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BILLETS D’AFRIQUE N° 14 - SEPTEMBRE 1994
TURQUOISE CONTENUE
Turquoise était une arme bizarre, taillée pour affronter le FPR, mais qui, rengainée, pouvait aussi sauver - tardivement quelques milliers de rescapés du génocide. Maniée à plusieurs mains, dont celles qui dirigèrent le désastreux soutien à un nazisme
en gestation, elle risquait d’ajouter au cataclysme - et, accessoirement, à la confusion de la France.
À côté du succès de communication (oblitérer les responsabilités antérieures de la France), il y a donc eu un vrai succès
politique : celui des partisans de la prudence, qui ont su empêcher l’opération de dériver vers l’affrontement. Ce n’est pas ce type
de satisfecit qu’a généralement décerné la presse, mais il nous importerait de mieux connaître ces conjurés qui ont désamorcé la
machine infernale.
Et puisqu’ils y ont été sûrement aidés par leurs homologues du nouveau gouvernement de Kigali, ils pourraient aller au bout de
leur démarche en incitant la France à ne plus pratiquer, à son égard, la politique (ou l’attentisme) du pire.
SALVES
On renoue avec Mobutu ?
La nomination d’un nouveau Premier ministre Kengo wa Dondo et l’annonce d’un projet de loi conférant l’autonomie à la
Banque centrale du Zaïre - empêchant Mobutu de se servir directement dans les livraisons de nouveaux billets - paraissent des
garanties suffisantes aux milieux d’affaires français qui brûlent de voir rétablie la « coopération » officielle franco-zaïroise. Des
crédits d’urgence auraient déjà été promis. Les opposants, tel Léon Muntundu Kadima, n’en continuent pas moins d’être maltraités
(Le Soir, 11/07/1994).
Mais on a trop « besoin de Mobutu pour tenir le Zaïre et pour faire face à Yoweri Museveni », confiait un officiel français (dans
Libération du 04/06/1994).
Entre celui qui pille consciencieusement le Zaïre depuis trente ans - mais qui est francophone et permet à la France de maintenir
la pression sur le nouveau gouvernement rwandais - et celui qui a fait d’un pays martyrisé par Amin Dada un pôle de stabilité
économique et politique en Afrique de l’Est, les très influents partisans d’une Françafrique archaïque ont depuis longtemps choisi.
On noue avec el-Bechir ?
Nous ne croyions pas, en citant dans notre n° 6 l’éditorial de janvier du périodique néo-duvaliériste Lumières noires (Spécial
Soudan. « Une nouvelle approche est nécessaire »), que l’on pouvait y lire, comme dans du marc de café, la future alliance francozaïro-soudanaise. Les services secrets de ces trois pays multiplient désormais les échanges de bons procédés contre l’Ouganda, le
FPR, et la résistance sud-soudanaise (voir « À fleur de presse »). Une alliance qui serait, pour la France, conforme à « son éthique,
ses intérêts et son histoire ». Excusez-nous de n’avoir pas, sur les avatars de la politique franco-africaine, la prescience des
« tontons-macoutes ».
Qu’importent les massacres au Sud-Soudan, face à cette prodigieuse géopolitique - qui nous vaut aussi l’extradition de Carlos, la
vente de 3 Airbus, des promesses de pétrole pour Total et de grands travaux pour GTM. (Libération, 16 et 17/08/1994).
On célèbre avec Eyadema...
En 1944, les soldats d’Afrique ont pris une part prépondérante au débarquement allié de Provence. Aussi a-t-on associé les chefs
des États dont ces soldats étaient originaires à la célébration du cinquantenaire de cet événement. Durant la deuxième guerre
mondiale, le Togo, sous mandat de la SDN, n’était pas assujetti au service militaire français. Les Togolais n’ont donc pas participé
au débarquement - mais le général Eyadema, émule de Mobutu, a été un invité particulièrement honoré des fêtes du cinquantenaire.
