprimerie. L’accusé en avait gardé une copie qu’il a remise à MFIZI. Dans ce document, il n’y avait pas les mots Hutu ni Tutsi. Quant à KUIPERS, le ministre belge, il avait diffusé une liste de 39 personnes comme membres de l’Akazu [3] et le nom de SIMBIKANGWA y figurait. Dix experts avaient donc été envoyés au Rwanda, dont CARBONARE et DES FORGES. N’ayant pu être reçu par les membres de la Commission qui lui avaient posé un « lapin », l’accusé s’est rendu à l’aéroport le jour de leur départ et a remis son document à Eric GILET. SIMBIKANGWA dit avoir intenté une action en justice contre Janvier AFRICA et une autre contre KUIPERS, Voilà l’origine de la cabale.
Quant aux propos rapportés par ROBARDEY concernant les paroles que l’accusé aurait proférées en direction de Monique MUJAWAMARIYA, ce dernier dément. A l’aéroport, il n’a parlé qu’avec GILET. “ROBARDEY a fait du rapportage !” (sic).
Le président cherche à savoir s’il y a eu d’autres numéros de L’Indomptable IKINANI et comme à son habitude l’accusé se perd dans des explications qui n’ont rien à voir avec le sujet. Le président s’impatiente et lui fait remarquer : “Ici, ce n’est pas le jeu du “ni oui ni non”, l’accusé n’arrivant pas à répondre clairement aux questions.
Maître PHILIPPART lui fait remarquer que MFIZI a peut-être gardé l’exemplaire de son pamphlet ! Concernant les méthodes d’enquête de l’accusé, maître AKORRI laisse entendre que si son document n’a pas été retenu, c’est que ” les droits de l’Homme que vous représentez n’ont pas beaucoup de légitimité !”
Maître BOURGEOT demande à son client ce qu’il a pensé en apprenant l’attentat contre HABYARIMANA. « Impossible de donner une réponse. Pas d’avis immédiat » commence-t-il par dire. Et d’ajouter : « J’ai pensé à un coup d’État. » Par qui ? « NDINDILIYIMANA . »
Dernière question de maître BOURGEOT : “Pourquoi est-ce vous qu’on accuse ?”
SIMBIKANGWA : “On parle toujours du rapport de CARBONARE. Ce rapport est faux, c’est prouvé. La seule faute que j’ai commise : le sacrilège d’avoir parlé en bien d’HABYARIMANA.”
Audition de monsieur Théophile GAKARA, ancien major de la gendarmerie, enseignant en Belgique.
Le témoin a connu SIMBIKANGWA. A la sortie de l’École supérieure militaire, il est passé à la Gendarmerie nationale, au service de la Sécurité routière. Il ne l’a plus revu. Il a su plus tard qu’il avait eu un accident , qu’il vivait en fauteuil roulant et qu’il avait été versé au civil. Il sait toutefois qu’il a servi comme Garde présidentiel (GP). Par contre, il ne connaît pas le mode de recrutement pour les GP, mais il suppose qu’il existe des critères objectifs, se refusant à croire en des critères régionalistes ! (NDR. Peu convaincant).
Le témoin détaille ensuite ses différentes formations et séjours à l’étranger. En 1991, on le rappelle à cause de la guerre, repart en Belgique pour revenir en 1992. Il reconnaît avoir participé aux négociations d’Arusha mais on a du mal à comprendre à quel niveau. Il révèle que sa famille a été massacrée par le FPR dans la nuit du 7 au 8 février 1993. Questionné par le président, il ne veut pas reconnaître qu’il existe des opposants à HABYARIMANA. BAGOSORA ? “Je ne l’ai pas vu. Il était pour les accords d’Arusha!” Le témoin dit ne rien connaître du dossier BAGOSORA. Son propre nom y apparaît pourtant : il ferait partie du groupe qu’on appelle Amasasu (étymologiquement, les balles, les munitions ! » Ce groupe se serait opposé farouchement aux accords d’Arusha. Mais il ne veut pas le reconnaître.
Fusent alors quelques questions. SIMBIKANGWA ? “Je ne savais pas qu’il était encore vivant !” Génocide des Tutsi ? “Je ne suis pas compétent pour le dire!” Extermination des Tutsi? insiste le président. “On tuait pour s’approprier les biens!” Le témoin s’embrouille, se refuse à prononcer le mot “génocide“. “On tuait des enfants” ! Silence du témoin.Vous avez fait des études, vous faites partie de l’élite? Et le témoin de dire qu’il a participé à la réunion du 6 avril au soir entre l’État major de l’armée et celui de la gendarmerie. Par DALLAIRE, ils apprennent que le camp GP, près de l’aéroport, n’est pas calme. Pour eux, c’est clair, c’est le FPR qui a abattu l’avion [4].
A la question de savoir ce qu’il avait vu dans Kigali : “On patrouillait pour la sécurité des gens. Le troisième jour, nous avons demandé à rencontrer le FPR pour qu’il arrête les combats!”
Un des jurés fait poser la question de savoir s’il y a eu un génocide. “Le TPIR a dit qu’il y a eu génocide. Moi je ne suis pas un juriste, je n’ai pas à me prononcer. Génocide ou massacres : c’est une tragédie!”
Maître PHILIPPART interroge le témoin à propos des barrages : “Ils avaient pour but d’empêcher les infiltrations du FPR!” Et les morts, tous des infiltrés, des Tutsi ? Le témoin acquiesce.
Les questions devenant de plus en plus précises, le témoin s’inquiète. “On me considère comme un accusé ! Le camp de la gendarmerie est resté sous le feu du FPR pendant 4 mois!”
“Mais des milliers de Tutsi ont été abattus aux barrières“? insiste l’avocate. Monsieur GAKARA regrette le manque de moyens dont ils disposaient pour arrêter ce qu’il nomme “ces dérapages“!
Quand maître PHILIPPART évoque le passage du SCR sous responsabilité de la primature, elle fait remarquer que le Président n’avait plus de service de renseignement. “C’est une question tendancieuse. Le gouvernement communique avec la Présidence. SIMBIKANGWA travaillait pour le peuple rwandais, pas pour le Président!”
Autre question :”Qui habitait Kiyovu?” Réponse : “Vous pouvez me dire qui habite Bobigny?”
Maître MAHASELA : “Vous avez eu connaissance de la note du ministère de la Défense en date du 21 septembre 1992?” “L’ennemi, c’est le Tutsi de l’intérieur ou de l’extérieur! C’était un appel à la vigilance” se contente de dire le témoin.
Monsieur CROSSON DU CORMIER veut revenir sur la personnalité de SIMBIKANGWA mais le témoin n’est pas disposé à en dire beaucoup. “C’était un homme jovial, dynamique. Il avait son franc-parler !”
Maître BOURGEOT s’inquiète de voir comment le témoin a été traité. “Tout le monde se demande pourquoi vous n’avez pas été inquiété. J’avais envie de vous défendre. Comment vous sentez-vous ?”
Le président se permet d’intervenir. “Ne voyez pas une accusation dans les questions des uns et des autres. Ce n’est pas facile d’être témoin. Mais ce n’est pas facile d’être victime non plus, ou juré !”
Monsieur GAKARA quitte la salle d’audience, tout sourire, en faisant de grands signes à Pascal SIMBIKANGWA. Peut-être qu’ils se connaissaient mieux qu’il n’avait bien voulu le reconnaître!
Alain GAUTHIER, président du CPCR
1. “Rapport sur la situation des droits de l’homme au Rwanda, soumis par M. R. Degni-Ségui, Rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme” téléchargeable ici (site de “La France au cœur du génocide des Tutsi” de Jacques Morel).
A noter que ce rapport a aussi fait l’objet d’une lecture le 4 novembre.
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2. Voir l’audition de Filip REYNTJENS en première instance, le 13 février 2014.
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3. Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda. L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises d’État. Cf. “Glossaire“.
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4. “Pour que les choses soient claires au sujet de l’attentat”, Jean-François DUPAQUIER a publié un nouvel article à la suite de son audition : “Rwanda : un pas de plus vers la rupture des relations diplomatiques avec Paris” (12/11/16 – Afrikarabia.com)
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Procès en appel de SIMBIKANGWA. Lundi 14 novembre 2016. J12
15/11/2016
• Audition de Gasana NDOBA, consultant.
• Audition d’Augustin IYAMUREMYE, secrétaire général du SCR de 1992 à 1994.
• Interrogatoire de Pascal SIMBIKANGWA.
Audition de monsieur Gasana NDOBA, consultant.
Le témoin commence par énumérer les différentes fonctions qui justifient sa présence devant la Cour d’assises. Monsieur NDOBA travaille dans le domaine des droits de l’Homme depuis 1990. Il ne connaissait pas personnellement SIMBIKANGWA avant le procès en première instance au TGI de Paris en 2014, mais il en avait entendu parler en tant que coordinateur d’un Comité des Droits de l’Homme en Belgique: il considère l’accusé comme un “idéologue, un propagandiste zélé“.
Extrait en exergue de “La Guerre d’octobre” écrit par Pascal SIMBIKANGWA
Le témoin s’engage dans une explication de textes: il étudie les écrits de Pascal SIMBIKANGWA, ce qui ne plait pas à la défense. SIMBIKANGWA un citoyen ordinaire? “Plutôt le membre d’un système qui se sent menacé par sa place au cœur du système.” Le témoin d’évoquer l’existence d’un texte dont on a déjà parlé [1] : il s’agit du document qui aurait été retrouvé au Nord-Kivu concernant la reconquête du pouvoir par les Tutsi. Il s’agit d’une “manipulation idéologique utilisée pour préparer le génocide et sa propre disculpation.” Un faux que le témoin met en lien avec l’Appel à la conscience des Bahutu [2] .
Selon le témoin, SIMBIKANGWA est “un idéologue préoccupé par la diffusion d’une idéologie hutuiste proche des cercles les plus extrémistes.” Il est également un “tortionnaire particulièrement cruel (cas de deux journalistes torturés). De plus, SIMBIKANGWA est un proche de la RTLM qui diffuse la haine ethnique.” Le témoin de faire allusion aux menaces que l’accusé aurait proférées contre monsieur Joseph KAVARUGANDA: ce dernier a écrit une lettre au Président de la République pour se plaindre du comportement de l’accusé. Cette lettre, dont la défense conteste l’authenticité, fera l’objet de longues discussions ultérieurement. Monsieur KAVARUGANDA, président de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation, sera assassiné le 7 avril 1994. Conséquence des menaces de l’accusé? C’est ce que pense la veuve de monsieur KAVARUGANDA.
Le témoin précise que l’accusé est un acteur majeur du génocide des Tutsi dans son quartier de Kiyovu. Il apparaît d’ailleurs sur une liste diffusée par le Parquet sous le numéro 139.
Monsieur le Président questionne le témoin. Il veut savoir qui est à l’initiative de la création du Comité des Droits de l’Homme à Bruxelles en 1990. Plusieurs personnes sont à l’origine de ce comité: Rwandais qui fuyaient la guerre, des citoyens belges, Rwandais exilés depuis plusieurs années, élus, parlementaires, étudiants…
Monsieur DE JORNA interroge le témoin sur la question des droits de l’Homme après la prise du pouvoir à Kigali. Monsieur NDOBA souligne que le Comité en question n’a pas été créé par le FPR et n’a jamais été à son service: il s’agit d’un Comité indépendant. La Constitution de 1991, précédée d’un accord de cessez-le-feu sous l’égide de Mobutu, coïncide avec la naissance de deux ou trois associations des Droits de l’Homme. Avril 1992 verra la mise en place du gouvernement multipartite. Si cette nouvelle constitution donne des ailes à ceux qui souhaitent un changement, on assiste à des violations massives des droits de l’Homme (voir le rapport de la Commission internationale de 1993). Le génocide sera effectivement, comme le disait monsieur DE JORNA, “l’antinomie des Droits de l’Homme.” En 1999, le témoin sera nommé président de la Commission Nationale des Droits de l’Homme au Rwanda, intégrée à la loi fondamentale. Cette commission aura une “totale liberté de manœuvre.”
C’est à ce stade de l’audience qu’est abordée la question de l’authenticité de la lettre du 23 mars 1994 que monsieur KAVARUGANDA va écrire au Président de la République pour dénoncer les menaces de SIMBIKANGWA. Le Président de la Cour énonce les huit faits abordés dans la lettre. Monsieur KAVARUGANDA se sentait menacé. Cette lettre n’étant pas signée (il s’agit d’une copie conservée par son auteur et récupérée par son fils), SIMBIKANGWA en conteste à nouveau l’authenticité, malgré les propos de la veuve du président du Conseil constitutionnel en 1995 et la grande cohérence d’un texte qui attestent de la véracité des faits. C’est ce que précise le témoin.
En 1992, le SCR est rattaché à la Primature. SIMBIKANGWA perd sa liberté de manœuvre mais il continue son travail de propagandiste. Lorsque commence le génocide, l’accusé a les coudées franches.
Monsieur DE JORNA aborde ensuite le rôle du témoin lors des différents procès qui se sont tenus en Belgique. Le premier se déroule au printemps 2001: il s’agit du procès des “quatre de Butare”. Monsieur NDOBA est partie civile mais il anime aussi le Collectif des Parties Civiles qui aide les plaignants.
Concernant les menaces éventuelles pour enquêter, le témoin les relativise mais précise que ce travail pouvait présenter des dangers.. Même après le génocide, il a pu rencontrer des résistances mais pas des menaces.
La question des “faux témoins“, de “l’école des mensonges” est posée. Le témoin: “J’ai entendu cela très souvent. Moi-même j’ai été victimes de ces accusations: c’est de bonne guerre.” Allusion est faite aux propos scandaleux de PÉAN selon lequel “les Tutsi sont menteurs par nature et les Hutu par contamination!” On connaît aussi ces fameux “syndicats de délateurs” que dénoncent les adversaires des parties civiles.(NDR. Le meilleur représentant en est monsieur Joseph MATATA qui s’est ridiculisé au procès de messieurs NGENZI et BARAHIRA.)
Monsieur NDOBA évoque l’existence d’une autre thèse: il serait impossible de connaître la vérité… Le Rwanda est loin… on parle de guerres tribales! “Les jugements rendus prouvent que la vérité peut être établie.” Et d’ajouter: “Généralement, ce sont les victimes qu’on accuse de mentir.” Les Gacaca ont été “une justice de secours“, “il a pu y avoir des dérives, mais elles ont généralement contribué à faire éclater la vérité.”
Sur question d’un assesseur, le témoin reconnaît avoir lu La guerre d’octobre avant le génocide [3] , un ouvrage qui s’adressait aux intellectuels et dont les idées convergeaient avec celles du document de l’armée rwandaise sur la définition de l’ennemi, le Tutsi.
Maître PHILIPPART interroge le témoin sur l’action du Comité des Droits de l’Homme de 1990. Maître GILET a été envoyé au Rwanda en 1991, de nombreux témoignages ont été recueillis qui font état de violations généralisées des droits de l’Homme. La guerre se déroule dans le Nord-Est mais les répressions se déroulent sur l’ensemble du territoire. Et le témoin d’évoquer les 500 morts de Kibilira. (NDR. Morts que le colonel ROBARDEY attribue au FPR!)
Parole est donnée à la défense. Maître EPSTEIN attaque sur la notion “d’expert neutre“. “Un expert qui aurait été proche du Rwanda peut-il être considéré comme neutre“? On voit bien où il veut en venir. Ceux qui ont participé au procès en première instance savent ce dont il s’agit.
L’avocat de la défense parle ensuite du document auquel s’est référé le témoin, écrit en anglais à destination d’Amnesty International. Monsieur NDOBA ne voit aucun inconvénient à ce qu’il soit versé au dossier. Mais cela n’est pas de son ressort.
Vont fuser ensuite de fausses questions en rafales. “SIMBIKANGWA idéologue zélé? Vos sources?” Proche de la RTLM, de Kangura? Vous dites le contraire de ce qu’ont écrit les juges: vous êtes mieux renseigné qu’eux?” Le témoin a à peine le temps de répondre : “Mon rôle de témoin ne consiste pas à confirmer ou infirmer ce que disent les juges. D’ailleurs ils ne m’ont pas entendu!”
“SIMBIKANGWA homme de l’ombre qui menace ouvertement KAVARUGANDA? C’est contradictoire? Comment un homme de l’ombre peut-il agir en plein jour?” Monsieur NDOBA: “J’ai cité des témoignages recueillis par des avocats auxquels je fais confiance. Pascal SIMBIKANGWA est un tortionnaire. Et puis il arrive que la lumière éclaire un homme de l’ombre!” Et l’avocat de revenir sur les “syndicats de délateurs“, comme si les explications précédentes n’avaient pas suffi! Et de faire allusion au document de la CNLG (Commission Nationale de Lutte contre le Génocide) qui vient de publier une liste de 22 personnalités françaises compromises dans le génocide (NDR. En réponse à la réouverture de l’instruction sur l’attentat contre HABYARIMANA.) Personne ne semble avoir connaissance de cette liste. (NDR. Sauf sur le banc des parties civiles) Cette liste sera versée au dossier.
Maître BOURGEOT intervient à son tour et, fidèle à son habitude, pose des questions dont la réponse a déjà été donnée. Il lui arrive aussi de comprendre de travers! Elle ne peut s’empêcher, évoquant le rôle du témoin au sein du Collectif des Parties Civiles en Belgique, de questionner: “Vous êtes l’équivalent d’Alain GAUTHIER?” Le témoin: “Je suis GASANA, Alain GAUTHIER est Alain GAUTHIER! Nous avons le même objectif: faire avancer la justice.” Et l’avocate d’ajouter: “Vous êtes donc partial!“, question qu’elle va poser à deux reprises. “J’ai juré de dire la vérité. Je ne reviens pas sur mon serment. Je témoigne de façon objective, en toute impartialité” déclare le témoin. Maître BOURGEOT s’étonne enfin que les assassins de GATABAZI n’est pas été identifiés! Qui peut répondre à une telle question? Tant de victimes attendent que justice leur soit rendue.
Audition de monsieur Augustin IYAMUREMYE, secrétaire général du SCR de 1992 à 1994.
Le témoin a trouvé SIMBIKANGWA au SCR en 1992 lorsqu’il a été nommé secrétaire général de cette institution par le gouvernement de coalition. Ce service venait de passer sous la responsabilité du Premier ministre. Trois sections constituaient le SCR: le renseignement extérieur, l’émigration/immigration, le renseignement intérieur. SIMBIKANGWA était chef de division de la presse qui le décrivait comme “un tortionnaire.” Le témoin est étonné de voir qu’il est paraplégique!
Le témoin dit avoir reçu très vite la visite du Procureur général NKUBITO: ce dernier lui révèle qu’un de ses agents est sur une liste des Escadrons de la mort [4]! Il n’en saura pas davantage mais il s’inquiète de la réputation de ses services si des agents se comportent mal.
Monsieur IYAMUREMYE décrit l’accusé comme quelqu’un “d’indépendant, qui ne fournissait aucun rapport, sortait quand il voulait. Je lui ai retiré sa voiture de service. Je n’ai pas pu obtenir sa mutation car le président devait la signer!” Et d’ajouter: “On ne pouvait rien faire contre lui. Il n’était plus un fonctionnaire comme les autres! Il était réputé avoir des liens avec HABYARIMANA.”
Le Président veut connaître le rôle exact de SIMBIKANGWA. “Ses attributions étaient claires. Il devait évaluer l’impact de la presse et radios sur la population. Il n’avait pas à s’occuper de censure, simplement faire des notes pour son secrétaire général. Il a dépassé ses attributions.” L’accusé a-t-il fait des excès de zèle? “Dans l’état de guerre, certains responsables pensaient que cette guerre n’était pas contre le FPR mais contre les Tutsi. Certains se considéraient comme des sauveurs. Il existait des pouvoirs occultes: des ministres avaient des agents qui faisaient ce qu’ils voulaient. Les proches du président, l’Akazu [5], tiraient les ficelles.” Même si le service de renseignement était passé sous l’autorité du Premier ministre, il était au service de tout le pays.
“Existait-il des fichiers d’opposants avec indication ethnique, à votre arrivée?” demande le Président de la Cour. “En octobre 1990 des milliers de Tutsi ont été arrêtés et parqués sur le stade de Nyamirambo (NDR. Monsieur ROBARDEY avait affirmé que la grande majorité étaient des Hutu!) Le SCR a bien participé au fichage des Tutsi. On a raconté au témoin comment se faisaient les interrogatoires, les tortures. Sans oublier la corruption. SIMBIKANGWA avait gardé des liens avec HABYARIMANA, “c’était de notoriété publique.” Il était de la même région que lui, parent de SAGATWA. “Il était craint.” Le témoin sera amené à préciser que quelqu’un a été nommé à sa place, qu’il n’était plus chef de division. Quant aux informateurs, il en faut mais il faut les surveiller. “Ils sont payés en fonction des informations exploitables qu’ils fournissent.”
« La détresse d’un Journaliste » (Joseph MUDATSIKIRA, Rwanda Rysusha n°19)
SIMBIKANGWA et les caricatures dans Rwanda Rushya? Elles sont bien évidemment en lien avec son comportement. “J’étais même gêné que le Premier Ministre garde un tel agent!” Il est clair qu’il était protégé. Les Escadrons de la mort? “Une nébuleuse dont on voyait les résultats (cadavres) (NDR. Raisonnement inverse de celui de ROBARDEY pour qui “pas de cadavre, pas d’Escadron!“)
Le témoin de continuer: “Si on était neutre, on était FPR pour l’accusé qui était un irréductible.” Et de donner comme exemple l’incident qui s’est déroulé lors de la pose de la première pierre de l’hôpital de Kibungo. Le témoin avait dû couper le micro des chanteurs pour éviter des heurts. SIMBIKANGWA lui adressera un courrier en prétendant qu’il travaillait pour les Inyenzi [6], pour l’ennemi. Lecture sera faite du courrier par le président de la Cour.
Interrogé sur les caricatures qui fleurissent dans la presse avec le multipartisme, le témoin déclare que “l’érotisme [7] est un moindre mal comparé à la haine. Notre rôle n’était pas de frapper les journalistes, ni de saisir les journaux. Les caricatures avaient pour objectif de salir la Premier Ministre.” Quant au Service de criminologie, service qui dépendait de la gendarmerie, il n’avait pas de lien avec le SCR. Existait-il un risque palpable de génocide en 1992? Le témoin de dire que quand il était préfet de Gitarama s’étaient produits des massacres à caractère ethnique: Kibilira et Bugesera. Il avait réussi à tenir sa préfecture à l’écart.
Un temps sera ensuite consacré à l’agenda du témoin pendant le génocide. Revenu de Gisenyi pour retrouver ses enfants, il passera les reste du temps à se cacher. Le témoin fera un aveu: le fait que SINDIKUBWABO, le président du gouvernement génocidaire, ait été son beau-père, sera pour lui un drame national et personnel! La CDR avait bien refusé les accords d’Arusha, ainsi que la partie Hutu Power des différents partis. L’Akazu, les Réseaux Zéro, Escadrons de la mort, Amasasu? [4]” Ce sont des choses difficiles à vérifier. Mais il y avait des cadavres à Kigali avant avril 1994.”
Le témoin a entendu parler de L’Indomptable IKINANI mais il ne l’avait pas lu. Pas plus d’ailleurs que les autres livres de l’accusé. Mais “tout le monde savait que c’était un partisan irréductible du Président pour qui il avait une affection filiale.”
Maître PHILIPPART interroge le témoin sur la situation géographique du SCR, lui demande de donner plus d’indications sur “les chambrettes” dont le témoin a parlé.
Au tour de monsieur HERVELIN-SERRE de questionner le témoin. “Aucun doute? SIMBIKANGWA est bien un proche du président?” Monsieur IYAMUREMYE confirme. “Ce n’était pas un simple petit agent, il était craint, puissant. La fonction qu’il avait sur papier n’était pas en rapport avec ce qu’il faisait.” Le témoin était-il au courant de la distribution d’armes avant le génocide? Oui, mais il ne peut pas préciser le type d’armes. Il a bien eu confirmation que des Interahamwe [8] bénéficiaient d’entraînements dans le parc de l’Akagera. Ce n’était pas des réfugiés burundais! Le démantèlement du SCR date de 1992. Il s’agissait de retirer à HABYARIMANA une des armes de la manipulation. Auparavant, le responsable du SCR était plus puissant que le Procureur et était au seul service du Président. Le témoin présente l’accusé comme un propagandiste de la souscription à RTLM.
Monsieur CROSSON DU CORMIER demande au témoin pourquoi il refuse de dire son “ethnie”. “Je suis Rwandais” se contente de répondre monsieur IYAMUREMYE. Il est possible que ce soit Augustin NDUWAYEZU qui ait recruté Janvier AFRICA. Le témoin déclare qu’il n’a jamais défendu SIMBIKANGWA dans l’affaire qui l’opposait à Janvier AFRICA. L’accusé prétend le contraire! “Il dit toujours le contraire de ce qu’il a dit avant!” Et de poursuivre: “Dans cette affaire, on va tourner en rond. Le témoin a du mal à dire ce qu’il pense. Je ne lui ai jamais manqué de respect. Je n’avais pas d’avocat, je lui ai demandé de m’aider.”
Une nouvelle fois maître EPSTEIN ne peut s’empêcher de dire à l’avocat général qu’il dit n’importe quoi! Le président intervient. Il ne veut pas que se poursuive la discussion entre les deux hommes.
Maître BOURGEOT entre dans l’arène et revendique le droit de poser une question à l’avocat général qu’elle accuse de ne pas dire la vérité lorsque ce dernier affirme que la condamnation de Janvier AFRICA à deux ans de prison serait rapportée dans une interview. L’information est tirée d’une biographie. Suit un dialogue animé. “Un procureur est venu vous voir pour vous dire qu’il voulait obtenir des renseignements sur SIMBIKANGWA?” “Oui, le Procureur général“. “Vous n’en avez jamais parlé?” “Je croyais l’avoir fait!” “Innocent BIGEGA est où?” “Ne sais pas.” “Vous avez fait couper le micro du président lors de la pose de la première pierre d’un hôpital?” Une fois encore, l’avocate a compris de travers ou n’avait pas écouté. “Les caricatures sur SIMBIKANGWA, il n’en était pas l’auteur?” “Auteur de caricatures sur lui?” “Votre lettre à SIMBIKANGWA a été lue. Et celle de l’accusé?” “Je ne l’ai pas retrouvée. Elle était encore plus méchante que la mienne!”
Au tour de maître EPSTEIN. Question sur Radio Muhabura, la radio du FPR. Le témoin déclare qu’il ne se souvient pas avoir entendu des appels à la haine sur cette radio. La distribution d’armes ne concernait pas le FPR, il ne connaît pas de liste du FPR concernant des personnes à éliminer. A l’avocat qui s’étonne que le témoin n’ait pas lu SIMBIKANGWA: “Il n’était pas un Prix Nobel de littérature. Rien n’attirait mon intérêt à le lire!” Par contre, l’accusé était bien un proche de HABYARIMANA, c’était de notoriété publique. Dernière question que l’avocat va reposer deux fois et pour laquelle il aura la même réponse: “Vous considérez ROBARDEY comme un témoin privilégié?” “Je ne le connais pas!”
On s’en tiendra là. Il est temps de passer aux questions que le président souhaite poser à l’accusé.
Interrogatoire de SIMBIKANGWA.
Monsieur SIMBIKANGWA est invité à réagir aux propos du dernier témoin, monsieur IYAMUREMYE. L’accusé se lance: ” C’est une accusation qui passe contre la France. Depuis 2008, on accuse MITTERRAND d’avoir trempé dans le génocide. On on sait que MITTERRAND et CASTRO ont détruit l’apartheid (sic)“. (NDR. Propos qui prêteraient à sourire si le sujet n’était pas si grave mais on peut douter parfois de la santé mentale de l’accusé!)
Le président DE JORNA l’arrête, bien évidemment et le ramène au sujet. L’accusé de poursuivre, comme s’il n’avait pas entendu le rappel à l’ordre: “Je ne demande aucune faveur. La seule chose que je demande c’est de punir ce qui est fautif et reconnaître l’innocence. Que la France soit la France!!” Il finit par revenir au sujet. “IYAMUREMYE me renvoie donc quand il arrive. Ce n’est pas un problème ethnique mais politique. Il m’a viré pour mettre quelqu’un du Sud. IYAMUREMYE ne s’est pas intéressé à ce que faisait le FPR. Il n’a pas donné le seul nom d’un mort… L’Akazu, une invention. Il n’a rien dit de concret. Le témoin? C’est un vétérinaire, il n’a aucune expérience dans le renseignement. Il n’a rien compris du service!” (NDR. C’est dit!)
Le Président, lisant une déclaration aux enquêteurs: “Vous avez tout résumé en une phrase: “Augustin IYAMUREMYE dit n’importe quoi pour s’acheter une place!“, citation qu’il corrigera suite à la protestation de maître EPSTEIN: “C’est pour acheter sa vie dans une dictature pure et dure!” Entre temps, l’accusé aura poursuivi: “Je ne le prends pas pour un imbécile. Il n’a pas eu le temps d’apprendre et il a placé des nouveaux qui ne savaient rien.”
Monsieur le Président rappelle à l’accusé les propos du témoin: “Vous posez des problèmes dans votre travail! Vous sorte quand vous voulez...” L’accusé qui s’est quelque peu calmé, du moins pour un temps: “Tout ce qu’il dit n’est pas faux. Mais il y a des mystères dans cette affaire. Où trouver de l’argent pour financer des services parallèles? J’ai essayé pendant deux mois avec mon propre argent. Et puis j’ai arrêté!”
Le Président demande à l’accusé de lui répondre par oui ou par non, ce qu’il ne sait manifestement pas faire. “Les journalistes sont poursuivis car ils n’encaissaient pas HABYARIMANA?” L’accusé de répliquer: “Les enquêteurs français font du travail intelligent. Ils ont démontré que je n’ai aucun rapport avec Kangura. Même Sam Gody me défend.”
“Et les caricatures à votre sujet, comment les expliquez-vous? Le militaire en fauteuil c’est vous ou pas?” Suivent de nouveau des flots de paroles inaudibles, plutôt incompréhensibles.
La presse d’opposition, tenue en laisse par la capitaine SIMBIKANGWA – Rwanda Rushya n°16 – janvier 1992
On projette cette fameuse caricature où l’on voit un militaire en fauteuil roulant tenir un journaliste avec des rennes. Pendant de longues minutes, SIMBIKANGWA refuse de traduire les bulles. Il finira par s’y résoudre mais encore qu’à moitié, faisant semblant de ne pas comprendre les propos du journaliste. Ce dernier, tenu en laisse, demande: “A quoi va me servir NKUNDABAGENZI (le ministre de l’Information)?” Réponse du militaire en fauteuil roulant: “La loi, c’est moi!” (NDR. Ce n’était pas très compliqué de traduire ces propos! En l’absence d’interprète assermenté, il était le seul à pouvoir le faire.)
SIMBIKANGWA lit un commentaire à son sujet et qui dit en substance: “Voilà l’impotent SIMBIKANGWA qui défèque sur sa chaise et qui urine...” (phrase à préciser ultérieurement). “Et ce Journal, Umurava, serait de moi?” Le Président s’étonne d’une telle haine. “On en voulait au président,” explique l’accusé. “On veut le descendre… Ote-toi de là que je m’y mette… Dire quelque chose de bien sur le Président, c’est un crime!” Puis, scrutant la salle: “Est- ce qu’il y a une Tutsi ici?” et apercevant madame GAUTHIER: “Peut-être Dafroza!” Et de poursuivre: “Un Inyenzi [6] est un Hutu ou un Tutsi! Dès l’âge de 12 ans j’ai été marqué par les événements du Burundi.” Et de faire allusion à son renvoi de l’école car on l’aurait pris pour un Tutsi. “Avec HABYARIMANA, c’était la pacification des cœurs, l’amnistie pour tous les Tutsi qui se mettent à accéder à des postes de pouvoir. HABYARIMANA avait cette vision. Il voulait tout faire pour que Hutu et Tutsi s’entendent. J’ai toujours poussé le Président vers la modération, le bien!”
Le président. “Comment expliquez-vous que KAVARUGANDA, dans sa lettre au Président de la république, vous dépeint comme quelqu’un qui menace, qui inquiète.” Véhément, l’accusé s’égare une nouvelle fois: “Cette lettre, vous l’avez eue de la police judiciaire française qui ne fait pas de tripatouillage?”
Monsieur DE JORNA de rappeler: “Madame KAVARUGANDA fabrique des faux? Elle tient ce document de son fils!”
“J’ai la chance d’être dans le pays de DESCARTES, poursuit l’accusé. La provenance de ce document ne me concerne pas. Je ne sais pas si elle ment. Si elle ne ment pas, c’est que je l’ai fait! Dans la guerre, il est un mot important: la désinformation. Comment se fait-il qu’il qu’il n’y ait pas eu de rapport sur ces menaces alors qu’il y avait des gardes autour de lui, des gens de la MINUAR. C’est extraordinaire!” Le président propose de lire la lettre car l’accusé fait erreur. Les propos qu’on lui reproche, il les a tenus en présence d’agents, et pas directement en présence du Président du Conseil Constitionnel!
Le président pose alors une question: “C’est un faux?” Réponse de SIMBIKANGWA, qui s’y connaît en la matière: “Ce n’est pas faux, c’est trop faux!” Et de rappeler ce que l’avocat de la défense au TPIR dit comme lui. On a beau lui expliquer que c’est l’interprétation d’un avocat, il ne veut rien entendre! L’accusé d’ajouter: “C’est de la propagande de ceux qui étaient contre HABYARIMANA et qui allaient l’assassiner.”
“Madame KAVARUGANDA serait manipulatrice?” demande le président. ” Le diable, c’est le mauvais conseiller quand vous êtes en difficulté. Ceux qui l’ont conseillée, c’est le diable.”
Maître AKKORI fait remarquer que l’authenticité de cette lettre a été contestée par la défense au TPIR mais qu’elle a été acceptée.
Maître BOURGEOT est de retour et fait remarquer qu’on a créé de faux numéros d’Umurava et que c’est de la désinformation. De poursuivre: “On va peut-être bientôt vous accuser d’avoir tué Agathe”(la Premier Ministre). Il s’agit bien de la caricature d’Agathe avec un homme d’Église [7]? interroge-t-elle.
A son client: “On essaie de vous attribuer l’assassinat de KAVARUGANDA?” ” Comme GATABAZI, poursuit l’accusé, parce qu’il est du Sud. GAPIYISI, on dit que c’est SIMBIKANGWA! Même SINDIKUBWABO est considéré comme un Escadron de la mort. J’étais pour RWIGEMA (NDR. Leader du FPR au début de la guerre. Il sera tué au front et remplacé par Paul KAGAME.) J’étais pour la guerre classique, pas pour la guérilla. J’avais peur pour la population tutsi!”
“Ça vous étonne que le responsable du SCR ne sache rien sur le FPR?” “Il ne veut pas le dire. Il y a un problème rwandais. C’est surprenant!” répond l’accusé. “Monsieur IYAMUREMYE vous espionnait?” “Je ne crois pas! IYAMUREMYE est incapable de dire la vérité. Ce n’est pas un homme libre.”
Il est déjà tard. Monsieur le président suspend l’audience qui reprendra demain à 9h30.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
1. Lettre du 6 août 1962 (déjà évoquée par Maître FOREMAN lors de l’audition de Jacques SEMELIN) reprise par Pascal SIMBIKANGWA dans son livre “La Guerre d’octobre”.
Télécharger le document : 1ère partie (6,4 Mo) – 2ème partie (7 Mo)
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2. “Appel à la conscience des Bahutu” publié en décembre 1990, en page 6 du n°6 de Kangura.
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3. Livre de Pascal SIMBIKANGWA déjà évoqué (voir note 1).
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4. Voir Focus – les réseaux d’influence.
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5. Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda. L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises d’État. Cf. “Glossaire“.
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6. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste. Cf. “Glossaire“.
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7. A ce propos, lors de son audition, Jean-François DUPAQUIER évoquait notamment la transgression du “tabou de la nudité” dans “L’indomptable IKINANI“.
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8. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. “Glossaire“.
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Procès en appel de SIMBIKANGWA. Mardi 15 novembre 2016. J13
16/11/2016
SIMBIKANGWA vu par Grumbl lors de son procès en première instance.
• Audition de Bertrand PHESANS, expert psychologue.
• Audition de madame SIRONI-GUILBAUD, expert psychologue, maître de conférence.
• Audition de maître Eric GILET, avocat de parties civiles en Belgique, membre de la Commission internationale d’enquêtes sur la violation des Droits de l’Homme au Rwanda.
• Audition de maître Catherine MABILLE, avocate au barreau de Paris
entendue en vertu du pouvoir discrétionnaire du président.
Audition de monsieur PHESANS, expert psychologue.
Suite à l’expertise réalisée par madame SIRONI-GUILBAUD, que l’on entendra juste après, la défense avait demandé une contre-expertise. C’est monsieur PHESANS qui en avait été chargé.
Le témoin a examiné monsieur SIMBIKANGWA qui avait alors 51 ans. Il n’a décelé aucune pathologie mentale, aucune névrose constituée. L’accusé est de culture africaine dont la langue maternelle est le Kinyarwanda et la langue culturelle le Français. Il tient toutefois un discours évasif, peu clair, et est capable de donner plusieurs versions des mêmes faits. L’accusé a développé un fort imaginaire: on peut dire que c’est un affabulateur.
Il adopte une position défensive et il est des sujets dont il ne veut pas parler. Il a été formé par une éducation de modèle belge: on peut dire qu’il est occidentalisé. Lieutenant à 23 ans, il veut donner une image valorisante de lui-même: militaire gradé, il est fier de ce qu’il est devenu.
SIMBIKANGWA a été éduqué dans une famille chrétienne de paysans et a construit un “idéal paternel”: le patriarche/patron. Il aura la même attitude pour HABYARIMANA. Il arrête ses études à 23 ans et les conditions de cet arrêt ne sont pas claires. Le témoin ajoute: “Peut-être n’est-il pas aussi brillant qu’il veut bien l’affirmer?” Il est devenu militaire “par hasard”, subjugué par la beauté des uniformes militaires qu’il aperçoit un jour. “Il gagne un bon salaire, c’est ce qu’il recherchait.” Il s’est occupé de sa mère (son père l’avait abandonnée et avait pris une seconde épouse). L’accusé met en valeur ses exploits sportifs, ses capacités physiques étant au-dessus de la moyenne. Devenu “instructeur“, il entraînera d’ailleurs les autres.
L’événement dramatique de juillet 1986. Les circonstances de l’accident de la circulation restent mystérieuses. SIMBIKANGWA tiendra toujours un discours évasif, défensif. Il est impossible de se faire une idée claire de ce qui s’est passé. Après une année passée à l’hôpital en Belgique, et de retour au Rwanda, il a compris qu’il ne pourrait plus marcher: il a recours à la médecine chinoise. L’accusé minimise les conséquences psychologiques de cet accident.
La période 1986-1992 sera une période “trouble dans son discours“. Sa femme le quitte, ce qui augmente l’état d’anxiété dans lequel il est plongé: sa nouvelle image le dévalorise, il “était déchu de ses capacités et s’il n’est pas mort, il le met sur le compte de la chance. Victime d’un attentat en 92” (sa voiture saute sur une mine mais il n’est pas dans le véhicule), “il ne peut reconstruire cette période de sa vie de façon apaisée“. Ce n’est qu’en 1988 qu’il va reprendre sa vie sociale. Mais “installé dans son quant-à-soi”, il ne pensait plus comme les autres: d’où un certain isolement.
Période 1990-1994. Il s’agit d’une période de reconstruction de l’image de soi. Isolé, “il redevient militaire mais ne l’est plus! ” L’accusé prétend “ne s’être mêlé à rien, être resté dans son bureau“. Il se dit “directeur de renseignement mais sans fonction.” C’est peut-être vrai à partir de 1992, date à laquelle il sera ” mis sur la touche”, ce qui va accroître son sentiment de dévalorisation.” Le témoin ajoute que “toutefois il fait comme si cela n’avait pas eu d’emprise sur lui“. “Il est fort possible qu’il ait tout fait pour garder ses relations avec la Présidence, sa seule raison de vivre.”
Né avec l’indépendance de son pays, il éprouve un “rejet pour le groupe tutsi“. On note d’autre part “une faiblesse d’élaboration de sa propre histoire. HABYARIMANA est idéalisé.”
Le 6 avril 1994. Il s’agit pour l’accusé du “surgissement d’une nouvelle guerre.” SIMBIKANGWA se décrit comme “désemparé, abattu“: il a perdu son idéal. Il décrit une situation de “chaos“. Il reconnaît l’existence d’un génocide, “mais à minima“. Il évoque “un mouvement spontané des masses“. Au cours de cette période, il n’y a plus de commandement, chacun fait ce qu’il veut. On assiste à une “banalisation de la violence et de la haine“: il a “toujours détesté les Tutsi.” Il ajoute cependant que “les Tutsi ont commis aussi leur génocide.”
Monsieur DE JORNA, le président de la Cour, passe à la série des questions. “SIMBIKANGWA affabulateur: pour tromper l’autre ou pour reconstruire sa propre pensée?” Le témoin distingue le mensonge et l’affabulation: le mensonge consiste à “dire quelque chose pour tromper l’autre” alors que dans l’affabulation “c’est pour se tromper soi-même.” L’accusé est plutôt “un affabulateur“, il est convaincu de ce qu’il dit.
Le président comprend que l’accusé adopte une position défensive mais s’étonne qu’il puisse tenir le même discours défensif même sur ce qui ne lui est pas reproché, comme son accident!
Monsieur PHESANS précise que ce mécanisme d’affabulation marche pour lui-même. Il se passerait bien de parler de son accident: c’est anxiogène pour lui. “Il est de culture africaine et les Africains ne disent jamais les choses directement: il ont une façon de manier le dialogue!” SIMBIKANGWA a parlé de Patrick SEGAL et de son livre L’homme qui marchait dans sa tête. C’est pour lui un exemple. Mais son “amour, sa référence, c’est HABYARIMANA, Dieu le Père“, son père de substitution!” Selon le témoin, “l’accusé a idéalisé son père et a trouvé dans HABYARIMANA un père idéal!” Il a reporté sur HABYARIMANA l’idéalisation qu’il avait pour son père.
“L’accusé a-t-il des affects, des émotions, ou bien se forge-t-il une carapace?” interroge le président. Le témoin reste évasif car l’accusé n’a pas montré qu’il ressentait des affects. Une carapace, oui, de pas sa propre histoire, dont son accident. “Il met de côté ses affects et ses émotions.”
Le président évoque la mort de la petite sœur de l’accusé, dans ses bras. “En parle-t-il?” Monsieur PHESANS reconnaît qu’il n’en parle pas. Peut-être faut-il mettre cette position défensive sur le compte du fait que l’expert est un homme. “Devant un autre homme on montre qu’on est viril!”
“L’accusé nie les faits! Pour lui, les Tutsi sont des cancrelats: ce sont des propos qui engagent?” poursuit monsieur DE JORNA. Le témoin cite les propos de l’accusé: “Je les appelle comme cela car eux-même ce sont appelé ainsi en 1963.” On est dans la banalisation.
Au tour de l’avocat général, monsieur HERVELIN-SERRE de s’adresser au témoin. “La banalisation de la violence et de la haine serait-elle la conséquence d’un traumatisme?” Réponse de monsieur PHESANS: “Non, c’est inhérent à sa personne. Le génocide a été précédé d’autres massacres de Tutsi. SIMBIKANGWA a été éduqué dans cet été d’esprit (en 1959, la Toussaint rwandaise). La mort de HABYARIMANA n’a fait qu’exacerber cette vision des choses.” Et d’ajouter: “KAGAME aussi a fait son génocide“, selon l’accusé qui est dans la comparaison.
Monsieur HERVELIN-SERRE. “L’accusé a le sentiment d’être mis de côté en 1992 et il a souhaité continuer à son compte le recueil d’informations. Que révèle cette décision?” Réponse du témoin: “Cela relève de la position défensive adoptée par l’accusé. Il n’a plus de fonction et il veut continuer. Il ne veut pas dire la vérité!”
Questionné par maître EPSTEIN, le témoin reconnaît que l’accusé a très mal vécu les conditions de sa détention à Mayotte. Il dit avoir été “traité comme un animal!” “Son état dépressif a-t-il pu avoir une influence sur ses témoignages devant les juge?” interroge l’avocat. Le témoin infirme.
Comme toujours avec la défense, vont fuser des questions en rafale. Il est donc difficile d’en faire la relation. Quelques réponses du témoin attrapées au vol et dont on peut deviner la question:
– L’accusé conteste la légitimité de ce procès.
– SIMBIKANGWA a une admiration pour ce qui relève de la francophonie européenne, pour la Belgique.
Maître EPSTEIN: “Il ne parle pas de son accident par pudeur? Il ne veut pas se confier à un premier venu!” Réponse: “Un expert n’est jamais un premier venu!”
– Je ne parle pas de Patrick SEGAL pour la simple raison qu’il ne s’épanche pas sur le sujet.
– Sa mise sur la touche: position problématique? Il dit être supposé sans fonction et il continue à enquêter. N’était-il pas au service de réseaux quelconques?
– Pour idéaliser HABYARIMANA, je confirme qu’il a besoin d’avoir idéalisé son père. Même si le père meurt, l’image idéale reste toujours.
– Je confirme qu’à la mort de HABYARIMANA, l’accusé est complètement abattu, désemparé. C’est le chaos dans sa tête!
– Vous déclarez que ce que je dis n’est pas rationnel en ce qui concerne l’attentat: l’instruction est toujours en cours. Il n’y a rien de rationnel.
– Janvier AFRICA? C’est lui qui m’en a parlé.
– L’avocat. “Celui-ci” (NDR. C’est ainsi que l’avocat nomme souvent son client!) a engagé une procédure contre lui, il a gagné! Je ne suis pas sûr que ce qu’il dit corresponde au document que vous avez joint à votre expertise .”
– La méthode géopolitique clinique, je la connais mais ce n’est pas la mienne. (NDR. L’avocat fait allusion à la méthode de madame SIRONI que l’on entendra juste après.)
– Vous dites qu’il n’est pas facile d’expertiser victimes et accusés? Aucun problème pour moi. “C’est comme un avocat d’accusé qui deviendrait avocat de parties civiles!”
– Le sujet serait-il susceptible de se réadapter? Je n’en parle pas? Ce sont des questions qu’on pose dans toutes les expertises. Pour moi la question ne se pose pas. L’avenir ne se pose pas en terme de réadaptation: SIMBIKANGWA n’est pas un délinquant. Et le témoin d’ajouter: “Les experts s’en sont pris plein la tronche après le procès DUTROU. Si une question ne veut rien dire, mieux vaut ne pas y répondre”.
NDR.Ce dialogue “musclé” s’arrête là. On en retrouvera un autre avec l’audition du témoin suivant!
Audition de madame SIRONI-GUILBAUD, expert psychologue, maître de conférence.
C’est suite à la remise de son rapport que la défense a demandé une contre-expertise confiée à monsieur PHESANS.
L’expertise remise par le témoin est le résultat de quatre entretiens avec monsieur SIMBIKANGWA en avril/mai 2010. Il ne représente ni une justification de l’accusé, ni son accusation. Pour le témoin, il n’existe pas, comme inconscient, que “le papa/maman”. Il y a aussi “l’inconscient géopolitique” dont elle va expliquer la méthode. Cette démarche consiste à déterminer ce qui relève de l’histoire personnelle et ce qui relève de l’histoire collective, politique, géographique… Madame SIRONI n’a pas utilisé les tests “classiques” avec l’accusé car elle les a trouvés inadaptés dans le cas de l’accusé. SIMBIKANGWA, lors des rencontres, est resté réservé sur trois points: le service de renseignements, le génocide des Tutsi qu’il considère comme une guerre, sa fille qu’il dit vouloir protéger. A plusieurs reprises, il a été débordé par ses affects: il a fait part d’un sentiment d’injustice dont lui et les Hutu faisaient l’objet. SIMBIKANGWA souffrait aussi de sa détention qu’il juge difficile et qui crée une “angoisse de séparation“. Il existe aussi chez l’accusé “des émotions politiques“.
Madame SIRONI-GUILBAUD va alors énumérer les dix éléments de sa méthode et qui ont un impact majeur.
1. Le métissage culturel Hutu-Tutsi dans sa famille, et ses liens de parenté avec le président HABYARIMANA.
Pascal SIMBIKANGWA est né à la campagne, dans une famille « ni riche, ni pauvre » selon ses dires. Sa mère était Tutsi, de lignée royale!. Son père était moitié Hutu (de par son père), moitié Tutsi (de par sa mère)…. Exactement comme l’accusé, une génération après. Nous voilà plongés en plein dans la clinique du métissage qui n’était pas une exception au Rwanda. Le témoin fait part de considérations sur la façon dont le métissage peut-être vécu. SIMBIKANGWA se définit comme quelqu’un qui est Tutsi à 75% et Hutu à 25%. Tout comme son grand-père était très attaché à son monarque, lui-même aura le même attachement à HABYARIMANA. Ils ont des liens de sang et de sol. L’accusé décrit son père comme “un fainéant” ce qui est conforme avec les clichés: “Hutu fainéants” et “Tutsi travailleurs”. Ce père prend une concubine quand l’accusé a 15 ans. Se rapproche de sa mère, “courageuse et pleine d’entrain” et qui mourra de choléra à Goma. Colère de l’accusé contre le FPR en 1994.
2. La mort de sa petite sœur, UWERA.
Pascal SIMBIKANGWA est très marqué, même des années après les faits, par la mort tragique de sa petite soeur, UWERA. Il l’aimait énormément. Elle a succombé à la malaria. Il avait 9 ans, elle en avait 6. Il s’en veut, aujourd’hui encore, de ne pas avoir réalisé qu’elle était morte, alors qu’il la tenait dans ses bras. Il s’en veut de ne pas avoir pu l’empêcher de mourir. Ce jour-là il était seul au domicile familial. “Je la tenais dans mes bras et je ne savais pas qu’elle était morte” répétera-t-il. “Je ne l’ai pas crue quand elle me disait “Le rocher me prend ! Le rocher m’emporte !” . “J’ai attendu le retour de ma mère. C’est ma mère, au retour, qui m’a dit qu’elle était morte !… Elle était tout pour moi… Je ne peux l’oublier. Jusqu’à ce jour, je pense à elle“. Monsieur SIMBIKANGWA était alors très ému. Il y avait de l’hébétude, de la stupeur, de l’incrédulité, du refus par rapport à l’implacable réalité de la mort, que son jeune esprit se refusait d’accepter. Sa soeur sera aussi idéalisée!
3. Sa scolarité.
Pascal SIMBIKANGWA a fait sa scolarité dans une institution religieuse. Il a toujours été un bon élève, surtout en français et en mathématiques. Il investissait beaucoup l’école, et avait une profonde admiration pour ses maîtres, en majorité français, et tous francophones. Il a voulu devenir enseignant par admiration mais il changera lorsqu’il verra un jour des militaires. Deux mécanismes psychologiques importants vont se déployer concernant sa construction identitaire:
a) un père biologique dévalorisé avec une idéalisation de la figure paternelle,
déplacée vers ses maîtres.
b) une rencontre avec une culture autre, le monde survalorisé des Blancs.
