Fiche du document numéro 18707

Num
18707
Date
Mercredi 16 juin 2004
Amj
Auteur
Fichier
Taille
19302247
Pages
175
Titre
Butare, la préfecture rebelle (Tome 1)
Sous titre
Rapport d'expertise rédigé à la demande du Tribunal pénal international des Nations Unies sur le Rwanda
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Source
Type
Rapport
Langue
FR
Citation
Arusha, le 16 juin 2004
Rapport « Butare, la préfecture rebelle », tomes 1 à 3.
André Guichaoua, témoin-expert
Errata
Tome 1
P. 20, l" §: lire «la nomination comme évêque auxiliaire de Félicien MUVARA, tutsi, ancien
secrétaire général de la conférence épiscopale et vicaire général du diocèse de Butare » au
lieu de «la nomination comme évêque titulaire de Félicien MUVARA, tutsi, ancien
secrétaire général de la conférence épiscopale et évêque auxiliaire du diocèse de Butare ».
P. 29, fin 3ème § : lire

« tous deux personnels de l'UNR}} au lieu de « tous deux professeurs à l'UNR ».

P. 33, 4ème § : lire « Julienne MUKABARUNGI (hutu, Kibungo, commune Rutonde, Rwamagana) »au
lieu de « Julienne MUKABARUNGI (hutu, Kibungo, commune Rwamagana) ».
P. 42, note 72 : lire «Il y gagna alors le surnom de Rukusanya, le « rassembleur d'idées» au lieu de
« Il y gagna alors le surnom de Rukusanya, le « rassembleur ». [le terme vient de
gukusanya ibitekerezo].
P. 44, tableau 2 : après la mention du nom de NSAGUYE
Fébronie, ajouter la note suivante
«Fébronie NSAGUYE n'est pas originaire de la commune de Ngoma mais de celle de
Muyaga. ».
P. 46, dernier § : lire « il en alla de même à Butare Ville, dont il devint conseiller communal au milieu
des années 70, parce qu'il ne craignait pas ... » au lieu de « il en alla de même à Butare
Ville parce qu'il ne craignait pas ... ».
.
P. 47, 3èmc § : lire «Jacques RUSIRARE, commerçant à Kigali»
commerçant à Kigali ».
P. 57, note

au lieu de «Jacques

BUSlRARE,

110: lire « Plusieurs personnalités tutsi prirent alors leur distance avec le parti
(MBAGUTA,
MAHARANGARl,
les deux hommes d'affaires
respectivement
fonctionnaire au ministère des Finances et directeur de la BRD, ... ).» au lieu de
«Plusieurs
personnalités
tutsi se détachèrent
alors du parti (MBAGUTA,
MAHARANGARI,
les deux hommes d'affaires respectivement fonctionnaire au
MINIPLAN et directeur de la BRD, ... ). »,

P. 58, 3ème § : lire ({le patron du bar ... )}au lieu de « la patron du bar ...

»,

P. 58, 3ème § : lire «le chauffeur du colonel Élie SAGATWA fut soupçonné d'avoir conduit le
commando» au lieu de «le chauffeur du colonel Élie SAGATWA soupçonné d'avoir
conduit le commando ».
P. 60, 2éme § : lire « Vénuste HARlY AREMYE » au lieu de « Vénuste RUZIBIZA ».
P. 62, note 120 : lire « le gouvernement pluripartite de Dismas NSENGIY AREMYE. » au lieu de « le
gouvernement pluripartisme de Dismas NSENGIY AREMYE. ».
P. 63, 4éme § : lire « Augustin IYAMUREMYE » au lieu de

« Faustin IYAMUREl'v1YE ».

P. 71, 3ème §: lire «Jean-Berchmans
NSHIMYU.lv.IIJREMYI (MRND, hutu, Ruhengeri, commune
Butaro) »au lieu de « Jean-Berchmans NSHIMYU.lv.IIJREMYl (MRND, hutu, Ruhengeri,
commune Bataro)

».

P. 72, dernier §: lire «Alphonse KAREMERA (MDR, Gitarama, commune Nyabikenke) laissa
massacrer les blessés tutsi hospitalisés à l'hôpital universitaire» au lieu de « Alphonse
KAREMERA
(MDR, Gitarama, commune Nyabikenke), responsable de l'hôpital
universitaire, laissa massacrer les blessés tutsi hospitalisés ».
P. 79, note 172 : lire « NZABüNIMANA»
p. 79, 3ème §: lire «hôtel-restaurant
Urugwiro » »,

au lieu de « NSABüNIMANA

Rebero Horizon

»,

au lieu de «hôtel~restaurant

du «village

P. 80, note 176 : lire « [le nom (BIZIMUNGU) et l'attribution son inexactes (il n'était pas membre du
CC du MRND), AG] » au lieu de « [cette attribution est inexacte, AG] ».
P. 109, 3ème § : lire

« l'École d'Officiers de Kigali » au lieu de « l'ESM ».

P. 109, 3ème § : lire «alors instructeur à 1'ESO aux débuts des années 70. À la sortie, il servit dans
différentes unités de l'armée, puis intégra la gendarmerie. » au lieu de « alors professeur à
l'ESO aux débuts des années 70. ».
P. 109, 4ème § : lire « À son retour de formation, il connut ... » au lieu de « À son retour de formation, il
intégra la gendarmerie, puis connut. .. ».
P. 109,

Sème

§ : lire « lieutenant-colonel
MUNY AKAZI ».

Laurent MUNYAKAZI

» au lieu de « colonel Laurent

P. 110, 2ème §: lire « colonel Aloys SIMBA» au lieu de « major Aloys SIMBA ».
P. 114, I" § : lire « Sylvain HARINDINTWALI})

au lieu de « Sylvain HARIDINTWALI

P. 129, note 292: lire « Mathias BUSHISHI (hutu, Gikongoro)>> au lieu de «Mathias
(hutu, Ruhengeri) »,
P. 129, note 292 : lire «Jean-Bepüste RUZINDAZA
RUZINDAZA (hutu, Cyangugu) »,

».
BUSHISID

(hutu, Kigali rural) }) au lieu de « Jean-Baptiste

P. 132, dernier § : supprimer «Martin RUDAKUBANA (MDR, hutu), bourgmestre de Ruhashya fut
lui aussi assassiné en avril 1994 par des miliciens Interahamwe parce qu'il s'opposait à
leurs tueries. ».
P. 132, 4ème §, Il ème ligne: ajouter après la phrase se terminant par «fut assassiné peu après », «De
même, dès l'arrivée des Gardes présidentiels le 21 avril, Denys SEKIMüNYü (hutu), exbourgmestre de 1986 à 1991, ayant rejoint ensuite les rangs PSD, a été tué avec toute sa
famille, enfants compris. ».
P. 137, 4ème §: après « Le bourgmestre, Antoine SIBüMANA»
femme tutsi. ».

ajouter la note suivante« Marié à une

P. 138, 2ème § : lire « chef milicien MASUI\1BUKO}) au lieu de « chef milicien MASUI\1BOKO ».
P. 139, 2ème § : lire « général-major
Marcel GATSINZI ».

Marcel GATSINZI»

2

au lieu de

« général de brigade BEM

P. 139, note 316 : remplacer « Son cas n'est toujours pas tranché à ce jour. » par «Détenu ensuite en
Tanzanie, il s'est rendu le 28 mars 2004 aux autorités belges qui entendent le poursuivre
pour l'assassinat de dix casques bleus belges le 7 avril 1994 à Kigali. ».
P. 142, l" §: lire « le colonel Gratien KABILIGI»

au lieu de « le lieutenant-colonel

Gratien

KABILIGI ».
P. 141, 2ème § : lire « Déogratias NSABlMANA»
P.

142,

note 324:
lire «colonel
RWARAKABIGE ».

Paul

au lieu de « Déogratias NSABINAMA
RWARAKABlJE})

P. 142, 3ème § et dernier § : lire « lieutenant-colonel
Tharcîsse MUVUNYI ».
P. 144, I" § : lire

au

lieu

Tharcisse MUVONYI»

de

».

«colonel

au lieu de

Paul

« colonel

« GdN» au lieu de « GD »,

P. 145, dernier §: lire « des premières promotions de l'ESM (qui s'appelait alors École des Officiers
de Kigali) » au lieu de « des premières promotions de l'ESM ».
P. 146, note 336: lire « À Gitarama, il s'agit du major ex-député (en retraite) Jean-Damascène
UKULIKIYEYEZU (hutu, Gitarama) qui fut nommé préfet début juin 1994 après la fuite
du Fidèle UWIZEYE (MDR, hutu, Gitarama). Il fut tué avec son épouse par les troupes
du FPR. » au lieu de «À Gitarama, il s'agit du major ex-député (en retraite) JeanDamascène UKULIKlYEYEZU (hutu, Gitarama) par le major qui après la fuite du préfet
Fidèle UWIZEYE (MDR, hutu, Gitarama) fut nommé préfet début juin 1994. Il fut tué
avec son épouse par les troupes du FPR. ».
P. 147, note 341: ajouter « Sa propre fille est le major Jeanne NDAMAGE, mariée au major
NIYüNSABA. Elle figure parmi les «Militaires
ibyitso » dénoncés par Pauline
NYIRAMASUHUKü dans son agenda (p. 6 juillet, cf. Tome 2, p. 63.) »,
P.154, 3ème ligne avant la fin du tableau 14 : lire « Jean-Baptiste RUZINDAZA
Baptiste RUZINDANA ».

» au lieu de «Jean-

P. 163, 3ème §: lire « les bourgmestres réfractaires furent tués (Nyabisindu, Ntyazo) » au lieu de « les
bourgmestres réfractaires furent tués (Nyabisindu, Ntyazo, Ruhashya) ».
P. 165, avant-dernier § : lire «Le basculement d'avril 1994 ne relève pas seulement d'enjeux à
dominante ethnique. » au lieu de «Le basculement d'avril 1994 ne relève pas non plus
d'enjeux à dominante ethnique. »,
P. 165, avant-dernier §: lire « par les militaires putschistes pour gagner la « guerre finale» et réussir
là où ... » au Heu de « par les militaires putschistes pour gagner la « guerre finale» de
réussir là où ... ».
P. 165, dernier § : lire « les bourgmestres

assassinés" .. )} au lieu de

« les trois bourgmestres

assassinés, ... »,
P. 167 : ajouter« GdN Gendarmerie nationale (par opposition à GN, Garde nationale) ».

3

Tome 2
P. 4, dernier § : lire « le commandant Pascal BARAHIRA, officier retraité originaire de Nyanza » au
lieu de « le commandant Pascal BARAHIRA, commandant de la Gendarmerie de
Nyanza ».
P. 9, 1er §, 1er alinéa:

lire

« venait de se rapprocher du J\IDR» au lieu de « venait de rejoindre les

rangs du:MOR ».
P. 10, Agenda 19/01, note 4: Nonce apostolique = contre Rukokoma et NlRND ». Si Rukokoma,
signifie bien «Conférence nationale souveraine », comme indiqué en note, Le terme
s'applique ici à Faustin TWAGIRAMUNGU dont le nonce apostolique n'appréciait guère
les positions.
P. 14, Suite agenda 19/01, 3ème ligne: lire « guhatanira imyanya » au lieu de « Tutélaire inyanya
P. 15, Suite agenda, 4ème ligne: lire « Ishimwe ry'abaselire»

»,

au lieu de « lshimuve ry'abaselire »,

P. 17, avant-dernier § : lire « un colonel malien de la MINUAR » au lieu de « le colonel MARlEN de
laMINUAR».
P, 17, avant-dernière ligne: lire « ~ Kwishisha abahandi cg (cyangwa) abo mudasangiye ubwoko s au
lieu de « - Kwishisha abahandi cg (cyangwa) abo mudasangiye ubuhoko ».
P. 24, tableau 4 : lire « sous-préfecture Munini » au lieu de « sous-préfecture Mwulire ».
P. 25, tableau 5 : lire « sous-préfecture Munini » au lieu de « sous-préfecture Mwulire ».
P. 27, note 27: lire

« BEM, Brevet d'État-major. » au lieu de « BM, Brevet militaire. }).

P. 32, Suite agenda 11/02 : selon la présence ou l'absence de ponctuation, la phrase « Gvt y'abatabazi
iz'abagambanyi ntizizongera » peut aussi vouloir dire «Voici le gouvernement des
Abatabazi (= les sauveurs), tandis que les gouvernements des traîtres ne peuvent plus
revenir [ou « être restaurés]. ».
P. 33, 2ème § : lire «Kwerekana ko atali imilimo gusa yo kuzabahitana
atali imilimo gusa yo kuzabahitama ».

» au lieu de «Kwerekana ko

P. 35, l" mai: après « Ntyazo: Ndahimana Mathias » ajouter en note:
bourgmestre était Mathieu et non Mathias, ».

«Le prénom exact du

P. 36,3 mai: « Tribunal Ngororero ». S'il s'agit du tribunal de première instance, celui-ci se trouve à
Kabaya et non à Ngororero.
P. 38, avant-dernier § : lire «Mu mishyikirano ntihagomba kwinginga » au lieu de « Mu mishyikirano
ntihagomba kwireginga ».
P.42, Il mai, Commune Rusatira : lire « Umuhungu w'i Maza» au lieu de

« Umuhungu w'i Rwaza ».

P.42, Il mai, Commune Rusatira : lire (~- Samweli wa Nkerabigwi ikimasa cyaririwe kuli arrêté » au
lieu de « - Samweli wa Nkerabigwi ikimasa cyanite kuli arrêté »,
P. 43, note 60: ajouter «Sa propre fille est le major Jeanne NDAMAGE, mariée au major
NIYüNSABA. Elle figure parmi les «Militaires
ibyitso » dénoncés par Pauline
NYIRAMASUHUKü dans son agenda (p. 6 juillet, cf. infra, p. 63.) ».

4

P. 46, Suite agenda 22/02, 5ème ligne: lire «Komini zo ku nkiko zikwiye kwita bwaho » au lieu de
« Komini zo leu nkiko zincique Invita bwaro ».

P.

50,

dernière
ligne
lire«
UKHAZINUBANDA ».

Caporal

UTAZIRUBANDA))

au

lieu

de

«Caporal

P. 51, 1ère phrase: lire « Yabwiye amagombo mabi abaturage kuri Mwogo » au lieu de « Yabwiye
amagombo mabi abokenage kuri Mwogo ».
P. 51, 31/05, l" § : lire «Tueries par FPR Bugari-Ntyazo » au lieu de «Tueries

par FPR Bugeri-

Ntyazo ».
P. 53, 3 au 7 juin: lire « sous-préfet Munini ) au lieu de « sous-préfet Mwulire »,
P. 70, note 128 : lire « lieutenant-colonel HATEGEKIMANA Antoine (hutu) ) au lieu de
colonel HATEGEKIMANA François (hutu, Kigali) ».

« lieutenant-

P. 82, 2ème §: corriger et me limiterai. .. ».
P. 85, dernier § : lire « «;Kgl umucuruzi azatange imbunda 2, imwe pour lui, indi pour le quartier. » au
lieu de « « K&1 umucuruzi azatange imbunda 2, imiwe pour lui, indi pour le quartier. ».

Tome 3
Sommaire: Erreurs de pagination
Annexe 5: Documents administratifs relatifs à la nomination de Pauline NYIRAMASUHUKO
à
Butare 1990-1991.
,
,
,. . . . . . . . .. .. . . .. . .. . .
24
Annexe 61 : Inventaire de l'armement distribué par la commune urbaine de Ngoma., ..
354
P. 334-338 : remplacer le «Procès-verbal d'audition de Théoneste MUVUNYI, parquet de Butare, 17
mars 1995 », déjà reproduit p. 320 sqs par le « Procès-verbal d'audition de Vénuste RUDASINGWA,
parquet de Butare » ci-après,

5

BUTARE, LA PRÉFECTURE REBELLE

RAPPORT

PRINCIPAL

Tome 1

RAPPORT D'EXPERTISE
RÉDIGÉ À LA DEMANDE

DU TRIBUNAL

PÉNAL INTERNATIONAL

DES NATIONS UNIES SUR LE RWANDA

Université

André Guichaoua
Paris l Panthéon-Sorbonne
(France)

Arusha (Tanzanie)

Mars 2004

BUTARE, LA PRÉFECTURE REBELLE

RAPPORT PRINCIPAL

Tome 1

RAPPORT D'EXPERTISE
RÉDIGÉ À LA DEMANDE DU TRIBUNAL

PÉNAL INTERNA TlüNAL

DES NATIONS UNIES SUR LE RWANDA

Université

Arusha (Tanzanie)
Mars 2004

André Guichaoua
Paris 1 Panthéon-Sorbonne
(France)

SOMMAIRE
Tome 1 : Rapport

principal

Sommaire,
,
,
Préambule
Carte de la préfecture de Butare .. ,.

'

,

,. .
,..

7

,

Carte de Butare Ville
,
Communes d'origine des principales personnalités
Butare citées dans l' étude
,
Butare, la préfecture rebelle

"
,

Pages
2

originaires

9

.

10

.
de la préfecture de
.

,. ,

1. La préfecture de Butare dans le contexte rwandais
LI. Une préfecture en déclin depuis l' indépendan ce
1.2. Une marginalisation politique délibérée
1.3. La fluidité des appartenances ethniques
1.4. Des caractéristiques atypiques
,

11

.

14

,

15
15
15
16
18

.
.
.
.

21

2. Les personnalités politiques de Butare de la 1""· et de la 2""" République ...
2.1. La longue carrière des personnalités historiques issues des luttes pour
l'indépendance
:
.
2.2. La seconde génération de personnalités politiques
.
2.3. La promotion de la famille NTAHOBARI.
,
,
.
2.4. La transition vers le multipartisme: les années 1989-1992
, .
2.5. L'accès au premier plan de personnalités féminines
,
,
2.5.1. Agathe UWILlNGIYIMANA, première femme Premier ministre
.
2.5.2. Pauline NYIRAMASUHUKO et le ministère des « femmes »,
.
2.6. L'attentat contre le président Juvénal HABYARIMANA
et la mise en place d'un
« Gouvernement du sud » ••••. ,. . ,. .•.••.•••.••••..•••.•.•.••••.•...••......•.
,. ....••
3. Les partis politiques
'"
',"
,.
3.1. Du parti unique au multipartisme: le dimatbutaréen
.. ,
3.2. L'alliance pour le renforcement de la démocratie (ARD)
3.2.1. Le MRND « rénové»
,.
,.
,
3.2.2. La coalition pour la défense de la république (CDR)
3.3. Les forces démocratiq ues du changement (PDC)
,
3,3.1. Le mouvement démocratique républicain (MDR)
3.3.2. Le parti social-démocrate (PSD)
,
3.3.3. Le parti libéral (PL)
,.
,
3.4. Les milices des partis

21

22
24
28
31
31
33
35

39

.

39
41
41
52

.
.

,
.

.

53

.
,

, ..

,

.

,
,

.

62

,..

4. La compétition partisane pour le contrôle des activités économiques et des
établissements publics de la préfecture
.
4.1. Le grand commerce et la prépondérance traditionnelle
des hommes cl' affaires tutsi
4.2, Le contrôle du secteur public et des projets de développement
.
4.3. Séraphin BARARENGANA, 1'« œil» du président Juvénal BABYARIMANA
à Butare

4.3.1. Le « découvreur de talents »
4,3.2. Le contrôle politique de l'Université

,

,
,

nationale

.
.

des 1nt erahamw e
.
5.1. L'entreprise ,S.OR'Y AL et le financement des activités politiques de la
({mouvance présidentielle » ....••••••.....•••••.••..•
' •••••••..•.••
, .••••.•.••.
, ...•.••..•••••
5.2. Du système clientéliste à la prédation partisane
,
,
5.3. L'octroi de l'exclusivité des ventes aux trésoriers de la CDR et du MDR

2

67
70

73

S. Butare, pôle na tlonal du financement

6. La SORWAL, l'akazu et la sphère politique butaréenne
6,1. Un réseau politique unifié et centré sur le contrôle des ressources
6.2. Le financement des milices par les réseaux Hutu Power de Gitarama
6.3. Les relais butaréens
,
6.4. Les engagements politiques des personnels de la SORWAL.
,

65
65

70
71

.

du Rwanda (UNR)

53
55
61

73
'78

.
.

84
88

.
.
.

,
.
.

88
90

91
92

7. L'administration territoriale
"
" .. . ..
7.1. Les préfets
"
, ... . .. ... . .. . .
7.1,1 Les préfets « fonctionnaires» de la seconde République.....................
7.1.2 Les préfets « politiques» de la seconde République
,
,.,
,7.1.2.1. Le maintien de l'ordre selon Justin TEHAMAGALI.......................
7.1.2.2. La nomination surprise de Jean-Baptiste HABYALIMANA.............
7.1.2.3. Sylvain NSABIMANA, préfet par procuration...
.
7.1.2.4. Alphonse NTEZIL y AYO, le finisseur.....
7.2. Les sous-préfets,
; .. . . .. .. . .. . .. . .. .
. ... .. ... . .. . ..
7.3. Les bourgmestres....................
7.3.1. Une majorité de-bourgmestres anciens....... .. .
.. .. ..
.. .. . .. . .. ..
7.3 .2. Des bourgmestres plus notables que militants
'.............................
7.3.3. Une prise de pouvoir de l'opposition dans l'ensemble pacifique...................
7.3.4. La situation particulière des communes à forte composante de population tutsi...
8. De la résistance aux massacres (avril-juillet 1994)...........................
8.1. Briser la résistance à Butare : 6-19 avril..
" . .. . . .. .. . .. .. .. .. .. ..
8.2. Le contrôle des bourgmestres.....................
..
8.2.1. L'engagement personnel des bourgmestres et l'élimination des opposants...
8.2.2. Le dilemme des bourgmestres:
obéir aux ordres reçus et répondre aux
exigences locales
,..
8.2.3. Les affrontements fratricides
,.
8.3. Le rôle des autorités militaires....................
..
8.4. L'autodéfense civile. . .. . .. .
.. . .. . . .. .. . .. . .. .
. .. .
. .. .
.
8.4.1. La définition d'un cadre institutionnel forrnel..
·
8.4.2. Une politique de relance tardive et inefficace
,.....................
8.5. Pauline NYIRAMASUHUKO, de l'activisme au «coup d'Etat permanent» :
Ngo iyo urnugabo ayobora urugo umugore abayobora isi yose

95
95
96
99
99
100
104
108
111
116
116
121
123
124
127
127
131
131
133
137
138
144
145
155
157

9. Conclusion
_ .. . ... .. . .. . .. . .. . ... .. . .. . .. . . ..
.
9. L Le leadership des politiciens locaux.......... ..
. .. ..
.
9.2. Le relais des autorités communales
·· .. ··· .. ·
·· .. · .. · .. ·
··
9.3. Des' enjeux clairement politiques.....
.. . ..
. ..
. . .. . . .
.

162
162
163
164

10. Principaux sigles et abréviations.......
Il. Lexique .. ,. . ,.

167
169

,. . ..

Liste des tableaux et encadrés
Tableau n° 1: Membres du comité central du MRND originaires de la préfecture de Butare
Tableau n" 2: Comité préfectoral du MRND B utare (février 1992).........................
Tableau n? 3: Principales réunions politiques auxquelles Pauline NYIRAMASUHUKO
participa entre le I" janvier et le 6 avril 1994
-..
Tableau n° 4 :
Comité directeur préfectoral du MDR Butare (1992).....
Tableau na 5: Comité régional du PSD Butare (décembre 1993)............................
Tableau na 6: Bureau préfectoral du PL (1993) _ "."
-...............................
Tableau n" 7: Les dirigeants des principaux établissements publics implantés dans
la préfecture de Butare en 1993..............
... .. . . . . . . . . . . .. . .. . . . . .. . . . . . . . ..
Tab leau n? 8: Les préfets de Butare (1961-1994).. . .. .. . .. . .. .. . ... . .. . .. .. .. .. .. . ... .. .. . .. .
Tableau n° 9: Les sous-préfets de Butare (situation en avril 1994).........................
Tableau n" 10 : Les bourgmestres en fonction le 6 avril 1994 selon l'ancienneté de leur
nomination
"
"
, . .. ..
Tableau n" Il : L'administration territoriale butaréenne en fonction le 6 avril 1994........
Tableau na 12: Les bourgmestres des communes à fort pourcentage de population tutsi..
Tableau n" 13 : Liste non exhaustive des réunions et interventions de mobilisation
politique auxquelles' Pauline NYIRAMASUHUKO
participa dans la préfecture
de Butare à partir du 6 avri11994
,..
Tableau n? 14: Organigramme de l'autodéfense civile à Butare..............................
Tableau n" 15: Comité de financement de l'autodéfense civile........................
Tableau na 16 : Réunions de suivi politique et militaire auxquelles Pauline
3

42
44
49
54
56
61
67
96
113
1 17
122
125
145
1S4
1SS

NYIRAMASUIHUKO participa dans les préfectures autres que Butare au
riom-du Gouvernement intérimaire (avril-juin)..............................
Encadré
Encadré
Encadré
Encadré
Encadré
Encadré
Encadré
Encadré

160

na 1 : Pauline NYIRAMASUHUKO
·....
na 2: Dr Straton NSABUMUKUNZI.........
na 3: Callixte' KALllVlANZIRA
··
· ·
·.. ·· .. ··· .. ··
na 4 : Les assassinats de Félicien GATABAZI et de Martin BUCY ANA........
na 5: Frédéric KARANGWA...........
na 6 :-Jean-Baptiste HABYALIMANA....
na 7: Sylvain NSABIMANA
,
na 8: Réunion d'installation du nouveau préfet Sylvain NSABIMANA à Butare

le 19 avril 1994

, . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . ..

Encadré na 9: Alphonse NTEZll_Y AYO
,
Encadré na 10 : Joseph KANY ABASHI.
Encadré na Il : La défense civile et les conseils préfectoraux

.. .. .. .. . ..

.. . . . .. ... .. . .

27
38
51
59
98
101
105

107
109
118
146

,.
de sécurité à Butare...

Tome 2: Éléments d'analyse de l'agenda de la ministre Pauline NYlRAMASUHUKO
du let janvier au 31 décembre 1994
Pages

1. Présentation d'ensemble de l'agenda

·.. ··· .. ··· .. ···

1.1. Principes de transcription
, . .. . . . . .. .
1.2. Le carnet de relations de Pauline NYIRAMASUHUKO
1.3. Signification et portée de l'agenda
,
,

····

3

. .. . .. . .. . ..
_.............
,......

3
4
5

2. Les activités relatées par Pauline NYlRAMASUHUKO dans son agenda au
cours de la période du let janvier au 6 avril 1994
,.. .
2.1. La dimension nationale de son activité politique........................................
2.2. L' engagement politique régional de ta ministre NYIRAMASUHUKO...

7
13

3. Les activités de la ministre NYlRAMASUHUKO au-delà du 6 avril 1994 et
jusqu'au départ au Zaïre.. .. ... ... .... ... .. . ..... .... .. . ..... ... ... ... .... ... .. .... ... .. . ...... ..

23

4. La poursuite de la guerre au Kivu: encadrement de la population et
restructuration des instances dirigeantes
,
,..... .. . .. ...

67

5, Synthèse des fonctions de la ministre Pauline NYlRAMASUHUKO... ...... .. .. ..

82

82
83
83
84

5.1. La propagande
, .. .. . . .. . .. . .. . .. . .. .
5.2. La guerre: des devises et des armes.. .. .. .. .. .. . .. . .. . .. . .. . .. .. .. . .. . .. .. .. .. . .. . ..
5.3. La guerre: des officiers ibyitso .
,
,,
, .. . .. . .. . .. . ..
..
5.4. Identifier, dénoncer et éliminer l'ennemi intérieur.
-............

6. Au-delà de la défaite
7. Conclusion

,

_

86

,
_

-

-

,

87

,.. ... .....

Tome 3 : Annexes
Sommaire

,

Annexe 1.: Effectifs
ethnique
1994
Annexe 2 : Ministres
seconde
1

L'usage

Pages

,

,

2

de la population de la préfecture de Butare par commune et répartition
au 31 décembre 1983. Cartes et pourcentage de la population tutsi en
,
4
et députés originaires de la préfecture de Butare au cours de la
République (1961-1994)
,
8

au Rwanda, que nous avons retenu dans ce texte, consiste à écrire le prénom Calixte avec deux"
4

1 ».

Annexe 3 : Notes rédigées par Maurice NTAHOBARI sur la « propagande»
14
Annexe 4 : Diplômes de Pauline NYIRAMASUHUKO
'
. . . . . .. .. . . .. . . . . .. . . . . .
18
Annexe 5 : Documents administratifs relatifs à la nomination de Pauline
NYIRAMASUHUKO à Butare 1990-1991. . .. . ... . .... . .. .. . . .. . .. . .. . .. . . .. .. . . .. .
23
Annexe 6 : Listes des prisonniers du 8 octobre 1990 et du 23 novembre 1990 (Butare)
30
Annexe 7 : Courriers du procureur de la République au préfet de Butare du 22 novembre
1990 et du préfet au procureur du 23 novembre 1990, listes des prisonniers
34
Annexe 8 : Gouvernement intérimaire du 8 avril 1994
.. ..
.. ..
.. . .. ..
.. ..
45
Annexe 9 : Caricature de Pauline NYIRAMASUHUKO,
Vérités d'Afrique, n° 5 de
février 1993
, ."
" . .. . .. . .. . .. . .. .
46
Annexe lO : Conseil préfectoral de sécurité de la préfecture de Butare (1990). Liste
actualisée des membres des organes et commissions de la préfecture de Butare
au 30 novembre 1990. Conseil de préfecture chargé de la sécurité (1992·1994) 48
Annexe Il : Tract: «Le kleptomane ministre G AT AB AZI Félicien est en état d'implosion
intellectuelle}}.. .. . .. .. . . .. .. . . .. . .. . .. .. . ... . .. . .. . .. . ... .. .. . . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . ... ...
51
Annexe 12: Documents relatifs à l'assassinat de Martin BUCYANA, président de la CDR :
procès-verbaux des CPS, d'audition, tract., ..
53
Annexe 13 : Lettre ouverte des intellectuels du MDR de Butare à Monsieur le Président de la
République du 7 septembre 1993
" ..
.. .. .. .. .. .. ..
83
Annexe 14: Liste des élus au comité préfectoral du MRND du 12 février 1992........
87
Annexe 15: Lettre du conseiller de secteur Nkubi, commune urbaine de de Ngoma, datée
du 17 mai 1994 réquisitionnant les travailleurs « avertis» de la Sorwal...
88
Annexe 16: Documents comptables de la SORWAL, Comptes clients des années 1991,
1992,1993, 1999. Le système de financement politique des milices et des
partis Hutu Power par la Sorwal
,
· .. ··
·
·
91
Annexe 17 : Exemples de chèques vierges ou impayés de clients de la Sorwal.........
102
Annexe 18 : Contrats d'exclusivité signés entre la Sorwal et ses « meilleurs clients» :
sociétés SOGEDI, HARDWARE CENTER, Vincent MUREKEZL.........
...
104
Annexe 19 : Arrangement entre la Sorwal et Vincent MUREKEZI du 7 février 1994...
1Il
Annexe 20 : Convention de remboursement entre la Sorwal et Robert KAJUGA, président
des Interahamwe, du 9 février 1994
_..
.. .
.. .. ..
.. ..
1 16
Annexe 21 : Les poursuites judiciairesde la Sorwal envers ses débiteurs: courriers entre
Alphonse HIGANIRO et Edouard KAREMERA, Avocat-Conseils de la Sorwal 119
Annexe 22 : Procès-verbal d'audition de Félix SEMW AGA, « trésorier du MDR Power »,
Parquet de Butare, 27 décembre 1994
· .. ······ .. ·....
127
Annexe 23 : Formation d'auto-défense civile de la commune de Ngoma (Butare) : listes
des membres des pelotons
' .. . . .. .. . .. .. ... .. .. .. . .. .. . .. .. .. .. .. .. .. ..
l 46
Annexe 24 : Exemple de télécopies adressées par Callixte KALIMANZIRA, directeur
général du ministère de l'Intérieur, à Alphonse HIGANIRO, « secrétaire
exécutif» de Séraphin BARARENGANA
· .. · .. ····..
150
Annexe 25 : Exemple de télécopies adressées du ministère des Affaires étrangères par
Jean-Bosco BARA y AGWIZA, dirigeant de la CDR, à Alphonse HIGANIRO,
« secrétaire exécutif» de Séraphin B ARARENGANA...........................
155
Annexe 26 : Exemple de télécopies adressées par des cadres CDR de la SONARW A et de
l' ORTPN à Alphonse HIGANIRO, « secrétaire exécutif» de Séraphin
BARARENGANA . . .. . .. . .. . .. . .. . .. ... . . .. .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . ... .. .
157
Annexe 27 : Statuts de la société Hardware Center........
161
Annexe 28 : Statuts de la société Interpetro 1 .... .. . . .. . . . . . . . . . . .... . . . . . . .. .. . . . . . . . . . . . . . . . .
169
Annexe 29 : Accord d'aval financier de Marie BAMURANGE, épouse de Phénéas

RUHtJMlJLlZA

, ... .

.. .

..

. .. ... . ..

. .. ...

..

Annexe 30 : Dossier administratif du préfet Frédéric KARANGW A...
..
Annexe 31 : Courrier du recteur de l'UNR, Maurice NT AHOBARI, au vice-recteur relatif
à la réintégration des personnels enseignants emprisonnés en octobre 1990...
Annexe 32: Compte-rendu du conseil préfectoral de sécurité de Butare du Il janvier 1993
Annexe 33: Extraits du dossier administratif de Sylvain NSABIMANA................
Annexe 34 : Nomination et prérogatives d'Alphonse
NTEZIL y AYO au ministère de
l' Intérieur (années 1991-1994).... .. . . . . . . . . . . . .. . . ... . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
Annexe 35 : Directives du Premier ministre aux préfets pour l'organisation de l'autodéfense
civile (25 mai 1994) et éléments de mise en œuvre du ministère de l'Intérieur
Annexe 36 : Procès-verbal de la réunion des agents de la préfecture et des chefs de service
de l'État organisée à la préfecture de Butare le 10 mai 1994 sous la direction
du préfet Sylvain NSABIMANA
Annexe 37 : Extraits du dossier administratif de Joseph KANY ABASHI, bourgmestre de
5

178
181
184
186
195
19 8
201
209

t:!gOITJa

'

.,

,..

232

Annexe 38 : Eléments du dossier de départ à la retraite de Joseph KANYABASHI,
bourgmestre de Ngoma
,..
.. . . .
Annexe 39: Carte politique de Butare .. ,
·· .. ···· .. ······ .. ·····················
Annexe 40 : Lettre du préfet de Butare au ministre de l'Intérieur sur les élections pour la
présélection des bourgmestres du 23 mars 1993
··
·
Annexe 41 : Discours de Joseph KANY ABASHI prononcé le 19 avril 1994 à la préfecture
de Butare en réponse aux discours des diverses autorités gouvernementales
Annexe 42 : Discours de Théodore SINDIKUBW ABü et autres personnalités prononcés
te 19 avril 1994 à la préfecture de Butare
·
···
· .. ····
Annexe 43 : Documents politico-administratifs distribués à l'UNR en mai 1994....
Annexe 44 : Déposition au groupement de gendarmerie nationale de Butare du caporal
gendarme HABINSHUTI, 13 mai 1994
···
···....
Annexe 45 : Table ronde politique du Cercle des républicains universitaires de Butare
du 23 juin 1994

,

.. . .. ..

2 37
241
243
245
247
254
257
260

Annexe 46 : Recensement du« patrimoine abandonné » pour la commune Ngoma, secteur
Cyimana
, . .. . .. . .. . ..
262
Annexe 47 : Lettre du bourgmestre de Nyakizu, Ladislas NTAGANZWA, au sous-préfet de
préfecture (le Busoro en date du 30 mai 1994
· .. ····
281
Annexe 48: Bon de dépense, Commune de Ngoma (Butare)................................
284
Annexe 49: Procès-verbal d'audition de Félix SEMWAGA, parquet de Butare, 17 mai

1995

, . .. . .. . .. . .. . ..

.. ... . .. . .. . .. . .. . .. . .. . ..

Annexe 50 : Extraits du dossier administratif d'Antoine

. .. . .. . ... .. . .. .

... .. . .. ..

Mbazi.. .. . .. . .. .... .. . .. . .. . .. .... ... ... ... .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . ... ... .. ... . .. . .. . .. . ...

Annexe 51: Procès-verbal

d'audition

de Félix SEMWAGA,

1999.. ... .. . .. . .. . .. . .. . .. ... . .. . .. ... . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. . .. ... . .. . .. . .. . .. . .. .... .. . .. . .. . .

,

,. ,.. .. . .. .