N’est-il pas le plus méritant des combattants de la Françafrique ?
Dèche
Le 10 août, le porte-parole du Quai d’Orsay a expliqué que la France se contentait d’installer une antenne diplomatique à Kigali,
« en ajoutant qu’il ne s’agissait pas pour l’instant, faute de moyens, de rouvrir l’ambassade » (Le Monde, 12/08/1994). Nous
suggérons au Quai de lancer une souscription, une tombola, ou un Téléthon, afin d’assurer une présence honorable de la France au
Rwanda.
Riche idée
Faute d’argent, il arrive à ce même Quai de faire siennes d’excellentes idées (ce qui prouve au passage que tout reste possible
dans une politique franco-africaine livrée à une multiplicité de stratégies et de décideurs). Sur une suggestion de Médecins Sans
Frontières, la France défend au Conseil de Sécurité le déploiement au Rwanda d’observateurs civils internationaux, chargés de
surveiller les conditions de retour des réfugiés et le respect de leurs droits, de rechercher les responsabilités dans les massacres,
d’aider enfin à la réconciliation politique au niveau local. (Le Monde, 10/08/1994).
Aveu
Lors de son entretien, en juin, avec le rapporteur spécial de l’ONU René Degni-Segui, le chef des Forces armées rwandaises « a
expliqué que les autorités rwandaises pourraient faire appel aux populations pour qu’elles arrêtent les exactions [le génocide des
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N° 14 – Septembre 1994
Tutsis], et que les populations les écouteraient, mais que la conclusion d’un accord de cessez-le-feu était une condition préalable à
un tel appel ». Autrement dit : « Traitez avec nous, et on cessera de découper femmes et enfants à la machette ». On aurait envie
de crier : « C’est bien parce que vous n’avez jamais lancé ce type d’appel - et que votre armée a agi en sens contraire - qu’on ne
peut en aucun cas traiter avec vous ! ». Mais, citoyens français, nous n’avons guère été entendus par notre gouvernement : il a
défendu jusqu’au bout la nécessité du « dialogue entre les deux parties ».
ILS ONT DIT
« Ce sont les femmes qui en Afrique centrale sont les plus gros travailleurs de la terre, ce sont elles qui manient les biens vivriers et
donc pourvoient à la survie de l’ensemble, et les femmes du Rwanda, toutes "ethnies" confondues, n’ont guère massacré les autres.
Elles n’en ont pas le temps. Ce sont elles, avec les hommes raisonnables, qui referont le Rwanda et non les armées occidentales »
(Catherine COQUERY-VIDROVITCH, Directeur du laboratoire CNRS « Tiers-mondes, Afrique », Le Soir, 29/07/1994).
« Face à un génocide, il n’y a pas de réponse humanitaire. Brandir la bannière de l’humanitaire, en laissant entendre qu’elle est
susceptible d’arrêter une machine de mort, c’est se livrer à une véritable imposture. [...] Il s’agit [l’exode massif au Zaïre] d’une
monstrueuse manipulation qui consiste à mettre en marche une population apeurée, épuisée, démunie. [...] La débâcle militaire
étant consommée, il convient de reconstituer dans le sanctuaire zaïrois des forces qui repartiront au combat. Et prolongeront
évidemment cette épouvantable guerre civile. [...] La véritable urgence est politique. Il n’y a aucune raison de faire payer à un
nombre considérable d’innocents un prix supplémentaire à celui de la folie meurtrière de leurs dirigeants. Il faut neutraliser au plus
vite cette capacité de nuisance et faire repasser la frontière à tous les réfugiés. (Rony BRAUMAN, ancien Président de MSF,
L’Express, 28/07/1994).