4. La relation filiale entre monsieur Pascal SIMBIKANGWA et le président HABYARIMANA.
Le président HABYARIMANA est une autre figure paternelle déplacée. Le président a d’ailleurs le même âge que son père. “Il était comme un père pour moi” dira Pascal SIMBIKANGWA. Il lui voue un amour filial inconditionnel, une admiration sans bornes. Il s’identifie au président, mais cependant en une position subalterne. Il veut lui ressembler, mais sans y arriver vraiment, car il se considère comme trop impulsif. Monsieur SIMBIKANGWA est aussi élogieux à l’égard de la femme du président, Agathe KANZIGA: “C’était une sainte femme, sa vie, c’était la religion”. L’accusé avoue n’avoir jamais rencontré son président seul à seul. Il ne voit qu’une faille chez HABYARIMANA: sa faiblesse. “Il aurait dû limoger son premier ministre.” A sa mort, il éprouve une véritable sidération, comme lors de la mort de sa soeur.
5. Sa carrière militaire au centre de son existence.
Le président HABYARIMANA au pouvoir, Pascal SIMBIKANGWA a été admis dans une école de formation de l’élite militaire rwandaise. Il est passionné par le maniement des armes, l’art de la guerre, la tactique, la stratégie. Il est infatigable. “Je m’étais marié avec l’armée” dira-t-il au témoin. Il s’investit donc très peu dans la vie sociale. Sa mère le poussera à se marier.
6. L’accident de voiture de 1986, temps zéro de sa vie.
Monsieur SIMBIKANGWA a vingt neuf ans au moment de l’accident. Il venait de se marier, sa femme était enceinte. Son chauffeur perd le contrôle du véhicule après avoir passablement bu. “J’ai vu la mort en face. Je me suis vu partir”. Après le coma, il se réveille, à sa grande stupeur, vivant, mais à des milliers de kilomètres : dans un hôpital, à Bruxelles. Vivant, mais paraplégique, “coupé en deux”! L’accident constituera un « temps zéro » dans son existence, un temps traumatique. Il y a un avant et un après. “J’étais physiquement brisé. J’ai eu deux ans de haine contre la chaise.” C’est le livre de Patrick SEGAL qui l’a aidé à remonter la pente. Il gardera espoir, pendant des années, de pouvoir marcher à nouveau. “Sans l’accident, je serais général” avoue-t-il cependant.
7. L’humiliation.
“J’ai été animalisé. J’ai été animalisé, à Mayotte, pendant huit mois”. L’animalisation est une référence prégnante dans le discours de monsieur SIMBIKANGWA. L’animalisation et l’humiliation sont vécues avec véhémence, parce que cela renvoie à quelque chose de plus archaïque qu’à l’époque de Mayotte. Cela le renvoie à la figure de l’infériorisation vécue et intériorisée, celle des Hutu.
8. Peur importante et permanente depuis 1990.
Cette peur s’installe après l’attaque du FPR et après que sa voiture ait sauté sur une mine: il n’était pas dans la voiture. Il n’a pas peur des Tutsi mais du FPR. Mais tous les Tutsi deviendront des ennemis, Tutsi dont il parle en utilisant un vocabulaire animalier, de chasse. La mémoire collective de l’humiliation et du rabaissement se réactualise indubitablement dans les propos de SIMBIKANGWA. Une peur, diffuse et ancestrale, envahit ses représentations mentales.
9. Son aversion proclamée pour le mensonge et les menteurs.
Le mensonge revient régulièrement, dans ses propos. Il accuse très facilement les autres d’être des menteurs. Il a falsifié lui-même ses papiers d’identité pour entrer au collège. (NDR. Il a fait du trafic de faux papiers sa profession à Mayotte!) Ça ne le trouble pas. Intervient ici la notion de “projection” qui, en psychologie, consiste à attribuer aux autres ce qu’on ne peut accepter en soi.
10. L’ambivalence dans sa lecture du génocide des Tutsi.
SIMBIKANGWA parle de “guerre”, de “guérilla”: le responsable, le FPR. L’accusé est très ambivalent à l’égard de la question du génocide. “Ambivalent” est à entendre au sens psychologique du terme: une chose et son contraire peuvent coexister dans son esprit, sans que cela ne puisse être vécu dans une multiplicité assumée et sans que le sujet en perçoive la contradiction. L’accusé oscille entre le déni et la dénégation. il dit qu’il y a eu une catastrophe, “une manière détournée de s’approcher de ce que l’on ne peut accepter, de ce qui est compliqué pour soi.” Le mot “génocide” n’arrivera qu’au quatrième entretien avec le témoin. Mais d’ajouter aussitôt qu’il y a eu “des victimes des deux côtés” et que les “victimes hutu ont été plus nombreuses que les victimes tutsi.”
Diagnostic.
Madame SIRONI signale qu’elle n’a décelé aucune psychopathologie ni trouble mental tels que ceux répertoriés dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.
Notion de “désordre type” dont on peut donner les caractéristiques suivantes concernant SIMBIKANGWA:
1. Une construction difficile de son identité de métis culturel hutu-tutsi, et au double cadre culturel interne.
2. Deux deuils traumatiques.
3. Un traumatisme psychique lié à son accident de 1986 et surcompensé par des émotions politiques et par un zèle accru.
4. Une construction identitaire de type « subalterne », c’est-à-dire s’exprimant en catégories « dominant-dominé » chez l’accusé.
5. Présence d’un sentiment de persécution chez l’intéressé.
6. Et enfin, la prégnance d’un mécanisme de défense organisateur de sa vie psychique depuis l’enfance : le déni.
Et madame SIRONI de conclure qu’il eût été intéressant de revoir monsieur SIMBIKANGWA avant le procès en appel pour évaluer son évolution psychologique. D’autre part, un suivi psychologique approprié, qui mêlerait histoire collective et histoire personnelle lui serait bénéfique. Cela lui permettrait de développer une vision plus consciente, claire et apaisée de tous les obstacles qu’il a rencontrés dans son existence.
Questions.
L’intervention de madame SIRONI-GUILBAUD va déclencher une série de questions qui ne présentent probablement pas un intérêt majeur dans la compréhension de la personnalité du témoin. Le président de la Cour revient sur un des événements importants qui ont marqué la vie de l’accusé: la mort de sa jeune sœur. S’il n’en avait pas parlé à monsieur PHESANS, c’est peut-être tout simplement parce qu’il en avait déjà parlé au témoin ou que le second expert était un homme! En tout cas, il n’est pas question d’affect: “SIMBIKANGWA parle de non-reconnaissance de la mort. Il n’est pas dans l’affect. Il met en place un mécanisme de défense, il refuse la mort (à rapprocher du déni de grossesse).” Seront ensuite évoquées les questions concernant un certain nombre de notions: l’idéalisation du père, l’angoisse de la séparation, le déni qui va de paire avec la projection: “ce qu’on ne veut pas voir en soi, on le projette sur autrui.” Il existe bien évidemment un problème de cohérence chez l’accusé. Il a horreur du mensonge et toute sa vie à Mayotte est construite sur le mensonge. Le témoin précise que SIMBIKANGWA “compartimente sa vie (notion de clivage). Le traiter de menteur? Il ne peut le supporter.” Il n’aime pas le mensonge, mais chez les autres. Si la question ne lui plait pas, il répond à côté!
Son aversion des Tutsi? “Pas aussi clair qu’avec monsieur PHESANS!” Et monsieur DE JORNA de revenir sur la notion de “tueur/sauveteur.” Madame SIRONI précise qu’il s’agit d’un “mécanisme complexe à comprendre. Une chose et son contraire existent. Ces gens-là doivent fonctionner de façon étanche pour éviter le risque de maladie ou d’effondrement. Le sujet se justifie pour survivre: il ne peut pas être complètement mauvais!“
Un juré fait remarquer quelque chose de “contradictoire“: l’accusé est affecté par le décès de sa sœur, celui de HABYARIMANA, et est totalement insensible aux massacres! Madame SIRONI précise que “ce n’est pas contradictoire. SIMBIKANGWA est en relation fusionnelle avec sa sœur: je suis l’autre et l’autre est moi. Ce qui affecte ma soeur m’affecte, l’altérité n’existe pas. C’est la même chose avec le Président de la République.“
Monsieur CROSSON DU CORMIER revient sur les déclarations de l’accusé dans le rapport de l’experte. Il prétend se réveiller à Bruxelles après son accident alors que dans un autre témoignage il se réveille dans l’avion! “C’est une mémoire normale? questionne l’avocat général. Madame SIRONI: “Non, c’est une mémoire nimbée par le déni!“
“Ce ne sont pas les Tutsi qui ont tué HABYARIMANA, ce sont les Hutu! J’étais bien placé au service de renseignements! (sic) Il vous a bien dit cela?” demande l’avocat général. Le témoin: “Il a bien dit cela. j’ai prêté serment. Cette déclaration m’avait étonné!“
Monsieur HERVELIN-SERRE: “SIMBIKANGWA se considère comme un Hutu alors qu’il y a 75% de Tutsi en lui. L’appartenance ethnique n’est pas arithmétique?”
Le témoin: ” L’accusé se définit selon d’autres critères. Il dit aussi qu’il n’est ni Hutu ni Tutsi. Il se définit autrement.” Par contre, il est difficile de savoir si la double origine, difficile à gérer, peut déclencher une haine de soi, d’une partie de soi. SIMBIKANGWA n’est pas “dans la négation du génocide, mais dans la dénégation: reconnaissance partielle.“
La joute qui va ensuite s’engager entre maître EPSTEIN et le témoin restera relativement stérile. L’avocat de la défense reproche au témoin de considérer son client comme un accusé. Maître FOREMAN lui fera remarquer qu’il fait une mauvaise lecture des écrits de madame SIRONI. Maître EPSTEIN reproche encore le choix des lectures du témoin: vous avez lu PEAN, RUZIBIZA, LUGAN? Et si madame SIRONI parle peu de la période 1990/1994, c’est tout simplement parce que l’accusé en parle lui-même très peu, même si, selon l’avocat de la défense, “cette période est fondamentale pour celui-ci!” (NDR. Ce n’est pas la première fois que maître EPSTEIN parle ainsi de son client: “celui-ci”!) L’avocat s’étonne aussi qu’on puisse dire qu’il n’y a pas d’affect dans la mort de sa sœur. “Effectivement, répond le témoin, on pourrait parler d’affect froid. Il est soufflé! Fusionnel avec sa sœur, il va se sur-investir dans l’apprentissage du Français.” (NDR. En faisant remarquer au témoin qu’elle a commis un lapsus en employant le terme “Hutsi”, maître EPSTEIN ignore que c’est une façon très courante de nommer ceux qui appartiennent aux deux groupes!) Toujours aussi élégant avec le témoin, l’avocat de la défense s’interroge sur les bases scientifiques de sa réflexion. “Vous m’accuseriez presque d’avoir une théorie?” demande madame SIRONI. L’avocat de répondre: “Je vous accuse d’avoir un parti pris.” (NDR. On peut s’étonner de voir avec quelle agressivité l’avocat de la défense s’adresse au témoin!) Pour conclure que “son expertise pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses: on veut faire de SIMBIKANGWA un idéologue avec un discours raciste.”
Audition de maître Eric GILET, avocat de parties civiles en Belgique, membre de la Commission internationale d’enquêtes sur la violation des Droits de l’Homme au Rwanda.
Maître GILET évoque les trois missions auxquelles il a participé et qui justifie sa présence en qualité de témoin.
Avant le génocide, on assiste à des violations assez systématiques des Droits de l’Homme dans tout le pays. Ce processus s’est mis en place à l’instigation de l’État rwandais avec la participation de milices des parties politiques, surtout la nuit. Administration du haut en bas de l’échelle, entreprises publiques sont concernées, asservies à la réalisation du génocide. Les enquêtes porteront aussi, à un moindre degré, sur les exactions commises par le FPR. Une série de massacres ont été perpétrés dans la préfecture de Gisenyi: massacre des Bagogwe que la Commission avait qualifiée de “crime de génocide”. Le gouvernement prétendait que les gens qui avaient été tués avaient rejoint le FPR. Il était difficile de retrouver les corps. Plusieurs fosses communes seront découvertes, dont une dans le jardin même d’un bourgmestre. Un premier rapport mentionne le rôle des Escadrons de la mort.
Le président. “Au cours de cette mission, vous évoquez un crime de génocide. Pouviez-vous en envisager les événements de 1994?” Maître GILET reconnaît qu’il n’est pas en mesure de le dire même s’il redoute à l’époque des massacres de plus en plus généralisés. La Belgique rappelle son ambassadeur et HABYARIMANA promet d’être plus vigilant. Mais la situation ne s’arrange pas. Les massacres du Bugesera, “un petit génocide” verra la participation de l’administration, de l’armée, des milices et des différents médias.
Les Escadrons de la mort? “On en parle dans le rapport en tant que bras armé de l’Akazu, lieu dans lequel on a envisagé la solution finale.” Le nom de Pascal SIMBIKANGWA apparaît, présenté comme lié à la famille HABYARIMANA.
Intervention de maître Safya AKORRI pour SURVIE. Elle interroge le témoin sur la méthodologie et la composition de la Commission. Maître GILET apporte des compléments d’information. Quatre ONG composent le groupe: la FIDH, HRW, Union inter-africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (UIDH, Ouagadougou), le Centre International des Droits de la personne et du Développement (CIDPPD, Montréal). Quant aux membres, ils appartiennent à une dizaine de nations, dont madame Alison DES FORGES, monsieur REYNTJENS, Jean CARBONARE et le témoin. La méthodologie repose sur le recueil des témoignages des victimes. Ce qui pose quelques problèmes liés à leur fiabilité et à la traduction. Les témoignages seront enregistrés.
La rédaction du rapport. Certains ont prétendu qu’il s’agissait d’un “rapport biaisé” dans la mesure où il s’est peu intéressé aux exactions commises dans la zone FPR. Le témoin reconnaît qu’ils ont passé une journée dans cette zone et que les témoins avaient été regroupés. “Nous avons entendu ceux qui voulaient parler”, mais ce sera toujours en présence de membres du FPR.
Ce rapport a-t-il été commandité par le gouvernement rwandais? Non, il découlait des négociations qui se déroulaient à Arusha.
SIMBIKANGWA aurait remis un document à la Commission. Effectivement, l’accusé a bien remis à la dernière minute, un document que la Commission n’a pu retenir car “il allait moins loin que le nôtre”, dira Maître GILET, et que “les informations n’avaient pu être vérifiées“.
On parle parfois du rapport CARBONARE! Un des membres de la Commission était monsieur Jean CARBONARE de Survie. A notre retour, il a fait une campagne d’information. Il a pleuré à la télévision française. Le pilier de la Commission était madame DES FORGES.
Au tour de maitre FOREMAN d’intervenir pour le CPCR. “Ce document a bien été remis à l’aéroport au nom de l’association LIDEL? Elle était connue?” Effectivement, on assiste, à l’époque, à la création de plusieurs ONG des Droits de l’Homme et dont le nom se rapprochait de celles déjà existantes, “créées pour brouiller les pistes” (cf. KANGUKA et KANGURA).
Maître Léa RABAUX (FID/LDH) veut savoir si des menaces ont été proférées pendant l’enquête. Maître GILET évoque l’incident qui concerne Alison DES FORGES et qui a été arrêtée, avec son interprète tutsi, par des miliciens à un barrage. Des auto-stoppeurs hutu ont permis de clore l’incident. Et de mentionner aussi le cas d’un témoin qui avait accompagné les enquêteurs sur des fosses communes: son père a été retrouvé pendu dans sa maison le lendemain! Les faits ont bien été signalés au Président de la République, mais sans effet.
Monsieur HERVELIN-SERRE, avocat général. L’ennemi? “C’est une de mes trouvailles, enchaîne le témoin. On est tombé sur un document qui définissait l’ennemi (document de décembre 1991). La définition en était large: le FPR, les amis du FPR, leurs complices (Tutsi de l’intérieur, organisations défendant les droits de l’Homme, tous ceux qui prétendent appréhender la société rwandaise en dehors de l’ethnisme.) Il y avait une obsession de maintenir l’unité des Hutu.
Et l’auto-défense civile, achat et distribution des armes? “En 1993 nait le concept d’auto-défense civiles. Jean-Pierre TURATSINZE avait dénoncé ce système aux autorités internationales et onusiennes. Il révèlera des caches d’armes. Mais il disparaîtra dans la nature car aucun pays n’a accepté de lui accorder protection. Des machettes seront distribuées dans des caisses d’une ONG.”
Le rôle des barrières? “C’est une vieille histoire. Mais avant 1994, on ne tuait pas sur les barrières. Elle avaient pour but d’empêcher les gens de fuir, de bloquer l’information, surtout la nuit.” Ces barrières étaient tenues surtout par des miliciens formés au maniement des armes, des militaires rwandais, et parfois en présence de soldats français et belges.
Maître BOURGEOT, pour la défense, fait remarquer qu’il est difficile, pour la Commission, de savoir la vérité. La confusion n’était-elle pas entretenue par les deux camps pour attribuer les assassinats à l’autre camp? Maître GILET précise qu’ils s’assurent que les témoignages sont vrais. Il dénonce par exemple une première mystification par le pouvoir le 4 octobre 1990: on veut faire croire que les rafales entendues ce soir-là sont l’œuvre du FPR. C’est une mise en scène qui va entraîner de nombreuses arrestations.
L’avocate de la défense revient une nouvelle fois sur la notion d’Akazu dont elle conteste l’existence. Elle précise aussi que le TPIR n’a pas reconnu ce terme, pas plus que l’entente en vue de commettre le génocide. Le témoin déclare qu’il y a bien eu génocide, et donc planification. La vérité historique s’impose. Maître BOURGEOT veut enfin connaître le rôle du témoin dans les affaires rwandaises. Il a été avocat des parties civiles dans les quatre procès qui se sont déroulés en Belgique.
Audition de maître Catherine MABILLE, avocate au barreau de Paris entendue en vertu du pouvoir discrétionnaire du président.
Madame MABILLE a été sollicitée en 2002 pour assister un bourgmestre accusé de génocide et jugé au TPIR. Pour les jurés, elle va bien expliquer les différences qui existent entre le système judiciaire anglo-saxon et le système français. Au TPIR, pas de juge d’instruction, les victimes ne sont pas représentées. “La vérité judiciaire se jour entre le Procureur et la Défense. Le Procureur fait entendre ses témoins que la Défense contre-interroge et compare avec ses propres témoins. Procureur et défense sont à armes égales.”
La défense se rend en enquête sur le terrain pour rencontrer des témoins. Les difficultés ont été de trois ordres.
1. D’ordre politique. Le TPIR a été créé par le Conseil de sécurité et le Rwanda a été le seul pays à s’opposer à cette création: la peine de mort existait au Rwanda, peine que le TPIR ne pouvait appliquer. (NDR. La peine de mort a été supprimée au Rwanda en 2007). Ce refus a rendu le travail difficile: la collaboration entre le Rwanda et le TPIR était indispensable. l’acquittement de BAGILISHEMA a déclenché la colère du Rwanda qui n’envoyait plus de témoins. Difficultés aussi pour la défense de se rendre sur place.
2. La Procureur générale du TPIR, Carla DEL PONTE a décidé d’ouvrir des enquêtes sur les agissements du FPR. Même si madame DEL PONTE ne mettait pas les crimes sur le même plan que le génocide, cela a déclenché de violentes réactions à Kigali. Les avocats de la défense étaient considérés comme des génocidaires, ou presque! Ils étaient soumis à des intimidations, devaient être accompagnés de gardes du corps. Difficultés aussi d’assurer la confidentialité pour les témoins qui avaient peur.
3. Nombre importants des faux témoins. Le Procureur avait dans sa manche des “témoins professionnels”. Le témoin réfute la notion de“culture du mensonge“. En accusant son voisin, on avait l’espoir de récupérer ses terres, son bétail; ce qui n’est pas propre au Rwanda. “On a vu la même chose en France en 1945!”Mais surtout, la responsabilité individuelle n’est pas vécue de la même manière: elle est vécue “de manière plus communautaire”. “Les gens ont tellement souffert que tous les Hutu sont forcément coupables, même si ce n’est pas la bonne personne!” Et d’ajouter: “C’est peut-être une spéculation de ma part!
En réponse aux questions, le témoin précise le rôle du Procureur. Maître FOREMAN fait remarquer qu’il n’y a pas de juge d’instruction. Il s’agit d’une “procédure accusatoire et non inquisitoire“. L’avocat du CPCR précise que nous avons en France une équipe qui se rend au Rwanda en commission rogatoire pour enquêter à charge et à décharge. Il est vrai que la défense est relativement démunie mais rien ne l’empêche de se rendre sur place. l’avocat du CPCR signale que les parties civiles y sont allées à leurs frais, pas pour enquêter mais pur se familiariser avec les lieux. La Cour d’assises n’ira jamais (problème juridique). Le témoin fait remarquer que les juges du TPIR se sont déplacés au Rwanda, ce qui a changé leur perception des dossiers.
Maître FOREMAN précise que leur séjour au Rwanda leur a permis de rapporter des éléments qu’ils ont livrés à la Cour. La défense aurait pu en faire autant. Et d’ajouter “qu’aucune Cour d’assises ne se rend sur les lieux du crime. Madame MABILLE fait toutefois remarquer que le génocide est un crime spécial, que ce n’est pas un dossier classique: “Il y a des spécificité de la justice internationale.” Maître FOREMAN d’ajouter: “On a un accusé, il faut bien le juger!” “La défense voulait annuler le procès!”
La défense s’agite. Maître AKORRI interroge le témoin pour savoir s’il est difficile pour un juge international de trouver des témoins à décharge dans le Rwanda actuel. Madame MABILLE confirme. L’avocate de Survie fait pourtant remarquer que l’abbé MUNYESHYAKA a bénéficié d’un non-lieu, que des non-lieux partiels ont été prononcés dans le dossier SIMBIKANGWA, au stade de l’instruction. Le témoin ne se prononce pas. Elle rappelle simplement qu’il est difficile d’enquête à décharge au Rwanda. “Peut-être que je me trompe!” ajoute-t-elle.
Monsieur CROSSON DU CORMIER reconnaît que le témoin a fait “un exposé fort clair sur la juridiction accusatoire“. Notre système serait-il moins équitable? Le témoin répond que les deux systèmes ne sont pas contradictoires. “Il faudrait prendre les avantages des deux systèmes“. “Le TPIR est trop chronophage“. Le témoin est inquiet de voir les avocats de la défense payés à l’aide judiciaire pour de tels dossiers. La défense devrait accompagner le procureur dans le pays.
L’avocat général fait remarquer à son tour au témoin que dans l’affaire qui nous occupe, l’accusation a requis des non-lieux en faveur de l’accusé. “La poursuite s’est beaucoup rétrécie depuis l’instruction”. Quant au transport sur les lieux, c’est exceptionnel pour une Cour d’assises (exemple de l’affaire Yvan COLONNA). Et de faire remarquer que les témoins du Rwanda ne paient pas leur voyage.
Maître BOURGEOT, une fois encore, se permet d’interpeller l’avocat général. “Vous avez une question monsieur l’avocat général?” Et de claironner pour se plaindre: “L’avocat général est en train de plaider!“. Le président d’intervenir, ironique: “Non, il ne plaide pas. Il va mettre un point d’interrogation à la fin de son intervention. Le témoin est un témoin de contexte entendu en vertu de mon pouvoir discrétionnaire!” L’avocat général de poursuivre: “Je ne développe pas de choses à charge pour votre client. Je suis en train d’expliquer qu’une Cour d’assises ne peut pas se transporter sur les lieux. C’est vrai que c’est mieux quand on peut, mais dans cette affaire, ce n’est pas possible.”
Le témoin signale que l’avocate de NGENZI lui a fait savoir que la défense ne pouvait faire venir que 5 témoins! “C’est la loi!“, répond l’avocat général, “la partie civile est au même régime.”
Maître BOURGEOT regrette qu’il y ait tant d’impossibilités procédurales. Le président lui fait remarquer que la loi est ce qu’elle est. “Si on ne la respecte pas, il y a des risques de cassation et donc d’un troisième procès.” Pour laisser entendre que les témoins ne sont pas libres, l’avocate de SIMBIKANGWA précise que c’est le GFTU (NDR. Section du parquet en charge des personnes exilés à l’étranger) qui rassemble les témoins. Elle aborde la peur des témoins de la défense, les faux témoignages, les pressions exercées par IBUKA, les relations tendues entre la France et le Rwanda…
Le président propose de lire l’acte d’accusation rwandais. Il se contentera d’en donner les chefs d’accusation, ce qui irrite maître BOURGEOT. Maître FOREMAN fait remarquer que ce document visait l’extradition et qu’il était joint à la plainte du CPCR. L’avocate de SIMBIKANGWA ne peut s’empêcher de redire que ce dossier “repose sur du vent”.
Maître FOREMAN regrette l’absence de maître EPSTEIN. En effet, il a manqué de respect à madame SIRONI en lui reprochant d’avoir considéré son client comme un accusé. C’est faux. Il n’est qu’à relire les termes du rapport de la psychologue, “la défense n’a pas à déformer la lettre du texte.“.
Dernière intervention de monsieur CROSSON DU CORMIER. Dans le jugement ZIGIRANYIRAZO il est dit qu’il existait avant et après le génocide un réseau d’influence, et ce “au-delà de tout doute raisonnable”. L’Akazu n’a pas d’existence officielle mais il i y a bel et bien un réseau d’influence. Maître BOURGEOT conteste, ce qui entraîne la réponse cinglante de l’avocat général: “Il s’agit d’un attendu factuel. Révisez votre droit.”
Réponse de l’avocate: “On prend les jurés pour des imbéciles!” L’avocat général insiste: “Il y a les faits et le droit”. Et lorsque maître BOURGEOT qui dit qu’elle “ne veut pas lâcher“, maître FOREMAN éclate: “On marche sur la tête. Le TPIR a acquitté ZIGIRANYIRAZO. Il n’est pas revenu sur l’existence de l’Akazu. La défense ment dans ce procès”.
Ce seront les derniers mots de la journée. Il était temps.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
Procès en appel de SIMBIKANGWA. Mercredi 16 novembre 2016. J14
19/11/2016
• Audition d’Anatole NSENGIYUMVA, officier des FAR, en visioconférence d’Arusha où il a purgé sa peine.
• Audition de Liberata MUKAGASANA, gendarme.
• Audition de Protegestate PONZAGA, en visioconférence de la Prison 1930 à Kigali.
Le lieutenant-colonel Anatole NSENGIYUMVA lors de son procès au TPIR
Audition de monsieur Anatole NSENGIYUMVA, officier des FAR, en visioconférence d’Arusha où il a purgé sa peine.
Il n’y a pas grand chose à attendre de cette audition dans la mesure où le témoin continue à dire qu’il connaît très peu l’accusé. Il l’a rencontré à l’École des officiers. SIMBIKANGWA est venu travailler quelques semaines à l’État Major sous son autorité puis est parti au Renseignement Civil. NSENGIYUMVA quant à lui travaillait au service G2, chargé du renseignement militaire. Avant de travailler dans ce service, le témoin avait été officier d’ordonnance, puis Secrétaire particulier du ministre de la Défense, Juvénal HABYARIMANA. Pour rentrer à la Garde présidentielle, il n’y avait pas de conditions particulières: on y nommait des soldats disciplinés, bien formés, pas spécialement proches du Président. Le témoin décrit l’accusé comme “intellectuellement moyen mais physiquement très brillant.” Au service G2, SIMBIKANGWA était chargé de l’exploitation de la presse.
Pour cerner un peu plus le personnage, le président cherche à savoir quel était le comportement de l’accusé. “Respectueux. Bon caractère. Bon élément.” “Il me respectait, était dynamique malgré son handicap. Il est resté très peu de temps et n’a pas eu le temps de s’habituer” confie le témoin. L’accusé a été nommé au SCR mais il n’y avait pas de lien de subordination avec le G2. A toutes les autres questions, monsieur NSENGIYUMVA va répondre par la négative. Il semble être le seul à ne pas connaître la “réputation de tortionnaire” de l’accusé, n’a pratiquement jamais vu de caricatures dans la presse [1], fait allusion à quelques déboires de journalistes… Il sera ensuite nommé commandant à Gisenyi où le trouvera le génocide. Il croisera SIMBIKANGWA une fois à l’aéroport de Nairobi.
Les questions vont se concentrer ensuite sur le témoignage d’un certain GACUKIRO qu’il réfute aussitôt: c’est un faux! SIMBIKANGWA y est accusé d’avoir fait rentrer des armes dans le pays, d’avoir torturé des gens. Le témoin n’échappe pas non plus aux dénonciations: “J’ai eu ce témoignage. C’est faux. Tout est inventé!” Il parle de GACUKIRO comme d’un ami, en précisant aussitôt que, “entre 1990 et 1994, les gens ont changé d’attitude. Les amis sont devenus des ennemis. Il a fait cela pour me nuire!” De préciser aussi qu’au bureau G2 n’étaient internés que les prisonniers de guerre qui ont été transférés à la prison civile et échangés contre des prisonniers de l’autre camp.
Maître PHILIPPART demande si l’accusé a bien été réformé de l’armée. Le témoin confirme en précisant qu’il “a gardé son grade.”Par contre, il n’a jamais entendu dire qu’il avait été réintégré dans l’armée: pour lui ce n’est pas possible. Qu’un civil comme SIMBIKANGWA puisse avoir des gardes du corps est certainement le résultat d’un arrangement. Surveillance des journaux? “Il y en avait trop!” Formation des milices? “J’ai lu ça dans la presse. Je ne peux ni confirmer ni infirmer!” Distributions d’armes à la population? “En 1991 , se sont produites des infiltrations du FPR derrière les lignes des FAR. Demande a été faite que la population puisse se défendre, en particulier dans le Mutara. Décision a été prise que des gens soient formés pour défendre la frontière. La population a été formée au rythme de l’avancée du FPR. On assistera ensuite à la mise en place de la Défense civile à Kigali après le 6 avril 1994.”
Sur question de maître MASAHELA, le témoin s’étonne qu’on puisse parler de la Commission BAGOSORA [2]. Nous étions à 10 pour tenter de “définir l’ennemi.” Cette commission était une réunion des cadres supérieurs de l’armée et de la gendarmerie, présidée par HABYARIMANA.
Monsieur HERVELIN-SERRE, revenant sur le renseignement militaire veut savoir à qui sont communiquées les informations récoltées. Le destinataire est le Chef d’État major qui transmet à son tour au Ministre de la Défense. Ce dernier les exploite comme il l’entend et informe qui il veut. Et en ce qui concerne les distributions d’armes et la liste des personnes à exécuter? “Je ne connais aucune liste de ce genre. J’en ai entendu parler en prison. Je pense que ces listes n’ont pas existé. Il n’était pas nécessaire de faire des listes pour tuer tous les Tutsi!” Les barrières? Le témoin reconnaît qu’il y en avait même avant l’attentat au Plateau, au centre ville.
Monsieur CROSSON DU CORMIER interroge le témoin sur les avantages liés à sa condition militaire. “J’étais lieutenant colonel: j’avais un véhicule avec chauffeur, un logement de fonction comme tous les officiers. Si SIMBIKANGWA avait aussi un logement de fonction, c’était certainement en raison de son accident.”
Maître BOURGEOT, évoquant les “prisonniers de guerre” dont le témoin a parlé, pense qu’il s’agit des personnes arrêtées après l’attaque du FPR en octobre 1990. Évidemment non! Les personnes arrêtées alors étaient des civils suspectés de soutenir le FPR. Une nouvelle fois l’avocate de la défense tape à côté de la cible.
Parole est donnée à l’accusé. ” Tout ce qu’il a dit m’exonère de tout ce qu’on a pu raconter de dur moi.” Il éprouve cependant une inquiétude: ” On cherche à traiter ce qui est prescrit.” Revenant sur le cas de la plaignante UMULINGA sortie du dossier il s’étonne que Maître PHILIPPART soit encore là! L’avocate précise qu’elle défend le CPCR.
Le président tente de le rassurer et lui demande de présenter la liste des questions qu’il voudrait voir abordées: l’Akazu [3], le cas de madame KAVARUGANDA [4], la lettre qu’il a adressée à madame UMULUNGA, les Gacaca [5]par rapport à lui, L’Indomptable IKINANI[6].
De poursuivre en disant que l’Akazu [3] n’existe pas, mot inventé pour diaboliser le président HABYARIMANA et ses proches. Le président au témoin: “ Seul SIMBIKANGWA détient la vérité?” Ce dernier se lance une nouvelle fois dans des considérations hors sujet, balade la Cour!
” Vous êtes mis au placard?” questionne le président. ” J’ai soutenu le multipartisme. Je suis démocrate naturellement. Je suis pour la moyenne. Je suis pour la démocratie. J’ai été contrarié par des forces centrifuges venues du FPR. Les gens me jugent trop sévèrement.” Le président se lance dans la lecture d’un passage de La guerre d’octobre [7] qui traite précisément du multipartisme.
Reproduction d’un extrait de la page 237 de “La Guerre d’octobre”
écrit par Pascal SIMBIKANGWA
Il semble toutefois en faire une lecture erronée selon la défense, en particulier à propos d’une expression: “Qui sont les crétins et les déchets politiques dont vous parlez?” SIMBIKANGWA se lance dans des explications une nouvelle fois incompréhensibles. Il est temps de mettre fin à l’audience.
Audition de madame Liberata MUKAGASANA.
Le témoin, gendarme elle-même, a connu SIMBIKANGWA dans le cadre de son travail. Elle le voyait aussi en dehors. Elle se souvient par exemple de l’avoir vu à Bigogwe, un centre d’entraînement, où il était venu accompagner des membres de la Garde présidentielle. Ces derniers devaient aider les professeurs qui faisaient passer le Brevet de commandement aux filles de la Gendarmerie.
Le témoin rapporte alors un souvenir. SIMBIKANGWA est venu un jour au SCR où elle travaillait. C’était vers 1993. Il est arrivé en voiture en compagnie d’un certain SIMBIZI Stanislas, président de la jeunesse CDR (extrémistes hutu). Ils étaient venus voir un membre de la CDR détenu au camps, un dénommé Maître JUMA. Le témoin en a référé à son chef: elle n’a pas été au courant de la suite.
” SIMBIKANGWA vous faisait peur?” demande le président. ” Il ne pouvait pas me faire peur quand on travaillait ensemble. Je ne voulais pas le rencontrer quand il était au SCR.” Mais ce jour-là elle a eu peur du président de la CDR et de SIMBIKANGWA, oui.
D’aborder ensuite le cas personnel du témoin et la façon dont elle a vécu les trois mois du génocide. Elle restera au camp de Kacyiru jusqu’au 4 juillet. “J’entendais qu’on tuait mais nous ne pouvions plus assurer notre mission. Les gendarmes sont allés aider les GP contre le FPR. Dans les massacres, les GP ont joué un grand rôle.” Quant à elle, on lui a conseillé de rester au camp. Les gendarmes ont aussi joué un rôle dans le massacre de la population.
Le témoin ajoute qu’en venant devant la justice française elle n’a fait que répondre à la demande qui lui a été faite. Elle se sent très libre de parler et elle n’a jamais subi de pressions de quelque ordre que ce soit. Elle n’a jamais entendu parler non plus d’associations qui orienteraient les témoins ni “de syndicats de délateurs.”
Elle continue, sur questions du président, en disant qu’elle s’étonne d’avoir été convoquée devant ce tribunal. “ Je ne sais rien sur SIMBIKANGWA. D’autres personnes l’auraient peut-être vu ailleurs. Je n’ai pas quitté le camp pendant tout le génocide. J’ai lu dans les journaux qu’il avait changé d’identité!”
A la question d’un assesseur, elle confirme que le jour où SIMBIKANGWA est venu au SCR avec SIMBIZI de la CDR l’accusé était en tenue militaire. Elle l’a d’ailleurs vu plusieurs fois: il portait le béret des GP. Quant à savoir s’il y avait des conditions pour être GP et pour travailler au SCR, le témoin de préciser: “Le SCR, comme les Gardes Présidentiels, fonctionnaient au sein de la Présidence. Il fallait des gens de confiance, originaires de “Nazareth”, c’est-à-dire des communes de la région de HABYARIMANA.”
Sur question de maître BOURGEOT, le témoin justifie son absence au procès en première instance par le fait qu’elle travaillait en Côte d’Ivoire, au sein de l’armée des Nations Unies. Interrogée pour savoir si, pendant le génocide, elle était “en danger“: “J’étais là dans l’attente de ce qui aurait pu m’arriver. Des collègues avaient déjà été tués, j’attendais mon tour. Les GP devaient venir me prendre. Quand le camp a été encerclé, chacun se cachait.”
Une dernière question de la défense! “Vous avez vu SIMBIKANGWA en tenue militaire. Monsieur IYAMUREMYE ne l’a jamais mentionné. Vous ne vous trompez pas avec une autre époque?” Le témoin de répondre: “Je ne confonds pas les époques. SIMBIKANGWA n’a jamais travaillé à Kimihurura. Il a continué à travailler dans son bureau à la présidence au service G2 puisqu’il a continué à porter son uniforme”. Quant à savoir si le procès actuel est médiatisé au Rwanda, madame MUKAGASANA reste évasive: elle n’a pas la télévision, elle ne sait pas.
Audition de monsieur Protegestate PONZAGA, en visioconférence de la Prison 1930 à Kigali.
Le témoin commence par s’interroger. Comment se fait-il qu’on lui demande à nouveau de témoigner? Son premier témoignage n’aurait-il pas été satisfaisant? Il lui est répondu qu’il s’agit d’un procès en appel avec un nouveau jury, une nouvelle Cour. Il a du mal à comprendre: “Ceux qui poursuivent SIMBIKANGWA me considèrent-ils comme un corrupteur?” On en restera là.
“J’étais mécanicien dans l’armée et je connaissais SIMBIKANGWA comme quelqu’un qui travaillait à la Présidence, puis au Fichier Central. J’ai su qu’il était devenu handicapé suite à un accident. Pendant le génocide, je n’ai jamais rencontré l’accusé. Je ne peux pas dire ce que je n’ai pas vu!” Et de terminer sa déposition spontanée en exprimant sa surprise d’avoir été cité comme témoin en première instance. “Ce Venance MUNYAKAZI qui m’aurait vu avec SIMBIKANGWA a menti, il m’a calomnié. Vu mon rang et le sien, comment aurais-je pu le rencontrer?” (NDR. Ce témoin viendra témoigner demain).
Les questions du président ne permettent pas vraiment d’en savoir beaucoup plus car le témoin ne se livre pas beaucoup. Il ne sait pas si l’accusé était un proche de HABYARIMANA, tout en reconnaissant un peu plus loin qu’il ne meut pas le nier puisqu’il fallait être quelqu’un de confiance pour pouvoir être GP. Il a entendu parler de l’Akazu mais ne sait pas ce que c’est vraiment, il confirme toutefois que SIMBIKANGWA en faisait partie comme tous les officiers de Gisenyi. Il poursuit en disant qu’il n’a jamais vu d’Interahamwe au camp Kigali: “Je faisais mon travail puis rentrais chez moi. Je ne les rencontrais jamais.” Il reconnaît aussi que les armes distribuées par le préfet RENZAHO étaient bien stockées au camp Kigali. Plus loin, il dit toutefois qu’il apprend la livraison des armes quand il se rend au cabaret avec des Interahamwe! C’est là aussi qu’il rencontre SIMBIKANGWA dans le bistrot du cousin de ce dernier. L’accusé se rendait aussi au bar Ikizu, chez un certain MAFUNDI Phénéas qui travaillait à Magerwa (NDR. Service des douanes) et dont la femme travaillait à la Présidence. C’était aussi quelqu’un de sa famille. Le témoin conteste l’affirmation selon laquelle l’accusé a été vu avec des Interahamwe à Nyamirambo entre le 13 et le 24 avril. Ce sont des paroles de Phénéas.
Les barrières avaient bien comme objectif de “barrer la route aux ennemis”. “Si on était Hutu, on n’avait pas de problème. Il fallait montrer sa carde d’identité!” Le témoin a bien des corps aux barrières de Mumena, près du Collège Saint-André, et à Gitega. Pour passer, il y avait un mot de passe à donner, surtout la nuit. Mais “SIMBIKANGWA n’était pas concerné par cette mesure!” Lui-même n’a bien sûr jamais tenu de barrières. Il envoyait son domestique à sa place. Sa femme étant Tutsi, elle aurait été en danger si personne ne l’avait représenté.
Quand le président lui rappelle les chefs d’accusation qui ont permis de le condamner à la prison à perpétuité: “Meurtrier de renom, actes dégradants sur cadavres, a dirigé des attaques meurtrières…”, le témoin se contente de dire qu’il n’est “pas innocent à 100%!” Des listes de personnes à tuer? “Ce n’était pas nécessaire, on se connaissait tous.” Beaucoup de morts dans votre secteur? “Celui qui nierait que les gens sont morts accentuerait sa méchanceté!” Pour finir par dire: “On s’égare. J’ai été appelé pour parler de SIMBIKANGWA et vous parlez de mon dossier!” Monsieur DE JORNA est obligé de lui expliquer que les jurés doivent comprendre concrètement le génocide. Le témoin déclare qu’il a avoué et qu’il devrait être dehors pour construire le pays. Il a demandé la révision de son procès mais on lui demandait de l’argent: il a refusé de corrompre.
“Revenons sur SIMBIKANGWA” dit maître FOREMAN. “Entendu par les juges au Rwanda, vous avez parlé de Nestor et Jérémy (ou Germain) à qui l’accusé aurait remis des armes!” Le témoin confirme qu’il l’a entendu dire:”Jérémy NDABAHUMIJE était bien adjoint au conseiller de secteur, c’était le chef des barrières de tout le secteur.” Dire que SIMBIKANGWA était membre du MRND? “Ce n’était pas possible pour un militaire d’appartenir à un parti.”
A monsieur HERVELIN-SERRE qui lui demande si Jérémy était un ami, le témoin précise que c’était une connaissance. Appelé aussi GERMAIN (NDR. Deux noms très proches quand on les prononce en kinyarwanda ce qui peut favoriser la confusion), il a bien reçu un fusil de la part de SIMBIKANGWA, tout comme Nestor.
La parole revient à la défense. Maître BOURGEOT veut savoir si le témoin s’est rendu chez l’accusé. C’est non. Possible qu’il soit allé chez lui pour un dépannage, mais pas pour boire une bière. Le témoin confirme bien qu’il avait un “boy“, un employé. Sa femme travaillait, il fallait quelqu’un à la maison. L’avocate suspecte que le témoin ait rencontré d’autres témoins, dont Valérie BEMERIKI “qui lui aurait dit ce qu’il fallait dire“. PONZAGA conteste et dit que c’est “impossible“. Autre insinuation de maître BOURGEOT qui croit toujours que les témoins se concertent: “En 2014, on vous a fait des reproches après votre témoignage?” “On ne m’a rien reproché” répond le témoin.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
1. À en croire d’autres témoins, les caricatures étaient pourtant nombreuses : parmi ceux précédemment entendus, voir Augustin IYAMUREMYE, secrétaire général du SCR de 1992 à 1994, ou encore Jean-François DUPAQUIER, journaliste. D’autres le confirmeront encore les jours suivants.
2. En décembre 1991, le témoin était membre la “Commission Bagosora” chargée de définir l’ennemi “Tutsi de l’intérieur ou de l’extérieur”, cf. Annexe 7 de “Rwanda, de la guerre au génocide : les politiques criminelles au Rwanda, 1990-1994” – La Découverte (Paris), ouvrage complété par un site en ligne regroupant une abondante documentation.
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3. Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda. L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises d’État. Cf. “Glossaire“.
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4. Femme de Joseph KAVARUGANDA, président de la Cour constitutionnelle assassiné le 7 avril 1994, parmi les premiers opposants au régime. Dans une lettre adressée au Président HABYARIMANA en mars 1994, il avait dénoncé les menaces de mort proférées à son encontre par Pascal SIMBIKANGWA ainsi que les intimidations dont il faisait l’objet. Cf. “Glossaire“.
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5. Gacaca : Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, elles ont une vocation judiciaire et réconciliatrice. Voir le glossaire pour plus de détails.
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6. L’indomptable IKINANI publié par SIMBIKANGWA a déjà été évoqué plusieurs fois, notamment lors de l’audition de Jean-François DUPAQUIER.
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7. Nombreux sont ceux qui dénoncent les dérives racistes de “La Guerre d’octobre” écrit par Pascal SIMBIKANGWA, entre autres une lettre du 6 août 1962 qu’il reprend page 50 (déjà évoquée par Maître FOREMAN lors de l’audition de Jacques SEMELIN).
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Procès en appel de SIMBIKANGWA. Jeudi 17 novembre 2016. J15
20/11/2016
• Audition d’Isaïe HARINDINTWARI, gardien de la maison située en face de chez SIMBIKANGWA.
• Audition de Jean-Marie Vianney NYIRIGIRA, gardien de maison.
La journée commence par des actes de procédure à l’initiative de la défense. Il s’agit d’une demande de “donner acte” à propos de deux “incidents” :
– SIMBIKANGWA et le multipartisme: monsieur le président ayant déclaré qu’il était contre, suite à l’interprétation d’un passage du livre de l’accusé La Guerre d’octobre.
– inquiétude de la défense concernant l’interruption de l’interrogatoire de l’accusé.
Monsieur CROSSON DU CORMIER, l’avocat général, et soutenant la position du président, demande à ce qu’on “reste juridiques”. Il s’agissait bien, dans l’interprétation du président, de la position de l’accusé et non de sa culpabilité. L’accusé a bien été entendu en dernier.
Le président, concernant la première demande de “donner acte”, signale qu’il y sera répondu en temps utile. Par contre, pour la seconde, il propose de donner la parole à l’accusé : ce sera une réponse à cette seconde demande.
Maître EPSTEIN fait remarquer que, “la vérité sortant de la contradiction, il est nécessaire d’interroger les témoins tant qu’ils sont à la barre“. Ce que personne ne conteste.
Monsieur SIMBIKANGWA voudrait “lever quelques équivoques” :
– “Revenir sur des faits prescrits, ça me fatigue et ça prend beaucoup de temps”.
– Concernant la RTLM, il n’était que actionnaire, pas créateur. Il n’avait aucune autorité.
– Concernant les propos de monsieur SWINNEN sur la radio Muhabura… Le président lui signale qu’on reviendra sur le sujet.
– Concernant les déclarations de madame KAVARUGANDA sur la mort de son mari, “je ne suis pas poursuivi pour ce fait” et Augustin NDIDILIYIMANA a été acquitté au TPIR !
– Il a toujours été pour la démocratie.
– Il a dénoncé la façon de faire des partis politiques d’opposition qui allaient débaucher des adhérents dans les autres partis (Ukubohoza), Il signale avoir toujours soutenu la démocratie, d’avoir soutenu les Tutsi qui “avec raison, réclamaient plus de pouvoir”, avoir soutenu le MRND parce que HABYARIMANA voulait unir les deux ethnies.
Profitant du fait qu’il a la parole, il minimise le nombre de morts de Kibilira et du Bugesera par rapport à ceux du Congo !
– Umurava ? “On m’a mis Umurava sur le dos. C’est KAREKEZI qui utilisait mes adversaires.”
– Le logement de fonction ? “L’avocat général s’est dit surpris qu’un capitaine puisse avoir un logement de fonction ? J’ai gardé mes avantages acquis en redevenant civil.“
– Lors du témoignage du capitaine LE FOLL, maître FOREMAN aurait contourné deux fois le ministère public. Il souhaite que le conseil du CPCR puisse s’expliquer. Il ajoute que l’avocat “a fait trois fois obstruction à la justice !” (NDR. Comprenne qui pourra!)
– De redire que madame UMULINGA est sortie du dossier.
– Son appartenance au MRND ? “Ce n’est pas un crime !”
– L’Akazu ? Après avoir dit que HABYARIMANA était de sa région, il déclare que “le véritable Akazu ce sont les représentants du Sud dans le gouvernement du 9 avril 1994.“
Au tour de maître BOURGEOT, pour la défense, de poser une dizaine de questions qui portent sur des détails et qui ne présentent que peu d’intérêt pour la suite des débats.
Audition de monsieur Isaïe HARINDINTWARI, gardien de la maison située en face de chez SIMBIKANGWA.
Avant l’audition du témoin, on procède au visionnage de courtes vidéos tournées à Kigali, dans le quartier de monsieur SIMBIKANGWA, par les avocats du CPCR en 2013.
Le témoin commence par adresser des remerciements à Dieu pour avoir eu la vie sauve pendant le génocide et lui avoir permis de faire un bon voyage. Remerciements adressés aussi à SIMBIKANGWA qui l’a protégé, et à la Cour.
Pendant le génocide, il était voisin de l’accusé. Ce dernier le sauvera à trois reprises des griffes des Interahamwe, lui procurera de l’eau et de la nourriture, fera venir sa femme et ses enfants à Kiyovu, même si ces derniers finiront par mourir. On le considérait comme “le Tutsi de SIMBIKANGWA“.
Le témoin évoque ensuite une réunion présidée par le préfet RENZAHO et à laquelle il a participé. SIMBIKANGWA était là aussi. Quelqu’un, Ephrem SETAKO dira-t-il plus tard, a alors exhibé une arme. L’accusé aurait déclaré qu’on allait leur en fournir. Une distribution sera effectivement faite un peu plus tard, armes en provenance de chez l’accusé.
Il évoque aussi rapidement une attaque organisée chez une certaine Jeanine (voir compte-rendu du procès en première instance). Quatre personnes ont été tuées lors de cette attaque. Une dernière sera opérée contre la maison de la Commission européenne.
Pendant le génocide, il reconnaît que des gens ont bien trouvé refuge chez SIMBIKANGWA, en particulier des membres de la famille GAHAMANYI dont trois d’entre eux qui seront entendus lors du procès. Certains pourront rejoindre l’Hôtel des Mille Collines.
Questionné par monsieur le président, le témoin dit qu’il connaissait la réputation de l’accusé avant le génocide mais qu’il a voulu vérifier si ce qu’on disait de lui était vrai. “Je l’ai aimé jusqu’à ce jour” ajoute-t-il. “Il était en fauteuil roulant et c’est par compassion que je l’aidais.J’ouvrais son portail et je sortais son fauteuil roulant. Il avait un bon fond !” Mais d’ajouter aussitôt : “Il a distribué des armes !” Et de rappeler les trois fois où il a été sauvé par SIMBIKANGWA. Il sera toutefois blessé lors d’une attaque de la maison dont il était le gardien.
Le témoin ne se souvient pas avoir vu l’accusé pendant les deux ou trois premiers jours du génocide mais il redit avec insistance que SIMBIKANGWA a bien distribué des armes aux Interahamwe.
Vont suivre de longs débats à propos des réunions qui se seraient tenues dans le quartier. De nombreuses contradictions apparaissent dans les déclarations du témoin quand on compare les comptes-rendus des différentes instances qui l’ont auditionné. Maître EPSTEIN ne se privera pas de s’engouffrer dans la brèche !
Une autre série de questions portera sur l’érection des barrières : leur emplacement, les personnes présentes… “SIMBIKANGWA ne tenait pas les barrières, mais il les contrôlait !” Et le témoin d’ajouter : “Beaucoup de calamités se sont produites sur les barrières. Le faciès suffisait pour se faire tuer. On tuait les Tutsi ou ceux qui leur ressemblaient et qui n’avaient pas de carte d’identité.”
Les morts ? “Dans le quartier, il y avait beaucoup d’odeurs. Les cadavres étaient mangés par les chiens. Une pelleteuse est venue les chercher. Beaucoup de corps ont été transportés au CHK.” (Centre Hospitalier de Kigali).
