Citation
L'armée française au service d'intérêts privés ? Comment expliquer cet
 acharnement au Rwanda ? s'interroge le représentant du FPR en Europe
 que nous avons rencontré à Bruxelles. 
 Le docteur Jacques Bihozagara, membre du Comité exécutif du Front
 patriotique rwandais (FPR), chargé des relations internationales pour
 l'Europe, estime que l'opération française auprès de l'ONU « est une
 démarche dangereuse, qui nous ramène deux ans en arrière ». Cette
 nouvelle manoeuvre, juge le FPR, veut accréditer l'idée, alors que le
 conflit est « rwando-rwandais », que l'affrontement est régional. « Le
 conflit est identifié, précise-t-il, la CEE et le Parlement européen
 ont déjà recommandé qu'il soit géré par l'OUA (Organisation de l'unité
 africaine). L'année dernière, la France nous a amenés à une
 négociation parallèle, discrète, mais qui ne nous conduisait nulle
 part, nous étions manipulés, la France ne voulant que préserver la
 dictature. Vouloir transférer le dossier au Conseil de sécurité de
 l'ONU est d'abord maladroit : quel qu'il soit, le gouvernement
 rwandais est souverain. Pourquoi Paris, alors que Kigali est
 représenté à l'ONU ? » 
 Que signifie ce « transfert » ?.
 Paris a encore une fois déplacé le problème sous l'angle régional, en
 relançant la thèse du conflit rwando-ougandais, se moquant ouvertement
 des accords récents d'Arusha ainsi que de l'OUA, qui gère le
 dossier. Nous avions décidé de négociations directes entre Rwandais,
 et c'est nous qui devons savoir où doit se discuter la question. Au
 moment où la France déposait son projet à New York, elle soutenait
 officiellement une rencontre à Dar es-Salaam (capitale de la Tanzanie)
 entre le premier ministre rwandais et le président du FPR. La démarche
 auprès de l'ONU est une machination entre le dictateur Juvenal
 Habyarimana et Paris, à laquelle le gouvernement rwandais lui-même
 n'était pas associé.
 La France veut-elle refiler le bébé rwandais à l'ONU ?
 Elle veut semer la confusion. Avec le gouvernement rwandais, en juin
 1992 à Paris, nous lui avons demandé d'être observateur, maintenant
 elle veut gouverner notre pays, franchement nous ne comprenons plus,
 elle s'interpose à tous les niveaux. En proposant que le noyau de la
 future force de l'ONU soit son contingent déjà en place, plus de 600
 hommes, elle montre qu'elle veut s'accrocher à tout prix. Membre
 permanent du Conseil de sécurité, bénéficiant du droit de veto, elle
 demande en fait des renforts. 
 Vous êtes de nouveau aux portes de Kigali ?
 C'est que nous n'avons jamais été bien loin. Les forces françaises ont
 volé au secours de l'armée gouvernementale parce qu'on leur a fait
 croire que nous voulions prendre la capitale, mais les services de
 renseignement français ont été induits en erreur par les services
 rwandais, à partir d'un télégramme envoyé par l'ambassade du Rwanda à
 Kampala (Ouganda) affabulant sur nos préparatifs militaires. Celui-ci
 annonçait que nous voulions prendre Kigali par la force, les services
 français s'en sont servis pour répercuter jusqu'à Paris.
 Le gouvernement français aurait été manipulé à la veille de la visite
 dans la région de Marcel Debarge, ministre de la Coopération ?
 Il y a eu une campagne d'intoxication par les services de
 renseignement français et ceux du président rwandais. Celui-ci, depuis
 le début de la guerre, a toujours justifié sa politique en affirmant
 que c'était l'Ouganda qui attaquait le Rwanda. Et là, nous étions à la
 veille de la publication du rapport d'enquête internationale sur les
 atteintes aux droits de l'homme dans le pays.
 Lundi, à la suite de la publication de ce rapport, Bruxelles a rappelé
 son ambassadeur à Kigali. Paris n'a pas réagi.
 Le gouvernement français est complice dans cette affaire. Il sait. Des
 lettres sont parvenues à François Mitterrand. Son épouse, de passage à
 Bruxelles, est repartie avec un dossier éloquent, Paris ne peut pas
 dire qu'il n'était pas informé. Mais il soutient le régime à
 bras-le-corps.
 Les militaires français sur le terrain $ldots$
 Ils ne sont pas en première ligne, mais juste derrière le front. Ils
 dirigent l'artillerie lourde, contrôlent les identités dans les rues
 de Kigali. Contrôlant des points stratégiques, ils libèrent autant
 d'effectifs pour combattre. En tout état de cause, ils assurent le
 commandement des forces gouvernementales. 
 Dans quel intérêt, alors que l'ancienne puissance coloniale, la
 Belgique, s'est retirée ? 
 Il y a des relations privilégiées entre des dirigeants français et le
 pouvoir personnel du président Habyarimana. 
 Des intérêts économiques privés ?
 Nous le pensons. Rien d'autre ne peut expliquer que la France
 s'intéresse tant au Rwanda, avec lequel elle n'a aucune histoire
 commune. La Belgique, ce serait encore compréhensible ...
 Vous voulez dire que la diplomatie et l'armée françaises ont été mises
 à disposition d'intérêts français particuliers ? 
 Tout à fait. Nous nous sommes longtemps tus, mais maintenant nous
 osons l'affirmer. Comment expliquer cet acharnement à soutenir un
 assassin ?