« J’ai lu avec un certain effarement un article paru dans Le Monde, et qui parlait de "mainmise" du parti des vainqueurs, et de
"Hutus de service" à propos des membres hutus du gouvernement [...]. Je connais très bien Pasteur Bizimungu, le président de la
République, qui a été le négociateur des accords d’Arusha au nom du FPR. C’est un homme très énergique, qui ne jouera pas un
rôle de figurant. De même que Faustin Twagiramungu, qui avait déjà été nommé au poste de Premier ministre par les accords
d’Arusha. Je connais également Seth Sendashonga, le nouveau ministre de l’Intérieur, responsable à ce titre de la police, de la
gendarmerie et de la reconstruction des villages. C’est un ancien haut fonctionnaire international. Et le ministre de la Justice,
Alphonse-Marie Nkubito, qui a échappé de justesse au massacre. Il était le président du collectif des ligues et associations de
défense des droits de l’homme au Rwanda. Il y en a d’autres. Contrairement à ce qu’on dit, ils occupent des postes stratégiques. Il
est exclu que ces hommes acceptent d’être de simples potiches.
- Est-ce que vous pensez que l’on peut faire entièrement confiance au pouvoir mis en place après la victoire du FPR ?
- [...] L’année dernière, il y avait aussi des dérapages du côté du FPR. Mais la différence, c’est que dans le camp gouvernemental,
les exactions étaient systématiques, les populations étaient écrasées par la violence, en particulier les femmes ; le meurtre, le viol et
le pillage se pratiquaient à tous les niveaux. Dans la zone du FPR, l’armée était bien tenue en main, les exactions, combattues et
condamnées. Aujourd’hui, quand j’entends les nouveaux responsables s’engager officiellement à respecter les accords d’Arusha, et
quand je vois parmi eux des hommes comme Nkubito et Bizimungu, je dis qu’il faut, avec toute la vigilance et les réserves
d’usage, les soutenir, au lieu de leur intenter de systématiques procès d’intention. De toute façon, ils sont là. Alors autant les
prendre au mot.
[...] Mon optimisme se fonde surtout sur les conversations que j’ai eues avec les différents responsables. Ils me disaient que ce
serait une erreur tragique de leur part s’ils utilisaient leur victoire pour confisquer le pouvoir au profit d’un groupe, et qu’ils étaient
condamnés, au contraire, à installer le plus rapidement possible un gouvernement et une administration qui rassurent toute la
population, [...] en jouant à fond la carte de la citoyenneté rwandaise, sans distinction d’ethnie ou de caste [...].
Mais le véritable espoir, c’est celui du développement, pour redonner au pays une dynamique qui puisse le reconstituer
physiquement, et, dans une certaine mesure, mentalement : [...] l’engager à reconstruire quelque chose en commun [...] dans la
perspective d’un projet de développement commun de la région des Grands Lacs. Quel grand rôle la France aurait pu jouer dans ce
contexte si elle avait mis son influence et son poids dans la balance [...], au lieu de mener une politique exclusivement fondée sur la
défense d’intérêts particuliers douteux, avec la complicité de dirigeants criminels. On ne dira jamais assez combien la tragédie
rwandaise est l’aboutissement le plus extrême de trente années d’une politique de coopération franco-africaine profondément
dévoyée. » (Jean CARBONARE, Président de Survie, coauteur du rapport de la Commission internationale d’enquête sur les droits de
l’homme au Rwanda en 1993, Le Nouvel Observateur, 04/08/1994).
À FLEUR DE PRESSE
La dépêche internationale des drogues, août 1994 : « [Les réfugiés qui ont manifesté le 24 juin à Kigali] brandissaient des pancartes
accusant notamment Jean-Christophe Mitterrand d’être un "marchand de drogues" [...]. Les manifestants voulaient signifier que le
fils du président de la République française était impliqué dans l’exploitation de vastes champs de cannabis appartenant à l’ancien
président, le général Juvénal Habyarimana, dans la grande forêt de Nyungwe, au sud-ouest du pays. Dans la presse belge, on
insinue que si les troupes françaises sont intervenues dans la préfecture de Gikongoro, située dans la "zone humanitaire sûre", et
que si les commandos de la Légion étrangère patrouillent dans la forêt de Nyungwe, c’est également pour faire disparaître toute
trace de ces activités. [...] [Ces dernières années,] plus de 60 % du cannabis (de 500 kilos à une tonne selon les années) saisi au
Burundi provenait du pays voisin ».