Le témoin affirme aussi avoir vu SIMBIKANGWA rentrer chez lui avec des objets volés dans les maisons dont les propriétaires avaient été tués ou qui avaient fui. Il avait récupéré une Peugeot 305 neuve !
Après la fuite des militaires de Kigali, SIMBIKANGWA était la seule autorité à rester. Il portait son uniforme de l’armée. “Mais c’est bien lui qui a permis à ma famille de venir me rejoindre.”
Les questions de monsieur HERVELIN-SERRE, l’avocat général, permettront de préciser certains points déjà évoqués : les réunions, les réfugiés de chez l’accusé, la distribution des armes, la fréquence des sorties de l’accusé, les déclarations étonnantes de son épouse aux enquêteurs. Cette dernière question l’obligera à reconnaître que son épouse était à Butare mais qu’il avait une autre femme à Kigali. Le témoin dira aussi qu’il a bien vu BAGOSORA venir un jour chez SIMBIKANGWA après le début du génocide.
A maître EPSTEIN d’entrer en scène. Il va « cuisiner » le témoin sur ses rencontres qu’il aurait pu avoir avec des associations, des rescapés, sur ses relations avec SIMBIKANGWA, sur les réunions qui se sont tenues à Kiyovu et à propos desquelles il donne des versions différentes. Pour finir par lui demander s’il fait bien la différence “entre ce qu’il a vu et ce qu’il a entendu dire.” “Quand est-ce que vous dites la vérité ?”
Le témoin tente de dire qu’il essaie toujours de dire la vérité.
Maître BOURGEOT veut avoir la confirmation qu’il a bien été arrêté après le génocide. C’est vrai. Le témoin affirme que quelqu’un l’a trahi parce qu’on a commencé par le considérer comme un Interahamwe: il demandait des nouvelles de SIMBIKANGWA. Toujours questionné par maître BOURGEOT, le témoin reconnaît être entré assez souvent dans la maison de SIMBIKANGWA en l’absence de ce dernier et sur l’invitation de sa fille. Mais il ne se rendait que dans le salon. L’avocate de revenir sur les réunions dont on a parlé, ce qui fatigue le témoin. Ce dernier confirme ce qu’il a dit, même si RENZAHO prétend le contraire. (NDR. Pourquoi RENZAHO, qui a joué le rôle qu’on lui connaît dans le génocide, dirait-il la vérité?)
Le témoin prétend que c’est SIMBIKANGWA qui a fait venir sa famille à Kiyovu et il ne s’en vante pas! Son beau-frère donne aussi une autre version des faits. Monsieur HARINDINTWARI met ces déclarations sur le compte de la vieillesse et de la maladie. Son beau-frère souffrait du diabète.
“Pourquoi vous l’accablez, SIMBIKANGWA ?” demande l’avocate. Le témoin de dire: “Il m’a fait du bien, je lui suis reconnaissant. Je remercie aussi Dieu. Aujourd’hui je peux tout donner, tout faire selon mes moyens, mon intelligence mais cela ne m’empêchera pas de dire la vérité. Nous sommes ici pour connaitre la vérité.“
Et l’avocate de conclure: “Nous sommes ici pour connaitre la vérité. Comment peut on vous croire?”
Après une suspension d’audience, la parole est donnée à Pascal SIMBIKANGWA.
Président : “M. SIMBIKANGWA, pour vous, c’est un témoin à charge ou à décharge?“
SIMBIKANGWA : “C’est dommage, au commencement il a bien dit que je l’ai aidé à survivre et puis il a ajouté d’autres histoires auxquelles je suis totalement étranger, nous le démontrerons. Je ne sais pas pourquoi il ajoute un mensonge.”
Président: Il dit vrai quand il est a décharge pour vous. Est ce que vous êtes d’accord quand il dit que vous lui avez sauvé la vie trois fois?” “Une fois je m’en souviens” répond l’accusé. “J’ai dit que je le connaissais, que ce n’était pas un infiltré.”
Président :”Il exagère quand il dit 3 fois ? Lui ça ne lui rapporte rien !“
SIMBIKANGWA: “Ça peut arriver tout près, c’est possible. Je me souviens de l’avoir vu à côté de sa maison. Je lui ai dis que s’il avait des problèmes il pouvait venir me voir. Sur les armes, il sait très bien, c’est pas lui. Je suis sûr qu’il est sincère. Mais de l’autre côté, la circonstance l’oblige à mentir. La circonstance c’est qu’il n’a pas de liberté de dire ce qu’il veut dire. Il a dit une vérité mais doit mettre quelque chose à côté.”
Président : “D’accord. Mais pourquoi, s’il veut vous accuser, insiste- t- il sur le côté bien? Comment expliquez vous ça?”
SIMBIKANGWA: “C’est ce que le Colonel a dit hier, les circonstances obligent, les gens ont changé et l’environnement dans lequel ils vivent.. La réconciliation n’est pas encore entrée dans la tête des gens. Pour lui, il voudrait que je sorte, il sait que je ne le mérite pas.”
Maître EPSTEIN, irrité: “C’est le minimum que l’on doit à l’accusé! Bon dieu!” Et SIMBIKANGWA de renchérir: “Nous sommes des hommes intelligents. Il a menti. Le préfet a bien dit que jamais il ne m’a rencontré après mon accident. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise! Il a menti!”
Président : “Est ce que c’est vrai que vous avez dit que c’est votre Tutsi?”
SIMBIKANGWA: “Monsieur le Président, je voudrais sincèrement.. En tant que magistrat vous avez quand même travaillé longtemps, vous pensez qu’un Capitaine dise un truc comme ça? Vous pensez que je peux faire ça moi? Cette affaire n’a jamais existé. Il ajoute des choses car il y a un problème rwandais, refus total, absolu de l’innocence. Nous tous nous voulons punir les coupables! Tous! Mais personne ne respecte l’innocent, on veut que tout le monde soit diabolisé! Tout simplement, tant que le pouvoir n’aura pas cette volonté de réconciliation nationale, on continuera à mentir! Ce monsieur, il n’a jamais eu de problèmes avec moi! Je l’ai aidé, il a dit avoir vu les armes mais ne les compte pas et ne m’a pas vu les distribuer! Ce qui a détruit le Rwanda, c’est d’abord les identités, le ParmeHutu, le MRND, aujourd’hui c’est IBUKA!” Et de redire que c’est IBUKA qui empêche les gens de dire ce qu’ils ont vu. Et que vu son rang, il ne pouvait pas contrôler les barrières. De confirmer une nouvelle fois qu’il n’y a pas eu de morts dans le quartier!
Sur l’enlèvement des morts, l’accusé se lance comme à son habitude dans des explications incompréhensibles.
Maître FOREMAN: “Juste une question:comment vous avez fait pour le sauver?”
SIMBIKANGWA: “Maître, merci pour la question. C’est rare que vous m’adressiez la parole avec politesse. Je peux raconter beaucoup de choses sur vous aussi. Comment est ce que je peux aider? J’avais des militaires à côté de moi. Ça me donnait la respectabilité. Cela faisait que les milices ne pouvaient pas faire des choses contre moi.”
Maître EPSTEIN s’adresse à son tour à son client. “Comment vous comprenez que dans le même procès verbal il dise deux choses différentes?“
Monsieur SIMBIKANGWA de répondre: “Je ne suis pas psychologue mais c’est psychologique. C’est un problème de manque de… des difficultés de personnalité liées au circonstances difficiles dans lesquelles se trouvent les gens qui viennent dans des procès pareils. Le TPIR devait me juger, il a trouvé, même le procureur général de Mayotte, que mon dossier était incomplet. Qu’il ne pouvait pas juger ce dossier après 15 ans. Ce qui l’a conduit est un document obsolète. Si on suivait uniquement ces enquêteurs, sans pression, sans lobby, il n’y aurait aucune raison que je sois ici devant la cour de France.”
Maître BOURGEOT revient sur la situation des deux portails qui ne sont pas l’un en face de l’autre. Mêm le plan de la maison de SIMBIKANGWA ne correspond pas à la réalité! “Je vais vous expliquer, c’est un plan dans le dossier, ce n’est pas le plan de la maison de SIMBIKANGWA. Il y a quelques témoins qui ont vu des choses dans des maisons qui n’existent pas” affirme l’avocate de la défense.
“Il s’agit pourtant d’un plan établi par les enquêteurs” fait remarquer maître AKORRI.
Le président abrège les débats. Il reste encore un témoin à entendre et il commence à se faire tard.
Audition de monsieur Jean-Marie Vianney NYIRIGIRA, gardien de maison.
Président :”Est- ce que vous connaissez M. SIMBIKANGWA? Qu’est ce que vous savez sur lui?”
Réponse du témoin: “Pascal SIMBIKANGWA je le connais comme quelqu’un qui habitait près d’où je travaillais. Je le voyais aller et venir mais j’exerçais des activités qui ne me permettaient pas de le voir tous les jours. Ce que je sais, c’est ce qu’il m’est arrivé et ce que j’ai vu.”Le témoin de poursuivre, à la demande du président: “Pascal SIMBIKANGWA se trouvait à la barrière à laquelle on nous avait placés. Il m’a observé, m’a demandé ma carte d’identité. Comme je l’avais changée, il m’a observé. Il a regardé aussi cette carte et a dit aussitôt à des militaires: “Mais qu’est ce que vous faites à rester avec un type pareil?”. Il m’a livré pour qu’on me tue. Comme parmi les militaires se trouvait un ami, un voisin, l’intéressé m’a dit de partir car il y avait un ordre de me tuer.”
Retourné chez lui, SIMBIKANGWA, apprenant qu’il n’était pas mort, va envoyer un certain Benoît, accompagné d’Interahamwe, pour le tuer. Prétextant qu’il ne pouvait sortir pieds nus, le témoin obtient l’autorisation de rentrer dans la maison. Il en profitera pour s’échapper par une porte arrière. Il reviendra chez lui à la nuit tombante. les tueurs avaient quitté la maison. Le lendemain, un militaire l’aidera à fuir et répandra la nouvelle qu’il l’avait tué. D’où la surprise de ceux qui voulaient le tuer quand ils l’ont revu après le génocide.
Le témoin veut aussi s’exprimer sur la distribution des armes. Et d’évoquer deux circonstances au cours desquelles des armes ont été données en provenance de chez SIMBIKANGWA. Le même Benoît est venu sur la barrière où se trouvait le témoin et, pour exciter leur haine, leur a fait croire que le FPR avait exterminé tous les Hutu dans le quartier de Kacyiru. Demande leur a été faite de ne laisser passer aucun Tutsi. Des massacres ont été la conséquence de cette mise en garde. La seconde distribution d’armes se déroulera après le 20 avril. Le témoin précisera ensuite qu’il était bien le gardien de la maison d’un Suisse, monsieur FISCHER. Monsieur NYIRIGIRA connaissait SIMBIKANGWA mais ne le fréquentait pas: ils n’étaient pas du même rang social que lui. Il reconnaît avoir falsifié sa carte d’identité pour se sauver la vie.
Il sera ensuite contraint de se tenir à une barrière, celle près de la maison de chez Z, Protais ZIGIRANYIRAZO, en face de chez les Chinois. A la barrière on tuait les gens ou on les emmenait ailleurs pour les exécuter. Ce sont les militaires qui tenaient la barrière et qui tuaient les gens. Dans ses dépositions, il a bien parlé d’un Interahamwe du nom de Fidèle qui l’a épargné: il savait pourtant bien que le témoin était Tutsi. SIMBIKANGWA venait bien à la barrière pour donner des ordres aux autres militaires.
Et les liens entre Benoît et SIMBIKANGWA? “Si ma mémoire est bonne, c’est lui qui m’a demandé ma carte d’identité à la barrière. Pour la deuxième fois, SIMBIKANGWA m’a demandé ma carte, ils étaient assis ensemble dans la voiture. En plus? c’est Benoît qui dirigeait l’attaque contre moi.”
Le témoin confirme que SIMBIKANGWA avait demandé qu’on le tue.Je suis allé à la maison. Quand ils ont su que je n’étais pas mort, Benoît a mené une attaque là ou nous habitions, c’est ce que je vous ai dis au début. Par contre j’ai vu des armes parvenir de chez lui. De la barrière, il est possible de voir ce qui se passe chez SIMBIKANGWA. Tout d’abord, le fusil que Benoît donne, c’est là qu’il l’ a pris, il passe à la barrière et remonte pour se rendre chez SIMBIKANGWA, il est revenu avec les fusils qu’il a donnés aux Interahamwe.Benoît se déplaçait à bord d’un pickup volé.Le témoin confirme que l’accusé collaborait bien avec Benoît.
Le président rappelle au témoin que lors d’une confrontation avec l’accusé ce dernier avait dit que tout ce que vous disiez était faux. Monsieur NYIRIGIRA s’explique: “Je dis la vérité. Je ne savais pas qu’il allait être conduit devant la justice. J’ai raconté des choses que j’ai vécues. Ce sont des choses que j’ai dites qui m’ont marqué dans mon cœur, qui font partie de l’histoire de quelqu’un qu’on ne pourrait pas oublier. J’ai été amené de force à la barrière. On venait de leur donner la bière qu’on avait à la maison. Je suis allé à la barrière, moi-même je ne m’y sentais pas en sécurité puisque je me disais qu’à un moment ou un autre je risquais de mourir.”
Monsieur l’avocat général fait confirmer au témoin tous les propos qu’il a tenu concernant le rôle de l’accusé dans la distribution des armes. Il fait allusion les paroles que ce dernier aurait tenus: “ Vous avez un souvent précis des termes employés?” Le témoin se souvient. il a dit très en colère “Que les Hutu étaient exterminés pas le FRP. Que l’on ne devait laisser passer aucun Tutsi et qu’on ne peut se baser uniquement sur les aspects du visage.”L’homme de loi fait remarquer le témoin n’a jamais varié dans ses dépositions et que c’est un témoin crédible.
Maître EPSTEIN fait remarquer au témoin qu’il dit la même chose sur SIMBIKANGWA que sur ZIGIRANYIRAZO lors de son témoignage devant le TPIR. Le témoin de répondre qu’il n’y a rien d’étonnant puisqu’ils ont fait les mêmes choses. L’avocat pense le contraire et s’étonne que le témoin ait pu voir ce qui se passe chez SIMBIKANGWA de là où il se trouve(100/200m).
Maître BOURGEOT met en doute le témoignage du témoin qu’elle ne trouve pas crédible. Le témoin de répondre: “J’ai dis la manière dont j’ai échappé à la mort, chaque fois je l’ai expliqué. Pour la première attaque, j’ai refusé d’ouvrir. Quand ils sont revenus, on les a amadoués avec de la bière. Ils m’ont dit d’aller à la barrière pour aider les autres: ce n’est pas a moi qu’une telle question devrait être posé. On m’a déjà posé cette question à plusieurs reprises. On m’a déjà demandé pourquoi je n’ai pas été tué. C’est un miracle divin. Pour ce qui concerne, la dernière fois, quand je suis dans la maison alors qu’il m’attendaient tous devant la maison, je suis passé par l’arrière-cour, la maison des voisins, j’ai eu de la chance car ils cherchaient dans la maison et par chance à mon retour ils étaient déjà repartis. Quand je suis revenu il y avait ceux avec qui j’étais habitué et ils ne m’ont pas tué. Vous pouvez lire mon témoignage. Vers 4h du matin, pour qu’ils ne me retrouvent pas sur place, un ami militaire m’a accompagné et j’ai pu trouver un autre refuge. En revenant, le militaire a dit qu’il m’avait tué. Maître BOURGEOT met en doute le témoignage.
Maître EPSTEIN cuisine à son tour le témoin pour souligner les contradictions qu’il a débusquées dans ses déclarations concernant les barrières et la provenance des armes distribuées par Benoît.
Le président donne la parole à SIMBIKANGWA. “Je n’ai pas beaucoup de choses à dire en plus. Il y a un mot surprenant, soyons logique. Ce monsieur disait qu’il y avait ce Benoit et un Capitaine. J’ai donné ordre à un Caporal de le tuer du 11 au 23, j’ai envoyé des gens, Dieu l’a sauvé… C’est une sornette ou c’est quoi ? Ou bien j’étais chef ou je n’avais pas le pouvoir sur cet homme.”
On s’en tiendra là pour ce soir. Le président suspend l’audience à 21h20.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
Procès en appel de SIMBIKANGWA. Vendredi 18 novembre 2016. J16
20/11/2016
Valérie Bemeriki, ancienne animatrice de la RTLM en prison à Kigali
(photo : Jon Cuesta / www.eldiario.es ©DR)
• Audition de Valérie BEMERIKI, en visioconférence de la Prison Centrale de Kigali.
• Audition de Sam Gody NSHIMIYIMANA, journaliste.
• Audition de Venance MUNYAKAZI, employé de l’imprimerie nationale.
La journée commence par un incident. Valérie BEMERIKI, qui devait être entendue en visioconférence, refuse de s’exprimer en Français. Comme elle n’en avait pas fait la demande avant, il n’a pas été prévu d’interprète. L’audition sera reportée à l’après-midi.
La défense en profite pour faire « une demande de refus de passer outre » sur fondement de procès équitable concernant monsieur RUGGIU [1] qui refuse de venir témoigner. Maître BOURGEOT va jusqu’à demander un renvoi d’audience, traitant le témoin de « personnage farfelu ». Elle en profite pour signaler que Valérie BEMERIKI a été considérée par le TPIR comme « un témoin non-crédible ». Et d’ajouter : « Ce procès doit se tenir avec RUGGIU et BEMERIKI afin qu’on puisse les interroger et les confronter.”
Seconde demande de la défense concernant monsieur Sam Gody NSHIMIYIMANA. Elle dépose “une demande d’opposition à témoignage”. Il serait inéquitable de l’entendre dans la mesure où son témoignage porte sur des faits de tortures qui sont prescrits [2].
Maître PHILIPPART fait une remarque pertinente: “Puisque RUGGIU est un affabulateur, laissons-le de côté. Ne lisons pas son témoignage. C’est un menteur.” Quant à la visioconférence, “c’est une fausse bonne idée puisqu’il refuse.” Puisque RUGGIU n’est pas un témoin déterminant, on pourrait s’en passer.
Quant à “l’opposition à faire témoigner” Sam Gody, il est un obstacle légal, la prescription. Mais il est entendu comme simple témoin, monsieur NSHIMIYIMANA venant témoigner “sur le CV de SIMBIKANGWA et sur la presse.” “Il n’y a donc aucune raison d’accepter.”
Monsieur CROSSON DU CORMIER prend la parole. “Une nouvelle fois on a un procès dans le procès.” Il revient sur la notion de compétence universelle : c’est difficile mais… Il faudrait refuser de passer outre dans le cas de RUGGIU ? “Mais RUGGIU n’est pas un de mes employés. Il a donné des éléments qui ne font pas plaisir à la défense.” Qu’on change la loi ? “Mais on est tenu par la loi existante.” De poursuivre :”Je regrette que ce témoin ne veuille pas venir. J’ai le droit de faire citer des témoins de personnalité. RUGGIU n’est pas le témoin qui a fait condamner SIMBIKANGWA.” Et puis, il existe un “obstacle majeur” : “RUGGIU vit en Belgique, il est impossible de le contraindre.”
Concernant Sam Gody, il donnera des éléments d’information qui ne feront pas plaisir à SIMBIKANGWA. Il ne peut y avoir atteinte à la présomption d’innocence puisque l’accusé ne pourra pas être poursuivi ni condamné pour torture, les faits étant prescrits. Et de conclure : “Je vous demande d’entendre Sam Gody parce que je l’ai cité.”
Maître EPSTEIN conteste la notion de simple témoin et de témoin qui ne serait pas déterminant : “Ça n’existe pas en Cour d’assises.”
Au tour de SIMBIKANGWA de commenter. “Madame BEMERIKI a évoqué une pression qu’elle subirait. Mais laquelle ? La haine ethnique existe encore et elle est entretenue par IBUKA. Il y a eu un génocide des Hutu, j’ai perdu beaucoup de monde. IBUKA n’a pas compris qu’il faut se réconcilier. Il est temps que les Rwandais se mettent ensemble.” De commencer alors à parler de Sam Gody, de lire certaines de ses déclarations. Le Président l’arrête en lui faisant remarquer qu’il cite ce témoin alors que ses avocats demandent de ne pas l’entendre ! (NDR. Cette demande sera refusée par la Cour).
Audition de Valérie BEMERIKI [3], en visioconférence de la Prison Centrale de Kigali.
Le témoin commence par dire qu’elle ne connaissait pas SIMBIKANGWA personnellement avant le génocide, mais elle n’avait pas de bonnes informations sur lui. Les personnes qui le fréquentaient à son office signalaient de “mauvais agissements.”
Pendant le génocide, il est venu plusieurs fois à la RTLM. Comme il ne pouvait monter à l’étage à cause de son handicap, le directeur, Phocas HABIMANA le rejoignait à sa voiture et à son retour il faisait part de leur conversation.
A propos du journal Kangura, le témoin rapporte que Hassan NGEZE, le directeur, lui aurait dit que “toutes les informations contenues dans le journal étaient dictées pas SIMBIKANGWA.” Ce journal diffusait les mêmes messages que la RTLM : “Propager la haine, semer la haine sur base ethnique.”
Le 17 avril, Valérie BEMERIKI dit avoir rencontré SIMBIKANGWA à la barrière du bureau de Gitega, en direction de Nyamirambo. L’accusé serait arrivé dans une voiture blanche et en apercevant celle de la RTLM il se serait écrié : “Bravo ! Votre radio fait du bon travail. Continuez ! Nous vous soutenons, nous sommes ensemble, combattons notre ennemi le FPR et les Tutsi !” En discussion avec un militaire, il était acclamé par les Interahamwe [4]. Le témoin s’est approché d’eux et elle a pu assister à une remise de munitions. Il y en avait trois cartons, plus des fusils sur le siège et d’autres munitions sur les sièges. “Simbikangwa nous a encouragés à continuer pour que les Tutsi ne prennent pas le pouvoir.” Il est venu plusieurs fois à la RTLM puis elle ne l’a plus vu. “Il est allé à l’Île Maurice. » (NDR. En réalité, c’est aux Comores et à Mayotte qu’il s’est rendu!)
Sur questions du président DE JORNA, le témoin parle de la création de la RTLM : l’initiative en revient aux dirigeants tendance CDR des différents partis, aidés par un petit nombre de militaires. La ligne éditoriale était une ligne dure anti Tutsi.
De parler ensuite de son histoire personnelle à travers l’histoire du pays. “A 6 ans, j’ai appris l’histoire des Tutsi qui détestent les Hutu.” Elle avait 4 ans lors du renversement de la monarchie et de la prise de pouvoir des Hutu. “En avril 1994, on nous a dit que l’avion a été abattu par le FPR en collaboration avec les Tutsi ! Nous devions tout faire pour que les Tutsi ne prennent pas le pouvoir.” Et d’ajouter : “Nous croyions que cela était vrai. Je devais me battre pour moi-même, pour le pays.” Elle confirme que les messages de la RTLM étaient clairs : exterminer les Tutsi. Quant à elle, arrêtée au Congo, elle a été jugée par les Gacaca [5]. Elle a plaidé coupable après une formation au sein de la prison où elle était incarcérée mais on l’a condamnée à la perpétuité. Et de poursuivre : “Quand j’ai été arrêtée, je croyais que tous les Hutu avaient été exterminés. J’ai pourtant reçu des gens de ma famille à la prison. Ma conscience a commencé à me juger. Je devais me réconcilier avec moi-même. L’histoire apprise avant me conduisait nulle part. Aujourd’hui, nous sommes dans la bonne gouvernance.”
Le témoin évoque ensuite le cas RUGGIU [1]. Elle n’éprouve pas de jalousie à son égard, même s’il a été condamné à une peine beaucoup moins sévère qu’elle (12 ans de prison). Ce qui la préoccupe aujourd’hui, c’est son pays, ses compatriotes. RUGGIU n’était qu’un « passant ». La lourde peine qu’on lui a infligée est à la hauteur du crime qu’elle a commis. “Je me mets à la place des victimes, cela m’a rendu mon humanité. Cela me pousse à accepter ma peine. D’autres ont perdu les leurs, moi je suis en vie et je vois certains de mes proches !”
Valérie BEMERIKI est amenée à repréciser les circonstances dans lesquelles elle a connu SIMBIKANGWA qu’elle connaissait surtout de réputation, et à reparler de ses rencontres avec l’accusé. Elle ne fait que confirmer ce qu’elle a dit avant.
Lorsque le président évoque la posture de SIMBIKANGWA devant la Cour d’assises, madame BEMERIKI réagit : “Il accuse les gens de mentir et d’être manipulés parce qu’il est en Europe. Ce qu’il dit, c’est un pis-aller (sic). Tous ceux qui sont à l’extérieur n’avouent pas. Personne ne vient nous demander de dire ceci ou cela. Ceux qui sont à l’extérieur n’ont même pas pitié des petites gens qui sont en prison ! Quant à moi, j’ai donné les raisons qui m’ont poussé à me repentir et à demander pardon. Si je n’étais pas retournée au Rwanda, je serais morte sans savoir la vérité.”
Questionnée par monsieur HERVELIN-SERRE, l’avocat général, le témoin précise que Ephrem SETAKO habitait bien Kiyovu avec d’autres personnalités et qu’elle a bien assisté à une réunion le 8 avril avec des membres de l’État Major. Il y avait beaucoup d’officiers supérieurs aussi. Valérie BEMERIKI reprécise les circonstances de sa rencontre avec SIMBIKANGWA sur la barrière de Gitega et ajoute qu’après le bombardement de la RTLM le 17 avril ils ont continué à émettre à partir de la cave du bâtiment.
Monsieur CROSSON DU CORMIER questionne le témoin sur les menaces dont elle ferait l’objet. “Ceux qui sont à l’étranger manipulent ceux qui sont en prison et certains me considèrent comme traître.” Lorsque l’avocat général lui dit que le TPIR a jugé son témoignage non crédible et qu’il l’a rejeté : “Ça ne m’étonne pas ! Ça devait être ainsi !” Et d’ajouter : “Espérer une remise de peine ? Ce serait bien mais ça ne diminuerait pas ce que j’ai fait. Contrairement à SIMBIKANGWA, j’ai reconnu les faits et j’ai demandé pardon !”
Parole est donnée à la défense. “Votre nom apparaît pour la première fois dans un courrier que vous avez adressé au CPCR” commence maître EPSTEIN. “Alain GAUTHIER est venu vous voir avec sa secrétaire ! Votre lettre était écrite en Français !” Le témoin de rétorquer : “J’ai bien le droit de m’exprimer dans la langue de mon choix ! » L’avocat de la défense d’ironiser ensuite sur le contenu de la lettre : “Les informations que vous donnez sont complètement fausses. C’est ça la nouvelle histoire qu’on vous a apprise?” Madame BEMERIKI de répondre : “Si j’ai fait des aveux, cela veut dire que je dois dire la vérité. Le crime qui a été commis doit être sanctionné.”
Et maître EPSTEIN de lire l’avis du TPIR sur le témoignage de madame BEMERIKI : le témoin a beaucoup menti et a laissé une impression déplorable à la Chambre. D’où le rejet de ses dépositions.
Le président fait alors part des décisions de la Cour concernant les demandes de la défense. Concernant RUGGIU, elle décide de prononcer un « sursoit à statuer ». Elle ne renonce donc pas définitivement à le faire entendre. Elle prononce un “rejet de donner acte” concernant la demande d’opposition à témoigner de Sam Gody.
Audition de Sam Gody NSHIMIYIMANA, journaliste.
Le témoin commence son audition par dire qu’avant 1994 il y avait des signes avant-coureurs du génocide et que SIMBIKANGWA faisait la chasse aux journalistes qui tiraient la sonnette d’alarme. “J’ai été torturé par lui. J’avais écrit un article sur les Escadrons de la mort. Ils m’ont attrapé, torturé pour savoir d’où je tenais mes informations. Il m’a fait signer un document dans lequel je m’engageais à ne plus rien écrire sur lui et sur les Escadrons de la mort. Mais j’ai continué à dénoncer. Il m’a torturé personnellement.”
Maître PHILIPPART lui demande de préciser la date de ces événements : décembre 1991. Elle interroge le témoin pour savoir s’il connaît d’autres journalistes qui auraient subi le même sort. Il cite un certain Boniface, du Journal Umurangi qui a été frappé aux pieds et en est devenu presque infirme.
Boniface NTAWUYRTUSHINTEGE torturé par le capitaine SIMBIKANGWA – Umurangi n°5 – 1992
(Source : Genocide Archive of Rwanda)
Sam Gody raconte qu’il a lui-même écrit un article intitulé Laissez-moi vous raconter mon séjour à Rome. “Je comparais SIMBIKANGWA à un pape sur son siège.” L’avocate du CPCR cherche à connaître les fonctions du SCR. Le témoin, après avoir reconnu qu’il avait bien fait une caricature de SIMBIKANGWA, messe macabre, précise que la cible du SCR était les journalistes qui dénonçaient les Escadrons de la mort. SIMBIKANGWA était devenu aussi la cible des journalistes. Mais de reconnaître qu’il n’y avait pas de censure systématique.
Le président HABYARIMANA, célèbre une messe sanglante. Au premier plan, Pascal SIMBIKANGWA, reconnaissable dans sa chaise roulante. Kiberinka n°5 – decembre1991
Interrogé sur son journal Kiberinka, le témoin rapporte qu’il avait fait allusion à la mort de sœur LOCATELLI, une religieuse italienne de Nyamata tuée par les miliciens. “J’ai photographié le corps de gens percés de lances et on m’a enlevé mes photos.” Le témoin de poursuivre que Hassan NGEZE [6] était “l’intelligence de SIMBIKANGWA dans sa haine.”
A maître FOREMAN, le témoin confirme qu’il y avait bien des cachots au SCR, des petits bureaux dans l’enceinte même de la Présidence. Quant à son Journal Kiberinka, il n’était pas lié au FPR, mais à l’opposition en général. “Si l’on ne partageait pas leur idéologie, on nous considérait comme complice du FPR.”
L’avocat général, monsieur HERVELIN-SERRE, interroge à son tour le témoin. Ce n’était pas dans les attributions du SCR de censurer, mais ils le faisaient sans mandat. “SIMBIKANGWA prenait des initiatives, il avait ses propres agents.” On peut parler de réseaux parallèles au SCR. En avril 1992, les choses n’ont pas changé. On comptait les morts, les disparus (massacres au Bugesera). Et le témoin d’ajouter : “Toute la population de la ville connaissait SIMBIKANGWA, « l’homme de la mort ». Comment, tu as rencontré SIMBIKANGWA et tu es vivant ?” disait-on. Certains de ses articles étaient signés par NGEZE [6].
Monsieur CROSSON DU CORMIER revient sur le terme “Akazu”. Le témoin rappelle que c’était “le cercle des gens qui se connaissaient, originaires de la régIon du Président, très influents. Les beaux-frères de HABYARIMANA en faisaient partie, tout comme SIMBIKANGWA ainsi que les militaires haut-gradés des communes de Giciye et Karago.” C’est bien Christophe MFIZI qui est à l’origine du mot. Sam Gody confirme que le mot peut être rapproché du terme “Nomenklatura”.
Quant à Janvier AFRIKA, il l’avait bien connu. Il était cuisinier à l’hôtel Amahoro. Il le servait quotidiennement. Recruté par les Escadrons de la mort, il a quitté et a dénoncé ses crimes. Il s’est fait journaliste à Umurava. Emprisonné, il s’est évadé. Son père était le vétérinaire des vaches de HABYARIMANA. Par contre, il n’a pas été retourné par le FPR.
Maître BOURGEOT, pour la défense, s’étonne que Janvier AFRIKA ait pu écrire des articles contre SIMBIKANGWA dans Umurava. Le témoin n’a pas de réponse. Quant à savoir si le procès actuel est très médiatisé au Rwanda, le témoin reconnaît que ce n’est pas le cas. “Et les exactions du FPR, on en parle?” demande l’avocate. Le témoin de répliquer : “C’est le procès du FPR ? ” Maître EPSTEIN veut savoir si le témoin établit des liens entre SIMBIKANGWA et Kangura. Ce dernier confirme puisqu’il écrivait des articles et payait les factures. Pour contredire Sam Gody, l’avocat de la défense lit le commentaire du juge d’instruction qui déclare qu’il n’y a pas de lien entre SIMBIKANGWA et NGEZE [6]. Le témoin de conclure : “C’est son avis !”
Audition de Venance MUNYAKAZI, employé de l’imprimerie nationale.
Le témoin déclare que SIMBIKANGWA était connu à l’imprimerie nationale. Il est venu à Nyamirambo le 9 avril 1994 avec SEZIBERA. Il est revenu le lendemain avec des armes dans sa voiture qu’il a distribuées aux réservistes. De préciser que l’imprimerie nationale et l’imprimerie scolaire étaient deux établissements d’État. Selon le témoin, SIMBIKANGWA venait à l’imprimerie et on lui amenait le journal jusqu’à sa voiture. On pratiquait la censure et on pouvait même retirer tous les numéros d’un journal. Après 1992, l’imprimerie nationale imprimait des journaux d’opposition. SIMBIKANGWA lui reprochait de laisser passer certains articles. Il sollicitait leur collaboration pour saboter certains journaux. “SIMBIKANGWA tenait son pouvoir du fait de sa proximité avec la Présidence.”
Questionné sur son ethnie, monsieur MUNYAKAZI dit qu’il est Hutu mais qu’il était menacé : il cachait des Tutsi chez lui. Il a réussi à quitter Kigali le 11 avril. Mais c’était difficile, il y avait des morts aux barrières. C’est le FPR qui a sauvé les voisins qui étaient réfugiés chez lui.
Maître FOREMAN se fait préciser que la presse de SIMBIKANGWA était bien anti Tutsi. L’accusé est venu deux fois à Nyamirambo avec le chef de secteur SEZIBERA. Il y avait des armes dans sa voiture qu’il conduisait lui-même.
Monsieur HERVELIN-SERRE fait préciser au témoin la topographie des lieux pour savoir où étaient situés Kiyovu, Gitega et Nyamirambo. L’avocat général lui signale que lors de son audition par le TPIR en 2001 il n’a pas évoqué la présence des armes alors qu’il en parle aux enquêteurs français en 2010.
Maître BOURGEOT demande au témoin si cela ne le gênait pas d’imprimer des journaux extrémistes. Ce dernier ne répond pas. L’avocate de poursuivre : “En 2001, vous dites avoir quitté Kigali le 9 avril et en 2010 vous parlez du 11. Une contradiction de plus !”
SIMBIKANGWA à qui on donne la parole en dernier souligne les contradictions dans les propos des témoins, comme dans ceux de Valérie BEMERIKI. Il déclare que maître FOREMAN et monsieur GAUTHIER n’ont pas compris. (NDR. Pas compris quoi ? On ne le saura pas).
Alain GAUTHIER, président du CPCR
1. Inquiet pour sa sécurité et pour la préservation de sa vie privée, Georges RUGGIU avais déjà refusé de témoigner lors du procès en première instance. Citoyen belge, il était journaliste et animateur à la RTLM. Dans ce cadre, il a diffusé des émissions qui ont incité au meurtre ou à des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale des Tutsi et ont constitué des actes de persécution envers les Tutsi, ainsi que certains Hutu et citoyens belges. Ayant plaidé coupable, il est condamné par le TPIR, en 2000, à 12 ans de prison (Cf. “Glossaire“).
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2. La Cour prononcera un “rejet de donner acte” et Sam Gody NSHIMIYIMANA sera entendu le jour même au cours de l’après midi.
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3. Valérie BEMERIKI, ancienne journaliste à la RTLM (Radio Télévision des Mille Collines) a été condamnée à perpétuité par une tribunal Gacaca en 2009.
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4. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. “Glossaire“.
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5. Gacaca : Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, elles ont une vocation judiciaire et réconciliatrice. Voir le glossaire pour plus de détails.
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6. Éditorialiste du journal Kangura. Voir l’audition de Jean-François DUPAQUIER et dans “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).
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Procès en appel de SIMBIKANGWA. Lundi 21 novembre 2016. J17
22/11/2016
• Audition de monsieur Joël GASARASI, veilleur de nuit.
• Audition de Salomon HABYAKARE, technicien, ancien veilleur chez Francis GEGE.
• Audition de monsieur Jonathan REKERAHO, en visioconférence.
La journée commence par un nouvel incident de procédure. La défense dépose « une plainte pour faux » concernant la production au dossier de L ‘Indomptable Ikinani [1]. Pour les parties civiles, qui n’a pas encore eu l’occasion de s’exprimer, il s’agit d’une procédure dilatoire, un écran de fumée. Affaire à suivre.
Audition de monsieur Joël GASARASI, veilleur de nuit.
Le témoin, dans sa déposition spontanée, se contente de déclarer qu’il vivait à Kiyovu en 1994 et qu’il tenait une barrière. Il a vu SIMBIKANGWA distribuer des fusils pour tuer les Tutsi.
Le président rappelle les propos que le témoin a tenus en présence des gendarmes français : « Si SIMBIKANGWA a des familiers qui sont au pays, je serai inquiet pour ma famille si on savait que j’avais témoigné contre lui.» Le témoin dit que ce n’est plus le cas et qu’il n’a subi aucune pression. Il se désigne lui-même comme un « chrétien intègre » (murokore). Il n’a pas été maltraité pendant le génocide.
Veilleur chez Assinapol RWIGARA, il a perdu son épouse, un enfant, sa mère, ses sœurs, ses beaux-frères et oncles maternels pendant le génocide. Il a connu SIMBIKANGWA quand il distribuait les fusils. C’est Diogène NYIRISHEMA, un voisin, qui lui a demandé de se présenter à la barrière qui se trouvait en face de la maison de son patron, pour sa sécurité. La barrière la plus connue, celle que l’on appelle souvent la « barrière des Chinois », se trouvait face à la maison de Protais ZIGIRANYIRAZO, le frère d’Agathe KANZIGA. Deux gardiens avaient un fusil reçu des mains de SIMBIKANGWA, Diogène et Jonathan REKERAHO. Il a vu arriver l’accusé dans une voiture beige. Diogène lui a dit :« Ne t’approche pas de SIMBIKANGWA. S’il te voit, il te tue. »
Le président ne manquera pas de mettre le témoin en face de ses nombreuses contradictions. Ce sera le leitmotiv de l’audition ! Le témoin précise qu’il n’y a pas eu de morts à sa barrière. Par contre, de nombreuses victimes sur la barrière des Chinois surnommée « Golgotha.»
Au président qui cherche à situer l’emplacement des barrières, le témoin lance : « SIMBIKANGWA ne devrait pas continuer à vous fatiguer. Il fournissait des armes. » A-t-il vu l’accusé remettre des armes ou l’a-t-il entendu dire ? On aura du mal à le savoir.
Par de courtes question, maître PHILIPPART demande des précisions au témoin sur les barrières, le nombre de victimes à la barrière des Chinois, SIMBIKANGWA aperçu seul ou accompagné…
Monsieur HERVELIN-SERRE fait redire au témoin que sa présence sur la barrière était pour lui une question de survie. D’autres mises en garde lui ont-elles été faites par d’autres que Diogène ? Le témoin de préciser : « Des militaires passaient souvent. Je me tenais tranquille. On avait peur de SIMBIKANGWA car c’est lui qui distribuait les armes. Je savais ce qu’on disait de lui, et le fait qu’il distribuait des armes me faisait peur, j’avais peur qu’il me tue. »
Avec l’intervention de maître BOURGEOT va commencer une longue période au cours de laquelle elle cherche à faire dire au témoin que de là où il se trouve il ne peut pas voir la barrière des Chinois. Ce qui n’est pas vrai. Et puis, le témoin a des difficultés à se repérer sur un plan. Beaucoup de questions, mais c’est devenu une habitude, qui ne servent pas vraiment à mieux comprendre la situation.
Au tour de maître EPSTEIN de questionner le témoin. Assez agressif, il s’étonne que le témoin ne sache pas faire la différence entre ce qu’il a vu, ce qu’il a entendu dire, ce qu’il déduit lui-même… Que de contradictions, fait-il remarquer. L’avocat de la défense cherche aussi à savoir si le témoin a gardé des contacts avec d’autres personnes qui vont venir à l’audience : sous-entendu, vous vous êtes concertés !
SIMBIKANGWA a la parole. Le président voudrait connaître la position de l’accusé sur deux points précis : les barrières et la distribution des armes. Pour lui, ce que les témoins disent sur les barrières est « inexplicable, incompréhensible. » Les témoins sont des menteurs. Il n’est jamais allé sur les barrières. Il n’a jamais distribué d’armes. Et d’ajouter : « Je n’ai jamais trempé dans l’affaire du génocide. Dans le quartier où j’ai été , il n’y a pas eu de morts. » Et de conclure, toujours un peu à côté de la plaque : « Nous sommes des cartésiens. » Pourquoi les témoins disent-ils cela ? « Ma voiture n’est jamais sortie du garage pendant le génocide ! J’étais conduit dans une camionnette en compagnie de deux gardes. A la fin, j’avais une Peugeot d’occasion que j’avais achetée ! » (NDR. Pas la même que celle qu’un témoin voit arriver chez lui, volée dans des maisons dont les propriétaires ont été tués ou qu’ils ont désertées ! »
Audition de Salomon HABYAKARE, technicien, ancien veilleur chez Francis GEGE.
Le témoin apprend la nouvelle de l’attentat alors qu’il est en compagnie de REKERAHO. Son patron, le soir même, vient lui dire de ne pas quitter la maison le lendemain matin. Il partira le lendemain au Burundi après s’être réfugié à l’Hôtel des Mille Collines. Le 11 avril, un GP, MUYAMBERE est venu avec des Interahamwe [2] sous la direction de Fidèle FURAHA. Ils vont mettre la maison à sac. Ils ont fait sortir trois jeunes filles qui se cachaient et ont demandé à un certain Alphonse de les tuer. Ne pouvant s’y résoudre, on lui arrache le gourdin des mains : les jeunes femmes seront assassinées. Alphonse sera tué sur place. Une des jeunes filles mettra trois jours à mourir.
Au bout d’une semaine, SIMBIKANGWA serait venu à bord d’une Land Rover avec des militaires. Il a donné un fusil à Jonathan, puis un autre à Diogène. Le témoin dira qu’il apprendra plus tard le nom du militaire qui a fait exécuter Alphonse : il s’agit d’un certain HIRANGENE. Il a tué tellement de gens que les corps des victimes sont empilés à la barrière.
Le président demande au témoin de préciser un certain nombre de points déjà abordés, questionne sur SADALA, le Tanzanien qui a épousé une femme tutsi. Va suivre une discussion interminable sur les conditions dans lesquelles SADALA aurait reçu un fusil de SIMBIKANGWA, et sur les raisons pour lesquelles l’accusé a donné son accord. Un peu plus tard, maître EPSTEIN ne manquera pas de revenir sur la question pour mettre le témoin en face de ses contradictions, voire ses mensonges. Autres question sur la réunion à laquelle le témoin n’a pas participé, les cadavres sur la barrière des Chinois, en particulier l’impossibilité, pour quelqu’un qui passait là, de ne pas les voir. Le président de faire préciser les distances entre la maison de SIMBIKANGWA et les différents lieux du quartier.
Sur question de maître MASAHELA, le témoin précise que SIMBIKANGWA avait de l’autorité dans le quartier.
Monsieur CROSSON DU CORMIER voudrait faire dire au témoin qu’au début de l’instruction il n’a pas été interrogé sur SIMBIKANGWA. D’ailleurs, SADALA et lui-même n’étaient-ils pas annoncés comme décédés ? Pour lui, il n’y a donc pas de contradiction formelle dans les déclarations du témoin.
Questionné par maître EPSTEIN, le témoin affirme qu’il n’a jamais subi de pression. (NDR. Chez l’avocat de la défense, c’est une idée fixe. Il pose la même question à tous les témoins.) Quand le témoin confirme qu’Isaïe a bien coupé un arbre devant la maison de SIMBIKANGWA, ce dernier se met à rire. (NDR. Il aura la même réaction à plusieurs reprises, jusqu’à même éclater de rire !) Suit une série de questions en rafales qui ne doivent pas permettre aux jurés d’y voir plus clair. (NDR. Pourquoi ne pas faire simplement remarquer qu’il y a des contradictions dans les propos des témoins plutôt que de le harceler et de probablement noyer les jurés.)
Maître EPSTEIN de conclure sur une dernière question. « Pourquoi parler de Diogène aujourd’hui pour la première fois ? Vous avez parlé à Diogène ?” « Non », répond le témoin. « Vous avez voyagé avec lui ? » « Oui . » Le témoin ne sait pas si REKERAHO est en prison.
Avant d’entendre le témoin suivant, le président demande à SIMBIKANGWA s’il veut réagir aux propos du témoin. L’accusé souligne les nombreuses contradictions. Et de s’interroger : « Quel crédit donner à ce témoignage ? » Et de souligner le travail méticuleux des enquêteurs français. Il y a eu chez le témoin la volonté de mentir, le désir de l’enfoncer.
Audition de monsieur Jonathan REKERAHO, en visioconférence.
Le témoin est entendu en visioconférence du Parquet de Kigali. Il est actuellement incarcéré pour avoir désobéi aux autorités alors qu’il est lui-même une autorité. Il connaît SIMBIKANGWA depuis longtemps, bien avant le génocide, « avant même de savoir ce qu’était un génocide. » Il l’a vu dans des réunions, dans des distributions d’outils (d’armes) et dans la supervision du génocide. Et de développer rapidement chacun des points énumérés.
Sur question du président, il précise l’emplacement des barrières. Quant à lui, il se tenait sur la barrière de SADALA. Sur les autres barrières, il y avait des chefs. Il reparle de SADALA et de sa famille et revient sur les conditions dans lesquelles il a obtenu une arme pour ce dernier. Au passage, il remercie SIMBIKANGWA d’avoir sauvé SADALA et Isaïe. Mais il n’a pas fait que du bien. Et de mettre à son compte les morts sur la barrière de ZIGIRANYIRAZO [3] , la plus violente, la plus meurtrière. SIMBIKANGWA peut bien nier ne jamais s’être rendu à cette barrière, « je dis ce que j’ai vu » poursuit le témoin. Et de poursuivre en disant qu’il pouvait voir cette barrière de chez son patron car c’était une maison à étage. Quand le témoin déclare que « SIMBIKANGWA et les autres militaires nous donnaient des instructions », cela provoque les rires de l’accusé. On lui a dit que l’accusé avait distribué des armes.
Le témoin ne peut pas vraiment dire si des Tutsi auraient été arrêtés à sa barrière et conduits chez HABYARIMANA comme l’aurait demandé l’accusé. Il donne un vague exemple. Par contre, sur la barrière de ZIGIRANYIRAZO [3] , on tuait. SADALA aurait trompé SIMBIKANGWA pour obtenir une arme ? Il lui a fait croire que c’était pour lutter contre les Inyenzi [4] alors que c’était pour protéger sa famille ? Le témoin confirme. Il devra aussi expliquer les conditions dans lesquelles il sera amené à rendre son arme. Là encore, des déclarations contradictoires. Il sera d’ailleurs arrêté pour détention d’arme mais ne sera jamais jugé, encore moins condamné. Il doit revenir aussi sur ce qu’il a déjà dit sur l’arme remise à KAMANGO. Il demande de ne pas tenir compte des versions antérieures : il n’a pas vu SIMBIKANGWA remettre une arme à KAMANGO, c’est ce dernier qui le lui a dit. Quant aux munitions, on lui en a bien remis un sac. Et puis, remet-on une arme sans ses munitions ? KAMANGO, finalement, il ne l’a jamais vu tirer ! Quand on lui fait remarquer qu’il a menti, il se contente de demander qu’on efface « de mes propres yeux . »
Les fosses creusées à la demande de SIMBIKANGWA ? Encore des déclarations contradictoires ! Par contre, “si SIMBIKANGWA a des yeux, il n’a pu que voir des cadavres.” Le témoin affirme qu’il a participé à deux réunions à l’Hôtel Kiyovu. BAGOSORA [5] était là et c’est à SIMBIKANGWA qu’ils devaient exprimer leurs besoins en armes.On lui a signalé que des armes étaient entreposées au garage AMGAR. C’est probablement là que l’accusé s’est approvisionné en armes.
Maître MASAHELA, par de brèves questions, obtient chaque fois des réponses positives : « SIMBIKANGWA vous bien donné une arme ? Il vous a dit de ne pas laisser passer les Inyenzi/Tutsi ? Vos informations vous les avez reçues directement de ceux qui avaient reçu des armes ? La barrière du Péage et du CELA, c’est la même ? »
A l’avocat général, le témoin précise qu’il n’a reçu aucune menace pour faire des déclarations ou les modifier. Les réunions pouvaient aussi se tenir chez GEGE. Il y a vu BAGOSORA [5].
A monsieur HERVELIN-SERRE qui l’interroge, le témoin déclare qu’il n’a pas vu de GP qui auraient protégé l’accusé. Il confirme qu’Isaïe a bien coupé un arbre pour ériger une barrière devant chez SIMBIKANGWA, que des meurtres ont été commis dans des maisons en particulier chez Jeanine qui habitait à 100 mètres de chez l’accusé. Quelques mots sur Robert KAJUGA, le chef des Interahamwe [2] , qui aurait donné des armes. Pas étonnant, son bureau se trouvait dans le garage AMGAR. S’il n’a pas parlé des munitions quand il a parlé des armes, c’est tout simplement parce que les munitions ne sont pas des armes. « Quand on vous donne un fusil, on vous donne des armes. » Et de redire ce qu’il savait sur l’histoire de l’arme remise à SADALA .
Maître BOURGEOT ne manquera pas de faire remarquer que le témoin se contredit tout le temps. Et de revenir sur la remise de l’arme à SADALA. Ce dernier « cachait des Tutsi, 80 » avance l’avocate. « Oui, mais SIMBIKANGWA ne le savait pas. »
C’est maître EPSTEIN qui clôturera la soirée. De redire que les déclarations du témoins sur SADALA sont contradictoires. Idem concernant les accusations du témoin contre BAGOSORA [5] au TPIR, ou encore à propos de la remise de son arme ou concernant les fosses communes. L’avocat de conclure : « Vous pouvez dire une chose et son contraire en quelques secondes. »
SIMBIKANGWA, à qui on donne la parole en dernier, ne souhaitera pas s’exprimer.
Il est tard. La fatigue se fait sentir. Le président propose de suspendre l’audience et de remettre au lendemain l’audition du témoin Emmanuel KAMANGO.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
1. L’indomptable IKINANI publié par SIMBIKANGWA a déjà été évoqué plusieurs fois, notamment lors de l’audition de Jean-François DUPAQUIER.
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2. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. “Glossaire“.
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3. Également sur surnommée la “barrière des Chinois” dans plusieurs autres témoignages.
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4. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste. Cf. “Glossaire“.
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5. Chef de cabinet du ministre de la défense du gouvernement intérimaire, désigné comme membre de l’Akazu et du Réseau Zéro, le colonel BAGOSORA est un des piliers du pouvoir. Il a contribué à armer les Interahamwe à partir de 1991 et a joué un rôle clé dans l’organisation des milices début avril 94. Après l’attentat du 6 avril, il prend la tête d’un comité de crise et installe au pouvoir les extrémistes Hutu. Condamné par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), à la prison à vie en 2008 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sa peine a été réduite à 35 ans de prison en appel en 2011.
Voir le glossaire pour plus de détails.
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Procès en appel de SIMBIKANGWA. Mardi 22 novembre 2016. J18
22/11/2016
• Audition d’Emmanuel KAMANGO, mécanicien.