6

290

parquet de Butare, 5 mai

Annexe 52 : Procès-verbal d'audition de Félix SEMWAGA, parquet de Butare, 5
décembre 1997..... .. .. . ... . .. .. .. . .. .. ... . .. . .. . .. ... ... . .. .. .. .. .. .. .. . .. . .. .... .. . .. . .
Annexe 53 : Procès-verbal d'audition de Joséphine NIKUZE, parquet de Butare, 3 octobre
lm ..... ;.'... . .. ... ... .... .. ...... .... ... .. . .. . .. . .. . ... .. . .. ... . .. .... ..... ... ... ... .... ..
Annexe 54 : Procès-verbal d'audition de Théoneste MUVUNYI, parquet de Butare, 17
mars 1995. . .. . .. . .. . .. ... . .. . .. . ... .. . ... .. . ... .. . .. . .. ... . ... .. . .. . .. .... .. . .. .... .. ... . ..
Annexe 55 : Réunion du comité de sécurité du 23 mai 1994, commune Ngoma, secteur
Cyarwa-Cyirnana . . .. . .. . .. . .. . .. . .. . ... .. . . . . .. .... . .. . .. . ... ... .. ... . .. . ... .. .. .... . .. . ..
Annexe 56: Procès-verbal d'audition de Venuste RUDASINGWA, parquet de Butare...
Annexe 57 : Autorisation de circulation des membres du Comité de l'autodéfense civile,
Préfecture de Butare, 1er juin 1994
, .. .
..
Annexe 58 : Convocation à la réunion du comité provisoire d'autodéfense civile
préfectoral du 17 juin 199à la commune de Ngoma
Annexe 59 : Contribution à l'effort de guerre (listes des donateurs), Préfecture de Butare,
commune Ngoma,
" .. . .. . .. . .. . .. . ..
.. . .. . . . .. . .. . ..
Annexe 60 : Candidats AR, commune urbaine de N goma......................
Annexe 61 : Inventaire de l'armement distribué par la commune urbaine de Ngoma....
Annexe 62 : Recrutement pour l'autodéfense civile organisé par la station ISAR de
Rubana
" ... .
Annexe 63 : Procès-verbal d'audition de Félix SEMW AGA, parquet de Butare, 20 mars
1995

286

SIBOMANA, bourgmestre de
293

29 8
3 1l
320
325
334
339
341
345
349
353
359
362

Préambule

Ce document sur la préfecture de Butare prolonge les deux études déjà réalisées sur le contexte
politique national' et l'administration
territoriale' qui en constituent l'arrière-plan
historique et
institutionnel. Deux autres études ont par ailleurs été rédigées concernant les préfectures de Kigali
rural" et de Cyangugu'.
Celle-ci a cependant été conçue très différemment.
En effet, un travail d'investigations
important a déjà été réalisé sur le déroulement des massacres en 1994 dans la préfecture de Butare
ainsi que dans celles de Gitarama et de Gikongoro par l'équipe de Human Rights Watch animée
par l' historienne Alison Des Forges". Ce travail informé et relativement exhaustif fournit une
somme d'informations
considérable sur l'organisation
et l'ampleur des tueries et du génocide.
Les rôles des différents acteurs y sont rigoureusement
analysés. Des éléments précis sur les
fonctions et activités des divers accusés du Tribunal pénal international pour le Rwanda y sont
présentés.
Nous proposons donc ci-après une approche complémentaire.
Elle se développe dans deux
directions. La première se situe en amont des événements de 1994. La préfecture de Butare
présente des spécificités beaucoup plus marquées que toutes les autres préfectures du Rwanda. De
nombreuses caractéristiques n'ont pas d'équivalent
dans le reste du pays. Nous avons voulu
rendre compte de ces particularités butaréennes qui éclairent l'environnement
social et politique
et le comportement des acteurs.
La seconde introduit une réflexion plus large et compréhensive sur le fonctionnement de la
sphère politique rwandaise et en éclaire certains aspects de manière largement inédite. Si de
nombreux interlocuteurs, quel que soit leur statut - plusieurs d'entre eux connaissent actuellement
des situations personnelles extrêmement délicates - ont accepté de m'entretenir
des événements
butaréens avec une sincérité souvent surprenante, ils exprimèrent parallèlement le souci que le
récit ne se limite pas à l'énoncé des exactions et massacres. Leurs demandes portaient à la fois sur
une compréhension large des antécédents des événements et sur la nécessité de rendre compte de
la manière la plus complète et fidèle possible des logiques et des contraintes qui se sont imposées
aux individus. Logiques qui se nourrissent presque toujours de situations anciennes (amitiés,
relations de solidarité, compétitions économiques
ou politiques, règlements de comptes, etc.).
Concrètement, il s'agit de démonter les chaînes de décision, les hiérarchies informelles et les
divers réseaux d'intérêt et de pouvoir qui rendent les individus solidaires ou qui, pour le moins,
les font agir ensemble, les mettent en compétition.
En outre, cet élargissement permet aussi d'appréhender
les stratégies de nombreux autres
acteurs nationaux: membres du gouvernement
intérimaire (GI), dirigeants des partis, militaires,
hommes d'affaires, mouvement des femmes, chefs miliciens, etc. qui, chacun à leur niveau,
jouèrent un rôle dans les événements qui advinrent à Butare. L'ensemble forme alors un tableau
cohérent et révélateur du système de pouvoir tel qu'il s'imposa dans la préfecture au cours des
années du multipartisme et lors de la rupture du 19 avril 1994.
Cette double mise en perspective n'éloigne
pas le lecteur du dossier des accusés actueilement
jugés. Bien au contraire, en retraçant la trajectoire des carrières, elle contribue à identifier plus

2

Les antécédents

politiques

de la crise rwandaise

de 1994,

Rwanda, Arusha, avril 1997, 2 tomes, 50 et 146 p.
J L'administration
territoriale rwandaise, Nations unies,

1998, 84 p .

• Semanza,

le

«

grand

bourgmestre

», Nations

unies,

Nations

unies,

Tribunal

Pénal International

pour le

Tribunal

Pénal International

pour le Rwanda, Arusha, août

Tribunal

Pénal International

pour le Rwanda, Arusna, avril

2001, 25 p.

S Le cadre politique
de la préfecture de Cyangugu avant les massacres et le génocide d'avril] 994, Nations
Tribunal Pénal International pour le Rwanda, Arusha, octobre 2000, 38 p.
6 HRW-FlDH,
Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Paris, Karthala, 1999,928 p.

7

unies,

clairement les, positions
indi viduels.

occupées,

les prérogatives

effectives,

les engagements

collectifs

et

Le travail exposé ci-dessous a exigé un très important investissement (entretiens, traitement des
documents et consultation des archives). Cet investissement ne tient pas tant à la quantité des
matériaux à traiter' et au nombre des accusés. Il s'est imposé du fait de la complexité du contexte
et de l' ambi valence des personnalités concernées.
En effet, contrairement à la plupart des études de cas précédentes où les engagements des
acteurs se révélaient généralement très tranchés, il m'est apparu dans un premier temps bien
difficile de décrypter les stratégies des uns et des autres. Si quelques comportements relèvent
d'une simplicité presque déconcertante, pour d'autres, l'ambiguïté des personnalités, au cours des
années et face aux événements de 1994, impressionne fortement.
De nombreux éléments de cette étude serviront bien évidemment de références pour d'autres
dossiers, de points d'appui pour d'autres analyses."

, Contrairement à plusieurs préfectures, de nombreuses
archives officielles sont toujours disponibles à Butare.
8 Malgré les efforts faits pour accéder aux sources les plus fiables,
pour corroborer les informations recueillies, pour
relire et corriger la dernière version de cette étude, d~inévitables
erreurs ou approximations
subsistent certainement.
D'avance, je prie les lecteurs de bien vouloir m'en excuser.
8

------------------------,------,------~-966\' MllH / Har~

1

1
;

mod ~:afllllV1530""ll"?'O


1
1
1

Carte de la commune urbaine de Ngoma (Butare Ville)
(Source HRW/FIDH, Aucun témoin ne doit

10

sUnJivre,

Paris, Kartnala, 1999, p. 542-543)

Commune d'origine des principales

personnalités

originaires

de la préfecture

de Butare citées

dans l'étude

Commune urbaine de NGOMA
RUGIRA Amandin (hutu), (19233-1993),
personnalité
politique de la 1< et 2< République,
président du comité préfectoral et du bureau politique national du MRND de 1992 jusqu'à
son décès en mai 1993
RUNYINYA BARABWIRIZA (hutu), professeur, président du comité préfectoral du MRND de
Butare en 1993-94, conseiller à la présidence de la République (bien qu'installé de longue
date à Butare, RUNYINYA BARABWIRIZA est originaire de Gikongoro, commune Rwamiko)
Commune HUYE
BANYANGILIKI Zacharie (hutu), ex-député
KANYABASHI Joseph (hutu), (1937), bourgmestre MRNDIPSD de Ngoma
RUREMESHA Jonathan (hutu), (1944), bourgmestre MRND
RUMIYA Jean-Gualbert (tutsi), professeur à l'UNR, trésorier du comité préfectoral
comité national du MRND en 1992, démissionnaire

et membre du

Commune MARABA
HABINEZA Jean-Marie Vianney (hutu), (1956), bourgmestre MRND/CDR
NIYONZIMA Faustin (hutu), (1965), secrétaire du MDR Butare (tendance Power)
NZABONIMANA Innocent (hutu), ex-bourgmestre
RW AN GABO Pierre-Claver, professeur UNR, PSD
Commune MBAZI
BASHIMIKIÉtienne
(tutsi), PSD, commerçant
HABYARIMANA Jean-Baptiste (hutu), MDR-PARMEHUTU,
premier et dernier préfet de Butare
au cours de la première République
KAGABO Jean-Baptiste (hutu), ancien bourgmestre (1963-1974)
LIBANJE Nicodème (hutu), ancien bourgmestre (1974-1983)
NDUHUNGIREHE Jean-Chrysostome (hutu), député
NSABIMANA Sylvain (hutu), (1954), PSD, préfet de Butare du 19 avril au 17 juin 1994
NTAHüBARI Arsène Shalom (hutu), (1970), étudiant et milicien lnterahamwe
NTAHOBARI Maurice (hutu), (1940), recteur de l'UNR
NTEZILY AYO Anastase (hutu), (1951), ex-ministre
NZABAHIMANA François (hutu), MRND, ex-ministre
SIBOMANA Antoine (hutu), (1946), bourgmestre
Commune MUGUSA
KABAYIZA André (hutu), bourgmestre
KANYAMANZA Onesphore (hutu), (1945), ancien bourgmestre
MAHARANGARI Augustin (tutsi, PSD), directeur de la BRD
Commune RUHASHY A
RUDAKUBANA Martin (hutu), (1960), bourgmestre
SEBARAME Jean-Baptiste (hutu), (1954), député ANT
Commune SHY ANDA
GASINGWA Germain (hutu), co-fondateur de l'APROSOMA
GATABAZI Félicien (hutu), (10106/1944 - 21/0211994), PSD, ex-ministre
HABINEZA Côme (hutu), ancien bourgmestre (1990-1993)
IY AMUREMYE Augustin (hutu), ancien ministre PSD
NDUNGUTSE François (hutu), autoproclamé président du PSD après l'assassinat des dirigeants
nationaux le 7 avril 1994, élu vice-président de l'Assemblée nationale en juillet 1994 (fils de
Germain GASINGW A)
NIYITEGEKA Dieudonné (hutu), (1954), trésorier national des Interahamwe
SHYIRAMBERE Théophile (hutu), (1959), bourgmestre PSD

SINDIKUBWABO Théodore (hutu), (1928-1996), président
9
de la République par intérim d'avril à juillet 1994

du eND de 1989 à 1994, président

Commune GISHAMVU
KAMBANDA Jean (hutu), (1955), premier ministre MDR du GI
KAMBANDA Pascal (hutu), (1943), bourgmestre PSD
KUBWIMANA Laurent (hutu), (1952), sous-préfet de préfecture PSD/MRND

Commune KIGEMBE

BARAVUGA Laurent (hutu), (1952), député MRND, membre du comité préfectoral
proche de la CDR
KAREKEZI Symphorien (hutu), bourgmestre PSD
SEMANYENZI Straton (hutu), (1937), ex-bourgmestre
Commune NY AKIZU
GASANA Jean-Baptiste (hutu), 1955, ex-bourgmestre
NDINDABAHIZI Jean-Chrysostome
Dr., (hutu), président

du comité régional

du MRND,

du PSD en avril

1994
NSHIMIL y A YO Ange (hutu), ex-bourgmestre, ex-député (bourgmestre en 2002)
NT AGANZW A Ladislas (hutu), (1962), bourgmestre MDR
Commune RUNYINYA
HABYALIMANA Jean-Baptiste (tutsi), professeur UNR, préfet PL de Butare du 4 juillet 1992 au
18 avril 199410
HATEGEKIMAN A Déogratias (hutu), (1952), bourgmestre (sans parti)
REMERA Siméon (hutu), président de la CDR Butare
Commune KIBA YI
KAJYAMBERE Pierre Canisius (hutu), 1952, ex-bourgmestre
NDAYAMBAJE Élie (hutu), (1958), MRND, bourgmestre de Muganza
NSA:\?UMUKUNZI Straton Dr. (hutu), PSD, médecin à Butare, ministre de l'Agriculture et de
l'Elevage du GI
NTEZILY AYO Alphonse (hutu), (1946), iieutenant-co1onel,
préfet de Butare après le 17 juin
1994
Commune NDüRA
MUKARURANGWA Bernadette (hutu), (1950), député, membre du comité préfectoral du MRND
NTABOMYURA Venant (hutu), ex-ministre des Affaires sociales, ex-membre du comité central
du MRND, ex-recteur de l'UNR
NYIRAMASUHUKO Pauline (hutu), (1946), MRND, ministre du GI
RWANKUBITO Célestin (hutu), (1949), MDR, bourgmestre
Commune MUGANZA
BIMENYIMANA Chrysologue (hutu), MRND, bourgmestre
KALIMANZIRA Callixte (hutu), MRND, directeur de cabinet du ministère de l'Intérieur, a assuré
l'intérim du ministre du 7 avril au 22 avril 1994. Ministre des Affaires sociales et des Réfugiés
du « gouvernement rwandais en exil» constitué après la prise de pouvoir par le FPR à Kigali
Commune MUY AGA
HABIMANA Kantano (hutu), (originaire du Burundi), membre du comité préfectoral du MRND,
fonctionnaire du MRND, journaliste à RTLM
NSAGUYE Fébronie (hutu), députée MRND
NZAMWlTA Fidèle (hutu), (1941), bourgmestre, membre du comité préfectoral du MRND

Commune NY ARUHENGERI
BUTARE Innocent
(hutu),
démissionnaire en 1994

vice-président

du

comité

préfectoral

du

MRND

en

1992,

9 Théodore
SINDIKUBW ABD est habituellement considéré à tort comme étant originaire de la commune Ndora du
fait qu'il fut affecté comme assistant
médical au dispensaire
de G\sagara avant que d'accéder aux fonctions
de

bourgmestre de cette commune.
10 Nous utilisons
ici la graphie

que l'intéressé

revendiquait

Juvénal HABY ARIMANA.
12

ouvertement

pour se démarquer de celle du président

KABEZA Charles (hutu), (1946), bourgmestre, membre du comité préfectoral du MRND
NDINDILIYIMANA Augustin (hutu), (1943), chef d'état-major
de la Gendarmerie à partir de
1992
SENDAMA Ignace (hutu), professeur à l'UNR, membre
janvier 1994)
UWILINGIYIMANA

fondateur

du MDR Butare (décédé le 3

Agathe (hutu), (1953), Première ministre du 18 juillet 1993 au 7 avril 1994,

jour de son assassinat

Commune NY ABISINDU

BARAHIRA Pascal (hutu), ex-officier, membre du comité préfectoral du MRND (1992)
BASABOSE Abel (hutu), ex-militaire, membre du comité préfectoral du MRND (1992)
GISAGARA Jean-Marie Vianney (hutu), (1966), PSD, bourgmestre
NGIRUWONSANGA
Vincent (hutu), (1959), bourgmestre nommé le 29 août 1991
SEKIMONYO Denys (hutu), (1949), ex-bourgmestre (1986-1991)
Commune MUYlRA
MUHUTU Adalbert (hutu), (1956), bourgmestre
l'ANT
SEKAMONYO

révoqué

en 1993, nommé

Faustin (hutu), député MRND

Commune NTY AZO
HARELIMANA Pascal (hutu), (1957), ancien bourgmestre
NY AGASAZA Narcisse (tutsi), PL, bourgmestre
NZARAMBA Athanase (hutu), (1938), ancien bourgmestre

(1986-1993)
(1964-1986)

Commune RUSA TIRA
MULINDAHABI Charles (hutu), député, secrétaire exécutif préfectoral du PSD
NKUSI Augustin (hutu), (1957), MRND, directeur du Projet rizicole de Butare
NSEKANABû François (hutu), ancien bourgmestre
NY AWENDA Esdron (hutu), (1938), ancien bourgmestre
RUKERIBUGA Vincent (hutu), PSD, bourgmestre

13

député MRND de

BUTARE, LA PRÉFECTURE

l1

REBELLE

Parmi toutes les préfectures du Rwanda, celle de Butare mérite une attention particulière. Les
raisons en sont multiples. Elles tiennent à l'histoire du peuplement et aux choix effectués au cours
de la période coloniale en matière d'implantation
des infrastructures nationales. Mais l'essentiel
n'est pas là. Depuis l'indépendance,
l'ex-préfecture
d'Astrida, subdivisée en 1963 entre les
préfectures de Butare et de Gikongoro, a touj ours entretenu une relation difficile avec les
nouvelles autorités nationales aussi bien au cours de la première République qu'au cours de la
seconde. Elle n'intégra aucune alliance régionale et, à la différence des autres préfectures
éloignées des lieux de pouvoir ou marginalisées, elle s'opposa avec constance
toute forme de
sujétion. Cet irrédentisme se retrouve dans tous les domaines:
politique bien évidemment,
économique du fait de sa position de carrefour commercial, intellectuel par tradition. Bien que
sous contrôle étroit, la préfecture ne fut jamais soumise. Certes, les pouvoirs successifs
s'attachèrent
des relais compréhensifs
ou dociles parmi les élites locales, mais tous durent
composer d'une manière ou d'une autre avec les dirigeants ou porte-parole qui représentaient de
facto les intérêts des Butaréens (personnalités politiques, hommes d'affaires, universitaires),

a

Ces équilibres subtils furent rompus en octobre 1990 lors du déclenchement
de la guerre
civile. La résistance des préfectures çlu sud face à la volonté de reprise en main par le pouvoir
central accéléra la chute du parti-Etat MRND. L'avènement
du multipartisme permit à de
nombreuses personnalités du sud de retrouver ou d'acquérir
une envergure nationale. Mais
aucune préfecture ne connut de bouleversements
aussi marqués que celle de Butare au niveau de
son encadrement politique et de l'administration
terri toriale. Avec un universitaire tutsi nommé
préfet en avril 1992 et au moins un bourgmestre tutsi, la préfecture de Butare illustrait sur le plan
symbolique une rupture politique majeure. Douze communes sur vingt étaient administrées par
des bourgmestres ayant quitté le MRND et/ou adhéré aux nouveaux partis d'opposition, le PSD, le
MDR et le PL. Quant au MRND, l'ex-parti unique, il ne conservait plus sous sa direction que sept
communes.
Par une cruelle ironie cependant, après l'attentat
qui coûta la vie au président Juvénal
HABY ARIMANA en avril 1994, les militaires et politiciens du nord décidèrent de confier, au
moins provisoirement, la responsabilité du pouvoir à des politiciens marginalisés de Butare qui
assumèrent les massacres et le génocide. Malgré l'élimination
systématique des chefs politiques
les plus populaires de Butare, la résistance aux mots d'ordre nationaux fut d'abord majoritaire. Il
fallut que les nouvelles autorités nationales complices organisent une imposante mobilisation de
moyens politiques, militaires et de propagande pour que la guerre civile gagne les communes de
Butare.
C'est dans ce contexte que le comportement

des acteurs des massacres et du génocide doit être

situé.

Il Ce rapport
relatif au contexte politique de la préfecture de Butare vient en complément
rédigé pour le bureau du procureur du TP1R et intitulé L'administration
territoriale rwandaise.

14

du rapport

de synthèse

1. La préfecture de Butare dans le contexte rwandais
Li. Une préfecture en déclin depuis l'indépendance
Lors de l'accession à l'indépendance,
la préfecture
de Butare (ex-Astrida) était la plus
importante du Rwanda par la population. Elle était aussi celle où les densités étaient les plus
élevées. En 1961, les deux tiers de la population extra-coutumière
rwandaise (celle qui ne relevait
pas du régime des chefferies rurales) se partageaient entre Kigali avec 4 800 personnes et Astrida
(Butare) avec 3 100 personnes. Ruhengeri avait alors trois fois moins d'habitants que Butare.
En 1970, Kigali comptait sept fois plus d'habitants que la ville de Butare (8 400 habitants) qui
était eile même dépassée par Ruhengeri (12 500) et Gitarama (9 350). Gikongoro et Gisenyi
arrivaient juste après. Le déclin fut donc brutal. Il fut aussi durable. Même si la capitale du sud
reprit la deuxième place au cours de la seconde République, elle conserva néanmoins son statut de
ville secondaire au même titre que la plupart des autres chefs-lieux de préfecture.
Différentes raisons expliquent
cette évolution.
L'absence
de vraie capitale jusqu'à
l'indépendance
(Bujumbura était la capitale de l'ensemble du Ruanda-Urundi)
avait suscité une
configuration
urbaine totalement éclatée. Kigali faisait fonction de capitale administrative
« belge ». la capitale royale demeurait installée à Nyanza (Nyabisindu), l'archevêché
résidait à
Kabgayi (Gitarama), les établissements scolaires et scientifiques d'envergure
nationale ou
régionale étaient implantés à Butare et les échanges commerciaux vers le Congo transitaient au
sud par Butare/Cyangugu et au nord par Gisenyi Avec l'indépendance,
les tensions, puis l'arrêt
des échanges économiques, voire la fermeture pure et simple de la frontière entre le Burundi et le
R wanda signaient le déclin de la grande ville du sud et plus généralement de l'ensemble de la
région. L'arrêt de la construction de la route asphaltée entre Butare et Bukavu, d'où l'on
rejoignait l'axe bitumé vers Bujumbura, consacrait le recentrage imposé vers Kigali et le report du
trafic des marchandises sur le « corridor nord » vers Mombasa via l'Ouganda.
Au cours de la seconde République, Butare bénéficia en 1975, en même temps que la capitale,
du nouveau statut de «commune urbaine»:
les deux premières villes du Rwanda furent donc
Nyarugenge dans la préfecture de Kigali et Ngoma dans la préfecture de Butare, Mais le transfert
progressif, à partir de 1981, des activités de l'Université
nationale du Rwanda vers le nouveau
campus de Nyakinama à Ruhengeri l'affaiblit notablement et faillit compromettre la position de
capitale intellectuelle du pays qu'elle détenait depuis la colonisation belge qui y avait installé ses
plus prestigieuses écoles. Le démembrement délibéré du potentiel universitaire de Butare fut alors
redouté. Après la mise en place d'un gouvernement
multipartite en 1992, plusieurs filières
d'enseignement
supérieur furent partiellement
rapatriées à Butare. D'une manière générale,
l'ouverture politique au profit de la nouvelle opposition relança l'activité des villes du sud (Butare
et Gitararna).
Comme nous allons le voir, l'explication politique du déclin de Butare est assurément fondée,
mais elle ne doit pas conduire à sous-estimer les conditions structurelles. En effet, à partir de
1970, alors gue la densité de la population atteignait déjà 283 habitants/km', la croissance de la
population de la préfecture devint la plus faible du pays. Bien que progressant vers les 400
habitants/km2, on assistait à un phénomène de rattrapage national avec une généralisation des
fortes densités sur l'ensemble des préfectures jusque là « sous-peuplées ». Du fait des très fortes
tensions foncières, la population rurale de la préfecture de Butare participa activement à ces flux
migratoires, vers le Mayaga (au centre) dans un premier temps, puis principalement vers le
Bugesera (au sud-est). Mais on assista aussi à des départs importants vers Ia Tanzanie lors des
disettes de 1988-89 qui touchèrent durement les préfectures de Kibuye, Gikongoro et Butare.
L'arrivée de dizaines de milliers de réfugiés burundais en 1988 puis, à nouveau, à partir de la
fin de l'année 1993 contribua à accroître les tensions en matière d'approvisionnement
alimentaire
dans la préfecture. Des effectifs de l'ordre de 200 à 300 000 personnes furent accueillis à la fin
de l'année

1993.

1.2. Une marginalisation

politique délibérée

Lors de la mobilisation socio-politique
qui précéda l'accession à l'indépendance,
les deux
villes les plus importantes du sud jouèrent un rôle rnaj eur : Gitarama, du fait de la localisation d li
15

grand séminaire et de la proximité de l'archevêché
qui soutenaient activement les revendications
formulées par les chefs hutu, et Butare où étaient concentrés les foyers et élites intellectuels. Ainsi,
les trois grands partis qui animèrent la vie politique de la fin de la période coloniale jusqu'au
milieu des années 1960 virent le jour à Butare et Gitarama.
Les deux premiers partis politiques déclarés furent créés par des ressortissants de la préfecture
de Butare. L'APROSOMA (Association pour la promotion sociale de la masse) fut le premier
parti politique rwandais homologué. Créé le l er novembre 1957 et agréé le 15 février 1959, son
président était Joseph GITERA HABY ARIMANA (hutu, Astrida) qui devint une figure marquante
de l'opposition hutu aux autorités monarchistes de l'époque. Ensuite, l'UNAR (Union nationale
rwandaise) fut créée comme association en mai 1959, puis agréée comme parti politique le 3
septembre 1959. Elle était animée par Côme REBERü (hutu, Astrida). Avec la création de
l'U~AR, le mwami MUTARA lU RUDAHIGWA mobilisait les partisans de la monarchie contre
l'APROSOMA

déjà très active.

À Gitarama, le l" mai 1957, Grégoire KAYIBANDA11 (hutu, Gitarama) déposait les statuts de
l'association intitulée Mouvement social muh utu qui fut agréée le 4 avril 1958. Elle donna
naissance, le 9 octobre 1959, au Parti du mouvement
d'émancipation hutu (PARMEHUTU)
contrôlé majoritairement par des originaires de Gitarama, Suite à la «révolution sociale» de
novembre 1959, qui se développa à partir des communes du nord de la préfecture de Gitarama,
les dirigeants de ce parti s'imposèrent à l'échelon
national. Une fois l'indépendance
acquise, le
MDR-PARMEHUTU évinça progressivement ses rivaux et ses alliés et se déclara «parti national »,
de fait parti unique, à partir des élections législatives et présidentielle de 1965.
Ces antécédents historiques aboutirent à une double dépossession. Dans un premier temps, la
révolution sociale» mit au premier plan les dirigeants populaires de la préfecture de Gitarama
aux 'dépens des élites lettrées, monarchistes ou républicaines, de Butare, Aux dépens des élites tutsi
tout d' abord, chassées brutalement du pouvoir, puis des élites hutu. L'alliance politique qui
associa ensuite Gitarama et Ruhengeri 13 jusqu ~à la fin de la première République en 1973 isola
durablement Butare. Tous les politiciens qui protestèrent contre la concentration des pouvoirs et
des privilèges et revendiquèrent un partage équitable des ressources furent, sous des prétextes
divers, exclus ou marginalisés comme « déviationnistes ».
«

La seconde République amplifia le mouvernent
en faisant de Kigali une unique et vraie
capitale et en y installant les originaires des préfectures
du nord qui venaient de conquérir la
totalité des pouvoirs. L'exclusion
durable des politiciens de Gitarama (les principaux dignitaires
de la première République furent assassinés par le nouveau pouvoir) ne bénéficia pas à la
préfecture de Butare. En fait, la seconde République
consolida l'opposition
entre les préfectures
du nord et celles du sud. Celles du nord formaient
le Rukiga, appellation donnée aux trois
préfectures de Gisenyi, Ruhengeri et Byumba, celles du sud constituaient le Nduga (ou "Nduga
élargi"),
appellation donnée à l'ensemble des préfectures du pays à l'exception de celles de
Gisenyi, Ruhengeri et Byurnba, d'où était originaire
la majorité des cadres' de la deuxième
République. Ce clivage régional supplanta progressivement
les oppositions ethniques en période
de paix civile.14
1.3. La fluidité des appartenances

ethniques

Dans un tel contexte, l'importance des populations tutsi dans les préfectures du sud constituait
'5
en soi un élément distinctif fort. Ainsi, en nous appuyant sur les données de l'année 1983 , les
préfectures du Rukiga (nord du pays) ne re groupaient
que 7 % environ de la population tutsi
totale du pays. Dans la préfecture de Ruhengeri par exemple, les Tutsi ne représentaient que 0,6 %
11
Il

Il était alors rédacteur en chef de Kinvanuüeka, journal des Pères blancs.
Citons parmi les personnalités politiques de Ruhengeri : Balthazar BICAMUMPAKA,

Lazare MPAKANTYE, Otto

RUSillGlZANDEKWE, Thaddée BAGARAGAZA, André SEBATW ARE, ...
,. La question ethnique ne disparut pas pour autant. Des témoins datent ainsi le ressentiment du nouveau président,
Juvénal HABYARIMANA, vis-à-vis de la préfecture de Butare dès la fin de l'année 1973 où, lors d'une visite sur place,
Joseph G1TRRA HABYARIMANA,
important dirigeant de la première République, lui demanda publiquement d'expliquer
les origines du problème HutuITutsL
15 Nous avons retenu les résultats
du recensement administratif
de 1983 pour rester plus proche des effectifs réels de
la population tutsi qui diminuèrent fortement tout au long de la seconde République. Des changements d'ethnie furent
fréquemment sollicités auprès des autorités communales lors de l'établissement des papiers d'identité pour échapper aux
quotas ethniques qui régulaient l'accès à l'enseignement
secondaire et supérieur, aux emplois, ...
16

RUBERANGEYO, affecté à Ruhashya, commune
1983. Il occupa cette fonction jusqu'en 1987.

à très forte majorité hutu (87 %), le 10 janvier

1.4. Des caractéristiques atypiques
Trois enseignements relatifs à la préfecture de Butare peuvent être dégagés de ce bref rappel
sur la première République et les débuts de la seconde.
Le premier concerne les caractéristiques
des élites de Butare, et plus généralement
l'environnement social et culturel de la préfecture. Le poids des milieux intellectuels resta fort",
la proximité de Bujumbura et de Bukavu assura une ouverture relative sur l'extérieur, la nécessité
d'une solidarité régionale se maintint face aux élites du nord. C'est ainsi qu'à bien des égards, les
traits d'une « culture du sud» se structurèrent en opposition aux comportements et valeurs des
nouveaux dirigeants et des populations du nord.
Dans la nouvelle donne régionale, le lien entre les deux préfectures ButarefGikongoro,
regroupées précédemment sous le nom d'Astrida, demeura étroit. A la différence des préfectures
de Kibuye et de Cyangugu qui se «soumirent»
aussi bien aux cadres de Gitarama qu'à ceux du
nord au cours de la seconde République, les élites de Butare et Gikongoro cultivèrent leur
spécificité, voire leur irrédentisme. Les deux préfectures suscitèrent notamment des opposants
célèbres. Jamais cependant, ces opposants ne purent vraiment rivaliser avec les ressortissants du
nord du fait de leur comportement politique atypique. Les chefs importants originaires du nord
s'appuyèrent
toujours sur de fortes bases familiales ou claniques dont les membres relayaient
l'influence et démultipliaient les ressources. Plus largement, selon la logique de reproduction
propre au système clientéliste qui s'instaura à partir de la deuxième moitié des années 60, ils
suscitèrent nombre d'obligés
et consolidèrent
des « cours»
personnelles
(NSEKALIJE,
NZIRORERA, KABUGA, etc.). La situation de Juvénal HABY ARIMANA illustre a contrario cette
thèse dans la mesure où la famille de son épouse dut lui fournir la base familiale de substitution
qui lui manquait pour asseoir son pouvoir. A l'inverse, les personnalités dominantes de Butare,
comme Aloys MUNYANGAJU, Joseph NDWAN1YE, Joseph GITERA HABYARIMANA, ... se
comportèrent comme des intellectuels individualistes. Ils ne s'appuyèrent
pas sur des grandes
familles, ne constituèrent pas de cour. Leur fragilité politique était évidente et leur pouvoir, voire
leur rayonnement, étaient dépendants des postes qui leur étaient momentanément
octroyés puis
repris.
En outre, ces chefs ne cherchèrent pas généralement
à fidéliser leur terroir d'origine et à le
faire fructifier. Par exemple, la commune Shyanda ne bénéficia d'aucune retombée de la part de
Théodore SINDIKUBW ABO dont beaucoup de Butaréens pensaient même qu'il était originaire
de Gisagara où il fut nommé un temps bourgmestre. A Shyanda toujours, si Félicien GAT ABAZl,
avait fait construire des résidences pour son père, ses frères et sœurs, il ne possédait pas lui-même
de maison sur sa colline de naissance." En fait, la plupart des Butaréens promus, notamment les
diplômés, quittaient leur préfecture pour s'installer à Kigali sans maintenir de liens forts avec leur
« colline », voire leur famille au sens large, y compris
lorsqu'ils
accédaient à des postes
d'influence. On citera ainsi Jean-Marie Vianney MBAGUTA (tutsi, Butare) qui fut très proche de
Juvénal BABY ARIMANA et donc puissant à Kigali, mais qui, ambitionnant certainement un Roste
de ministre, ne chercha même pas à figurer sur les listes des candidats députés de Butare.' Un
autre exemple, plus surprenant encore, peut illustrer cette attitude commune aux différentes
fractions de l'élite butaréenne. Il n'existait même pas à Butare de grands commerçants fortunés
qui auraient pu rivaliser avec ceux de Kigali, de Gitarama ou de Cyangugu. Le pouvoir
économique y était détenu par de petits noyaux de commerçants originaires de Gikongoro puis,
sous la seconde République, de Gitarama.
Le second renvoie aux modalités d'encadrement
et de contrôle de ces préfectures qui ont été
mises en œuvre pour asseoir la domination des deux partis uniques qui se sont succédé à la tête du

IS La présence de l'Université
nationale du Rwanda fut un facteur important. L'UNR a été créée en 1963 par les Pères
dominicai ns à la demande du gouvernement rwandais. C eux -ci en assurèren t la gestion directe de jusqu'en 1974. Le père
Georges Henri Levesque occupa les fonctions de recteur depuis la création de l'établissement
jusqu'en 1971. Il demeura
ensuite recteur honoraire et conseiller de 1972 à juin 1975. Son successeur rwandais était une personnalité respectée,
Sylvestre NSANZIMANA, docteur en droit (hutu, Gikongoro). Il resta en fonction jusqu'en décembre 1978.
19 Il en possédait cependant deux à l'entrée
de Butare Ville.
20 Il rallia le PSD en 1992.