[La famille Habyarimana avait investi dans la production et la vente de drogue : c’était là son moindre défaut. L’amitié entre les deux familles
présidentielles (celle que François Mitterrand revendique envers Juvénal Habyarimana, et celle, ostensible, entre leurs fils Jean-Christophe et
Jean-Pierre) n’en était que plus imprudente.]
Billets d’Afrique
N° 14 – Septembre 1994
Libération, 12/08/1994. Le succès funeste de l’humanitaire (Stephen SMITH) : « L’humanitaire moderne, le sans-frontiérisme né, il
y a un quart de siècle, au Biafra, meurt aujourd’hui de son succès sur le continent africain : dernière valeur refuge, dans un monde
sans idéologie et sans... idées, coqueluche des médias en quête de héros, "relais" des États riches qui, dans une Afrique déclassée,
se passent de politique étrangère, l’humanitaire étouffe du trop-plein de misère. [...] Sans télévision, le plus grand drame qui se
prépare est désormais ni vu, ni connu. Il n’y a d’argent, de fonds d’urgence, qu’une fois les petits écrans envahis de cadavres. »
Jeune Afrique, 04/08/1994. Mobutu-Museveni : guerre secrète : « Ce n’est pas tant le FPR qui inquiète Mobutu que son homologue
ougandais Yoweri Museveni, principal protecteur du Front, dont la "montée en puissance" régionale est perçue par le maréchal
comme une menace directe. Mobutu partage cette inquiétude avec le Soudanais Omar el-Bechir, qui n’ignore pas que les rebelles
du Sud-Soudan trouvent armes et appuis à Kampala. Aussi assiste-t-on depuis peu à une réelle collaboration entre services
spéciaux zaïrois et soudanais [...] ».
Libération, 16/08/1994. Quand Pasqua prend la voie soudanaise (Stephen SMITH) : « Le ministre de l’intérieur n’a pas lésiné sur les
contreparties [à l’extradition de Carlos] . À plusieurs reprises - la dernière fois il y a huit semaines -, des chefs de la sécurité
soudanaise ont ainsi été invités en France pour des visites guidées sur les bases de la DGSE. Mieux, aux intégristes de Khartoum,
qui mènent une guerre jusqu’au-boutiste contre les chrétiens et animistes du Sud-Soudan, Paris a accordé un "droit de passage" par
le territoire centrafricain permettant à leurs troupes d’attaquer la guérilla sud-soudanaise dans son dos. Ceci d’autant plus
facilement que les services français ont également livré des photos satellites identifiant les positions de l’Armée populaire de
libération du Sud-Soudan (APLS).
"C’est vrai que nous avons remis ces photos aux Soudanais, a récemment reconnu un haut responsable à Paris. Cependant, nous
croyions qu’il n’étaient pas capables de les exploiter, ce qui suppose des connaissances techniques assez poussées. Mais, en fait,
ils se sont dépannés avec l’aide de leurs amis irakiens". Paris a ainsi, au mieux par naïveté, contribué aux succès militaires
remportés par la junte islamiste contre la guérilla sudiste. [...]
Côté français, c’est le colonel Jean-Claude Mantion, en poste dans la capitale centrafricaine Bangui jusqu’en juin 1993, qui a
resserré les liens avec les "services" soudanais. Agent de la DGSE, "proconsul" depuis 1980 dans cette République centrafricaine
qui sert à l’armée française de "plaque tournante" en Afrique, Mantion est un ami de longue date de El Fatih Irwa [haut conseiller
pour la sécurité, cheville ouvrière des contacts franco-soudanais]. Alors qu’il était surtout critiqué pour son rôle très visible à
Bangui, où il manipulait l’ancien général-président André Kolingba, Mantion avait en fait une stature régionale. Régulièrement, il
se déplaçait dans la Corne de l’Afrique et, en particulier, au Soudan [...].