• Audition de Diogène NYIRISHEMA, commerçant.
• Questions posées à SIMBIKANGWA.
• Audition de Dieudonné NYITIGEKA.
• Interrogatoire de l’accusé.
Audition de monsieur Emmanuel KAMANGO, mécanicien.
Le témoin a connu SIMBIKANGWA sur la barrière des Chinois où il est venu en voiture. Des militaires gardaient son domicile. L’accusé serait arrivé et se serait arrêté en disant qu’il avait “deux Inyenzi” [1] dans sa voiture. “Je ne le connaissais pas: on m’a dit que c’était lui.” Il l’a revu une autre fois tout près de l’Ambassade d’Allemagne. Un jeune homme est sorti en courant et a été abattu. Deux militaires se tenaient là: HIRANDEBA et MUROKORE. Le premier des deux a rapporté les propos de SIMBIKANGWA qui voulait “éradiquer les Tutsi.”
Sur questions du président, le témoin reconnaît qu’il y a eu beaucoup de morts à la barrière des Chinois mais que lui-même n’a pas tué. Il reconnaît aussi avoir été condamné à 10 ans de prison (il en fera 13) par les Gacaca [2] de Nyarugenge pour s’être rendu sur la barrière et avoir porté un habit militaire! On lui aurait aussi reproché d’avoir détenu une arme. (NDR. Pas sûr qu’il dise toute la vérité, mais ce n’est pas son procès.) Par contre, il ne reconnaît pas avoir détenu une arme. Ce sont les militaires qui ont tué à la barrière. SIMBIKANGWA est bien venu à la barrière mais il ne l’a pas vu distribuer des armes. Le témoin confirme les propos de l’accusé: “Je viens apporter deux minables Inyenzi!” [1]
Benoît travaillait à la présidence. C’était un tueur que tous redoutaient. “Nous prenions nos jambes à notre cou quand nous le voyions!” Mais c’est bien SIMBIKANGWA qui avait autorité sur les militaires. Le témoin précise qu’ils étaient obligés de se rendre sur les barrières. Il étonne lorsqu’il dit qu’il ne sait pas s’il est Hutu ou Tutsi. On apprendra qu’il est en fait Congolais. A la question de savoir si l’accusé était bien présent à la barrière, le témoin répond que c’est ce qu’il a vu et que personne ne l’a obligé à déclarer cela. Pour lui, l’important, “c’est de craindre Dieu“. Personne ne lui a dit de déclarer ce qu’il a dit. Avait-il peur de SIMBIKANGWA? “Je n’ai jamais parlé avec lui, aucun civil ne pouvait approcher une autorité comme lui. Nous avions peur des militaires. Je crains Dieu seul mais lui ne le craint en rien, il ne craint personne.”
Des questions rapides d’un assesseur permettent au témoin de préciser à nouveau un certain nombre de points. Il en est de même en ce qui concerne monsieur HERVELIN-SERRE. Il y avait bien une barrière devant la maison de SIMBIKANGWA, il n’avait pas d’arme et si on l’avait obligé à en avoir une, il l’aurait prise pour protéger les siens.
Maître BOURGEOT questionne le témoin sur l’existence des barrières, en particulier celle de chez SIMBIKANGWA. Elle s’étonne que la barrière ait pu changer de place. Le témoin lui explique qu’il est facile de déplacer un arbre selon les besoins du moment. L’avocate de la défense se refuse à comprendre.
Au tour de maître EPSTEIN de questionner le témoin. A-t-il témoigné dans d’autres procès? Non. Il n’a connu la maison de l’accusé que pendant le génocide, on ne lui a pas remis d’armes car il était Zaïrois, bon nombre des informations qu’il donne ne sont pas de première main, Benoît ne lui a pas remis d’arme, il ne connaît pas BAGOSORA [3]. Quant à FURAHA, il dit que c’était un Interahamwe [4] de Kiyovu.
Maître EPSTEIN souligne les contradictions des déclarations du témoin qui donne des versions différentes selon les enquêteurs. Le témoin rétorque qu’il “a eu une prise de bec avec l’enquêteur qui ne prenait pas ce qu’il disait.” Le comportement du témoin irrite passablement l’avocat de la défense qui s’énerve et qui, une nouvelle fois, lui reproche de changer de version.
Audition de monsieur Diogène NYIRISHEMA, commerçant.
Dans sa déclaration spontanée, le témoin se contente de dire qu’il connaissait l’accusé avant le génocide et qu’il l’a vu aux barrières. Sur questions du président, il confirme qu’il était veilleur à l’église presbytérienne. Il se souvient que SIMBIKANGWA frappait les gens. Il venait bien aux barrières pour dire à ceux qui étaient là comment se comporter. Ils devaient être vigilants pour que les Inyenzi n’entrent pas. Le témoin confirme que SIMBIKANGWA a bien donné une arme à Jonathan et une à lui. L’accusé se déplaçait “en pickup blanchâtre” et avait un chauffeur. Il aurait même fourni de la nourriture, “des choux et de la viande.”
SADALA avait bien une barrière devant chez lui. Questionné par monsieur HERVELIN-SERRE, le témoin confirme que l’accusé était bien connu avant 1994, qu’il visitait les barrières et qu’il donnait des instructions relatives aux Tutsi. Il confirme aussi qu’un fusil a été remis à Jonathan, une arme pleine de munitions.
Maître BOURGEOT, et cela devient une habitude, souligne les contradictions entre les différentes déclarations du témoin. Quant à SADALA, il jouait bien le même rôle que SIMBIKANGWA, mais il recevait ses instructions de l’accusé et de RENZAHO [5] . Et le témoin d’ajouter: “J’ai toujours dit que j’avais un fusil!” Maître BOURGEOT soupçonne le témoin de s’être entretenu avec Joël GASARASI et les autres qui ont voyagé avec lui. Et l’avocate de souligner toujours et encore les contradictions du témoin. Elle s’en irrite!
Maître EPSTEIN entre à son tour en piste. Il finira par faire dire au témoin que l’arme dont il disposait était la même que celle de REKERAHO! L’avocat s’étonne que le témoin n’ait pas été inquiété par la justice comme ses collègues. Maître BOURGEOT ironise en citant l’OMA des juges: “Diogène est un témoin direct qui rapporte ce qu’on lui a dit.”
L’avocat général, monsieur CROSSON DU CORMIER, tente d’expliquer les conditions dans lesquelles est organisée la venue des témoins. Il peuvent se rencontrer, se concerter, mais ils sont entendus seuls! Ils viennent ensemble, accompagnés… il n’y a aucun moyen de faire autrement.
Maître FOREMAN propose de lire trois paragraphes de la déposition de SADALA décédé depuis. SIMBIKANGWA était venu chez lui entre le 10 et le 15 avril dans une Toyota blanche. Il était venu réclamer environ 60 000 francs. L’ordre d’installer des barrières était bien venu de SIMBIKANGWA. Le 11 avril, il s’était arrêté devant son domicile: il y avait de nombreux fusils derrière son siège.
Cette intervention énerve maître EPSTEIN qui perd un peu son sang-froid.
Questions posées à SIMBIKANGWA.
Avant l’audition du témoin suivant, le président souhaite que l’accusé puisse répondre à des questions.
Le président veut orienter la discussion en rappelant les propos du témoin. Maître BOURGEOT monte sur ses grands chevaux et monsieur DE JORNA doit hausser le ton pour la faire taire. C’est lui qui dirige les débats.
Comme à son habitude, monsieur SIMBIKANGWA dénonce “un grossier montage“, puis lit un document qu’il a écrit. (NDR. Je mets au défi quiconque arrivera à comprendre ses propos!) Il lit ensuite le témoignage de madame GAHAMANYI, qui vante son comportement, dénonce les déclarations de Venance et Sam Gody. Pour lui ni l’un ni l’autre n’avaient leur place dans ce tribunal, “une anomalie contre la loi française.” Il conteste avoir eu un lien quelconque avec Benoît.
Concernant Diogène NYIRISHEMA, il s’étonne aussi qu’il “ait pu être appelé devant la Cour de France“: “Il n’y a aucune place pour cet individu.” Même avis concernant le témoignage de Jean Marie Vianney NYIRIGIRA. Les barrières? Ce n’était pas la place d’un capitaine! Il conteste d’ailleurs le fait qu’une barrière ait été installée devant son domicile. Et d’ajouter, dans son langage toujours imagé: “Les jurés ne comprennent pas. Ça devient une soupe.”
A propos de SADALA, l’accusé explique les circonstances dans lesquelles son voisin est venu lui demander une arme. Il en avait besoin pour protéger les 80 personnes réfugiées chez lui! C’est le commandant BUGINGO qui l’aidera à lui en procurer une. L’arme sera ensuite remise à KAMANGO.
Et SIMBIKANGWA de continuer: “Je suis devant une juridiction de France. Nous sommes cartésiens! Des témoins viennent dire que Dieu les a sauvés. Ce n’est pas Dieu qui sauve!” De conclure: “SIMBIKANGWA n’était pas un distributeur d’armes. Je n’en avais pas à distribuer. Cette arme a servi de dissuasion contre les bandits ou les Interahamwe [4] . Car il y a eu des Interahamwe qui étaient bons… Dans tout le Rwanda il n’y a pas eu une seule arme que j’aie pu distribuer!”
Audition de Dieudonné NYITIGEKA.
Le témoin doit être entendu en visioconférence. Mais comme témoin protégé du TPIR, il avait demandé un “huis clos partiel“. Après avoir donné les raisons de sa demande, le président demande l’avis aux parties. Les parties civiles sont plutôt d’accord dans la mesure où il est nécessaire de l’entendre. L’avocat général partage le même avis. Seule la défense demande à ce qu’on lui refuse ce huis clos. La Cour s’étant retirée pour délibérer finit par faire droit à sa demande.
La salle est donc évacuée. Seuls peuvent rester les conseils des différentes parties et les parties civiles représentées par le CPCR.
A noter que lors du procès en première instance, il avait été fait lecture des dépositions du témoin qui n’avait pas accepté de témoigner. Ces dépositions peuvent être consultées sur le lien ci-dessous :
Lecture de l’audition de Dieudonné Niyitigeka par les enquêteurs
(procès en première instance, audience du 3 mars 2014).
A la fin de l’audition, le huis clos partiel est levé. On peut procéder à l’interrogatoire de l’accusé.
Monsieur SIMBIKANGWA commence par dénoncer ” des inexactitudes graves, insupportables, inacceptables” dans les propos du témoin.
“Le capitaine était plus grand qu’un général?” IYAMUREMYE a bien dit qu’il lui avait tout supprimé! “SIMBIKANGWA était très méchant“? L’accusé de déclarer que lors de l’arrestation massive des Tutsi en 1990 personne n’avait mentionné son nom! (NDR. Comme si le témoin avait fait allusion à cet épisode! SIMBIKANGWA excelle toujours à répondre à côté de la plaque.)
L’accusé conteste toutes les déclarations du témoin concernant sa présence aux barrières. Pour lui, il s’agit d’une fabrication de faux témoignages. “Il faut punir les vrais fautifs” finira-t-il par ajouter. “Qui sont-ils?” interroge le président. Et SIMBIKANGWA d’énumérer les cinq vrais coupables: celui qui a abattu l’avion, la MINUAR, Augustin NDINDILIYIMANA et RUSATIRA, BAGOSORA qui avait le pouvoir de décider, le FPR présent dans la capitale.
Maître FOREMAN fait remarquer que l’accusé fait erreur quand il parle de SETIBA. Ce dernier a bien confirmé qu’il avait eu la visite de SIMBIKANGWA à la barrière de Gitikinyoni. Quant à NTEZABERA, entendu en 2001, il ne pouvait pas démentir Dieudonné entendu en 2012. L’avocat du CPCR veut savoir si l’accusé a bien franchi les barrières dont a parlé le témoin. Réponse de SIMBIKANGWA: “Puisque vous êtes le champion de la diversion, je réponds par la diversion!” Maître FOREMAN a beau insister, il ne peut obtenir une réponse. L’accusé lui reproche une fois encore de l’avoir “jeté en prison par téléphone!” (NDR. Incompréhensible!) Et de menacer l’avocat d’un doigt vengeur!
Maître FOREMAN demande maintenant à quelle barrière l’accusé a fini par reconnaître avoir vu un cadavre brûler dans un pneu. SIMBIKANGWA refuse de répondre. Il en devient même odieux: “Ah! c’est les morts qui vous intéressent maintenant?” Et d’évoquer les morts de sa famille! “Vous n’avez pas de compassion pour les morts de ma famille!” “Comment faisiez-vous pour franchir les barrières? demande l’avocat. “En général, on ne m’arrêtait pas. Si on m’arrêtait, je montrais ma carte d’identité!” (NDR. Comme si on pouvait le croire!)
De poursuivre: “Cher ami…” Maître FOREMAN tonne: “Vous n’êtes pas mon ami.” Et l’accusé de se reprendre, voulant faire de l’humour: “Mon ennemi!” Le président éclate: “Vous l’appelez maître, s’il vous plait.”
Maître FOREMAN, manifestement irrité: “Je tente ma chance sur un dernier sujet”: “BUGINGO était-il un GP?” L’accusé hésite, refuse de répondre puis finit par le reconnaître.
Maître MASAHELA prend la parole à son tour et fait remarquer à l’accusé qu’il ne reconnaît avoir donné une arme à Jonathan qu’à partir de 2012. SIMBIKANGWA précise que, dans cette affaire, il n’a servi que d’intermédiaire. Ce n’est pas lui qui a donné l’arme. “Ce n’est que confronté à REKERAHO qu’il a fini par le reconnaître” précise l’avocate de la FIDH.
Les trois questions de maître BOURGEOT concernant SADALA n’apporteront rien de nouveau.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
1. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste. Cf. “Glossaire“.
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2. Gacaca : Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, elles ont une vocation judiciaire et réconciliatrice. Voir le glossaire pour plus de détails.
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3. Chef de cabinet du ministre de la défense du gouvernement intérimaire, désigné comme membre de l’Akazu et du Réseau Zéro, le colonel BAGOSORA est un des piliers du pouvoir. Il a contribué à armer les Interahamwe à partir de 1991 et a joué un rôle clé dans l’organisation des milices début avril 94. Après l’attentat du 6 avril, il prend la tête d’un comité de crise et installe au pouvoir les extrémistes Hutu. Condamné par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), à la prison à vie en 2008 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sa peine a été réduite à 35 ans de prison en appel en 2011.
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4. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. “Glossaire“.
L’irruption de Fidèle FURAHA à la tête d’un de leurs groupes est aussi rapportée par Salomon HABYAKARE lors de son audition de la veille.
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5. Tharcisse RENZAHO, le Préfet qui a supervisé les massacres à Kigali, voir Focus/ les réseaux d’influence.
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Procès en appel de SIMBIKANGWA. Mercredi 23 novembre 2016. J19
24/11/2016
• Audition d’Albert GAHAMANYI, agent de gestion financière.
• Audition de Michel GAHAMANYI, frère du témoin précédent.
• Audition de Pascal GAHAMANYI, opérateur de machines.
Audition de monsieur Albert GAHAMANYI, agent de gestion financière.
Le témoin connaît l’accusé depuis que ce dernier est venu s’installer dans la maison voisine à celle de la famille GAHAMANYI. “Le 8 avril, SIMBIKANGWA a eu le courage de nous sauver” poursuit le témoin. Ils ne se sont plus revus jusqu’au procès en première instance en 1994 aux Assises de Paris. La famille GAHAMANYI occupait une maison de fonction, le père de famille étant Secrétaire Général au ministère de l’Intérieur.
Les enfants GAHAMANYI se rendaient souvent chez leur voisin pour voir la télévision. A partir du 7 avril, deux militaires ont été mis à la disposition de l’accusé. Le soir, il arrivait que SIMBIKANGWA reçoive la visite de militaires ou de fonctionnaires. Des membres de sa famille venaient aussi dont un de ses frères, Bonaventure MUTANGANA. Tout le monde savait que SIMBIKANGWA était un “maneko“, un agent de renseignement. Il lui arrivait de porter un foulard aux couleurs du MRND, avait toujours un pistolet sur lui. Le témoin signale qu’il avait aussi un pistolet mitrailleur.
Le témoin va raconter ensuite comment ils ont vécu les premières journées du génocide. Il précise en particulier que le 8 avril au matin des militaires ont tenté d’entrer dans leur maison en sautant par dessus le portail. La famille GAHAMANYI s’est dispersée. Pascal, le témoin, s’est retrouvé accueilli chez leur voisin SIMBIKANGWA qui avait demandé aux attaquants d’épargner la famille. Monsieur GAHAMANYI père ira se réfugier à la préfecture de Kigali. Il connaissait bien le préfet Tharcisse RENZAHO. D’autres personnes arriveront chez l’accusé, dont la famille HIGIRO et la femme d’un pasteur presbytérien, une Hutu qui n’était pas menacée.
Le témoin signale que SIMBIKANGWA sortait souvent, allait et venait, téléphonait à longueur de journée. Il n’était pas spécialement abattu, ni triste. Il ne restait pas dans sa chambre. (NDR. C’est pourtant ce que l’accusé avait affirmé lors du procès en première instance.) Il partait en voiture avec son chauffeur et ses gardes qui faisaient partie des militaires qui avaient attaqué les GAHAMANYI. Après une semaine, il arrivera à quitter Kigali pour Gitarama en compagnie de sa mère, dans la voiture de SIMBIKANGWA. Son frère Pascal ne sera pas du voyage car l’accusé trouve qu’il ressemble trop à un Tutsi et qu’il serait en danger. Quant à son frère Michel, il voyagera dans une autre voiture qui ne réussira pas à passer la barrière de Muhima. Ils reviendront à Kiyovu. SIMBIKANGWA et ses protégés arriveront à Gisenyi, puis direction Gitarama. Ils s’arrêteront à toutes les barrières, sans problème: “Ah! c’est vous!” diront les personnes qui gardent les barrières. Il était reconnu par tout le monde. Contrairement à ce qu’a pu dire l’accusé, à aucun moment il ne montrera sa carte d’identité.
Le témoin précise qu’il y avait des barrières partout et des cadavres tout le long de la route. Arrivés à destination, la mère du témoin ne veut pas rester. Elle demandera de repartir pour Gitarama où il lui semblait réussir à avoir plus de nouvelles de sa famille. Entre temps, le père de famille est venu à Kabgayi, près de Gitarama. Ils repartiront ensuite vers Butare. Plus tard, ils retrouveront Michel et rejoindront le Burundi. Ils passeront ensuite une année en Suisse où des amis les ont accueillis.
Les deux gardes de l’accusé, fortement armés, font peur aux enfants de la famille GAHAMANYI. Le président questionne le témoin pour savoir quel est son état d’esprit en venant témoigner pour la seconde fois en France. “J’espère que ma venue va aider à comprendre notre histoire avec laquelle nous devons vivre. Revenir témoigner, c’est aider les générations à venir. Ceux qui ont détruit notre pays vont toujours avoir cela dans la tête. On avait des familles, on n’en a plus. On vient pour vous aider: nous aimerions que tous ceux qui ont participé soient traduits en justice. Nous ne devons pas oublier ce qui s’est passé… Ce procès a un sens, évidemment! Les responsables doivent répondre de leurs actes partout dans le monde!”
Le président pose une nouvelle question au témoin: “Vous êtes mal à l’aise qu’on puisse reprocher des actes graves à SIMBIKANGWA?” “Pas du tout” répond le témoin, “merci à SIMBIKANGWA de nous avoir sauvés le 8 avril mais j’ai entendu parler de ce qu’il a fait. C’est à la Cour de décider à partir des témoignages.”
Maître PHILIPPART révèle au témoin que son père aurait été membre de Comité Central du MRND pour la préfecture de Gikongoro. Quant à la famille du pasteur presbytérien réfugiée chez l’accusé, elle ne risquait rien, ils étaient Hutu. L’avocate fait décrire au témoin le parcours qu’ils ont emprunté pour quitter Kigali. SIMBIKANGWA aura à s’expliquer à deux des barrières traversées, celle de Nyabugogo et celle de Gitikinyoni (NDR. C’est cette barrière qui était tenue par Joseph SETIBA, incarcéré à la Prison 1930 de Kigali.)
Sur question de maître Léa RABAUX (FIDH), le témoin confirme avoir entendu de nombreux tirs dans la nuit du 6 au 7 avril. C’est bien le 8 avril qu’il a quitté sa maison et il est resté 5/6 jours chez SIMBIKANGWA.
Le témoin répond ensuite à maître FOREMAN. Ils étaient 9 dans la voiture, trois dans la cabine et 6 à l’arrière. Il est vraiment impossible que SIMBIKANGWA n’ait pas vu de cadavres. Il ne pouvait pas ignorer non plus que ses gardes commettaient des crimes.
A monsieur CROSSON DU CORMIER, le témoin admet qu’il écoutait la RTLM qui émettait de la musique qu’ils aimaient. Les appels à la haine se faisaient sous forme d’humour. Mais il avoue qu’il n’a plus écouté cette radio pendant le génocide.
Comme à son habitude, par des questions courtes, monsieur HERVELIN-SERRE obtient quelques réponses claires: de chez SIMBIKANGWA on entendait bien les bruits de tirs, l’accusé téléphonait tout le temps mais il n’entendait pas le contenu des conversations, l’accusé s’intéressait beaucoup à la politique. Il n’a pas vu de barrière devant chez SIMBIKANGWA jusqu’à son départ mais aux barrières il entendait bien les propos de l’accusé. Il disait qu’il évacuait sa famille mais qu’il allait revenir: il ne pouvait pas prendre d’Inyenzi [1]. Il disait aux Interahamwe [2]. de “faire du bon travail” “Mukomere!” ajoutait-il!
On montre ensuite au témoin un plan de la maison de SIMBIKANGWA, on projette des photos de l’extérieur et de l’intérieur.
Maître BOURGEOT veut savoir où dormait HIGIRO. Le témoin ne sait pas. Quant aux voisins, certains étaient agents de l’État, il y avait aussi une infirmière. Le soir ils écoutaient la Radio nationale et RTLM le matin. L’avocate veut savoir aussi pourquoi la famille est partie en Suisse après avoir rejoint le Burundi. Des amis étaient disposés à les accueillir. Maître BOURGEOT n’a pas trop apprécié la réponse du témoin lorsque l’avocat général lui demandait ce qu’il attendait d’un tel procès. “Vous” insiste l’avocate. “ Par mon témoignage, je participe à l’histoire de mon pays. Je dois être là pour aider mon pays.”
A monsieur le Président qui lui fait remarquer que le témoin a déjà répondu, maître BOURGEOT s’emporte: “Je ne suis pas libre de poser des questions?” Maître EPSTEIN vole à son secours: “C’est moi qui vais la reposer!” Et de jouer sur la corde sensible: “On a le même âge, je me suis presque identifié à vous! Pourquoi n’êtes-vous pas allé témoigner spontanément en faveur de SIMBIKANGWA?” Et de citer les propos de son père Célestin, puis ceux de sa mère qui ne vont pas dans le même sens que ceux du témoin. Puis d’évoquer la réconciliation. Pour l’avocat, “on est dans la phase d’unité!” Le témoin de répliquer: “Cette étape de la réconciliation est dépassée. Aujourd’hui, on veut la vérité.”
Maître EPSTEIN enfonce le clou: “On peut se réconcilier quand des gens mentent pour faire condamner SIMBIKANGWA?” Le témoin de répondre: “On juge SIMBIKANGWA. Je viens personnellement, je ne suis envoyé par personne.”
Et l’avocate de poser une dernière question: “Vous avez envie de lui dire quelque chose?” “Non” répond laconiquement le témoin. Ce n’est probablement pas la réponse qu’attendait l’avocat de l’accusé.
Audition de Michel GAHAMANYI, frère du témoin précédent.
Comme son frère, le témoin précise qu’il ne connaît SIMBIKANGWA que depuis que ce dernier est venu s’installer dans le quartier. Le 8 avril 1994 au matin, menacés par des militaires qui s’étaient introduits chez eux, ils se sont enfuis chez des voisins. Le père du témoin appelle l’accusé pour savoir s’il peut faire quelque chose. Le témoin vivra chez SIMBIKANGWA environ deux semaines. Comme l’a évoqué son frère, il n’a pu traverser les barrières alors qu’il cherchait à quitter la capitale. Lors d’une seconde tentative, ils réussiront à se rendre chez sa tante à Kabaya, dans la région de Gisenyi.
Le témoin de redonner un récit tout à fait semblable à celui de son frère concernant leur fuite de la maison familiale. Le père de famille, le matin du 7 avril, écoute Radio Muhabura, la radio du FPR: on y annonce des tueries. Les militaires ayant échoué lors d’une première attaque de leur maison reviendront en fin de matinée. Réfugié chez un de leur voisin qui habitent juste un peu plus haut qu’eux, il se rendra ensuite chez SIMBIKANGWA qui a accepté de les recevoir. Il faut préciser que l’accusé avait demandé aux militaires qui attaquaient ses voisins de ne pas leur faire de mal.
Deux gardes en armes sont commis à la protection de l’accusé. Les jeunes GAHAMANYI les redoutent. Pendant les quelques jours où le témoin restera chez SIMBIKANGWA, ce dernier sortait souvent: “Je croyais qu’il allait au travail” avouera le jeune homme. Il partait en pickup avec ses gardes, des GP de la présidence. Concernant les barrières, il confirme bien qu’il y en avait une chez les Chinois. Par contre, tant qu’il a été là, il n’a pas vu de barrière devant la maison de l’accusé. Il ne nie pas toutefois qu’il y ait pu en avoir une après son départ. Comme l’avait dit son frère, SIMBIKANGWA est habillé en civil avant le 6 avril. Après, il portait une tenue de combat quand il sortait, et un pistolet. Lors de leur fuite, ils ont dû montrer leur carte d’identité jusqu’à Nyabugogo (NDR. Emplacement de la nouvelle gare routière de Kigali, en direction de la sortie vers Butare.) Leur première tentative de départ sera vouée à l’échec. Si SIMBIKANGWA passait, rien d’étonnant à cela: il était connu et était accompagné de GP.
Le jeune Michel a bien vu des violences sur la barrière des Chinois que l’on pouvait apercevoir depuis la maison de l’accusé, dans le jardin: on pouvait apercevoir cette barrière à travers la clôture en treillis. (NDR. Les clôtures étaient constituées de sortes de nattes généralement fabriquées en tiges de sorgho et à travers lesquelles on pouvait voir ce qui se passait dehors. C’est ce qui existe encore.) C’est de là que le témoin verra deux personnes se faire abattre sur la barrière. Il y avait bien des corps aux barrières. A propos du refus de SIMBIKANGWA de prendre son frère Pascal, le témoin évoque le fait qu’il n’avait pas de carte d’identité et qu’il avait le faciès d’un Tutsi.
Le témoin évoque ensuite un épisode qui l’a marqué. Six fusils d’assaut neufs ont été amenés à la maison. Les gardes les ont nettoyés, l’accusé en aurait remis deux à des voisins (monsieur NYAGARE et un autre qui travaillait à la BNR, la banque nationale du Rwanda) et aurait échangé l’arme que possédait son domestique. Ces armes repartiront aussitôt avec l’accusé, mais le témoin ne peut dire où. Il en aurait compté dix. Quand SIMBIKANGWA estime que la situation se dégrade, il encourage Michel à repartir. Avec le même voisin que la première fois, ils se rendront à Ngororero, puis à Kabaya, chez leur tante maternelle. Son cousin Jean d’Amour l’accompagne mais Pascal ne peut toujours pas faire partie du voyage. Par contre, ce dernier se rendra à deux reprises dans le Nord avec son “sauveur“, mais il a peur de la famille de SIMBIKANGWA, peur aussi de ses gardes.
Le témoin confirme bien avoir donné son accord, lorsque les enquêteurs lui demandent s’il accepterait de témoigner devant la justice française. Le président insiste: “Ce que vous dites peut contribuer à faire la vérité?” “Pour moi et pour les autres victimes” répond le témoin. Maître EPSTEIN n’apprécie pas du tout la façon dont le président pose ses questions. Il fulmine: “Votre façon de poser des questions? Vous prenez en otage la justice!” L’incident est clos mais l’ambiance se tend.
Parlant des déplacements de l’accusé, maître PHILIPPART (CPCR) évoque les allers et retours de l’accusé de Kigali à Kibilira. Il a bien remis deux lettres au témoin? Oui, une de son frère et une de son père. Le jeune Michel confirme bien que SIMBIKANGWA a dû faire de nombreux déplacements. Ce qui provoque les sourires de l’accusé. “Il sortait comme s’il allait au travail” précise le témoin.
Monsieur CROSSON DU CORMIER évoque l’existence des frères de l’accusé, en particulier Bonaventure MUTANGANA qui, avant le génocide, avec d’autres militaires, évoquait le fait qu’ils étaient “passés devant chez Le Tutsi” en parlant de KAJEGUHAKWA, un homme très connu. Le témoin redoutait précisément ces frères de l’accusé dont il dit qu’ils “ont voulu (le) tuer plusieurs fois.” C’est même la sœur de SIMBIKANGWA qui l’aurait averti! L’avocat général cherche à savoir si, au Rwanda, on peut reconnaître un Hutu d’un Tutsi. Le témoin de dire: ” On peut effectivement les différencier, mais on peut aussi se tromper. Nous sommes tous des Rwandais!”
Au tour de monsieur HERVELIN-SERRE de poser quelques questions. Le témoin confirme que, du jardin de SIMBIKANGWA, on peut apercevoir la barrières de chez les Chinois, à travers le treillis. Des travaux avaient été engagés dans la maison de l’accusé, travaux qui concernaient le garage et une chambre à droite du salon mais qui n’étaient pas terminés. De la maison, on entendait bien des tirs. Quant aux cadavres, le témoin a bien vu passer des camions recouverts de draps sur la Rue du Roi BAUDOIN qui passe devant la maison. Son frère Pascal lui avait bien dit de se méfier des gardes du corps de SIMBIKANGWA qui l’avaient menacé avec un fusil. Ces gardes s’étaient même vantés d’avoir tué des gens, en expliquant les difficultés qu’ils avaient eues: leur tenue était souillée du sang de leurs victimes.
Maître BOURGEOT interroge le témoin, mais se contente de poser des questions qu’on a déjà entendues. Au président qui le lui fait remarquer, elle répond vertement: “Laissez-moi poser mes questions!” Et de reprendre en évoquant le fait que son frère Pascal restait le plus souvent à l’intérieur de la maison alors que le témoin sortait dans le jardin d’où il apercevait bien la barrière des Chinois. “C’est de là que vous voyez deux personnes se faire tabasser“? (NDR. Le mot “tabasser”est un euphémisme car les deux personnes se feront “tuer”!) L’avocate demande au témoin si l’employé de la BNR à qui SIMBIKANGWA a donné une arme s’appelle bien monsieur VATIRI: le témoin confirme. Elle s’étonne qu’on puisse nettoyer une arme neuve, souligne la gentillesse de l’accusé qui “n’était pas obligé de lui apporter du courrier“, cherche à savoir pourquoi son frère Pascal est parti en Suède, laissant entendre qu’il en avait voulu à leurs parents pour leur conduite pendant le génocide. Michel ne confirme pas la dernière insertion de l’avocate.
Maître EPSTEIN s’excuse mais il doit poser des questions, même si “c’est pénible.” Il fait savoir au témoin que, même si l’experte psychologue a dit que SIMBIKANGWA n’avait pas d’affects, il était ému lors de la déposition du témoin. Ce dernier redit qu’il avait tout le temps peur et qu’il a bien parlé à l’accusé des victimes de la barrière. S’il n’a pas choisi de témoigner spontanément, c’est tout simplement qu’il “voulait oublier“. Ce qu’il pense de SIMBIKANGWA? “Il était proche de HABYARIMANA, membre des Escadrons de la mort. Mais on ne voyait pas qu’il était méchant!” Il a accepté de venir témoigner mais reconnaît qu’il aurait préféré le faire anonymement: toutefois, il aurait fait le même témoignage. Au témoin qui souhaite que justice soit rendue, maître EPSTEIN insinue: “Rendre justice à toutes les victimes du génocide?” “Oui, pour leur rendre hommage. Ce serait bien si on pouvait garder la mémoire de chaque victime” précise le témoin.
Et l’avocat d’ajouter: “Si SIMBIKANGWA devait être injustement condamné, ce serait positif pour toutes les autres victimes?” Logiquement, le témoin: “Si c’est injustement, non!” (NDR. Une question qui vise sans aucun doute à instiller le doute dans l’esprit des jurés avec le mot “injustement”)
Maître BOURGEOT voudrait parler de Bonaventure MUTANGANA, mais le témoin refuse de parler d’une affaire qui est à l’instruction. Elle explique alors les conditions dans lesquelles la défense a insisté pour qu’il se présente à la barre le dernier jour du procès, croyant probablement faire le buzz. (NDR. Si MUTANGANA fait l’objet de poursuites, ne serait-ce pas la défense qui en est responsable par leur insistance à le faire témoigner? Peu de monde connaissait son existence.) L’avocate insiste en faisant remarquer que SIMBIKANGWA l’a sauvé. Ce que le témoin ne conteste pas. “Vous vous sentez obligé de l’accabler?” Et de poursuivre, un peu limite, comme pour donner mauvaise conscience au témoin: ” Si une personne avait sauvé mes sœurs et mes parents, je l’aurais remerciée! Seule votre mère l’a fait!” Froidement, le témoin réagit: “SIMBIKANGWA n’était pas mon ami. Il m’a sauvé. Mais des gens ont sauvé et ils ont tué ou fait tuer!”
Maître BOURGEOT fait allusion au témoignage de maître MABILLE que la défense a fait citer! Elle ne manque pas, comme pour réduire la portée des propos du témoin, qu’il travaille pour le gouvernement rwandais! Elle a probablement une idée derrière la tête.
Lecture de l’audition de monsieur Célestin GAHAMANYI, père des trois frères, récemment décédé.
Lecture de l’audition de madame Thérèse MUKAMUSANA, mère des témoins.
Audition de monsieur Pascal GAHAMANYI, opérateur de machines.
Déposition spontanée du témoin. “J’ai connu Pascal SIMBIKANGWA comme voisin quand il est venu habité à côté de chez mes parents. Il était un voisin… pas particulier… mais il n’y avait pas d’autre relation avec ma famille sauf qu’ils avaient une petite fille. À l’époque, la femme de SIMBIKANGWA organisait des visites pour occuper sa petite fille et on se rendait chez eux, on regardait la télévision, un film. Ça a été comme ça.. sans autre engagement particulier jusqu’à ce que sa femme soit partie. On y allait moins. À partir du 6 avril, c’était la période de guerre. D’abord on restait à la maison, conformément aux consignes de la radio nationale. Une journée après, des militaires sont venus chercher mon père pour tuer toute la famille. On s’est éparpillés, je suis resté à l’intérieur de la maison. Comme je ne voyais pas ma mère, je l’appelais: elle ne répondait pas. Les militaires m’ont mis à terre, ils voulaient me tuer. Ils ont demandé où était mon père et j’ai dit que je ne savais pas. Ils ont commencé à piller, deux d’entre eux me tenaient à terre avec un fusil sur la tempe, prêts a tirer. En passant près de la fenêtre, un fusil l’a heurtée: elle s’est brisée. Ma mère est venue en courant et hurlait: “Ne tuez pas mon fils!” Eux disaient: “Où as- tu caché ton Tutsi ?” en parlant de mon père. Ils l’ont mise à terre aussi. Un des militaires appelle ses collègues disant que SIMBIKANGWA a demandé de ne pas tuer cette famille. Ils sont partis, mes parents ont cherché a quitter Kigali car c’était l’insécurité totale.
Ils ont demandé aux voisins, certains ont dit qu’ils pouvait prendre ma famille mais personne ne me prenait avec. SIMBIKANGWA a fait savoir que je pouvais me réfugier chez lui. Il m’a gardé jusqu’à fin juin-début juillet quand on a quitté Kigali pour se rendre au Zaïre.
Pendant la période où je suis resté chez monsieur SIMBIKANGWA, c’était difficile parce que j’avais un contact permanent avec les deux militaires, les gardes du corps. Ils faisaient partie des 8 militaires qui étaient venus chez nous pour nous tuer. J’ai eu des menaces chaque jour. Ils m’ont tué chaque jour. C’est difficile de se rappeler ces moments-là.
Après on a quitté Kigali. Arrivés à Goma, je suis resté avec lui pendant une semaine avant de retourner à Kigali voir mon père.”
Le président questionne le témoin sur la personnalité de SIMBIKANGWA, sur les relations qu’il entretenait avec ses parents. Il le considérait bien comme un “maneko“, “le chef des espions“, précise Pascal GAHAMANYI. Quelques questions aussi sur les fonctions de son père, haut fonctionnaire au ministère de l’Intérieur. Le témoin est amené à redire ce qui s’est passé le 8 avril lors de l’attaque des militaires. Ces événements semblent avoir fortement marqué le témoin: “Ils ont dit que javais tué HABYARIMANA et que je devais mourir!” Et d’ajouter que tous les Tutsi étaient condamnés à mort car ils avaient tué HABYARIMANA. Le jeune Pascal semble aussi marqué par le fait que les deux gardes de SIMBIKANGWA faisaient partie du groupe de militaires qui avaient attaqué la maison familiale. Il va devoir subir leur présence pendant toute la durée du génocide! Et les menaces continueront: “On t’a raté mais on va t’avoir!“
Le témoin regrette d’avoir été écarté du voyage à Gisenyi car avec SIMBIKANGWA il ne risquait rien. Il réfute l’argument avancé: il ressemblait trop à un Tutsi. Sont évoquées les occupations de l’accusé. Le témoin rapporte les propos de SIMBIKANGWA: il fallait tuer les Tutsi qui avaient tué HABYARIMANA. D’ajouter qu’il portait toujours un pistolet et qu’une livraison d’armes a bien eu lieu, une cinquantaine qui ont été entreposées dans la maison pour repartir le lendemain.
Une barrière a bien été placée tout près de la maison de l’accusé: un arbre qui a été abattu, qui ne barrait pas complètement la route. Le témoin révèle que le chauffeur de l’accusé a été tué par ses gardes. Averti, SIMBIKANGWA aurait dit qu’il fallait se débarrasser du corps. Après cette exécution, le jeune Pascal pense que son tour viendra un jour. En attendant de trouver un autre chauffeur, c’est lui qui conduit la voiture de l’accusé. Aux barrages, ils ne s’arrêtaient pas car l’accusé était connu.
SIMBIKANGWA lui fournira bien une carte d’identité hutu. De retour à Gisenyi, il estime ne pas pouvoir rester chez sa tante de peur de leur causer des ennuis. Il voudrait rejoindre sa mère à Gitarama pour partir ensuite à Butare. C’est d’ailleurs cela qu’il reprochera surtout à son “sauveur”, de n’avoir jamais proposé de le conduire dans le sud du pays. Pascal a vécu avec la pensée que chaque jour serait le dernier! Malgré l’intervention de SIMBIKANGWA, les menaces continueront. Il n’est pas possible, selon lui, que l’accusé ait pu ignorer les crimes commis par ses gardes. Pareil pour les cadavres aux barrières ou le long des routes. Même dans sa position dans la voiture, il ne pouvait pas ne pas voir.
Des menaces de mort? Il en aurait eu aussi de la part du frère de SIMBIKANGWA, Bonaventure MUTANGANA! De nombreuses questions lui sont posées ensuite sur son retour à Kigali et sa vie avec son père après le génocide.
Maître FOREMAN demande au témoin si l’accusé recevait des visites de personnalités chez lui. Il évoque le nom d’Hassan NGEZE [3], en particulier. Il dit aussi que SIMBIKANGWA était violent, même avec sa femme. L’avocat de la défense s’étonnera d’ailleurs qu’il ait pu tenir de tels propos! (NDR. Ceux qui ont connu SIMBIKANGWA d’assez près évoquent souvent ces épisodes de violence avec son épouse qui finira par le quitter! Ces témoins ne sont pas dans le dossier!)
Maître MAHASELA, pour la LICRA, rappelle au témoin ses propos concernant les camions de cadavres qui passaient devant la maison. Il confirme. L’avocate de bien faire préciser au témoin que c’est pour protéger sa famille qu’il ne veut pas rester dans le Nord. L’avocate de la FIDH, maître Léa RABAUX, veut s’assurer que SIMBIKANGWA écoutait bien la RTLM.
La Peugeot dont il a été question dans un témoignage avait été volée à un concessionnaire de la ville.
A l’avocat général, le témoin reparle de la profession de son père. Pascal croyait que son père était au PL mais on lui révèle qu’il était au MRND. Il faut dire que c’est un sujet dont on ne parlait pas en famille. L’avocat général émet une hypothèse: c’est peut-être parce que son père connaissait bien RENZAHO [4] et qu’il avait une place élevée que leur famille a pu être épargnée! “Si mon père avait été influent, il nous aurait pris avec lui.“
Maître EPSTEIN revient à la charge. Il veut revenir sur les deux interrogatoires du témoin. Le témoin a bien vu NGEZE [3] venir chez SIMBIKANGWA: il décrit la voiture avec précision, une machette sur le tableau de bord. L’avocat lit ses déclarations au TPIR: le témoin les confirme dans l’ensemble. Maitre EPSTEIN s’emporte en face du témoin. D’où tient-il cette histoire du chauffeur qui part avec la femme de l’accusé? Les crimes des gardes, c’est Isaïe qui vous en parle? Oui. L’avocat dit au témoin qu’il fait partie de ceux qui changent de version selon les circonstances, cela à propos de l’affaire des armes.
L’avocat fait allusion au dossier MUTANGANA mais monsieur CROSSON DU CORMIER lui fait remarquer qu’on ne peut évoquer cette affaire qui est à l’instruction. “Votre client c’est SIMBIKANGWA. Je souhaite qu’on ne parle pas d’une enquête en cours.”
C’est maître BOURGEOT qui va prendre le relai. Elle reproche au témoin de parler de choses dont il n’avait jamais parlé avant. Elle laisse entendre que le témoin n’avait pas très envie de venir témoigner, ce que ne confirme pas Pascal GAHAMANYI. Elle donne son sentiment au témoin: pourquoi l’accable-t-il? “Vous reconnaissez du bout des lèvres qu’il vous a sauvé la vie! Pourtant votre père l’a reconnu!” Le témoin n’apprécie pas que l’avocate insinue que leur père les a abandonnés. Maître BOURGEOT voudrait absolument savoir ce que SIMBIKANGWA aurait dû faire! Le témoin finit pas dire qu’il aurait dû le conduire à Butare.
De nouveau une série de questions sur la maison de SIMBIKANGWA: disposition des pièces, chambre de l’accusé, la barrière que l’on peut voir du jardin.. Quant à connaître les raisons pour lesquelles le témoin est parti en Suède, il se contente de parler de son envie de faire des études. Le reste, il ne veut pas en parler. De revenir aussi sur ses déclarations au TPIR dont le témoin n’a pas envie de parler: les PV sont mal rédigés. S’il est des sujets qu’il n’a pas abordés, c’est tout simplement qu’on ne lui a pas posé les questions.
“Si vous aviez été entendu comme témoin anonyme” (ce qui se fait en Suède selon le témoin) vous auriez témoigné autrement?” Non, cela n’aurait pas changé ses déclarations.
Parole sera donnée à SIMBIKANGWA. Dans son style qui lui est propre, il commence par la citation d’un philosophe français: “Souvent la témérité et le courage sont du côté du coupable… l’embarras et la timidité du côté de l’innocent.” Il ne comprend pas la position des témoins qu’il a tant aimés. Il se dit blessé par leurs propos. Au bout d’un long moment, le président se voit dans l’obligation de lui dire qu’il va devoir suspendre l’audience.L’accusé termine en dénonçant “la supercherie, le mensonge, le mensonge conditionné par la peur.” Il termine en proclamant son innocence.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
1. Inyenzi : Cafard en kinyarwanda, nom par lequel les Tutsi étaient désignés par la propagande raciste. Cf. “Glossaire“.
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2. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. “Glossaire“.
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3. Éditorialiste du journal Kangura. Voir l’audition de Jean-François DUPAQUIER et dans “Rwanda, les médias du génocide“ de Jean-Pierre CHRÉTIEN, Jean-François DUPAQUIER, Marcel KABANDA et Joseph NGARAMBE – Karthala, Paris (1995).
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4. Tharcisse RENZAHO, le Préfet qui a supervisé les massacres à Kigali, voir Focus/ les réseaux d’influence.
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Procès en appel de SIMBIKANGWA. Jeudi 24 novembre 2016. J20
26/11/2016
• Audition de Marie-Claire NYIRANDAYAMBAJE, commerçante.
• Audition de Béatrice NYIRASAFARI, sœur du témoin précédent.
• Audition de Martin HIGIRO, commerçant.
Avant l’audition des derniers témoins, le président DE JORNA annonce qu’il y a un changement dans le planning. Comme il est hors de question de commencer à délibérer en milieu de journée, il propose de reporter le délibéré et le verdict au lundi 5 décembre. Cette solution ne convenant à personne, il nous sera annoncé que le choix de la Cour s’est porté sur le samedi 3 décembre.
Accusation de maître BOURGEOT. L’avocate de la défense accuse le CPCR d’avoir “violé l’oralité des débats” dans son blog. Remarque lui est faite qu’il ne s’agit pas du blog de monsieur GAUTHIER mais du site internet du CPCR. Cette dénonciation vaut une explication car c’est une attaque totalement infondée. Maître BOURGEOT fait allusion à la déposition de monsieur Dieudonné NIYITIGEKA, entendu le mardi 22 novembre 2016 en visioconférence. Ce dernier avait demandé le huis clos partiel, ce qui lui a été accordé. Aucun compte-rendu de cette audition n’a été divulgué. A la fin du témoignage, le huis clos a été levé par le président. L’échange qui a suivi s’étant déroulé en audience publique, j’en ai rédigé un compte-rendu. De plus, lors du procès en première instance, lecture avait été faite, en audience publique, des interrogatoires du témoin par les juges d’instruction. Le compte-rendu de cette audience est sur le site internet du CPCR depuis plus de deux ans: un lien vers ce texte a donc été donné et est consultable. L’attaque de Maître BOURGEOT est donc juridiquement inacceptable. Je ne commenterai pas davantage pour rester courtois. AG.
Audition de madame Marie-Claire NYIRANDAYAMBAJE, commerçante.
Le témoin est l’épouse d’un ami de monsieur SIMBIKANGWA, Joseph, lui aussi handicapé à la suite d’un accident. Elle dit n’avoir vu l’accusé qu’une seule fois pendant “la guerre” (?) lorsque ce dernier est venu leur apporter à manger. A préciser que le témoin était aussi la collègue de l’ex-épouse de Pascal SIMBIKANGWA. Les deux amis en chaise roulante se voyaient régulièrement. Lors de cette rencontre, l’accusé fera savoir à son ami qu’il ne peut pas l’aider à fuir vu son état. Le témoin nous apprend que l’ex-épouse du Capitaine vivait avec un certain Thomas: c’est lui qui l’aidera à fuir vers Gisenyi. Le témoin raconte son voyage qui a duré longtemps parce qu’ils ont dû changer plusieurs fois d’itinéraire pour éviter des barrières. Par prudence, ils s’étaient fait accompagner d’un militaire. Quand elle montrait sa carte d’identité hutu, on s’étonnait en voyant son visage. Le Thomas en question portait une veste militaire. Elle ne pourra pas en dire plus sur son identité. Elle reverra SIMBIKANGWA en juin 1994, chez son beau-frère Bosco chez qui elle avait trouvé refuge. Le témoin redit qu’elle doit son salut à la femme de l’accusé.
Question est posée au témoin concernant un certain Papias KIBILITI. Elle reconnaît que c’est son père. Or, l’accusé prétend avoir sauvé cette famille. Madame NYIRANDAYAMBAJE dément: ses parents se sont réfugiés aux Mille Collines, et SIMBIKANGWA n’y est pour rien. Elle avoue que le refus du Capitaine de les aider l’a profondément déçue; elle était même en colère, tout comme son mari. Questionnée à propos de Béatrice NYIRASAFARI, elle révèlera que c’est sa propre sœur, Hutu comme elle, et qu’elle sera aidée par l’accusé pour rejoindre à son tour Gisenyi.
Maître PHILIPPART, subtilement, rapporte les propos de la défense qui reproche aux enquêteurs de n’avoir rien fait pour retrouver un témoin important, Mama SUBILA. Et le témoin de déclarer: “Mama SUBILA? C’est moi!” (NDR. CQFD) L’avocate du CPCR revient sur des propos de l’accusé qui aurait dit que ses parents étaient restés chez lui pendant tout le génocide. Le témoin ne donne pas la même version.
Monsieur CROSSON DU CORMIER cherche à savoir pourquoi son mari a lui aussi été soigné en Belgique, comme l’accusé. Elle déclare que c’est une décision de la Caisse Sociale et du ministère de l’Économie où il exerçait la fonction de comptable.
Monsieur HERVELIN-SERRE voudrait connaître quelles étaient les relations de SIMBIKANGWA avec “une autre personne handicapée, Joseph”, appelé aussi “Papa SUBILA” (NDR. Habitude fréquente au Rwanda, quand on est proche, d’appeler quelqu’un par le nom de leur enfant, souvent l’aîné(e) précédé de “papa” ou “maman.”) Mama SUBILA et Papa SUBILA sont donc mari et femme. Le témoin précise que les handicapés en chaise roulante étaient assez rares au Rwanda et que Joseph et l’accusé étaient devenus amis.
L’avocat général fait remarquer au témoin qu’elle a un mari hutu, un père hutu, une carte d’identité hutu, “et pourtant vous avez peur: c’est à cause de votre physique“? Le témoin confirme, sa mère étant Tutsi, elle avait “un faciès de Tutsi.”
Monsieur HERVELIN-SERRE rapporte les propos de l’accusé: “Chaque fois qu’une personne m’a demandé de l’aide, je l’ai aidée!” Réponse de madame NYIRANDAYAMBAJE: “Pour moi, il ne l’a pas fait!”
Maître BOURGEOT révèle que son mari a fait savoir, lors d’un interrogatoire, que SIMBIKANGWA était venu les revoir à son retour de Gisenyi où il avait conduit Béatrice, et qu’il n’avait en fait pas vraiment refusé de les transporter eux-mêmes!
Le président DE JORNA procède à la lecture de la déposition de monsieur Joseph BAZIRA, époux du témoin. Il révèle qu’il voyait SIMBIKANGWA deux fois par mois et que ce dernier recevait la visite de nombreux militaires gradés, dont Aloys NTABAKUZE. “Beaucoup de gens venaient le solliciter pour une aide. SIMBIKANGWA avait trouvé injuste d’avoir été renvoyé de l’armée, il n’avait aucun lien de parenté avec le Président mais il était fanatique, il l’adorait!” Il précise aussi que le Capitaine était un “membre de l’Akazu [1], grand fanatique du MRND, ami de Félicien LIBANJE et d’un des gendre de HABYARIMANA.” De passage à Gisenyi, l’accusé lui aurait assuré que “la guerre allait être gagnée“. Au Congo, il a fui avec deux voitures du gouvernement! Il termine sa déposition en affirmant que “SIMBIKANGWA passait souvent aux barrières, il devait encourager les gens!”