18

pays. Lors de la première proclamation de la République
le 28 janvier 1961, les délégués de
Butare élirent les seuls représentants non-membres
du PARMEHUTU qui furent au nombre de
quatre sur un total de 44 délégués. Quelques mois plus tard, lors de l'élection de la première
législature (1961-1965), la moitié des élus de Butare représentaient l'opposition monarchiste 0 u
l'APROSOMA, le parti concurrent du PARMEHUTU. Une fois la normalisation politique acquise
en 1965 et sous l'étiquette du parti national, des cadres de Butare continuèrent à occuper des
postes importants (notamment au bureau de l'Assemblée
nationale ou à la présidence de la Cour
suprême), mais devinrent fortement minoritaires.
Les principaux dirigeants de l'APROSOMA
furent évincés et se réinstallèrent sur leur colline.
Pour survivre, Jean-Baptiste GITERA
HABYARIMANA (le leader le plus en vue) s'installa
comme briquetier, tandis que Germain
GASINGW A, retourna à son métier d'infirmier. À la fin des années 60, Amandin RUGIRA subira
le même sort. Chassé du MDR-PARMEHUTU, empêché d'exercer son métier d'assistant médical
et de s'inscire à l'Université nationale du Rwanda pour y poursuivre des études de médecine, il
vécut reclus dans sa propriété
de Range,
jusqu'au
jour où Jean-Baptiste
GITERA
HABYARIMANA, pour braver" le pouvoir, l'embaucha dans sa briqueterie.
Les rapports avec le pouvoir central, souvent conflictuels au cours de la première République,
prirent néanmoins une tonalité plus consensuelle
au cours de la seconde République au moins
jusqu'au milieu des années 80. Une cohabitation durable s'instaura alors avec des personnalités
fortes, suffisamment représentatives et acceptables pour le pouvoir centraL Mais, comme on le
verra ci-après, l'ambivalence
vis-à-vis du pouvoir central fut la règle des cadres politiques
butaréens anciens et nouveaux. Quant aux personnels
d'autorité originaires des préfectures du
nord, affectés dans les préfectures du sud, ils étaient chargés d'une double tâche. D'un côté, il
s'agissait d'identifier et de neutraliser les éventuels opposants, et de l'autre, de reconnaître et de
solliciter des natifs loyaux, ou, pour le moins, fiables aux. yeux. des autorités nationales. Dans des
régimes autoritaires et policiers, ce doute constant et le maintien d'une surveillance continue
pouvaient rapidement dégénérer en répression ouverte, y compris vis-à-vis des alliés les plus
dévoués.
Enfin, on ne saurait clore ce chapitre sans dire un mot du rôle institutionnel et proprement
politique de l'église catholique. J'insisterai
uniquement
sur la configuration butaréenne qui,
présentait des caractéristiques tout à fait singulières, renforçant la réputation de préfecture rebelle.
Évincées de la fonction publique et des grands corps de l'État comme la magistrature ou
l'armée après la révolution sociale, les élites cultivées tutsi, majoritairement implantées dans les
préfectures du sud, investirent les secteurs d'activité où la tutelle du pouvoir central était la moins
forte. Parmi ces débouchés figuraient l'église
catholique et les entreprises du secteur privé.
L'église catholique, malgré l'adhésion active de son archevêque, Mgr André PERRAUDIN, aux
thèses du « peuple hutu majoritaire », eut beaucoup de mal à imposer dans les faits un système de
quota contraignant dans une institution où la majorité des prêtres ~dans les paroisses et une large
partie de la hiérarchie étaient tutsi au moment de l'indépendance. Etre prêtre permettait d'accéder
à une position sociale très enviable et la pression des jeunes Tutsi pour accéder aux séminaires
paraissait d'autant plus justifiée que les éléments hutu les plus brillants étaient majoritairement
absorbés par les emplois de la haute fonction publique et de l'appareil politique. De Grégoire
KAYlBANDA à Juvénal HABY ARIMANA en passant par Anastase MAKUZA, Jean-Baptiste
RWASIBO, Amandin RUGIRA, Mathieu NGIRUMPATSE,
Augustin NDINDILIYIMANA
ou
Alexis KAN Y ARENGWE, tous avaient été formés au petit séminaire de Kabgayi, et certains
avaient continué leurs études au grand séminaire avant de rejoindre la vie civile.
Dans cette optique, l'évêché d'AstridalButare
apparut comme un bastion tutsi du fait de ia
personnalité, du rayonnement
et de la longévité
de son premier titulaire, Mgr Jean-Baptiste
GAHAMANYI (tutsi, Gikongoroï". Celui-ci fut nommé le 11 septembre 1961 et resta en fonction
jusqu'en 1997. Il fallut attendre 1992 pour qu'un nouvel évêché, celui de Kibungo - préfecture
où étaient installés de nombreux déplacés tutsi de la révolution -, soit confié à un évêque tutsi,
Mgr Frédéric RUBWEJANGA (tutsi, Gitarama), sacré en juillet de la même année." Un grand

21 Né en
1920 et décédé en 1999. Il était le frère cadet de Michel KAY1I-illRA, une des personnalités
les plus
importantes du régime monarchique. Chef de la chefferie de Nyaruguru au cours des années 1940, puis chef du Bugoyi
jusqu'à la « révolution sociale », celui-ci fut élu vice-président
du Conseil supérieur du Pays de 1953 à 1960, première
assemblée consultative
créée par la puissance
coloniale
belge, et devint ainsi le deuxième personnage
de

l'administration coutumière après le mwami MUTARA ln RUDAHIGWA.
12 Au cours de la période coloniale,
un prêtre rwandais tutsi originaire du Gisaka, fut nommé vicaire apostolique lors
de la création des deux Vicariats du Rwanda le 14 janvier
1952 et affecté au nouvel évêché de Nyundo. Mgr Aloys
19

nombre de prêtres butaréens étaient d'ethnie tutsi et la direction du petit séminaire de Butare était
assurée par un recteur tutsi qui fut arrêté en 1990 comme complice du FPR! En mars 1989, la
nomination comme évêque titulaire de Félicien MUV ARA, tutsi, ancien secrétaire général de l-a
conférence épiscopale et évêque auxiliaire du diocèse de Butare depuis décembre 1988, déclencha
une opposition déterminée qui s'acheva sur l'annulation
de sa consécration l'avant-veine des
cérémonies officielles, puis sur sa démission et son départ pour Rome.

BIGIRUMW A.MI, sacré à Kabgayi
démission

le 1" juin

i952,

fut le troisième

en 1973.

20

évêque catholique

africain.

11 fut contraint

à la

2. Les personnalités

ère

politiques de Butare de la 1

me

et de la

i

République

Dans une préfecture qui incarna dès 1960 le multipartisme, U).1 rapide
apparaît indispensable pour comprendre les enjeux politiques récents.

retour historique

Les années de lutte pour l'indépendance suscitèrent de nombreuses vocations politiques parmi
les jeunes éduqués rwandais et les notables des collines et ta préfecture de Butare fut riche en
personnalités d'envergure
nationale. Parmi elles, je retiendrai quatre hommes qui, sans être
nécessairement les plus éminents, connurent les carrières politiques les plus longues et incarnèrent
le destin de la préfecture après l'indépendance.
2.1. La longue carrière des personnalités historiques

issues des luttes pour l'indépendance

Deux hommes politiques originaires de Butare marquèrent l'histoire des deux Républiques: il
s'agit d'Amandin
RUGIRA et de Théodore
SINDIKUBWABO~3. Ces deux personnalités
siégeaient déjà dans le Conseil du Rwanda nommé le 18 octobre 1960 par la Tutelle belge, puis
furent élues bourgmestres, respectivement à Cyarwa" et Gisagara (qui devint la commune Ndora)
lors des premières élections communales du 17 juin 1961. Ils marquèrent ensuite pendant plus de
trente ans la vie politique régionale et accédèrent à nouveau, au terme de leur carrière, après le
retour du multipartisme, à de hautes fonctions nationales.
'
Ainsi Amandin RUGIRA, élu à l'unanimité président de la première législature de la première
République fut promu au poste de 1cr vice-président
du nouveau MRND par le congrès de
rénovation d'avril 1992 alors que le président de la République, Juvénal HABYARIMANA, était
reconduit comme président. De son côté, Théodore SINDIKUBW ABO, nommé ministre dès les
premiers gouvernements de l'indépendance,
de vint sous l'étiquette MRND, président du Conseil
national de développement (parlement rwandais) de 1988 à 1994, puis président de la République
par intérim le 8 avril 1994 après l'assassinat du président Juvénal HABYARIMANA (cf. annexe 2,
tome 3).
Au cours de ces quatre décennies, les attitudes politiques de l'un et de l'autre furent largement
dictées par leurs rivalités personnelles?~ Ainsi, alors qu'Amandin
RUGIRA, membre dirigeant du
MDR-PARMEHUTU, perdait la présidence de l'Assemblée
nationale en 1963 avant d'en être
évincé suite à son exclusion du MDR-PARMEHUTU,
et devenait un opposant au président
Grégoire KA YIBANDA~6, Théodore SINDIKUBWABO, un des principaux dirigeants du premier
parti d'opposition,
l'APROSOMA,
se mettait au service de la présidence en échange d'un
portefeuille ministériel. Amandin RUGIRA, fut réhabilité par la seconde République. Dès la
création du CND, il fut présenté par le parti unique MRND comme candidat député à Butare et fut
à chaque fois brillamment élu. Bien que plus populaire que son rival dans la préfecture de Butare
,) Au regard de leur engagement
politique au service de la révolution puis des deux régimes pro-hutu, relevons
néanmoins que les deux épousèrent une femme tutsi et que le second était lui-même issu d'une famille" mixte ». Sa
mère était tutsi et son père, officiellement
hutu, fut soupçonné
d'être en fait tutsi par les services de renseignements
sous les ordres d'Alexis KAN Y ARENGWE à la fin de la première République.
" Commune qui fut intégrée ultérieurement à la commune urbaine de Ngoma et divisée

en deux secteurs Cyarwa-

Cyimana et Cyarwa-SumO.
,5 Amandin RUGIRA dut néanmoins supporter un handicap relatif par rapport 11 Théodore SINDIKUBW ABO. Comme
beaucoup de militants venus 11 la politique lors de l'accession du pays à l'indépendance,
il n'avait pas achevé ses études
lorsqu'il accéda à ses premières responsabilités politiques - il était alors élève en 'deuxième année du grand séminaire -.
Cela ne l'empêcha pas de participer à la délégation qui négocia l'indépendance
du Rwanda aux Nations unies, où son
éloquence fut remarquée. Par contre, l'absence de diplôme pesa négativement
sur sa carrière au cours de la seconde
République qui institua des niveaux d'études minima pour accéder à de nombreuses fonctions électives ou d'autorité. il
existait certes des voies permettant de contourner partiellement
ce handicap, comme la procédure administrative du
commissionnement
(elle servit à d'autres personnalités
n'ayant
suivi qu'un cursus scolaire limité
: François
NSHUNGUYINKA, 4 ans secondaire,
préfet;
Protais
ZIOIRANYIRAZO,
4 ans secondaire, préfet
; André
KAGIBA.MGABO, préfet;
Noël MBONABARYl, député, etc.), mais Amandin RUGIRA ne bénéficia pas de telles
exceptions. De ce point de vue, Théodore SlNDlKUBW ABO profita d'un avantage indéniable avec le titre prestigieux de
médecin (même si sa réputation
scolaire fut fort médiocre
lors de ses études d'assistant
médical où il occupait
généralement les dernières places de sa promotion, Nommé professeur de médecine 11 l'Université
de Butare en 1969, il
fut le premier médecin rwandais spécialisé en pédiatrie reconnu par la RUG (Rijk's UrLiversiteir Gent).
26 Ceux que l'on
surnomma «NZIRUKASE}}
(Isidore NZEYTh1A.NA, Amandin RUGIRA, Désiré KALINIJABO,
François SEZIRAI-UGA), tous originaires
d'Astrida, avaient
alors, selon l'expression
qui les qualifiait, « perdu la
l\gne»

du parti (guu: umurongo).
21

(comme l'attestèrent tous les scrutins parlementaires27),
Amandin RUGIRA ne parvint pas à
s'imposer face à Théodore SINDIKUBWABO, rallié à la seconde République, qui bénéficia
rapidement des faveurs de la présidence: On retrouve là l'effet de la relation privilégiée qu' il
entretint avec son collègue universitaire, Séraphin BARARENGANA, frère du président Juvénal
HABYARIMANA, professeur de médecine et chirurgien nommé à l'Université nationale du
Rwanda à Butare de 1978 à 1994.28 Ce dernier devint vice-doyen de la faculté de médecine dès
1979, puis doyen en 1981. Le pédiatre Théodore SINDIKUBWABO fut alors régulièrement
consulté par la famille HABY ARIMANA pour le suivi médical de ses nombreux. enfants (cf. aussi
infra § 6.3, note 214, p. 92). En 1989, Théodore SINDIKUBWABO accéda à ta présidence du
CND alors même que le préfet de Butare avait dû organiser le rattrapage de son échec devant le
suffrage populaire pour qu'il en devint membre (cf. infra § 2.3., p. 26). Cette suprématie fut
cependant de courte durée car Amandin RUGIRA, dont la notoriété demeurait forte, fut sollicité à
ta fin 1991 par le président HABYARIMANA pour implanter le nouveau MRND à Butare." Il fut
élu président du bureau préfectoral du MRND Butare rénové en février 1992 et devint à ce titre
membre de droit du comité national et du bureau politique. Puis, lors du congrès national du
MRND d'avril de la même année, le" comité national le porta à la tête du parti comme viceprésident du président Juvénal HABYARIMANA. Le décès d'Amandin RUGIRA en 1993 mit un
terme à la compétition entre les deux hommes.
Pour le président HABYARIMANA, cette compétition entretenue et le maintien en activité à
des postes prisés des deux protagonistes n'étaient pas liés à la reconnaissance de compétences
politiques particulières. Dès le milieu des années 80, les deux représentants «historiques»
de
Butare étaient tout simplement utilisés pour contrer ou amortir l'ascension d'une personnalité
émergente et indépendante de Butare, Félicien GATABAZL Celui-ci leur fournit d'ailleurs une
des rares occasions d'apparaître solidaires au cours de leur carrière politique.
2.2. La seconde génération de personnalités

politiques

Les deux autres responsables
politiques les plus marquants de la préfecture, Félicien
GAT ABAZI et Maurice NT AHOBARI, appartenaient à une génération nettement plus jeune, cene
des années 40. Toute leur carrière s'est effectuée au cours de la seconde République. Félicien
OATABAZI, marié à une épouse hutu «du sud» (Gitarama, commune Masongo), débuta comme
directeur adjoint des travaux à l'UNR, poste où il fut affecté à son retour d'études de l'Université
de Louvain. Il devint ensuite directeur général des Ponts et Chaussées au ministère des Travaux
publics, puis secrétaire général de ce même ministère. Il fut enfin secrétaire exécutif de l'EOL au
Burundi, jusqu'à sa nomination comme ministre en 1977.
Il accéda au cabinet ministériel au cours de la deuxième moitié des années 1970 en même
temps que plusieurs autres cadres politiques originaires du sud. Parmi eux. citons, Frédéric
NZAMURAMBAHO (hutu. Gikongoro},
Cléophas KANYARWANDA (hutu, Gitarama), Thomas
HABANABAKIZE
(hutu,
Gitarama),
Siméon
NTEZIRY AYO (hutu,
Cyangugu}.
JeanChrysostome NDUHUNGlREHE (hutu, Butare) et Martin BUCYANA (hutu. Cyangugu) qui les
avait précédé depuis 1973. Ces fortes personnalités
et/ou techniciens brillants formèrent un
groupe dynamique avec lequel les dirigeants du nord, mis en compétition, durent compter .3U

17 Une des raisons de cette différence
de popularité tint au rôle joué par l'Église catholique lors des scrutins. Alors
qu'Amandin RUGIRA pouvait être considéré comme l' «homme
de l'Eglise », Théodore SIN'DIKUBWABO, bien que

catholique pratiquant lui aussi, passait pour un laïc,
rs Cette relation n'était pas exclusive : parmi les soutiens de Théodore SINDIKUBW ABO on retrouvait notamment
Laurent SERUBUGA (hutu, Gisenyi), officier membre du comité central du MRND.
<9 Les «services»
sollicités par le président étaient généralement
impératifs et s'appuyaient
sur une panoplie de
moyens de pression.
Dans la plupart des cas, des contreparties
(professionnelles,
financières ou honorifiques)
immédiates ou différées étaient associées. Amandin RUGIRA reconnut après sa promotion que lorsque le président le
sollicita, celui-ci lui avait rappelé l'avoir sorti, après le coup d'état du 5 juillet 1973, du statut de banni et de misérable
auquel le MDR de la première République l'avait condamné. Il fut alors affublé du sobriquet de Gatora!1o (( celui qu'on a
ramassé» ).
lO Un
épisode
révélateur
de cette émulation
5' était
déroulé alors que Félicien
GATABAZI et Frédéric
NZAMURAMBAHO, alors tous les deux hauts fonctionnaires,
faisaient partie d'une délégation officielle rwandaise en
visite à Bruxelles et conduite par le ministre des Affaires Étrangères d'alors, le colonel Aloys NSEKALlJE. Les deux se
permirent de refuser la rédaction d'un accord de coopération qui avait déjà reçu l'aval du ministre et furent à l'origine d'un
incident diplomatique. Ce comportement,
dont la classe politique attendait qu'il fut sanctionné
par l'arrestation
des
intéressés dès leur retour, fut finalement porté à leur crédit et aurait été à l'origine de la promotion de F. GATABAZL au

22

Parmi ces originaires du sud, Cléophas KANYAR WANDA (1976), Siméon NTEZIRY AYO (1976),
Frédéric NZAMURAMBAHO (1980) et Thomas HABANABAKIZE
(1980) furent nommés par le
président au comité central du MRND.
Après)' élimination des militaires rivaux de Gisenyi et Ruhengeri en 1980-81 (tentative de
coup d'Etat de Théoneste LIZINDE et Alexis KANY ARENGWE), le président Juvénal,
HAB Y ARIMANA s'appuya fortement sur ce groupe tout en cherchant déjà à en neutraliser les
éléments les plus populaires)L et à les remplacer progressivement
par des politiciens du sud
« dociles» ou sans grande notoriété (entrée dans le gouvernement
d'André NTAGERURA et de
Maurice NTAHOBARI en 1981). Le remaniement ministériel du 8 janvier 1984 qui vit l'éviction
de Félicien GATABAZI et de Frédéric NZAMURAMBAHO,
les personnalités les plus estimées du
sud, ouvrit la seconde plus importante crise politique de la deuxième République.
Dans un contexte de fortes tensions entre Félicien GATABAZI et le colonel Aloys
NSEKALIJE, alors ministre de l'Enseignement primaire et secondaire, au sujet de discriminations
scolaires envers des élèves originaires du sud," des poursuites judiciaires pour « détournement de
fonds publics »3;1 furent engagées contre Félicien GAT ABAZI et une demande de levée de son
immunité parlementaire fut introduite au CND. Elle donna lieu à une fronde des parlementaires
du sud conduite par Frédéric NZAMURAMBAHO,
Jean-Chrysostome
NDUHUNGIREHE et
Félicula NYIRAlvHJTARAMBIRWA. Dans l'incapacité
de faire aboutir ta levée d'immunité, les
autorités firent emprisonner l'épouse de Félicien GAT ABAZI. Contraint, celui-ci démissionna et
se livra à la justice. Les deux membres du couple restèrent en prison plusieurs mois et, lors du
jugement, F. GATABAZI fut condamné à cinq ans de prison qu'il n'effectua que partiellement.
Certes, le colonel Aloys NSEKALIJE sortit vainqueur du conflit et avec lui la présidence, mais
les dommages politiques furent majeurs. Quel que soit le bien-fondé éventuel des accusations
formulées contre Félicien GAT AB AZI, le fait qu'elles soient portées par un ministre militaire dont
la réputation de corruption était sans égale discrédita l'auteur qui fut accusé avec dérision de
vouloir institutionnaliser
une nouvelle « discrimination»
envers les personnalités
du sud.
Généralement considéré comme un des hommes politiques les plus puissants de la seconde
République, le colonel Aloys NSEKALIJE ressortit atteint de cet épisode. À l'opposé, la
popularité de la victime et des personnalités qui la soutinrent étaient désormais fortement ancrées,
tout comme la césure nord-sud au sein du MRND.
Parmi les victimes politiques majeures de ce conflit, il faut aussi citer le nom des deuxpersonnalités butaréennes
« historiques », Amandin RUGIRA et Théodore SINDIKUBWABO, qui
lors du vote pour la levée de l'immunité parlementaire
de Félicien GATABAZI se démarquèrent
du bloc des élus de Butare pour, respectivement, s'abstenir et voter favorablement. Le premier
réglait ainsi publiquement
ses comptes avec un concurrent qui lui disputait l'hégémonie
en
matière de popularité auprès- des Butaréens. Quant à Théodore SINDIKUBWABO, Li ne fit
qu'obéir aux mentors du clan présidentiel en attendant le jour où il toucherait les dividendes de
son acte. Depuis ce jour, il fut considéré comme un « traître» par les Butaréens et fut massivement
et durablement

rejeté.

conseil de gouvernement.
Bien que rapportée par plusieurs témoins, nous n'avons pu retrouver les dates et l'objet de
cette équipée mémorable constitutive de la réputation des deux personnages au sein de la classe politique.
Ainsi, Félicien GATABAZI fut'soumis à une rotation permanente des postes ministériels
à chaque renouvellement
des cabinets auxquels il participa. Outre la reconnaissance de ses compétences gestionnaires,
il fonda sa popularité sur
la franchise de ses propos publics, 'Il utilisa régulièrement
les congrès préfectoraux du 'MRND comme tribune pour
)l

dénoncer les discriminations que subissaient Butare et les préfectures du sud.
l2 En 1983, un accrochage
verbal violent opposa les deux hommes à Butare lors d'un congrès préfectoral du lvlRND
que présidait le préfet Emmanuel RUZINDANA en présence du colonel Aloys NSEKALIJE siégeant en tant que ministre et
représentant du comité central. Théodore SINDIKUBWABO jouaun rôle décisif dans le lancement et la conduite de cette
affaire pour faire tomber Félicien
GATABAZ1, symbole
de la génération
montante,
À Butare, Théodore
SINDIKUBWABO était considéré comme le "mouchard
de la préfecture},
au service du colonel Laurent SERUBUGA
(dont il était le médecin de famille), voire d'Aloys NSEKALDE. Ce dernier s'impliqua fortement dans la vie politique
butaréenne. L'épouse d' Aloys NSEKALIJE était originaire
de Ndora à Butare et il y disposa de nombreuses maîtresses,
Parmi elles, Yénantie MUKARUGOMWA
fut aussi mobilisée dans le combat partisan contre Félicien GATABAZL Aloys
NSEKALIJE tenta même de la faire élire députée en décembre 1983,
)) Alors qu'il était ministre des Affaires sociales et du Développement
communautaire,
il fut accusé d'utiliser un
camion, propriété de sa femme, pour ravitailler des camps de réfugiés en bois de chauffage, sur financement du Hautcommissariat

aux réfugiés CHCR).

23

Enfin, et cet élément est capital dans l'histoire du régime HABYARIMANA, toute opposition
ayant été neutralisée au nord comme au sud, le champ était désormais
libre pour
l'épanouissement des membres du clan présidentiel et notamment ceux de sa belle-famine. La
contrepartie de l'emprise politique et économique sans limites qu'instaura alors]' akatu fut son
isolement grandissant. Isolement aussi important vis-à-vis des élites du centre et du sud que vis-àvis des groupes rivaux du nord. L'éviction des Bagoyi au profit des Bashiru toucha aussi des
personnalités alliées de Gisenyi qui occupaient des positions éminentes (cf. infra § 5.1., p. 74, le
cas exemplaire de l'élimination de Mathieu NGIRIRA).
L'entrée
au gouvernement
de nouvelles
pèrsonnalités
de Butare
comme Anastase
NTEZILYAYüJ~ et le major Augustin NDINDILIYIMANA
confirma la stratégie du pouvoir de
nommer des ministres sans assise politique forte ou bien soumis. Tous les lieux. de pouvoir étant
sous contrôle, Juvénal HAB Y ARIMANA ne tolérait plus que des ministres techniciens quelles que
soient les préfectures d'origine. Certains se décrivaient
d'ailleurs plus comme des «superfonctionnaires}} que comme des personnalités politiques.

2.3. La promotion de la famille NTAHüBARI
Au-delà des vicissitudes politiques communes,
Parlement rwandais de 1981 à 1988, avait connu

Maurice NT AHüBARI,
une carrière semblable

installé à la tête d li
à celle de nombreux

dignitaires de la seconde République.
Mathématicien de formation et diplômé de l'Université
de Liège, il fut d'abord directeur de
l'Institut pédagogique national (IPN) à Butare, puis ministre de l'Enseignement supérieur et de 1a
Recherche scientifique de mars 1981 à février 1982, date à laquelle il fut élu premier président du
nouveau Conseil national de développement (cf. annexe 2, tome 3). Il avait entre temps, en. 1980,
été nommé par le président fondateur du parti au comité central du MRND. Les liens d'amitié de
son épouse avec Agathe KANZIGA jouèrent un rôle décisif lorsqu'il s'est agi de détecter puis de
pr9mouvoir des talents susceptibles de servir le régime à Butare. Les deux. femmes se connurent à
l'Ecole sociale de Karubanda à Butare : Agathe KANZIGA faisait partie de la promotion sortie en
1962 et Pauline NYIRAMASUHUKO en 1964 (l'insuffisance
de sa formation à l'entrée lui
imposa un cycle scolaire plus long, cf. infra encadré n? 1, p. 27).
Un second critère, qui fut mis en avant lors de son accession 'à la présidence du eND, mérite
d'être mentionné. Maurice NTAHüBARI était de religion anglicane et le vice-président du CND,
Fidèle NTUYENABü (hutu, Ruhengeri), de religion adventiste. Cette double élection à la tête du
Parlement, mise en scène personnellement
par le président HAB)' ARIMANA,J5 constitua une
surprise politique majeure compte tenu du poids traditionnel de l'Eglise catholique au Rwanda.
Ce geste fut présenté comme une volonté du président de rallier toutes les confessions au
régime.36 L'Eglise anglicane était la deuxième en importance au Rwanda. Mais, on y vit aussi une
volonté de la présidence de relativiser l'ascendant
de la hiérarchie catholique dont l'archevêque,
Mgr André PERRAUDIN, joua un rôle majeur dans l'avènement de la « révolution sociale » de
1959 et fut très proche des responsables de la première République."
Une troisième raison, non exprimée mais certainement
tout aussi décisive, peut être invoquée.
Comme je l'ai déjà mentionné, la volonté constante du président et du clan présidentiel fut de
.\< Précédemment
secrétaire général du ministère de la Jeunesse ~t des Sports, dirigé par Aloys NSEKALUE, il
occupait alors le même poste au ministère de l'Agriculture
et de l'Elevage. Au début de sa carrière à la tête de ce
ministère, il souffrit de la comparaison désavantageuse en termes de notoriété avec Frédéric NZAMURAMBAHO.
2
J5 Agence
rwandaise de presse (ARP), Compte- rendu du discours du chef de l'État, matinée du 8 janvier 1 98 :
« [ ... ] Après les cérémonies de prestation de serment, il Y a eu élection du président du CND et de ses collaborateurs.
Le
Chef de l'État a lui-même présidé les élections; ce fut lui qui présenta chaque fois deux candidats à chaque poste tout en
leur faisant simultanément des éloges. Les députés devaient alors faire un choix entre les deux candidats. À la présidence
du eND, les deux candidats Ntahobari Maurice et Ntagerura André ont été présentés aux membres du eND, et Ntahobari

Maurice fut élu. »
)6 ARP,
Compte-rendu du discours du chef de l'État, marinée du 8 janvier 1982 : « [ ... 1 Parlant des nouveaux
députés, Juvénal HABY ARI!V1ANA insista sur le fait que «leur
principal rôle, sur lequel tout doit se baser, est le
développement national sans tenir compte des régions, des ethnies et de la religion. »; Relevons néanmoins que seuls
les musulmans ne bénéficièrent pas d'une attention similaire.
~1 La seconde
Répl\blique s'appuya
quant à elle sur le nouvel archevêque
métropolitain,
Mgr Vincent
NSENGlYUMVA (htltu, Ruhengeri), qui fut nommé par le président fondateur du parti au comité central du MRND. Les
pères de Juvénal HABYARIMANA et de Vincent NSENGIYUMVA
furent tous les deux au service des Pères blancs.

24

promouvoir des personnalités du sud « sous contrôle» ou inoffensives. En nommant un anglican
comme représentant de la très catholique préfecture de Butare (et ayant li sa tête un évêque tutsi l),
la présidence savait qu'il ne pourrait"jamais bénéficier d'une large base populaire."
Dans la préfecture de Butare, Maurice NT AHOBARI bénéficia de la réputation d'être li n
homme soutenu par la présidence, mais à la différence de Félicien GAT ABAZI, cette position
privilégiée lui était totalement accordée par le sommet et ne lui valait aucune' popularité
personnelle particulière. Timide, peu loquace et ne fréquentant guère les lieux publics et les
réceptions, Maurice NTAHOBARI ne faisait rien de son côté qui aurait pu conforter son assise
locale. De ce point de vue, il n'était pas considéré comme un politicien « solidaire des gens du
sud» : il ne poussait guère -les dossiers des ressortissants de Butare et restait distant vis-à-vis des
autres porte-parole originaires de la préfecture et promus à des postes élevés. En fait, Maurice
NTAHOBARI n'entretint jamais de « cour» autour de lui, ni ne fit lui-même la cour des
« grands ». De ce point de vue, bien que promu à un des postes parmi les plus importants du
régime, son comportement
.politique
le distinguait
radicalement
d'autres
personnalités
d'envergure nationale comme Joseph NZIRO,RERA toujours en quête d'occasions de «servir»
pour se rapprocher du cercle présidentiel. A l'échelle
butaréenne, son antithèse était Joseph
KANY ABASHI qui incarnait jusqu'à la caricature les doubles vertus du client et du parrain.
Lors des deux scrutins législatifs auxquels Félicien GATABAZI put se présenter, ce dernier
s'imposa largement comme le meilleur élu de la préfecture et Maurice NTAHOBARI dut attendre
l'élimination de ses concurrents et le zèle de l'administration
préfectorale pour arriver enfin en
tête du suffrage des électeurs lors du troisième renouvellement du CND en 1988. La préparation
de la liste des candidats présentés au suffrage universel fut totalement arbitraire. Outre F.
GAT ABAZI, trois candidats sortants furent d'emblée
privés de candidature et de mandat:
Claudien BAGENZI (L" deIa liste des suppléants en 1981 et élu en 1983), Jean-Chrysostome
NDUHUNGIREHE (élu enl983) et Charles MULINDAHABI (élu en 1981 et 1983)
La signification accordée au « soutien populaire»
que Maurice NTAHOBARI reçut dans Ies
urnes apparut cependant fort limitée puisque, bien qu'étant formellement le député le mieux élu
de Butare, il fut invité à démissionn~r aussitôt de son mandat pour prendre la direction. de
l'Université nationale du Rwanda, A l'inverse,
le député le moins bien «. élu », Théodore
SINDIKUBWABO, fut porté à la présidence de l'Assemblée, poste qu'occupait
précisément
Maurice NTAHOBARI

l

Bien évidemment, les conditions de ces élections firent l'objet de commentaires acerbes dans la
préfecture de Butare, mais' aussi à l'échelon national. En effet, le préfet Frédéric KARANGWA
(hutu. Gitarama) fut invité à modifier le résultat des élections pour faire passer Théodore
SINDIKUBWABO, non élu dans les urnes. La manipulation s'effectua à la demande explicite du
président HABY ARIMANA. La fronde politique des préfectures du sud qui s'exprimait
alors
presque ouvertement, tout comme les tensions sociales générées par la disette qui touchait à cette
époque fortement les préfectures voisines de Kibuye et de Gikongoro, étaient à l'origine de ces
basses manœuvres.
Le retrait du parlement de Maurice NTAHOBARI
et, en fait, la fin de sa carnere politique,
sanctionnait un profil d'« intellectuel indépendant », qui « réfléchissait », qui «pouvait refuser des
services ». De ce fait, il apparaissait aux yeux des politiciens proches du clan présidentiel, comme
«un politicien mou », en tout cas inadapté pour affronter les turbulences qui commençaient à
secouer
le régime.
Ces caractéristiques
étaient· à l'opposé
de celles de Théodore
SINDIKUBWABO, considéré comme un «poisson dans leau » dans le microcosme politique, et,
plus précisément, estimé capable de régenter les parlementaires sans manifester d'états d'âme
personnels. Théodore SINDIKUBWABO était habituellement
décrit comme « toujours fidèle »,
« dévoué»
et surtout, «prêt à se sacrifier pour défendre le message ». Cette dernière formule,
faisant allusion aux missions et services que l'akazu pouvait confier à ses relais pour assurer la
défense du régime, illustrait pleinement une des logiques centrales du système clientéliste. En fait,

rs Une logique similaire prévalut lorsque Édouard KAREMERA (hutu, Kibuye) fut nommé responsable
du comité
national chargé de mettre en place le MRND rénové en juillet 1991. Ex-adventiste converti au catholicisme,
Édouard
KAREMERA ne pouvait émerger au plan national et faire concurrence aux. personnalités
du nord et aux" originaires
du
terroir présidentiel"
(OTP). Il était par ailleurs engagé dans un conflit local fratricide avec le Dr lldephonse
MUSAFIRI, représentant
de l'Église presbytérienne
et ministre
de la Santé de 1975 à 1984. Une fois le travail de
restructuration du parti effectué, il fut purement et simplement évincé dès le congrès d'avril 1992 par un autre homme du
sud à récompenser et considéré, à cette époque, comme inoffensif (Amandin RUG1RA).
25

Théodore SINDIKUBW ABO attendait une telle récompense depuis son ralliement à la seconde
République à laquelle il ne cessa de rendre des services, mais ces services restaient sans retour: il
ne

«

montait pas », disait-on.

Cette nomination à la présidence du CND apparut en fait pour ce qu'elle était, c'est-à-dire le
remerciement du président pour avoir été le seul à voter la levée de l' immuni té parlementaire de
Félicien GATABAZI en 1984. Elle avait, à nouveau, comme principal objectif de diviser Butare et
d'affaiblir Félicien GAT ABAZI, absent de la compétition, et dont personne ne pouvait douter que
s'il avait pu se présenter, il serait une nouvelle fois arrivé en tête du scrutin. Mais pour Théodore
SINDIKUBW ABO, le « cadeau ~}de 1988 fut immédiatement
terni car la manipulation du scrutin
a été connue, Déjà considéré comme un traître par la population butaréenne, son nom devint dans
la préfecture le symbole des turpitudes du régime honni de Juvénal HABYARIMANA. Il fut
affaibli dès son élection à la présidence du CND, tout comme le préfet Frédéric KARANGW A.
Pour la famille NT AHüBARI, la contrepartie n'était néanmoins pas négligeable. D'une part,
son repli à l'université sur un poste honorifique interdisait de le considérer comme un politicien
« dégommé », et ménageait l'électorat du sud qui aurait pu en faire une victime subissant le même
sort que les précédentes promotions de politiciens du sud. D'autre part, sa mise à l'écart libérait la
place pour l'entrée en politique de son épouse, une des amies les plus anciennes et intimes
d'Agathe KANZIGA, l'épouse de Juvénat HABYARIMANA. La promotion de son épouse évitait
aussi que Maurice NTAHüBARI ne gagna les rangs des « mécontents »,
Depuis le début des années 80, Pauline NYIRAMASUHUKO
(MRND, hutu, Butare, commune
avait entamé, à l'ombre de la carrière de son mari, un long rattrapage de son handicap
scolaire. Rattrapage indispensable pour parvenir elle-même à des postes de pouvoir. Titulaire
d'un diplôme de l'enseignement
secondaire inférieur, Pauline NYIRAMASUHUKO devait pour
cela obtenir un diplôme lui permettant d'accéder
à l'enseignement
supérieur. Au cours de la
seconde République, seules deux femmes, dont le parcours et les efforts furent fréquemment
valorisés, s'étaient engagées dans un cursus d' humanités tardives." Pauline NYIRAMASUHUKO
bénéficia quant à elle d'une équivalence directe obtenue par la procédure dite du « Jury central »
en 19854°, et s'inscrivit à la faculté de droit à l'UNR. Elle obtint sa licence au terme de l'année

Ndora)

académique

1989·1990.

Elle reprit alors un poste dans la fonction pu blique comme secrétaire d'administration
affectée
au ministère de l'Intérieur à Butare à la préfecture, sous les ordres du sous-préfet de préfecture
chargé des Affaires politiques. A partir de janvier 1991, elle fut chargée du suivi de l'activité du
parti unique, le MRND, à Butare alors que son mari siégeait au comité central. Elle joua
localement, en tant que fonctionnaire de l'administration
centrale, un rôle parallèle aux instances
locales dans sa restructuration au titre des partis agréés lors de l'avènement du multipartisme. En
fait, elle ne renonça jamais à ses prérogatives de fonctionnaire et de patronne officieuse du MRND
Butare, même lorsqu'elle accéda au cabinet ministériel. Elle bénéficia dans ses fonctions du
respect et de la légitimité dont jouissait son époux qui continuait à siéger au conseil préfectoral et
participait à de. nombreuses réunions du MRND. Il pouvait aussi l'aider de ses conseils et de sa
vaste connaissance du milieu politique, la faire profiter de ses talents d'analyste et de visionnaire.
On retrouve ainsi dans ses écrits un texte rétrospectivement
tout à fait bouleversant
sur ce qu'il
41
retint de la lecture des travaux du sociologue français Roger MUCCHIELLI
(cf. annexe 3, tome
3). En date du 4 novembre 1991, il rédigea ainsi ce qui put apparaître comme le vade mecuum ou
la « feuille de route » de son épouse pour affronter dans les meilleures conditions les combats
politiques inaugurés par le multipartisme naissant. S'il est possible de créditer personnellement cet

)9

Il s'agit

de l'épouse

de Paulin lvRlSWABlLI,

professeur

à l'UNR, et de celle d'Ambroise

MULlNDANGABO,

ministre du Plan de 1979 à 1989. Cette dernière s'inscrivit au lycée de filles de Kigali.
40 Une épreuve écrite et un oral devaient
être passés. Le jury était souverain. Pauline NYlRAMASUffiJKO obtint
ainsi l'équivalence du « D7 Sociale » (62 %) le 31 décembre 1985 dans des conditions qui furent ouvertement qualifiées
de" favorables », Sa sœur, Céline NYIRANEZA, profita de la même procédure.
41 Cette
note de synthèse établie au début novembre 1991 en application à la situation rwandaise a apparemment été
rédigée à partir du manuel intitulé Psychologie
de la publicité
et de la propagande. Applications
pratiques, publié en
1972. La propagande, assimilée à la subversion, est décrite comme l'arme principale du combat politique et des guerres
modernes. Les techniques de propagande sont mises en œuvre, à l'intérieur de l'Etat, par l'action d'agents subversifs
entraînés organisés en petits groupes de partisans, présentés comme "émanant du peuple même", "spontanément" qui
suscitent un processus de pourrissement de l'autorité et des institutions". On retrouve dans ce texte la théorisation de la
technique dite de « l'accusation en rniroir » que les organisateurs
des massacres et du génocide de 1994 mirent en œuvre
de manière systématique

à cette époque.

26

intellectuel théoricien d'une certaine distance vis-à-vis de ce type de littérature, c'est à son épouse
étudiante qu'il revint d'assurer les travaux pratiques et d'en vérifier la validité sur le terrain.
La famille NTAHOBARI s'installait alors à Buye dans une villa de l'UNR. Elle fit ensuite
construire un hôtel dont la gestion fut confiée à leur fils, Arsène
Shalom NT AHüBARI,
42
parallèlement inscrit comme étudiant - fort médiocre
- à l'UNR.
L'hôtel lhuliro, situé à
proximité de l'entrée du campus de l'UNR, lui servit alors de résidence.