Aussi, après son retour à Paris qu’avait précipité la "démocratisation" à Bangui soutenue par le Quai d’Orsay, Mantion s’est
activé pour ses "amis" soudanais. En apparence, les visites répétées à Paris des chefs de la sécurité soudanaise, incluant le
responsable des services d’espionnage Hashim Basaïd, passaient ainsi pour une opération de la DGSE. En fait, l’opération était
menée par le proche entourage de Charles Pasqua. Mantion [...] a mis des hommes de confiance du ministère de l’Intérieur en
contact direct avec El Fatih Irwa [...].
Le rapprochement avec la junte islamiste au pouvoir à Khartoum, géré "en parallèle" par la Place Beauvau, participe également
d’un jeu régional en Afrique. C’est ainsi que les Américains, via l’Ouganda, pays terrain du FPR qui vient d’accéder au pouvoir à
Kigali, livrent des armes et des missiles sol-air Stinger à la guérilla sud-soudanaise. Alors que Paris, supplanté comme puissance
tutélaire au Rwanda depuis l’assassinat du général-président Habyarimana, en avril dernier, soutient discrètement le régime à
Khartoum...
Ce soutien est d’autant plus étonnant que la junte soudanaise, sous l’influence du Front national islamique (FNI) de Hassan El
Tourabi, mène une politique intégriste inégalée dans son agressivité. Dans le cadre d’un programme de "relocalisation" rappelant
les pires excès de l’apartheid, entre 50 000 et 60 000 Sud-Soudanais viennent d’être délogés, rien qu’aux mois de juin et juillet, de
la "ceinture de misère" de Khartoum. Leurs habitations rasées, ils ont été raflés, embarqués sur des camions et "parqués" dans des
camps éloignés de la capitale, dépourvus de tout. Dans ces townships soudanais s’entassent désormais les survivants d’un
mouvement d’expulsion gigantesque qui, depuis deux ans, a "nettoyé" Khartoum d’environ 850 000 Sudistes. »
À lire aussi sur ce sujet l’article de René BACKMANN, De quel prix la France a « payé » Carlos aux Soudanais ?, Le Nouvel
Observateur du 18/08/1994.
The Economist (cité par Courrier international du 18/08/1994). Contrats, cadeaux, champagne et diplomatie musclée. Balladur ou
Chirac ? La question intéresse de près l’Afrique noire : « [...] Les pratiques anciennes [de la politique franco-africaine] pourraient
également souffrir de la récente réforme de la législation française sur le financement des partis politiques. [...] Les hommes
politiques français en campagne éprouveront peut-être moins la nécessité de se rendre en Afrique pour y constituer leur trésor de
guerre. Plus grave encore pour l’ordre qui régit traditionnellement les relations franco-africaines : le pouvoir grandissant d’un
groupe de technocrates français, dont certains sont passés par la Banque mondiale et dont l’influence s’est renforcée avec l’arrivée
au gouvernement d’Édouard Balladur [...]. En 1986, son prédécesseur gaulliste à ce poste, Jacques Chirac, à peine installé, avait
filé voir des amis en Côte d’Ivoire. M. Balladur, lui, s’est rendu en Afrique pour la première fois en juillet, quinze mois après son
entrée en fonction. [...]