La parole est donnée à Pascal SIMBIKANGWA. Il veut revenir sur les témoignages de la veille. Pour lui, MRND, “le parti du président, ne veut pas dire génocide.” C’était le seul parti capable d’unir les Rwandais. Quant aux témoignages des fils GAHAMANYI, ils ne peuvent que mettre la confusion dans l’esprit des jurés. Il conteste fortement les propos de Pascal GAHAMANYI et les condamne: ” C’est diabolique. Comment l’enfant que j’ai aidé, que j’ai pris comme le mien, qui voit où je suis, qui veut entraîner son petit frère… après la mort de mon épouse… après la mort de mon cousin prêtre… Mon petit frère a voulu le tuer au Zaïre? Est-ce qu’il ne pouvait pas passer sur la chose?” (sic).
Il signale qu’il y a “beaucoup de corruption, beaucoup de mensonges.” Il a donné la liste des personnes qu’il a aidées, revient sur le témoignage d’Isaïe qu’il a sauvé trois fois. Il rappelle ses hauts faits en faveur des Tutsi. Et d’ajouter, s’adressant au président: “Vous, vous avez la faculté de comprendre, mais ce n’est pas le cas des jurés! En avril, je ne pouvais pas imaginer que nous perdrions! Même le 4 juillet, je ne pouvais pas parier un kopeck que nous perdrions!”
Audition de madame Béatrice NYIRASAFARI, sœur du témoin précédent.
Le témoin connaissait la femme de l’accusé qui travaillait avec sa grande soeur. C’est SIMBIKANGWA qui l’a aidée à quitter Kigali, en passant d’abord par son domicile de Kiyovu. Elle précise que les gardes du corps étaient agressifs avec elle (NDR. Ce que tous les témoins qui ont eu à faire à eux ont signalé.”) Le Capitaine l’a conduite à Gisenyi, d’abord dans sa famille puis dans celle chez qui sa soeur était réfugiée.
Le témoin doit répondre ensuite aux questions du président. Dans le quartier de Nyamirambo régnait l’insécurité: d’où son désir de fuir. SIMBIKANGWA a bien hésité à l’évacuer car une bombe était tombée près de la BNR (Banque Nationale du Rwanda). Il est venue la chercher en pickup blanc. Chez son hôte, elle y rencontre bien Pascal GAHAMANYI, dont elle sait qu’il est Tutsi. Mais elle n’est pas étonnée de le voir là: “ Les GAHAMANYI étaient des voisins. Vos voisins pouvaient vous tuer! A ce moment-là, tout était possible.” SIMBIKANGWA avait bien de l’autorité sur ses gardes qui la menaçaient, mais il ne pouvait pas tout contrôler. Elle signale qu’à ce moment-là, le chauffeur a disparu. On lui a dit qu’il s’était “échappé“. Ces gardes faisaient peur à tout le monde: Martin HIGIRO restait dans sa chambre. Elle précise qu’elle est restée environ deux semaines chez l’accusé. SIMBIKANGWA a bien envoyé quelqu’un pour remettre une carte d’identité hutu à sa mère. Mais cette dernière ne l’a jamais reçue. “SIMBIKANGWA pouvait tout faire. A Kigali, tout le monde le connaissait. C’était un proche du Président, tout le monde connaissait son nom.” Si elle n’a pas vu de morts aux barrières, il y en avait au bord des routes. Des camions transportaient des corps.
Un assesseur s’étonne que Hutu, avec une carte d’identité hutu, que pouvait-elle bien craindre? “Ils regardaient les mains, les pieds, le visage…” Concernant le chauffeur, SIMBIKANGWA et les gardiens ont dit qu’ils s’étaient enfui. “Il avait une apparence de Tutsi!” Elle n’a pas vu de stock d’armes dans la maison mais signale la visite d’Interahamwe chez l’accusé. Et d’ajouter que “SIMBIKANGWA était puissant!”
A la question de maître PHILIPPART, le témoin confirme que ses parents, les KIBILITI, n’ont jamais reçu la moindre aide de SIMBIKANGWA, contrairement à ce que l’accusé a prétendu. Elle confirme qu’elle a bien vu un corps brûler à une barrière de Nyamirambo (NDR. Le seul corps que l’accusé a fini par reconnaître avoir vu dans tout le Rwanda.)
Questionnée par l’avocat monsieur HERVELIN-SERRE, le témoin confirme que le Capitaine portait une veste camouflage. Bien qu’elle fût Hutu, on la considérait comme une Tutsi.
Maître Safya AKORRI veut se faire préciser comment on pouvait reconnaître la tenue des Interahamwe [2]. “Ils portaient des pagnes colorés, mais certains avaient des habits militaires.”
Maître BOURGEOT pose quelques questions courtes. SIMBIKANGWA portait bien une veste camouflage. Elle ne peut pas préciser la date de son arrivée chez l’accusé qui l’a aidée, même si, selon l’avocate, “il était connu comme quelqu’un qui n’aimait pas les Tutsi.” Par contre, contrairement à ce que dit l’accusé, ses parents n’ont jamais confirmé que SIMBIKANGWA était venu les chercher dans une école.
Maître EPSTEIN déclare ne pas avoir de question à poser: “Je les réserve pour le témoin suivant!”
Audition de monsieur Martin HIGIRO, commerçant.
Le témoin déclare ne connaître l’accusé que depuis avril 1994. Avant, il avait entendu parler de lui dans les journaux. Il raconte ensuite les circonstances de son exfiltration par Bonaventure MUTANGANA, frère de SIMBIKANGWA, qui le déposera chez ce dernier alors qu’il aurait souhaité se rendre soit à l’ambassade de Suisse, soit à l’Hôtel des Mille Collines. Il reconnaît son hôte grâce aux photos qu’il avait vues avant. Le lendemain, l’accusé partira au travail, la guerre avait commencé. Le témoin évoque alors la mort du chauffeur Laurent, devant le salon. Comme le gardien lui avait fait part que les militaires allaient les tuer le soir même, le témoin dire devoir son salut à l’arrivée inopinée de monsieur SADALA qui acceptera de le conduire, sa femme et ses deux enfants, vers l’Hôtel des Mille Collines.
Monsieur HIGIRO exprime le souhait de pouvoir prendre connaissance de ses déclarations antérieures “pour ne pas dire des choses divergentes.” Le président lui dit que ce n’est pas la loi. S’il s’est senti en danger le 6 avril au soir, ce n’est pas seulement parce qu’il était Tutsi, c’est surtout que depuis 1990, arrêté et blessé par une grenade, on le considérait comme “un complice“. A cette époque, accusé d’avoir hébergé des soldats du FPR, c’est RWAGAFILITA [3] qui avait envoyé des militaires pour l’arrêter. Il confirme que c’est bien à MUTANGANA, son locataire, à qui il s’adresse pour l’aider à fuir. Il était originaire de Gisenyi, “se comportait comme un chrétien“, il avait donc confiance en lui. Par contre, il sera surpris de le voir arriver en compagnie de deux militaires, alors qu’il s’était déjà réfugié chez un des ses voisins, un certain Mustapha. MUTANGANA ne le conduira pas à l’ambassade de Suisse car il a peur de passer les barrières. Le témoin évoque les conditions de son séjour chez SIMBIKANGWA (plus ou moins trois semaines) dont il a peur. Son hôte partait et revenait.
Sera évoquée alors la mort du chauffeur Laurent. Le témoin parle d’une “mort atroce“: “Je l’entendais crier de la chambre où j’étais.” C’est Pascal GAHAMANYI qui viendra lui dire que les deux militaires venaient de tuer le chauffeur. Notre tour viendrait après.
Monsieur HIGIRO va parler ensuite des visiteurs à qui des armes seront distribuées: ils portaient des habits de la CDR et du MRND. Il évoque aussi la présence d’un stock d’armes dans la maison. Il a vu des fusils être déchargés dans la maison de son hôte. Il rapporte ensuite une anecdote que la défense ridiculisera plus tard. SIMBIKANGWA, ayant appris qu’il était Tutsi, aurait posé sa tête sur la table et, en pleurs, aurait dit: “Si HABYARIMANA revenait et s’il trouvait des Tutsi chez moi...”
Sur la visite de SADALA? “C’est comme s’il venait demander de l’aide à son voisin puisqu’on commençait à dire que sa fille était la petite amie de DALLAIRE… En me voyant, il a sursauté. Il m’a conduit tout de suite aux Mille Collines, dans sa voiture.” De là, lui et sa famille seront évacués à Kabuga, à une dizaine de kilomètres de Kigali, dans la zone du FPR. Martin HIGIRO en veut à SIMBIKANGWA de n’avoir jamais pris de ses nouvelles. Quant à MUTANGANA, ayant appris qu’il était en France, il a cherché à le contacter mais il a refusé de lui donner son adresse. Pour cela, il lui en veut mais il ne peut pas oublier le bien qu’il a fait à sa famille. On lui apprend alors que Bonaventure MUTANGANA est derrière lui, dans la salle. A la question de savoir si cela le gène; le témoin répond qu’il est dans un état de droit!
On va ensuite présenter un plan de la maison de SIMBIKANGWA au témoin, ainsi qu’une série de photos. Mais ce dernier perd pied, ne comprend plus les questions qu’on lui pose.
Monsieur CROSSON DU CORMIER demande au témoin si le fait qu’il ait choisi la France pour se faire soigner est un choix personnel. Le témoin confirme. Il ajoute qu’en 1994 il n’était ni riche ni pauvre et qu’il ne connaissait SIMBIKANGWA que par la presse. Il ne savait même pas que MUTANGANA et l’accusé étaient frères. Il confirme qu’il a bien dit qu’il irait voir Bonaventure partout où il serait pour l’aider: “Je me souviens du bien qu’il m’a fait!” S’il est présent dans la salle aujourd’hui, “c’est son droit. La loi le lui permet!” Mais il ne connaît pas les raisons de sa présence.
Au tour de monsieur HERVELIN-SERRE de questionner le témoin. Il a bien eu peur quand on lui a proposé d’être confronté à SIMBIKANGWA. C’était la première fois qu’il faisait une visioconférence. Quant à savoir si l’accusé partait souvent de chez lui, le témoin confirme. Il confirme aussi que son hôte restait longtemps au téléphone. Deux de ses enfants étaient restés chez son ami Mustapha, à Nyamirambo. En ce qui concerne les armes, lors de la confrontation, il avait dit qu’il confirmait et qu’il confirmerait jusqu’à sa mort! “Je le réaffirme aujourd’hui devant vous” ajoute le témoin. Il a tout vu de la fenêtre de sa chambre qui donnait sur l’entrée de la maison. Il estime entre 30 et 50 le nombre de fusils rangés verticalement dans un local.
Maître BOURGEOT s’étonne que le témoin ne veuille pas reconnaitre que SIMBIKANGWA était son ami. Elle veut savoir aussi si monsieur HIGIRO a bien vu des objets volés: il confirme. Quant à savoir où ils étaient entreposés, le témoin ne sait que trop répondre. L’avocate ne manquera pas de l’apostropher: “Vous faites exprès de ne pas comprendre les questions?”
Maître EPSTEIN va clôturer la série des questions. “Bonsoir monsieur GAHAMANYI” commence-t-il, se trompant sur son identité. Il lui fait remarquer qu’il est des questions auxquelles il ne veut pas répondre. Il lui demande s’il est un commerçant prospère. Le témoin lui répond qu’il a deux voitures. L’avocat s’étonne que le témoin ait réclamé copie de ses déclarations antérieures. Monsieur HIGIRO répond du tac au tac: “Et vous, vous avez vos notes!” Maître EPSTEIN est piqué au vif: ” Vous avez décidé d’être facétieux?” et il abandonne son dossier sur sa table.
L’avocat de la défense s’étonne que le témoin n’ait jamais mentionné l’épisode de la mort du chauffeur Laurent. Monsieur HIGIRO répond qu’il ne peut se souvenir de tout. L’avocat s’étonne aussi que le témoin n’ait pas entendu les conversations de SIMBIKANGWA au téléphone. Il revient à ses papiers pour continuer à questionner le témoin. ” Vous lisiez la Bible à longueur de journées! Vous avez entendu les voix des gens mais vous ne les avez pas vus! Entendre et voir, vous faites la différence?” Monsieur HIGIRO n’a pas vraiment le temps de répondre. Il déclare qu’il n’a appris que récemment que monsieur GAHAMANYI était Tutsi, lors de ses obsèques. Maître EPSTEIN n’apprécie pas et le ton devient sarcastique: “Ça ne vous dérange pas monsieur que vous me preniez pour un imbécile?” Il accuse le témoin de mentir lorsqu’il dit que c’est lui qui a contacté MUTANGANA. SIMBIKANGWA a toujours dit que c’est lui qui lui avait envoyé son frère. “Vous mentez monsieur, vous n’êtes pas crédible! Vous lisez la Bible? Et les commandements!”
Monsieur CROSSON DU CORMIER n’apprécie pas du tout les propos de l’avocat: “Vous parlez des dix commandements des Hutu?” Le témoin s’étonne que l’avocat ait osé le traiter de menteur: “Cela m’affecte beaucoup. Vous êtes le premier à m’appeler menteur!”
L’avocat de lire alors l’audition du témoin. Tout le monde se rend compte que l’interprète n’a pas le temps de traduire. Le président le lui fait remarquer: “Vous malmenez le témoin!” Et l’avocat de rétorquer: “Ce témoin ment grossièrement!”
Maître AKORRI s’impatiente: ” Votre question? Vous n’êtes pas dans votre plaidoirie!” L’avocat général de rajouter: “Ce qui ne vous convient pas n’est pas forcément un mensonge!”
Excédé par les réponses du témoin et les réactions de l’avocat général, maître EPSTEIN jette l’éponge: “Il n’est pas raisonnable de continuer.”
Effectivement, il est 21h15. Le président suspend l’audience.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
1. Le terme Akazu, apparu ouvertement en 1991, signifie « petite maison » en kinyarwanda. L’Akazu est constituée d’une trentaine de personnes dont des membres proches ou éloignés de la famille d’Agathe KANZIGA, épouse de Juvénal HABYARIMANA. On retrouve au sein de l’Akazu de hauts responsables des FAR (Forces Armées Rwandaises) ainsi que des civils qui contrôlent l’armée et les services publics et accaparent les richesses du pays et les entreprises d’État. Cf. “Glossaire“.
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2. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. “Glossaire“.
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3. Le colonel RWAGAFILITA était chef d’état-major adjoint de la gendarmerie depuis 1979 lorsqu’en 1990 il explique au général VARRET sa vision de la question tutsi : “ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider”. Il sera mis à la retraite “d’office” en 1992 avant d’être rappelé, avec Théoneste BAGOSORA, pour “venir aider” au début du génocide. Sous le régime HABYARIMANA, il avait été décoré de la Légion d’Honneur par la France!
Voir le glossaire pour plus de détails.
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Procès en appel de SIMBIKANGWA. Vendredi 25 novembre 2016. J21
28/11/2016
Audition des représentants des parties civiles :
• Laurence DAWIDOWICZ, représentant l’association Survie.
• Alain GAUTHIER, président du CPCR
• Dafroza GAUTHIER, co-fondatrice du CPCR
La parole sera ensuite donnée à Pascal SIMBIKANGWA.
Intervention de madame Laurence Dawidowicz au nom de Survie
Survie est une association de 1300 adhérents composée de 25 groupes locaux dans de nombreuses régions de France, nos deux salariés sont financés par nos fonds propres issus des cotisations des adhérents et de dons de personnes privées. Les avocats qui nous représentent pour ce procès Me Safya AKORRI et Me Jean SIMON ont travaillé bénévolement-pro bono- et nous les remercions de leur engagement à nos côtés et nos modestes finances leur ont permis de percevoir l’aide juridictionnelle (une aide de l’état qu’ils se partageront d’ailleurs).
Survie a été créée il y a un peu plus de 30 ans quand des personnes se sont mobilisées un peu partout en France pour lutter contre la misère et la faim entretenue au Sud par des mécanismes de domination économique, politique, militaire et par notre indifférence. Cela faisait suite au «Manifeste-appel contre l’extermination par la faim », signé dès son lancement par cinquante cinq Prix Nobel. Ils proposaient une réforme de l’aide publique au développement mais alors que les mêmes campagnes menées en Italie ou en Belgique amenaient les gouvernements a augmenter leurs aides, le projet de loi n’était même pas proposé au débat du parlement français et ce malgré le soutien de nombreux parlementaires…. C’est la période où les membres de Survie ont compris que le financement de partis politiques français de premier plan se faisait au moyen de détournements de fonds provenant des dictatures d’Afrique francophone…. Cette prise de conscience a amené Survie à militer pour assainir les relations entre la France et les pays africains.
L’association a donc évolué mais a conservé ses méthodes d’interpellation à la fois de l’opinion publique, de tout un chacun, et des responsables politiques pour obtenir des réponses institutionnelles.
Jean Carbonare au JT d’Antenne 2 le 28 janvier 1993 (archive INA)
Survie a été alerté dès 1993 sur les risques de survenue du génocide contre les Tutsi du Rwanda notamment grâce à la participation de Jean CARBONARE (à l’époque président de Survie) à la mission internationale réalisée au Rwanda à la demande des associations des droits de l’Homme rwandaises et organisée par les 3 associations (FIDH, branche africaine de HRW, union africaine des droits Humains). Notre association s’est inquiétée du silence qui a suivi l’intervention de Jean CARBONARE lors du journal de 20h de A2, mais aussi ses rencontres avec la cellule africaine de l’Élysée, puis a été effaré de constater que l’exécutif français continuait à soutenir le régime HABYARIMANA puis le régime génocidaire. À partir de cet évènement du génocide des Tutsi, notre association a changé, nous en avons fait un combat fondateur. Cela fait plus de 20 ans que nous luttons pour que de tels actes ne se reproduisent pas, que nous luttons pour la vérité et la justice, contre l’impunité et le silence.
Durant le génocide, d’avril à juillet 1994, les adhérents de Survie et leurs amis se sont mobilisés, dans les groupes locaux comme à Paris : conférences de presse, communiqués, actions concrètes comme la marche en rond qui a eu lieu aux Invalides, à Paris mais aussi dans d’autres villes. Ils tournaient en rond pendant des semaines pour dénoncer un monde qui ne tournait pas rond à être ainsi indifférent au pire.
En octobre 94 François-Xavier VERSHAWE qui succèdera à Jean CARBONARE comme président de Survie à partir de l’assemblée générale de 1995, a écrit un premier livre « complicité de génocide ? » dans lequel il citait Pascal SIMBIKANGWA. Parallèlement, la déléguée du président, Sharon COURTOUX recevait des témoignages de rescapés et de leurs familles vivant en Europe. Ils n’étaient pas nombreux ceux qui s’intéressaient au Rwanda en 94.
L’association a pris conscience de l’indifférence mais aussi de la complicité des plus hautes autorités françaises, du risque que ce génocide soit occulté, nié, et avec lui la mémoire des victimes , la culpabilité des auteurs et complices.
La lutte contre la banalisation du génocide a été introduite dans les objectifs statutaires de Survie.
Depuis 1994, le combat des militants se poursuit sur nos heures de liberté, de sommeil, nos weekends, nos soirées. Des milliers de personnes se sont relayées, d’âge divers, de milieux sociaux variés, certains qui connaissaient le Rwanda , certains qui avaient rencontrés des rescapés, des chercheurs, mais aussi des personnes qui portaient parfois dans leur histoire personnelle le refus de l’impunité. Bref, des personnes qui se sentaient concernées par les crimes contre l’Humanité et le génocide, parce que ces crimes concernent tout être humain. Beaucoup de nos membres n’avaient pas 20 ans en 1994, ils ont décidés, tout comme moi, que ce combat étaient le leur. Et qu’il fallait agir.
Ainsi nous nous sommes alliés à d’autres associations, petites ou grosses, pour participer à la Coalition Française pour la cour Pénale internationale (CFCPI), et multiplier les pressions pour que la Cour Pénale Internationale existe, pour que la justice existe contre les bourreaux qui ont commis ou facilité des crimes contre l’humanité.
Nous avons en 2004 contribué à une Commission d’Enquête Citoyenne sur les responsabilités de la France au Rwanda en 1994, avec de nombreux partenaires. Nous avons continué à écrire, à publier, à rencontrer les simples citoyens lors de projections débats pour partager avec eux ce que nous avions appris, mais aussi nos questions, nos indignations.
Nous avons changé les statuts de l’association pour pouvoir rester en justice. Être partie civile dans de tels procès c’est mettre la lutte contre l’impunité au cœur de notre démarche car l’impunité pour les victimes et leurs proches c’est continuer à se faire narguer par leurs bourreaux, c’est être menacé s’ils témoignent, c’est ne pas reconnaitre leurs souffrances, la mort atroce de leurs proches.
La conséquence de l’impunité pour les tueurs et pour ceux qui les ont armés, c’est un encouragement à perpétrer à nouveau le crime, à utiliser à nouveau la haine comme moyen de gouverner. Le génocide d’avril 94 a été possible car les meurtriers des tueries précédentes n’avaient pas été arrêtés, jugés, condamnés.
Comme Me FOREMAN l’a rappelé à monsieur ROBARDEY, les 400 personnes arrêtées car suspectées des massacres du Bugesera ont été relâchées sans jugement, ni jugement ni condamnation, l’impunité donc et non la justice.
Et monsieur DEGNI-SÉGUI en a témoigné « lorsqu’ils tuaient les gens étaient si surs de l’impunité qu’ils le faisaient à visage découvert ».
La France est hélas une terre d’accueil pour un grand nombre de personnes suspectées d’avoir commis ou d’avoir été complices de crime de génocide. Nous avons été partie civile lors des premiers procès en France de personnes accusées de génocide et de complicité de crime contre l’Humanité , en 2014 : procès de Pascal SIMBIKANGWA, mais aussi en 2016 : procès des deux bourgmestres Octavien NGENZI et Tito BARAHIRA.
Notre présence à ce procès n’est ni une revanche ni une vengeance mais une étape nécessaire pour faire avancer la vérité, pour obtenir justice, pour que les enfants des victimes ne tremblent plus en entendant les sifflets comme ceux des Interhamwe [1] qui poursuivaient leurs parents, pour que les enfants des tueurs sachent que le cycle s’est arrêté là.
Peut être aussi pour l’association avons-nous besoin de savoir que nous ne nous sommes pas mobilisés en vain pour que ce génocide reste dans la conscience de nos concitoyens et que maintenant c’est un jury citoyen qui va juger.
Pas de question posée au témoin. Simplement les remerciements appuyés et louangeurs de l’avocat général, monsieur CROSSON DU CORMIER.
Intervention de monsieur Alain GAUTHIER, président du CPCR.
Portrait © Francine Mayran, collection “PORTRAITS MÉMOIRES DU GÉNOCIDE DES TUTSI AU RWANDA”
Monsieur le Président, madame et monsieur de la Cour, mesdames et messieurs les jurés. C’est la troisième fois que je suis amené à me présenter en tant que partie civile devant une Cour d’assises. En première instance lors du procès de monsieur Pascal SIMBIKANGWA aux assises de Paris. Lors d’un second procès pour génocide qui s’est tenu aux assises de Paris de mai à juillet 2016 dans l’affaire de deux bourgmestres, messieurs NGENZI et BARAHIRA, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Et aujourd’hui dans le procès en appel de monsieur SIMBIKANGWA.
Comme vous avez pu le remarquer, j’ai assisté à toutes les audiences. A deux reprises toutefois, j’ai dû m’absenter, en fin de journée. Et puisque monsieur le Président a évoqué lui-même le roman Petit Pays [2] comme un livre susceptible de participer à la réconciliation des Rwandais, je puis vous faire une révélation. A deux reprises je suis allé rejoindre notre gendre, Gaël FAYE, auteur de Petit Pays, qui venait de recevoir le Goncourt des Lycéens. Ce fut un petit rayon de soleil au cours de ces cinq dernières semaines.
Si j’interviens dans ce procès pour génocide, c’est d’abord en tant que président d’une association dont vous avez déjà entendu parler pendant le procès, le CPCR, le Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda que l’accusé a souvent confondu avec l’association Ibuka.
Le CPCR a été créé en 2001, à la suite du procès dit “des quatre de Butare” aux assises de Bruxelles. Les objectifs de notre association sont doubles:
– poursuivre en justice les personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 et qui résident sur le sol français. Nous disons bien le génocide des Tutsi et non le génocide rwandais, distinguant en cela le crime de génocide qui visait les Tutsi et les crimes contre l’humanité à l’égard des opposants hutu. Cette distinction a d’ailleurs été faite clairement lors du procès NGENZI/BARAHIRA.
– aider les rescapés à se reconstruire en soutenant, quand nos finances nous le permettent, des projets de développements. Nous avons par exemple acheté une trentaine de vaches à des rescapés de Gisagara, dans le sud du Rwanda, plaignants dans le dossier Dominique NTAWUKURIRYAYO. Nous avions retrouvé ce dernier à Carcassonne où il travaillait comme responsable des migrants auprès de l’évêque du lieu. Extradé à Arusha, au TPIR, il sera jugé et condamné à 20 ans de réclusion criminelle.
Mais je suis aussi ici en tant que famille de victimes, la grande majorité des membres de la famille de mon épouse ayant été exterminée. Vous comprendrez pourquoi les propos du colonel ROBARDEY m’ont beaucoup choqué quand, se retournant vers le banc des parties civiles, il a osé affirmer qu’il était sans aucun doute celui qui, “dans cette salle, avait perdu le plus de proches.”
Si nous sommes engagés dans ce combat, ce n’est pas parce que nous aurions reçu des consignes venues du Rwanda. Pas non plus par esprit de vengeance. Notre site internet le précise, pour reprendre les mots de Simon WISENTHAL, “sans haine ni vengeance.” Encore moins pour plaire à un régime que beaucoup se plaisent à diaboliser.
Nous nous sommes engagés parce que nous ne pouvions pas supporter l’idée que des personnes, soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi du Rwanda, puissent vivre en toute impunité sur le sol français. Certains ont obtenu l’asile politique, d’autres la nationalité française…
Depuis près de 20 ans, nous consacrons notre existence, au sein du CPCR, non pas “à traquer les intellectuels hutu” comme aiment à le claironner nos adversaires, mais à faire ce que la justice de notre pays ne faisait pas. Lorsque nous apprenons la présence d’une personne soupçonnée d’avoir participé au génocide, nous partons en enquête au Rwanda à la rencontre de témoins, qu’ils soient rescapés ou tueurs. Après avoir recueilli les témoignages, mon épouse les traduit en Français et nous les confions à nos avocats qui rédigent les plaintes avant de les transmettre au pôle crimes contre l’humanité au TGI de Paris, créé depuis janvier 2012. Je voudrais à ce stade remercier nos avocats pour le travail qu’ils effectuent à nos côtés depuis plus de quinze ans. A ce jour le CPCR a déposé 22 plaintes et s’est porté partie civile dans six dossiers déjà existants.
J’ai personnellement connu le Rwanda en 1970, voici 46 ans. je m’y suis rendu dans le cadre de la Coopération, pour un séjour de deux ans, en lieu et place du service militaire. J’ai enseigné comme professeur de Français au petit séminaire de Save, à une dizaine de kilomètres de la ville de Butare. Ce séjour aurait pu être le seul si, deux ans après mon retour, je n’avais pas revu Dafroza qui avait dû quitter son pays en 1973, lors d’événements dont vous avez entendu parler au cours de ce procès. Après un court séjour au Burundi, elle avait obtenu le statut de réfugiée en Belgique.
Nous nous marions en 1977 et, jusqu’en 1994, avec nos trois enfants, nous menons la vie ordinaire de citoyens ordinaires. Mon épouse est ingénieur chimiste, je suis professeur de Français et chef d’établissement dans un collège et un Lycée professionnel de Reims où nous avons fini par nous installer, loin du Rwanda et loin de mon Ardèche natale.
A partir de 1990, nous vivrons dans l’inquiétude à cause de ce qui se passe au Rwanda. Nous craignons pour la sécurité de la famille de mon épouse et celle de nos amis et connaissances. En 1963, le papa de mon épouse avait été tué lors des massacres de Gikongoro, qualifiés de “petit génocide”, au cours duquel près de 20 000 Tutsi avaient été exterminés, leurs maisons incendiés, leurs champs et leurs troupeaux dévastés. Alors que jusques là nous nous rendions assez régulièrement au Rwanda en famille, notre séjour de 1989 sera le dernier, avant que nous n’ayons le courage de revenir en 1996.
En 1993, peu de jours après l’intervention de Jean CARBONARE au Journal télévisé d’Antenne 2, j’écris au Président de la République monsieur François MITTERRAND, avec copie au ministre des Affaires Étrangères, pour lui demander de faire tout ce qui est en son pouvoir pour calmer les ardeurs belliqueuses de son ami Juvénal HABYARIMANA, et plus encore celles de son entourage. Je recevrai deux réponses dans lesquelles il est dit que la France œuvre au rétablissement de la paix au Rwanda. Les faits ne confirmeront pas véritablement ces affirmations à la fois apaisantes et diplomatiques. En août de la même année, nous accueillons avec une immense joie la signature des accords d’Arusha.
Fin février 1994, mon épouse se rend au Rwanda pour rendre visite à sa maman qui a quitté Butare pour Kigali. Elle avait besoin de se faire soigner et elle avait été accueillie dans la famille d’une cousine, à Nyamirambo, près de la paroisse des Martyrs de l’Ouganda. Son séjour initialement prévu pour durer deux semaines sera en fait écourté, la situation dans Kigali étant devenue irrespirable: cadavres qui jonchent les trottoirs, appels à la haine des Tutsi et à la violence sur les ondes de RTLM, la Radio Télévision Libre des Mille Collines de sinistre mémoire. Elle reviendra au bout d’une semaine, sa maman lui ayant demandé de rentrer pour ses enfants et son mari. Elle a bien le sentiment qu’elles ne se reverront plus.
Le 7 avril au matin, nous apprenons l’attentat qui a coûté la vie au président HABYARIMANA et à son homologue burundais, ainsi qu’à tous ceux qui l’accompagnaient dans l’avion qui le ramenait de Dar Es Salam. Évidemment, notre inquiétude grandit. Nous apprenons que ma belle-mère et notre cousine Geneviève ont pu se réfugier à la paroisse toute proche dont le curé est un ami Père Blanc français que j’avais connu pendant mon premier séjour au Rwanda. Canisius, notre cousin, qui avait déjà quitté la maison depuis longtemps, avait fini par trouver refuge chez les Frères Joséphites, un peu plus haut dans le quartier.
Le vendredi 8 avril au matin, de mon bureau du Collège Jeanne d’Arc, je téléphone à la paroisse de Nyamirambo. C’est un prêtre allemand, le Père Otto MAYER, qui me répond. Il me dit que le Père BLANCHARD se repose et me conseille de l’appeler dans l’après-midi. Lorsque je rappelle, Henri BLANCHARD m’apprend que la maman de Dafroza a été tuée par des militaires dans la cour même de la paroisse. Geneviève a réussi à se cacher dans le presbytère mais nous ne pouvons échanger que quelques mots: il est hors de question de la mettre en danger. Va me rester la douloureuse mission d’annoncer la nouvelle à la maison.
Apprenant le décès de sa maman, mon épouse se met à hurler au point que je dois descendre chez les voisins pour leur expliquer la situation. Notre fils Emmanuel, 11 ans, lâche ces mots laconiques: “Maman, je te vengerai.” Début juin, nous apprendrons la mort de notre cousine Geneviève lors de l’attaque de la paroisse. Notre cousin Canisius avait été fusillé trois jours plus tôt avec plus de soixante dix personnes, dont une dizaine de religieux. Ce n’est que beaucoup plus tard, quand nous retournerons au Rwanda que, devant l’absence de nombreux membres de la famille, nous réaliserons qu’ils ont été aussi exterminés. Nous ne retrouverons jamais leurs corps.
Ces trois mois du génocide, nous allons les vivre dans l’abattement, mais aussi dans l’action. Nous recevons régulièrement des appels téléphoniques et des fax de Tutsi réfugiés aux Mille Collines, à 200/300 mètres de chez monsieur SIMBIKANGWA. Nous signons des prises en charge, , des pétitions, organisons une manifestation devant la sous-préfecture de Reims et dans les rue de la ville avec un seul slogan: “Rwanda, la Honte!” J’écris des courriers à de nombreuses personnalité de tout bord, sans grand résultat.
A la fin du génocide, une amie qui avait réussi à se réfugier au Burundi nous appelle: deux enfant s d’un cousin ont été retrouvés dans un convoi de la Croix Rouge. Nous entreprenons des démarches pour les faire venir en France. Le maire de Reims intervient auprès du ministre des Affaires Étrangères. Le 14 août, nous récupérons Jean-Paul et Pauline à Roissy. Nous avons cinq enfants. Mais ayant appris que leur papa a été caché par son voisin hutu et qu’il est en vie, les deux cousins repartiront au Rwanda un an plus tard.
Début juin 2004, nous apprenons qu’une fosse commune aurait été découverte dans la cour de la paroisse de Nyamirambo. Nous partons aussitôt pour Kigali. Nous faisons procéder au creusement de la fosse, trouvons quelques corps qui ont été jetés dans une tranchée, recueillons un à un les ossements englués dans la terre, les lavons dans des bassines remplies de liquide vaisselle. A l’aide d’une brosse à dents, nous dégageons la terre des orbites et exposons les ossements au soleil pour les faire sécher. Le lendemain, nous organiserons des obsèques et transporterons les corps jusqu’au Mémorial de Gisozi où reposent aujourd’hui les restes de près de 300 000 victimes.
Si j’ai tenu à mêler notre histoire personnelle à l’histoire du Rwanda et à celle du génocide, c’est pour que vous compreniez mieux les raisons de notre engagement et de notre présence devant cette Cour.
Mesdames et messieurs les jurés, malgré vous, depuis cinq semaines, vous voilà mêlés à notre histoire. Je voudrais vous demander pardon de vous avoir entraînés dans ces affres du génocide: sans la plainte que nous avons déposée, ce procès n’aurait pas eu lieu. Votre vie ne sera plus la même. Dans quelques jours vous aurez à prendre une décision très importante, peut-être la plus importante de votre existence. En votre âme et conscience, vous aurez à dire si monsieur SIMBIKANGWA est coupable des faits qui lui sont reprochés. Il vous aura fallu beaucoup de courage pour entrer dans ce procès. Il n’est pas facile, en quelques semaines, de tout comprendre: éloignement des faits dans le temps, dans l’espace, complexité des témoignages, difficultés liées parfois à la traduction.
Au cours de ce procès, des témoins cités par la défense n’ont pas hésité à mettre en cause notre probité, nous accusant de travailler au service du gouvernement rwandais et de son président. Dans des écrits antérieurs, ils nous ont calomniés, ont proféré parfois des mensonges éhontés [3] . Messieurs PÉAN, MUSABYIMANA, ROBARDEY ne s’en sont pas privés. J’ai été choqué aussi par certains propos de la défense.
Il nous est même arrivé de recevoir des menaces de mort, pour nous mais aussi pour nos enfants et petits enfants. Nous sommes régulièrement insultés sur les réseaux sociaux ou dans des articles de la veine de Kangura. Je voulais vous dire que nous aurions tellement aimé consacrer ces 22 années à faire autre chose de notre existence: consacrer plus de temps à nos enfants, avoir davantage d’activités de loisir ou de culture, voyager ailleurs qu’au Rwanda. Notre engagement est total, avec le soutien de près de 250 membres qui ont adhéré au CPCR.
Avant de conclure, je voudrais m’adresser à monsieur SIMBIKANGWA. Un procès d’assises est fait pour les victimes, pour leurs familles, pour réhabiliter leur mémoire. Mais il était fait aussi pour vous et vous n’avez pas saisi la seconde chance qui vous était donnée. Comme je l’ai déjà dit, nous nous sommes engagés “sans haine ni vengeance“. Depuis que j’ai l’âge de raison, j’ai toujours été sensible à l’injustice. J’ai toujours préféré un coupable en liberté qu’un innocent en prison.
Lors du procès en première instance, je vous avais lu la fin d’un poème de Victor HUGO, La Conscience. Dans ce texte, le poète revient sur le mythe de Caïn et Abel les fils d’Adam et Eve. Caïn étant jaloux de son frère, il va l’éliminer. En proie aux remords, Caïn tente de fuir avec sa famille car un œil le regarde fixement. Il construit des murailles lance des flèches aux étoiles mais l’œil est toujours là. De guerre lasse, il décide de se faire enfermer dans une tombe. Le poème se termine sur ces vers:
“On fit donc une fosse et Caïn dit “C’est bien”.
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
L’œil était dans la tombe et regardait Caïn.”
Monsieur le Président, madame et monsieur de la Cour, mesdames et messieurs les jurés, ce n’est pas nous qui rendons la justice. Nous avons allumé la mèche, les juges ont enquêté à charge et à décharge lors de commissions rogatoires au Rwanda avant de publier une Ordonnance de Mise en Accusation. C’est à vous maintenant, en votre âme et conscience, de décider si monsieur SIMBIKANGWA est coupable. Je vous remercie.
Monsieur CROSSON DU CORMIER renouvèle ses remerciements aux parties civiles pour leur travail.
Questions de maître BOURGEOT.
1. “Vous avez dit que la défense avait tenu des des propos qui vous ont choqué”. S’interrogeant sur les méthodes du CPCR: “De quelle façon avez-vous appris la présence de SIMBIKANGWA?” Réponse de monsieur GAUTHIER: “ Une jeune rescapée de passage à Mayotte nous a signalé sa présence. Personnellement, je ne le connaissais.“
2. “Vous avez appelé des gens à Kigali pour avoir des informations ? ” Monsieur GAUTHIER: “Oui, et je ne m’en cache pas, je serais prêts à faire des actes illégaux. Mais nous avons tout fait légalement. Comment les Israéliens ont-ils fait pour pouvoir juger Eichmann? Maître EPSTEIN ricane mais ne partage pas du tout cet avis.“Si nous n’avions pas déposé ces plaintes, on ne parlerait aujourd’hui sans doute plus du génocide des Tutsi, il n’y a qu’à voir “l’empressement” de la presse à suivre ce procès”…. “Plus d’un million de morts, ça n’intéresse personne!”
3. Défense : “Vous êtes partiellement financé par le Rwanda?” Nous obtenons l’aide des adhérents et nous sollicitons effectivement les autorités rwandaises, quoi de plus naturel! Ce sont des Rwandais qui sont jugés, des parties civiles sont rwandaises! Nous avons créé récemment une association au Rwanda, les Amis du CPCR, pour solliciter la société civile rwandaise
Maître BOURGEOT : “120 000 € dont 20 000 du Rwanda… Est-ce que l’état finance aussi la défense?” Monsieur GAUTHIER: ” Je suppose que non. Mais je ne cesse de demander que la communauté internationale finance ces procès. Le TPIR a bien financé la défense des personnes jugées. Pourquoi n’en ferait-elle pas autant pour les procès qui se déroulent dans les instances nationales.”
4. “Génocide rwandais?” Maître BOURGEOT justifie l’expression car il s’agit “du génocide des Tutsi et des Hutu modérés“. Ce n’est pas du tout la position de monsieur GAUTHIER. La mort des Hutu d’opposition rentre dans la catégorie des crimes contre l’humanité.
5. “Sur les procès en Belgique, il y avait des victimes physiques?” demande l’avocate de la défense. “Il ne peut pas en être autrement, une association ne pouvant pas se porter partie civile” précise monsieur GAUTHIER.
6. Maître EPSTEIN ne supporte pas l’idée que l’on puisse faire référence à la Shoah quand on parle du génocide des Tutsi. “Vous pensez que ça parle plus aux jurés ? Vous pensez qu’on entre plus dans l’émotion ?” Le président du CPCR de répondre: “Il me semblait bien que vous étiez un adepte de l’unicité de la Shoah.C’est l’évidence, un nazi jugé ici en France, cela ferait la une des journaux. Quant à l’unicité de la Shoah? Je ne suis pas historien, je ne suis pas chercheur, je suis un simple citoyen franco-rwandais qui a été mêlé a cette histoire. Mais franchement, combien d’entre eux ne font ils pas le rapprochement entre les trois grands génocides du 20ème siècle. Il y a des rapprochements inévitables. Je vous dis, ce n’est pas ma spécialité mais il faut lire, entendre, vous entendrez dire partout que l’on retrouve les mêmes mécanismes.”
7. Maître EPSTEIN: “Au fond ce que je vois c’est que vous vous substituez à la justice française. Vous faites la même chose pour les historiens.”
Monsieur GAUTHIER de répondre: “Je ne vois pas où vous voulez en venir, nous n’avons qu’un seul objectif. Nous rencontrons des gens, nous leur demandons d’écrire leur déclaration et de nous la donner.”
8. Maître EPSTEIN : “Pourquoi Valérie BEMERIKI n’écrit pas en rwandais?”
“Parce qu’elle sait que je suis français et que je parle français. Si elle voulait parler en kinyarwanda, c’est son problème.”
9. Maître EPSTEIN : “Peu de témoin, on a eu un mal considérable a faire venir des témoins. Pourquoi à votre avis ?“
“Est ce à moi de répondre ? Je ne sais pas.”
10. Maître EPSTEIN : “Des témoins, vous ne citez que PÉAN, ROBARDEY, est ce que vous pensez que la défense à le droit d’avoir des témoins ?”
“Mais bien évidemment. Rendre justice c’est entendre des témoins. C’est ça la justice. Je tiens à la justice. Je crois à la justice, pour qu’elle soit véritable il faut des avocats des deux cotés.”
11. Maître EPSTEIN : “Vous parlez des responsabilités françaises. C’est le procès du génocide rwandais ou réellement le procès de Pascal SIMBIKANGWA et son implication dans le génocide?3
“Vous m’avez entendu parler des responsabilités françaises?Ça ne peut être que le procès de Pascal SIMBIKANGWA. C’est lui que l’on juge. Je ne vois pas comment il peut en être autrement.”
12. Dernière question de maître EPSTEIN. “Le CPCR tient un blog ?
“Non, un site internet.”répond monsieur GAUTHIER.
“Vous rentrez chaque soir et vous donnez un nombre d’informations. Vous pensez que cela soit indépendant ? Que la façon dont vous restituez les informations c’est une façon indépendante de le faire?“
“Il est vrai que quand je peux donner un coup de griffe, je le fais, ce n’est pas par méchanceté . Je me suis rendu compte que notre site internet était extrêmement lu” précise le président du CPCR.
13. Maître BOURGEOT ne s’était pas privée de poser la question des liens familiaux qui existent entre la famille GAUTHIER et une autorité politique. Monsieur GAUTHIER n’en est pas gêné: “Effectivement, une cousine de mon épouse a épousé quelqu’un qui est devenu par la suite Chef d’État major de l’armée puis ministre de la Défense. Quel intérêt dans ce procès?“
14. Dernière question de maître EPSTEIN: ” Vous citez Victor Hugo, vous savez ce qu’Oscar Wilde dit sur l’émotion ? “L’émotion nous égare : c’est son principal mérite.” Réponse d’Alain GAUTHIER: “Je ne me sens pas concerné“.
Témoignage de Dafroza GAUTHIER
Portrait © Francine Mayran, collection “PORTRAITS MÉMOIRES DU GÉNOCIDE DES TUTSI AU RWANDA”
Je suis née au Rwanda, le 04/08/54 à Astrida, devenue Butare, après l’indépendance. Je suis ingénieur chimiste. Je suis née dans une famille de pasteurs tutsi, mes parents habitaient à ce moment-là dans l’ex-préfecture de GIKONGORO, située dans le Sud-ouest du Rwanda. Une partie du berceau familial de mon père habitait la région de Nyaruguru. Nous y étions bien, une enfance sans histoire particulière, avec de grandes familles qui habitaient les unes non loin des autres, beaucoup de tantes et oncles, beaucoup de cousins et cousines,… des années d’enfance et d’insouciance… des années de bonheur…
« Plus le temps passe, moins on oublie » (Boubacar Boris Diop) Murambi ou le livre des ossements.
Aussi loin que remontent mes souvenirs de petite fille, deux événements restent imprimés dans ma mémoire :
Je me souviens de cet instant où mon père vient annoncer à la maison la mort du roi Mutara III Rudahigwa, je devais avoir autour de 5 ans. Je vois les grandes personnes bouleversées et ma mère qui s’essuie les yeux… mais ce n’est que plus tard que je comprendrai la portée de cet événement…
Un deuxième événement, plus proche de nos familles, et qui doit se situer vers fin 1960, fut l’assassinat de mon instituteur de l’école primaire, à coups de hache, décapité, (on apprendra cela plus tard) : il s’appelait Ludoviko, en français Louis. Il était très aimé sur notre colline. Un voisin est venu souffler quelque chose à l’oreille de ma mère. Je la vois paniquée, catastrophée, déstabilisée, et cachant ses larmes…
Depuis cet assassinat, un premier regroupement familial avec les familles tutsi les plus proches dont celle de mon cousin Ruhingubugi va avoir lieu. La peur était perceptible, le monde semblait s’être arrêté ! En début de soirée, deux employés de chez ma tante paternelle sont arrivés. Je vois encore ma mère ramasser quelques petites affaires et les mettre dans de grosses malles. Je comprends avec mes yeux d’enfant que la situation n’est pas normale. Pendant la nuit, nous sommes partis à pied chez mon oncle, le mari de ma tante à environ 4 ou 5 km, avec tous les occupants de la maison. Un deuxième regroupement familial venait de commencer.
Dès le lendemain, notre maison, et celles des familles voisines tutsi furent pillées et brûlées. Nous avons tout perdu ! Je n’y suis jamais retournée jusqu’à ce jour… !
Et c’est en ces années-là, de 1959 à 1962, que nos familles tutsi de la région vont fuir en masse et se réfugier au Burundi, nous habitions à peine à 20km de la frontière.
L’année 1963 fut une année meurtrière et sanguinaire dans notre région de Gikongoro. Au moins 20 000 morts. André RUSSEL, philosophe, parle du « petit génocide de Gikongoro », dans le journal Le Monde daté du 6 février 1964 :
« Le massacre d’hommes le plus horrible et le plus systématique auquel il a été donné d’assister depuis l’extermination des Juifs par les nazis ».
A 9 ans, je dois la vie sauve à l’église de Kibeho où nous avons trouvé refuge avec ma mère, ma famille proche et d’autres Tutsi de notre région. Les miliciens ne massacraient pas dans les églises à l’époque, ce qui ne fut pas le cas en 1994 où ce tabou a volé en éclat et où les églises sont devenues des lieux de massacre de masse, des lieux d’exécution partout dans le pays… !
Suite à ce massacre de la région de Gikongoro, beaucoup de rescapés de nos familles ont été déplacés dans la région du Bugesera, au sud-est de Kigali. C’était à l’époque une région habitée de bêtes sauvages, une région inhospitalière, sans eau potable, une région où sévissait la mouche tsé-tsé. Des familles entières ont été décimées sans possibilité de soins. Il a été question du Bugesera dans cette Cour d’assise à propos du massacre de 1992.
Les Tutsi, contraints à l’exil en 1963, ayant survécu à la mouche tsé-tsé, ayant survécu aux massacres de 1992, vont périr en masse en 1994. Il n’y a presque pas eu de survivants dans la région du Bugesera. Le génocide les a emportés en masse…
Nous avons été réfugiés à l’intérieur de notre propre pays. Je suis allée en pension très jeune, de la 3ème à la 6ème primaire, chez les religieuses, avec d’autres enfants tutsi dont ma cousine Emma. Nos parents nous avaient mis à l’abri, pensaient-ils. Nous avons appris à nous passer d’eux très tôt, trop jeunes… à nous passer de la douceur familiale. Nous avons grandi orphelins et nous nous contentions du minimum.
Nous étions des citoyens de seconde zone, nous Tutsi, avec nos cartes d’identité sur lesquelles figurait la mention « Tutsi ». Nous étions des étrangers chez nous.
Plus tard, après mes années de collège à Save, à 12 km de Butare, quand j’entre au Lycée Notre-Dame à Kigali à environ 130 km, je devais me munir d’un « laisser passer » délivré par la préfecture. Je n’étais pas la seule. Au fameux pont de la Nyabarongo, au pied du Mont Kigali, nous devions descendre du bus pour y être contrôlés et présenter nos laisser-passer, nous les Tutsi, au vue de notre faciès… Cette opération pouvait prendre des heures… Nous étions insultés, voire brutalisés parfois, humiliés, et tout cela reste gravé dans nos mémoires…
Nous avons grandi dans cette ambiance de peur et d’exclusion, avec la révolte au fond de nous… ! Enfant, notre mère nous a appris à nous taire, à nous faire petit, pas de vague : à l’école, au collège, au lycée, dans la rue, à l’église, partout, il ne fallait pas se faire remarquer, il fallait se taire, baisser les yeux,…!
J’ai eu la chance d’aller à l’école et de poursuivre une scolarité normale. Vous avez écouté le témoignage d’Ester MUJAWAYO, venue déposer devant cette cours, vous vous souvenez de son parcours scolaire, chaotique, un vrai parcours du combattant ! C’est un exemple « type » de ce que l’on subissait sans pouvoir faire grand-chose… Même avec une bourse d’étude privée, Ester n’a pas pu obtenir un passeport pour quitter le pays, car tutsi. C’était la période des quotas.
Et, c’est en ce début 1973 que j’ai quitté mon pays pour me réfugier au Burundi après la période des pogroms de cette époque. Cet épisode a été évoqué dans cette Cour d’assises. Chassés des écoles, des lycées, des universités, de la fonction publique, et autres emplois du secteur privé, les Tutsi vont de nouveau se réfugier dans les pays limitrophes et grossir les effectifs des années précédentes, ceux de nos vieilles familles d’exilés depuis 1959.
J’entends encore notre mère nous dire, en ce début février 1973, avec ma sœur, qu’il fallait partir le plus vite possible. Elle avait peur de nous voir tuées ou violées sous ses yeux, nous dira-t-elle plus tard… Ce fut une séparation très douloureuse, j’ai hésité… Je me souviens de ces moments si tristes, si déchirants… à la nuit tombée, où il fallait partir très vite, sans se retourner.
Après notre départ, notre mère fut convoquée par le bourgmestre de notre commune, un certain J.B. KAGABO, et mise au cachot communal. On lui reprochait son manque de civisme, à cause de notre fuite. Elle en sortira le bras droit en écharpe, cassé, nous dira-t-elle plus tard. Je me sentais coupable d’avoir fui, et de l’avoir abandonnée… !
Je vous épargne le récit de ce périple en pleine nuit à travers les marais de la KANYARU, le fleuve qui sépare le Rwanda et le Burundi. Une traversée interminable en deux jours, où le groupe de nos amis de Butare, nous ayant précédés, n’aura pas cette chance : ils ont été sauvagement assassinés par les passeurs, ces piroguiers qui voulaient prendre leur maigre butin… Nous avons eu de la chance, nous avons pu regagner le nord du BURUNDI, près de Kirundo, au bord de l’épuisement, mais sans trop de dégâts. Cette traversée revient souvent dans mes rêves ou mes cauchemars, nous avons vu la mort de très près. Nos corps en portent encore les stigmates.
Un camp du HCR nous attendait avec ses bâches bleues comme seul abri de fortune.
Nous n’avons pas été accueillis les bras ouverts par nos frères burundais, je m’en souviens. Une vie d’exilée est une expérience unique dont on ne sort jamais indemne. Elle conditionne le reste de votre vie !
Après quelques jours au camp de KIRUNDO, un premier tri est effectué pour rejoindre la capitale Bujumbura. Je fais partie du voyage. Je ne resterai à Bujumbura que 7 mois, pour ensuite rejoindre mon frère aîné, François, réfugié en Belgique depuis le début des années 60. J’ai pu poursuivre mes études.
