Citation
En cinquante ans de vie publique, Bernard Kouchner a connu bien des moments de
 solitude, mais l’ostracisme dont il fit l’objet le 26 janvier 2008 en évoquant
 le génocide au Rwanda (800 000 morts en 1994) n’a sans doute pas d’équivalent. A
 l’époque, il est pourtant à l’apogée de sa carrière politique : ministre des
 affaires étrangères de Nicolas Sarkozy, il est en visite officielle à Kigali.
 Une phrase, une seule, – « Paris a commis une faute politique au Rwanda » –
 suffit à déclencher une avalanche de commentaires acerbes à son encontre. Les
 critiques les plus virulentes viennent de celui qui, à droite, a toujours
 soutenu les choix de François Mitterrand et de ses proches conseillers au moment
 des faits : Alain Juppé.
 
 
 Celui qui était alors ministre des affaires étrangères (1993-1995) en pleine
 période de cohabitation réagit sur son blog aux propos de Bernard Kouchner. « On
 nous dit qu’au Rwanda, la France aurait commis une “faute politique”. C’est trop
 ou trop peu. De quelle faute s’agit-il ? Il faut l’expliquer ! Nous assistons
 depuis plusieurs années à une tentative insidieuse de réécriture de l’Histoire.
 Elle vise à transformer la France d’acteur engagé en complice du génocide. C’est
 une falsification inacceptable. » Kouchner laisse passer la tempête, mais ne
 renonce pas à ses convictions, et précise sa pensée, le 12 avril 2015, sur TV5
 Monde : « Je n’ai jamais dit que l’armée française avait participé au génocide,
 jamais, jamais, jamais. Ils ont préparé les gens qui ont fait le génocide et, en
 particulier, l’armée hutu du Rwanda. Et puis, il y a eu des livraisons d’armes,
 des combines… C’était nos amis, nos amis politiques. L’erreur est politique,
 elle a été commise par des politiques, pas par des militaires. »
 
 
Défendre « l’honneur de la France »
 
 L’ancien « French doctor » prend ici le contre-pied des politiques français
 mêlés à cette histoire. Qu’ils soient de droite ou de gauche, tous ont pour
 point commun de défendre « l’honneur de la France », et de rejeter toute
 responsabilité dans le désastre du printemps 1994. Ce faisant, ils nient ou
 démentent, selon les cas, les récits critiques des anciens militaires engagés au
 Rwanda. A gauche, Paul Quilès et Hubert Védrine font figure de gardiens du
 temple. Le premier, président de la Mission d’information parlementaire de 1998,
 a toujours estimé qu’il n’y avait pas lieu d’accuser Paris d’une quelconque
 forme de complicité avec le régime génocidaire. Le second, secrétaire général de
 l’Elysée à l’époque des faits, préside aujourd’hui l’Institut
 François-Mitterrand. Sollicité par Le Monde, il fait savoir qu’il « n’a rien à
 ajouter » à ce qu’il a pu dire depuis une vingtaine d’années sur ce « triste
 sujet », en réponse à ce qu’il appelle des « accusations infondées,
 périodiquement répétées, par exemple, pour promouvoir des articles ou des
 ouvrages ».
 
 A droite, les fractures sont plus complexes. Les héritiers chiraquiens se
 rangent derrière la bannière d’Alain Juppé, dont le directeur de cabinet
 d’alors, Dominique de Villepin, faisait partie des « va-t-en guerre » sur le
 Rwanda. Les ex-balladuriens, pour leur part, protègent l’œuvre de leur mentor,
 nettement plus réticent à toute aventure africaine. Nicolas Sarkozy, ministre du
 budget et porte-parole du gouvernement Balladur au moment du génocide, a fait
 bouger les lignes lorsqu’il s’est rendu dans ce pays en 2010. « Nous devons voir
 plus loin, pour organiser la réconciliation, lance-t-il alors. Des erreurs
 d’appréciation, des erreurs politiques ont été commises ici et ont eu des
 conséquences absolument dramatiques. Nous voulons que les responsables du
 génocide soient retrouvés et soient punis. Il n’y a aucune ambiguïté. » Mais
 l’inflexion s’arrêtera au stade du langage : Nicolas Sarkozy ne précisera jamais
 la nature de ces « erreurs politiques ».