Il semble vouloir en fait déposséder l’Élysée de ses prérogatives en matière de politique africaine, afin de la faire passer en
bonne partie sous le contrôle du ministre des Affaires étrangères, ce qui ferait de l’Afrique une région semblable aux autres régions
du globe. Les collaborateurs de M. Balladur parlent de "banalisation" et "normalisation" de la politique africaine. [...] L’équipe de
M. Balladur est tout doucement en train de dénouer les vieux réseaux liant les palais présidentiels. [...]
Billets d’Afrique
N° 14 – Septembre 1994
Quant à l’avenir du couple franco-africain, il dépendra beaucoup de l’élection présidentielle française de l’an prochain. [...] Le
style de M. Chirac serait probablement plus proche de celui des présidents précédents. [...] En cas de victoire de M. Chirac, le
village parisiano-africain résonnera du bruit des bouchons de champagne [...]. Une partie du village considèrerait par conséquent
d’un mauvais œil une victoire de M. Balladur. Pourtant, à en juger par la façon dont les choses se sont passées jusqu’à présent, ce
serait probablement une meilleure chose pour un certain nombre de peuples d’Afrique. »
[Que pensent de cette conclusion les partisans de Jacques Chirac ?]
Le Figaro-Magazine est un récidiviste des reportages très orientés sur le Tiers-Monde. Dans son n° du 20 août, il s’est surpassé
avec le reportage de Robert LACONTRE sur le Rwanda. Citons par exemple : « La radio de Reporters sans Frontières, pro-tutsi,
parle de lendemains qui chantent et incite les réfugiés au retour. Radio-Kigali, entre les mains du FPR, poursuit inlassablement sa
propagande style Radio-Moscou. [...] Kagame [le chef militaire du FPR] aurait même laissé entendre qu’une bonne tuerie
rééquilibrerait le pourcentage entre les deux ethnies : en principe 85 % de Hutus, 14 % de Tutsis (et 1 % de Twas qui ne comptent
pas). Naturellement, il n’a pas confirmé que ses troupes, en représailles, ont massacré à leur tour cinq cent mille Hutus. » Et tout
ça, ça fait / D’excellents Français / Très bien informés...
La Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) vient de créer le
Groupement d’appui juridique contre l’impunité au Rwanda (GAJ),
équipe internationale de proposition mais aussi d’action juridique et judiciaire pour lutter contre le phénomène d’impunité au Rwanda, dont
bénéficient en particulier les responsables du génocide. La première initiative a consisté en un dépôt de plainte pour génocide et crimes contre
l’humanité auprès des juridictions françaises et belges (cf. Billets n° 12).
La FIDH appelle à soutenir son action en lui transmettant (14 passage Dubail, 75010-Paris), avec la mention GAJ/ RWANDA), toute
information concernant la localisation des auteurs présumés de violations graves des droits de l’homme au Rwanda.
LIRE
Les « marchés communs » régionaux. Quels enjeux, pour quel développement ? Samir AMIN, Gérard CHOPLIN, François HOUTART, Isabel
YEPEZ, I-Chuan WUBEYENS. GRESEA et CETIM, Bruxelles, 1994, 88 p.
On n’échappe pas à cet échelon intermédiaire entre des économies nationales trop vulnérables et une mondialisation sans toit ni loi. Mais ce
palier désiré est aussi redouté : l’escalier n’est pas exempt de chausse-trappes. Cette plaquette rassemble quelques contributions sur ce thème à un
colloque tenu les 22-23 avril 1993, portant sur 4 continents. Les auteurs s’emploient, chacun à leur manière, à dresser la carte des pièges.
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Billets d’Afrique
N° 14 – Septembre 1994
RWANDA : PRIORITÉ ABSOLUE
Pour une politique intégrée efficace de retour des réfugiés au Rwanda
COMMUNIQUÉ DU 18 AOUT 1994
Le retour des réfugiés rwandais dans leur pays est une priorité absolue. La reconnaissance du gouvernement rwandais
par la communauté internationale, et la mise hors d’état de nuire des responsables du génocide, sont des conditions pour
qu’il puisse s’effectuer rapidement.
Après un réveil dramatiquement tardif des bonnes volontés internationales, l’absence de coordination de l’aide et la
multiplication des opérations d’assistance se traduisent par une perte d’efficacité et un manque de lisibilité qui renforcent
l’incertitude.
Le non-retour des réfugiés - ou leur fuite renouvelée - est en train d’accentuer dramatiquement une catastrophe humaine d’une
ampleur déjà exceptionnelle. Pour éviter la famine, il est urgent que les récoltes puissent être effectuées.