Mon statut, depuis le Burundi, est celui de réfugiée politique avec un titre de voyage du Haut-Commissariat aux Réfugiés et les restrictions que ce document imposait à l’époque. J’obtiendrai en 1977 la nationalité française par le mariage, à l’époque c’était assez rapide.
De 1977 à 1989 ce sont des années sans histoires, une vie de famille ordinaire avec nos trois enfants. Nous avons pu retourner au Rwanda régulièrement voir ma mère et les familles qui s’y trouvaient encore.
Notre dernier voyage, en famille, à Butare, date de l’été 1989, notre plus jeune, Sarah, avait 18mois. Au cours de cet été 89, nous avons profité de ces vacances à Butare pour visiter nos familles réfugiées au Burundi. Je me souviens encore de cet incident où lorsqu’on arrive à la Kanyaru, au poste frontière avec le BURUNDI, la police des frontières va nous arrêter. Elle va laisser passer tous les véhicules, sauf le nôtre. Ils nous ont fait attendre une journée entière, avec nos jeunes enfants ! Nous avions des papiers en règle, des passeports en règle, tout était administrativement en ordre, mais ils vont trouver le moyen de nous humilier, une fois de plus, nous faire attendre sur le bas-côté, sans explication : j’étais révoltée ! Cela me rappelait mes années lycée au pont de la Nyabarondo, sauf que je n’étais plus seule, nos enfants subissaient sans rien comprendre !
Des anecdotes de cette nature sont inépuisables, sous la première et sous la seconde république !
La guerre éclata en octobre 90 et nous ne pouvions plus visiter ma mère.
Le 1er octobre 90 le FPR attaque par le nord du pays. Les nouvelles du pays nous arrivaient des différentes sources, notamment par les rapports des ONG. Certains ont été évoqués par les témoins au cours de ce procès. Mon frère suivait de très près l’évolution politique du pays via le front. Il avait aussi beaucoup d’amis militants des droits de l’homme sur place, entre autre Fidèle KANYABUGOYI et Ignace RUHATANA, ses amis, membres fondateurs de l’association KANYARWANDA dont les noms ont été évoqués devant cette Cour d’assises. Ils seront tous les deux sauvagement tués en 1994 avec la quasi-totalité des membres de l’association KANYARWANDA.
En cette fin février 1994, je pars seule au Rwanda voir ma mère qui se reposait en famille à Kigali chez Geneviève et Canisius, mes cousins. Ils habitaient Nyamirambo, près de la paroisse St-André. Mes cousins avaient une pharmacie. Canisius, et Geneviève, sa femme, avaient fui comme moi en 1973. Nous étions au Burundi ensemble. Ils avaient ensuite quitté le Burundi pour regagner le Zaïre à la recherche de meilleures conditions de vie. Ils reviendront ensuite au Rwanda dans les années 80 lorsque Habyarimana a incité les réfugiés tutsi à revenir pour reconstruire le pays. Certains de nos amis et membres de notre famille sont rentrés d’exil à ce moment-là, et ils n’échapperont pas au génocide de 1994. Les survivants de cette époque se comptent sur les doigts d’une main.
Je me rends donc au pays, en cette fin février 94, ce fut « un voyage au bout de la nuit » ! J’arrive à Kigali le jour du meeting du MDR qui avait lieu au stade de Nyamirambo, sur les hauteurs de notre quartier, sous le Mont Kigali. A la sortie du stade, c’était des bagarres entre miliciens, mais on s’en prenait surtout aux Tutsi, les bouc-émissaires de toujours ! Des Tutsi étaient tabassés dans la rue et étaient poussés dans le caniveau par cette meute d’excités, sur le boulevard. Nous regardions par la fenêtre et ma cousine Geneviève appelait la Croix Rouge pour ramasser les blessés ou les agonisants ! On voyait les véhicules de la Croix-Rouge venir, s’arrêter sur le bas-côté et attendre que les miliciens terminent leur sale besogne. Une fois les miliciens partis, la Croix- Rouge ramassait les victimes !
C’est une période où la RTLM était à l’œuvre, elle diffusait nuit et toujours ses messages de haine, d’horreur et d’appel aux meurtres en citant des listes de Tutsi à tuer ainsi que leur quartier de résidence. Dans la foulée, la RTLM annonçait que le travail avait été bien exécuté mais que les tombes étaient encore vides.
A Kigali, durant cette période, des Tutsi étaient attaqués à leur domicile, et étaient tués, sans aucun autre motif si ce n’est être des Inyenzi, des complices du FPR !
Dans la nuit du 21 février 1994, le ministre des travaux publics, GATABAZI Félicien, secrétaire exécutif du parti PSD, est assassiné. Il était originaire de Butare. On a évoqué cet assassinat dans cette Cour d’assises. En représailles, les partisans de GATABAZI ont assassiné BUCYANA, le leader de la CDR, le parti extrémiste. Il a été assassiné près de Butare, à Mbazi exactement, alors qu’il partait à Cyangugu d’où il était originaire. Très rapidement, certains quartiers de Kigali étaient quadrillés et attaqués. Je pense au quartier de Gikondo où habitait BUCYANA et nos familles, comme celle de ma tante Pascasia et ses enfants et petits-enfants. Ils ont subi des représailles, ainsi que les autres Tutsi du même quartier. Leurs maisons ont été attaquées. Michel, le fils de ma tante, a téléphoné à Philippe, son beau- frère français, le mari de Pauline et petite sœur de Michel. Ils habitaient Kiyovu, rue Mikeno, en bas de la rue de l’Akagera, près de l’ambassade du Canada. Philippe est allé voir les Casques Bleus belges à Kacyiru pour chercher du secours. Et, en début de soirée, il s’est fait accompagner par les soldats des Nations Unies dans leur véhicule pour aller secourir la famille et leurs voisins en dangers de mort.
Sur la route vers Gikondo, il y avait déjà des cadavres. Cette semaine fut particulièrement meurtrière à Kigali alors qu’ailleurs dans le pays régnait un calme relatif… Ma famille a eu la vie sauve cette semaine- là ! Ils sont restés quelques jours à Kiyovu avant de regagner leur domicile.
Les Interahamwe de Gikondo étaient connus pour être des plus extrémistes, réputés aussi pour leur cruauté. En ce mois de février et mars, et dans la ville de Kigali, des Tutsi ont fui dans les églises, et dans d’autres lieux qu’ils croyaient sûrs, comme au Centre Christus, le couvent des jésuites. Beaucoup de nos familles et amis y ont trouvé refuge : ils y passeront quelques jours avant de regagner leur domicile.
J’évoque cette période avec beaucoup de tristesse. J’aurais aimé faire exfiltrer ma famille, certains d’entre eux, ceux que je savais être les plus exposés, comme mon cousin Canisius, pour qu’ils puissent quitter Kigali mais il était déjà trop tard ! Moi, comme d’autres, nous avons échoué… Kigali était bouclée par toutes les sorties, on ne passait plus quand on était Tutsi! La tension était à son maximum !
Nous ne sortions pas de la maison, cette semaine-là, sauf une fois pour aller au petit marché de Nyamirambo, tout prêt de la maison, avec Geneviève, pour un petit ravitaillement. Mon cousin dormait à l’extérieur et rentrait au petit matin…. Des cris, des hurlements, des sifflets, des attaques à la grenade des Interahamwe dans le quartier rythmaient ces journées sans fin… !
Nous avions peur et tous les jours on subissait la provocation des miliciens qui faisaient brûler de gros pneus à longueur de journée devant la pharmacie, et qui envoyaient des cailloux sur le toit à longueur de journée et parfois la nuit…
Je me souviendrai toujours des conseils trop naïfs de Geneviève qui me disait de ne porter que des pantalons, car, on ne sait jamais ! Elle et les autres femmes portaient des caleçons longs sous leur pagne ! Comme si cela pouvait éloigner les violeurs… !
L’insécurité était totale dans le quartier de St-André et ailleurs dans Kigali. Nyamirambo était réputé pour être habité par beaucoup de Tutsi. Ma mère était très inquiète, et elle me dira qu’il faut partir le plus vite possible, comme en 1973… « Cette fois-ci, tu as ton mari et des enfants, il ne faut pas que la mort te trouve ici et que l’on périsse tous en même temps » ! Elle ne se faisait plus d’illusion ! Par l’aide d’un ami, j’ai pu avancer ma date de retour… !
Moi, j’ai pu sauver ma peau, mais pas eux !
Le retour en France en ce mois de mars 1994 fut très dur, avec ce sentiment de culpabilité qui ne vous quitte jamais… Je me sentais coupable et lâche, coupable de les avoir laissés, coupable de les avoir abandonnés dans ces moments critiques…! Nous prendrons des nouvelles régulièrement par l’intermédiaire d’un ami. Au vu de l’insécurité grandissante, ma famille a fini par se réfugier au presbytère de la paroisse St-André, en face, pendant la semaine qui a suivi mon retour.
Alain, se met à alerter de nouveau : il écrit à François MITTERRAND, mais c’est un cri dans le désert ! Il ne sera pas entendu à l’image de l’appel de Jean CARBONARE sur le plateau d’Antenne 2 !
Le 6 Avril 1994, je ne me souviens plus exactement de cette soirée en famille. Je me souviens surtout de la matinée du 7 avril, très tôt, le matin, où Alain qui écoutait RFI m’a annoncé la chute de l’avion et la mort du président Habyarimana. Dans la foulée, je téléphone à mon frère à Bruxelles pour avoir des nouvelles fraîches, je prends ma douche et me prépare pour aller au travail. Mais avant même de quitter la maison, je reçois un coup de fil d’une compatriote journaliste, Madeleine, qui m’annonce l’attaque du couvent des Jésuites à Remera, un quartier de Kigali, près de l’aéroport, où nous avions des amis, de la famille et des connaissances. Elle m’annonce l’attaque du domicile de la famille de Cyprien RUGAMBA, un historien, une figure de la culture traditionnelle rwandaise.
Mon frère m’apprend également le sort incertain des personnalités de l’opposition dont celui de Madame UWILINGIYIMANA Agathe, Premier ministre. Avec le voyage que je venais de faire, j’ai compris que la machine était cette-fois ci en marche !
Au matin du 7 avril, peu avant 6 heures, nous apprendrons que des militaires ont investi la maison à Nyamirambo. La pharmacie est pillée et tous les occupants sont priés de sortir, les mains en l’air, dans la cour intérieure de la maison. Ils devaient être autour d’une douzaine avec les amis et visiteurs qui n’avaient pas pu repartir chez eux au vu de la situation. Ils vont réussir en ce matin du 7 avril à rejoindre l’église Charles LWANGA, de l’autre côté du boulevard, moyennant une somme d’argent. D’autres Tutsi du quartier les rejoindront. Ils passeront cette première journée du 7 avril ainsi que la nuit dans l’église.
Le 08 Avril, dans la matinée, peu avant 10 heures, des miliciens accompagnés de militaires attaquent l’église. Ils demandent aux réfugiés de sortir. Des coups de feu sont tirés, des grenades explosent, des corps tombent et jonchent le sol de l’église, tandis que d’autres réfugiés tentent de s’enfuir.
Ma mère, Suzana MUKAMUSONI, âgée de 70 ans, est assassinée de deux balles dans le dos devant l’église. Notre voisine, Tatiana, tombera à ses côtés avec son petit-fils de deux ans qu’elle portait dans le dos. Les trois sont mortellement touchés, ils ne sont pas les seuls, d’autres victimes sont allongées dans la cour de l’église, tuées ou grièvement blessées, comme Gilberte, la femme d’un cousin, plus connue dans la famille sous le surnom de Mama Gentille, elle sera évacuée par la croix rouge sur Kabgayi.
Nous apprendrons que grâce à une pluie abondante qui s’est mise à tomber, les miliciens et les militaires se sont éloignés pour se mettre à l’abri. Pendant ce temps-là, les survivants de l’église parviendront à atteindre le presbytère et à s’y réfugier. Ce jour- là, mes deux cousins en font partie.
C’est en fin de journée du 8 avril que j’apprendrai la mort de ma mère. Alain a pu avoir au téléphone un des prêtres de la paroisse, le père Otto MAYER, qui lui demande de rappeler en fin de journée. C’est le curé de la paroisse, le Père Henry BLANCHARD, qui lui apprendra l’assassinat de maman. Mon corps m’abandonne en apprenant la nouvelle : je ne me souviens plus de la suite de cette soirée du 8 avril.
Des 14 occupants de la maison de Nyamirambo de ce 7 avril, seule mama Gentille survivra à l’attaque du 8 avril avec des blessures par balle. Mon cousin Canisius KAGAMBAGE sera fusillé au couvent des frères Joséphites, à 200 m environ de la paroisse, le 6 juin 1994 chez qui il était parvenu à se cacher avec environ 90 autres Tutsi.
Nous avons retrouvé sa dépouille lorsque la fosse commune de chez les Frères a été ouverte, grâce à sa carte d’identité dans la poche de son pantalon. Quant à ma cousine Geneviève, elle sera tuée le 10 juin, à quatre jours d’intervalle, avec la centaine de réfugiés de la paroisse St-André, parmi eux, on compte beaucoup enfants !
Elle sera jetée dans une fosse commune d’un quartier de Nyamirambo, avec d’autres victimes. Ils ont été jetés vivants pour beaucoup d’entre eux. Les miliciens y ont mis des pneus et les ont brûlés avec de l’essence. Et lorsque la fosse a été ouverte en 2004, on n’a pas trouvé de corps, juste des bouts de rotules et quelques mâchoires ! Nous avons même été privés de leurs dépouilles. Difficile d’entamer un travail de deuil !
Nos familles de Kigali ont été décimées. Je vous parlais de la famille de ma tante Pascasia, à Gikondo. Ils ont été attaqués très tôt le matin du 7 avril, ce fut un carnage :
Ont été assassinés à Gikondo :
Sa fille, ma cousine Christiane MUKARUGWIZA et ses 5 garçons :
MUGANZA Patrick Emery 23 ans
MUGANZA Alfonse 22 ans
MUGANZA Emmanuel 21ans
MUGANZA Louis Philippe 19ans
MUGANZABenjamin 17 ans.
Ont été assassinés :
Son frère Michel KABAKA et sa femme KABAGWIRA Gertrude
Ont été assassinés :
Son autre frère Pierre MURINDAHABI et sa femme Annonciata
et leurs 3 filles :
Josée : 10 ans
Christiane : 9 ans
Nicole qui n’avait que 2 mois, née en février 94
A été assassinée :
L’autre sœur Joséphine MURORUNKWERE, à Nyamirambo ,
elle habitait près de chez Geneviève, assassinée avec ses 3 filles :
Clémentine UMUTESI : 21 ans
Les jumelles Yvonne MUDAHOGORA et Yvette WIHOGORA : 18 ans.
De cette famille, survivra ma tante Pascasia et le petit Yves, fils de Michel KABAKA et Gertrude qui avait 7 ans à l’époque. Ma vieille tante et le petit Yves ont eu la vie sauve car ils étaient restés à Kiyovu chez Philippe. Yves a pu être évacué le 12 avril avec Philippe pour la France. Ma tante a été abandonnée sur place et a survécu cachée dans des conditions que je n’ai pas le temps de vous raconter aujourd’hui… Après le génocide, elle a perdu complètement l’usage de la parole. Quant à Yves, il a été adopté par sa tante Pauline, et son mari Philippe. Il a deux sœurs et cousines : Sophie et Sandra.
Ont été assassinés :
Mon autre cousine Supera, qui nous accueillait toujours car elle habitait près de l’aéroport, elle sera assassinée très tôt le matin du 07/04 chez les Jésuites où elle travaillait. Son mari, Léopold, avait été tué par les interahamwe en 92. Son fils Richard, 20 ans, sera assassiné à Butare fin avril où il passait des vacances de Pâques en famille.
Mon cousin Gaspard, lui, sera découpé à Nyamirambo, il a eu une mort atroce, ayant agonisé pendant des heures… les Interahamwe lui ont fait une opération, parait-il, pour voir à quoi ressemblait le cœur d’un Tutsi…
Mon autre cousin, Vianney, sera tué avec sa femme Christine à Remera, lui aussi, et leurs 5 enfants, jetés dans les latrines de la maison où ils ont agonisé pendant une semaine en appelant des secours qui ne sont jamais arrivés !
Le grand frère de Vianney, NDORI et sa femme Lucie habitaient dans le haut Remera, ils avaient 6 enfants, deux seulement ont survécu.
Mon autre cousine Anastasia, a survécu à l’église de la Ste- Famille, non loin du « péage », avec ses deux plus jeunes enfants, Cliff et Michèle, son mari MURIGANDE Michel et ses deux grands garçons Claude et Eric ont été tués à leur domicile.
Je pense aussi à nos familles, des oncles qui habitaient à Kanombe, près de la résidence du président HABYARIMANA.
Chez l’oncle Elias : a été assassinés sa femme et 9 enfants. Chez l’oncle NDEZE : a été assassinés sa femme et ses 3 enfants. Chez l’oncle MURARA : a été assassinés sa femme, leur fils NYARWAYA, sa femme et leurs 6 enfants. Ont été assassinés son autre fils SANANI , sa femme et leur 4 enfants. Ont été assassinés, Marie leur fille et ses 4 enfants.
Seule Florence a survécu, dans la famille, très grièvement blessée, abimée, humiliée, souillée dans son corps de femme.
Nos familles ont été tuées ainsi que celles des autres tutsi dès la chute de l’avion présidentiel dans la soirée du 6 avril, attaquées par les GP et les interahamwe.
On ne pourra pas tous les citer, ils sont trop nombreux … !
Parmi les nombreux amis et connaissances de Kigali emportés par le génocide, je citerai quelques victimes de la barrière du péage, un lieu évoqué dans cette cours non loin du domicile de SIMBIKANGWA :
RUTABANA Pierre, sa sœur et ses trois enfants
NTAGANIRA
KAZUNGU, sa femme et leur bébé
GODEBERTHE et ses 5 enfants
GUMILIZA Innocent et sa fille Mignonne
SEBUSHISHI Pierre
RWIYEGURA Albert, chauffeur à Radio Rwanda
BIHEHE Frédéric
De nos familles nous n’avons enterré personne…
Je me souviendrais toujours de ce mois de juin 2004, où nous avons dû partir précipitamment, tous les deux lorsqu’une amie nous a annoncé qu’une fosse commune avait été identifiée à la paroisse St-André. D’après certains récits, ma mère pouvait se trouver dans celle-là avec ceux qui avaient été assassinés aux environs de la paroisse. Nous partons tous les deux pour Kigali sans nos enfants. L’ouverture de la fosse s’est faite en présence des familles venues de partout : et des amis proches.
C’est un rituel immuable : des ouvriers que l’on paie pour cette tâche bien particulière, celle l’ouverture des fosses communes…On vit des moments difficiles devant ces fosses du désespoir… ! Ce sont des odeurs qui ne vous quitteront plus jamais, elles restent imprimées pour toujours dans votre cerveau !
De cette fosse de la paroisse St-André, deux corps seulement ont été formellement identifiés, il s’agit d’un jeune joueur de basket de 20 ans, Emmanuel, je crois, reconnu par son frère. Son corps entier va apparaitre, en tenue de sport, maillot orange fluo, numéro 14 : il semblait dormir d’un sommeil profond, la tête enfoncée dans le sol rouge sableux de cette terre de la paroisse. L’autre corps était celui d’un jeune garçon de 7 ans, identifié par son cousin, grâce aux habits qu’il portait ce jour- là.
Pour ma part, je me contenterai d’un bout de bracelet en cuivre et d’un chapelet comme unique signe distinctif, en espérant que c’étaient ceux de ma mère. Je les ai ramenés à Reims pour les montrer à nos enfants !
Nos morts hantent toujours nos esprits, en particulier certains, les enfants surtout, emportés dans leur innocence, emportés sans rien comprendre.
Du côté de ma mère, aucun survivant retrouvé à ce jour ! Des familles entières disparues à jamais ! Des lieux méconnaissables, transformés par les nouveaux occupants, c’est l’après génocide… !
Le génocide c’est la mal absolu. Le mal dont on ne guérit jamais. Chacun essaie d’y survivre à sa manière, à sa façon, pour éviter de disparaitre à son tour !
Pour ma part, je me soigne par l’action et par cette quête de vérité et de justice ! Cette justice qui nous a manqué : on pouvait tuer le Tutsi sans être inquiété au Rwanda de 1959 à 1994. L’impunité était la règle établie. Le Tutsi n’était pas un homme, simplement un cafard, un Inyenzi, un serpent, il était malhonnête et mauvais en affaire. C’était un étranger dont il fallait se débarrasser par n’importe quel moyen, le renvoyer chez lui en Abyssinie par la rivière Nyabarongo !
En 1994, au Rwanda, les Tutsi ont été abandonnés de tous ! Nous assistions à leur mise à mort, de loin, nous, leur famille, et en direct, impuissants, démunis, anéantis… On regardait tous ces corps dépecés, décomposés dans les rues de Kigali à la télévision, et partout ailleurs dans le pays, ces corps gonflés, dénudés et charriés par nos rivières, nous étions face à l’indicible.
Les appels aux secours de ceux qui se cachaient encore quelque part nous arrivaient : je pense aux réfugiées de l’Hôtel des Mille Collines qui nous envoyaient des fax pour des prises en charge, des appels de ceux qui se cachaient quelque part. Je me souviens de cet appel de Régine, une amie, qui voulait que l’on avertisse la MINUAR de l’endroit où elle se cachait, je me souviens d’Irène qui nous a annoncé que les tueurs arrivaient à sa porte, puis le téléphone s’est tu, et puis plus rien, son corps baignait dans son sang, à l’entrée de sa maison, lorsqu’elle a été trouvée.
Nous nous sommes mobilisés, en France, dans toute la diaspora, à travers l’Europe, à travers le monde, des pétitions étaient lancées, nous irons de manifestations en manifestations, mais nos appels au secours sont restés lettre morte ! Nous étions au-delà de la tristesse, au-delà de la colère, au-delà du chagrin, nous étions anéantis!
En 1994 au Rwanda on a fermé toutes les frontières et on a tué les Tutsi, au grand jour, pendant trois mois, du nord au sud, d’est en ouest. Les Tutsi ont été exécutés sauvagement par leurs frères de sang sous les ordres d’un état génocidaire, une énorme machine à fabriquer la mort, avec l’encadrement de la garde présidentielle et des militaires,ce fut le cas dans la ville de Kigali. C’était le seul travail, il n’y a pas eu d’autre occupation ! Leurs cadavres crevaient nos écrans.
Pascal SIMBIKANGWA n’en a pas vu, il habitait à 100 m de la barrière de chez les chinois, et il circulait librement dans Kigali…!
En 1994, au Rwanda, les Tutsi n’ont pas été enterrés, leurs corps en putréfaction ont été ramassés par des camions- bennes à ordures, et jetés dans des énormes fosses creusées pour l’occasion, vivants ou morts, jetés dans des latrines, dans des rivières, mangés ou déchiquetés par des chiens, par des rats, par des rapaces, dans toutes les rues de Kigali et ailleurs dans le pays. Les cadavres des barrières de Kiyovu ont subi le même sort.
Pour nous, Il y a désormais un avant et un après 1994.
Face à l’histoire, notre Histoire, l’Histoire du génocide des Tutsi, ma génération a une énorme responsabilité. Nous avons traversé toute cette période trouble de 1959 à 1994. Nous sommes les témoins de cette Histoire, l’Histoire du Rwanda. Nous allons la léguer aux plus jeunes, à nos enfants, petits-enfants, et aux générations d’après…
Cette histoire, nous devons l’écrire à l’endroit pour leur éviter tant de souffrances, tant de traumatismes. Cette Histoire, je la partage avec l’accusé, Mr Pascal SIMBIKANGWA, sans haine, et sans esprit de vengeance, il est accusé du pire des crimes. Il a eu la parole devant cette cour d’assise : vous l’avez écouté.
Dans cette Cour d’assises de Bobigny, l’histoire du génocide des tutsi a été partagée par la cours : et je m’en réjouis. Chacun devient désormais, à son tour, le passeur de cette histoire, le passeur de cette mémoire, la mémoire du génocide des quartiers de Kiyovu : IBUKA, souviens-toi !
Ici, dans cette Cour d’assises, nous, parties civiles, nous représentons les absents, ceux qui ne sont plus, ceux qui ne viendront pas à la barre pour réclamer justice. Nous les représentons aujourd’hui, nous avons une dette morale envers eux. Nous représentons aussi tous ces rescapés, blessés dans leur chair et dans leur âme. Ce procès leur est destiné en premier lieu, pour leur reconstruction, pour leur deuil ! Ceux qui ont eu la force de témoigner devant vous, à l’image d’Ester MUJAWAYO, rescapée de Kigali, nous a fait partager son calvaire, la mort de son mari : ce n’est pas facile de raconter, car raconter c’est revivre, revivre l’horreur, replonger dans les vieux démons qui ne vous quitte jamais, raconter c’est revivre toute cette souffrance, revivre l’innommable…
La justice contribue aujourd’hui à réhabiliter les victimes de Kigali, ceux de Kiyovu, tués dans leurs maisons, les victimes de chez Janine exécutés, battu à mort, près de chez Pascal SIMBIKANGWA. Toutes ces victimes anonymes tuées sur les barrières de Kiyovu, toutes ces familles sans aucun survivant, évoquées durant ce procès. La justice vient les réhabiliter aujourd’hui à travers ce procès, à travers ces débats, à travers ces récits. Évoquer leur mémoire, évoquer leur souvenir, c’est leur donner une sépulture digne…
« Rendre justice, c’est dire stop » ! a dit Ester MUJAWAYO ici à la barre…
La justice est un acte majeur, une pièce maîtresse, une arme contre l’oubli, une arme contre le négationnisme dont nous avons été témoins dans cette Cour d’assises. Minimiser les faits, les édulcorer, les rendre incompréhensibles, pour ensuite les nier est un objectif des fossoyeurs de la mémoire, notre Mémoire.
Soyons donc vigilants !
Des propos outranciers ont été tenu dans cette cours d’assise pour discréditer le travail des parties civiles , celui du CPCR en particulier, dont la principale activité serait celle de la « fabrique » de faux témoignages auprès des associations de délateurs, dont « Ibuka » ; aller dans les prisons du Rwanda pour corrompre les témoins,… !
Lorsque Simon WISENTHAL a traqué EICHMANN, criminel nazi recherché, il n’a pas utilisé que des moyens légaux et il a bien fait. Pour les victimes, ces individus doivent répondre de leurs actes devant les tribunaux. C’est un devoir citoyen, c’est un devoir de mémoire et de justice, n’ayons pas peur d’agir !
La justice est un préalable à toute réconciliation, et à toute reconstruction : la reconstruction des Êtres, la reconstruction de la société rwandaise et la reconstruction du Rwanda en tant que Nation.
« …N’oubliez pas que cela fut, non, ne l’oubliez pas… » Primo LEVI
Mes remerciements vont à la Cour.
Mes remerciements émus vont à nos avocats, Maîtres Simon FoOREMA Net Domitille PHILIPPART qui nous accompagnent depuis toutes ces années. Je leur exprime ici toute notre reconnaissance.
Toute ma gratitude aux membres du CPCR, qui portent ce travail avec nous : sans eux, rien n’aurait été possible.
A tous nos amis qui nous portent depuis 22 ans, sans oublier ma famille et plus particulièrement les rescapés qui ont vite compris l’importance du « témoignage » dès la sortie du génocide.
Ma profonde affection à nos enfants dont l’immense générosité nous a permis de faire ce travail de « Mémoire et de Justice ». Notre manque de disponibilité a dû peser à certains moments de leur existence et ça continue. Il n’est pas facile d’avoir des parents comme nous ! Ils nous ont acceptés sans jamais nous juger, sans jamais nous rejeter, bien au contraire, ils nous ont entourés de leur soutien, de leur amour. Nous ne les remercierons jamais assez.
Le Jardin de la Mémoire de Bruce Clarke à Nyanza, Kicukiro (préfecture de Kigali)
Après monsieur l’avocat général, monsieur CROSSON DU CORMIER, maitre EPSTEIN remercie Dafroza GAUTHIER pour son témoignage. Il aurait bien des questions à poser mais la décence veut qu’il garde le silence.
Interrogatoire de monsieur Pascal SIMBIKANGWA.
Parole est donnée à l’accusé à qui monsieur le président demande de réagir aux propos des parties civiles ou à ceux des témoins de la veille. Monsieur SIMBIKANGWA choisit d’évoquer le témoignage de monsieur HIGIRO. Pour lui, le témoin “a menti“. “C’est moi qui ai envoyé chercher HIGIRO à sa demande. Deux versions différentes qui montrent où est la vérité” ajoute l’accusé. “Ma version est la bonne. C’est moi qui avait la voiture et les militaires.” Et l’accusé de nous perdre ensuite dans les méandres de sa mémoire. Il évoque l’attaque de Ruhengeri, l’épisode des mines en 1992… Monsieur DE JORNA a beau essayer de le ramener à ses questions, Pascal SIMBIKANGWA s’entête, élève la voix. “Je crois aux grands hommes de France, je veux que vous soyez juste avec moi.” Et de s’en prendre à monsieur Christophe MFIZI et son Réseau Zéro, origine de tous ses malheurs.
“Est-ce que vous voulez que je me défende, oui ou non”, tonne-t-il lorsque, une nouvelle fois le président le rappelle à l’ordre. Il se fâche. “J’ai fait appel… j’ai eu 25 ans… c’est la peine de mort… je suis là parce que je suis en France… je suis condamné avant d’être jugé...”
Et comme une obsession, de faire de nouveau allusion à ce qu’il appelle “l’histoire de CARBONARE” et la difficulté de remettre à la Commission Internationale des Droits de l’Homme le document qu’il avait rédigé. Puis, plus loin: “Je ne suis ni HUGO ni PROUST. Je suis de la francité. Je demande à être traité de façon équitable… J’ai démontré que l’Akazu c’était la haine contre la famille HABYARIMANA…”
Il est extrêmement difficile de suivre la pensée tortueuse de l’accusé. Des soupirs, des sourires répondent à ses propos.
1. Interahamwe : « Ceux qui travaillent ensemble », mouvement de jeunesse et milice recevant une formation militaire, créé en 1992 par le MRND, le parti du président HABYARIMANA. Cf. “Glossaire“.
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2. Gaël FAYE, Petit pays – Grasset, Paris (2016). Pour plus de références, voir notre page “Bibliographie“.
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3. A propos des calomnies de Pierre PÉAN dans ses “Noires fureurs – blancs menteurs”:
http://survie67.free.fr/France/negationnisme/NoiresFureursBlancsMenteurs.html
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Procès en appel de SIMBIKANGWA. Lundi 28 novembre 2016. J22
29/11/2016
La Cour rend deux arrêts de contentieux présentés par la défense. Elle rejette la demande d’information supplémentaire concernant RUGGIU que l’on ne peut forcer à venir témoigner dans la mesure où il vit en Belgique [1]. Même décision concernant la demande de donner acte à propos de l’interprétation que le président aurait faite concernant un texte de SIMBIKANGWA sur le multipartisme,
On aborde ensuite les deux demandes de conclusion déposées la veille par la défense. La première demande concerne un dépôt de demande pour faux à propos de L’indomptable Ikinani [2], pièce déposée par le CPCR. Ce document serait, selon la défense, attribué à tord à monsieur SIMBIKANGWA.
Maître PHILIPPART, avocate du CPCR, craint que cette procédure pour faux n’influence la Cour. Ce dépôt de plainte n’est qu’un prétexte car il n’est pas indispensable dans le dossier.
Monsieur CROSSON DU CORMIER, avocat général, conteste la démarche de la défense. Il s’étonne que la défense ait tant tardé pour déposer leur plainte. Il s’agit « d’une procédure dilatoire, in extremis ». Il partage la position des parties civiles.
Maître BOURGEOT souhaite qu’on fasse une enquête sur celui qui a remis le document à monsieur DUPAQUIER. Maître EPSTEIN s’étonne que ce document ait été remis par un collectionneur. « Maintenant qu’il est traduit, nous déposons plainte. »
Les procédures ne sont pas terminées. La défense dépose aussi des conclusions concernant le site du CPCR, un « site partial, qui contient des faits inexacts ». Il y aurait atteinte à la présomption d’innocence ! Une autre question porte sur le huis clos partiel lors du témoignage de Dieudonné NYITIGEKA. Des techniciens n’auraient pas quitté la salle.
Maître FOREMAN remarque qu’il « est banal de rendre compte de ce qui se passe dans une Cour d’assises. Alain GAUTHIER rend compte de l’audience : c’est son droit le plus strict »[3]. A la Cour : « Vous ne pouvez que refuser ces actes demandés ». Les techniciens sont restés dans la salle ? Mais il y avait aussi un policier, la greffière. « Il n’y a aucune raison, huit jours après, d’accepter ce donner acte ».
Monsieur CROSSON DU CORMIER d’intervenir. Concernant les comptes-rendus du CPCR, « nous sommes en dehors du procès de la Cour d’assises ». Il y a des erreurs ? « Même les chroniqueurs judiciaires les plus chevronnés peuvent commettre des erreurs ». Et de reconnaître qu’il a fait rectifier deux petits détails dans un des comptes-rendus ! Deux techniciens seraient restés lors du huis clos ? Il y avait aussi l’escorte de monsieur SIMBIKANGWA. Il demande à son tour de rejeter ce donner acte.
Maître BOURGEOT revient sur le fait que le site du CPCR publierait des documents qui font partie du dossier, comme le rapport CARBONARE [4].par exemple. Pour elle, il s’agit « d’une violation de l’oralité des débats ».
Maître FOREMAN conteste bien évidemment ces propos. Ces pièces pré-existaient à la procédure. On les trouvait sur internet bien avant le procès. D’ailleurs, il ne s’agit pas du rapport CARBONARE mais du rapport de la FIDH.
Interrogatoire de monsieur SIMBIKANGWA.
Le président souhaite que l’accusé s’exprime sur deux sujets :
– monsieur SIMBIKANGWA a-t-il vu des cadavres ?
– quel a été son emploi du temps d’avril à juillet 1994 ?
L’accusé veut absolument répondre à l’intervention du président du CPCR de vendredi. Le président refuse et comme SIMBIKANGWA insiste, on finit par lui dire qu’il pourra aborder le sujet en fin de matinée.
Concernant le première question, l’accusé rabâche les mêmes choses. Il n’a vu qu’un cadavre, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de morts. Il ne se déplaçait pas avant 9 heures et les services de la ville avaient déjà débarrassé les cadavres. Une nouveauté toutefois : il a vu des camions transporter des corps !
SIMBIKANGWA conteste les propos des frères GAHAMANYI. Ce sont des menteurs. Et d’ajouter : « Avant, les gens mentaient moins. Ils ont moins de liberté. »
Son état d’esprit le 6 avril au soir ? Il était tétanisé ! Il a appelé la garde présidentielle, à Kanombe. Plus de dire qu’il était abattu. « Je n’ai pas eu la force de penser. J’aimais beaucoup HABYARIMANA. Ce n’était pas un démocrate mais il a toujours eu le sens de l’écoute des autres. Toujours un homme humble. Je l’aimais parce qu’il était pour la modération… Et puis, c’était ma famille. »
Le 7 avril, il ne fera rien. Il aurait souhaité aller voir le corps, mais le FPR bloquait les routes ! Et puis, le ministre de la Défense avait interdit de sortir. Il accueillera des gens le 8 avril et partira pour Gisenyi le 9 pour conduire les membres de sa famille. Le 12, nouveau départ pour le Nord pour transporter des membres de la famille GAHAMANYI mais il reviendra vite pour s’occuper des réfugiés qui sont chez lui. Le reste du temps, il écrivait. Il écrivait l’histoire en marche, à partir de ce qu’on lui racontait ! Cinq manuscrits qui disparaîtront à Mayotte !
Il partait tous les matins comme s’il allait au travail, selon les témoins ? « Ce sont des enfantillages ! » Ni BAGOSORA [5]., ni RENZAHO [6]., le préfet, ni BIZIMANA, le bourgmestre, ni SEZIBERA ne l’ont vu dans cette période ! Il est toujours sorti pour porter secours aux gens qui l’appelaient. Valérie BEMERIKI l’a vu à une barrière ? Il portait à manger à la famille de monsieur HIGIRO, chez Mustapha.
Il aurait distribué de la nourriture sur les barrières, des choux ? « Je ne suis pas un chouchotier ! (sic) Le témoin Gaëtan NDERERIMANA est « un fou. »
Au président qui souhaite lire le témoignage de ce dernier, maître EPSTEIN ne manque pas de lui faire savoir qu’il « peut lire les déclarations d’un témoin grotesque. » SIMBIKANGWA conteste, il n’a pas distribué d’uniforme. Pou l’avocat de la défense, « c’est du n’importe quoi ! » Et l’accusé de renchérir : « Le juge a considéré ce témoignage comme farfelu. »
Il serait allé à une réunion à l’Hôtel Kiyovu, selon Isaïe ? Maître EPSTEIN proteste véhémentement : « Un témoin a dit qu’il a vu SIMBIKANGWA tuer un prêtre avec ses béquilles ! Vous le lirez ce témoignage ? » Le président insiste. Pour l’accusé, « c’est de la fiction. » RENZAHO [6] ne l’a jamais vu. Quant à BIZIMANA, qui l’aurait vu devant la Présidence avec ses gardes, il est en prison. Peut-être m’a-t-il vu au marché ? De poursuivre : « Monsieur le Président, je vous en prie, voyez les choses froidement. Monsieur GAUTHIER a dit…” Monsieur DE JORNA lui coupe la parole et lui promet de lui laisser un quart d’heure pour parler de monsieur GAUTHIER, si c’est son souhait.
HIGIRO aurait dit que l’accusé n’a pas passé une journée entière chez lui ? « Faux » intervient maître BOURGEOT. Protestation de l’avocat général. Et l’accusé de rejeter en bloc le témoignage de monsieur HIGIRO.
La matinée se termine donc par ce que l’accusé a envie de dire sur monsieur GAUTHIER. Il dit avoir été « très ému par madame GAUTHIER, mais très déçu par l’expression de son mari lorsqu’il a dit : « Vous n’avez pas saisi votre chance de réintégrer la communauté des hommes. » Il a été très touché par ces propos. SIMBIKANGWA se lance alors dans la lecture d’un texte qu’il a dû écrire pendant le week-end : incompréhensible ! Et regardant le président du CPCR : « J’ai eu pour maître Jean de La FONTAINE ! Vous êtes professeur ?» Comprenne qui pourra.
Reprise de l’interrogatoire de SIMBIKANGWA dans l’après-midi.
Un assesseur revient sur les cinq manuscrits que SIMBIKANGWA aurait écrits pendant le génocide. Difficile de savoir ce qu’ils sont devenus. Finalement, il a détruit les feuillets et ce qu’il a tapé sur son ordinateur a disparu.
Maître Léa RABAUX, pour la FIDH/LDH voudrait avoir des précisions sur l’emploi du temps de l’accusé. SIMBIKANGWA commence par dire qu’il a des problèmes avec la FIDH à qui il reproche de ne pas l’avoir défendu : « Vous auriez pu être le premier à me défendre, à aider mes conseils ! » Et de reconnaître que “le mot génocide était trop fort pour lui pour l’accepter. » Maître RABAUX lui fait remarquer qu’il a donné quatre versions différentes concernant ses sorties. SIMBIKANGWA n’évoque alors que les sorties qu’il a faites pour aider des gens ! « Ceux qui m’accusent, ce sont les gens que j’ai gardés chez moi, que j’ai sauvés. Ils m’ont trahi. Ils ont dit quelques vérités et ont inventé des faussetés. » Et de poursuivre : « Le génocide est un mot trop lourd : des millions de morts ! L’épouse de GAUTHIER, je ne savais pas qu’elle n’avait pas enterré sa mère ! Comme la mienne ! » Et de détailler son emploi du temps, jusqu’au 17 avril : ses voyages à Gisenyi, la nourriture conduite à ceux qui en ont besoin… Et de redire l’idée qu’il se fait de la FIDH !
Maître Justine MAHASELA, pour la LICRA, interroge l’accusé sur la date du départ de monsieur HIGIRO. Ce serait vers le 15 juin. Tout le monde était déjà parti, même Pascal GAHAMANYI (?). C’est d’ailleurs ce jour-là qu’il serait allé chercher la famille KIBILITI. Revenu vers le 23 juin pour remettre à madame KIBILITI la fausse carte d’identité qu’il lui avait fait faire, ses hôtes étaient partis !
Au tour de maître Rachel LINDON (LICRA) de rappeler à l’accusé ses déclarations devant l’OFPRA en mai 2008. Une fois de plus, SIMBIKANGWA répond à côté et en profite pour critique vertement cette institution. L’OFPRA ? « Corrompu à l’africaine, partant de rien, de rumeurs, de ragots et qui met les gens dans la rue. » Maître LINDON lit des extraits de sa déposition devant la Cour d’appel du Droit d’Asile. L’accusé reconnaît qu’il a menti. Il a changé de nom, comme VOLTAIRE ou ROUSSEAU ! Le président l’arrête : pas de cours de littérature ! A maître LINDON qui lui rappelle ses mensonges à la CNDA, l’accusé se contente de répondre : « Le jour où vous connaîtrez le monde, le trou où je me trouve, vous comprendrez l’homme ! »
Maître FOREMAN s’étonne qu’il ait pu se procurer aussi facilement du carburant pendant le génocide alors que les stations d’essence sont fermées. Après avoir fait répéter la question, il déclare : « Vous avez une très mauvaise information. Vous vous acharnez sur moi. A Kigali on se ravitaillait en essence, jusqu’à la fin”. Il finit par reconnaître que c’est grâce à son uniforme. Des déplacements à Gitarama ? Il est passé par là, mais pas pour rencontrer les membres du gouvernement provisoire. A l’avocat du CPCR qui lui fait remarquer que ses propos sur la famille KIBILITI sont contradictoires avec ceux des filles : « Maître je vous en prie, je vous en prie, je vous en prie ! Vous me prenez pour un menteur ? Tant que vous ne comprendrez pas le problème rwandais… La réconciliation n’est pas entrée dans la tête des gens. »
Monsieur HERVELIN-SERRE s’étonne qu’il n’ait pu téléphoner qu’à deux ou trois contacts. Sa famille et son correspondant BUGINGO ! L’avocat général se dit surpris qu’il n’ait que cet interlocuteur. SIMBIKANGWA répond à côté en évoquant les barrages, parle des informateurs qu’il a payés de sa poche après sa mise à l’écart et ajoute que les informations de BUGINGO lui suffisaient. Il s’est trompé, lui « le professionnel du renseignement » comme le qualifie l’avocat général !
Monsieur le Président demande à l’accusé de répondre aux questions qu’on lui pose. SIMBIKANGWA manifeste : « Est-ce que j’ai un problème avec le Président ? Est-ce que vous avez un préjugé J’ai du mal à me contenir. Je dois être en bons termes avec ceux qui me jugent. » Le président insiste et réitère sa demande. « Il m’est impossible de mentir. J’ai cru l’officier de renseignements. Dans ma propre commune, il n’y a pas eu de morts ! » Quant à BUGINGO, il surveillait sa maison en son absence : pas d’inquiétude donc pour les personnes qu’il hébergeait.
Monsieur CROSSON DU CORMIER s’étonne que personne ne le connaisse sous le nom de SAFARI. L’accusé de redire les raisons pour lesquelles il a changé de nom, ce qui ne répond pas à la question de l’avocat général. « En utilisant le nom de SAFARI devant l’OFPRA, vous vous dissimulez ? » Et de redire pourquoi il a changé de nom en 1992, pour accéder plus facilement au collège. Si personne, parmi les témoins, ne l’appellent SAFARI, c’est tout simplement parce que ce sont des gens qu’il a connus à Kigali. Sans savoir pourquoi, il s’en prend à son chef IYAMUREMYE : « Il m’a harcelé moralement, il m’a détruit, il m’a assassiné, il m’a paralysé... »
« A l’OFPRA, tout le monde s’étonne que vous soyez le capitaine SIMBIKANGWA » poursuit l’avocat général. « Mentir à l’OFPRA ? Il y a avait des arrestations à gauche et à droite. Après, j’ai vu que mentir ne servait à rien. Dans les Ingando, on mettait en place des listes de génocidaires qui étaient jugés dans les Gacaca. J’ai repris SAFARI qui n’était pas connu. »
Maître EPSTEIN lit ce qui est dit par le juge sur Gaëtan NDERERIMANA, milicien condamné pour génocide : impossible que SIMBIKANGWA puisse se déplacer avec des béquilles. « Comment croire une telle personne ? » interroge l’avocat de l’accusé. Et l’accusé d’ajouter : « Ma surprise est double. La juridiction devrait s’en étonner. Pourquoi m’attribuer des choses aussi lourdes ? Ce sont des inventions qui n’ont aucun sens. »
La journée se terminera par l’évocation des deux ouvrages écrits par SIMBIKANGWA, L’homme et sa croix, écrit après son accident, et La guerre d’octobre, publié en 1991 [7]. De longues discussions vont tourner autour de l’idée que l’accusé se fait des Tutsi. Des propos contradictoires. Plusieurs pages seront lues, certaines favorables aux Tutsi, d’autres pas. Quand cela l’arrange, SIMBIKANGWA dit que ce ne sont pas ses propos, qu’il a oublié de mettre des guillemets. Ce que tout le monde conteste, évidemment. En écrivant La guerre d’octobre, l’accusé ne recule devant aucune confidence : « J’étais le CHE GUEVARA ! Il est mort hier !” (NDR. Confond avec Fidel CASTRO!) Il y avait une sur-représentation des Tutsi dans l’enseignement ? « Je n’ai fait que reprendre ce qui s’écrivait », déclare l’accusé, refusant de prendre une nouvelle fois à son compte ses propres écrits. Difficile de savoir à qui pouvait s’adresser La guerre d’octobre [7]. Au FPR, dira-t-il ! Un juré s’étonne que lui, qui était un visionnaire en 1991, ait pu attendre 2008 pour comprendre qu’il y avait eu un génocide !
Maître Justine MAHASELA cherche à savoir si l’accusé a été influencé par Les dix commandements des Bahutu. Il déclare que s’il a publié ce document dans son journal, c’était pour que les Tutsi le voient ! Et pourtant. Page 55 et 59, SIMBIKANGWA parle de « la beauté angélique de leurs filles » pour reconquérir le pouvoir. Expression qui ressemble beaucoup au premier commandement des Bahutu, lui fait remarquer l’avocate.
Maître FOREMAN questionne ensuite SIMBIKANGWA sur la lettre découverte à Nyamitabo, découverte en 1962 et évoquant un plan de reconquête du pouvoir par les Tutsi. C’est un faux, reconnaîtra l’accusé, que l’on rapproche du Protocole des Sages de Sion. SIMBIKANGWA a du mal à dire pourquoi il a publié ce document. De tenir des propos incohérents : « Je suis Rwandais. Je suis pas Français. Je suis pas avocat. J’ai pas d’argent. Je suis Tutsi ! » Et comme l’avocat insiste, n’ayant pas obtenu de réponse : « Sans vous je ne serais pas ici. Sans vos magouilles, sans vos lettres, je ne serais pas là. Vous pouvez tout faire avec de l’argent. Me faire mourir en prison. Vous pourrez jamais m’enlever mon innocence. » Et d’ajouter que cette lettre de Nyamitabo n’est pas de lui, qu’il l’a publiée pour faire reculer le FPR, et pour informer les Hutu. Avec les propos qui suivent, l’avocat du CPCR lui fait remarquer qu’il « noie le poisson », qu’il n’a reconnu que trois morts dans son village alors que GUICHAOUA en dénonce plus de 1000 !
Monsieur CROSSON DU CORMIER revient sur les notions Hutu/Tutsi et trouve que les propos de SIMBIKANGWA sont empreints d’une « ambiguïté énorme. » L’accusé d’ajouter : « Une question pareille c’est très malheureux et ça me fâche. Elle est tendancieuse et déplacée. Elle ne peut pas venir d’un magistrat français. Question tendancieuse car ça me donne l’impression que ma mère n’est pas Tutsi ! Ce que vous dites n’est pas vrai. »
L’avocat général renonce : « Je pose les questions que je veux. Mes questions ne sont pas tendancieuses. On ne va pas gloser pendant des heures. Vous n’êtes ni Italien, ni Indien, ni Norvégien ! »
Monsieur HERVELIN-SERRE revient sur la lettre de Nyamitabo publiée dans Kangura. L’accusé reconnaît qu’aujourd’hui il ne la publierais pas dans son livre. Il l’a pourtant publiée dans le Kangura numéro 4. SIMBIKANGWA répond qu’il n’a aucun lien avec cette revue. S’il a déclaré qu’il n’était plus dans Kangura, c’est un lapsus. Il voulait dire Umurava.
En 1991, il connaissait les Dix commandements des Bahutu ? « J’ai dit le contraire. En écrivant La guerre d’octobre, c’est comme quelqu’un qui voit la maison brûler et qui cache la tête dans le sable. Moi, j’ai pris de l’eau et je l’ai versée sur la braise ! »
L’avocat général lui fait remarquer que Umurava a recueilli, le 6 mars 1992, une interview de lui-même pour promouvoir le livre. « C’est un faux, s’exclame SIMBIKANGWA. C’est un faux. Umurava a été usurpé par Africa JANVIER. » C’est à partir du numéro 2 ou 3 qu’il en perd la direction, et non après le numéro 8 comme le prétend l’avocat général.
Au tour des avocats de la défense d’intervenir. Maître EPSTEIN souligne tous les passages favorables aux Tutsi dans les deux ouvrages de son client qui a œuvré pour la cohabitation entre Tutsi et Hutu. « Hutu, Tutsi et Twa sont égaux à tout point de vue et ils le savent maintenant. Ils peuvent marcher ensemble. » SIMBIKANGWA ne pouvait pas être l’ennemi des Tutsi. « Contrairement à ce qu’on peut penser, ajoute-t-il, et je le dis une fois pour toutes, j’aime les Tutsi. J’aime ma mère. J’aime ma mère que je n’ai pas enterrée, comme la mère de l’épouse de monsieur GAUTHIER. » Maître EPSTEIN demande à SIMBIKANGWA pourquoi il conclut son livre par cette phrase : « Seuls font vivre le bon sens et le respect mutuel entre les humains. » L’accusé de répondre : « Le bon sens permet le recul, permet d’éviter les bas instincts. »
D’évoquer ensuite, à propos de L’homme et sa croix, les difficultés qu’un handicapé pouvait rencontrer au Rwanda. SIMBIKANGWA de reconnaître que, quand on est handicapé au Rwanda, les difficultés se cumulent : difficile de se déplacer, de trouver une chaise roulante, d’obtenir une assurance, de trouver du travail… Difficile d’avoir des relations, de trouver des moyens, d’emprunter. On vous rejette.
Questionné par maître BOURGEOT, il confirme la version qu’il donne concernant le sauvetage de la famille KIBILITI. Maître FOREMAN fait remarquer que l’on a aucune preuve que la famille ait séjourné chez l’accusé.
Maître EPSTEIN revient à la charge et interroge son client sur les élections organisées en juillet 1993 dans la zone tampon occupée par les soldats de l’ONU. SIMBIKANGWA fait remarquer que tous les membres du MRND ont été élus à Byumba et à Ruhengeri mais que ces élections ont été suivies de massacres importants des élus.
« Je voulais vous faire dire qu’il y a avait eu une distribution d’armes », insiste l’avocat. L’accusé de répondre : « Ah ! c’est ça ? Oui, dans le cadre de la défense civile. Des armes ont été données à des Interahamwe. Je ne sais pas si on les leur a reprises ! »
L’audience est suspendue vers 20 heures.