Encadré n" 1: Pauline

NYIRAMASUHUKO

Pauline NYIRAMASUH!JKO est née le 27 avril 1946 dans la préfecture de Butare, commune Ndora,
secteur Gisagara. Elle était issue d'une famille nécessiteuse qui dut s'exiler en Tanzanie (alors Tanganyika
Territory sous admintstration anglaise) au cours de la seconde guerre mondiale pour échapper à la misère
et aux disettes qui sévissaient au Ruanda-Urundi,
d'où le nom qui lui fut donné par son
père. Nyiramasuhuko signifie «fille de celui qui est parti chercher à manger ailleurs ». D'après les
déclarations decertains membres de sa famille, dont sa mère, son arrière-grand père était tutsi."
Grâce à une prise en charge financiëre assurée par le curé de la paroisse de Gisagara, elle put rattraper
son retard scolaire du cycle primaire à l'Ecole sociale de Karubanda à Butare où elle fut scolarisée à partir
de 1959. Elle obtint le 21 juin 1964, au terme de cinq années de scolarité, l'examen de fin d'étude de la
section sociale inférieure. Avec le diplôme de monitrice sociale, elle fut recrutée dans la fonction publique
comme assistante sociale auxiliaire le 17 août 1964, puis titularisée en 1966. Elle épousa en août 1968,
Maurice NTAHOBARI, alors enseignant au département de mathématiques de l'lPN~
Affectée au Bureau de la région sanitaire de Butare, elle exerça cette fonction pendant 17 ans, et
bénéficia le 30 septembre 1981 d'une mutation au cabinet du ministre de la Santé publique, le Dr
Ildephonse MUSAFILl «pour [lui) permettre de suivre [son] mari ». Elle sollicita une mise en
disponibilité pour convenance personnelle à compter du 1or octobre 1982.
En 1984 et 1985, elle suivit divers enseignements
au Centre de formation et de perfectionnement
d'employés de bureau de Kigali. Sur cette base, le Jury central pour renseignement secondaire lui accorda
le 31 décembre 1985, l'équivalence du diplôme des Humanités qui autorisait la poursuite d'études
universitaires. Pauline NYlRAMASUHUKO fut inscrite à l'UNR de 1986 à 1990, et la faculté de droit
lui déiivra, le 20 octobre 1990, une licence en Droit « avec satisfaction » (cf. annexes 4, tome 3).
L' « épouse NT AHOBARI » sollicita le 12 novembre 1990 sa réintégration dans la fonction publique,
si possible dans un service de la magistrature à Butare » et fut en fait nommée par arrêté présidentiel en
date du 28 décembre 1990 au ministère de l'Intérieur et du Développement communal. Le ministre de la
Fonction publique, François HABYAKARE, l'affecta le 27 novembre 1990 «dans les services juridiques
de la préfecture de Butare ». Le 29 janvier 1991, le préfet Justin TEMAHAGALI lui précisa ses
attributions (cf. annexes 5, tome 3) comme fonctionnaire à la préfecture rattachée au sous-préfet œ
préfecture chargée des Affaires politiques avec plus spécifiquement la responsabilité du suivi des relations
«

avec le MRND.
Le 16 avril 1992, elle fut nommée ministre de la Famille et de la Promotion féminine sur le quota des
postes réservé au MRND, puis fut reconduite dans le cabinet du 18 juillet 1993. Elle figura ensuite,
toujours au même poste, dans les diverses listes du gouvernement de transition à base élargie qui devait
voir le jour à partir d'août 1993. Ces nominations, imposées par la présidence, suscitèrent l'opposition
constante de l'appareil du MRND et de la plupart des ministres MRND. Sa relation directe et fréquente
avec le président et son épouse la distinguait de ses pairs qui craignaient l'impact des propos et jugements
qu'elle rapportait abondamment, rapports qui furent à l'origine de nombreuses incompréhensions ou
brouilles entre ces personnalités et la famille présidentielle.
Parallèlement, elle s'impliqua fortement au niveau des instances politiques du MRND alors même
qu'elle ne figurait dans aucune d'entre elles comme membre régulièrement élu. On la retrouve ainsi dans
l'organigramme du comité préfectoral du MRND à Butare et surtout siégeant régulièrement au sein du
" Il était inscrit depuis le 3 novembre 1992 au département de mathématiques de la faculté des sciences (carte n°
92/5175). Il échoua à ses examens en novembre 1993.
•) The New York Times, September 15, 2002, p. 82, section 6.
27

bureau politique national, instance composée des présidents des comités préfectoraux. Enfin, elle assurait
une fonction de coordination du « mouvement des femmes» au niveau du comité national du parti élargi
aux femmes ministres et aux femmes députées." Elle fut maintenue dans l'équipe du gouvernement
intérimaire mis en place le 8 avril 1994 au poste de ministre de la Famille et de la Condition féminine.
Elle déploya alors une énergie débordante et joua de ce fait un rôle politique déterminant au sein d'un
groupe souvent divisé dont plusieurs membres apparaissaient en retrait. Elle figura ainsi parmi les
participants les plus présents et actifs aux conseils des ministres et accepta, en tant que représentant des
autorités gouvernementales des tâches de suivi politique dans plusieurs préfectures du pays (Butare bien
entendu où elle assura une présence constante et active ainsi que dans celles de Gisenyi et Ruhengeri, cf.
tome 2, tableaux 4 et 5). Elle sut ainsi se rendre indispensable et s'investit dans des dossiers qui étaient
formellement très éloignés de ses attributions, comme la défense militaire et civile par exemple. En fait,
pratiquement aucune activité spécifique de son ministère de la Famille et de la Promotion féminine n'est
jamais mentionnée dans l'activité gouvernementale. De manière anecdotique, on relèvera qu'elle assura
l'intendance du Gouvernement intérimaire aussi bien en gérant au quotidien la «cantine»
des,
personnalités à Murambi (elle fut la ~(sœur»
qui veillait à la nourriture de ses collègues et « frères »)
qu'en jouant un rôle majeur dans la gestion du « Patrimoine»
gouvernemental. Fonction stratégique
alors même que la question de la survie financière du régime était sans cesse à l'ordre du jour. Elle
s'occupait aussi bien des recettes café et minières qu'il était encore possible de monnayer au nom du
gouvernement que de transferts de fonds pour la défense civile (cf. tome 2, p. 6).
Lors de la défaite militaire devant les troupes du FPR, elle quitta Gisenyi le 15 juillet pour Kibuye et
Cyangugu, d'où elle chercha refuge, comme la plupart des dirigeants originaires du sud, à Bukavu le 18
juillet 1994.45 Installée à partir du 23 avril à Gama, elle continua un temps avec plusieurs des membres
du pouvoir déchu à structurer un mouvement politico-militaire
(qu'elle appela «Front de libération
nationale» et qui devait s'engager dans des actions de guérilla) et se fit remarquer comme une activiste œ
l'ancien régime parmi les plus déterminées. Toutefo1s, elle n'intégra pas le gouvernement en exil mis en
place le l" novembre 1994 s'alignant en cela sur l'attitude des proches de l'akm:u.

2.4. La transition

vers le multipartisme:

les années

1989-1992

L'année
1988 peut être considérée
comme
une année charnière
à Butare du fait des
dissensions
politiques
qui s'exacerbèrent.
Trois raisons se cumulèrent.
La première tenait à la
division du MRND sur le «problème
GATABAZI
». Bien qu'étant
le candidat
député le mieux
élu en 1981 et 1983, il demeura banni du fait de sa condamnation
par la justice (cf. supra § 2.2.,
p. 23) et ne fut pas présenté
aux suffrages
des électeurs
lors du renouvellement
du CND en
décembre
1988. En second lieu, suite aux massacres
interethniques
de Ntega-Marangara
d'août
1988 au Burundi, la préfecture
dut accueillir
plus de 60 000 réfugiés qui avivèrent les tensions
ethniques et les compétitions
foncières (installation
de camps, défrichement,
déboisement,
... ). Or,
cet afflux correspondait
à une année déjà très difficile sur le plan agricole. La famine qui
s'ensuivit et sa gestion politique
catastrophique
(cf. infra § 7.1, p. 97) accréditèrent
alors, parmi
les élites de Butare, l'idée que le gouvernement
se désintéressait
du sort de la préfecture.
Ce
dernier élément donna à la dissension
butaréenne
une dimension
politique nationale.
De 1989 à 1992,
du nord face à une
période. Le premier
31 mai 1990, alors
HABANABAKIZE,

l'exercice
effectif du pouvoir
à Butare revint donc aux préfets et aux. cadres
opposition
évincée des postes de décision. Deux événements
marquèrent
cette
concerne l'agitation
étudiante
qui donna lieu à des affrontements
violents. Le
que le préfet Frédéric
KARANGW A, jeune technocrate
promu par Thomas
ministre de l'Intérieur
et originaire
de la même commune
que lui à Gitarama

•• Cf. infra § 2.5.2., p. 33.
's Son arrivée ne passa pas inaperçue lorsqu'elle gagna les locaux de l'üNG TST sur la colline Nyawera au-dessus de

la résidence où était déjà installé Théodore SlNDIKUBW ABO. La famille NTABOB ARI arrivait en effet avec une cohorte
de véhicules lourdement chargés. On y dénombrait la Peugeot 505 de fonction du recteur de l'Université, la Mercedes
noire de fonction de ministre de Pauline NYlRAMASUHUKO, une Mazda double cabine de fonction du ministère de la
Famille et de la Condition féminine (véhicule dont les plaques avaient été enlevées pour échapper à l'interdiction
d'appropriation personnelle des véhicules de l'État. elle fut presqu'aussitôt confisquée par des militaires congolais), une
Peugeot 504 conduite par Shalom NTAHOBARl (le propriétaire de ce véhicule était RWAMTJKW AYA, un commerçant
tutsi assassiné de Butare, dont la famille exigea ensuite la restitution de ce bien indûment approprié), une Peugeot 305
de l'Université approprié par T'rladdéeKWffONDA, beau-frère de Pauline NYIRAMASUHUKO(un des dirigeants de la
CDR), un bus de l'UNR chargé de denrées (riz ... ) et matériels divers (ordinateurs, dossiers, matelas... ). Cf. divers
témoins et agenda PN, 19/07, p. 66.
28

46

(BuEnga), venait d'intégrer
le comité central du MRND , des militaires tirèrent sur une
manifestation cl'étudiants qui voulaient gagner le centre ville. Ils firent un mort et un blessé
gravement atteint." Cet acte de répression inédit connut un impact majeur et cléciencha une très
vive hostilité envers te pouvoir central. Les milieux intellectuels de Butare entretinrent une
agitation larvée qui, à la surprise générale, déboucha sur l'inculpation
du préfet puis sur la
suspension de ses fonctions par mesure d'ordre (cf. infra encadré n° 5, p. 98).4%En fait, Juvénal
HABY ARIMANA préféra sacrifier le préfet plutôt que les militaires responsables dans une
conjoncture politique interne extrêmement tendue. En juillet 1990, le président évoqua une
ouverture politique avec une révision de la Constitution, la rédaction d'une Charte nationale et la
refonte du Manifeste du MRND. En août, une lettre signée par 33 intellectuels exigea une
démocratisation rapide, et, en septembre, une Commission de synthèse chargée de rédiger li n
avant-projet de Charte politique nationale fut mise en place.
Le poste de préfet resta ensuite vacant et un intérim prévalut jusqu'à la nomination précipitée
de Justin TEMAHAGALl (MRND, hutu, Byumba), dans les jours qui suivirent l'offensive militaire
du FPR du lor octobre 1990. Cette agression fut suivie de l'organisation
par le pouvoir de
l'épisode _ toujours mystérieux _ de l'attaque de commandos d'« infiltrés » dans les rues de Kigali
dans la nuit du 4 octobre. Cet événement devait fournir à l'armée le prétexte à des arrestations
massives et arbitraires de diverses catégories d'opposants
avérés ou présumés : journalistes, cadres
du mouvement associatif, juristes, commerçants, etc., hutu mais surtout tutsi. Les autorités
soutinrent que la majorité des personnes arrêtées étaient des « complices du FPR» englobant ainsi
les Inkotanyi et les opposants des partis d'opposition en cours de structuration. C'est pourquoi la
très grande majorité des personnes arrêtées furent des originaires des préfectures du sud du pays.
Nommé le 5 octobre 1990, Justin TEMAHAGALI était un homme expérimenté. Il avait déjà
connu une longue carrière dans l'administration territoriale et aux Affaires étrangères et occupait
alors les fonctions de secrétaire général du ministère de l'Intérieur, chef du service des Affaires
politiques et administratives. Considéré aussi comme un «dur », c'est lui qui organisa les
arrestations. Les listes des prisonniers établies par la préfecture de Butare pour les résidents de
Ngoma les 8 et 9 octobre confirmèrent les soupçons envers le pouvoir (cf. annexe 6, tome 3). Sur
53 arrestations officiellement recensées, 26 prisonniers
étaient des Tutsi, 24 des Hutu, 3 sans
indication. Parmi les personnes qu'il a été possible d'identifier figurent majoritairement des petits
et grands commerçants tutsi, plusieurs exerçant parallèlement d'autres fonctions salariées, des
universitaires, des magistrats, des prêtres. On remarquera par exemple que les deux futurs préfets
issus des rangs de l'opposition
lors de la mise en place du gouvernement multipartite d'avril
1992, Jean-Baptiste HABYALIMANA
et Godefroid
RUZINDANA, tous deux professeurs à
49

l'UNR, figuraient parmi les détenus.

D'autres arrestations à forte portée symbolique
furent effectuées:
on y relève ainsi deux
substituts du parquet de Butare, un chanoine anglican, le recteur du petit séminaire catholique, des
propriétaires fonciers de Butare, les plus importants commerçants tutsi de la place. De même,
comme chaque fois lorsque l'ordre légal bascule, plusieurs parmi les personnes arrêtées le furent
du fait de dénonciations ou de soupçons relevant de règlements de compte familiaux ou de
voisinage, entre commerçants ou hommes d'affaires
concurrents, ... Motifs qui n'avaient rien à

'. Il Y fut nommé

en même temps

que Daniel MBANGURA,

professeur

à l'UNR

et vice-recteur

du Campus

universitaire de Ruhengeri depuis le 24 avril 1985.
" Alors qu'un groupe de musiciens se produisait au palais du MRl:'4"D,des étudiants tentèrent d'entrer en force. Ils se
heurtèrent aux gendarmes et plusieurs d'entre eux furent arrêtés, C'est lorsque d'importants
renforts étudiants revinrent
vers le Palais que les gendarmes tirèrent sur les manifestants,
La disproportion
de la riposte apparut manifeste. Cf.
Comité de sécurité préfectoraL Réunion du jeudi 7 juin 1990: "Le préfet nous fait part de l'objet de sa rencontre avec
le président de la République. Raconter le déroulement des événements:
prise de connaissance
de l'existence
des
barrages, départ avec bourgmestre de la ville, casse de vitre arrière, retour au Palais MRND, réunion de concertation,
arrivée des étudiants annoncée, prise de position des agents de sécurité, lancement
des pierres, tirs en l'air de
dissuasion, tir, blessés, recul des assaillants,
arrêter le concert, évacuer la salle, orienter évacuation des assaillants
spectateurs, amener blessé à l'hôpital. Questions: avaient-Hs réellement des épées? d'où proviennent-elles?
Rôle du
Recteur et de ses services: utilisent-ils leur réseau d'information
à l'endroit du comité de sécurité? 5 h. 50: le comité
AGEUNR a été déposé et un autre a été mis en place, il est dirigé paT Biseruka Donatien.»
(Maurice NTAHOBARl,
Recteur de l'UNR, Notes personnelles agenda),
48 Le ministère
public poursuivit effectivement
trois responsables
de Butare pour meurtre devant la Cour de
cassation (dossier
transmis le 31 juillet 1990). Il s'agit
du préfet Frédéric KARANGWA, du capitaine gendarme
François MUHIRWA (gendre de Jean-Baptiste GlTERA BABYARIMANA),
du commandant de camp de la gendarmerie de
Butare, ainsi que les gendarmes REBERO ET MUNYAMARABA.
49 Les deux furent destitués et assassinés
lors des massacres
29

et du génocide en 1994.

voir avec la politique. Au-delà des critères officiellement
avancés, chaque victime de la répression
tenta donc d'identifier les inimitiés ou le délateur à qui imputer son arrestation. Tel incrimina une
demande directe du frère du président de la République,
la plupart des commerçants virent un
chantage aux cotisations politiques qu'ils renâclaient à payer au MRND, une tenancière de bar,
connue pour ses relations privées (et extra-partisanes l) avec des « grands » politiciens locaux, fut
aussi victime de ses faveurs sélectives (elle fut tuée en 1994).
La gestion politique désastreuse de ces arrestations et des dossiers judiciaires, dont il fallut bien
reconnaître au fil des semaines qu'ils reposaient pour l'essentiel sur l'arbitraire, donna ensuite
lieu à des conflits entre les autorités préfectorale et judiciaire qui se renvoyèrent mutuellement la
responsabilité de la décision de libération (cf. annexes 7, tome 3). Ainsi, dans un courrier adressé
au préfet en date du 22 novembre 1990, le procureur
de la République pria les membres du
Conseil de sécurité préfectoral de lui fournir «tous les indices utiles, chacun relativement aux
personnes qui ont été arrêtées par son service »: Formule qui prouve, pour le moins, que les
procédures d'arrestation n'avaient pas été ordonnées par la justice et que chaque autorité, dans
son domaine d' acti vité, s'était estimée autorisée à conduire la chasse
aux Inyenzi et à leurs
so
« complices ». Le décès à la prison de Karubanda
de Paul GAKUBA , conseiller de secteur de
Ngoma et un des plus influents commerçants tutsi de Butare, concourut fortement à dramatiser ce
dossier politique. Paul GAKUBA était une personnalité
populaire qui présida longtemps
l'association Mukura Football Club, équipe qui portait les couleurs de la préfecture. 11s'agissait
là d'une fonction élective éminente, Politiquement, il était personnellement lié à des hiérarques du
régime comme le colonel Bonaventure BUREGEY A (hutu, Gisenyi), ancien commandant de
l'Ecole des Sous-officiers de Butare avant 1973, devenu secrétaire général à la présidence, et,
peut-être Aloys NSEKALIJE. Paul GAKUBA fut considéré en 1973 comme un des relais locaux
du coup d'Etat qui porta Juvénal HABYARIMANA
au pouvoir. On disait ensuite de lui qu'il était
l'homme de Butare qui « rendait compte» au président. Il perdit ce statut après l'élimination des
putschistes d'avril 1980 du fait de ses liens privilégiés avec un de ses principaux instigateurs,
Théoneste LIZINDE, directeur général du Service central de Renseignement. C'est après cette
disgrâce que l'on assista à la promotion politique de Joseph KANYABASHI, qui, avec son parrain,
Venant NT ABüMVURA, joua le même rôle auprès des relais du dan présidentiel. Lors des
événements d'octobre
1990, Joseph KANY AB ASH se comporta comme un politicien réaliste
soucieux de ne pas se voir compromis avec les « opposants» dont il était pourtant familier. Plus
fondamentalement, il avait pris la mesure des forces qui s'opposaient et adopta un profil bas?
Lorsque le président HABYARIMANA fit volte-face sur la question de la suppression de la
mention ethnique sur les cartes d'identité, la rupture entre les élites tutsi butaréennes et le régime
fut définitivement consommée."
Les traces laissées par cette période troublée furent donc
profondes et contribuèrent à une mobilisation encore plus déterminée contre les représentants du
pouvoir central et d'une manière générale contre les gens du nord. Le MRND perdit alors te peu
d'ascendant qu'il possédait encore et la plup art de ses membres butaréens commencèrent à
militer plus ou moins ouvertement dans des groupes d'opposition
bien avant la reconnaissance
formelle du multipartisme.
Il fallut néanmoins attendre le retour officiel du multipartisme en 1991 et une dernière
manœuvre partisane, pour que les dirigeants de l'opposition du sud réintègrent le jeu politique en
position de force. Le 10 octobre 1991, le président HABY ARIMANA nomma premier ministre
Sylvestre NSANZIMANA, un homme respecté dans la classe politique nationale, originaire de
Gikongoro. Par cette nomination, il s'agissait une nouvelle fois de faire barrage au retour des
personnalités populaires exclues du jeu politique depuis la seconde moitié des années 80, Félicien
GATABAZI et Frédéric NZAMURAMBAHO.
Mais, en quelques mois de forte mobilisation
'0 Atteint de diabète, il ne fut pas soigné lors de son internement.
S!
D'après des témoignages
concordants,
et partiellement
corroborés
par l'intéressé,
Félix SEMW AGA,
l'arrestation
de Paul GABUKA fut l'aboutissement
de vives rivalités entre commerçants,
rivalités qui avaient
progressivement
pris une connotation
ethnique. En 1988,
alors que Frédéric KARANGWA était préfet, Félix
SEMWAGA, nouveau commerçant enrichi et politiquement
soutenu, ravit la présidence du Mukura FC à Paul GAKUBA.
En 1989, Félix SEMWAGA tenta d'enlever la présidence de la Chambre de Commerce de Butare à Paul GAKUBA et obtint
la vice-présidence, ce que Paul GAKUBA contesta. Le ministre
des Finances et de l'Économie,
Vincent RUHAMANY A,
originaire de Gikongoro,
lui donna raison, mais la mobilisation
des commerçants
partisans de Félix SEl:IiWAGA
empêcha l'organisation
de nouvelles élections. Les contentieux. s'accumulèrent ensuite entre les protagonistes alors que
les deux. familles tenaient boutique dans le même immeuble
«LABOPHAR»
à Butare. La campagne d'arrestations
d'octobre 1990 permit de solder les comptes au profit d'un camp.
Si Annoncée
le i i novembre 1990 en même temps qu'une ouverture vers le multipartisme,
début d'exécution dès décembre de la même année, puis Ie dossier disparut de la scène publique.
30

la décision

connut un

politique qui se traduisirent
par l'organisation
d'imposantes
manifestations
populaires,
l'opposition arriva à ses fins: Sylvestre NSANZIMANA mit près de trois mois pour composer un
gouvernement
quasi monopartisan
qui, une fois nommé, ne dura qu'un
trimestre. Un
gouvernement effectivement pluripartite fut instal lé en avril 1992.
Les deux principaux dirigeants du PSD obtenaient les postes-clés où ils s'étaient déjà illustrés
au début de leur carrière ministérielle. De même, deux femmes de Butare, d'obédience politique
opposée, étaient promues. Ces nominations eurent un grand retentissement car une seule fois dans
l' histoire du Rwanda, en 1964, une femme avait déj à accédé à une fonction ministérielle.
Pratiquement tous les acteurs politiques majeurs de Butare étaient désormais en scène.

2.5. L'accès au premier plan de personnalités féminines
2.5.1. Agathe UWILINGIYIMANA,

première femme Premier ministre

Agathe UWILINGIYIMANA, professeur de l'enseignement
secondaire et présidente du MDR
Butare, connut une ascension politique extrêmement rapide. Nommée ministre de l'Enseignement
primaire et secondaire le 16 avril 1992 dans le premier gouvernement plurip artite , elle devint le
18 juillet 1993,' suivant d'une semaine l'exemple
du Burundi voisin, la deuxième femme à
accéder aux fonctions de premier ministre en Afrique. Son engagement personnel, sa franchise, la
simplicité de son contact avec la population introduisaient
une rupture avec les caractéristiques
habituelles des politiciens nationaux expêtimentés-"
Ceux qui la promurent entendaient pour les
uns utiliser cette' image positive à leurs propres fins, pour d'autres il s'agissait d'évincer des
adversaires plus redoutables. L'intéressée n'ignorait
pas ces calculs, mais elle tenait surtout à
imposer une nouvelle manière de faire de la politique. Malgré I'Impuissance qui marqua les
derniers mois de 'son gouvernement, son courage fut unanimement reconnu, notamment au cours
de la nuit du 6 avril 1994. Son assassinat le 7 avril au matin prouve d'une certaine façon que sa
notoriété et sa légitimité n'étaient pas atteintes.
Face à elle, la présidence mit en avant une candidate ministre, elle aussi originaire de Butare et
tout aussi inexpérimentée, Pauline NYIRAMASUBUKO,
l'épouse de Maurice NTAHOBARI. Elle
devint la rivale attitrée d'Agathe UWILINGIYIMANA
à l'échelon préfectoral et national. La
nomination de Pauline NYIRAMASUHUKO,
totalement inconnue du public et des milieux.
politiques, suscita beaucoup d'étonnement. On peut même parler d'effarement au sein du MRND
refondé qui venait d'installer ses instances légales sur la base du vote des militants et qui
prétendait rompre avec ces pratiques arbitraires de cooptation par le sommet:
« Celle-ci était inconnue dans les instances du parti jusqu'à sa nomination surprise comme ministre. En
effet, au cours des tractations qui ont précédéla composition du Gouvernement élargi à l'opposition interne,
Amandin RUGIRA, après consultation, avait proposé au président HABYARIMANA, deux noms de
ministrables: RUNYINYA et RUMIYA. Tout le monde s'attendait donc à que ce soit l'un d'eux qui soit
nommé. À la surprise générale, lors de la prestation de serment, la radio annonça NYIRAMASUHUKO
Pauline. Personne n'a rien compris. Plus tard, en expliquant cet incident, RUGIRA répondit: « la culture du
parti unique et d'autoritarisme ne disparait pas facilement chez un militaire qui a passé sa vie à tout
régenter ». Agacé, il ajouta: «il n'a qu'à faire ce qu'il veut; après tout, c'est son parti. Et ce n'est pas
Rugira qui a le plus à perdre avec ce genre de décision ». L'incident fut clos. Mais RUGIRA qui avait
remarqué que ce non-respect du choix de la base, avait choqué et frustré les Butaréens et que ceux-ci risquaient
de quitter le MRND rapporta la chose au président HABYARIMANA. Celui-ci, comme pour se racheter,
nomma plus tard RUNYINYA comme conseiller. » (témoignage)
Si sa qualification académique tardive suscitait l'ironie dans les milieux intellectuels de Butare
et de la capitale; beaucoup reconnaissaient,
malgré ses performances académiques
modestes,
l'effort personnel qu'elle dut s'imposer pendant ses années d'étude. Bien que considérée par ses
collègues ministres comme dénuée de compétences
techniques particulières et d'une vision

D Il est clairquele caractèrede l'intéressée et sa conception de l'engagement politique en faisait une personnalité
politique atypique peu soucieuse des normes habituelles du milieu. Toutefois, le "manque de précaution», selon
l'expression d'une personnalité qui lui était proche, dont elle faisait souvent preuvelorsqu'eHes'exprimait lui valut
bien des inimitiéset fut généralementperçu commeun comportementprovocateur.



politique large", elle fut reconduite dans le gouvernement
du 18 juillet 1993, puis nommée dans
le OTBE. Dans les deux gouvernements du 16 avril 1992 et du 18 juillet 1993, le poste de
ministre de la Famille et de la Promotion féminine apparut comme mineur et essentiellement en
charge de prérogatives « sociales» (alors même que les budgets disponibles étaient insignifiants)
et de mobilisation idéologique. Il figurait au ISe rang protocolaire à l'avant-dernière
place du
cabinet ministériel. Il ne faudrait pas cependant sous-estimer cette position et les fonctions
afférentes. Elle était la première femme ministre du MRND et elle devait sa désignation à ta
« Présidente ».
Tout comme son collègue du dernier rang au sein du cabinet ministériel, le ministre de la
Jeunesse et du Mouvement associatif, Callixte NZABONIMANA
(MRND, hutu, Gitarama), ces
postes étaient confiés à des ministres connus pour leurs vertus combatives dans des contextes
préfectoraux défavorables" et non pour leurs compétences techniques. A l'échelle nationale, ils
avaient un grand rôle à jouer dans la mobilisation
et l'encadrement
de secteurs-clés de la
population rurale. Les cabinets ministériels ne rehaussaient pas non plus l'image technicienne des
ministères. En ce qui concernait le ministère de la Famille et de la Promotion féminine de Pauline
NYIRAMASUHUKO, les membres de son cabinet (nommés par l'arrêté présidentiel du 23
septembre 1992) présentaient des profils très typés. Le directeur de cabinet était Gaudence
MUKAKABEOO, originaire de Oikongoro. Elle fut placée là sur recommandation de la famille
présidentielle qui la sollicita personnellement
pour entrer au MRND en 1991 et intégrer le
nouveau comité préfectoral de Gikongoro. Son époux, François SIND AYIGA yA, ex-ambassadeur
évincé et ex-proche de l'akazu était devenu un « mec » (un mécontent) et avait rejoint le MOR. La
promotion de Oaudence MUKAKABEGO fut liée à la crainte qu'elle ne devienne une figure
marquante de l'opposition
sudiste du fait de sa réputation d'intégrité
et de sa remarquable
éloquence. Le conseiller aux Affaires politiques et administratives, Léon MUGESERA (hutu,
Gisenyi), était unanimement considéré comme un extrémiste ethniste notoire. Il forma avec
Anastase GASANA (hutu, Kigali rural) le groupe des idéologues chargés d'appuyer Édouard
KAREMERA au sein du comité national du MRND en cours de rénovation, selon la terminologie
officielle. Alors qu'il était vice-président du comité préfectoral du MRND de Gisenyi, il se rendit
célèbre en tenant un discours violemment antitutsi le 22 novembre 1992 à la sous-préfecture de
Kabaya. Le gouvernement ayant été obligé d'engager
des poursuites judiciaires contre lui, il se
cacha, bénéficia de hautes protections et s'enfuit du pays. Il fut remplacé au ministère de la
Famille par Jean-Baptiste OATETE, bourgmestre de Murambi lui aussi activiste célèbre du MRND
suite à d'importants
massacres commis dans sa commune et à qui il fallait trouver un point de
chute moins exposé. Il refusa en fait de quitter sa commune et ne faisait que de brèves apparitions
au ministère. Enfin, le conseiller aux Affaires techniques était Marie-Louise MUKASINE (hutu,
Ruhengeri),
présidente de l'URAMA, mouvement
des femmes du MRND, une des pièces
principales du dispositif politique du mouvement féministe rwandais sous l'emprise d'Agathe
KANZIGA. Le directeur général du ministère, Jean-Népomuscène
GAHURURU (MRND, hutu,
Ruhengeri)
était quant à lui un « dur » du parti présidentiel. 56
Dans cette optique le fait que la mouvance présidentielle ait choisi des rrumstres issus de
préfectures hostiles au MRND n'était pas sans signification. Lors de la mise en place du second
gouvernement
pluripartite, dirigé par Agathe
UWILINGlYIMANA,
la scission du MDR,
principalement implanté en préfecture de Gitarama, puis celle du PSD, essentiellement établi en
préfecture de Butare, ouvraient des perspectives indéniables à des alliances sur le terrain entre les
tendances Power de ces partis et le MRND, voire avec la CDR. Dans les deux cas, le profil radical
et ethniste de ces deux ministres du MRND anticipait en quelque sorte les évolutions de la
situation politique interne. La composition du OTBE, gouvernement de transition à base élargie,
qui devait être mis en place dans le cadre des accords d'Arusha, confirma cette prééminence
puisque Pauline NYIRAMASUHUKO fut reconduite
par le MRND qui ne disposait plus que de
cinq portefeuilles ministériels. EUe occupait alors dans t'échiquier
politique une place plus
54 Les jugements
personnels
la concernant furent toujours
très sévères:
{{femme imprudente",
qui «. parlait
trop",
qui « disait n'importe quoi",
qui" s'emportait
». Ses propos en conseil
de gouvernement étaient souvent
rapportés dans les milieux politiques pour être tournés en dérision. 11 est certes possible de voir là l'expression
de
j\lgements machistes au sein des cercles policés des politiciens
professionnels,
mais cel argumentaire demeure, à mon
avis, insuffisant.
Si Agathe UWILlNGrYlMANA eut aussi à souffrir de tumeurs particulièrement
désobligeantes,
voire
infamantes, sa vision et son courage politiques furenl généralement
reconnus.
55 Dans le cas de Callixte
NZABONllv1ANA, la combativité
ne s'accorda guère avec l'efficacité,
puisqu'il fut
proprement évincé de sa commune de Nyabikenke et plus largement jugé indésirable par les populations de la crête de
Ndiza (communes de Nyakabanda et de Rutobwe) qui soutenaient le chef du MDR de Nyabikenke,
Faustin NYAGAHJMA,

son propre demi-frère (de même père).
>6 Il est actuellement
représentant du RDR en Allemagne,

confortable

que sa rivale, Agathe UWILINGIYIMANA,

redevenue

ministre de l'Enseignement

primaire et secondaire.
2.5.2. Pauline NYIRAMASUHUKO

et le ministère des « femmes »

La dimension nationale qu'acquit la ministre Pauline NYIRAMASUHUKO fut favorisée par le
soutien constant dont elle bénéficia de la part d'Agathe
KANZIGA qui depuis de nombreuses
années s'était en sous-main attachée à structurer le «mouvement féministe » rwandais. Celui-cis1 fut
constitué à partir de son réseau de relations établi notamment à l'École sociale de ,Karubanda
et
entretenu au sein de la «cellule de Kiyovu » (quartier de Kigali). Ce groupe de femmes
rassemblait habituellement les épouses des ministres et des personnalités politiques le samedi
matin lors des travaux communautaires (umuganda) auxquels tout citoyen, quel que soit son rang,
devait participer, On pouvait dégager parmi elles, le sous-groupe des familières d'Agathe
KANZIGA:'
Gaudence
. NYIRASAFARI
HABIMANA
(Gisenyi), ,
Immaculée
NYIRABIZEYIMANA (Byumba), Louise MUKASINE (Ruhengeri), Julienne MUKABARUNGI
(Kibungo), Angeline MUKANDUTIYE (Kigali), Drocella NIYONSABA (Kibuye), Séraphine
MUKARWEGO
(Kibungo)
députée,
etc.
Envers
sa camarade
d'internat,
Pauline
NYIRAMASUHUKO, demeurée en retrait, la logique fut limpide: Agathe KANZIGA a d'abord
assuré la promotion du mari, Maurice NTAHOBARI, puis après sa mise à l'écart, a tout misé sur la
carrière de Pauline NYIRAMASUHUKO.
Pour comprendre l'ascension politique d'une
femme sans grande envergure personnelle
comme Pauline NYIRAMASUHUKO, il faut expliquer le fonctionnement
d'un domaine mal
connu ou généralement caricaturé de la sphère politique.
Le «ministère des femmes»
au Rwanda était traditionnellement
du ressort d'Agathe
KANZIGA depuis 1975, l'Année mondiale de la femme. C'est elle qui faisait et défaisait les
femmes députées, qui poussait des femmes aux postes de hauts responsables et surtout qui
contrôlait les associations féminines officielles, les seules autorisées. Un petit groupe de femmes
éminentes attaché à Agathe KANZIGA contribua
à l'organisation
politique du «mouvement
féministe» rwandais. Parmi elles, figure en premier lieu Gaudence NYIRASAFARI HABIMANA
(hutu, Gisenyi _ mais mariée à Ruhengeri), membre du comité central du MRND et directrice de
l'Office national de la population (ONAPO), membre du premier cercle de l'aka;:u. Vient ensuite
Immaculée NYIRABIZEYIMANA
(hutu, Byumba),
qui passa progressivement
du statut de
députée suppléante à celui de députée élue et, lors de la troisième législature, accéda à la viceprésidence du CND le 8 janvier 1989. Elle était paral.lèlement présidente de l'association
DUTERIMBERE5\ dont la mission consistait à promouvoir l'entreprenariat
féminin notamment
en facilitant l'accès des femmes au crédit. La troisième, Louise MUKASINE (hutu, Ruhengeri),
qui devint en 1988 la première présidente de l'URAMA, mouvement officiel des femmes du
MRND _ Urunana rw'abanyarwandakazi
mu majyambere -, Union des femmes militantes pour le
développement, était apparentée à Gaudence NYIRASAFARI HABIMANA par son mari. En
outre, la tante maternelle
de Louise MUKASINE
était l'épouse
du colonel Alexis
KANYARENGWE. Louise MUKASINE fut promue conjointement par Agathe KANZIGA et
Gaudence NYIRASAFARI HABIMANA. Citons enfin une quatrième personnalité quelque peu
atypi~ue, Julienne MUKABARUNGI (hutu. Kibungo, commune Rwamagana), ancienne élève de
l'IPN 9, cadre du MRND et de l'URAMA, épouse du colonel Marcel GATSINZI. Introduite dans
te noyau dirigeant des femmes militantes par le secrétaire général du MRND, Bonaventure
HABIMANA [hutu, Kigali rural), dont la famille était voisine de celle du général GATSINZI,
Julienne MUKABARUNGI fut au début rejetée car considérée comme «tutsi}} bien que de père
hutu (mais sa mère tutsi s'était enfuie en Ouganda en 1959) et du « sud ». Elle assura la
structuration puis la gestion de l'URAMA en 1987, mais fut éliminée au moment de la mise en
place formelle des instances dirigeantes en 1988 alors qu'elle imaginait être nommée à la
présidence du mouvement qu'elle ex.erçait de jacto. En fait, dans le contexte politique de la fin

~? Agathe KANZIGA, qui appartenait
à la première promotio,n des diplômées post-indépendance
(1962), sollicita
bien au-delà de cette génération le vivier des promotions
de l'Ecole sociale de Karubanda. Celui-ci était organisé en
association
d'anciennes élèves parmi lesquelles elle détectait les talents. Parmi les femmes qu'elle distingua, on
retrouve Béatrice NYIR.AJ.<.AROMBA (Butare) (promotion
1968), députée de 1982 à 1989;
Pascasie MASENGESHO
(Kigali) (promotion 1970), députée de 1982 à 1989;
Immaculée NYIRABlZEYIMANA (Byumba) (promotion
1971),
député de 1984 à 1994, vice-présidente du CND, membre du comité central du MRND.
SE ASBL de droit rwandais
créée en mai 1987 et agréée le 3 novembre de la même année,
s9 Diplômée de l'École
supérieure des techniques féminines en 1977.