Ce non-retour fait le jeu politique des anciens dirigeants et de leurs partisans, qui prennent en otage les réfugiés pour servir leur
entreprise avouée de revanche militaro-politique.
La réussite du retour des réfugiés constitue donc un enjeu humanitaire et politique majeur.
Une dynamique de retour doit être organisée et recevoir l’appui des États et des organisations internationales, car elle ne
peut être assumée par les seules organisations humanitaires. Nous invitons la communauté internationale à se mobiliser
pour la mise en œuvre d’une aide en ce sens intégrant ses différents aspects politiques, institutionnels et matériels.
Propositions politiques et institutionnelles :
Pour permettre la consolidation des institutions et la stabilité d’un état de droit, la communauté internationale, et en
particulier la France, doit reconnaître immédiatement le gouvernement de Faustin Twagiramungu, Premier Ministre issu des
accords d’Arusha. Ce n’est à l’évidence qu’en concertation avec les autorités de Kigali que peuvent être prises des mesures
efficaces.
Les actions politiques de propagande de l’ancien régime qui font obstacle au retour des réfugiés ou en freinent le rythme doivent
être efficacement combattues. Cela implique :
* que soit mis fin aux activités des radios qui ont pris la suite de Radio Mille Collines (vecteur idéologique du génocide) et qui
continuent à attiser les haines, et risquent d’entraîner une déstabilisation de l’est du Zaïre.
* que les FAR et les milices présentes au Zaïre et dans la Zone Turquoise soient effectivement désarmées et regroupées dans des
camps séparés des réfugiés civils, éloignés de ces derniers ainsi que de la frontière rwandaise.
* que sur des bases négociées soient mise en place les conditions pratiques et institutionnelles du retour volontaire des réfugiés.
Sous les auspices d’organisations internationales - ONU, OUA - pourrait être créée une coordination comprenant les principaux
acteurs institutionnels suivants : les États de la région (Rwanda et pays d’accueil des réfugiés), les institutions humanitaires
internationales et les principales ONG intervenant dans la région.
* que sur ces bases soit assurée la sécurité de l’acheminement des réfugiés vers leur région d’origine depuis le Zaïre, la Tanzanie,
le Burundi et la « zone humanitaire sûre ».
Propositions matérielles :
Transport : Il est nécessaire que soient mis à la disposition des réfugiés des moyens de transports adaptés et en nombre suffisant.
Alimentaire : Il est nécessaire qu’à l’intérieur du Rwanda soient mis en place des lieux stratégiques de réserves de nourriture qui
servent de pôles d’attraction et de relais sur le chemin du retour des réfugiés.
Sanitaire : Il est nécessaire d’équiper ces relais d’antennes sanitaires d’urgence et de mettre en place en certains points
névralgiques des centres de soins plus durables.
Ces propositions matérielles, politiques et institutionnelles constituent un ensemble.
Nous doutons de l’efficacité de mesures purement sectorielles. Une politique intégrée est cruciale pour le devenir de
centaines de milliers d’êtres humains et pour l’avenir d’un pays martyr.
Signataires : Agir Ici, AITEC, CÉDÉTIM, Centre de Recherche et d’Information sur le Développement (CRID), Comité Catholique contre la
Faim et pour le Développement (CCFD), Comité Français Solidarité Internationale (CFSI), CIMADE, SURVIE, VIGILANCE RWANDA
SUPPLEMENT AU « POINT SUR LA LOI POUR LA SURVIE ET LE DEVELOPPEMENT » - DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : FRANÇOIS-XAVIER VERSCHAVE
PRIX : 6 FF - SURVIE, Tél: (33.1) 43 27 03 25 ; Fax: 43 20 55 58 - COMMISSION PARITAIRE N°71982 - DEPOT LEGAL SEPTEMBRE 1994 - ISSN 1155-1666