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
1. Inquiet pour sa sécurité et pour la préservation de sa vie privée, Georges RUGGIU avais déjà refusé de témoigner lors du procès en première instance. Citoyen belge, il était journaliste et animateur à la RTLM. Dans ce cadre, il a diffusé des émissions qui ont incité au meurtre ou à des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale des Tutsi et ont constitué des actes de persécution envers les Tutsi, ainsi que certains Hutu et citoyens belges. Ayant plaidé coupable, il est condamné par le TPIR, en 2000, à 12 ans de prison (Cf. “Glossaire“).
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2. L’indomptable IKINANI publié par SIMBIKANGWA a déjà été évoqué plusieurs fois, notamment lors de l’audition de Jean-François DUPAQUIER.
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3. Voir “Les médias qui en parlent…“. Faut-il interdire la publicité des débats publics et suspendre la liberté de la presse?
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4. Contrairement à ce qu’indique par erreur Maître BOURGEOT, ce rapport n’a pas été publié sur le site du CPCR mais sur celui la FIDH depuis de longues années. Nous ne faisons que renvoyer vers ce site à travers le lien rappelé ici : il s’agit plus précisément du “RAPPORT DE LA COMMISSION INTERNATIONALE D’ENQUETE SUR LES VIOLATIONS DES DROITS DE L’HOMME AU RWANDA DEPUIS LE 1er OCTOBRE 1990” (document pdf, site de la FIDH).
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5. Chef de cabinet du ministre de la défense du gouvernement intérimaire, désigné comme membre de l’Akazu et du Réseau Zéro, le colonel BAGOSORA est un des piliers du pouvoir. Il a contribué à armer les Interahamwe à partir de 1991 et a joué un rôle clé dans l’organisation des milices début avril 94. Après l’attentat du 6 avril, il prend la tête d’un comité de crise et installe au pouvoir les extrémistes Hutu. Condamné par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), à la prison à vie en 2008 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sa peine a été réduite à 35 ans de prison en appel en 2011.
Voir le glossaire pour plus de détails.
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6. Tharcisse RENZAHO, le Préfet qui a supervisé les massacres à Kigali, voir Focus/ les réseaux d’influence.
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7. Nombreux sont ceux qui dénoncent les dérives racistes de “La Guerre d’octobre” écrit par Pascal SIMBIKANGWA, en particulier une lettre du 6 août 1962 qu’il reprend page 50 (déjà évoquée par Maître FOREMAN lors de l’audition de Jacques SEMELIN). Un autre extrait de la page 237 sera discuté à la fin de l’audition d’Anatole NSENGIYUMVA.
Télécharger le document : 1ère partie (6,4 Mo) – 2ème partie (7 Mo)
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Procès en appel de SIMBIKANGWA. Mardi 29 novembre 2016. J23
30/11/2016
La Cour rend son arrêt aux fins de renvoi concernant une plainte pour faux. La Cour refuse de donner acte et rejette le renvoi de l’affaire.
Interrogatoire de monsieur SIMBIKANGWA.
SIMBIKANGWA vu par Grumbl.
Monsieur le président DE JORNA souhaite interroger le témoin sur ses fonctions, sur les fournitures d’armes et les instructions qu’il aurait données aux barrières. A la question de savoir s’il a rencontré des personnalités comme SAGATWA, RENZAHO [1], ZIGIRANYIRAZO, BAGOSORA [2]. L’accusé avoue qu’il les a rencontrés à de rares occasions, sans oublier de préciser que SAGATWA est mort dans l’avion du président HABYARIMANA.
Le président de la Cour questionne ensuite l’accusé sur la période qui correspond à son éviction du SCR par Augustin IYAMUREMYE. SIMBIKANGWA déclare qu’avec l’aide du directeur Alphonse MUNYEMANA il a continué son travail pendant deux mois. A ses frais. IYAMUREMYE a chassé les gens du Nord: le vrai Akazu était du Sud. S’il a continué, c’était pour ne pas perdre ses informateurs. Comme il ne pouvait plus les payer, ils sont partis. Il n’y avait pas de renseignements parallèles: il remettait ses informations à son directeur MUNYEMANA.
Le président constate qu’il a toutefois gardé une certaine influence dans la mesure où on lui accorde voiture et gardes! L’accusé déclare qu’il s’est adressé au ministre de la Défense BIZIMANA sur les conseils de Paul RWAGAKABIJE. (NDR. Paul RWAGAKABIJE a passé dix ans dans les forêts du Congo à la tête des FDLR. Il reviendra en 2004 en ramenant avec lui un certain nombre de membres des ex-FAR. Il sera nommé à la réintégration et terminera sa carrière comme directeur des prisons! ) C’est suite à la mort de GATABAZI que SIMBIKANGWA a demandé une protection.
Le président lit alors la déposition d’un certain Alphonse SAGASHYA qui évoque la mort de GATABAZI. Plusieurs personnalités sont citées et accusées d’avoir préparé l’extermination ethnique: Alphonse NTIRIVAMUNDA, gendre du président, Isaac KAMALI (NDR. Visé par une plainte du CPCR en France), LIBANJE, NSENGIYUMVA Rafiki (NDR. Visé par une plainte du CPCR en France), SIMBIKANGWA, Fabien NERETSE (NDR. Visé par une plainte du CPCR en France mais extradé vers la Belgique où il est aussi poursuivi), Pierre KALIMUNDA, le Colonel SIMBA (NDR. Condamné par le TPIR), Onesphore RWABUKOMBE (NDR. Frère de madame HABYARIMANA, résidant en Belgique). Le président veut connaître le rôle du service des Ponts et Chaussées.
Le président ajoute que monsieur GAUTHIER a été interrogé pour connaître la provenance de ce document et que SIMBIKANGWA est cité comme celui qui va chercher des fonds. SIMBIKANGWA de répondre: “Etre jugé, c’est comme ça! J’espère que le ciel donnera la lumière à la Cour. Comment dire que j’ai distribué de l’argent aux Interahamwe? Cette question ne me concerne pas.”
Monsieur le président de la Cour cherche à savoir d’où lui vient son autorité, comme l’ont souligné beaucoup de témoins! “J’avais deux hommes en tenue militaire qui me donnaient la respectabilité, déclare l’accusé. Si je n’avais pas été en roulettes (sic), en tant que Capitaine, j’aurais exercé cette autorité! C’est grâce à eux que j’ai pu aider les autres.”
Au président qui donne l’exemple de Pascal GAHAMANYI concernant son autorité sur les barrages, l’accusé s’étonne: “J’ai du mal à comprendre. Vous répétez les mêmes choses. J’avais deux gardes! Moi j’ai dû montrer ma carte d’identité (NDR. Il vient de dire qu’il n’en avait pas!). Un capitaine n’est pas rien! Monsieur le président, vous doutez de l’autorité du Capitaine?” Et de poursuivre: “Est-ce que vous jugez SIMBIKANGWA? Ou vous voulez me condamner? J’ai déjà expliqué 1000 fois! Rira bien qui rira le dernier!” S’il a demandé une protection, c’est parce que sa mort était prédite. Et d’ajouter, faisant allusion au sauvetage de la famille d’Isaïe: “Si les jurés n’ont pas compris, c’est trop tard. Ce n’est pas moi qui suis allé chercher la femme et les enfants d’Isaïe, c’est son beau-frère Thaddée. Si vous n’avez pas compris cette affaire, monsieur le Président, les autres ne comprendront pas non plus. Vous voulez ma condamnation!”
Le président cite les propos de maître DE CAUNES, l’ancien avocat de l’accusé: “Tant que le mis en examen ne sera pas confronté aux personnes qui le mettent en cause, l’information tournera en rond car leurs déposition peuvent être contestées par les liens de certains avec les parties civiles…” Ces confrontations ont bien eu lieu. Et de revenir sur la réunion à laquelle, selon le veilleur Isaïe, l’accusé aurait participé. C’est au cours de cette réunion que SIMBIKANGWA aurait été désigné pour distribuer des armes! SIMBIKANGWA proteste, personne n’a reçu d’arme de sa part. Maître BOURGEOT conteste les propos du témoin qui s’est rétracté plus tard. L’accusé s’énerve tandis que maître FOREMAN rappelle que le témoin a dit autre chose à la barre. Et l’accusé de redire qu’il n’y avait pas de barrière devant chez lui.
Le président rappelle à l’accusé qu’il visitait les barrières où il exerçait son autorité. “Votre déclaration me prend sur le cœur, reprend SIMBIKANGWA. Ça présage un jugement qui sera faux!” Isaïe, il le reconnaîtrait en voyant son visage. Et de se retourner vers la salle en disant: “Qui est Tutsi?” Réprobation générale! De poursuivre: ” Ce pays c’est le pays de MIRABEAU, de HENRY IV, La FAYETTE! Je voudrais qu’on pense aux hommes qui ont élevé ce pays! Vous ne pouvez pas recommencer la même chose. Ça me sépare de la justice. Ça sert l’intérêt des lobbies mafieux qui me poursuivent.” (NDR. Toujours ce délire verbal dont l’accusé a le secret!).
A ce moment-là les débats deviennent confus. Le président fait remarquer qu’il interroge l’accusé en tant que complice. On est en train d’évoquer le passage à la barre du veilleur Isaïe HARINDINTWARI. Maître EPSTEIN demande à ce que, “pour que le débat ne devienne pas malsain, il faut confronter le témoin avec ce que dit SIMBIKANGWA. Tel que vous posez la question, ce n’est pas clair.” Monsieur CROSSON DU CORMIER de faire une pause, pour calmer les esprits peut-être. Un assesseur se plaint de ne pas pouvoir poser des questions n’ayant pas participé aux confrontations, “qui ont été pourtant été lues” fait remarquer l’avocat général. L’accusé conteste le fait que BAGOSORA soit passé chez lui, aucun agent de l’État ne s’est manifesté.
Entre temps, il est décidé de passer outre à l’audition de deux témoins pour lesquels une décision n’avait pas encore été prise. monsieur Stéphane SMITH, malade, ne peux participer à une visioconférence. Proposition de lire des passades d’un livre de Bernard LUGAN sur proposition de la défense. On passe outre aussi en ce qui concerne BIGEGA qui, selon son épouse, se serait réfugié en OUGANDA.
Maître Justine MAHASELA tente de revenir sur la barrière qui se serait trouvée, selon plusieurs témoins, devant chez SIMBIKANGWA. L’accusé fouille dans ses dossiers, se concentre sur les côtes: “Ici, c’est devenu une sorte de cirque. On est dans un tribunal! Il faut un peu de sérieux et ne pas chercher anguille sous roche. Il n’y avait pas de barrière devant chez moi! On perd du temps!”
Maître Domitille PHILIPPART évoque à son tour la réunion à l’Hôtel Kiyovu et la présence de l’accusé. Et de parler de GUICHAOUA qui le cite. SIMBIKANGWA de protester à nouveau: “Franchement, si c’est la vérité que vous cherchez, je vous la donnerai. Je n’ai jamais su que ces réunions ont existé. Il ne suffit pas d’être accusé pour être coupable. On peut être cartésien et le rester!” RENZAHO, BIZIMANA ne l’ont jamais vu! L’avocate du CPCR relance l’accusé sur l’autorité qu’il avait aux barrières et celle qu’il avait aussi sur ses deux gardes. En vain.
Maître FOREMAN: “Je reviens sur les armes. Je sais que ça vous énerve!” “Ça ne m’énerve pas, rétorque l’accusé, je n’aime pas les hommes corrompus.” L’avocat de poursuivre en faisant remarquer que douze témoins en parlent. “Tous des menteurs?” SIMBIKANGWA: “Commencez par le premier. Monsieur le président. C’est dommage. Je suis déçu d’avoir des avocats pareils. Qu’un avocat français qui n’est pas misérable, qui n’a pas faim…. J’ai fait appel pour que la vérité éclate!” A l’avocat qui repose sa question, l’accusé se contente de dire qu’il exagère. Un des avocats de la défense vient au secours de son client: “Si on avait traité les témoins comme cela, le président ce serait manifesté!” Et maitre AKORRI de faire remarquer que “les témoins ne sont pas des accusés!” Maître FOREMAN revient sur la distribution des armes en citant un témoin mais l’accusé trouve que l’avocat du CPCR “sort de l’instruction.” L’avocat du CPCR renonce par jet de l’éponge.
Monsieur HERVELIN-SERRE de revenir sur l’arme donnée à REKERAHO “pour protéger SADALA“. Il a bien eu cette arme de son informateur BUGINGO, “ça ne venait pas de mon stock!” (NDR. L’accusé laisserait-il entendre qu’il avait un stock?) Et puis cette arme n’aurait jamais tué personne! SIMBIKANGWA aurait-il donné des armes à d’autres personnes? Il a aidé tous ceux qui lui ont demandé de l’aide. S’il n’avait pas été en chaise roulante, il aurait peur-être fait mieux! Ses gardes tenaient leurs armes de leur unité. Les munitions? “Pour quoi faire? Ils ne se sont jamais battus. Contrairement à ceux qui ont raconté des choses par malveillance, ou calcul… je n’ai jamais vu mes gardes partir seuls en journée. La nuit, ils allaient boire!” L’histoire de Laurent, le chauffeur, l’aurait-elle troublé? Il a demandé à Pascal de toujours partir avec lui. Il a même souhaité changé de gardes! En vain.
Plusieurs dizaines de personnes hébergées chez lui? ” Vous me prenez de court. J’aurais pu préparer une liste!” L’avocat général insiste: “Des dizaines?” Et SIMBIKANGWA de répondre: ” Vous doutez du fait que j’ai hébergé des gens. Toutes les personnes qui se sont présentées chez moi ont pu entrer.” De reconnaître que les Tutsi assassinés en dehors de la guerre sont bien des victimes du génocide.
Monsieur CROSSON DU CORMIER veut revenir sur sa fuite du Rwanda. Il s’appuie sur la déclaration de Pierre-Célestin HAKIZIMANA Pourquoi être parti alors qu’il est innocent, qu’il a caché des Tutsi? Pascal GAHAMANYI est bien revenu? “On peut avoir peur des balles perdues, des règlements de compte. Si j’étais resté, le FPR m’aurait-il laissé le temps de me défendre? Victor HUGO a fait 27 ans à Jersey, DE GAULLE a fait 4 ans à Londres! Je me suis enfui pour attendre que les choses se calment pour retourner dans mon pays. Or, j’étais poursuivi par le TPIR qui n’a rien trouvé. Le Rwanda a essayé de me reprendre… J’ai été incompris. J’ai laissé ma famille à Goma? Mes parents avaient refusé de partir. Moi j’ai dit : “Partons, nous reviendrons!” La paix attendue n’est pas revenue.”
“Mais vous êtes innocent?” continue l’avocat général. “Si j’avais été libre, peut-être serais-je rentré. J’attends que la justice dise que je n’ai rien à faire dans cette affaire.” L’avocat de poursuivre. Autre scénario. ” Je suis à Mayotte, dans le pays de Hugo, Voltaire, Zola, je suis infirme, j’ai travaillé dans l’administration… Est-ce que je peux avoir l’asile…” Pourquoi n’avoir pas dit la vérité alors que vous aviez atteint le pays des droits de l’Homme?”
SIMBIKANGWA de s’offusquer. “Monsieur l’avocat général, votre ton est martial, vous êtes trop jugeant (sic), trop dur avec moi. Hier, j’ai dit que j’ai menti. Je suis venu avec un passeport au nom de SAFARI… Il faut être réfugié pour comprendre la situation. Etre Hutu ou Tutsi me donne quel avantage?”
Maître BOURGEOT, se référant à l’OMA, signale que son client traverse la frontière avec Bernard MUNYAGISHARI et SERUSHAGO. Elle demande ensuite que l’on place les barrières sur un plan pour prouver que l’on ne peut pas voir la barrière des Chinois de la maison de SIMBIKANGWA.
Doit-on passer outre pour les témoins qui ne sont pas venus? Pour SMITH, BIGEGA et RUGGIU, on peut passer outre. Quant à monsieur TWAGIRAMUNGU, la défense propose le visionnage d’une interview sur France 24 en compagnie de madame GAUTHIER.
Il est fait remarqué à l’accusé que dans une interview donnée à Reporters sans Frontières, vous reconnaissez avoir financé Umurava jusqu’au N°10! SIMBIKANGWA, manifestement touché: “Je ne répondrai pas, j’ai autre chose à faire!” Maître PHILIPPART enfonce le clou en lisant une retranscription de l’interview. Au tout de maître FOREMAN de lire à son tour deux extraits du N°2 dans lequel s’exprime la haine des Tutsi, sans parler du rôle des femmes tutsi! Monsieur HERVELIN-SERRE signale qu’il avoue, dans le même texte, “contrôler” le journal.
SIMBIKANGWA: “On exagère chaque fois. On me prête ce qui ne m’appartient pas.” Et de s’éloigner du sujet: “Ma mère était Tutsi, ma femme était mixte, la mère de mon père était Tutsi… FOREMAN, il peut tout transformer!” L’avocat du CPCR de commenter: “Je ne transforme pas, je lis!” Et l’accusé de reprendre: “On fait des fabrications sur moi. On fait tout une soupe. Je ne suis pas un homme parfait, mais pour l’amour de ma patrie, je n’ai pas de leçon à recevoir, pour les Hutu, pour les Tutsi… On travestit le bien en mal… Qui veut brûler son chien, son chat… l’accuse… je sais pas moi… de la rage!” (sic). Et l’accusé de s’en prendre encore à Simon FOREMAN, sa bête noire.
Monsieur HERVELIN-SERRE fait remarquer que les propos lus dans l’interview ne relèvent pas du lapsus. Il parle d’une dizaine de journalistes qu’il a fait “descendre” , qu’il était responsable de ce service. Jusqu’au N°8, SIMBIKANGWA était bien là, selon les propos de madame Linda KIRCHE. L’accusé reconnaît que cette interview n’est pas fausse et qu’il n’a rien fait de délictueux. Il réaffirme qu’il n’a travaillé que jusqu’au N°2: ” Eux (les Parties civiles?), ils sont fabricateurs de faux papiers. (NDR. L’accusé connaît bien le sujet: c’était son métier à Mayotte). Ils travestissent tout ce que j’ai fait de bien en mal. Ils conseillent mal le Rwanda. Ils poussent le Rwanda à rester dans le conflit. Ils refusent absolument mon innocence… J’ai été mis en prison sans dossier. Maître FOREMAN veut l’embrouille, il noie le poisson. Il ne suffit pas d’être GP pour être génocidaire, il ne suffit pas d’être du Nord pour être génocidaire, il ne suffit pas d’être de la famille de HABYARIMANA…”
Le président relit la dernière phrase de son audition: “Je suis une des victimes d’une cabale des associations de victimes par dénonciation et montage! ” L’accusé confirme.
Le président rapporte d’autres propos de l’accusé: “Je vais vous dire quelque chose de grave. Le génocide est un instrument de pouvoir… Il y a des gens qui s’enrichissent de ça.”
SIMBIKANGWA confirme à nouveau. “J’ai 9 ans de prison. C’est l’enrichissement illicite et personnel. Ils (?) trompent. Ils fabriquent les témoins. Je pense que c’est injuste. Moi, j’ai défendu les Tutsi minoritaires… Vous avez lu RUZIBIZA, le Tutsi 100 %. Je n’ai jamais attaqué le Tutsi en tant que tel. Ils (?) mettent le crédit de l’intelligence à leur compte et mettent l’opprobre sur moi. Je ne dis pas que monsieur GAUTHIER cherche à vivre du commerce de moi (sic). Il commet la faute d’écouter les gens.” (NDR. C’est pourtant clairement dit!)
Après une intervention pas très compréhensible de maître BOURGEOT concernant le document de madame Linda KIRCHE, maître EPSTEIN tente un dernier baroud d’honneur.
Maître EPSTEIN : “On vous attribue des documents que vous rejetez ?”
SIMBIKANGWA : “C’est un problème de désinformation par le FPR. Le FPR s’est servi de Umurava pour son propre compte. RUZIBIZA, lieutenant du FPR, garde du corps de KAGAME en 2001…” (NDR. RUZIBIZA a été l’informateur privilégié du juge BRUGUIERE dont on connaît le sort de l’ordonnance!).
Maître EPSTEIN : “Le FPR a fait publier des faux pour salir votre image ?”
SIMBIKANGWA : “Le FPR est responsable du chaos, de la désinformation. Quand des frères se battent, vous faites tout pour les ramener sur la bonne voie. Mais tous les condamnés pour génocide ne sont pas innocents.”
Maître FOREMAN explique qui est RUZIBIZA dont parle tant l’accusé : l’informateur privilégié du juge BRUGUIERE qui s’est rétracté trois ans plus tard !
SIMBIKANGWA ne peut s’empêcher de revenir sur L’indomptable Ikinani [3] pour rappeler que les juges d’instruction n’en ont pas trouvé de copie lors de leurs séjours au Rwanda.
Le président se voit dans l’obligation de rappeler à l’accusé que les juges l’ont renvoyé devant une Cour d’assises parce qu’ils ont estimé qu’il y avait assez d’éléments. Les acquittements de première instance sont acquis : le parquet a fait un appel incident. Ceci dit pour calmer les inquiétudes de l’accusé.
Monsieur HERVELIN-SERRE donne lecture de la déclaration du chef de service de presse de la Présidence des USA en date du 22 avril 1994, suite à une visite de Monique MUJAWAMARIYA, activiste rwandaise des droits de l’Homme. Demande est faite à quatre dirigeants rwandais de calmer le jeu. Le nom de SIMBIKANGWA apparaît au côté de ceux de BAGOSORA et de BIZIMUNGU. Et l’accusé de replacer la publication de ce document dans le cadre d’un sauvetage qu’il aurait fait en faisait libérer des gens transportés par des soldats de la MINUAR.
La défense donne connaissance d’une jurisprudence de la CNDA (Cour Nationale du Droit d’Asile) concernant une femme devenue présidente de la Gacaca [4] de Gasabo (Kigali) obligée de traduire le curé de Ndera sur pression des autorités. De lire ensuite un autre arrêt concernant une autre affaire. Maître FOREMAN s’interroge légitimement : “Pourquoi nous lit-on cela ?” Réponse de maître BOURGEOT : “Beaucoup de témoins mentent… ces deux arrêts illustrent cela.” L’avocat du CPCR de réagir à nouveau : “Et quel rapport avec le procès d’aujourd’hui?” L’avocat général fait remarquer que l’arrêt de la Cour d’appel de Mamoudzou a refusé l’extradition de SIMBIKANGWA car il n’y avait pas de garantie de témoin à décharge au Rwanda !
La défense demande la lecture de plusieurs documents. Un article traduit par GUICHAOUA, Le régime autoritaire du Rwanda, et surtout des extraits d’un livre de Bernard LUGAN, Un génocide en question ?
Maître FOREMAN ne peut qu’intervenir en exprimant son désaccord total. Monsieur LUGAN est un royaliste proche de l’extrême droite qui participe au site de Robert MENARD. En 2015, il a été remercié par le ministère de la Défense.
Maître AKORRI s’étonne que la défense ne l’ait pas fait citer à la barre.
Au tour de monsieur CROSSON DU CORMIER de parler de LUGAN. “C’est un historien africaniste qui a été coopérant au Rwanda dans les années soixante. Il a épousé les thèses de l’époque. Il est connu pour faire des conférences avec Alain SORAL régulièrement condamné… On aurait pu le faire citer.”
La défense provoque alors un incident. L’avocat général répond à maître EPSTEIN qu’il ne fait pas des “observations de bas étage ni les soldes” comme l’avocat vient de le laisser entendre. L’avocat de SIMBIKANGWA ne lâche pas prise, et avec une certaine impertinence : “C’est ce qui vous reste en magasin. C’est les soldes.”
Encore une lecture. Celle d’un article de GUICHAOUA et SMITH cité par LUGAN : Rwanda, une difficile vérité. PEAN et RUZIBIZA sont les détenteurs de la vérité. Le FPR y est diabolisé.
Puis de faire l’inventaire des cotes du dossier. Maître EPSTEIN parle de Gérard HAKIZIMANA qui “s’est présenté spontanément”. “Le président du CPCR n’a pas pu dire d’où il tenait ce document.” “FAUX !” tonne maître FOREMAN. “Il a dit que ce document venait du parquet de Kigali. Monsieur GAUTHIER a répondu qu’il ne savait pas dans quelle procédure cette déposition était utilisée !”
L’avocat général, monsieur CROSSON DU CORMIER est invité par le président à s’exprimer sur les qualifications qui seront retenues. A l’origine, SIMBIKANGWA était poursuivi pour complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité. De redire que les acquittements sont définitivement acquis. Par contre, il a bien été condamné pour génocide et complicité de crimes contre l’humanité. A son tour, il demande la requalification pour génocide. Il souhaite que les questions posées aux jurés le soient dans les mêmes termes qu’en première instance. Maître FOREMAN déclare que c’est bien compris du côté des parties civiles. Seule maître BOURGEOT ne comprend pas pourquoi on passe de la complicité de génocide à génocide. Elle est bien la seule.
L’audience se termine par un donner acte concernant le site du CPCR. La Cour rejette la demande de la défense.
La journée de mercredi sera consacrée aux plaidoiries des parties civiles:
Maître Léa RABAUX pour la FIDH/LDH.
Maître Justine MAHASELA et maître Rachel LINDON pour la LICRA.
Maître Jean SIMON et maître Safya AKORRI pour SURVIE.
Maître Simon FOREMAN et maître Domitille PHILIPPART pour le CPCR
Leurs plaidoiries seront publiées sur le site dès que chaque avocat les auront remises au responsable.
1. Tharcisse RENZAHO, le Préfet qui a supervisé les massacres à Kigali, voir Focus/ les réseaux d’influence.
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2. Chef de cabinet du ministre de la défense du gouvernement intérimaire, désigné comme membre de l’Akazu et du Réseau Zéro, le colonel BAGOSORA est un des piliers du pouvoir. Il a contribué à armer les Interahamwe à partir de 1991 et a joué un rôle clé dans l’organisation des milices début avril 94. Après l’attentat du 6 avril, il prend la tête d’un comité de crise et installe au pouvoir les extrémistes Hutu. Condamné par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), à la prison à vie en 2008 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, sa peine a été réduite à 35 ans de prison en appel en 2011.
Voir le glossaire pour plus de détails.
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3. L’indomptable IKINANI publié par SIMBIKANGWA a déjà été évoqué plusieurs fois, notamment lors de l’audition de Jean-François DUPAQUIER.
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4. Gacaca : Tribunaux traditionnels au Rwanda, réactivés en 2001, en raison de la saturation des institutions judiciaires pour juger des personnes suspectées de meurtre pendant le génocide. Composées de personnes élues pour leur bonne réputation, elles ont une vocation judiciaire et réconciliatrice. Voir le glossaire pour plus de détails.
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Procès en appel SIMBIKANGWA. Jeudi 1 décembre 2016. J25
02/12/2016
• Réquisitoire de monsieur CROSSON DU CORMIER, avocat général.
• Réquisitoire de monsieur HERVELIN-SERRE, avocat général.
Réquisitoire de l’avocat général monsieur CROSSON DU CORMIER.
Parvenu à ce 25e jour d’audition, je dois tout d’abord adresser ma gratitude à vous, monsieur le Président, Mesdames et Messieurs de la Cour. Vous avez tenu, et vous allez encore tenir la parole, parce que vous allez juger. Beaucoup d’heures passées à écouter, noter, comprendre, retenir vos émotions, maîtriser votre fatigue et votre risque d’inattention. Mesdames et Messieurs les jurés, tout comme je le dis lorsque je procède à l’information des jurés, vous n’imaginiez pas ce que vous alliez vivre pendant ces 6 semaines de procès. Vous avez encore des efforts à fournir, et non des moindres : écouter l’accusation puis la Défense, puis partir délibérer. Vous conviendrez qu’on vous a gardé le plus difficile pour la fin. Vous le voyez, votre opinion n’est pas fabriquée. Depuis ces 6 semaines, le groupe que vous formez s’est sans doute uni par la mission commune qui est la vôtre, et en délibérant, chacun de vous apportera une pierre à l’édifice que l’on vous demande de reconstruire. Vous déciderez en toute liberté.
Après le génocide des Arméniens en 1915, la Shoah, le massacre des juifs, est intervenue cette catastrophe humaine au Rwanda. D’autres pays ont connu d’autres drames. Plus de 22 années se sont écoulées depuis ces évènements. J’ai relevé deux évènements précis qui concernent la France : aujourd’hui-même, hasard, c’est la journée internationale de lutte contre le sida. On a passé des années à lutter contre cette maladie. Et le 7 avril 1994, il y avait sur l’ensemble de la télévision l’opération “Ensemble contre le sida”. Sur le plan international, les forces françaises étaient présentes lors du siège de Sarajevo, qui s’était durci, et le 4 avril une offensive serbe est déclenchée. Dans le même temps, loin de nous et de ce quotidien, survenait ce drame au Rwanda, dont beaucoup de nos citoyens n’avaient pas entendu parler. On avait dû crier plus ou moins fort au massacre. A chaque génocide, on se dit “plus jamais ça”. Ce week-end, vous avez dû entendre qu’on se demandait si ce type de massacre n’avait pas lieu en Birmanie.
On s’est tous posé la question : pourquoi juger en France ces faits, en 2016 ? On sait qu’on fait souvent face à des clandestins, des fuyards. Il faut les retrouver, et les juger. Certains s’y consacrent et nous leur sommes reconnaissants.
M. Pascal SIMBIKANGWA fabriquait des faux-papiers, pour survivre, à Mayotte. Le Parquet général de Kigali avait déjà établi un acte d’accusation avant son arrestation. Une plainte du CPCR a été déposée en février 2009. La France se saisit du dossier. L’information judiciaire a été achevée en 2013. Pascal SIMBIKANGWA a été jugé en 2014 et vient en appel en novembre 2016. Même si les huit années restent longues, ce délai reste raisonnable pour une affaire d’une telle ampleur.
Il est fait le procès du procès, et par moment celui de la France. Je ne peux laisser dire un certain nombre de choses. On vous invoque la thèse d’un complot, celui de la Défense bafouée de ses droits, une atteinte incessante à l’égalité des armes, une instruction à charge uniquement. La Défense se plaignait déjà en 1e instance, sur l’impossibilité d’entendre des témoins. Mais combien ont été recherchés pour l’appel ? La réalité est que les témoins survivants de ce drame sont extrêmement peu nombreux et isolés. La plupart des condamnés pour génocide ont purgé leur peine, sont revenus dans leur région, et vivent dans la proximité de leurs victimes survivantes. Souvent, celles-ci se sentent menacées et font l’objet de représailles. Par ailleurs, le gouvernement actuel prône table rase du passé.
Devant votre Cour, les garanties sont celles que la loi prévoit, d’autre part les parties font leurs stratégies propres. Ce procès ne serait pas équitable ? J’ai observé et répété que des recours auraient pu être exercés, mais ne l’ont pas été. Finalement, vous avez entendu que ce procès a été instruit à charge, que parfois M. le Président vous exprimiez votre opinion. Mais la Défense a pu faire valoir son point de vue sur les documents qu’elle contestait. M. le Président, vous ne pouvez pas tout garder uniquement pour le délibéré, puisque le principe du contradictoire s’applique. C’est là que se situe le procès équitable.
Le transport sur les lieux de la cour d’assises n’est pas prévu.
Je n’ai vu aucune demande de la Défense d’aller sur les lieux des crimes. Je pense que rien n’empêchait cela.
Que vous dire des variations, des déclarations des témoins ? Il est impensable que 22 ans plus tard, vu la multiplicité des témoignages, vu la volonté réelle d’oublier pour continuer à vivre, que des différences n’apparaissent pas. Les non-lieux sont justifiés par la prescription, ou parce que les charges ont été jugées insuffisantes, et non pas inexistantes.
Par ailleurs, il est illusoire de penser que sur une procédure aussi tentaculaire, intense, aucun témoin n’a pu mentir ou au moins tenu des propos inexacts comme dans tous les dossiers criminels. Que vous dire aussi sur la constatation des témoins qui voyagent ensemble pour venir ici ? L’organisation du procès a limité au maximum ce genre de faits, évité qu’ils ne se croisent pour déposer. Il a été fait remarquer que les témoins ne sont pas enfermés dans un camp avant de déposer. Ainsi, nous soutenons que malgré sa situation d’homme d’infirme, Pascal SIMBIKANGWA a bien fourni des armes et participé au génocide. L’attention que vous avez portée aux témoignages doit forger votre conviction.
D’autres responsables de ces horreurs ont été jugés autrement, au TPIR, sans instruction préparatoire comme en France, sans jurés, selon un mode de recherche de preuves très particulier, avec la possibilité d’entendre des témoins dont l’identité était cachée. Au Rwanda, il y avait aussi les Gacaca, dont nous avons pas à juger les méthodes, ce qui a permis le jugement de nombreuses personnes.
Dans tout cela, quel est notre rôle, à nous ? Magistrats, nous n’avons aucune mission politique, diplomatique. En toute conscience, les deux avocats généraux sont les défenseurs exclusifs de l’intérêt général. Nous avons bénéficié de l’aide exceptionnelle du Pôle crimes contre l’humanité de Paris. Il ne s’agit nullement d’une violation du procès équitable, mais d’une justice impliquée. Nous nous réjouissons de cela. Je vous informe que nous n’avons reçu aucune instruction, ni générale ni particulière. Notre mission relève de notre conscience et de notre appréciation purement judiciaire. Notre mission est aussi un devoir, mais pas de soutenir une invraisemblable accusation envers et contre tout.
***
Éléments du contexte
Le Rwanda est un petit pays de l’Afrique de l’Est, entouré de l’immense Congo, de l’Ouganda, de la Tanzanie et du Burundi. Il est le 147e pays au monde sur les 224 en comparant les superficies. Le Rwanda et le Burundi sont en revanche les pays qui ont la plus grande densité de population en Afrique de l’Ouest. Le Rwanda a connu une explosion démographique sans précédent au cours des années 70 et 80. Le pays des Mille Colline bénéficie d’un cadre privilégié. Ce pays a la caractéristique, comme d’autres pays d’Afrique, de connaître trois catégories : les Hutu, qui sont en majorité cultivateurs ; les Tutsi (14%), plutôt éleveurs ; enfin, une toute petite partie de la population les Twa, considérés comme les plus anciens de la région. Au milieu du 20e, cela représente une catégorie socio-professionnelle plutôt que raciale.
Les Tutsi ne seraient-ils pas la noblesse proche du roi ? Une ethnie possède normalement une langue, des cultures différentes d’une autre ethnie, ce qui n’est pas la caractéristique même qui différencie les Hutu des Tutsi. Ici, c’est une différence par rapport aux activités professionnelles. Au Rwanda, les communautés ont fini par se mélanger (intermariages donnant naissance à de nombreux enfants mixtes). La catégorisation ethnique ne correspond pas à la vraie catégorisation. Il n’existe pas de race ou d’ethnie en tant que telle. La génétique nous permet de recevoir chacun un patrimoine, de façon aléatoire. On peut avoir deux parents Hutu, et un arrière-grand-père Tutsi, dont vous hériteriez du pire ou du meilleur.
Notion de génocide du voisinage : les deux communautés connaissaient les mêmes écoles, les mêmes églises, les mêmes patrons et employés.
Quelques repères historiques : un territoire exploité depuis de nombreux siècles, puis colonisé par les Européens, Rwanda gouverné par les Allemands, puis après la défaite de l’Allemagne, les Belges prennent le pouvoir en 1917. C’est sous cette férule colonialiste qu’apparaît la carte d’identité ethnique. Des luttes interethniques ont toujours existé depuis. Il y a toujours des luttes entre le Nord et le Sud. En 1958, les Belges soutiennent les Hutu en voyant dans leur majorité une possibilité d’instauration démocratique. Intervient alors la guerre civile, 300.000 Tutsi fuient le pays, pour se réfugier en Ouganda, au Burundi, en Tanzanie. Proclamation de l’indépendance par les Hutu. En 1963, les Hutu prennent le dessus. En 1973, intervient l’instauration d’un semblant de paix civile par un coup d’État et l’instauration d’une République avec HABYARIMANA. Le Rwanda connaît alors une certaine prospérité. Le pays apparaît comme pacifique. Dans les années 80, des obstacles à cette croissance apparaissent : l’agriculture connaît un déclin notamment. Certains diront plus tard que le génocide a permis de régler des comptes, en dehors de la distinction ethnique. 90% de la population du Rwanda occupe un emploi dans l’agriculture, qui ne représente que 30% du PIB. Secteur non rentable. A la fin des années 80, 500.000 Tutsi étaient réfugiés dans les pays voisins et maintenaient leurs droits de revenir.
M. HABYARIMANA estimait que les conditions économiques et autres n’étaient pas favorables. C’est dans ce contexte que commence la guerre. Tentative d’invasion par le FPR, en 1990. En 1992, cristallisation de la haine envers les Tutsi. Dès le lendemain du discours de Léon MUGESERA à Kabaya, il y a des cadavres dans le fleuve, fleuve dans lequel l’intellectuel avait recommandé de jeter les Tutsi.
A l’époque, la jeunesse en déroute forme des milices. C’est là qu’apparaissent les Interahamwe. En 1993, interviennent les accords d’Arusha qui ont été préparés et signés dans le pays voisin, en Tanzanie. Ils sont signés le 4 août 1993. Ils demandent l’accord du cessez-le-feu, la définition du partage du pouvoir, pluriethnique. Malgré le cessez le feu, et l’offensive du FPR, les officiers extrémistes Tutsi assassinent le Président du Burundi, deux évènements majeurs qui provoquent des massacres. En 1993, création de la radio des Mille Collines, qui instaure un nouveau style, et est entendue par des centaines de jeunes.
En 1994, avertissement que les forces armées gouvernementales dressent des listes de Tutsi en vue de leur extermination. La circulation des armes devient de plus en plus visible. Plus de 500.000 machettes sont livrées entre janvier et février 1994. Le Président s’inquiète lui-même de la situation explosive du pays, en faisant appel aux puissances étrangères et à l’ONU. Toujours en février, se propagent des meurtres politiques. Cependant, aucun document officiel du génocide n’a jamais été découvert. C’est d’ailleurs très souvent le cas. Dans l’histoire, seule la France a eu soin de préparer ce genre de choses.
Le Tutsi est explicitement l’ennemi à cibler. Le Rwanda bénéficie d’un maillage administratif très quadrillé, ensemble dans lequel il trouve sa place, sans y être tout en y étant. Plus de 600.000 Tutsi ont quitté le Rwanda suite aux massacres de 1959. La conséquence : le FPR est créé en Ouganda. Les opposants au progrès démocratique, les tenant d’un Hutu Power extrême, ont refusé la nouvelle organisation politique. Le Rwanda est bipolaire au sens psychanalytique du terme. Certains souhaitent le renfort du pouvoir présidentiel.
S’instaure alors un pouvoir parallèle. En marge du discours officiel d’ouverture, les accords d’Arusha sont bloqués par la mise en place d’un pouvoir parallèle. Ce réseau fait des média du régime des moyens de propagande. Les plus hautes autorités, les hommes les plus influents comme le colonel BAGOSORA, prônent la riposte armée suite à l’attentat contre l’avion du président.
L’exécution est mise en œuvre par des militaires Hutu, puis par des milices armées. D’où les regroupements barrières, les appels de la radio à assassiner. Le soir du 3 avril 1994, 3 jours avant l’attentat, un chroniqueur diffuse ce message : “Il va se passer quelque chose à Kigali, il faut être prêt”. Pendant le génocide, la station diffuse des messages, des lieux, des horaires, des encouragements à fournir “le travail”. Les massacres ont lieu dans des lieux supposés sûrs : églises, écoles, bureaux. Un tiers de la population Hutu s’arme de machettes. Femmes violées, mutilées, enfants jetés dans les puits. Ni l’ONU, ni la France, ni les USA ne parviennent à arrêter ce massacre. Selon les estimations, ces massacres systématiques ont fait quelques 800.000 victimes. La prise de Kigali par le FPR met fin à ce génocide. Deux millions de Hutu ont fui. Nombre d’entre eux vont périr du choléra dans le Congo voisins. Les grands dignitaires, eux, pourront fuir dans d’autres pays.
Ce génocide n’est pas l’expression d’une colère incontrôlable, mais le choix d’attiser la peur et la haine pour conserver le pouvoir.
On a parlé de la France. Certains se posent des questions à ce sujet. La Cour d’assises n’est ni un Parlement, ni un lieu de débat politique, ni une université, ni un laboratoire de recherches historiques, ni un colloque. La justice ne répond pas à la même démarche : elle juge des hommes. Rien de la position française d’alors ne pourrait expliquer le comportement ou la culpabilité de Pascal SIMBIKANGWA. Certes la France a son histoire, et une influence sur le continent africain. On sait, depuis le 19e s, que la France s’est disputée avec l’Angleterre le continent africain. Toujours cette volonté de la France de vouloir imposer sa vision. Le Président G. d’Estaing a mis en œuvre une coopération avec le Rwanda. Discours de Mitterrand à La Baule, prononcé en juin 1990, soit quelques mois avant la guerre d’octobre, appelant à la démocratie. Nous recherchons ici la vérité judiciaire. Ne nous trompons pas de débat. L’évocation très récente de la justice rwandaise d’impliquer des responsables français doit rester à l’écart de ce procès. Ce fait judiciaire ne peut avoir la moindre influence sur le procès de Pascal SIMBIKANGWA.
Dans ce contexte c’est un homme que j’accuse, Pascal SIMBIKANGWA, arrêté à Mayotte dans le cadre d’un trafic de faux papiers. Condamné à deux reprises, en 2006 et 2008 , sa demande d’asile est rejetée par l’OFPRA. Une fiche d’Interpol est découverte à son nom. La France refuse de l’extrader le 14 novembre 2008. Le CPCR dépose une plainte avec constitution de partie civile en février 2009. C’est en novembre 1994 que le Conseil de Sécurité de l’ONU crée le TPIR.
Éléments de biographie.
Pascal SIMBIKANGWA fait l’école militaire, est affecté à la garde présidentielle de 83 à 86. Puis il est victime d’ un accident de la circulation et est hospitalisé en Belgique. Lorsqu’il revient au Rwanda, il est promu Capitaine et obtient de nombreuses prérogatives.
Pascal SIMBIKANGWA a toujours fait partie d’une nébuleuse étatique et présidentielle, du fait de ses liens familiaux avec le président de la République. Qui mieux que lui peut endosser le rôle de l’Homme de l’ombre ? Sa présence, ses convictions, sa proximité avec HABYARIMANA. Il est considéré comme membre des escadrons de la mort (menaces à l’encontre de monsieur KAVARUGANDA). L’Akazu? Il ne peut en avoir été membre puisque l’Akazu n’existe pas, ce qui est contraire à la position du TPIR. Quant à son statut social, il bénéficie d’avantages qui vont au-delà de celui qu’il prétend être.
Human Rigths Watch désigne SIMBIKANGWA comme quelqu’un capable d’arrêter les tueries. Même la Maison Blanche le cite aux côtés de BAGOSORA. Craintif, secret, généreux pour ses proches, méfiant, loyal, minutieux, coléreux, il ne laisse pas indifférent. Il n’était pas un simple militaire zélé, mais un homme influent. Il est doté d’une force de vie exceptionnelle, une force de survie, d’autant qu’il est sûr de son impunité. Il est bien plus qu’un simple fonctionnaire. Les faits de torture, prescrits, illustrent sa personnalité. Sam Gody, SAFARI et madame MUKAKALISA en attestent. SIMBIKANGWA est un personnage contraire de ce qu’il veut montrer. Ce qu’il a été avant le génocide éclaire l’homme qu’il est. Les accusations portées contre lui? Des balivernes, des complots ourdis contre lui!
L’avocat général d’aborder les livres et les journaux de SIMBIKANGWA.
L’Homme et sa croix, écrit après son accident, et dans lequel il exprime son adoration pour son président. La guerre d’octobre (1991) dont l’avocat général analyse le contenu.
UMURAVA. Il a participé à sa création et a publié des articles.
KANGURA auquel il accorde son soutien financier et dans lequel il publie des articles sous son nom et sous pseudonyme.
L’indomptable Ikinani qui ne paraîtra jamais et dans lequel il évoque “la bonne nouvelle du Bugesera.”
RTLM dont il est le 26ème actionnaire pour le nombre de parts qu’il détient.
SIMBIKANGWA a une situation privilégiée, obtient des gardes armés. C’est un homme d’influence qui obtient la surveillance de son domicile par un simple appel à BUGINGO. Monsieur CEPPI évoquera sa présence à Nairobi dans son article concernant l’exil doré d’anciens génocidaires. SIMBIKANGWA était tout, sauf un citoyen ordinaire. De conclure: “Vous devez le juger pour ce qu’il est et pour ce qu’il a fait.”
Réquisitoire de monsieur HERVELIN-SERRE, avocat général.
“Des mensonges, des affabulations, des histoires inventées de A à Z, une cabale, une conspiration, une machination, une supercherie, quelque chose de diabolique qui me dépasse, je suis à court de vocabulaire pour qualifier ces bêtises...” “Ce ne sont pas mes paroles, poursuit l’avocat général, mais quelques-unes des expressions parfaitement maîtrisées” qui sont la marque d’une bonne connaissance de la langue française, même si on pourrait “railler le caractère ampoulé de ses écrits.” Il n’est d’ailleurs pas toujours facile de suivre Pascal SIMBIKANGWA. Il est vrai que chaque culture a sa façon de s’exprimer.
SIMBIKANGWA se contredit : “Complot ! Non pas un complot, des mensonges.” Il confond d’ailleurs mensonge et affabulation. Dans le mensonge, il y a la volonté de tromper l’autre. Dans l’affabulation, c’est soi-même que l’on veut convaincre. Il se pourrait que ce maniement du verbe cherche à compenser une mobilité perdue ! Et puis, nous n’obtenons pas toujours de réponse cohérente et sincère. SIMBIKANGWA a menti sur son identité, sur ses activités… Et s’il avait menti sur d’autres points ?
Tout le monde s’accorde à dire que l’attentat a été l’élément déclencheur du génocide, l’étincelle. Le parcours personnel de l’accusé est lié à l’histoire de son pays. La mort de HABYARIMANA représente probablement pour SIMBIKANGWA une perte irréparable. Il y avait une relation fusionnelle entre SIMBIKANGWA et HABYARIMANA, son père de substitution : d’où la recherche d’une loyauté absolue. Monsieur HERVELIN-SERRE d’évoquer alors l’érection des barrières dès la nuit du 6 avril. Kigali est témoin de massacres immédiats. Rôle primordial de la Garde présidentielle. On érigeait des barrières pour empêcher les gens de fuir, maintenant c’est pour tuer. L’avocat garde un grand souvenir du témoignage d’Esther MUJAWAYO. Beaucoup de témoins parlent de la présence des barrières : journalistes, témoins. Y compris à Kiyovu. Certaines sont d’ailleurs mobiles, un arbre pouvait être déplacé.
Ces barrières sont indissociables de la présence de très nombreux cadavres. On en trouve partout, selon les différents témoins. Ces barrières ont pour objectif de lutter contre le FPR ? Les victimes sont-elles des combattants du FPR ? Non ! Tout Tutsi est considéré comme un Inyenzi. Les victimes sont les Tutsi qu’il fallait trier et tuer. Les Tutsi qu’on avait l’obligation de tuer, au vu de la carte d’identité ou du faciès. On regardait même les mains, les pieds. l’ennemi, c’est le Tutsi, même bien avant le génocide. Le groupe de travail qui s’est penché sur la question depuis 1991 a désigné la cible : le Tutsi. Le Hutu ne devient cible lui-même que s’il est « traître ». Pour SIMBIKANGWA, il faut tuer les Tutsi qui ont tué HABYARIMANA ! »
Les barrières sont un des instruments principaux du tri. Des individus en treillis, des miliciens Interahamwe en compagnie de militaires, et même des Tutsi obligés de se rendre sur les barrières. Prioritairement, ce sont les militaires qui ont des fusils. A Kigali, le génocide commence très tôt : on comptera environ 67 000 morts à la fin du génocide. On se demande encore si SIMBIKANGWA n’a pas vu de corps, à part un… dont il se souvient 22 ans après ! Il a tout de même vu des camions du ministère des Travaux Publics, mais li l’a dit tardivement au cours de ce procès. Les corps ont été rassemblés à partir du 9 ! SIMBIKANGWA avoue être sorti une dizaine de fois ? Plausible qu’on ait enlevé tous les corps avant sa sortie ?
Les réunions ? Il n’est pas possible qu’il n’ait pas été au courant. Quant au téléphone, sa seule source d’information aurait été BUGINGO, lui le professionnel du renseignement ! Il aurait passé du temps à écrire une histoire dont il n’était même pas témoin puisqu’il était cloîtré chez lui. Pourtant il sortait tout le temps !
Quand on l’appelait, il sortait, allait au marché. On a noté une évolution dans sa mobilité mais lorsqu’il se présente à une barrière, il passe.On le reconnaît. Il ne se contente pas de passer, il s’arrête, discute, encourage, félicite. Le 17 avril, il est bien passé à Gitega : BEMERIKI l’a vu mais SIMBIKANGWA reconnaît être allé livrer de la nourriture. Et l’avocat général de donner des exemples de barrières où des témoins l’ont vu.
Les instructions données à Kiyovu ? L’avocat général passe en revue tous les témoignages de ceux qui ont vu l’accusé se présenter aux barrières et d’en rapporter les propos. SIMBIKANGWA était un passionné par la chose militaire, par la politique, toujours animé d’une grande combativité. Comment le croire lorsqu’il dit qu’après la mort de son président, il est resté sans rien faire ? Même jusqu’à son exil il reconnaît n’avoir pas cru à la défaite ! A la réunion du 8 avril, SIMBIKANGWA était présent et on l’a chargé de la distribution des armes ! SIMBIKANGWA nie toute participation à la moindre réunion, n’avoir pas vu RENZAHO, qui lui non plus n’a pas vu de corps. “Il est détrôné de la première place de l’aveuglement volontaire ! Je ne t’ai pas vu, tu ne m’as pas vu !”
Et les meurtres à domicile ? Chez Jeanine, son chauffeur Laurent sous ses fenêtres ! L’autorité qu’il avait sur ses gardes : “Jamais ils ne sortaient sans mon autorité !” Le meurtre de Laurent aurait-il fait sur demande de SIMBIKANGWA ? Qui peut le dire ? Règne en tout cas l’impunité qui a fait le lit du génocide. Les gardes de SIMBIKANGWA ont tué ailleurs, sur la barrière de ZIGIRANYIRAZO. Ils se vantaient d’avoir tué, ils ont même eu un jour du mal à achever leur victimes, du sang maculait leurs habits… D’où la peur de Pascal GAHAMANYI.
Des armes ont bien été distribuées, même avant 1994 : fusils, machettes, armes venues du camp de Kacyiru, du garage AMGAR, du camp militaire de Kigali. On ne sait pas où SIMBIKANGWA a pu se procurer des armes, mais des armes sont arrivées chez lui. Des armes étaient-elles stockées dans sa maison ? Plusieurs témoins en attestent.