33

des années 1980, Julienne MUKABARUNGI, compte tenu de son passé et de sa réputation de
femme ambitieuse et peu manœuvrabie, ne pouvait être acceptée par l'akazu et contrôler le
«MRND des femmes ».6fJ Louise MUKASINE, beaucoup plus souple, habituellement
décrite
comme une « créature » de Gaudence NYIRASAFARI HABIMANA, fut considérée comme ayant
un profil plus adéquat pour accéder à ce poste.
Les trois premières
relayaient
activement
l'action
d'Agathe
KANZIGA.
Gaudence
61
NYIRASAFARI HABIMANA avait suivi l'école primaire avec Juvénal HABYARIMANA
à la
paroisse Rambura de Gisenyi, puis avait été scolarisée en Europe, privilège rare pour une femme
rwandaise à l'époque. Dans les milieux politiques, Gaudence NYIRASAFARI HABIMANA était
considérée comme la première ministre du « gouvernement des femmes» avec Agathe KANZIGA
à la présidence. Sur le plan de la division des rôles, Agathe KANZIGA « faisait» les femmes
62
députées avec l'aide de Gaudence NYIRASAF ARI HABIMANA.
Le suivi des femmes d'affaires
était plutôt du ressort d'Immaculée NYIRABIZEYIMANA.
Bien que n'apparaissant
pas- au grand jour, cette politique silencieuse «de salon» joua un
grand rôle surtout au cours de la seconde moitié de la deuxième République. Agathe KANZIGA
n'a toutefois jamais intercédé personnellement
auprès d'un préfet ou d'un ministre sur un
quelconque dossier, en fait elle intervenait dans de très nombreux domaines de la sphère publique
en utilisant son mari ou, en cas de refus, ses frères et cousins.
À l'inverse,

pour solliciter une entremise, la démarche des politiciens était la suivante: on
puis la dame «sensibilisait»
son mari avant que le dossier en
question ne lui parvienne pour décision ou avis. Sur les affaires délicates et les carrières
individuelles (promotion
ou mise à l'écart),
la manière dont s'exprimaient
ensuite les
«. préférences»
du président était souvent subtile et pouvait faire l'objet de savantes exégèses
parmi les proches qui répercutaient les «conseils », Par exemple, lors de la désignation des
femmes députées, aucune sollicitation formelle
auprès du gouvernement,
du ministre de
l'Intérieur ou des préfets n'était ouvertement formulée. A son niveau, avec l'aide de ses relations
et en fonction des conseils de l'appareil du MRND, il fallait que le préfet comprenne qui était
l'élue « désignée », puis qu'il fasse le nécessaire pour assurer l'élection.
« faisait rapport » à la présidente,

Dans ce contexte politique, l'accession directe et tardive de Pauline NYIRAMASUHUKO à des
fonctions politiques éminentes avait été précédée par un long travail de familiarisation avec les
arcanes du sérail présidentiel. Déterminée, totalement
acquise et dévouée au clan, elle fut
vraisemblablement la seule femme à oser s'adresser directement au président pour obtenir de lui
un soutien, un accord ou l'éviction de quelqu'un
qui la gênait. Sans guère d'illusion sur la
solidarité et l'estime
de ses' collègues ministres
masculins, sans soutien militant ni assise
personnelle à Butare, elle se savait totalement soutenue par le clan présidentiel au service duquel
elle utilisa au mieux l'énergie combative qui lui était reconnue. C'est à ce titre qu'elle remplit
délibérément ou pour une part à son insu un rôle décisif dans la stratégie d'affrontement
politique à l'encontre de la première ministre Agathe UWILlNGIYIMANA à partir de la fin 1993.
Le problème était complexe, car la tradition voulait qu'un homme ne puisse mettre en cause ou
agresser verbalement en public une femme sans se déconsidérer lui-même. Ainsi, les dirigeants et
les ministres du MRND n'osaient pas répondre
ouvertement aux. dénonciations
et attaques
qu'Agathe UWILINGIYIMANA
proférait sans retenue dans les réunions officielles, sur les ondes
ou dans la presse ... Ils laissaient généralement la presse ou les militants de base se livrer au travail
de contre-propagande.
Ce problème était particulièrement
ressenti par la famille présidentielle
dont la plupart des membres
faisaient fréquemment
l'objet
de remarques
acerbes ou
désobligeantes de la part de l'intéressée. C'est ainsi que Pauline se vit invitée à ériger une tribune
permettant de contrer sa rivale. Tribune formée par le groupe des femmes membres ou épouses
du comité national du MRND, éventuellement élargi aux femmes des ministres MRND. La tâche
de ce groupe consistait notamment à répondre
à Agathe UWILINGIYIMANA
sur le même
registre que celui qu elle utilisait et notamment à publier des communiqués la mettant en cause,
1

60 Julienne MUKABARUNGI
tomba aussitôt en disgrâce. La carrière de son époux connut une évolution similaire:
chef des opérations à l'état-major, il fut marginalisé et affecté à l'ESO à Butare en 1989 (cf. infra § 8.3., p. 139).
61 Elle fut considérée
comme la première prétendante
de Juvénal HABYARIMANA. Les deux famil1es étaient par
ailleurs liées par des liens de parenté supposés
via Rose KAMASH!\RA, la «tante"
paternelle
de Juvénal

HABYARIMANA, installée à Kabare en Ouganda.
61 Notons que le mari de Gaudence NYIRASAFAR1

HABIMANA,
34

Phocas HABIMANA,

dirigea la radio RTLM.

jouant ainsi le rôle de porte-parole officieux de la mouvance présidentielle agressée.f Ce groupe
ne comportait en fait que quelques femmes et d'après nos informations, les femmes de haut rang
du « ministère des femmes » n' y participaient guère.
2.6,

L'attentat

({gouvernement

contre

le président

Juvénal

BABY ARIMANA

et la mise

en

place

d'un

du sud »

Dans le contexte de guerre civile, la radicalisation
politique fit ensuite son œuvre. Agathe
UWILINGIYIMANA se coupa de la majorité des militants et cadres de son parti MDR qui ne
reconnaissaient plus l'autorité de la direction à laquelle elle appartenait. Ces cadres, emmenés par
Jean KAMBANDA, coordonnaient ouvertement des actions avec le MRND et les autres branches
des partis d'opposition, notamment le PL-MUGENZI, qui s'étaient engagés euX aussi dans un
processus de rapprochement avec la mouvance présidentielle. Le 20 février 1994, le premier
ministre désigné par les accords d'Arusha, Faustin TWAGIRAMUNGU, fit l'objet de rumeurs
insistantes de tentative d'assassinat par les miliciens Interahamwe. Le lendemain, le 21 février,
Félicien GATABAZI, secrétaire général du PSD, fut assassiné. De l'attitude de son parti, et de la
sienne en particulier, dépendait la mise en place des institutions de transition prévues par les
Accords ct' Arusha, Plus précisément, la posltion qu'il devait prendre aurait été décisive pour
donner l'avantage au sein de ces institutions à la mouvance présidentiene ou à l'opposition
associée au FPR (cf. infra encadré n° 4, p, 59). En fait, l'opposition
politique était éclatée et
incapable d'exercer un leadership par rapport aux deux blocs militaires en compétition, Le 6
avril, ceux-ci reprirent l'initiative.
Après l'attentat contre l' avion présidentiel, le 6 avril 1994, le temps de la revanche avait sonné
entre les' deux camps antagonistes
de l'intérieur.
Dès le 7 avril au matin, Agathe
UWILINGIYIMANA et Frédéric NZAMURAMBAHO étaient assassinés à Kigali par des militaires
obéissant 'aux ordres de Théoneste BAGOSORA Théodore SIND IKUB W ABO, qui avait succédé à
Maurice NTAHOBARI à la présidence du eND et qui était sans conteste la personnalité locale la
plus honnie par la population de la préfecture, accédait à la présidence de la République le 8 avril,
Le poste de premier ministre était offert à Jean KAMBANDA, l'adversaire constant d'Agathe
UWILINGIYIMANA au sein du MDR de Butare. Pauline NYIRAMASUHUKO était reconduite
dans ses fonctions. La sphère politique butaréenne était désormais politiquement homogène et, sur
l'essentiel', solidaire. Jean KAMBANDA et Pauline NYIRAMASUHUKO
se voyaient enfin en
position de se débarrasser de leurs opposants et de s'emparer des rênes de la préfecture.
Outre 'la volonté du noyau dirigeant du clan présidentiel de promouvoir des « sudistes » à la
direction du pays, la promotion de Jean KAMBANDA au poste de premier ministre avait une
explication. Elle apparut comme l'aboutissement
d'une rivalité et d'une haine personnelles
longuement
entretenues à l'égard
d'Agathe
UWILlNGIYIMANA.
Le conflit entre Jean
KAMBANDA et Agathe UWILINGIYIMANA
datait de la création du MDR en 1991. Pendant
près d'une année, la direction nationale du MDR fonctionna avec trois représentants par
préfecture. Jean KAMBANDA et Agathe UWILINGIYIMANA
figuraient dans ce groupe
fondateur. Le premier se considérait comme le stratège, mais c'est la seconde qui soulevait
l'adhésion
et la chaleur populaires. Lors de l'élection
des comités directeurs préfectoraux. en
1992, il fut convenu qu'Agathe UWlLINGlYIMANA,
nommée ministre dans le gouvernement de
Dismas NSENGlY AREMYE, ne se présenterait pas au suffrage des militants pour le poste de
président et laisserait la voie libre à Jean KAMBANDA. Le jour de l'élection, les deux déposèrent
néanmoins leurs candidatures et Agathe UWlLINGIYIMANA
l'emporta
très largement. Jean
KAMBANDA ne lui pardonna jamais ce qu'il considéra comme une trahison doublée d'une

6) Cf. 7 janvier
1994: Réunion avec les femmes membres du comité national:
déclaration des femmes contre
l'attitude du 1"' ministre; 14 janvier 1994: extrait de la réunion des ministres issus du MRND parmi les points abordés
figure" répondre au 1« ministre» ; 21 janvier 1994: Réunion ministres du MRND: «Nous décidons de répondre à
ses calomnies),
(lettre (MRND, PL, PDC);
25 janvier
1994:
Réunion avec les femmes membres du comité
national du MRND. Présence:
MUKAKABEGO Gaudence (député Gikongoro.
directeur de cabinet de la ministre
NYIRAMASUHUKO),
Immaculée NYIRABlZEYIMANA
(députée Byumoa, vice·présidente
du eND, cf, § 2,5.2.) :
Drocella NIYONSABA (Kibuye, comité préfectoral du IvfRND), Pauline NY1RAMASUHUKO, Dancille MUKARUSHEMA
(sous-préfet
Kigali rural), Astérie MVKANGWUE
(députée Kigali rural); Absence:
Gaudence NYIRASAFARI
HAB/MANA (Gisenyi, directrice de l'ONAPO), Angelina MUKANDUTIYE (comité préfectoral de Gisenyi) , Séraphine
MUKARWEGO (députée Kibungo), Discussion:
(. .. ) (Agenda PN, 1" janvier
1994);
4 février 1994:
réunion
ministres MRND + directeurs de cabinet: c note:
corruption
de RUGENERA + 1"' Ministre Agatha ». (Les passages

en italique sont ajoutés par AG).
35

humiliation. Minoritaire, il devint un adversaire déterminé
s'imposa comme le chef local de la tendance MDR-Power.

d'Agathe

UWILINGIYIMANA

et

En juillet 1993, Jean KAMBANDA fut présenté par les instances majoritaires du MDR comme
le candidat officiel du parti MDR désigné au poste de premier ministre du OTBE et crut tenir sa
revanche. Le président Juvénal HABYARIMANA soutint effectivement les leaders des partis qui
voulaient évincer Dismas NSENGIY AREMYE, considéré comme incontrôlable, mais préféra, par
calcul, nommer Agathe UWILINGIYIMANA, connue comme partisane d'une alliance privilégiée
du MDR avec le FPR.
Le 7 avril 1994, les militaires du nord donnèrent enfin à Jean KAMBANDA
revanche inespérée. C'est sur la base de cette offre que le colonel Théoneste
soutenir le 7 avril que le bilan politique de la crise pour Butare était positif: au
score était égal: le Nord avait perdu un président, le Sud un premier ministre ;
les deux nouveaux titulaires étaient du sud.
Sans entrer dans une analyse approfondie du gouvernement
(cf. annexe 8, tome 3), dégageons quelques caractéristiques

l'occasion d'une
BAGOSORA put
titre des pertes, le
au titre des gains,

intérimaire installé le 8 avril 1994
utiles à la compréhension de la

situation politique à Butare à cette date.
La principale, car la plus inédite, tenait au poids accordé aux. personnalités du sud et du centre
du pays. Le président de la République et le premier ministre étaient tous les deux originaires de
Butare, le premier représentait le MRND, le second le MDR. Au lendemain de l'assassinat de la
première ministre qui portait les aspirations des sudistes face au système de pouvoir mis en place
par Juvénal HABY ARIMANA, le signal politique donné par les militaires du nord était fort. Sur le
plan des partis politiques aussi, comme nous l'avons dit, les "comptes étaient soldés" et l'union
symbolique entre les deux: partis rivaux issus des deux Républiques pouvait être affichée. L'unité
retrouvée du Nord et du Sud (en apparence au .moins) fut alors scellée sur la dyarchie suivante:
les choses militaires revenaient aUX officiers du nord", le champ politique relevait des politiciens
du sud. Le raisonnement "était prosaïque :
• les militaires du sud n'étaient de toute façon pas «fiables» et l'armée devait être reprise


en main;
sur le plan politique, le sud devait absolument
pouvait escompter y parvenir.

être fidélisé et seul un tandem homogène

La traduction en termes de portefeuilles ministériels fut à la hauteur des enjeux: outre les deux.
postes «hors décomptes» du président et du premier ministre, le sud se voyait accorder 13
ministères sur 19. À elles seules, les préfectures de Kibuye, Gitarama et Butare en détenaient 8.
En fait, même si ce point ne peut être approfondi
ici, l'analyse était plus complexe. Le poids
du régionalisme rendait impensable un monopole ou tout simplement une concentration effective
du pouvoir politique au nord comme un basculement au sud. Le MRND n'avait ni l'intention de
céder la présidence, ni d'affaiblir sa base nordiste. Le « sacrifice» que représentait la double
nomination d'originaires
de la même préfecture
de Butare, et qui déclencha dans un premier
temps l'incompréhension"
de nombreux politiciens et militaires du nord, relevait largement de
l'artifice. Théodore SINDIKUBWABO fut, dès le départ, considéré comme un «non-membre»
dont l'éviction serait programmée le moment voulu. C'est lui qui devait assumer formellement la
responsabilité des massacres le temps qu'un
successeur de poids se dégage au sein de l'ex.mouvance présidentielle et soit mis en place. Seul comptait dans le décompte, Jean KAMBANDA
qui bénéficiait
depuis 1993 de la légitimité
du MDR majoritaire
lorsque qu'Agathe
UWILINGIYIMANA fut promue première ministre au nom d'une fraction minoritaire du MDR
suite à de subtiles manœuvres politiques.
Sur le plan des responsabilités politiques, la mission principale des membres du or était de
gagner la guerre en assurant l'unité des Hutu face à «l'ennemi » unique: le «Tutsi », c'est-à-diTe
le FPR et ses alliés de l'intérieur.
Là encore
la consigne retenue par les membres du
gouvernement
intérimaire lors de leur prestation
de serment était explicite « Neutraliser
quiconque veut semer les troubles dans le pays ».65 Réaliser l'unité nationale signifiait alors
M Relevons
cette consigne révélatrice par sa fermeté mentionnée
par Pauline NYIRAMASUHUKü
en date du 9 avril. jour de la prestation de serment: « Avoir le courage de dire non aux. administrateurs

s'ingérer dans la technique militaire ».
65 Agenda PN. page du 9 avril:
«Mise

en place du gouvernement

36

».

dans son agenda
civils qui veulent

concrètement gagner l'adhésion

des préfectures

du sud, et en premier lieu celle de Butare, au

projet génocidaire.
Dans cette optique, l'autorité et la responsabilité des deux personnages centraux. de l'État
originaires de Butare furent capitales pour la conduite de l'action gouvernementale.
Aux yeux
des Butaréens, les marges de manœuvre disparaissaient
et l'ambivalence politique que
l'opposition à la mouvance présidentielle avait tenté de maintenir depuis deux années alors que la
guerre et ses conséquences épargnaient le sud n'avait plus de sens.
En termes de capacité de mobilisation politique, les acteurs locaux étaient appelés à intervenir
de manière déterminante. La guerre civile devait être conduite aussi par les ressortissants de la
préfecture.
On peut
voir dans la reconduction
du binôme
ministériel
Pauline
NYIRAMASUHUKO-Callixte
NZABONIMANA par le GI et le MRND, une décision symbolique
de grande portée. Les deux ex-partis majoritaires dans les deux préfectures dissidentes, le PSD
pour Butare et le MDR pour Gitarama furent quasiment ignorés lors de la formation du
gouvernement intérimaire. Le premier était représenté par une personnalité de second rang mais
bien introduite auprès des proches du clan présidentiel (Dr Straton NSABUMURUNZI, cf. infra
encadré nO 2, p. 38) et le second disparaissait purement et simplement de la carte politique au
profit d'Un représentant du PDC sans grande envergure (Gaspard RUHUMULIZA).
Par contre, les deux ministres militants du MRND se voyaient consacrés dans leur rôle
d'activistes en charge de la mobilisation et de la radicalisation politiques. Domaine dans lequel, ils
avaient déjà acquis une large expérience. Ainsi, par exemple, le 11 janvier 1994, les deux
ministres avaient rehaussé de leur présence, la deuxième manifestation des lnterahamwe et de la
CDR à Kigali. La première, qui dégénéra en violence, s'était déroulée le 8 janvier avec la
participation de militaires de la Garde présidentielle et des autorités de la préfecture sans que les
forces de gendarmerie sollicitées n'interviennent.
Au sein de leur ministère, aucune autre activité
« technique» ne leur incombait, les deux ministres purent s'investir pleinement dans la mise à feu
et à sang, puis la «pacification»
de leurs préfectures
d'origine
avec une légitimité et U TI
rayonnement que leur parti n'aurait jamais pu imaginer revendiquer avant la reprise de la guerre.

37

Encadré

n° 2: Dr Straton

NSABUMUKUNZI

Né en 1950 dans la préfecture de Butare, commune Kibayi, secteur Runyinya.
Étudiant à Butare, la faculté de médecine lui délivra le diplôme de docteur en médecine le 24 octobre
[975,
Il intégra la fonction publique le 15 novembre 1975 et fut affecté à l'UNR. Il quitta le Rwanda en
I976 pour suivre des études de 3" cycle en Belgique. Il obtint un « doctorat spécial» en biochimie à
l'Université de Gand et fut réintégré à l'UNR comme médecin assistant en date du l"janvier 1982.
En 1994, il' exerçait toujours

comme

médecin

à

Butare Ville,

était chercheur au laboratoire

universitaire et donnait des cours à la faculté de médecine.
Personnalité 'sans envergure, il fut promu ministre de l'Agriculture du GI (lors d'un deuxième tour,
mais nous n'avons pas réussi à identifier qui fut le premier candidat désigné) et membre de la nouvelle
direction nationale du PSD en remplacement des dirigeants assassinés dès le début des massacres.
Cette promotion s'explique selon toute vraisemblance par les liens amicaux et d'affaires anciens qu'il
entretenait avec Pierre-Célestin RWAGAFlLITA (ils possédaient en commun une pharmacie à Kigali). Le
major Pierre-Célestin RWAGAFILITA fut un des ministres clés des premiers gouvernement& de la
seconde République de 1973 à 1979, Il intégra ensuite l'état-major de la gendarmerie et fut, sans
discontinuer, membre du comité central du MRND. Pierre-Célestin RWAGAFlilTA
fut le maître
d'œuvre des massacres ?ans la préfecture de Kibungo.
Straton NSABUMUKUNZI avait été informé du choix des autorités nationales le 8 avril et fut prié de
gagner Kigali le 9 pour la prestation de serment du gouvernement. Le major gendarme Cyriaque
HABYARABATUMA fut chargé d'organiser son voyage. Il sollicita un véhicule, un chauffeur et de
l'essence auprès du projet DGB. Lors du départ, d'après les témoins, «il était vraiment malheureux de
cette nomination », mais il se convainquit « qu'être ministre serait bien }>.66
Il s'enfuit du Rwanda à la mi-juillet 1994 à Bukavu comme la plupart des autres membres du
gouvernement intérimaire. Considéré comme exécuté lors de la prise des camps de réfugiés au Kivu par
l'APR en 1996, il aurait néanmoins été vu par divers témoins au-delà de cette date au Congo-Kinshasa,

L'efficacité de l'action politique locale passait néanmoins par divers relais politiques, les partis
et l'administration territoriale que je vais maintenant analyser.

66 D'après différents témoignages,
à son arrivée à Kigali, il but tellement de bière pour assumer le choc de cette
nomination qu'il fut dans l'incapacité de se rendre à la prestation de serment le lendemain matin.

38

3. Les partis politiques
. Nous 001.:1S limiterons dans ce chapitre à une présentation des organisations politiques présentes
dans la préfecture de Butare et de leurs organigrammes
dans le prolongement des informations
fournies précédemment
sur les principales personnalités
politiques, Toutefois, la réalité des
rapports de force politique .ne pourra être vraiment perçue qu'au terme des deux chapitres
suivants qui décrivent d'autres composantes du champ politique: la sphère économique (en
relation avec le financement des partis) et l'administration
des collectivités territoriales.

3.1. Du parti unique au multipartisme:

le climat butaréen

Pour beaucoup, il demeure .difficile de comprendre comment une préfecture où les centres de
décision et la majorité des administrations communales
étaient aux mains de membres de
l'opposition a pu basculer dans les massacres et le génocide. Des rappels et distinctions doivent
être fournis. Le Rwanda venait de connaître quinze ans de monopartisme MRND succédant à IO
ans de monopartisme
lY1PR~PARMEHUTU. La culture d'« opposition»
était donc peu
développée, les pratiques « démocratiques» quasi inexistantes.
Sauf à son niveau le plus bas (les cellules), l'appareil dirigeant du MRND était assimilé à
l'administration
déconcentrée
du ministère de l'Intérieur:
le préfet, les bourgmestres
et les
conseillers de secteur en étaient les chefs et utilisaient les instances de décision et de délibération
liées à leur échelon pour encadrer et sensibiliser les populations. Concrètement, il s'agissait de
maintenir l'ordre, d'appliquer les directives centrales et de faire remonter les informations. D'une
manière générale, les cadres politiques n'avaient aucune autonomie. Ils ne faisaient que relayer les
orientations et mots d'ordre
venus d'en haut:
les discours politiques des rersponsables
commençaient toujours par la phrase rituelle: «Comme le président l'a dit dans son discours du
... ». La double formule «transmettre le message»
aux échelons inférieurs de la structure et,
éventuellement, « faire remonter» les réactions de la population résumait l'essence du travail des
cadres politiques. Le terme de « cadre » convient ici parfaitement puisqu'au niveau central du
parti unique le principal critère de leur choix et de l'évaluation de leur efficacité était leur
capacité à « encadrer» les populations. Dans les préfectures du sud, le militantisme politique ne
dépassait pas les exigences ..officielles soigneusement
codifiées et respectées:
assistance aux
séances d'animation
politique, aux réunions
publiques
et aux travaux communautaires,
contribution aux cotisations diverses sollicitées par les autorités et, à échéances régulières,
participation à des élections aux résultats soigneusement anticipés.
Dans les préfectures hostiles aux autorités en place, pour peu que l'ordre soit respecté, le
pouvoir se satisfaisait de prestations d'allégeance
minimales et chacun pouvait vaquer à ses
occupations (assurer la reproduction de la famille à partir de l'exploitation agricole familiale pour
la très grande majorité de la population) sans tracasseries majeures. Il en allait différemment pour
tous ceux qui souhaitaient s'engager dans des trajectoires de promotion ou d'enrichissement.
L'accès aux emplois stables de la fonction publique, aux carrières prisées, à toute forme
d'enrichissement
supposait des contreparties
et des protections ayant nécessairement
une
dimension « politique» au sens large du terme. Les effectifs concernés étaient infimes (quelques
pour cent de la population), mais le poids de ces groupes restreints et cooptés déterminait la vie
sociale, économique et politique de toute la préfecture. Dans une préfecture comme Butare, dotée
d'un riche passé et d'élites politiques prestigieuses, hétérogène socialement, habituée à une
grande mobilité des individus (commerce, fonction publique ... ), la fluidité des rapports sociaux
était beaucoup plus grande que dans les autres préfectures de l'intérieur et les rigueurs de l'ordre
politique central distendues. La négociation et les arrangements locaux au sein de réseaux
diversifiés (familiaux,
amicaux,
professionnels ... ) cohabitaient
avec l'expression
d'une
soumission apparente aux consignes nationales.
Le retour du multipartisme répondait assurément à des aspirations largement partagées parmi
les populations urbaines et rurales, mais les possibilités d'expression
et la nature même des
attentes des administrés étaient fort diverses. Avant que les manifestations populaires ne se
multiplient au cours de l'année
1992, la traduction
principale de l'ouverture
politique se
manifestait dans l'attitude de personnalités (anciens leaders politiques, dirigeants en fonction 0 li
jeunes cadres), osant afficher leur opposition aux. tenants du régime encore en place, certains
ayant déjà eu à subir le prix. de leur comportement
déviant (arrestation,
licenciement,
marginalisation sociale, ... ) ..
39

Dans un tel contexte, le multipartisme a souvent été décrit comme la résurgence des partis
anciens issus de l'indépendance et la volonté de renouer avec les privilèges et « libertés » d'alors.
Cette approche correspondait assurément à la vision de nombreux cadres toujours en activité, mais
elle sous-estimait le renouvellement
profond de l'environnement
social et des aspirations
politiques des jeunes générations, particulièrement marqué dans une préfecture où le poids des
couches intellectuelles était fort."
Vingt ans après l'installation de la seconde République, la nouvelle donne géopolitique,
reposant notamment sur la primauté économique et politique de la capitale Kigali autour de
laquelle les flux des biens et des personnes s'organisaient,
était irréversible. La capitale du sud
pouvait regagner un dynamisme et une autonomie nouvelles, elle ne renouerait pas avec les
privilèges du passé. De même, on peut se demander si la référence à la première République était
toujours mobilisatrice. A la différence des populations
de Gitarama, la mythologie entretenue
autour de la révolution sociale et les solidarités, consolidées dans la résistance des élites du sud
face à la répression et la discrimination exercées par les dirigeants de la seconde République,
n'étaient certainement pas le ciment des revendications militantes entre 1989 et 1991.
Le rejet quasi viscéral de la domination exercée par un groupuscule de militaires et de civils
du
6
nord n'était qu'un préalable. Dans les discours des personnalités qui formèrent le PSD a, des
thèmes « modernes» étaient développés qui mettaient en cause l'archaïsme de l'ordre politique et
social, le clientélisme qui étouffait l'épanouissement
des individus et qui interdisait l' initiati ve
économique, le conformisme idéologique qui stérilisait la confrontation intellectuelle. De même,
le PL à Butare ne pouvait être réduit à un simple parti « tutsi ». Si de nombreux Tutsi trouvèrent
au PL un cadre où ils se sentaient à l'aise, ce parti ne défendait pas une ligne ethniste. La SUTreprésentation
des commerçants tutsi et des professions intellectuelles et libérales parmi les
adhérents et les' sympathisants exprimait plus une réaction contre un environnement économique
rigide et prédateur (dont les Tutsi n'étaient
pas les seules victimes), que des aspirations de
domination (ou de restauration) vis-à-vis des populations rurales majoritairement hutu.
Certes, on ne connaîtra jamais le rayonnement
et l'enracinement
populaires réels de ces
aspirations politiques, on ne pourra non plus mesurer l'ancrage et la persévérance des jeunes
cadres qui s'en firent les porte-parole, mais on ne peut déduire de l'échec politique des
aspirations démocratiques leur inconsistance ou le manque de conviction des militants. Entre
1989 et 1991, et notamment dans la préfecture de Butare, le jeu politique rwandais était ouvert, la
mobilisation populaire intense, les vocations militantes nombreuses, les ambitions élevées. Ce
renouveau s'incarnait dans un foisonnement de lieux d'expression que quelques partis nouveaux
réussirent à fédérer grâce à une présence régulière de leurs responsables sur le terrain.
, Avec le multipartisme en 1991, des pans entiers de l'appareil de contrôle politique du partiEtat MRND sur Butare s'effondrèrent
brutalement
et durablement.
Les partis ct' opposition
devinrent immédiatement
majoritaires: le parti social démocrate (PSD) bénéficia d'une bonne
implantation grâce aux leaders prestigieux qui le constituèrent, le mouvement démocratique
républicain (MDR) , représenté surtout dans les milieux intellectuels et porté par de nombreux
non-butaréens : connut un rayonnement
différé.
C'est la notoriété
politique cl'Agathe
UWILINGIYIMANA,
originaire de Butare, qui consolida son influence locale. Le parti libéral
(PL) enfin bénéficia d'une assise large en milieu urbain, mais sa composante rurale resta étroite,
du moins en apparence. En effet, dans le contexte national d'exacerbation
des tensions ethniques,
67 Justifiée
au titre du « rattrapage»
par rapport à la situation héritée de la période coloniale et de la première
République, la concentration
des investissements
éducatifs dans les préfectures du nord pratiquée par la seconde
République exacerbait un sentiment de discrimination
régional renforcé par la politique des quotas ethniques instaurée
par ce même régime. Cette politique s'appliquait notamment
lors de l'accès à l'enseignement
secondaire. Compte tenu
de l'importance
des populations
tutsi dans la plupart des communes de Butare, les exclus étaient particulièrement
nombreux. Lorsque les autorités autorisèrent, au début des années 80, la création d'établissements
secondaires privés,
les deux grandes préfectures du sud, Butare et Gitararna, connurent une explosion des effectifs scolarisés sans équivalent

dans le pays.
6B Le noyau
fondateur fut composé d'anciens élèves du séminaire de Kansi où Félicien GATABAZI continua sa
scolarité après avoir débuté ses études secondaires au petit séminaire de Kabgayi. Parmi les membres de ce groupe
figuraient notamment l'abbé Modeste MUNGWARAREBA (tutsi, Butare), ancien élève, puis professeur en 1976 et
recteur en 1983 du petit séminaire de Butare, Marcel NSAB1MANA (hutu, Butare, Nyakitu}, Émile NYUNGURA (hutu,
Butare, Huye), Charles NTAKIRUTINKA (hutu, Gikongoro),
... Modeste MUNGWARAREBA fut emprisonné en 1990
comme plusieurs des futurs membres du PSD (Abel DUSHIMTh1ANA, Étiennne GAKW AYA, Vincent SEMUHUNGU,
etc.).

40

et compte tenu des massacres de mars 1992 dans le Bugesera voisin, la population
collines préféra ne pas afficher ouvertement un parti-pris politique ou se fondre
nouveaux partis à vocation majoritaire.

tutsi des
dans les

À l'inverse, le MRND perdit la plupart de ses cadres locaux. Au-delà des défections publiques,
son affaiblissement découla surtout du désintérêt que lui portèrent les grands effectifs de membres
cotisants jusque-là contraints. La nomination d'un préfet tutsi issu des rangs de l'opposition à la
tête de la préfecture et la perte de la direction de la majorité des communes démontraient
clairement le faible niveau d'adhésion
à la politique qu'il incarnait L'installation de JeanBaptiste HABY ALIMANA à la préfecture ne suscita aucun désordre et précipita les défections ou
ralliements: à la mi-1993, le MRND ne dirigeait plus que 7 communes sur 20.
3.2. L'alliance pour le renforcement

de la démocratie

(ARD)

Cette alliance, largement formelle, était constituée du MRND et d'une multitude de petits partis
suscités pour élargir son espace politique. Ainsi, le PEC~, le PARERWA ou le PADER n'étaient
que des partis fantoches de dimension régionale ou même communale qui ne trouvèrent aucun
écho au sud. Parmi les partis de l'ARD, seule la coalition pour la défense de la république (CDR),
initialement créée pour regrouper
les éléments intégristes du MRND, occupa une place
significative et autonome dans le champ politique, aussi bien au sein de la mouvance présidentielle
que par rapport à l'ensemble des partis agréés." Une grande partie de ses dirigeants maintinrent
une double appartenance
et portèrent
ainsi l'étiquette
« MRND/CDR », Cette appelation
s'appliquait en fait à tous les membres dont les positions contrevenaient de manière flagrante à la
ligne officielle du MRND (« Paix, unité, dëveloppement ») et qui estimaient que les concessions
faites au FPR sous la pression de la communauté internationale mettaient en danger la primauté
des dirigeants du nord dans les institutions qui sortiraient des accords d'Arusha.

3.2.1. Le MRND rénové
Le MRND apparut comme un parti de défense du statu quo politique et social. Mais en ce qui
le concerne aussi, il serait erroné de lire son évolution de manière schématique. Le MRND qui se
recomposait à Butare en 1990-91 avec des militants nouveaux avait pris en compte la diversité des
aspirations politiques et la volonté d'émancipation
vis-à-vis des cadres importés du nord. À la
différence des autres partis bien ancrés dans la préfecture, ces réformateurs
s'opposaient
ouvertement aux militants originaires du nord qui assuraient de facto l'ordre local au sein du parti
et qui bénéficiaient de puissants relais nationaux. Plus que dans d'autres préfectures, le niveau
d'exigence des nombreux intellectuels butaréens qui participaient aux activités de MRND était
élevé. Beaucoup hésitaient devant les incertitudes idéologiques, bien réelles, qui prévalaient dans
les nouvelles formations politiques émergentes et préféraient réformer le MRND de l'intérieur. De
nombreux commerçants, hutu et tutsi, souhaitaient eux aussi rester au MRND, ou ne pas rompre
avec lui, au nom de préoccupations réalistes.
Au cours de l'année 1992, les dérives ethniques du MRND, ses alliances avec les groupes
extrémistes et le primat maintenu du régionalisme
rejetèrent progressivement
les réformateurs
dans l'opposition.
C'est ainsi que le MRND devint un parti exsangue et quasi clandestin en
préfecture de Butare, comme en préfecture de Gitarama. Ses fidèles résidant dans la préfecture
n'osaient plus guère se manifester ou n'étaient plus audibles." Ils laissèrent le champ libre aux
69 Coalition pour la défense de la république
(enregistrée le 16 mars 1992). Le premier président de la CDR, Martin
BUCYANA (hutu, Cyangugu), fut assassiné il. Butare, commune Mbazi, le 23 février 1993 et remplacé par Théoneste
NAHlMANA (hutu. Gisenyi) (cf. infra § 3.3.2., p. 58).
70 Le témoignage
suivant d'un militant réformateur, cadre butaréen du MRND, rend bien compte de l'atmosphère
politique particulière qui prévalut à Butare jusqu'au début de l'année 1994; ({ À Butare, le jeu politique était ouvert. Le
préfet avait une gestion inclusive
et ne pratiquait
pas de discrimination
à l'égard du MRND. Les relations
interpersonnelles, familiales et amicales n'avaient pas été affectées par l'appartenance à différents partis politiques sauf
pour certains excités. C'était la préfecture où la compétition
était la plus civilisée. Les fidèles du MRND pouvaient se
manifester sans aucun problème, sans subir aucune violence physique. C'est vrai que les amis, la famille, les voisins et
les connaissances demandaient à celui qui ne quittait pas le MRND ce qu'il faisait toujours dans ce parti des Bakiga, des
gens du nord. Il y avait une certaine pression morale et c'est normal. Parmi ceux qui voulaient réformer le MRND de
l'intérieur, certains sont partis et ont rejoint l'opposition
officiellement,
d'autres sont partis mais n'ont adhéré à aucun
autre parti surtout quand il est apparu qu'au sein de ces derniers [les partis d'opposition,
précision AG), l'opportunisme,
le factionnisme, les détournements de fonds ... s'installaient,
enfin, le dernier groupe est resté et a continué il. lutter mais

41

militants
les plus radicaux
préfectures
du nord.

(les

«MRND/CDR»)

et

surtout

aux

adhérents

originaires

des

Rappelons
tout d'abord
la liste des membres
butaréens
du comité central du parti unique
désignés à titre personnel par le président de la République
au cours de la seconde République.

Tableau n° 1: Membres du comité central du MRND
originaires de la préfecture de Butare
NTABOMVURA Venant (Butare), ex-ministre, recteur de l'UNR, nommé au comité central le 4 juillet
1976 lors du premier congrès ordinaire du MRND chargé de la mise en place des instances du parti,
président de la commission politique du Cc.
NTAHOBARI Maurice (Butare), ex-ministre, ex-président du CND, recteur de l'UNR, nommé au comité
central lors du congrès.tenu du 17 au 21 décembre 1980, membre de la commission scientifique du
CC.

