Sous titre
Le Groupov a présenté brièvement, au Centre Wallonie-Bruxelles et à la Maison des métallos, le troisième volet de ses travaux sur le génocide rwandais. Un théâtre choc et politique.
Citation
Dans la région de Kibuye, sur la colline de Bisesero, du 13 avril au 26 juin 1994, 50 000 Tutsi seront consciencieusement massacrés par les milices hutu. Hommes, femmes, enfants, vieillards, tous tenteront de résister à la folie meurtrière avec quelques pierres et des bouts de bois. Le 26 juin, ils sont 2 000 survivants, fantômes de cette hécatombe sanglante programmée. L’armée française, sous couvert de l’« opération Turquoise », passe en les ignorant. Elle rebroussera chemin, trois jours plus tard. Les bourreaux auront eu le temps d’achever plus de la moitié des survivants. La Cantate de Bisesero, écrite à partir des témoignages des quelques rescapés, clôt un triptyque entrepris en 1999 au Festival d’Avignon autour de cette question du génocide rwandais par le Groupov.
Après Rwanda 94, en 1999, Anathème en 2005, la Cantate de Bisesero témoigne d’un travail têtu et acharné du collectif belge le Groupov et de son directeur artistique, Jacques Delcuvellerie, de convoquer les morts à table, de leur redonner la parole pour témoigner encore et encore. La force de ce triptyque, c’est ni d’accabler ni de culpabiliser le spectateur, mais de le sortir de sa torpeur, de l’amener à réfléchir sur la fabrique de l’histoire, le sens d’un tel événement depuis les origines, en l’occurrence celles de la colonisation, d’une « décolonisation » factice, d’interroger les enjeux politiques, économiques, le rôle de l’Église, la cécité consciente ou inconsciente des témoins impuissants à arrêter cette mécanique génocidaire. Comment un tel massacre a-t-il pu être perpétré au su et au vu de toutes les nations ? Avec quelles complicités ? Dans quels buts ? Le théâtre du Groupov, plus fondamentalement, dans un dispositif simple mais percutant – un chœur, un orchestre et deux chanteuses, sur une partition musicale lumineuse et apaisante de Garrett List – ne cesse de se/nous questionner : où en est-on de l’humanité ? Sans effets de quelque nature que ce soit, c’est un théâtre choc, un théâtre politique tout en tensions, une épure du geste et une économie des mots d’où jaillit la violence des massacres. Lorsque s’éteignent les lumières, il règne dans la salle un silence avant que n’éclatent les applaudissements.