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De notre envoyé spécial au Rwanda.
CAPITALE de la région nord-est du Rwanda, Byumba, située à environ 70 kilomètres de Kigali, apparaît d'abord comme une ville rouge: un sol ocre tout comme, à l'entrée de la cité, les bâtiments de l'évêché et ceux d'un groupe scolaire. Byumba a été libérée de la dictature voilà un peu plus de trois semaines. Son accès est rendu malaisé par l'interminable file de réfugiés qui, venant notamment de Kigali, cherchent ici la sécurité.
En quête de repos
Les réfugiés sont de tous âges. Ils portent des ballots sur la tête, parfois un matelas roulé et ficelé, et tiennent souvent un bidon de plastique pour transporter l'eau bouillie. Il y a énormément d'enfants. Généralement pieds nus, les habits en lambeaux, ils sont gris de poussière et au bord de l'épuisement total.
Ils avancent d'un pas régulier que rien ne semble pouvoir interrompre. Tant que le soleil brille, les réfugiés ne se donnent guère de repos. La recherche d'un havre de paix prime sur tout. Les plus lents, les groupes avec des enfants en bas âge, mettent trois jours pour faire Kigali-Byumba.
La préfecture de Byumba a été la première du pays à être entièrement libérée par le Front patriotique rwandais (FPR). La place est sous l'autorité du capitaine Denis Karera. « Rien qu'au centre de la ville, nous accueillons 17.000 réfugiés, explique-t-il, mais il y en a beaucoup d'autres ailleurs et je suis incapable de vous donner un chiffre précis. Tous les jours, leur nombre augmente. La plupart sont arrivés à pied et sont dans un état de grande fatigue. Nous nous heurtons sans cesse à des problèmes sanitaires et de ravitaillement. Et puis il y a les orphelins... ».
« Lorsque les premiers réfugiés sont arrivés, poursuit-il, ils ont vécu sur le ravitaillement de nos troupes. Mais aujourd'hui, ils sont trop nombreux. »
Le capitaine Karera a fort à faire et me fait comprendre que l'entretien ne pourra durer plus longtemps. Une dernière question sur les conditions dans lesquelles s'est effectuée la libération de la ville. Réponse: « Il y a eu des affrontements autour de la ville, mais on ne peut pas dire que l'ennemi se soit montré très combatif. Il a massacré et pillé auparavant, mais quand il a senti notre étau se resserrer, il a abandonné la place. Dans sa retraite, il a continué de massacrer et piller. »
Je rejoins Pascal, le conducteur du 4 x 4. Il me présente un ami qui a trouvé refuge ici avec sa fille aînée. Ils sont sans nouvelles de son épouse et de ses deux autres enfants. Pascal leur parle en kinyarwandais et semble lui dire que tout espoir n'est pas perdu. « Je n'y crois plus », répond l'homme en français.
Un peu plus tard, je ferai la connaissance de la nièce de Pascal. Elle est ici avec son époux et arrive au terme de sa grossesse. L'accouchement devrait avoir lieu dans les tout prochains jours. Ce sera son quatrième enfant. Elle ne sait pas où se trouvent les trois aînés qui étaient chez ses beaux-parents quand ont commencé les massacres.
Les bâtiments scolaires avoisinants ont été transformés en hôpital de fortune. C'est une suite de salles combles, jonchées de matelas à même le sol. Ils sont bord à bord et les infirmières sont obligées de marcher dessus lorsqu'elles ont à s'occuper d'un blessé gisant au fond de la salle. Une odeur âcre nous prend à la gorge.
Les riques d'épidémie
Le Dr Médard Rutijanwa m'accueille: « Nous sommes submergés sous le nombre des blessés de tout genre. En ce moment, je suis en train de m'occuper d'une femme ayant des fractures ouvertes de l'avant-bras gauche et de la jambe causées par des balles. Juste avant elle, je me suis occupé d'un cas d'hémiplégie: un éclat de grenade au cerveau. Les blessures les plus fréquentes ont été faites par grenade et par machette. »
« Tous sont infectés et nos réserves d'antibiotiques sont épuisées, indique le docteur. Nous connaissons aussi de gros problèmes de personnel qualifié. Tous les valides assistent les infirmières, car elles ne sont pas assez nombreuses. Outre les blessés, il y a beaucoup de cas de malaria et de pneumonie: ceux qui, pendant plusieurs jours, ont dû se cacher dans la brousse avec leurs enfants. Le danger qui nous menace en ce moment sont les diarrhées. C'est par elles que l'épidémie pourrait se déchaîner. Nous isolons tous les cas suspects ou déclarés, mais nous manquons de médicaments. »
Contrairement à l'hôpital Gahini que j'ai pu visiter au sud, dans la préfecture de Kibungo - désormais entièrement libérée -, le Dr Rutijanwa souligne que le nombre de cas de gangrène reste relativement limité. Comme je m'étonne de cette différence entre les deux hôpitaux, il fournit l'explication: « Nous avons été libérés plus tôt. Les blessés ont eu moins longtemps à se cacher dans la brousse. »
« Nous connaissons aussi beaucoup de cas de dépression et de troubles du comportement. Mais leur nombre est à coup sûr bien moins élevé que ce que l'on pouvait redouter. Sans doute le sentiment d'être sauvés, d'avoir retrouvé la sécurité. Cela leur a rendu... » Le docteur cherche la fin de sa phrase et ne la trouve pas. Joie, bonheur sont des termes impossibles au Rwanda. L'énergie de vivre, peut-être?