Membres des commissions du comité central du MRND
originaires de la préfecture de Butare nommés le 4 juin 1981
NTABOMVURA Venant, Commission politique, président
KANY ABASHI Joseph, Commission politique"
NT ABOBARI Maurice, Commission Recherche
GAt ABAZI Félicien, Commission Affaires étrangères
NSENGIYUMV A Joseph, Commission Affaires étrangères

La faiblesse de l'effectif des membres nommés au CC donne une idée claire
sélection des personnalités
et cadres du sud promus
par le MRND, En fait,
prévalaient
pour que chaque préfecture
soit représentée.
Toutes l'étaient
par
membres.
Seules celles de Gisenyi et de Ruhengeri
bénéficiaient
d'une
structurelle,
encore amplifiée
dans les commissions.
En 1976, le premier
président fondateur
du parti comportait
8 membres
originaires
de ces deux
total de 16. En 1980, 9 sur 24.

de la rigueur de la
des quotas tacites
un, deux ou trois
surreprésentation
CC nommé par le
préfectures
sur un

Après le dépôt des nouveaux
statuts du MRND « rénové"
le 5 juillet 1991 et re-agréé le 31
juillet
(sous
l'appellation
Mouvement
républicain
national
pour
la. démocratie
et le
développement),
un comité national fut chargé de recqmposer
les instances
du parti déjà touchées
72
par plusieurs
départs,
Ce comité était dirigé
par Edouard
KAREMERA
(hutu, Kibuye) et
comprenait
trois autres membres, Léon MUGESERA
(hutu, Gisenyi), Anastase GASANA (hutu,
Kigali rural) chargés
de la stratégie
du parti, et François
NDUW AYEZU (hutu, Ruhengeri),
fonctionnaire
du parti.

en adaptant les méthodes de lutte. Il n'était par exemple plus question de chercher à recruter des militants à Butare mais
par exemple l'on pouvait continuer à dénoncer le régionalisme, la volonté de vouloir se maintenir au pouvoir par la
force, la position de retarder la conclusion des accords d'Arusha pour garder des privilèges .. , Ce faisant, ils faisaient
œuvre utile, Ce serait très injuste et contraire à la vérité de dire que celui qui est resté au MRND était CDR. Il faut préciser
également que certains annonçaient leurs départs, alors que d'autres mettaient fin à la participation aux réunions
publiques sans en faire une quelconque publicité, L'on pouvait être MRND et vivre tranquillement à Butare. Par contre
être CDR équivalait à de la provocation. Après l'assassinat de Gatabazi, la vengeance s'est portée sur le président de la
CDR, Bucyana. Aucun membre du MRND, n'a été inquiété. Les populations n'en voulaient pas du tout aux membres du
MRND à Butare, qui par ailleurs n'étaient pas violents. ~>
11 Cette nomination comme membre de la commission
la plus importante de l'organigramme du MRND marqua une
étape importante dans la carrière du bourgmestre KA.1'jYABASHI (cf. infra encadré n° 10, P: 118). Outre son président.
Venant NTABOMVURA, les autres membres de la commission politique étaient Thomas HABANABAKIZE,lieutenantcolonel Laurent SERUBUGA, major Léonidas RUSATIRA, François NSHUNGUYllfKA,Joseph NZIRüRERA, Antoine
NTASHAMAJE, Thaddée BAGARAGAZA, Christophe MFlZI, Juvénal RENZAHO, François-Xavier NDEZE.
12 Au cours des quelques mois qui séparèrent l'Intentlon
annoncée par le président HABYARIMANAde reconnaître
l'instauration du multipartisme et la création du comité national, Édouard KAREMERA avait été formellement chargé de
« recueillir les idées des militants ». Il y gagna alors le surnom de Rukusanya, le « rassembleur »,
42

Le comité national assura le renouvellement des comités communaux et préfectoraux au début
de l'année 1992 puis organisa le congrès national d'avril 1992. Dans les faits, conformément à la
tradition héritée du parti unique, le préfet - à l'époque Justin TEMAHAGALI - secondé par la
fonctionnaire spécialement affectée à cette tâche, Pauline NYIRAMASUHUKO, prit en charge le
suivi rapproché de la période de transition. Il s'agissait notamment de conserver au sein du
MRND les cadres, fonctionnaires et personnalités locales décisives, notamment les bourgmestres
vis-à-vis desquels la préfecture, malgré l' affaiblissement
de l'autorité
de son représentant,
conservait de réels moyens de pression. Les moyens de pression étaient cependant plus limités à
l'égard des chefs de projets et hauts fonctionnaires
gui dépendaient des ministères techniques
passés aux mains de ministres issus des partis d'opposition. Lors du dépôt des statuts du nouveau
MRND, 90 signatures, de provenances socioprofessionnelles
diverses, furent recueillies sans
difficulté. Ce travail s'effectua en liaison avec Amandin RUGIRA, candidat désigné pour assurer
la future présidence et coordonnateur d'un bureau provisoire dont Edouard KAREMERA avait
demandé la mise en place dans chaque préfecture.
1. TEMAHAGALI
et A. RUGIRA se
connaissaient bien: ils étaient issus de la même génération des politiciens de la première

République."
D'après un document interne du MRND établi en février 1992, et que nous citons tel quel
malgré plusieurs erreurs dans les qualifications des membres, le comité préfectoral élu par les
militants puis le bureau préfectoral élu par les membres du comité était composé de la manière
suivante:

7J

Justin TEMAHAGALI fut longuement préfet de Gikongoro au cours de la première République 0964-69).
43

Tableau

n" 2: Comité préfectoral

du MRND Butare

(février

1992)

a) Bureau:·

Communes

Fonctions

Président: RUGIRA Amandin (hutu)
Vice-président: BUT ARE Innocent (hutu)
·Secrétaire: BARAVUGA Laurent (hutu)
Trésorier: RUMIYA Jean-Gualbert (tutsi)

Ngoma
Nyaruhengeri
Kigembe
Huye

Député
Agent de l'Étae4
Député
Professeur

Ngoma

Député
Professeur
Professeur
Député

b) Classement

selon le nombre de voix obtenues:

01) RUGIRA Amandin (hutu)
02) RUMIYA Jean-Gualbert (tutsi)
03) RUNYINY A BARABWIRIZA (hutu)
04) BARAVUGA Laurent (hutu)
05) MUKARURANGW A Bernadette (hutu)
06) BUTARE Innocent (hutu)
07) NTAHOBARI Maurice (hutu)
08) SINDIKUB W ABO Théodore (hutu)
09) HABIMANA Kantano (hutu)
10) KABEZA Charles (hutu)
Il) KANY AB ASHI Joseph (hutu)
12) NSAGUYE Fébronie (hutu)
. 13) MUGANGA Joseph (hutu)
14) BARAHIRA Pascal (hutu)
15) NZAMWITA Fidèle (hutu)
16) NZARAMBA Athanase (hutu)
17) SEKAMONYO Faustin (hutu)
18) HATEGEKlMANA Déo (hutu)
19) RUDAKUBANA Martin (hutu)
20) BASABüSE Abel (hutu)

Huye

Ngoma
Kigembe
Ndora
Nyaruhengeri
Mbazi
Ngoma
Muyaga
Nyaruhengeri
Ngoma
Ngoma
Huye
Nyabisindu
Muyaga
Ntyazo
Muyira
Runyinya
Ruhashya
Nyabisindu

Députée"

Agent de l'État
Recteur de l' UNR
Président du CND
Fonctionnaire du MNRD76
Bourgmestre
Bourgmestre
Députée
Agent de l'État
Bourgmestre"

Bourgmestre
Agent de l'ÉtaeS
Député
Bourgmestre
Bourgmestre
Bourgmestre"

Sur cette liste, figurent la plupart des militants exerçant des fonctions d'autorité ou électives au
sein du MRND. Quatre membres par préfecture devenaient de facto membres du nouveau comité
national dont, de droit, les Il présidents des comités préfectoraux.
Le collège des présidents
formait le bureau politique national. Amandin RUGIRA fut élu, en avril 1992, premier viceprésident du parti à l'échelon national. La consécration de celui que les Butaréens surnommèrent
Gatorano mettait fin à des années de frustration politique (cf. supra § 2.1., p. 21 sqs). En effet,
Amandin RUGIRA, chalenSeur immédiat du très populaire Félicien GAT ABAZI lors des scrutins
législatifs de 1981 et 19830, n'avait bénéficié jusque-là d'aucune récompense, à la différence,
par exemple de Théodore SINDIKUBW ABü qui profita régulièrement de l'aide du préfet pour
obtenir un classement honorable ou tout simplement
être élu comme en décembre 1988.
Amandin RUGIRA était considéré comme une forte personnalité, accommodante
mais non
docile.
Quant à Innocent BUTARE, élu vice-président, il s'agissait d'un chercheur de l'ISAR. Cet
intellectuel brillant et respecté, partisan convaincu de la rénovation, avait été lui aussi invité par le

Il était en fait directeur de l'OPROVIA.
Concubine de Laurent BARAVUGA, député. En 1993-94, elle était considérée comme membre de la CDR et
participait aux meetings de ce parti.
lô Il travaillait alors comme journaliste pour l'organe du MRND Umurwanashyaka
(cf. infra p. 49).
17 Officier retraité. Il ne fut jamais bourgmestre,
la Ancien bourgmestre de Ntyazo de 1964 à 1986.
Ex-militaire devenu commerçant. Lui aussi ne fut jamais bourgmestre,
89 En 1988, il arriva troisième derrière les deux candidats privilégiés par le M"RNDdu fait de leur fonction, Maurice
NTAHOBARlet AnastaseNTEZILYAYO.
74

15

)9

44

HABYARIMANA
à rester au MRND et à participer à sa rénovation. Mais le président
d'autres
arguments
qu'il
n'était
pas nécessaire
d'exhiber.
En effet, son frère,
emprisonné, avait été condamné
à mort pour intelligence
avec le FPR et atteinte à la sécurité de
l'Etat. Seule une grâce présidentielle
pouvait le sauver.

président
disposait

À cette date, le MRND, bien que réduit localement
à une position supplétive, faisait
bonne figure et jouait, pour la majorité de ses cadres butaréens, la carte de la « rénovation»
«À Butare, le MRND ne prêchait pas
prépondérance des gens du nord. Sur ce point,

encore
:

le statu quo politique. Il rejetait publiquement la
il n'y avait aucune différence avec les autres partis

politiques (PSD, PL, MDR).
Aux. fonctionnaires du nord vivant à Butare qui voulaient participer localement aux activités du
MRND, il fut rappelé poliment mais fermement que la politiqué à Butare était l'affaire de Butaréens". Et
qu'il en sera ainsi tant que leurs frères du nord continueront à barricader les préfectures de Ruhengeri et
Gisenyi et d'y interdire par la force les activités des partis politiques d'opposition. Cette exigence s'étant
heurtée à une fin de non-recevoir dans les préfectures du nord, sous des arguments fallacieux du type, « il
faut que le MRND ait son' bastion, s'il yeut gagner des élections plus tard », les ressortissants du nord
furent écartés des activités du MRND à Butare,
Face à la prépondérance des ressortissants du nord dans la préfecture, le MRND de Butare décida d'en
référer directement au président du parti. Deux rencontres furent organisées. Il fut démontré au président
HABY ARIMANA, avec exemples à l'appui, que la politique d'équilibre régional et ethnique avait échoué,
que les gens de Butare se sentaient envahis et colonisés par les ressortissants du nord et qu'il fallait
remplacer les fonctionnaires originaires de Gisenyi et de Ruhengeri par des ressortissants du sud. La
première fois, la réponse fut évasive. La deuxième fois, il demanda qu'on lui fasse une note écrite. Un
mémorandum détaillé, préparé par RUNYINYA BARABWIRIZA et Jean-Gualbert RUMIY A, lui fut
remis. Il n'y donna aucune suite. D'autres cas de régionalisme avéré lui furent signalés notamment lors œ
l'électrification de la commune Rusatira et du marché de Kinkanga. Dans ce dernier cas, même les
manœuvres qui creusaient des tranchées et posaient les câbles étaient venus du nord ce qui faisait enrager
les populations locales en proie au chômage. Il répondit qu'il ne savait pas que des gens raisonnables
pouvaient faire cela. Ces faits ne furent pas ébruités, mais ils contribuèrent à démotiver complètement les
responsables du MRND à Butare, Au lieu de partir, ils jugèrent néanmoins qu'il valait mieux rester en
cherchant à changer les choses de l'intérieur et en pointant toujours du doigt ce qui ne va pas.
Au sein du MRND, les divergences de vue ou d'appréciation de la situation politique du pays étaient
chroniques. Globalement, pour ceux du nord, le MRND était leur parti. Alors que sur le terrain, le FPR
ne cessait de marquer des points, ils croyaient en la victoire des FAR (au sein desquelles les ressortissants
du nord étaient majoritaires). Ceci avait pour conséquence un manque de souplesse intellectuelle,
souplesse qu'exigeaient pourtant les contacts avec les partis d'opposition et les négociations avec le FPR.
Juvénal HABYARJMANA et son entourage avaient refusé de verser de l'argent sur les comptes
officiels du parti qui demeuraient vides. Ils préféraient donner des contributions quand bon leur semblait
exerçant ainsi un poids que ceux qui ne s'étalent pas enrichis du temps du parti unique ne pouvaient avoir.
De 1991 à 1994, chaque jour, des gens quittaient le MRND, ceci est une preuve de l'existence des
divergences de vues. » (témoignage)
Ce témoignage
est, à nos yeux, des plus importants,
car outre la pertinence
des informations
fournies,
il confirme
l'ignorance
dans laquelle
les cadres dirigeants
locaux du MRND étaient
maintenus
sur la réalité du système de contrôle
politique
assuré par la présidence
et l'existence
d'une
direction
parallèle, ignorance
attestée notamment
dans la note relative au rôle joué par
Séraphin
BARARENGANA
(cf. infra § 4.3. et § 6.1.). De même, l'allusion
au mode de
financement
« à la carte»
d'un comité préfectoral particulièrement
démuni en ressources propres,
contraste
avec la distribution,
à partir de Butare, de fonds extrêmement
importants
à d'autres
structures
de la mouvance
présidentielle
contrôlées
elles directement
par des proches du clan au
pouvoir (cf. infra § 5). En fait, la présidence
et les dirigeants
du nord ne se faisaient aucune
illusion sur l'impact
de la vitrine militante
dont ils disposaient
à Butare au travers du MRND
officiel. Vitrine qu'ils utilisèrent cyniquement
et jusqu'à
l'épuisement
des militants «sincères
»,B2

BI Le Dr Séraphin BARARENGANA, petit frère de Juvénal HABYARIMANA,se tenait à l'écart. Aucune tentative de
s'immiscer dans les affaires du MRND-Butare n'a été rapportée.
n Je précise bien lei «la présidence et les dirigeants du nord» dont l'attitude ne peut être généralisée à l'ensemble
de l'appareil du MRND. En effet, les années 1991 et 1992 furent des années d'incertitude au cours desquelles une large
majorité des cadres du MRND, y compris parmi les non-originaires de Gisenyi et Ruhengeri, estimaient que le bilan du
parti unique demeurait positif et pensaient que les partis dopposition resteraient faibles, C'est devant l'amplification
des départs, les dénonciations virulentes de népotisme et de corruption de la part des partis d'opposition et les attaques

45

On pouvait en effet douter de la volonté d'ouverture des dirigeants nationaux (du nord) qui en
assurait la direction effective. En effet, d'après une note de synthèse établie par le ministère de
l'Intérieur dans la deuxième moitié de l'année 1992, la composition des structures préfectorales
des partis indiquait alors l'organigramme suivant pour la préfecture de Butare :
RUGIRA Amandin"
RUNYINY A BARABWIRIZA
RUMIYA Jean-Gualoert
BUTARE Innocent
NYIRAMASUHUKO Pauline
Ces indications ne correspondaient
pas aux décisions formelles des instances du parti telles
qu'issues du scrutin des militants établi en" février 1992. Or la direction générale des Affaires
politiques et administratives du ministère de l'Intérieur,
dirigée par François HARELIMANA
(PDC), et plus précisément la direction Affaires politiques en charge de l'établissement de ces
notes (sous les ordres de Gaspard MUNYANDlNDA)
ne pouvait se permettre d'enregistrer
des
informations qui n'auraient pas été formellement communiquées
par les directions des partis,
surtout s'agissant du premier d'entre eux." Cet organigramme,
établi après le congrès national
d'avril 1992 et transmis au ministère de l'Intérieur comme la déclaration officielle des instances
du parti, introduisait donc diverses retouches qui rapprochaient l'affichage et les fonctions réelles.

,:'\

La construction reposait sur un tandem solidaire. Amandin RUGIRA assurait la continuité. Il
avait une longue expérience politique et une bonne image. Il avait démontré à plusieurs reprises
qu'il pouvait être brillamment élu par la population de Butare, sans avoir besoin d'un coup de
pouce de l'administration
préfectorale. Cette base populaire hutu et tutsi lui faisait confiance et
était fidèle. Le second, RUNYINY A BARABWlRIZA, représentait les couches intellectuelles et
apparaissait comme l'élément
d'avenir
faisant la jonction avec le pouvoir central. Bien
qu'originaire de Gikongoro, son installation à Butare en tant que professeur à l'UNR fut précoce.
Il devint membre du comité préfectoral du MRND dès la création du parti en 1975 et le resta
jusqu'en 1994. Il siégea à la commission technique communale de Butare Ville et au conseil de
développement
communal
à partir de 1977. RUNYINYA BARABWIRIZA fut tenté par
l'opposition
en 1990-91 et participa au groupe qui autour de Félicien GATABAZI, Frédéric
NZAMURAMBAHO, Faustin TWAGIRAMUNGU, Esdras MPAMO, Aloys SIMBA, etc. tenta de
structurer une formation politique nationale nouvelle concurrente du MRND. La présidence
manœuvra
pour isoler Frédéric NZAMURAMBAHO
et Félicien GATABAZI,
opposants
irréductibles,
et récupéra
Aloys SIMBA (cf. infra § 7.1.2.4.,
p. 110) et RUNYINYA
BARABWIRIZA à qui des fonctions nationales éminentes furent proposées. Nommé membre du
comité national provisoire du MRND de juin 1991 à avril 1992, puis parallèlement attaché aux
services du premier ministre comme directeur de cabinet pendant le gouvernement de Sylvestre
NSANZIMANA, originaire lui aussi de Gikongoro, en janvier 1992, RUNYINYA BARABWIRIZA
fut transféré le 23 juin 1992 à la présidence de la République et nommé conseiller du président
pour les Affaires extérieures et de Coopération.
Bien que très occupé par ses fonctions de
conseiller à la présidence, ce dernier continua à assurer une présence politique dans la préfecture.
Le profil de RUNYINY A BARABWIRIZA incarnait bien la nouvelle génération d'intellectuels
militants que le MRND rénové voulait promouvoir.
Il avait une bonne réputation parmi l'élite
intellectuelle nationale surtout grâce à ses recherches en aménagement du territoire. Il s'imposa
tout d'abord
comme leader politique à l'Université
parce qu'il suscitait le débat avec ses
collègues, ce qui n'était pas l'attitude de beaucoup d'autres militants, il en alla de même à Butare
Ville parce qu'il ne craignait pas la discussion avec les représentants des autres partis politiques.
Mais malgré son intégration réussie à Butare, sa base sociale et politique demeurait très
circonscrite. Contrairement à la majorité des politiciens, son travail de chercheur et de professeur
ne lui permettait pas de rendre des services aux gens. Services qui allaient de pair avec la notoriété

de plus en plus dangereuses

du FPR que le MRND se transforma

en citadelle assiégée

et en instrument

de défense des

privilèges menacés des gens du nord.
a) Celui-ci figure aussi à deux autres endroits du document comme 1'" vice-président
du comité directeur et au 4' rang
sur la liste des membres du bureau politique. Une correction ultérieure, portée à la' main en 1993, ajoute en face du nom
d'Amandin RUGIRA la mention « DCD » et porte le nom de Mathieu NGIRUMPATSE en tête de la liste en lieu et place
du président Juvénal HABY ARIMANA.
84 Le suivi de Butare, cf. infra p.
était directement assuré par le directeur de cabinet
Callixte KALIMANZIRA, originaire de Butare et homme de renseignement de l'akazu.

sa,

46

du ministre

de l'Intérieur,

populaire. De même, dans le climat de régionalisme ambiant, le fait de ne pas être un authentique
originaire de Butare constituait un handicap sérieux. Lorsqu'il fut nommé au cabinet du premier
ministre NSANZIMANA, de nombreux Butaréens, y compris au sein du MRND, s'étonnèrent
qu'il n'ait pas été possible de trouver un «vrai»
intellectuel butaréen pour représenter la
préfecture de Butare.
Par ailleurs, l'apparition
discrète de Pauline NYIRAMASUHUKO
parmi les membres du
comité préfectoral ne faisait que consacrer la fonction informelle de fonctionnaire-militante locale
en charge du MRND qu'elle occupait. Inconnue dans les instances légales du parti, elle était tout
simplement destinée à une carrière nationale de par la seule volonté du clan présidentiel (cf. supra
p. 46).
La radicalisation politique nationale qui marqua la fin de l'année 1992 puis surtout le début
de l'année 1993 (attaque de' Ruhengeri par le FPR) , se traduisit par de nombreux départs de
militants parmi les plus « ouverts». Au niveau du comité préfectoral, Jean-Gualbert RUMIY A,
professeur d'histoire à l'UNR, démissionna en novembre 1992,B5 Il était un des deux membres
tutsi du comité national avec Jacques BUSIRARE, commerçant à Kigali. Il démissionna du MRND
lorsque ce parti cautionna explicitement la ligne ethniste de la CDR en l'associant au sein d'une
alliance concurrente des FDC (Forces démocratiques
du changement),
l'Alliance pour le
renforcement de la démocratie. Au sein de l'ARD, la CDR était avec le MRND le seul parti ayant
une base militante notable. Avec la démission de J.-G. RUMIYA, le MRND n'avait plus de
responsable élu disponible et résidant à Butare. Les départs se multiplièrent, le parti n'arrivait plus
à pourvoir les cadres aux différents niveaux, puis l'affaiblissement
du MRND préfectoral
s'amplifia avec le décès de son chef, Amandin
RUGIRA, le 6 mai 1993. Si l'on ajoute
qu'Innocent
BUTARE déjà considéré comme un militant en retrait, ne se déplaca plus guère à
Butare du fait d'obligations professionnelles'", on constate qu'à la mi~1993, les instances élues ~
et légales ~ du parti MRND n'existaient plus.
D'après plusieurs témoignages recueillis, le MRND Butare ne pouvait guère compter sur plus
cl' une quinzaine de vrais cadres militants (gens influents ou disposant d'une assise populaire
personnelle) dont la moitié seulement étaient des Butaréens et l'autre des fonctionnaires du nord
presque tous employés à l'université. Rares étaient ceux qui avaient été proposé au suffrage
populaire même dans le cadre du parti unique et les moyens matériels qu'exigeait l'entretien
d'une base populaire étaient, à leur niveau, inexistants. Les deux rescapés du comité préfectoral,
RUNYINY A BARABWIRIZA et Pauline NYIRAMASUHUKO,
apparurent
alors comme les
derniers représentants du MRND ou porte-parole
autorisés du «parti du président» à qui il
revenait d'assurer l.a survie du parti. Après le décès d'Amandin
RUGIRA, Innocent BUTARE
assura la présidence par intérim du comité préfectoral de mai à juin 1993. En juin 1993, le
Congrès préfectoral
procéda
au remplacement
de son président
et élit RUNYINY A
BARABWIRIZA. Celui-ci, absent du fait de sa participation aux négociations dArusha",
ne
présida son premier congrès préfectoral qu'en janvier 1994.B8Les comités préfectoraux ne furent
as Jean-Gualbert RUMIY A a été ~ué à Butare entre le 20 et le 24 avril 1994. D'après nos informations,
son épouse,
ses deux fils et deux filles sont allés se réfugier dans la commune Mbazi avec l'aide du préfet Sylvain NSABlMANA. La
fille aînée est allée se cacher dans un.couvent de Butare, puis les religieuses l'ont priée de partir. Ses deux fils ont été
tués le lor ou le 2 juillet 1994 aux environs du monastère bénédictin de Sovu. Les tueries de Sovu ne se sont donc pas
arrêtées le 24 avril, date du départ des religieuses.
B~ Innocent
BUTARE était considéré comme un militant MRND assez atypique car, en dehors de sa participation aux
réunions publiques, il ne s'impliqua pas dans le recrutement direct des militants. Par ailleurs, il dénonçait publiquement
le régionalisme et les dirigeants qui voulaient se maintenir au pouvoir par la force, les atteintes aux droits de l'homme,
le non respect de la ligne officielle du parti, enfin, il avait publiquement déclaré que le rapprochement
avec la CDR était
une grave erreur politique. À la fin 1992, il démissionna
de son poste de directeur de l'OPRüVIA, pour rejoindre le
service d'appui à la coopération canadienne où il fut chargé des dossiers agriculture et environnement,
appui au secteur
privé, appui à la démocratisation au Rwanda et au Burundi. Les exigences du poste n'étaient donc plus compatibles avec
une activité officielle de cadre politique. Son absence de Butare à partir de la fin 1993 et le fait que toute sa famille et ses
proches étaient dans l'opposition
le firent considérer comme démissionnaire
du MRND, ce qu'il n'annonça jamais
officiellement.
&7 Il remplaça

Justin

MUNYEMANA

comme

participant

aux négociations

d'Arusha

relatives

au protocole

sur

l'Armée.
as Le 6 avril 1994, RUNYINYA BARABWIRIZA participait
au déplacement du président Juvénal HABYARlMANA à
Dar Es-Salaam et ne rentra pas avec l'avion présidentiel. D'après les informations que nous avons recoupées, il resta à
Nairobi et ne gagna Bukavu via Uvira que le 11 juillet. Il se rendit régulièrement dans la zone Turquoise à Cyangugu puis
s'installa à l'usine de thé de Gisakura, dont le directeur était comme lui un originaire de Gikongoro,
le 15 juillet. 1]
attendit ainsi, avec d'autres personnalités de l'ancien régime, l'arrivée du FPR avec lequel il négocia l'autorisation
de se
rendre à Kigali. Ville qu'il gagna en septembre sous la protection de la MlNUAR. Comme la plupart de ces candidats au

47

pas renouvelés par le congrès des 4 et 5 juillet 1993. D'avril 1992 à juillet 1994, les
renouvellements de membres furent donc décidés à l'échelon préfectoral au gré des conjonctures
(décès, départs volontaires ou contraints, etc.). Compte tenu de la défection ou de l'absence de
plusieurs des membres du bureau du comité préfectoral, Pauline NYIRAMASUHUKO, membre
de fait, continua à jouer un rôle décisif dans la continuation du MRND Butare.
La caricature publiée en première page du journal Vérités d'Afrique (n? 5 de février 1993, cf.
annexe 9, tome 3) illustrait très explicitement cet état des lieux. Sur ce dessin sous-titré «La
ministre NYIRAMASUHUKO a fermé les routes de Butare », Pauline NYIRAMASUHUKO, avec
l'aide de deux acolytes, Denis MUTAGOMA (MRNDICDR, hutu, Gisenyi, commune Karago),
juriste et chef du personnel du campus universitaire de Butare - à gauche - et RUNYINYA
BARABWIRIZA, professeur et ex-doyen de la faculté d'agronomie - à droite -, tentent de bloquer
l'accès du Guest House et du charroi de l'université
pour empêcher les personnels d'aller
travailler (déjà lors de cette manifestation, elle était accompagnée par son fils, étudiant). La
gravure raille l'isolement du MRND et l'activisme de la ministre. Accessoirement, cet épisode peu
glorieux met en exergue le. faible sens politique de l'intéressée. En effet, d'après plusieurs
témoignages, cette grève fut organisée lors d'un déplacement à l'étranger de son mari, recteur de
l'université, alors que la plupart des personnels, bien que majoritairement
pro-MRND, ne
voulaient pas prendre le risque de participer à une opération que ce dernier n'avait visiblement
pas prévue, ni donc cautionné. En outre, cette manifestation n'avait pas été autorisée par le préfet
et beaucoup de membres du MRND estimèrent qu'il ne fallait pas enfreindre la légalité alors que
le préfet accordait habituellement les autorisations de manifester à qui le demandait. Ils ne se sont
donc pas associés à une action vouée à l'échec, inutile et politiquement mal venue.
C'est dans ce contexte que Pauline NYIRAMASUHUKO
devint de facto la responsable
effective du MRND Butare et par voie de conséquence,
à l'échelon
national, membre
« permanent » du bureau
politique du MRND. On peut comprendre. les raisons de cette
omniprésence du fait du retrait ou de l'indisponibilté
des titulaires élus, mais dans un parti
maintenu sous une tutelle étroite de la présidence, l'analyse ne peut se limiter à cette seule raison
prosaïque. Aussi bien Innocent BUTARE que RUNYINYA BARABWIRIZA n'étaient
pas
« fiables» et si le titre de président leur revint, la présidence mit en piace à Butare un dispositif
similaire à celui de la préfecture de Cyangugu. Dans les deux cas, le président demanda à un
militant éprouvé et fidèle d'assurer la direction effective du MRND préfectoral. On laissa le titre à
Siméon NTEZIRYAYO à Cyangugu qui ne participait aux réunions d'aucune instance ou aux
activités militantes directes en le doublant par André NTAGERURA, ministre." Quant à Pauline
NYIRAMASUHUKO, elle conserva sa fonction de responsable du suivi politico-administratif
du
parti qui lui avait été confiée depuis son retour à Butare en janvier 1991 par le préfet Justin
TEMAHAGALI90• Ces deux préfectures stratégiques du sud (Agathe UWILINGIYIMANA
et
Faustin TWAGIRAMUNGU, respectivement premier ministre et premier ministre désigné, étaient
les originaires les plus détestés par la mouvance présidentielle) étaient donc gérées en tutelle
directe par le président HABYARIMANA. Si l'on ajoute les réunions spécifiques des ministres du
MRND, on peut sans réserve conclure que la ministre de la Famille et de la Condition féminine
figura parmi les membres les mieux informés de l'appareil politique central de la mouvance
présidentielle. Elle figura aussi parmi les acteurs majeurs de la sphère politique butaréenne (cf.
agenda PN, tome 2).

retour, il fut arrêté à l'arrivée. Certains furent assassinés, d'autres emprisonnés puis libérés (B. RUCAGU passa par
exemple deux ans dans des camps militaires). Son épouse, elle aussi arrêtée, décéda du fait des conditions de sa
détention. Quant à lui, il séjournait toujours, huit ans après, à la prison de Karubanda à Butare, sans aucune instruction
du moins jusqu'au début de l'année 2003. Faute de crimes tangibles à lui imputer, il semble que sa réputation d'émissaire
le plus dur de la délégation MRND lors de la négociation des accords d'Arusha ait suffi à le classer parmi les
« génocideurs » de la première catégorie.
S? Cf. André Guichaoua, Le cadre politique
de la préfecture de Cyangugu avant les massacres et le génocide d'avril
1994, TPIR, Arusha, octobre 2000, § 3.1. et 3.2.
?O Cf. supra encadré n" 1, p. 27.
48

Pauline

Tableau n° 3 : Principales réunions politiques auxquelles
NYIRAMASUHUKO
participa
entre le 1 janvier et le 6 avril 1994
0r

1. Liste non exhaustive des réunions de mobilisation politique dans la préfecture de Butare
• 9 janvier:

congrès du MRND, commune Maraba

+ réunion ressortissants de la paroisse Gisagara

(agenda PN, 09/01)
.21 janvier: réunion avec Eugène RW AMUCYO, professeur UNR CUB (agenda PN, 21/01)
• 23 janvier
réunion
Congrès
communal
du MRND
à Gisharnvu
avec Théodore
SINDIKUBWABO (agenda PN, 16, 18, 19 (bas), 20, 21,22,23 et 24 janvier)
.28 janvier: congrès préfectoral du MRND Butare en présence du Président Matthieu NGIRUMPATSE
et de Théodore SINDIKUBWABO (agenda PN, 6-8/01)
• 30 janvier: congrès communal du MRND à Muyaga (agenda PN, 30/01)
• 15 février: réunion des Abanyabutare (ressortissants de Butare) du MRND à Kigali (agenda PN, 15/02)
.2 mars: réunion MRND Butare ville (agenda J'N, 2/03)
• 15 mars: réunion des Abanyabutare du MRND au Méridien à Kigali (agenda PN, 10/01)
.26 mars: réunion du comité préfectoral du MRND Butare (agenda PN, 24-25/03, t7-20/03)

2. Réunions des instances nationales du MRND (bureau politique) et réunions des ministres MRND
• Samedi I " janvier: réunion du bureau politique élargie aux ministres et députés issus du MRND :
ordre du jour : GTBE (agenda PN, 01/01)
• Dimanche 2 janvier:
(date incertaine) réunion (des responsables du MRND ?) avec le président de la
République (agenda PN, 02/01)
• Mardi 4 janvier: entrevue Pauline NYIRAMASUHUKO
et Joseph NZIRORERA, secrétaire général du
MRND : débat sur la composition partisane du GTBE et de l'ANT (agenda PN, 4/01)
• Lundi 10 janvier: bureau politique du MRND:
fermeté politique, réaction des partis associés, soutien
à RTLM (agenda PN, 10/01)
• Vendredi 14 janvier: réunion des ministres MRND (agenda PN, 14(01)
• Mercredi 19 janvier: réunion du bureau politique + des ministres du MRND + directeurs de cabinet
(agendaPN,19/01)
• Vendredi 4 février: réunion des ministres MRND + directeurs de cabinet (agenda PN, 4/02)
• Mercredi 9 février: réunion du bureau politique du MRND (agenda PN, 9/02)
• Lundi 21 février: réunion bureau politique du MRND (agenda PN, 21/02)
• Mardi le' mars: réunion bureau politique du MRND (agenda PN, 1"'/03)
• Vendredi Il mars: réunion des ministres MRND (agenda PN, 11/03)
• Mercredi 16 mars: réunion bureau politique du MRND + ministres (agenda PN, 16/03)
• Mardi 22 mars: réunion du bureau politique du MRND (agenda PN, 22/03)
• Samedi 2 avril: réunion des ministres du MRND pour la mise en place du GTBE (agenda PN, 2/04)

Mentionnons encore deux Butaréens non-résidents qui jouèrent un rôle politique remarqué sur
la scène préfectorale. Le premier, Kantano HABIMANA, originaire de la commune Muyaga,
figurait parmi les membres élus du comité préfectoral du MRND rénové. Il était journaliste à
l'ORINFOR avant d'être recruté par le MRND pour travailler au journal Umurwanshyaka pour
lequel il couvrait la vie des partis politiques dans les préfectures du sud surtout à Butare. n
séjournait ainsi régulièrement
à Butare Ville pour la recherche
des informations.
Son
comportement
et ses tenues extravagantes le firent partout remarquer:
il lui arrivait de se
promener en ville habillé d'une longue tunique aux couleurs du MRND et de se mêler aux gens
des autres partis, comme pour les défier. Il se fit connaître aussi comme un supporteur
inconditionnel de l'équipe de football Rayons Sports. Lors de la création de la radio RTLM, il en
devint journaliste présentateur et sa présence à Butare se fit plus rare.
Le second, Callixte KALIMANZIRA (MRND, hutu, Butare, commune Muganza) (cf. infra
encadré n° 3, p. 51) était un ancien fonctionnaire du ministère de l'agriculture. Il fut transféré à la
mi-1991 à la présidence de la République où il intégra le groupe des relais de l'akazu. Il fut
ensuite nommé secrétaire général du ministère de l'Intérieur en janvier 1992 suite au décès
d'Innocent
NDINDABAHIZI, puis directeur de cabinet du ministre (arrêté présidentiel du 23
49

septembre 1992). Ce poste était stratégique sur le plan de l'information
et du suivi des dossiers
politiques. A cette époque, c'était le « ségéral » (secrétaire général) qui dirigeait effectivement le
ministère sous la responsabilité du ministre et qui prenait les décisions en son absence. Avec la
mise en place du gouvernement pluripartite en avril 1992, l'organisation
des ministères fut
bouleversée et le poste de secrétaire général disparut. La direction politique revint au cabinet du
ministre composé d'un directeur et de conseillers alors que la gestion administrative incombait au
directeur général (Aloys NGENDAHIMANA, MRND, hutu, Ruhengeri). Selon leur profil plus
technique ou plus politique, les {{ségéraux » occupèrent les fonctions de directeur de cabinet ou
de directeur général, même si dans les faits la confusion des tâches demeura souvent forte.
Comme directeur de cabinet, il assura, à partir du ministère de l'Intérieur à Kigali, un rôle crucial
pour appuyer le MRND dans les deux préfectures difficiles du sud (où l'ex-parti unique était
donc « pauvre» en moyens) et gérer au mieux une administration territoriale majoritairement
hostile. Il se rendait régulièrement à Butare pour des raisons familiales, professionnelles
et
partisanes. En tant que haut fonctionnaire du ministère de l'Intérieur, les motifs de déplacement
étaient nombreux à une époque où les partis d'opposition
contestaient fréquemment les décisions
des autorités locales et réclamaient le départ des préfets, sous-préfets, bourgmestres.,.
Il Y
rencontrait Pauline NYIRAMASUHUKO pour effectuer ensemble des « descentes sur le terrain »,
Mais c'est surtout après le 6 avril que les habitants de Butare se sont posé des questions sur la
fréquence des déplacements de Callixte KALIMANZIRA.