SIMBIKANGWA s’est-il contenté de distribuer des armes, de conseiller aux barrières ? Aurait-il donné l’ordre de tuer, à la barrière des Chinois, par exemple, le 23 avril ? Reconnaissons qu’il a donné des instructions parfois positives. Isaïe rapporte qu’il l’a sauvé trois fois : “Il m’a protégé jusqu’à la fin mais son nom pesait lourd.” Les GAHAMANYI, HIGIRO le reconnaissent aussi. On peut s’interroger sur les raisons de sauver les GAHAMANYI. Avait-il besoin d’un chauffeur en la personne de Pascal ? La famille GAHAMANYI était proche du pouvoir en la personne du père qui se réfugie à la Préfecture de Kigali, chez RENZAHO, pour partir ensuite pour Gitarama, là même où s’est exilé le gouvernement génocidaire.
L’avocat général d’aborder alors la notion déjà évoquée des tueurs/sauveteurs. SIMBIKANGWA aurait sauvé une centaine de Tutsi ? Pourtant, la liste nominative se résume à quelques individus. Selon l’expert, “préserver autrui pour se préserver soi-même. Sauver quelques Tutsi est une façon de se rendre acceptable à soi-même. L’argument à faire valoir qu’on a sauvé des Tutsi est mis en avant pas bon nombre d’accusés. Celui qui continue à sauver a un pouvoir. Pouvoir de sauver et pouvoir de tuer.”
Une autre chose étonne, sa double identité : Hutu mais à 75 % Tutsi. Il ne peut pas avoir tué des Tutsi car il a en lui une part de Tutsi ! Psychologiquement, il peut y avoir une haine d’une partie de soi-même. En 1972, il dit bien avoir changé de nom car on le prenait pour un Tutsi !
SIMBIKANGWA était un homme cultivé éduqué : pourquoi aurait-il participé au génocide ? Mais Ferdinand NAHIMANA, AKAYESU étaient des intellectuels. Culture et intelligence font très bon ménage avec le génocide. “Chaque homme peut devenir un bourreau” dira un témoin. Nous nous situons sur des faits qui ne sont pas à l marge mais au cœur du génocide. L’arme du crime n’est pas là, il n’y a pas de preuves scientifiques, pas la géolocalisation d’un téléphone portable. Nous avons des témoignages et uniquement des témoignages, comme c’était le cas en France il y a quarante ans.
Et les témoignages de ce dossier, l’avocat général ne les trouve pas fragiles du tout. 22 ans après se pose le problème de la mémoire. Qui peut avoir avoir des souvenirs rigoureusement exacts ? La mémoire est sélective. Tous les témoins auraient été préparés ? De faux documents auraient été élaborés ? Les preuves scientifiques, matérielles, ne sont pas indispensables.
Pascal SIMBIKANGWA détient la vérité, il sait, mais cette vérité, nous l’a t-il fait partager. Nous nous sommes rapprochés de la vérité autant qu’il est possible. Nous avons plus de témoins que dans beaucoup d’autres affaires criminelles.
Et monsieur HERVELIN-SERRE de conclure : “SIMBIKANGWA ne cherche-t-il pas à faire en sorte que les crimes contre l’humanité restent des crimes sans criminels ? SIMBIKANGWA, sans contester le génocide, ne cherche-t-il pas à en faire un génocide sans génocidaire ?”
Fin du réquisitoire de monsieur CROSSON DU CORMIER.
L’avocat général, après l’exposition des faits rapportés par son collègue, va se lancer dans un cours de droit, à l’adresse des jurés, mais aussi de l’audience.
“Les faits relèvent d’une qualification de génocide et de crimes contre l’humanité” commence-t-il par dire, comme il l’avait annoncé la veille. La Cour d’assises est composée de professionnels du droit et de citoyens, chacun ayant une voix. I ne s’agira pas d’une confrontation mais d’une discussion entre jurés et professionnels.
Pourquoi la France ? Pourquoi Bobigny ?
La résolution 95 du Conseil de sécurité de l’ONU crée le TPIR le 8 novembre 1994, Le 22 mai 1996, est adoptée une loi d’adaptation à cette résolution : «Loi n° 96-432 du 22 mai 1996 portant adaptation de la législation française aux dispositions de la résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations unies instituant un tribunal international en vue de juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis en 1994 sur le territoire du Rwanda et, s’agissant des citoyens rwandais, sur le territoire d’États voisins.” Selon l’article 3, cette loi est applicable dans les territoires d’Outre-Mer et à Mayotte.
Selon la loi de compétence universelle, SIMBIKANGWA peut donc être jugé en France. L’avocat d’ajouter qu’un nouveau code pénal a été adopté le 1 mars 1994, incluant génocide et crimes contre l’humanité. En avril 1994, Paul TOUVIER sera jugé par la Cour de Versailles pour complicité de crimes contre l’humanité. A noter que ces crimes sont imprescriptibles.
Condamné à 25 ans de prison en première instance par la Cour d’assises de Paris, SIMBIKANGWA a fait appel et c’est la Cour de Bobigny qui a été désignée. L’avocat général revient sur la distinction entre crime de génocide et crimes contre l’humanité. Il en relit les définitions respectives. Évoque ensuite le notion de “cumul idéal d’infraction” qui consiste à choisir entre deux infractions celle qui est la plus grave. Mais dans cette affaire il y a une culpabilité double.
A l’adresse des jurés mais aussi de la défense, monsieur CROSSON DU CORMIER revient sur la notion de plan concerté différente de l’entente en vue de commettre le génocide. Pour lui, les faits qui se sont produits avant le génocide prouvent le plan concerté.. On ne peut pas parler de crimes spontanés, ni de colère populaire.
L’avocat général aborde ensuite trois domaines de sa réflexion.
1) éléments de faits qui résultent des enquêtes et des témoignages : rapidité de l’exécution des massacres immédiatement après l’attentat, extension rapide à plusieurs régions du pays, mobilisation des moyens civils et militaires de l’État, mobilisation des médias, distribution d’armes, contrôles aux barrages, implication des militaires aux côtés des civils, regroupement des victimes dans les paroisses, les écoles avant les massacres. Cette efficacité collective relève d’un plan concerté.
2) notions juridiques : pour qu’il y ait plan concerté, il n’est pas nécessaire que des ordres aient été donnés, pas nécessaire d’avoir participé à l’élaboration. L’ampleur du crime peut suffire à parler de plan concerté. Les Tutsi étaient considérés comme les ennemis qui doivent disparaître.
3) le crime de génocide : il vise ceux qui le commettent ou qui le font commettre. Auteur, coauteur, complice, exécutants et donneurs d’ordre sont sur le même plan.
Monsieur CROSSON DU CORMIER arrive vers sa conclusion : “J’accuse SIMBIKANGWA d’avoir fait commettre le génocide et de s’être rendu coupable de complicité de crimes contre l’humanité. Sa responsabilité générale est entière.” Puis, à l’adresse des jurés : “Faites-vous confiance. Dissipez en vous le doute déraisonnable. Ne vous abstenez pas, c’est ce qui profite à l’accusé.”
Vient le moment de fixer la peine. Faisant allusion aux propos de la défense qui évoquent souvent les crimes du FPR, l’avocat général attaque : “Les crimes d’HITLER seraient-ils excusables parce que STALINE en a commis ?” SIMBIKANGWA n’est pas un juste parmi les nations. Il encourt la réclusion criminel à perpétuité, peine requise en première instance. L’accusé avait fait appel et le Parquet avait exercé un appel incident qui a pour effet unique de pouvoir aggraver la peine.
Mais l’accusé bénéficie d’une nouvelle jurisprudence qui date de février 2016 : SIMBIKANGWA ayant été condamné pour les faits de Kigali mais acquitté sur ceux de Gisenyi, l’appel incident n’est pas suffisant… L’avocat général aurait souhaité requérir la réclusion criminelle à perpétuité mais il s’exposerait à un appel à la Cassation. Il ne veut pas prendre ce risque.
L’avocat général requiert donc 25 ans de réclusion criminelle. Et de conclure : “ Pourquoi as-tu tué mon frère ?”
Procès en appel de SIMBIKANGWA. Plaidoiries de la défense. Vendredi 2 décembre 2016. J26
02/12/2016
• Plaidoirie de Me Alexandra BOURGEOT.
• Plaidoirie de Me Fabrice EPSTEIN.
Plaidoirie de Maître Alexandra BOURGEOT.
“Pas d’effets de manche, pas d’esbroufe, pas de citation. Je ne vous emmènerai pas à Kigali. Simplement la démonstration la plus précise possible des raisons pour lesquelles vous allez devoir acquitter cet homme » commence l’avocate de SIMBIKANGWA.
« Il est plus facile de désintégrer un atome qu’un préjugé. » (Albert EINSTEIN) (NDR. Voir ci-dessus : pas de citation!)
« Je vous demande d’envisager la parole de SIMBIKANGWA comme celle d’un innocent. On a beaucoup ironisé, dans cette Cour. Pour bien juger un homme, il faut d’abord envisager qu’il est innocent…”
Il faut prendre en compte la difficulté de s’exprimer devant une Cour d’assises. On l’admet pour les témoin, pas pour SIMBIKANGWA. Or, il attend depuis huit ans de s’exprimer !
SIMBIKANGWA a une certaine autorité, un certain charisme. Mais ce n’était ni BAGOSORA, ni ZIGIRANYIRAZO, ni SAGATWA. Ce petit pouvoir n’était pas celui d’un dignitaire. Mis au placard depuis 1992, il a utilisé son petit pouvoir, sa petite notoriété pour aider des gens.
On nous a beaucoup dit que les incidents, les procédures, c’était dilatoire, de l’esbroufe. Si nous ne l’avions pas fait, nous n’aurions pas fait notre travail d’avocat.
Je vous redis que le système n’est pas équitable. Nos incidents n’étaient pas un écran de fumée. Mais votre Cour est légitime. Pendant l’instruction, on n’a pas tout fait, c’est vrai , mais on a laissé passer aucune occasion. On nous a encore dit que la famille MONGALI n’avait jamais été trouvée. La famille KIBILITI a été retrouvée en Nouvelle-Zélande et n’a pas pu être entendue. On a demandé des actes concernant les ordinateurs : il n’y avait plus rien dedans !
La procédure est faite pour les innocents pris dans l’engrenage en justice. Quand on comparaît détenu, on apparaît beaucoup plus coupable. On a refusé de passer outre à l’audition de RUGGIU, ce n’était pas dilatoire. On a bien fait, on n’a même pas lu son audition.”
Et l’avocate de justifier toutes les autres demandes. Ils ne voulaient pas entendre Sam Gody car les faits étaient prescrits. Ça éclairait sa personnalité ? Évidemment. Mais sur ces faits de torture, il y avait des témoins qui disaient n’importe quoi : quelqu’un qui l’a vu avec des béquilles, c’est quelqu’un qui ne l’a jamais vu. Sur mes questions, Sam Gody a eu peur, il a bafouillé ! (NDR. Dans l’assistance, on ne s’en est pas vraiment rendu compte!)
A propos de la plainte pour faux concernant L’indomptable Ikinani : il n’était pas question pour nous de débattre sur ce dossier. Quant au donner acte sur le huis clos ? Ce huis clos était injustifié. Dieudonné NIYITEGEKA est un témoin professionnel acheté par le Procureur du TPIR.
Donner acte de l’expression de l’opinion du Président qui doit instruire à charge et à décharge ! A plusieurs reprises, le Président n’a pas relevé les contradictions des témoins. Concernant les questions que les jurés pouvaient poser, le président a choisi la méthode des petits papiers !. Nous nous sommes insurgés sur la constitution de ce dossier volumineux. MUTANGANA risque de connaître la même mésaventure !
Maître BOURGEOT évoque le cas de Enoch TWAGIRA, un ami de monsieur GUICHAOUA, qui vient de se faire arrêter en Allemagne alors que, résidant en Nouvelle-Zélande, il se croyait à l’abri, d’autant qu’il avait quitté le Rwanda dès le 12 avril, exfiltré par la Belgique. (NDR. Pourquoi évoquer cette affaire ? Ah oui, Kigali est capable d’inventer 81 témoins dans ce dossier!)
A propos de la constitution du dossier, l’avocate dit ironiquement que le CPCR est assez honnête : son président serait prêt à enfreindre la loi pour faire arrêter des personnes soupçonnées. Et maître BOURGEOT de dénoncer la façon dont s’est constitué le dossier.
Elle va ensuite évoquer les malheurs de son client à Mayotte, ce qu’elle appelle “l’imbroglio judiciaire.” Et de protester : “Il n’y avait rien dans le dossier avant 2009. Tant qu’on n’a pas d’éléments, on ne place pas en détention. SIMBIKANGWA était un réfugié, il ne cherchait pas à échapper à la justice.”
On nous reproche de dire que les témoins mentent… cabale…complot… On s’est contenté de dire que les témoignages étaient faux. On a essayé d’apporter des éléments, des preuves, des jurisprudences de la CNDA. Et de rappeler le témoignage de maître MABILLE, citée par la défense, qui a fait savoir à la Cour qu’il était difficile, au Rwanda, de faire témoigner quelqu’un en faveur d’un accusé.
Il y a eu des acquittements en première instance. Les raisons ne sont pas celles invoquées par l’avocat général : les témoignages n’étaient tout simplement pas crédibles, les témoins s’étaient concertés. Et que dire des camps Ingando ? De la propagande. D’ailleurs, vous avez entendu les parties civiles et le ministère public dire que certains témoignages étaient tendancieux ?
On nous accuse de dénoncer les exactions du FPR pour contrebalancer les autres crimes. Le FPR ne voulait pas arrêter le génocide, il voulait pendre le pouvoir.
On ne se contente pas de dire que les témoignages sont faux, on vous le prouve. Et en face, on ne nous dit rien. Des contradictions ? Bien sûr. Mais vous nous avez vu chipoter sur la couleur d’une voiture ? Vous devez être exigeants avec les témoins. Au début, SIMBIKANGWA ne sait pas de quoi il est accusé, il n’a pas accès au dossier, il apprend les choses peu à peu. Au début de l’instruction, il fait l’autruche : “Je suis parti dans le Nord !” Il ne s’est pas rendu compte de l’ampleur des massacres au début ! RTLM ? Il n’en est pas fondateur, simple petit actionnaire !
Et l’avocate de dire qu’elle va reprendre chaque témoignage un par un, pour les décortiquer. Elle va d’abord revenir sur l’emploi du temps de SIMBIKANGWA. Et de dire que “HIGIRO ment comme un arracheur de dents”, que BEMERIKI est une “menteuse professionnelle.” Et de démonter le témoignage de Martin HIGIRO.
Après avoir demandé aux jurés de bien prendre des notes qui pourraient leur être utiles, elle utilise une formule qu’elle reprendra à plusieurs reprises : “Un témoin seul est un témoin nul !” (NDR. Est-ce vraiment une vérité judiciaire?) Quand au témoignage de Pascal GAHAMANYI, qui “devrait être le plus précis est en fait le plus délirant !” Conclusions : aucune arme chez SIMBIKANGWA.
La famille GAHAMANYI ? C’est un mystère. Il y a un malaise familial, un secret. Des enfants qui ne reconnaissent pas que leur père est au MRND ! Il y a chez Pascal un fort traumatisme : il a eu peur tous les jours d’être tué ! Pas de distribution d’armes aux barrières, non plus. SIMBIKANGWA n’était pas le chef des barrières : “Un seul témoin est un témoin nul !”
Les réunions ? “Évidemment, vous ne pourrez pas retenir le témoignage de celui qui prétend que SIMBIKANGWA y a participé.” Et d’en venir aux témoins de la ville de Kigali : Liberata MUKAGASANA, Anatole NSENGIYUMVA, Théophile GAKARA, traité comme un coupable, comme un génocidaire car il était un militaire hutu. Ce sont les seuls qui ont une véritable liberté de parole.
MUNYAKAZI a bien récité sa leçon, Dieudonné NIYITEGEKA et BEMERIKI, des témoins professionnels ! Pour maître BOURGEOT, le dossier est gangrené par beaucoup de faux témoignages : il n’y a donc pas de condamnation possible. Et de contester la production du document de l’avocat général concernant madame KIRCHE, le document qui vient de la maison Blanche, la lettre de KAVARUGANDA. En réalité, pour l’avocate, tout est faux !
HABYARIMANA a été le premier Hutu modéré à être exécuté ! Pourquoi ne le dites-vous pas ?
SIMBIKANGWA auteur du génocide ? “C’est un coup d’esbroufe, de la poudre aux yeux. La qualification de génocide ne découle pas de l’audience.”
Et de donner une dernière consigne aux jurés. “Vous devez être courageux. SIMBIKANGWA est regardé comme un criminel parla majorité. Pas pour moi. Ça m’a pris du temps. Si vous changez de perspective, vous aurez beaucoup moins de mal à l’acquitter. Demandez-vous si on vous a apporté la preuve de sa culpabilité. Ayez le courage de votre décision, vous qui bénéficiez d’une liberté totale.”
Plaidoirie de maître Fabrice EPSTEIN.
Alors que maître BOURGEOT avait commencé sa plaidoirie en disant qu’elle ne ferait pas d’effet de manche, il n’en sera pas de même pour maître EPSTEIN qui va se lancer dans un exercice de haute voltige, finalement peu efficace à l’heure du verdict.
Il commence, s’adressant aux jurés, par leur rappeler qu’ils vont prendre “une décision importante.” : “Pour vous et vous devez en être fiers, pour l’accusé, pour les parties civiles.” Faisant allusion au réquisitoire de l’avocat général qui a demandé une peine de 25 ans de prison, “une perpétuité déguisée“, il demande aux jurés d’acquitter son client.
De poursuivre : “Notre défense a dû hurler pour être entendue. J’aime le silence”, dit-il en hurlant ! Il déclare que cette audience n’a qu’un but : “Torpiller l’accusé ! SIMBIKANGWA est le premier en tout, il faut donc le condamner.” Pour lui, son client est “un accusé politique.” Et de demander qu’on le juge pour ce qu’il a fait.
Il reproche au président la façon dont il a conduit les débats : “Un témoin arrive, se contredit, et le président ne dit rien !” Et de revenir sur monsieur HIGIRO, le gardien Isaïe, Gaétan, autant de témoins dont il conteste l’honnêteté. A propos de Gaëtan, il ajoute : “Voilà un témoin qui ment ! Qui a vu tuer un prêtre avec une béquille ! Comment croire cet homme ? Et son nom devrait apparaître sue une feuille de motivation ? Je n’accepte pas la fausse monnaie. » Et d’ajouter : “Nous sommes seuls, SIMBIKANGWA et nous, sans moyen, alors qu’on voulait boxer à armes égales.”
Maître EPSTEIN se dit “surpris, vexé que les les associations des Droits de l’Homme aient été absentes à l’audience : pas de FIDH, pas la LICRA ! A Bobigny, c’est la désertion des parties civiles !”
“On a tout dit à SIMBIKANGWA, c’est lui qui a tout fait, les Escadrons de la mort, c’est lui, l’Akazu, c’est lui, KAVARUGANDA, c’est lui… Il ne lui manquait plus que l’élection de Donald TRUMP !”
Pour lui, “la défense gène les parties civiles, BAGOSORA n’est pas le cerveau du génocide.” Il l’aurait prouvé en citant LUGAN ! D’ajouter qu’on ne peut pas mettre en cause un témoin cité par Ibuka, qu’aucun témoin ne peut venir témoigner complètement à décharge, “parce que la parole n’est pas libre.”
“Les associations nous renvoient une accusation en miroir : c’est de l’imposture !” Et de rappeler les témoignages de PEAN, de ROBARDEY qui vient nous dire qu’il y a eu « diabolisation du gouvernement HABYARIMANA, qu’il y a eu désinformation du FPR…”
Et de revenir sur LUGAN ! Il a peu apprécié les explications de l’avocat général. Assimiler LUGAN à Alain SORAL ! “Tous les gens qui lisent LUGAN sont d’extrême droite ?” Puis de s’en prendre “aux expertises de magasin”, au régime de Kigali, “une dictature, l’URSS de Staline !” KAGAME, qui vient de saisir la justice concernant vingt responsables français, est “un cynique !”
L’avocat de la défense ne se prive pas de tancer vertement l’accusation : “SIMBIKANGWA devrait être condamné en tant qu’auteur principal ?” Il reproche à monsieur CROSSON DU CORMIER, à propos de la fragilité de la mémoire, d’avoir fait allusion au malaise d’un des jurés un soir d’audience. L’avocat général avait demandé aux jurés s’ils étaient capables de se souvenir du jour, des circonstances… : “C’est un scandale de dire cela !” tonne l’avocat.
Si son exigence est maximale, c’est parce que l’attente de la défense est immense. “Les témoins sont des menteurs, assène-t-il, des menteurs !” On ne peut pas requérir une peine avec des témoins pareils. Si des non-lieux ont été prononcés en première instance, c’est parce que les témoins ne disaient pas la vérité. “Et on voudrait des aveux, on voudrait retenir de SIMBIKANGWA le capitaine de Kiyovu ?” “C’est faux”, hurle-t-il. “Les avocats généraux, comme les parties civiles veulent des aveux ! On vous demande de le condamner comme auteur principal ! Il faut un auteur et on va juger sur sa personnalité ?”
De poursuivre que rien ne permet de condamner son client, et de demander aux jurés de dire « NON » à l’ensemble des questions. Il demande “un acquittement pur et simple !” Pour lui, SIMBIKANGWA n’est en rien responsable de tout ce dont on l’accuse. Maître EPSTEIN revient sur le procès de première instance en soulignant le comportement de la Cour d’assises de Paris qui a eu “le courage d’écarter des témoignages qui avaient passé le filtre de l’instruction.” Dans ce procès, “les témoins vous embrouillent. Si la Cour d’assises de Paris avait eu plus de courage, nous ne serions pas ici !” Pour lui, le 14 mars 2014, l’acquittement de SIMBIKANGWA était impossible à quelques jours de la 20ème commémoration.
L’avocat de la défense va alors prononcer une phrase qui reviendra comme un leitmotiv : “Un témoin unique est un témoin nul !” (NDR. Juridiquement incontestable?)
Maître EPSTEIN de revenir sur les témoins à qui on accorderait une remise de peine en échange de leur témoignage, parle de “bricolage“. Et d’enfoncer le clou : “On nous présente des témoignages isolés, non corroborés. Deux témoins qui mentent, c’est deux témoins qui mentent. Et trois témoins qui mentent, c’est la politique de Kigali !” Et d’ajouter qu’au Rwanda, “on essaie d’éliminer ceux qui veulent dire la vérité, les témoins sont imaginaires, formés par le FPR. Et comme les témoignages ne tiennent pas, il faut habiller la mariée !” Et de dire qu’on “charge l’accusé”, que “la tactique de l’avocat général est un aveu de faiblesse, de peur. L’accusation a peur que SIMBIKANGWA soit accusé, et elle a raison !” car aucune démonstration n’a été établie.”
Maître EPSTEIN déclare avoir lu quelques pages de L’homme et sa croix, évoque ses conditions de vie à Mayotte, pour souligner la solitude dans laquelle il se trouve. Il reproche à l’accusation d’avoir mal interprété les écrits de son client. « Jamais SIMBIKANGWA n’a été contre le multipartisme. On veut faire entre SIMBIKANGWA dans une nébuleuse extrêmement floue des durs des durs qui élaborent des plans secrets… On est dans le fantasme, dans les informations de seconde main. »
La presse ? Les livres ? L’avocat général n’en parle pas ou à peine. Quant à La Lettre de Nyamitabo, SIMBIKANGWA a reconnu que c’était un faux. La Guerre d’octobre est un livre de concorde pour dire au FPR qu’il ne peut pas faire la guérilla dans un milieu hostile. « Pourquoi ne pas avoir relevé cette volonté de concorde ? On veut faire de lui un idéologue, ce n’est pas sérieux ! »
La RTLM ? L’avocat fait un nouveau reproche à l’avocat général. SIMBIKANGWA en était actionnaire et tous les actionnaires en étaient des fondateurs. D’ajouter que la RTLM a lancé des appels au meurtre après le 6 avril ! (NDR. Faux. Mon épouse, présente à Nyamirambo fin février 1994 m’a rapporté les propos du Père BLANCHARD à qui elle faisait remarquer la violence des propos des journalistes: « N’écoute pas cette radio ! »)
SIMBIKANGWA aurait dû vendre ses actions ?Et comme le ridicule ne tue pas, maître EPSTEIN interpelle deux jurés : « Vous, monsieur, si vous étiez actionnaire de Coca Cola…. Et vous madame, si vous étiez actionnaire de la lessive … vous vous préoccuperiez de la politique de l’entreprise ? »
SIMBIKANGWA serait l’homme de l’ombre, « comme dans un roman de gare. » Et c’est lui qui agirait en pleine lumière en menaçant KAVARUGANDA ? Quant aux tortures, on n’aurait jamais dû en parler ! Pas plus pour le document émanant du service de presse de la Maison Blanche. Et puis il y a la rumeur, la réputation : « SIMBIKANGWA était méchant, génocidaire numéro 1, directeur de la criminologie ! Tout cela pour en faire quelqu’un d’important ! »
Et de revenir sur la tactique de l’accusation qui s’appuie sur les travaux des experts. De s’en prendre au travail de madame SIRONI et sa notion de tueur/sauveteur. A l’adresse des jurés : “On veut convoquer votre émotion. La psychologue appelle SIMBIKANGWA l’accusé ! Il y a Eischman, Göring, Hitler et SIMBIKANGWA !”
L’avocat d’ajouter: ” Quand l’institution judiciaire a besoin de trouver un coupable, de convoquer les experts, c’est que l’institution judiciaire doute!” “C ‘est à l’accusation d’apporter la preuve de la culpabilité.”
Maître EPSTEIN revient sur la qualité de ses relations avec son client : “Je n’ai pas toujours eu de bonnes relations avec SIMBIKANGWA. C’était difficile de croire sa vérité. Peu à peu j’ai compris d’autres choses. j’ai compris SIMBIKANGWA quand il a été confronté aux gardiens. J’ai alors compris que tous mentaient. Les témoins n’avaient qu’un seul but : le faire condamner. Je l’ai compris trop tard...” Et de convoquer les victimes de sa propre famille, “les EPSTEIN massacrés en Biélorussie !” (NDR. Était-ce bien nécessaire ?)
De poursuivre qu’il est prêt à reconnaître, sans la presse, en entre nous, que “SIMBIKANGWA a évidemment une culpabilité morale, la culpabilité allemande !” Et se tournant vers son client : “Mais je sais que vous devez être acquitté, que vous êtes innocent !”
Maître EPSTEIN lit l’article 202-1 du code de procédure pénale. A propos du génocide, il faut qu’il soit la conséquence d’un plan concerté. Or, pour lui, il n’y a rien dans le dossier. Rien à voir avec les Nazis. Pas de police politique. Aucun des prétendus experts n’a pu prouver un nettoyage ethnique au Rwanda avant le 6 avril 1994. Il est impossible de rattacher SIMBIKANGWA aux réunions de Kiyovu, ou aux réunions d’avant le 6 avril. On est incapable de montrer ce plan. Et puis, quel lien entre SIMBIKANGWA et le gouvernement intérimaire ? DUPAQUIER a dit que SIMBIKANGWA était le dernier fidèle de HABYARIMANA… “SIMBIKANGWA est un électron libre, un inconditionnel, loin de tout système. Seul contre tous.”
“SIMBIKANGWA coupe la parole au président ? Même nous il nous fait taire ! Il a eu une attitude ambiguë aux barrières ? Peut-être ! Mais ce n’est pas une infraction. On ne peut le comparer à BAGOSORA ou RENZAHO. Depuis 1992, il était sur le carreau !”
Le poursuivre pour complicité de crimes contre l’humanité ? S’il passait les barrières, c’était pour faire passer des Tutsi ! Que reste-t-il de la distribution d’armes ? Une seule plausible, celle de REKERAHO, qui n’a jamais servi. “Une arme et aucun mort.”
Maître EPSTEIN poursuit sa dénonciation de l’accusation. “Pour condamner quelqu’un, il faut des preuves. Comme il n’y a rien dans le dossier, alors on fait du para-légal… tout le monde le dit à Kigali !”
Le réquisitoire ? “Un concert de piano où le pianiste laisserait son pied sur la sourdine.”
“Je dois vous parler de l’intime conviction. C’est ce qui vient se substituer à la preuve au XXVIIIème siècle. Autrefois, on combinait des morceaux de preuve pour obtenir une condamnation : moitié de preuve, moitié de condamnation ! L’intime conviction suppose une certitude totale. Son corollaire, c’est le doute, qui doit profiter à l’accusé. S’il n’y a pas de certitude, vous devez acquitter. » Et comme pour donner mauvaise conscience aux jurés, pour les culpabiliser : “Vous ne pouvez revenir dans cette pièce en regardant vos chaussures !” (NDR. Ce ne sera pas le cas!) “Si vous doutez, vous devez acquitter.”
Puis de s’adresser à l’accusé, d’évoquer le doute caractérisé, “le doute qui se ronge les ongles !” Et d’ajouter : “Tous les génies ont douté.” De citer alors, et j’en oublie, GALILÉE, NEWTON, LAUTREAMONT, Sacha GUITRY, NIETZSCHE au nom duquel il demande aux jurés d’acquitter SIMBIKANGWA : “Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou.”
On approche de la conclusion. Maître EPSTEIN semble vouloir prendre date pour les procès à venir. Mais de mettre en garde : “C’est la même équipe qui travaille en coulisse, le même pôle, les mêmes experts, les mêmes parties civiles. Il faut des résultats : ça coûte cher. En première instance, on n’est pas allé au bout.”
Une nouvelle adresse aux jurés : “Je sais que vous avez ce courage d’aller au bout, que vous êtes libres. Ne vous cachez pas derrière des magistrats professionnels. Vous monsieur (désignant du doigt un juré!) vous madame, vous pouvez prendre cette décision. Avant Vichy, il n’y avait pas de magistrats professionnels, que des jurés. Il n’y a pas de relations diplomatiques à sauver entre la France et le Rwanda, c’est foutu !” (NDR. Comme c’est élégamment dit!)
“Elles m’ont ému, les larmes de la partie civile. Le souvenir se conserve à l’intérieur des foyers. On ne peut pas demander cela à une cour d’assises. J’ai confiance en vous, vous avez du courage. J’ai besoin que vous m’écoutiez. » Et d’insister à nouveau, se méfiant manifestement des magistrats, et comme s’il craignait de ne pas avoir été entendu : « Ne vous cachez pas derrière les magistrats professionnels !”
Maître EPSTEIN s’adresse une dernière fois aux jurés : “Sur le bulletin, vous écrirez NON ! Cinq réponses monosyllabiques (?) que disent les grands hommes quand ils ont cessé d’être petits, cinq NON, minorité de blocage.”
Lyrique maintenant : “Je vous demande d’être dissidents. Vous étiez vieux, vous êtes jeunes ! Vous devez vous débarrasser de vos préjugés. Je vous demande de répondre NON, ce NON qui fait se lever les hommes, ceux qui préfèrent avoir la langue coupée… Vous acquitterez Pascal SIMBIKANGWA.”
NDR. Ce bel exercice de style n’atteindra pas son but. Les jurés prononceront quelques heures plus tard une peine de 25 ans de réclusion criminelle à l’encontre de monsieur Pascal SIMBIKANGWA, pour génocide et complicité de crimes contre l’humanité. La déception de l’accusé et de ses conseils sera à la hauteur des espoirs qu’ils avaient soulevés. Ce qui fera dire à maître EPSTEIN, à la sortie du tribunal, le lendemain, qu’il s’agit d’une “décision torchée, bâclée qui fait honte à la justice française.” Et à l’adresse de votre serviteur: “ Monsieur GAUTHIER, vous l’avez maintenant votre génocidaire! Mais ce n’était pas le bon.“
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
Procès en appel de SIMBIKANGWA. Samedi 3 décembre 2016. J27 Parole à l’accusé.
03/12/2016
En ce dernier jour d’audience, parole est donnée à l’accusé.
Aux membres du jury: “Vous êtes des hommes de droit, comme les avocats. Mes conseils ont tout donné, tout expliqué. L’accusation n’avait pas de fondements. Je viens de faire neuf ans de prisons dans des conditions difficiles, envoyé en prison dans des circonstances qu’on vous a exposées!” Monsieur SIMBIKANGWA veut toutefois ajouter quelques mots. D’abord à l’adresse des avocats généraux concernant le port d’arme pour justifier le fait qu’il avait un pistolet: “Capitaine je suis, capitaine je mourrai.” Puis à celle de Maître PHILIPPART, avocate du CPCR qui, tout le monde le sait, “n’aime pas les cotes!” Et pourtant les cotes le défendent. D’ajouter, toujours admirateur de la France et de sa justice: “La France n’accepte plus de procès en sorcellerie.” Un petit coup de griffe ensuite à l’encontre de maître Safya AKORRI, avocate de Survie, qui lui aurait fait remarquer qu’il avait manqué de respect au président et aux avocats généraux: “Cette façon de racolage (sic) n’est pas digne d’un avocat. Je me suis défendu. J’ai un grand respect pour le président et les avocats généraux. Elle a voulu me dresser contre l’autorité.”
Il ne pouvait pas terminer ses compliments sans parler de maître FOREMAN, avocat du CPCR. “J’ai un contentieux avec lui. Il s’est constitué opposant de sa propre idée (sic). Il a refusé qu’on étudie le cas des témoins un à un. Il a refusé le débat. la justice veut la clarté.”
De revenir ensuite sur le cas de son frère Bonaventure MUTANGANA, qui était venu pour prendre sa défense. Or, “il a été convoqué dans un tribunal parce qu’il y a des lobbies qui ont fait ça!“. Après avoir relevé des anomalies dans des documents du TPIR, dénoncé la corruption au Rwanda, il revient sur la seule remise d’arme à laquelle il ait participé, et encore comme intermédiaire non comme donateur, celle de REKERAHO. Et de préciser, pour bien montrer qu’il connaît la différence entre les deux termes, il rappelle qu’il a appris le Français de Jean de La Fontaine.
Contrairement à tous ceux qui disent qu’il est “méchant” (c’est sa réputation), il va passer en revue toutes les personnes qu’il a aidées. Pour finir par s’excuser d’avoir pris du temps pour le dire. Et de rappeler que ses conseils ont tout dit. On s’attendrait à entendre sa conclusion, mais l’accusé ne s’en tient pas là.
Il passe en revue toutes les barrières auxquelles on l’accuse de s’être présenté, ce qui va lui prendre pas moins d’une heure. Il démonte un à un tous les témoignages et termine invariablement chaque cas par: “Quel crédit accorder à un tel témoignage. “Il est inadmissible pour lui, qu’en France, on puisse entendre des témoignages pareils… Si on doit écouter des balivernes pareilles.” Et de terminer cette partie de son intervention: “Il n’y a pas eu d’armes distribuées, pas eu d’instructions données à des civils. Si vous écrivez ça, ce ne sera pas la justice!”
Va suivre alors la lecture d’un très long texte, qu’il appelle “mot aux victimes“! Quelques phrases captées au fil d’une lecture dans un style qu’on lui connaît bien, ampoulé, toujours à la limite de la compréhension.
Parlant de ce procès: “Chacun comprend ce que cela coûte à la fragilité de ma santé… Ma vie vaut moins que mon innocence… L’accusation a refusé les évidences qui disqualifient leur thèse… Pas un seul grief fondé… Je suis l’une des principales victimes.” Et d’énumérer les victimes de sa famille. Aucun mot pour toutes les autres! De poursuivre: “J’aurais dû avoir la palme du bon citoyen.” S’adressant à la Cour: “J’ai lu dans vos yeux la probité que j’attendais d’une Cour de France… Chacune de vos voix compte.” “Les coupables méritent le châtiment de la justice...” Et de convoquer ROUSSEAU, BALZAC, VOLTAIRE, un RABELAIS shakespearien, CESAIRE! Il prend à témoin l’Homme Dieu… Il fait du SIMBIKANGWA. Maître EPSTEIN semble vouloir le faire résumer, rien n’y fait.
Puis de se lancer dans un Hymne à sa mère. Et d’oser: ” J’associe cette offrande à l’épouse de madame GAUTHIER!” Dans cet hommage à sa mère, encore plus confus que tout ce qu’il a dit auparavant, il évoque le Rwanda de ses souvenirs, compare la Tour Eiffel au Karisimbi, nomme le Sacré-cœur. Son discours ressemble à un sermon, tout en reconnaissant que, s’il aime le Christ, il reste animiste. Et de conclure enfin, s’adressant une nouvelle fois à la Cour:”Il vous revient doublement de rendre justice à celui qui le mérite.”
Dernière intervention du président DE JORNA.
Monsieur le président DE JORNA prend la parole à son tour pour indiquer aux jurés quel va être leur rôle. Les questions posées seront les mêmes que celles qui l’ont été en première instance, sauf en ce qui concerne les faits de Gisenyi, prescrits. Deux questions subsidiaires leur seront posées:
1) l’accusé est-il coupable de génocide?
2) l’accusé est-il coupable de crimes contre l’humanité?
Les parties dispensent le président de lire les douze questions qui seront posées. Les questions étant “tenues pour lues“, une dernière adresse aux jurés, la dernière question qui leur sera posée: “Avez-vous une intime conviction?”
La Cour se retire pour délibérer.
Alain GAUTHIER, président du CPCR
Procès SIMBIKANGWA: SIMBIKANGWA condamné à 25 ans de prison.
03/12/2016
La Cour d’assises de Bobigny a délibéré ce samedi 3 décembre 2016 après que la parole a été donnée à l’accusé. Le verdict est tombé à 20h : Pascal SIMBIKANGWA est condamné à 25 ans de réclusion criminelle.
C’est ce qu’avait requis l’avocat général jeudi, à l’identique de la peine à laquelle il avait déjà été condamné lors de son premier procès en première instance en 2014.
Maître EPSTEIN, avocat de la défense, s’est signalé par son indécence et son irrespect à la sortie du tribunal: “Monsieur GAUTHIER, vous l’avez maintenant votre génocidaire!” Propos indignes, même de la part d’un avocat de la défense qui vient de perdre un procès. Ce n’est pas du tout notre conception de la justice. La Cour d’assises de Bobigny s’est prononcée. C’est un jury de trois magistrats professionnels et neuf jurés qui ont prononcé le jugement. D’autres combats nous attendent, pour la mémoire des victimes et le réconfort de leurs familles.
Procès en appel de SIMBIKANGWA. Feuille de motivation de sa condamnation.
05/12/2016
Voici la feuille de motivation de la décision de la Cour condamnant Pascal SIMBIKANGWA à 25 années de réclusion criminelle le 3 décembre 2016.
Les comptes rendus des témoins cités dans ce document sont accessibles via les références en bas de cette page.
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Liens vers les auditions des témoins cités en référence dans la feuille de motivation :
• Historiens et sociologues :
o André GUICHAOUA
o Stéphane AUDOIN-ROUZEAU
o Jacques SEMELIN
o Hélène DUMAS
• Rapporteur spécial de la Commission de Droits de l’Homme des Nations Unies pour le RWANDA :
o René DEGNI-SEGUI (rapport)
o René DEGNI-SEGUI (audition)
• A propos de la personalité et du réseau d’influence de Pascal SIMBIKANGWA :
o Johan SWINNEN, ancien ambassadeur de Belgique au Rwanda de 1990 au 12 avril 1994.
o Venance MUNYAKAZI, employé de l’imprimerie nationale.
o Augustin IYAMUREMYE, secrétaire général du SCR de 1992 à 1994.
• A propos de la participation de Pascal SIMBIKANGWA aux crimes de génocide et crimes contre l’humanité à KIGALI, journalistes présents à KIGALI lors des faits:
o Philippe CEPPI
o Renaud GIRARD
• Témoignages des voisins, proches et gardiens du quartier de KIYOVU :
o Albert, Michel et Pascal GAHAMANYI
o Martin HIGIRO
o Béatrice NYIRASAFARI
o Isaïe HARINDINTWARI
o Jean-Marie Vianney NYIRIGIRA
o Diogène NYIRISHEMA
Procès en appel de SIMBIKANGWA. Arrêt de la Cour d’Assises
06/12/2016
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Voir également la feuille de motivation de cette condamnation.
Procès SIMBIKANGWA : un procès politique ?
08/12/2016
Maître EPSTEIN, avocat de Pascal SIMBIKANGWA aux assises de Paris en 2014, et en appel devant les assises de Bobigny du 25 octobre au 3 décembre 2016, ne cesse de dénoncer un procès politique. Son client aurait été condamné à tord, il n’aurait pas été jugé pour ce qu’il a fait au Rwanda en 1994. Il dénonce un procès politique!
Un procès politique ? Mais à qui la faute ? En évoquant à tout moment le rôle du FPR, en dénonçant les soldats du FPR et les crimes qu’ils auraient commis, l’avocat de SIMBIKANGWA a tout fait pour éloigner les jurés de l’objectif qui leur avait été assigné : juger Pascal SIMBIKANGWA. Il ne s’agit pas de sauver les relations diplomatiques entre la France et le Rwanda : « C’est foutu ! » dira-t-il élégamment à la fin de sa plaidoirie.
Lors de cette plaidoirie du vendredi 2 novembre 2016, maître EPSTEIN est revenu sur le fait que SIMBIKANGWA était un « accusé politique ». Cette accusation n’est pas nouvelle. Comme d’autres, il avait déjà présenté la condamnation de l’accusé, en mars 2014, comme une sorte de cadeau fait au Rwanda à quelques jours de la 20ème commémoration du génocide des Tutsi. Samedi, à sa sortie du tribunal, il a déclaré au seul journaliste présent qu’il s’agissait d’une “décision torchée, bâclée qui fait honte à la justice française.” Il osera même m’interpeller d’une manière mi-agressive, mi-ironique, en tenant des propos peu dignes pour un avocat : « Vous l’avez maintenant votre génocidaire, monsieur Gauthier. Mais ce n’était pas le bon ! »
Il l’a encore répété hier soir, mercredi 7 novembre, sur les ondes d’Africa N°1 dans l’émission Le Grand Débat. Invité avec Mehdi BA, Bruno BOUDIGUET et moi-même, il a dénoncé « une décision complètement politique qui permet de faire en sorte que les relations entre Paris et Kigali soient bonnes, et de dire à Kigali : « Voilà, enfin, après 20 ans, la première personne condamnée pour génocide par un tribunal français. » Et d’ajouter, comme un leitmotiv : « Ce fut un procès strictement politique ! » Et puis c’est bien connu, “deux témoins qui mentent, c’est deux témoins qui mentent. Et trois témoins qui mentent, c’est la politique de Kigali !” Et d’ajouter qu’au Rwanda, “on essaie d’éliminer ceux qui veulent dire la vérité, les témoins sont imaginaires, formés par le FPR.” Tout est dit!
Lors de cette même émission, il a regretté « la présence du FPR dans le procès » en oubliant de préciser que c’est lui qui l’invitait en permanence aux débats, lui et ses témoins de la défense. C’est lui qui a tiré à boulets rouges sur le régime de Kigali, « une dictature, l’URSS de Staline », sur KAGAME, « un cynique » qui a osé poursuivre en justice vingt responsables français pour leur participation au génocide !
C’est le colonel ROBARDEY qui avait déjà déclaré, au procès de première instance aux assises de Paris, que « toutes les accusations sur SIMBIKANGWA (étaient) un montage politique », après avoir dit qu’il ne connaissait pas l’accusé. C’est toujours lui qui, à propos des massacres de Kibilira et ceux des Bagogwe déclarera que sa conviction est faite : « Jean-Marie NDAGIJIMANA a démontré qu’ils étaient l’œuvre du FPR! » C’est lui encore qui parlera des massacres du FPR à Byumba et Ruhengeri. C’est toujours lui qui va dire que les massacres du Bugesera seront perpétrés « à l’instigation du FPR. »
C’est Pierre PEAN, l’invité de la dernière heure, qui va orienter l’audience vers la politisation des débats en répétant que le Rwanda est une dictature : « Le pôle génocide? C’est une très bonne idée, il s’inscrit dans l’universalisme, mais pour bien fonctionner, il faudrait une coopération loyale et franche entre deux justices indépendantes. Celle du Rwanda ne l’est pas car le Rwanda est une dictature.” Et de faire siens les propos de Filip REYNTJENS qui parle de Paul KAGAME comme du “plus grand criminel en fonction, un dictateur sanguinaire”.
Et comme si nous n’avions pas compris, questionné par maître FOREMAN sur le travail du CPCR, il ajoutera : « Enquêter au Rwanda, on retombe sur le fait que c’est une dictature, avec des témoins qui ne sont pas libres ! » Si ce n’est pas politiser les débats !
Reste à citer un autre témoin de la défense, monsieur Gaspard MUSABYIMANA qui enfoncera le clou en évoquant la décision qui avait été prise par le gouvernement français de l’envoyer à Kigali pour la 20ème commémoration : “Comme ministre française de la Justice, TAUBIRA peut encore inscrire à son actif le récent procès de Pascal SIMBIKANGWA et faire valoir ce bilan à Kigali. Ce procès est tellement vicié que l’Appel fait par les avocats du condamné a été retenu.» Et d’ajouter, concernant ses propres enquêtes : “On me reproche de ne pas être allé au Rwanda pour mes enquêtes? Qu’aurait-on pu apprendre dans une dictature? La vérité ne peut être faite qu’à l’extérieur du Rwanda, avec les dissidents. »
Le procès de Pascal SIMBIKANGWA, un procès politique ? Maître EPSTEIN a beau jeu de le dénoncer. C’est lui et les siens qui ont voulu faire déraper les débats. Si le FPR a bien été présent au procès, c’est parce que, une fois encore, la défense l’y a invité. Que l’on n’ait pas voulu entendre ceux qui souhaitaient en parler, quoi de plus normal. Ce n’était ni le procès du génocide, ni celui du FPR, ni celui du président KAGAME ! Ce procès a bien été celui de Pascal SIMBIKANGWA. C’est bien le Capitaine de Kiyovu qui a été condamné, par un jury de trois magistrats professionnels et neuf jurés populaires. En leur âme et conscience, au-delà de tout doute raisonnable, loin de toute pression, ils ont confirmé la peine de 25 ans de réclusion criminelle à l’encontre de Pascal SIMBIKANGWA. Condamnation pour « génocide et complicité de crimes contre l’humanité ».
Alain GAUTHIER, président du CPCR.
Retour sur le procès SIMBIKANGWA: “Pressions sur les témoins?” “Tous des menteurs?”
14/12/2016
Lors du procès en appel de Pascal SIMBIKANGWA, deux thèmes sont revenus du banc de la défense: pression sur les témoins qui sont tous des menteurs.
Cette “pression sur les témoins” est revenue comme un leitmotiv, que ce soit dans la bouche de l’accusé lui-même, ou dans celle de ses conseils. On connaît bien cet argument, et bien avant que la justice française ne se mette en route. Ne seraient libres de témoigner que les témoins à charge! Quand on est à bout d’arguments, il faut bien en imaginer d’autres! De dénoncer en particulier les fameux “syndicats de délateurs“: le chef de file et porte-parole de cette thèse, un certain Joseph MATATA, est venu se ridiculiser devant les assises de Paris [1]. La défense s’est d’ailleurs abstenue de le faire citer à nouveau, comme elle hésitera probablement à faire citer monsieur PEAN dans de prochains procès [2]. Il faut se méfier de ceux qui marquent des buts contre leur camp!
“Les témoins, tous des menteurs?” C’est la deuxième idée géniale trouvée par les avocats de la défense. On aura relevé leur théorie: “Un témoin unique est un témoin nul, deux témoins qui disent la même chose sont des témoins qui se se sont concertés!” Comprenne qui pourra! A ce propos, c’est “l’hôpital qui se fout de la charité”. SIMBIKANGWA n’a cessé de mentir tout au long des deux procès. Il serait fort celui qui, même en ayant assisté à toutes les audiences, arriverait à reconstituer son véritable emploi du temps pendant les trois mois du génocide. En février 2014, il affirmait être resté enfermé dans sa maison de Kiyovu, pour finir par reconnaître deux ou trois sorties pour aider des Tutsi. En fait, il a passé la majeure partie de son temps à sillonner le pays, faisant de nombreux déplacements entre Kigali et Gisenyi. Sans compter ses sorties dans la ville de Kigali, toujours pour aider des gens en difficulté. Messieurs NGENZI et BARAHIRA n’ont pas été en reste lors de leur comparution devant les assises de Paris de mai à juillet 2016: un tissu de mensonges pour essayer de se disculper. Que viendront-ils nous raconter en appel?
Question mensonge, certains témoins de la défense ne déparent pas dans ce tableau. Monsieur PEAN, par exemple, est un spécialiste de la calomnie mensongère. Aveuglé par son soutien inconditionnel aux personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide des Tutsi et par sa haine du président KAGAME, il n’hésite pas à s’en prendre, sans aucune preuve, à tous ceux qui ne veulent pas que la France soit “un havre de paix pour génocidaires.” Il n’est pas nécessaire de donner des exemples. Il suffit de lire ses écrits, ou de prendre connaissance de son soit-disant témoignage devant la Cour d’Assises de Bobigny. Ce témoignage, qu’il a fait publier dans son intégralité sur des sites amis, il n’a pu en fait le prononcer dans la mesure où le président lui a demandé de ne pas le lire. Ce qui a d’ailleurs troublé le témoin qui a dû prendre quinze minutes de repos. En réalité, il s’agit du témoignage qu’il aurait souhaité lire devant la Cour d’assises de Bobigny!
On sait maintenant à quoi s’attendre dans les futurs procès: les témoins ne seront pas crédibles car soumis à des pressions de la part d’associations de rescapés ou du pouvoir rwandais. Ils seront systématiquement considérés comme des menteurs! Malheureusement pour les accusés, les jurés populaires ne se sont pas laissés embarquer dans les méandres de leurs propos embarrassés et peu crédibles! On apprend bien aux enfants à ne pas mentir: un mensonge en appelle un autre pour couvrir le premier. Les accusés feraient bien de retenir la leçon! Mais je crains qu’il ne soit trop tard pour eux: toute leur existence nouvelle, depuis 22 ans, a été reconstruite sur le mensonge, sur la négation de ce que fut leur vie antérieure. Reconnaître tardivement leurs méfaits, voire leurs crimes, les mettrait face à une vérité qu’ils ne peuvent pas supporter. Mieux vaut briser le miroir!
Alain GAUTHIER, président du CPCR
1. Voir l’audition de Joseph MATATA lors du procès Ngenzi/Barahira.
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2. Voir l’audition de Pierre PEAN, cité par la défense en lieu et place de messieurs CRUVELLIER et TWAGIRAMUNGU.
[Retour au texte]
Pascal SIMBIKANGWA définitivement condamné pour génocide
25/05/2018
Dans son arrêt du 24 mai 2018, la Cour de cassation a fait connaître qu’elle rejetait le pourvoi de Pascal SIMBIKANGWA condamné pour génocide à 25 ans de prison. SIMBIKANGWA devient donc la première personne à être définitivement condamnée pour génocide en France.
Cette nouvelle arrive après le réquisitoire du procureur demandant à ce que le docteur Sosthène MUNYEMANA, médecin à Villeneuve-sur-Lot, soit déféré devant la Cour d’assises de Paris pour génocide. Ce sera au juge d’instruction de se prononcer.
Une autre personne soupçonnée d’avoir participé au génocide des Tutsi a été déférée devant la Cour d’assises pour complicité de génocide. Il s’agit de Claude MUHAYIMANA. Mais les dates du procès ne sont toujours pas connues.
Il aura fallu du temps pour que la justice française passe à la vitesse supérieure. Beaucoup d’autres affaires sont à l’instruction, certaines étant déjà clôturées. D’autres annonces devraient être faites dans les semaines ou les mois à venir, pour la grande satisfaction des parties civiles et des familles de victimes.
Alain GAUTHIER, président du CPCR