50

Encadré

n° 3:

Callixte

KALIMANZIRA

Né en 1953 en préfecture de Butare, commune Muganza.
Titulaire du diplôme d'ingénieur agronome délivré par l'UNR le 12 juillet 1981Affecté au ministère de l'agriculture à compter du 30 décembre 1981, il fut détaché à l'lNADES,
or
organisme de formation, comme chef de projet de recherche-action agro-piscicole de Kirarambogo, Le l
août 1985, il fut nommé" délégué général de cette organisation pour la préfecture de Gisenyi et ce
Ruhengeri. Il «réalisa un travail remarquable» autant sur le terrain que « dans les relations avec les
autorités et nos partenaires. C'est probablement ce qui explique sa nomination comme sous-préfet. »
(Bulletin de signalement du 2 septembre 1986). Nommé à Butare en juillet 1986 comme sous-préfet ce
préfecture chargé des Affaires administratives et juridiques, il bénéficia aussitôt d'une opportunité
exceptionnelle en assurant l'intérim du préfet Emmanuel RUZ1NDANA pendant plus de six mois à partir
du 18 mai 1987.
.

du

Après la nomination
préfet Frédéric KARANGW A le 27 novembre 1987, le ministre jugea que
Callixte KALIMANZIRA, qui avait imaginé être confirmé dans le poste, ne pouvait reprendre ses
fonctions de sous-préfet de préfecture sous les ordres ct' un novice titulaire d'un même diplôme d'ingénieur
agronome et simplement issu de la promotion précédente de 1980. Il fut donc muté à Byumba et nommé
sous-préfet de sous-préfecture à Ngarama par arrêté présidentiel du 7 janvier 1988. Il travailla alors sous
l'autorité du préfet Faustin MUNY AZESA. Le 29 août 1989, il demanda son retour au ministère ce
l'agriculture et fut nommé le 7 septembre responsable de J'unité opérationnelle de Ruhango. Il n'occupa
ce poste que quelques mois et fut promu, le 30 mai 1990, coordinateur des services agricoles de la
préfecture de Kigali sous les ordres du préfet Emmanuel BAOAMBIKl
Le 17 avril 1991, Callixte KALlMANZIRA, promu au grade de directeur, fut transféré du ministère ce
l'agriculture à la présidence de la République et affecté à la section développement rural. Son passage, ce
courte durée, fut fort apprécié par ses supérieurs car moins d'un an après, il était commissionné au grade
de secrétaire général et affecté à ce poste au ministère de l'Intérieur et du Développement communal (arrêté
présidentiel 37/04 du 23 janvier 1992 et approbation du nouvel organigramme du MININTER par le
conseil des ministres du 27 janvier 1992 in Lettre du ministre de l'Intérieur aux directeurs et chefs ce
division du 31 janvier 1992). Dès la mise en place du premier gouvernement pluripartite, le poste ce
secrétaire général étant supprimé, il devint le directeur de cabinet du ministre Faustin MUNYAZESA et
«s'acquitta
de ses fonctions avec un dévouement et un sens des responsabilités à soutenir et à
encourager» (Bulletin de signalement du 30 août 1993).

À partir du 7 avril 1994, il assura l'intérim du ministre de l'Intérieur qui, membre de la délégation
présidentielle qui se rendit à Dar Es-Salaam le 6 avril, refusa de reprendre son poste et ne revint pas au
Rwanda après l'attentat contre l'avion présidentiel. Jusqu'au 22 avril, Callixte KALIMANZIRA signa
tous les communiqués et ordres ministériels au nom du ministre absent. Il crut, là encore, pouvoir être
confirmé dans le poste, mais le 01 nomma finalement Édouard KAREMERA comme ministre en titre.
Maintenu dans ses fonctions de directeur de cabinet, Callixte KALIMANZlRA conserva de larges
prérogatives et, du fait de sa proximité avec les deux têtes butaréennes de l'exécutif, il assura la
supervision centrale des massacres dans la préfecture de Butare tout comme le suivi de terrain dans les
communes.
Il dut néanmoins attendre la débâcle militaire et la fuite à l'étranger pour que son dévouement soit
enfin récompensé par un titre honorifique. Lors de la mise en place du «gouvernement
rwandais en
exil », le 1or novembre 1994 à Bukavu, il obtint le poste le plus important, celui de ministre des Affaires
sociales et des Réfugiés. Ce gouvernement fut considéré comme dissous de facto le 23 mars 1995 lors ce
la mise en place du RDR, Rassemblement pour le retour des réfugiés et la démocratie au Rwanda. La
majorité des ministres contestèrent cette décision et maintinrent l'existence -largement formelle - du 01,

Pour conclure ce panorama de la difficile situation de l'ex-parti unique, signalons cependant
que, d'une manière générale, le transfert des militants vers d'autres formations ne s'accompagnait
pas nécessairement d'une évolution hostile envers les positions et attitudes politiques dont le parti
d'origine était porteur (système de valeur, pratiques militantes, clientélisme, sectarisme). Pour peu
51

que les inimitiés liées aux personnes soient surmontées, la réversibilité des engagements était
aisément envisageable. La longue expérience d'encadrement
des populations que le MRND avait
acquise au fil des ans sous le régime du parti unique lui conférait une image sécurisante, De
même, son implantation dans la ville de Ngoma demeurait prépondérante
grâce aux relais
maintenus dans l'administration préfectorale et dans les établissements publics les plus importants
(UNR, SORWAL, ... ) qui lui assuraient des moyens sans équivalent par rapport aux. autres partis.
Le MRND conservait une assise forte «par le sommet ». Assise qui n'aurait certainement pas
permis de surmonter l'épreuve d'élections
au suffrage populaire, mais qui lui permettait de
conserver une influence forte dans le cadre des structures qui devaient se mettre en place avec les
institutions de transition, S'il avait perdu la plupart de ses bourgmestres et le poste de préfet, il
conservait des positions inexpugnables parmi les sous-préfets et les personnels administratifs, ainsi
que la majorité au conseil préfectoral de sécurité (justice, renseignement, représentants des services
de l'Etat, cf. annexe 10, tome 3). A ces niveaux, le suivi de la fidélité des engagements était assuré
par le très discret Séraphin BARA~ENGANA91 et le noyau des exécutants de 1'akazu (A.
HIGANIRü, C. KALIMANZIRA). A la base par contre, malgré les pressions des responsables
préfectoraux et des membres de l'administration
territoriale", comme le dit un des ex-activistes
nordistes du parti: « le MRND à Butare était peu actif, il avait des difficultés. Ses membres avaient
peur des militants de l'opposition, il s'est donc organisé clandestinement. »
3.2.2. La coalition pour la défense de la république

(CDR)

Parmi les autres partis de l'Alliance pour le renforcement
de la démocratie (ARD), seule la
CDR, qui n'hésita pas à se démarquer à maintes reprises du MRND jugé trop conciliant vis-à-vis
de l'opposition
et du FPR, se manifestait à Butare. Formellement, la CDR ne regroupait
localement qu'un effectif infime de membres. Lors du dépôt des statuts de ce parti le 16 mars
1992, les militants fondateurs originaires ou résidant à Butare ne furent pas nombreux. Sur 51
membres signataires, la liste ne comportait que trois noms d'originaires
de Butare, et deux
membres seulement résidaient dans la préfecture : Callixte MIRASANü, originaire de Ruhengeri,
directeur de la laiterie de Nyabisindu et Célestin HIGIRO, natif de Butare, commune Kigembe, et
médecin. Ce dernier se comporta cependant comme un militant marginal.
En fait, la CDR de Butare, dont le président, Siméon REMERA, était assistant médical au centre
psychiatrique de Butare, préférait rester dans l'ombre et agissait par l'intermédiaire
de militants
du MRND ou d'autres partis (cf. infra § 4.2, p. 70 ; § 5.3., p. 84 ; § 6.1., p. 88 sqs). C'est Siméon
REMERA qui représentait personnellement
la CDR lors des réunions du comité préfectoral de
sécurité comme l'indiquent
les procès-verbaux
des années 1992-1994. Le vice-président
préfectoral, Jean-Baptiste KAGABü, ex-bourgmestre
«historique»
de Mbazi", adopta un profil
bas jusqu'en avril 1994. On notera encore les sympathies déclarées de deux députés MRND,
Bernadette MUKARURANGWA et Laurent BARAVUGA94,
ainsi que l'engagement
actif de
95
membres apparentés à des personnalités militant formellement au MRND , comme Alphonsine
MUKAKAMANZI,
épouse d'Alphonse
HIGANIRO, directeur de la SORW AI}\ oU Thaddée
KWITONDA, beau-frère de Pauline NYIRAMASUHUKO,
un des dirigeants de la CDR, employé à
la BNR à Kigali. Il s'installa à Butare au début des massacres, où il fut surnommé « le Colonel », Il

~ 1 Selon
de nombreux interlocuteurs, la prééminence incontestée de celui qui «faisait
les carrières » politiques des
Butaréens depuis son arrivée à Butare en 1978 n'avait pas été affectée par la mise en place du multipartisme.
n Après l'instauration
du multipartisme,
les conseillers
de secteurs et les anciens membres des comités de cellule
continuaient à recevoir automatiquement les formulaires de renouvellement de cotisation.
9) Élu et réélu lors des scrutins
de 1963, 1967 et 1971, il resta en fonction jusqu'au début de la seconde République
en 1974. Il fut récompensé de ses mérites de bourgmestre
en étant nommé sous-préfet de préfecture à Kigali du 22
novembre 1974 au 4 avril 1976, puis de Gisenyi du 10< avril 1979 au 2 mars 1980. Ses tentatives de se faire élire comme
parlementaire au CND se soldèrent néanmoins par des échecs aussi bien en 1981 qu'en 1983. Il ne renouvela pas sa

candidature en 1988.
94 D'après
plusieurs témoins, Bernadette MUKARURANGWA
revendiquait ouvertement son appartenance à la CDR,
alors que Laurent BARAVUGA maintenait publiquement l'ambiguïté
«MRND/CDR >'.
95 Cette pratique de la délégation
familiale s'était largement
répandue avec la fin de la période du parti unique.
Lorsqu'elles étaient sollicitées pour la signature de tracts, l'adhésion
à des associations,
le versement de cotisations,
etc., les personnalités
connues, qui ne souhaitaient
pas être elles-mêmes
explicitement
mentionnées,
préféraient
souvent donner le nom de membres de leurs familles.
%
Très engagée dans les tribunes publiques locales,
elle fut particulièrement
crainte au sein d'Électrogaz,
établissement dont elle était salariée, où de nombreux fonctionnaires,
hostiles à la CDR, furent inquiétés. Elle n'y était
pourtant en charge d'aucune fonction particulière ou tâches professionnelles,
excepté l'usage personnel intensif d'une
ligne téléphonique spéciale.

52

s'enfuit vers Bukavu avec un véhicule de l'UNR lors de l'évacuation
l'établissement. Il était, encore récemment, enquêteur salarié du TPIR.

des responsables

de

Au niveau des communes, deux d'entre elles étaient dotées de groupes structurés de militants.
La première était celle de Nyabisindu où, malgré une opposition déterminée des autorités
communales, la CDR disposait d'une implantation
militante rémunérée via la direction de la
laiterie. Elle bénéficiait aussi d'un soutien ouvert du commandant de la compagnie territoriale de
gendarmerie de Nyabisindu, le capitaine BILIKUNZIRA
(hutu, Gitarama). Bien que son unité
territoriale relevât du commandement
du Major Cyriaque HABY ARABATUMA, il n'en
reconnaissait que formellement l'autorité. La commune Maraba venait en second lieu. Là encore,
sans soutien du bourgmestre, la CDR locale s'appuyait sur les miliciens de la commune voisine de
Kinyamakara en préfecture de Gikongoro.
Dans cet environnement hostile, la stratégie de la direction préfectorale du MRND Butare et de
ses alliés dans les mois qui précédèrent la reprise de la guerre et le génocide consista
essentiellement à sortir de leur isolement. D'un coté, le MRND continuait à entretenir des relations
avec ses propres transfuges dont en premier lieu ses ex-bourgmestres comme celui de Ngorna.qui
jouait publiquement la carte de la double appartenance.
De l'autre, il renforçait ses liens avec les
fractions Power des partis d'opposition,
notamment le MDR dont la majorité des dirigeants
locaux étaient ouvertement acquis aux thèses défendues par la mouvance présidentielle et les
jeunesses du PSD. Insistons néanmoins sur le fait que ces arrangements et les subtilités des
clivages politiques, recouvrant généralement des inimitiés personnelles, échappaient à la majorité
des membres locaux des partis. La mise en place des institutions de transition déclencha des
compétitions exacerbées .entre les personnels politiques au sein des états-majors des partis pour
occuper des postes ou les conserver. Tous les partis politiques démontrèrent alors le peu de
considération qu'ils accordaient à leurs membres dans les préfectures. Membres qui n'étaient ni
consultés, ni informés.
Parallèlement, le MRND appuyait la structuration d'organisations
relais tels les lnterahamwe
qui agissaient comme une «force d'intervention})
du MRND (protection des militants, service
d'ordre des manifestations, appui musclé aux autorités communales restées fidèles au MRND,
etcf7 et la CDR, qui faisait fonction d'aile radicale du MRND. Dans la pratique, seuls les
originaires des préfectures du nord s'affichaient ouvertement comme partisans de la CDR lors de
l'organisation de meetings, la plupart des autres militants butaréens maintenaient l'ambiguïté de
l'appellation MRND/CDR' ou préféraient demeurer en retrait en attendant que le jeu politique se
clarifie après l'entrée en scène du FPR.
3.3. Les forces démocratiques

du changement

(FDC)

En ce qui concerne les partis d'opposition,
trois seulement bénéficièrent d'une implantation
militante significative à Butare : le MDR, le PSD et le PL. Le PDC et le PSR n'eurent guère
d'activité publique. Si tous les nouveaux
partis disposèrent immédiatement
de dirigeants
charismatiques et de tribuns auxquels leurs partisans pouvaient s'identifier, la position des
multiples partis d'opposition n'était pas similaire.
3.3.1. Le mouvement démocratique

républicain

(MDR)

Pour le MDR, les effets de mémoire pouvaient suffire à ressusciter l'adhésion de familles et
lignages pour lesquels la fin de la tutelle des élites du nord était assimilée à une seconde
indépendance. Dans un premier temps au moins, alors que les querelles de leadership, relevant
souvent de rivalités personnelles, battaient leur plein au sein du MDR, peu d'efforts furent ·faits
pour proposer un programme et une idéologie politiques inédits. Le mot d'ordre kubohoza (la
« libération ») dans son schématisme
voire sa brutalité résumait parfaitement l'objectif et la
stratégie: chassez les actuels tenants du pouvoir!
De même, au niveau de l'administration
territoriale, le ralliement au MDR ne posait guère de
problème notamment dans les préfectures où les références MDR-PARMEHUTU
demeuraient
vivaces. Le basculement des cadres locaux comme celui des populations s'opéra sans trop de
97 « La force, c'était dans l' lnterohamwe,
ce n'était pas [dansl le MRND, (qui) était pour le papa, et puis [pour l le
fils, les forts, c'était v tnterahamwe.»
déclara très justement une importante personnalité butaréenne.

53

difficulté partout où le MDR s'imposa « naturellement»
comme le parti dominant Pour autant, si
I' opposition à un régime usé et autoritaire fournissait une large base de rassemblement, aucune
démarcationJondamentale
n'avait fait l'objet d'un travail politique particulier sur le thème de
lethnisme. A partir de février 1993, date de l' importante offensive de l'APR sur Ruhengeri qui
suscita des centaines de milliers de déplacés dans les préfectures du nord jusqu'aux
portes de
Kigali, tous les militants du MDR commencèrent à reconnaître la difficulté, voire l'incapacité à
faire passer leur ligne politique sur la question
de l'alliance privilégiée de l'opposition
démocratique avec le FPR. Rien ne permettait de penser que la base sociale ancienne du MDR
avait des raisons de se démarquer idéologiquement de celle du MRND sur les relations Hutu/Tutsi.
La plupart des notables MDR dans les communes rurales étaient des anciens Barwanashyaka du
MDR-PARMEHUTU qui, notamment sur la question ethnique, avaient souvent des difficultés à
assimiler le nouveau discours des cadres urbains diplômés. Ceux-ci, qui formaient le noyau
dirigeant du nouveau parti, s'appuyèrent
immédiatement
sur cette clientèle historique mais
n'effectuèrent
pas un effort doctrinal militant comparable
à celui des cadres du PSD
particulièrement dans les zones rurales où le clivage politique se cristallisa entre les partisans de la
continuité du MRND et les partisans « du changement ». Par ailleurs, dans la préfecture de Butare,
le MDR était fort à Butare Ville en milieu intellectuel, mais ne disposait guère d'une implantation
militante rurale. Enfin, son encadrement était faible en natifs et résidents.
Le MDR avait mis en place un comité directeur provisoire en 1991 qui organisa en 1992
l'élection d'un comité directeur préfectoral. La composition de celui-ci, qui donna lieu, comme
nous l'avons décrit précédemment (cf. supra § 2.6, p. 35) à un affrontement violent entre Agathe
UWlLINGlYIMANA et Jean KAMBANDA, demeura inchangée jusqu'en 1994 même si dans les
faits, les deux tendances Power et ({ TW AGIRAMUNGU))
ne travaillaient plus guère ensemble
depuis la mi-1993.

Tableau n° 4: Comité directeur

préfectoral du MDR Butare (l992)

UWILlNGIYIMANA Agathe (hutu, Butare, commune Nyaruhengeri)
KAMBANDA Jean (hutu, Butare, commune Gishamvu)
NIYONZIMA Faustin (hutu, Butare, commune Maraba)
SEMWAGA Félix (hutu, Gitarama, commune Bu/inga)

Présidente
Vice-Président"
Secrétaire"

Trésorier

La compétition entre les deux leaders locaux fut toutefois déséquilibrée, du fait de l'inégale
disponibilité entre les militants résidant et ceux qui étaient installés à Kigali. En effet, si Jean
KAMBANDA, membre de la direction des Banques populaires, n'était pas plus présent à Butare
au cours de la semaine qu'Agathe UWlLINGIYIMANA,
ministre puis premier ministre, il pouvait
disposer sur place de relais totalement acquis.
Agathe UWILINGIYIMANA perdit en fait le contrôle effectif du MDR Butare après le décès
d'Ignace SENDAMA au début du mois de janvier 1994. Ce dernier, originaire de la même
commune qu'Agathe UWILINGIYIMANA,
était chirurgien à l'hôpital universitaire et vice-doyen
de la faculté de médecine et fut considéré comme le vrai responsable du MDR lors de sa création
à Butare. Membre du petit noyau initial des fondateurs butaréens, il était le penseur du groupe et
rédigeait des notes d'orientation pour la direction nationale. Sa position professionnelle, son aura
intellectuelle et son rayonnement
personnel
dans la préfecture faisaient de lui l'élément
déterminant dans les équilibres au sein du parti à Butare. Le soutien efficace et fidèle qu'il
apportait à Agathe UWILINGIYIMANA neutralisait l'influence de Jean KAMBANDA et de ses
partisans qu'il dominait intellectuellement.
C'est lui qui «tenait la maison » en l'absence
d'Agathe. Avec son décès, les intellectuels et les enseignants perdirent leur porte-parole et Jean
KAMBANDA s'imposa principalement avec le soutien des militants cadres de l'administration
territoriale, soumis à la double pression des partis d'opposition et du MRND, et celui des milieux
commerçants. Ce MDR « populaire» servit alors de facto de couverture au MRND sans l'afficher.
En fait, sa pratique politique sur le terrain n'était plus celle qui était affichée et que défendait
~B
Dans un courrier du 18 janvier 1992 (c'est-à-dire
avant l'élection
du bureau préfectoral
de Butare), Jean
KAMBANDA signa comme " président de la commission des Finances du MDR national" et « président
du comité dll

MDR de Butare ».
~? Professeur au groupe scolaire de Butare.
54

Agathe UWILINGlYIMANA
à r échelle nationale.
Sans meneur
local auquel se référer, les
nombreux militants qui hésitaient furent alors entraînés progressivement
par les partisans du MDR
Power de Jean KAMBANDA qui apparaissait sur place comme l'homme
fort du parti et qui
disposait en outre de l'argent
des grands commerçants
non-butaréens (Félix SEMWAGA, Isaac
MUNYAGASHEIŒ,

3.3.2.

... ).

Le parti social-démocrate

(PSD)

Pour les autres grands partis de l'opposition,
la question de leur ancrage idéologique
et de leur
rayonnement
était à la fois plus simple et plus complexe
que celle du MDR. D'un côté, elle était
plus simple car ces nouveaux partis proposaient un ensemble
de références
politiques considérées
comme inédites. Sans rechercher des références dans le passé, ils proclamaient
des ruptures fortes
avec l'ordre
présent (régionalisme,
arbitraire
politique,
misère rurale)
et se projetaient
dans
l'avenir.
Pour le PSD, et a fortiori pour le PL, la démarcation
avec l'ethnisme
anti-tutsi fut une
constante

en 1991-92.

Dans la préfecture
de Butare où les métissages
ethniques
étaient banalisés, cette approche
suscita bien évidemment
l'adhésion des populations tutsi mais aussi, plus largement, de tous ceux
et celles pour lesquels ce clivage n'était plus d'actualité.
Parmi eux, les jeunes scolarisés et les
nouvelles
élites intellectuelles
adhérèrent
majoritairement
à ces deux partis. Ainsi, de la même
manière
que la préfecture
de Gitarama
se reconnut
dans le MDR, celles de Butare et de
Gikorigoro, l'ex-Àstrida,
se reconnurent
dans le PSD et les deux opposants
historiques
qui en
prirent la tête, Félicien GA TABAZI et Frédéric NZAMURAMBAHO.
« Les initiateurs du PSD ont d'abord participé aux réunions préparatoires organisées à Kigali et visant
la rénovation de l'ancien MDR. Mais rapidement des divergences apparurent entre ceux qui voulaient
purement et simplement actualiser les statuts du MDR·PARMEHUTU
en essayant de rassembler les gens
du sud et du nord opposés au MRND et ceux qui souhaitaient opérer une rupture avec le passé de la
première République. Ces derniers redoutaient le risque d'être considérés comme des nostalgiques du passé.
Lorsque le compromis de changer le nom du MDR (Mouvement démocratique républicain) en PDR (Parti
démocratique républicain)
fut rejeté, les gens du sud, à l'exception
notable de Faustin
TWAGIRAMUNGUlOO, décidèrent de créer le PSD (Parti social-démocrate) qui, sans l'écrire, se voulait
être le défenseur des intérêts du sud contre la suprématie du nord.
À Butare, la création du PSD fut accueillie avec beaucoup d'enthousiasme aussi bien par les élites que
par les ruraux, par les Tutsi et par les Hutu. La première personnalité à quitter officiellement le MRND
pour adhérer au PSD fut le député Jean BAPFAKURERA. Dans la ville de Butare, les premiers adhérents
102
furent Pierre-Claver RWANGABO'o, et Charles NTAKIRUTINKA.
Puis d'autres fonctionnaires et
commerçants quittèrent progressivement le MRND pour adhérer au PSD. Incapables de prononcer ce sigle
trop français, beaucoup de gens l'appelaient «le parti de GATABAZI », Pour eux, enfin, le martyr
ressuscitait et le sud allait connaître sa revanche sur le nord, bouter dehors HABYARIMANA et son
régime, et chasser tous ces fonctionnaires du nord occupant des postes de responsabilités à Butm-e et les
faire retourner chez eux. Dans les réunions publiques, il suffisait de sortir la liste de ces fonctionnaires ch.t
nord pour que les adhérents du MRND déchirent publiquement les cartes que le parti avait distribuées à la
population avec beaucoup de légèreté, il est vrai. Le PSD était tellement sûr de sa supériorité à Butare que
lorsqu'on lui demanda de désigner un candidat pour être préfet à Butare ou à Kibungo, le choix se porta sur
Kibungo où il pourra plus tard réussir une percée significative mais non décisive, » (témoignage)

Le PSD
implantation
nombreux

100

devint le premier parti de l'opposition
à l'échelle de la préfecture avec une forte
urbaine
et rurale.
Il incarnait
l'exigence
de renouvellement
et récupérait
de
militants

du MRND.

Celui-ci estimait qu'iJ y avait déjà trop de personnalités

d'envergure affichant des ambitions nationales pour

s'imposer.
101 Pierre-Claver
RWANGABO, devenu préfet de Butare après l'arrivée au pouvoir du FPR fut assassiné par des
militaires de 1'APR le 4 mars 1995.
102 Depuis le 20 avril 2002,
il est emprisonné à Kigali et accusé d'atteinte à la sûreté de J'État par les nouvelles
autorités, Il avait quitté le bureau politique du PSD, qu'il estimait totalement aligné sur les positions du FPR, pour
participer à la création d'un nouveau parti avec I'ex- président de la République, Pasteur BIZIMUNGU, qui dut
démissionner de son poste en mars 2000.
55

Tableau n" 5: Comité régional

du PSD Butare (élu en janvier

1994)

Dr NDINDABAHIZI Jean-Chrysostome (hutu, Butare, commune Nyakizu), président'?'
MULINDAHABI Charles (hutu, Butare, commune Rusatira), let vice-président'?'
Dr NSABUMUKUNZI Straton (hutu, Butare, commune Kibayi), 2e vice-président
NSENGlMANA Justin (hutu, Butare, commune Gishamvu), trésorier!"
NDUNGUTSE François (hutu, Butare, commune Shyanda), secrétaire!"

Charles MULINDAHABI, Justin NSENGIMANA, appuyés par Frédéric NZAMURAMBAHO,
107
formèrent le trio qui soutenait la tendance nationale anti-MRND.
À l'inverse, François
NDUNGUTSE commença très tôt à afficher ouvertement
des positions Power que certains
qualifièrent de PSD/CDR. Quant à lui, Jean-Chrysostome
NDINDABAHIZ1, évita de choisir
clairement
un camp même s'il
s'affichait
comme
un opposant
déclaré
du préfet
HABY ALIMANA avec lequel il soutenait, contre toute vraisemblance, avoir été en compétition
pour l'obtention du poste.!" Originaire de la commune de Nyakizu, prise en main par le
bourgmestre extrémiste Ladislas NTAGANZW A (MDR) et ses miliciens, il était soumis à une
pression politique permanente.
Mais la faiblesse principale du PSD tint justement à sa volonté de faire de Butare son bastion
régional. Il y gagna des ralliements opportunistes avec les notables qui attendaient un rendement
immédiat de leur conversion (postes de conseillers de secteurs, de bourgmestres, emplois dans les
administrations, candidatures de députés, ... ). Par contre, il n'avait guère de relais similaires hors
de Butare et Gikongoro, même si son rayonnement débordait sur les autres préfectures du sud.
En fait, le PSD était totalement identifié aux préfectures du sud dont toute sa direction était
originaire. Son président, Frédéric NZAMURAMBAHO
était natif de Gikongoro ; le premier viceprésident, Félicien NGANGO, de Kibungo ; le deuxième vice-président, Théoneste GAFARANGA,
de Gitarama et le secrétaire général, Félicien GATABAZI, de Butare.'?' Il n'est pas trop fort de

103 Jean-Chrysostome
NDINDABAHI.ZI resta membre du MRND jusqu'en 1993 avant de rejoindre le PSD. Il accéda
presqu'aussitôt à la présidence du comité régional, fonction assurée jusqu'alors par Charles MULlNDAHABL
10. Charles MULINDAHABI
était fonctionnaire à la préfecture de Butare. Précédemment en poste à la sous-préfecture
de Gisagara, il avait été muté suite à une condamnation pour séquestration du sous-préfet Dominique NTAWUKUUY AYO

en mars 1992.
lOS Directeur du projet DGB. Le nom de Justin NSENGIMANA

figure sur les documents enregistrés

par le ministère

de

l'Intérieur, mais il ne remplit pas les fonctions.
106 Lors de son accession à la présidence
nationale du parti en avril 1994, il fut remplacé par Faustin RUTAYlSllŒ
qui fut ensuite nommé sous-préfet de préfecture chargé des Affaires économiques et techniques en mai 1994.
10? Parmi eux, seul Justin NSENGIMANA
survécut aux massacres de 1994.
lOS Jean-Chrysostome
NDINDABAHIZl convoitait en fait un poste de député de Butare dès lors que des élections
seraient organisées au suffrage universel.
100 Les alliances et arrangements
qui conduisirent à la mise en place des instances du PSD illustrèrent à J'évidence la
tension permanente entre ce qui fut conçu et demeura « le parti de GATABAZI}} et la nécessité, légale et politique, de
bâtir un parti au rayonnement national implanté dans l'ensemble
des préfectures. Lors de la mise en place du PSD,
Félicien GATABAZI et Frédéric NZAMURAMBAHO constituèrent
par cooptation un comité politique provisoire de 18
membres, hutu et tutsi, qui étaient tous natifs du sud. Au noyau des originaires de Butare et Gikongoro
[Charles
NfAKIRUTINKA (hutu, Gikongoro),
Pierre-Claver RWANGABO (hutu, Butare), Félicien GATABAZ! (hutu, Butare],
Frédéric NZAMURAMBAHO (hutu, Gikongoro),
Dr Jean-Chrysostome
NDINDABAHIZl (hutu. Butare), Charles
MULINDAHABI (hutu, Butare), Justin NSENGIMANA (hutu, Butare), Thomas KABEJA (tutsi, Kigali),
Jean-Marie
Vianney MBAGUTA (tutsi, Butare}, Augustin MAHARANGARl
(tutsi,
Butare, commune
Mugusa),
etc., Félicien
GATABAZl et Frédéric NZAMURAMBAHO ajoutèrent Félicien NGANGO (hutu, Kibungo) et Théoneste GI\FARANGA
(hutu, Gitarama). Le premier, sans passé politique, fut nommé
1"' vice-président afin de l'aider à acquérir une visibilité
politique et le second, apparenté par sa femme à Jean-Baptiste RWASlBO, personnage centra] des débuts de la première
République, qui avait une expérience de député, accéda au poste de 2èm" vice-président
Puis, Félicien NGANGO s'avérant
incapable de s'imposer
dans la préfecture, il fut o: doublé»
par François RWAKAOABO
(hutu, Kibungo],
une
personnalité
bien implantée (élu bourgmestre de Rutonde en 1971, puis député de la seconde République fi partir de
décembre 1982). Afin d'élargir
l'implantation
du parti, F. GATABAZl sollicita
l'engagement
de Haycinthe
NSENGlYUMVA RAFIKI, originaire du Bugoyi (Giseny i) qui permit au PSD de recruter des gens « de l'autre côté de la
Nyabarongo ». La mise en place des statuts officiels du parti bouleversa tous les équilibres initiaux. puisqu'un système
d'élection des instances se substitua à la pratique de la « cooptation
par consensus » des leaders fondateurs. Les votes
majoritaires des militants organisés au niveau des préfectures
se traduisirent par une éviction quasi mécanique des
candidats tutsi, de plus, la constitution
du bureau politique sur la base de trois délégués élus par préfecture élimina de
56

dire que le PSD fut « le» parti des Butaréens et cet ancrage dans l'espace
était, malgré les prises
de position publiques,
indissociable
de positions régionalistes.
Cette thématique
fut cultivée avec
succès y compris vis-à-vis d'autres
partis d'opposition
du sud qui tentaient
de s'implanter
à
Butare. L'opposition
au nord, aux hommes et à la politique qu'ils
incarnaient,
fut le ciment
fédérateur de la militance PSD :
« Pour les membres du PSD, le plus grand mal de la société rwandaise était l'accaparement du pouvoir
par les gens du nord, et par la famille BABY ARIMANA en particulier. Aux ressortissants des autres
régions qui disaient que la politique du PSD faisait les affaires du FPR, les animateurs répondaient "plutôt
le FPR que les Bakiga", On peut affirmer sans risque de se tromper que la plus grande partie des adhérents
ignorait totalement ce que signifie « la social-démocratie », Le PSD refusait la main mise des gens du
nord sur l'armée et les services de sécurité. N'oublions pas que certains d'entre eux s'étaient illustrés par le
harcelèment pschyologique contre les membres du PSD particulièrement les Tutsi en octobre· 1990. »
(témoignage) .

Sur un second.point, le PSD se distingua de tous les autres partis en apparaissant
comme un
parti neuf capablede
mobiliser les jeunes générations.
Aussi bien en milieu urbain que dans les
campagnes,
il suscita nombre
de vocations politiques
nouvelles chez les jeunes et constitua un
mouvement
de jeunesse extrêmement
dynamique,
les Abakombozi ("libérateurs").
Néanmoins,
la
traduction
de ce leadership
idéologique
en implantation
locale militante
structurée
n'était
pas
réglée:
le PSD gagna une large clientèle populaire,
mais manquait
de cadres expérimentés
et
formés. Dans les communes
rurales, des bourgmestres
ralliés ou sympathisants
s'affilièrent
au
PSD par conviction
récente
ou par opportunisme
(comme
Pascal
KAMBANQA,
Joseph
KANY ABASHI, .. ,). S'il est banal de rappeler que tous les militants et cadres du multipartisme
étaient nécessairement
issus du parti-Etat MRND, cette affirmation
prit un sens tout à fait concret
chez les détenteurs de l'autorité,
anciens ou récents, pour lesquels la mise en œuvre de pratiques
démocratiques
de gestion des biens publics et d'administration
des personnes
aurait généralement
supposé une profonde
rééducation.
Plus fondamentalement,
la plupart des cadres du PSD (et du
MDR) ne furent pas des « démocrates ». Beaucoup
se contentèrent
simplement
de faire accéder
aux lieux de contrôle des pouvoirs d'autres lignages,
d'autres
clans, d'autres
intérêts (notamment
les grands commerçants
de Butare). Dans un environnement
national marqué par la guerre et des
tensions
politiques'
extrêmes,
l'apprentissage
et le renouveau
démocratiques
des débuts du
multipartisme
cédèrent vite le pas et les réflexes autoritaires
du passé reprirent
le dessus. Pour les
bourgmestres
PSD, les nouvelles
étiquettes
ne furent revendiquées
que pour autant qu'elles
n'exigeaient
pas 'des eD;gagements
marqués,
Pour la plupart
d'entre
eux, les convictions
vacillèrent avec l'élimination
des chefs du PSD (Félicien GAT ABAZI fut assassiné le 21 février
1994 et Frédéric NZAMURAMBAHO
le 7 avril 1994), puis, bien entendu, le renouvellement
des
autorités préfectorales.
Les divisions entre tendances
pro- et anti-FPR
touchèrent
le PSD comme
les autres partis
d'opposition.
Dans 'la préfecture de Butare, la personnalité
charismatique
de Félicien GAT ABAZI
et sa propre ambivalence
sauvèrent un temps l'unité
du parti. Personnalité
forte et controversée,
Félicien GA TABAZI était très soucieux de son emprise sur le parti et craignait la concurrence
de
Frédéric NZAMURAMBAHO.
Celui-ci fit sans cesse des efforts pour ne pas entrer en compétition
avec F. GA TABAZI,
même si son comportement
et son entourage
le heurtaient.
Félicien

l'instance dirigeante la .plupart des cadres de Butare/Gikongoro qui représentaient pourtant plus de 80 % de l'ensemble
des militants du parti. Ces élections furent à l'origine des conflits et scissions futurs. Beaucoup pensèrent que Félicien
GATABAZI avait sciemment organisé ce «piège ». En fait, Félicien GATABAZI.constatant l'importance des
adhésions de membres tutsi craignit que le PSD ne se transforme en un PL bis et s'engagea personnellement dans
l'organisation des élections au nom de ses fonctions de secrétaire exécutif. Plusieurs personnalités tutsi .se détachèrent
alors du parti (MBAGUTA, MAHARANGARI, les deux hommes d'affaires respectivement fonctionnaire au MINIPLANet
directeur de la BRD, ... ). Parallèlement, les nouveaux promus du nord voulurent renforcer leur influence et exigèrent
notamment, lors du deuxième congrès du PSD tenu à Kigali les 18 et 19 décembre 1993, un poste au Comité directeur,
composé de quatre membres. Frédéric NZAMURAMBAHO comme Félicien GATABAZI étant" inamovibles », Félicien
èm
NGANGO et Théoneste GAFARANGA se sentirent menacés (GATABAZI voulait accorder le poste de 2 ' vice-président à
HaycintheNSENGIYUMVA RAFIKI. qui était déjà son directeur de cabinet ministériel). Or, ils étaient connus comme
deux éléments ouvertement pro-FPR (même si J'opportunisme de F. NGANGO pouvait réserver des surprises). Thëoneste
GAFARANGA assurait le contact avec ce dernier parti et n'hésitait pas à « doubler) ouvertement la direction du PSD
pour renforcer les liens entre les deux formations. Ce fut ensuite Félicien NGANGOqui devint l'interlocuteur privilégié
du FPR pour obtenir son soutien à l'élection du président de I' ANT. Ces rivalités instaurèrent progressivement un climat
détestable au sein de la direction du parti à l'origine de vifs conflits. On citera notamment le dossier du mouvement de la
jeunesse du parti que plusieurs membres, en opposition ouverte avec GATABAZl et NZAMURAMBAHO, voulaient
« militariser» et armer avec l'appui du FPR.
57

GATABAZI était notamment entouré de nombreuses personnalités considérées comme douteuses.
Deux
d'entre
elles se distinguèrent
particulièrement:
la première
était
Antoine
MBARUSHIMANA, directeur du journal Le Soleil-Izuba qui était soupçonné de se livrer à des
trafics d'armes vers le Burundi à destination du PALIPEHUTU;
la seconde était François
NDUNGUTSE, fils du leader de l'APROSOMA, Germain GASINGW A. 110 François NDUNGUTSE
était proche des milieux ethnistes prohutu et otage de l' akazu'", Enfin, de nombreux cadres ct u
parti exprimaient une opposition ferme à l'égard
de Hyacinthe NSENGIYUMVA RAFIKl,
apparenté à Félicien GATABAZI, nordiste ambitieux qualifié de PSD/CDR. Dépensier'", peu
scrupuleux, y compris vis-à-vis de ses proches, Félicien GATABAZI fit régulièrement l'objet de
dénonciations ou de menaces partisanes (cf. annexe Il, tome 3).
Le 21 février 1994, son assassinat à Kigali, suivi dès le surlendemain par le lynchage de Martin
BUCY ANA, président de la CDR, jouèrent un rôle décisif dans la radicalisation politique qui
gagna alors aussi bien la capitale que la préfecture de Butare. Ce fut le premier événement de
portée nationale à se produire dans la préfecture de Butare, jusque-là largement épargnée par la
guerre et ses conséquences.
L'assassinat de Félicien GATABAZI fut organisé, selon la ClVIPOL, la police des Nations
unies intégrée à la MINUAR, par des proches de Juvénal HABYARIMANA. Les noms du
capitaine
Pascal
SIMBIKANGWA
des
services
de
renseignement
et d'Alphonse
NTILIV AMUNDA, gendre du.président, furent cités. La patron du bar Las Vegas fut arrêté!" et
le chauffeur du colonel Elie SAGATWA soupçonné d'avoir conduit le commando. De même, le
colonel Laurent RUT AYIZIRE, ex-G 2 de la Gendarmerie alors directeur de la Sûreté extérieure,
apparenté à Félicien GAT ABAZI1I4, fut aussi mis en cause pour obstruction à la justice et
dissimulation de preuve (détention de l'arme présumée du crime). Lui et son beau-frère,
Hyacinthe NSENGIYUMVARAFIKI,lIS
étaient depuis longtemps soupçonnés de vouloir ramener
Félicien GATABAZI dans l'orbite de la présidence.
Ces versions, par ailleurs passablement
contradictoires notamment celle visant les membres de la famille élargie, expliqueraient l'attitude
des militants butaréens du PSD. La vengeance de l'assassinat de Félicien GATABAZI n'aurait
donc pas été un épisode fortuit.
Le 23 février 1994, Martin BUCY ANA, président de la CDR, identifié comme coupable
expiatoire et repéré à Gikongoro, fut suivi depuis là par un véhicule du projet DOB conduit par
des militants du PSD. Après la traversée de Butare, l'appel à des renforts donna à la chasse un
caractère organisé. Et la tentative de BUCY ANA de se réfugier chez des autorités de la commune
Mbazi fut vaine. Il fut capturé et lynché par des militants du P~D et la population.':" De retour à
Butare, les militants du PSD ·fêtèrent ce qu'ils appelèrent «Egalité, match nul»: la mort de
BUCY ANA vengeait celle de OATABAZI (cf. infra encadré 4). Les troubles qui s'ensuivirent les
nuits suivantes à Kigali firent plusieurs dizaines de victimes parmi les militants des partis qui
s'affrontèrent.
Ces troubles marquèrent l'entrée de la préfecture de Butare dans la guerre civile
no Parmi le cercle des soutiens de Félicien GATABAZI figurait aussi Joseph NZABILINDA, alias Biroto, natif du
secteur Sahera de la commune Ngoma et ancien encadreur de la jeunesse dans la commune de Ngoma, qui était un proche
de Joseph KANY AB ASHl.
III Mis en cause,
à la fin des années 90, pour détournement
de fonds dans le projet de développement
agricole de
Gitarama dont i1 était comptable, le président de la République demanda le renvoi de François NDUNGUTSE alors même
que les conclusions d'un audit interne et d'un contrôle du ministère des Finances s'avérèrent pour l'essentiel négatives.
Il fut alors traité comme un "opposant ». Après la création des partis en 1991, il se rapprocha du président et fut alors
considéré comme un proche d'Agathe KANZlGA et un protégé d'Augustin NDUWAYEZU, chef du service central de
renseignement.
111 Son épouse, issue d'une
famille de grand commerçant

de Gitarama,

Êliabe NDAMAGE, lui assura un train de vie

aisé à ses débuts.
Il J Il fut libéré le 7 avril 1994 au matin par Pascal SIMBIKANGWA.
li'
Leurs épouses sont sœurs.
III Hyacinthe
NSENGlYUMV A RAFIKl avait épousé la sœur du colonel RUT AYISIRE.
116 Parmi
les personnes accusées d'avoir été impliquées dans la chasse à M. BUCY ANA figuraient par exemple
Alexandre MAZINA, responsable
de l'UO Ngoma et frère du ministre Frédéric NZAMURAMBAHO, président du PSD,
Charles MULINDAHABl, premier vice-président du comité régional du PSD, ou encore Côme HABINEZA, responsable
de l'UO Gakoni, ex-bourgmestre de Shyanda. Les procès-verbaux
d'enquête (cf. annexes 12, tome 3) furent établis sous
la responsabilité de Sylvain HARINDINTW ALI , responsable des services de renseignements à Butare et OPJ verbalisant
ou rédigés par le capitaine NIZEYIMANA, deux personnalités dénoncées par ailleurs comme des adversaires politiques du
PSD. L'un des procès-verbaux a été transcrit en présence de Siméon REMERA, responsable de la CDR Butare. Enfin, et
cela nous a été confirmé précisément,
les enquêtes de terrain furent réalisées par le SRP à l'insu des bourgmestres
concernés de Mbazi et Ngoma. Pour autant, la teneur des faits décrits m'a été attestée par les témoignages convergents
de divers témoins et acteurs directs.
58

rwandaise. Ils consolidèrent sur place des clivages jusque-là masqués. Lorsque les autorités
préfectorales firent arrêter certains des auteurs présumés de l'assassinat de BUCY ANA, des
manifestations violentes furent organisées pour obtenir leur libération. Les dirigeants de la CDR
de Butare se réfugièrent alors à la gendarmerie et le domicile du député MRND/CDR, Laurent
BARAVUGA, fut saccagé. Les libérations qu'accordèrent le substitut du procureur de Butare et le
sous-Wéfet Zéphanie NYILINKW A y A en charge des Affaires politiques marquaient la victoire ct li
PSD, 7 mais tous les militants craignirent alors la vengeance différée des partisans de Martin
BUCY ANA. Au sein du PSD Butare, les militants tutsi, qui jouèrent un rôle décisif dans cette
affaire, connurent un isolement progressif parallèle au rapprochement entre plusieurs membres de
la direction préfectorale du parti et le MRND.

Encadré

4: Les assassinats

de Félicien

GATABAZI

et de Martin

BUCYANA

La piste:« présidentielle » ne. fut bien entendu pas la seule évoquée. En effet, si dans le contexte
politique général, les soupçons se portèrent spontanément sur les «escadrons de la rnort » de la
présidence.J'hypothèse
de l'organisation de cet assassinat par le FPR, en liaison avec les membres du
PSD favorables à une alliance privilégiée avec lui, ne fut pas non plus écartée, même si elle ne fut
envisagée que par des cercles restreints « antî-FPR » très minoritaires. En effet, lors d'une réunion de son
parti tenue à Butare une semaine avant son assassinat, Félicien GATABAZI avait prononcé la phrase
suivante par laquelle, d'après plusieurs analystes, il signait son arrêt de mort: "le PSD n'ayant pas été
un valet du MRND se gardera d'être un valet du FPR"
(cf. James GAS ANA, Rwanda: del Parti doEstado al Estado-Cuartel, Africa International, Madrid, IEPALA, na 26, 2001, p. 259; p. 246 in édition
française L'Harmattan, mai 2002). Après avoir sollicité une audience auprès du président Juvénal
HABY ARIMANA au cours de laquelle il lui fit part de ses interrogations personnelles sur les convictions
démocratiques du FPR, il fustigeait à travers ces propos ceux de son parti qui ne parvenaient pas à établir
des frontières claires entre le PSD et le FPR. Deux types d'arguments en faveur de cette hypothèse sont
avancés.
Le premier argument, contextuel, reconstitue ce qu'aurait été la stratégie du FPR. La mise en place du
gouvernement de transition supposait des alliés sûrs du FPR, ce qui n'était, bien évidemment, pas le cas
de Félicien GAT ABAZI. Celui-ci ne voulait en aucun cas cautionner l'avènement de « l'ordre» prôné par
le FPR et il pouvait se transformer en un adversaire redoutable à la différence des trois autres membres œ
l'organe exécutif du PSD.
F. NGANGO
et T. GAFARANGA
étaient «acquis », F,
NZAMURAMBAHO, marié à une épouse tutsi, était considéré comme susceptible d'être souple. En ce
qui concernait
la composition
du gouvernement
de transition,
M. RUGENERA
et F.
NZAMURAMBAHO conservaient leur poste de ministre. L'élimination de F. GATABAZI libérait un
poste pourT. GAFARANGA ou F. NGANGO. Mais F. NGANGO était déjà bien doté comme candidat
désigné du PSD à la présidence de l'Assemblée nationale de transition, Il devenait ainsi le deuxième
personnage de l'État et assurait l'intérim du Président de la République en cas de vacance du pouvoir. À œ
nombreuses occasions, les deux postulants avaient avancés l'argument selon lequel le secrétaire exécutif
exerçait déjà de lourdes responsabilités, incompatibles avec la charge supplémentaire d'un ministère. Or,
F. GATABAZI s'interrogeait très sérieusement sur l'opportunité de démissionner de son poste de ministre
pour se faire nommer député et briguer la présidence de l'ANT. Accessoirement, la disparition œ
GATABAZI, qui détenait le poste-dé de secrétaire exécutif au sein du comité directeur du PSD, recentrait
le parti au profit des éléments pro-FPR, l'affaiblissait notablement sur le plan national et le privait œ
ressources financières majeures.
Le second argument, non exclusif du premier, propose une autre lecture des événements qui précédèrent
immédiatement son assassinat. Le dimanche, la veille de sa mort, F. GATABAZI s'était ouvert à ses
proches en se déclarant en insécurité. Le lundi 21 février, alors qu'il était déjà tard et qu'il rentrait de
l'intérieur du pays, il reçut un appel téléphonique de Faustin TW AGIRAMUNGU en provenance de
l'hôtel Méridien l'invitant à le rejoindre au dernier étage de l'hôtel. L'après-midi avait été consacré à une
réunion avec le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, Roger BOOH-BOOH, au
sujet de l'installation du OTBE. Participaient notamment à cette réunion Frédéric NZAMURAMBAHO,
Landoald NDASINGW A, Agathe UWIL1NGlYIMANA, Faustin TW AGIRAMUNGU, Jean-Népornuscène
NA YINZIRA, etc. Après la réunion, la plupart gagnèrent le restaurant-bar de l'hôtel Méridien et Faustin
TW AGIRAMUNGU téléphona à plusieurs personnalités absentes de la réunion de l'après-midi pour leur
demander de les y rejoindre pour en débattre. Froduald KARAMIRA et Donat MUREGO ne purent être
joints, Mathieu NGIRUMPATSE et Justin MUGENZI arguèrent de l'heure tardive pour refuser de se
déplacer. Félicien GATABAZI fut le seul à accepter. Finalement, aucune réunion ne se tint après son
II? En fait, les libérations mises en œuvre par le procureur du parquet de Butare, Mathias BUSHISHI. furent ordonnées
par Augustin IYAMUREMYE, alors responsable des services de sécurité auprès du premier ministre.

59

amvee puisque Faustin TWAGIRAMUNGU
passa l'essentiel
de la soirée en communication
téléphonique. Chacun s'en retourna donc à son domicile. Félicien GATABAZI fut abattu dans sa voiture
sur1'échangeur qui montait à son domicile vers 22 heures 45. Il réussit à conduire le véhicule jusqu'à sa
demeure où il s'effondra. Une soixantaine de douilles de balles furent: retrouvées sur les lieux.
D'après les témoignages et éléments d'enquête que j'ai pu réunir!", le commando chargé œ
l'assassinat de Félicien GATABAZI était composé de trois militaires de l' APR. L'organisateur était le
sergent Claude GASHAGAZA (originaire de Kabuga, commune Kanombe). Il était chargé du suivi
permanent de Félicien GATABAZI dont il assurait quotidiennement la filature avec une Jeep Suzuki
Samouraï. Ce véhicule avait été mis à la disposition des commandos de r APR par Vénuste RUZlBAZA
demeurant à Kicukiro et membre du PSD, qui en était le propriétaire. Dès la sortie de Félicien
GATABAZI de l'hôtel Méridien, le sergent GASHAGAZA entra en contact avec le commando chargé œ
l'abattre pour qu'il se prépositionne près de son domicile. Le commando était composé de deux militaires
de l' APR:
le lieutenant Godffrey KIY AGO NTUKA yAJEMO (né en Ouganda de père burundais)
surnornmé Ninja, aujourd'hui, en prison à perpétuité pour d'autres délits; et du sergent MUGISHA
surnommé Inierahamwe, un des membres des commandos de Kigali parmi les plus sollicités pour ce type
d'opération, qui était parallèlement .connu comme un activiste des milices lnterahamwe au sein desquelles
il était infiltré. Il est aujourd'hui lieutenant, membre de la garde présidentielle, affecté (en tenue civile) au
département de la surveillance de Kigali. La supervision de l'assassinat fut assurée par le commandant
Jean KARENZI KARAKE, officier de liaison avec la MINUAR et chef des commandos pour Kigali, alors
installé à l'hôtel Méridien avec quatre autres officiers de l'APR. Trois y résidaient. Il s'agit du
commandant Salton BAHENDA, du capitaine Godffrey BUT ARE et du major Philbert RWIGAMBA.
De même, l'assassinat de Martin BUCYANA à Mbazi en préfecture de Butare, présenté comme 1
résultat d'une « vengeance»
spontanée de la mort de Félicien GATABAZI par la « population de
Butare », a été organisé-par des membres du PSD qui ont exploité l'opportunité de sa traversée de la
préfecture, on constate toutefois que si la haine envers les gens du nord et de la mouvance présidentielle
fédérait le groupe, certains de ses membres étaient parallèlement militants du FPR.
Le 21 février lorsque l'ordre fut donné d'abattre Félicien GATABAZI, aucun doute ne subsistait sur le
fait que la responsabilité du meurtre serait imputée aux « escadrons de la mort » de la présidence. En
effet, la veille, le dimanche 20, lors d'un meeting houleux organisé à. Nyamirambo par Agathe
UWILINGIYIMANA .et Faustin TW AGIRAMUNGU afin de manifester leur force politique face aux
attaques du MDR Power, des membres du MRND, de la CDR et du MDR Power utilisèrent des grenades
et des pierres pour attaquer les véhicules qui transportaient leurs partisans. Plusieurs furent blessés et six
autres furent tués à Rwampara non loin de Nyamirambo. Sans l'intervention de l'escorte de la MINUAR,
Agathe UWIUNGIYIMANA
et Faustin TW AGIRAMUNGU auraient connu le même sort. Les choses se
passèrent comme prévu: effectivement, le 22 février au matin, après que la mort de GATABAZI fut
connue, la première déclaration du président du PSD, Frédéric NZAMURAMBAHO, dénonça les assassins
agissant pour le compte de la présidence. L'orientation
donnée à l'enquête judiciaire et les premières
arrestations consacrèrent officiellement cette hypothèse.
Des soupçons
dévastateurs se portèrent
immédiatement
sur les proches
du président
HABY ARIMANA. La mouvance présidentielle accusa de son côté les dirigeants de l'opposition ayant
participé à la réunion du Méridien (accusations dont J. GASANA se fait l'écho dans son ouvrage
Rwanda: du Parti-État à l'État-garnison. Paris.. L'Harmattan, 2002, p. 245). Dans ce contexte,
l'élimination de M, BUCYANA, président de la CDR, parut « naturelle » puisqu'il fut lynché par la
population de la commune Mbazi à l'initiative des militants « du PSD }}(cf. annexes 12, tome 3).
Ces assassinats déclenchèrent de violents affrontements entre milices des partis à Kigali qui firent 37
morts. Ces affrontements qui avaient un caractère régionaliste et intra-hutu cessèrent lorsque les directions
des partis impliqués prirent la mesure des dividendes politiques que le FPR en retirait. Comme en janvier
1993 après les massacres de Tutsi et d'opposants dans les préfectures de Gisenyi, de Ruhengeri, de Kibuye
et de Byumba, qui précédaient lea violation du cessez-le-feu et les attaques massives sur Ruhengeri et
Byumba du 8 février, le FPR menaça dès le 24 février 1994 sur Radio Muhabura, de reprendre la guerre
face aux blocages politiques imputés à la mouvance présidentielle. Il utilisa alors la presse ougandaise ce
fin février-début mars 1994 pour préparer ses partisans à sa victoire assurée. Dans "Ugonda
Confldential " du 28 février au 7 mars 94, on lit que" les chances de Kagame de prendre Kigali se sont
multipliées par 100". Dans " The People" du 4-8 mars 1994, on lit des citations de P. KAGAME
disant qu'il dispose de moyens, d'équipement, et de troupes pour prendre Kigali en un jour et qu'il est
prêt.

116 Ils ont par ailleurs fait l'objet de dépositions dans les procédures d'instruction engagées à la fois par le bureau du
Procureur du TPIR et par la juridiction française en charge des poursuites relatives à l'attentat contre l'avion présidentiel
du 6 avril 1994.

60

Après l'assassinat de leur leader charismatique, les militants du PSD furent soumis à la pression
des deux camps en conflit. Le clivage politique apparut au grand jour lors de l'élection de son
successeur au secrétariat général du parti. Au début du mois de mars 1994, le bureau politique
désigna à l'unanimité Augustin IY AMUREMYE dont la candidature avait été présentée par F.
NZAMURAMBAHO, mais le comité régional de Butare, dominé par François NDUNGUTSE et
Straton NZABUMUKUNZI, bloqua cette candidature. Leur objectif était de faire passer Sylvestre
UWIBAJIJE, alors ambassadeur au Burundi.!" Réuni en congrès à Butare le 12 mars et alors que
Sylvestre UWIBAJIJE s'était formellement déclaré candidat, le vote du bureau politique fut
confirmé et la tendance pro-FPR se trouva confortée à la direction du parti.
Sa victoire fut cependant de très courte durée. Dès les premiers jours des massacres et du
génocide, elle fut décimée. Le basculement politique fut total avec le ralliement sans réserve de
François NDUNGUTSE aux nouvelles autorités. Ce dernier, dont la démarcation avec la majorité
du bureau politique nationale était déjà bien connue, fut un des rares responsables nationaux
épargnés. Il s'autoproclama président du parti avec Hyacinthe NSENGIYUMVA RAFIKI comme
vice-président, s'aligna ouv.ertement sur les thèses du MRND et fusionna
les jeunesses
Abakombozi avec celles du MRND. Le PSD Power obtint ainsi deux postes de ministres: un
Butaréen, Straton NSABUMUKUNZI, accéda au ministère de l'Agriculture et de l'Élevage ; le
beau-frère de Félicien GATABAZI, Hyacinthe,NSENGIYUMVA
RAFIKI, originaire de Gisenyi,
reçut le ministère des Travaux Publics et de l'Energie. Il bénéficia en outre de la nomination de
son candidat, Sylvain NSABIMANA, comme préfet de Butare. La majorité des dirigeants
butaréens qui assurèrent la direction du comité régional après la mort de Félicien GA TABAZI
furent alors disponibles pour succéder aux cadres assassinés.
Tel fut le prix à payer pour que le PSD rallié demeura formellement le premier parti de
Butare. Dans les communes, de nombreux militants de base regagnaient purement et simplement
le MRND.
3.3.3. Le parti libéral (PL)
Le parti libéral (PL), déclaré en juillet 1991, ne fut pas un grand parti de militants dans la
préfecture de Butare. Ses adhérents étaient majoritairement
des fonctionnaires résidant en ville,
des commerçants tutsi et des membres des professions libérales. Il ne recrutait pas en organisant
des manifestations publiques mais au travers de contacts interpersonnels.

Tableau n° 6: Bureau préfectoral du PL (1993)
Dr KURAWIGE Jean-Baptiste, président (tutsi, Kibungo), médecin à l'UNR
RUTSINDURA Alphonse, secrétaire (tutsi, commune Ndoraï, professeur au petit séminaire
NDAKAZA Joseph, trésorier (tutsi, commune Ngoma), commerçant

La rhétorique politique « libérale » du PL était d'une grande pauvreté, tout comme son analyse
des problèmes nationaux. La propagande du PL s'attaquait principalement à deux cibles: la CDR

Il~
Ce dernier était' favorable à une alliance avec la mouvance présidentielle.
Originaire de Butare, Sylvestre
UWIBAJ1GE connut une carrière politique marquée par des al1égeances multiples. Ancien directeur administratif de la
STIR, André NTAGERURA, qu'il avait connu lorsque ce dernier était secrétaire général de l'UNR, le prit comme chef de
division au ministère des Transports,
puis le promut directeur de la Poste. Le ministre des Finances Benoît
NTIGULlRWA le récupéra ensuite comme directeur général de~ Impôts puis du Budget. Au cours de ces années, il faisait
partie de ceux qui «demandait
des audiences » au colonel Elie SAGATWA, cousin d'Agathe KANZl.GA et secrétaire
particulier du président HABY ARl1V1ANA,pour voir le président.
Avec le multipartisme,
il se rapprocha de Félicien
GATABAZI et fut proposé comme ambassadeur au Burundi. Il acquit une dimension politique lors de l'accession
à la
présidence de la République de Melchior NDADA YB, qui était un de ses amis personnels,
et qui fut assassiné trois mois
après en octobre 1993. L'opposition déclarée entre ces deux candidats que Félicien GATABAZI considéraient comme ses
lieutenants les plus proches troubla de nombreux. militants. Lors de l'enterrement
de F. GATABAZl, après les prises de
parole de F. NZAMURAMBAHO au nom de la direction du PSD, puis de F. TWAGIRAMUNGU au nom de l'opposition
démocratique, Augustin IY AMUREMYE et Sylvestre UWIBAnGE furent tous les deux invités à prendre eux aussi la
parole 'devant l'assemblée.

61

et les originaires du nord, peu ou prou assimilés au regime HABYARIMANA honni. Ni à
l'échelon préfectoral, ni dans aucune des communes, il ne disposa de forces suffisantes qui lui
auraient permis de conduire une politique autonome.
Il ne manquait pas cependant de
sympathisants notamment
parmi la population
tutsi. Ceux-ci craignaient
d'afficher
trop
ostensiblement leurs convictions partisanes et, notamment en milieu rural, l'adhésion au PSD leur
semblait garantir une protection plus efficace. Ce phénomène apparut avec force lors des
élections de mars 1993 pour le renouvellement
des bourgmestres
MRND révoqués ou
démissionnaires où le PSD perdit les communes de Nyabisindu et de Ntyazo au profit du PL,
alors que l'arithmétique des voix donnait le PSD gagnant par rapport au PL et que le MDR et le
MRND n'étaient pas en mesure d'influencer de manière décisive les résultats du scrutin.
« L'hypothèse retenue plus tard par les membres fut que les électeurs tutsi du PSD avaient préféré
voter pour des candidats tutsi du PL au détriment des candidats hutu de leur propre parti. Ayant demandé
des explications à cette indiscipline partisane, Félicien GATABAZI essuya une remarque sévère du préfet
Jean-Baptiste HABYALIMANA: «GATABAZI ferait-il partie des gens qui n'ont pas encore compris
qu'un Tutsi pouvait êtrebourgmestre élu dans ce pays? ». Les rapports entre le PL et le PSD se
refroidirent quelque peu, mais l'incident fut rapidement clos. » (témoignage)

Le PL fut néanmoins un allié nécessaire, exigeant et respecté au sein des FDC. En effet, son
ascendant dépassait largement sa seule représentativité militante du fait de la personnalité de JeanBaptiste BABY ALIMANA, professeur à l'UNR, qui, issu de ses rangs, était devenu préfet au terme
d'arrangements nationaux. Celui-ci se démarqua ouvertement des jeux politiciens locaux pour le
contrôle des ressources politiques et bénéficia d'un ascendant intellectuel et moral qui le mit à
l'abri, lui et sa fonction, des déchirements et polémiques nationaux nés de la scission entre le
président du PL, Justin MUGENZI (hutu, Kibungo),
et le premier vice-président, Landoald
NDASINGWA (tutsi, Kigali). Au cours de l'année 1994, les deux directions du PL n'entretinrent
plus guère de rapport entre elles et se livrèrent un combat acharné pour la désignation des députés
à l'ANT.
3.4. Les milices des partis
Une dernière remarque concerne les milices des partis. Là encore, la situation butaréenne
apparaît tout à fait atypique. Il n'existait pratiquement pas de groupes de miliciens identifiés sur
Butare avant le 6 avril 1994. Le contraste était alors saisissant avec les autres villes du pays. Une
relative sécurité des biens et des personnes continuait à être garantie dans la quasi-totalité des
communes de la préfecture. Hormis les trois attentats à la bombe commis entre mai 1992 et avril
1993 qui ne firent que quelques dizaines de blessés'", puis l'épisode marquant du lynchage de
Martin BUCY ANA dans la commune Mbazi le 23 février 1994, le racket, les enlèvements, les
attentats ainsi que le recours aux «avertissements»
(crevaison de véhicules, vols, intimidations
diverses ... ) qui étaient le lot commun des politiciens engagés et des sympathisants déclarés partout
ailleurs dans le pays n'eurent guère de prise à Butare.
Ce calme tint pour une large part à l'action du préfet Jean-Baptiste HABYALlMANA qui
réussit d'une manière remarquable à maîtriser la situation politique et sécuritaire et bénéficia,
pour l'essentiel, du soutien ou de l'obéissance
de l'administration
territoriale, en particulier des
bourgmestres (cf. infra § 7.1.2.2 et 7.2.). Il bénéficia aussi tout au long de son mandat de l'appui
efficace de la gendarmerie dirigée par le major Cyriaque HABYARABATUMA, commandant du
groupement de Butare. Bien entendu, les thèmes politiques qui partout ailleurs dans le pays
avaient permis de structurer des groupes partisans du recours à la violence suscitaient à Butare
aussi l'adhésion de nombreux cadres et simples citoyens. Pour autant, l'absence de tolérance visà-vis des fauteurs de troubles de la part des autorités administratives
et l'isolement
des
propagandistes extrémistes interdisaient l'organisation
et les manifestations ostensibles de milices
armées. De manière significative,
les deux pôles connus où des miliciens lnterahamwe

120 Le premierse déroulale 6 mai 1992 : il visait l'hôtel
Faucon de Butareoù se tenait la premièreréunion du bureau
du MDR depuis la miseen place du nouveaugouvernementpluripartismedirigépar un premierministreissude ses rangs.
La bombeavaitété placée à l'extérieur et ne fit que quelquesblessés légers. Le second se produisit à l'hôtel Ibis le 31
décembre1992. La bombeavait été placée dans les toilettes et ne fit que 3 ou 4 blessés. Un troisième eut lieu au marché
de Butare le 19 avril 1993 et fit un blessé grave.Ces trois attentats furent l'œuvre de commandosdu FPR quiorganisa à
la même période une campagne nationale d'attentats pour déstabiliser le gouvernement pluripartisme de Dismas

NSENGIY AREMYE.
62

s'organisaient et s'entraînaient étaient deux entreprises
à la CDR : la SORWAL et la laiterie de Nyabisindu.

publiques dirigées pat cadres du nord liés

L'usage de la violence suppose un apprentissage, une déstructuration des liens sociaux, une
disqualification des institutions incarnant l'Etat de droit ou assurant la transmission des valeurs
morales. Contrairement aux préfectures du nord et du centre, qui vivaient au rythme de la guerre
avec le FPR et qui subissaient ses conséquences (ligne de front, populations déplacées victimes des
combats, soldats blessés, etc.), Butare était globalement épargnée et le travail de radicalisation
politique était en quelque sorte réalisé par procuration (en référence à la. situation des réfugiés
burundais) ou anticipation (reprise des offensives par le FPR). Malgré la campagne d'attentats du
FPR, qu'il imputa aux extrémistes de la mouvance présidentielle et qui visait à dissocier les
militants tutsi des partis de l'opposition intérieure, la rébelllion tutsi se heurta dans les préfectures
du Sud 'et" notamment à Butare à un sentiment régional, bien plus fort que la polarisation
ethnique. Au moins jusqu'en octobre 1993, avec la déstabilisation du Burundi voisin, la sphère du
pouvoir local et des opinions publiques sur les collines connut une large autonomie par rapport
aux propagandes nationales, aux déclarations et actes des personnalités politiques extérieures à
Butare.
On 'citera ainsi un témoignage révélateur sur le climat particulier qui continua
Butare même au cours des périodes les plus tendues des années 1992-94 :

à régner

à

«Pour éviter que la préfecture ne soit contaminée par la violence, quelques intellectuels de Butare
résidant à Kigali prirent l'initiative de créer un groupe informel qui se rencontrait de temps en temps,
après les heures de service, au Méridien [hôtel et bar] à Kigali pour échanger sur la situation du pays et ce
la préfecture. Ce groupe comprenait pour" le PSD,
Faustin
IYAMUREMYE,
Pierre-Claver
RWANGABO; pour le MDR, Léon NGARUKIYE;
pour le MRND, Innocent BUTARE. Athanase
NGENDAHIMANA, politiquement neutre; participait également aux causeries. Le but était de faire
comprendre aux gens qu'on pouvait faire de la politique d'une façon civilisée, que la pluralité des partis ne
supprimait pas l'appartenance à un même terroir, la défense de ses intérêts et qu'elle ne devrait en aucun
cas pousser les gens à devenir des ennemis ou à se faire manipuler par les ressortissants des autres
régions. Sans être délégué par son parti, chacun se faisait un devoir de prêcher autour de lui cet esprit ce
tolérance.
Cette manière d'agir avait prouvé son efficacité, car peu de temps après les événements du Bugesera
[en mars-avril 1992], sur une initiative d'Innocent BUT ARE soutenue par Félicien GAT ABAZl, les
ressortissants de Butare travaillant à Kigali avaient lancé un appel écrit signé par plus d'Une cinquantaine
de ressortissants de tous les partis politiques (notamment par Agathe UW1LINGIYIMANA, Félicien
GATABAZI, Innocent BUTARE,
Charles
KAREMANO,
Serge RWAMASIRABO,
Charles
NTAZINDA, ... ) et distribué dans toutes les communes de la préfecture. Cet appel avait eu un impact très
positif et avait dissuadé les fauteurs de troubles éventuels et rassuré les populations tutsi inquiètes (l'appel
avait été rédigé par Innocent BUTARE et Charles KAREMANO et le PSD avait financé son
impression.)» (témoignage)

Il ne faut pas oublier également le rôle décisif des multiples notables des communes, des
secteurs et des cellules qui assuraient sur place la fonction de relais des « grands» pour la mise en
œuvre (ou le refus) des mots d'ordre centraux. Leur ascendant était essentiel pour assurer la
bonne matche globale du système d'autorité.
Leur engagement était nécessaire pour gagner
l'adhésion des populations. On retrouve à ce niveau les divers cadres des partis dans les cellules et
les secteurs, les représentants des organisations intégrées (syndicat, mouvement des femmes, ... ) et
les autres autorités disposant cl' une légitimité morale (enseignants, membres du clergé catholique
et des diverses religions). Ces individus jouaient un rôle déterminant en matière de paix sociale et
étaient moins exposés que les dirigeants consacrés, plus prudents dans leurs soutiens et alliances.
La gestion de leur réputation et de leur position sociale se situait dans la longue durée. Face aux
incertitudes introduites par le multipartisme aussi bien sur le plan des hommes que des lignes
politiques, l' opportunisme et la souplesse politique étaient, à leur niveau, des critères de sagesse et
d'efficacité qui leur valaient indéniablement des soutiens populaires solides, notamment en milieu
rural.
La popularité des « originaires » promus comme personnalités nationales reposait sur leur
capacité de représentation et de défense des intérêts locaux. A cet égard, la fonction de protection
s'avérait essentielle et le poids des personnalités était proportionnel à la taille du réseau clientéliste
qu'elles étaient capables d'entretenir. Par contre, et de manière complémentaire, la popularité des
cadres intermédiaires dépendait quant à elle de leur capacité à valoriser les diverses retombées
. matérielles et symboliques et à élargir le nombre des bénéficiaires. La proximité et une grande
63

familiarité avec les différents acteurs locaux devenaient
à leur niveau essentielles. Ces
caractéristiques pouvaient éventuellement être récompensées et servir d'atouts pour un destin
national lorsque des disgrâces touchaient les élus nationaux et quand les recruteurs du pouvoir
central élargissaient le cercle des promouvables.
En conclusion de ce bref panorama sur l'encadrement
des partis officiels au niveau
préfectoral, nous insisterons néanmoins sur le fait qu'à la fin de l'année 1993, malgré la
tranquillité politique qui prévalait encore à Butare, aucune instance légale des partis, du MRND
rénové aux nouveaux partis d'opposition, n'avait survécu aux remaniements, départs et transferts
liés à la radicalisation politique nationale. Toutes les équipes de dirigeants encore en place à
Butare l'étaient sans que les militants aient vraiment eu l'occasion de se prononcer sur le choix
des personnes et sur des orientations politiques claires. Par ailleurs, alors même qu'aucune
élection locale ou nationale au suffrage populaire ne permit d'apprécier
la représentativité des
. divers partis, la conquête des lieux de pouvoir et le contrôle des ressources par les appareils
politiques ancien et nouveaux firent l'objet d'âpres
affrontements. Le mouvement kubohora
redessina profondément
la carte des pouvoirs locaux par le jeu de nominations politiques ou
d'évictions plus directes et brutales. D'une certaine manière, les cibles illustraient assez clairement
les enjeux immédiats de la compétition partisane: le contrôle des établissements employeurs ou
pourvoyeurs de biens et celui des collectivités territoriales. De ce point de vue, le résultat laisse
apparaître des indications claires sur les rapports de force réels des partis.

64

4. La compétition partisane pour le contrôle des ressources économiques et des établissements
publics dans la préfecture
Butare était traditionnellement
une grande ville commerciale et occupait une position
avantageuse à égale distance du Zaïre (Bukavu), du Burundi (ses grands marchés du nord, Ngozi
et Kayanza, et sa capitale, Bujumbura) et de Kigali. Pour les politiciens, le lien avec les milieux
commerciaux représentait un enjeu décisif dans deux domaines. Le premier était, bien entendu, le
financement des activités politiques proprement dites: les moyens de l'Etat étaient démultipliés
par des contributions diverses des populations, mais la situation d'insolvabilité généralisée (ou de
faible solvabilité) reportait inévitablement la pression sur les groupes aisés. Le second concernait
la capacité de mobilisation et de rayonnement politiques des milieux commerçants. Les centres de
négoce, petits et grands, étaient les lieux. où les nouvelles se diffusaient sur les marchés, les bars, où
des jeunes pouvaient être recrutés par les partis, y compris dans les secteurs les plus isolés.
4.1. Le grand commerce et la prépondérance

traditionnelle

des hommes d'affaires

tutsi

À Butare, à côté des colons grecs, arabes, pakistanais et belges qui occupaient une place
prépondérante dans tous les domaines d' acti vité, quelques commerçants tutsi accédèrent à des
positions fortes dans le commerce régional jusqu'à l'indépendance.
La première République les
cantonna dans des activités secondaires (cabarets, petits restaurants, boulangeries, briqueteries,
négoce vivrier. .. ) lourdement ponctionnées par les politiciens hutu dès qu'elles paraissaient
florissantes. A partir de 1963-64, ils furent renforcés par l'arrivée de commerçants tutsi fuyant les
massacres ou chassés de Gikongoro. On y retrouve des exploitants de bois, de mines, des
commerçants grossistes de produits vivriers (haricots, pommes de terre). D'une manière générale,
ils jouaient un grand rôle dans les échanges généralement non déclarés avec le Burundi, échanges
dont ils retiraient des bénéfices importants. Au cours de la seconde République, tous les
recrutements de salariés furent soumis à la règle des quotas ethniques. Les grandes entreprises
déclarées (généralement à capitaux mixtes privés et publics) y étaient étroitement soumises et des
rappels fréquents des autorités administratives interdisaient aux employeurs
d'afficher
trop
ostensiblement la prime à l'embauche dont bénéficiaient traditionnellement les cadres et diplômés
tutsi. A ce niveau, seules quelques grandes familles tutsi furent privilégiées par le président
HABYARIMANA qui autorisa le développement
d'entreprises
industrielles ou d' import-export
d'envergure nationale contrôlées par des Tutsi.
C'est donc surtout au niveau local et régional que des filières commerciales contrôlées par des
hommes d'affaires tutsi purent se consolider. Ce poids était renforcé à Butare par l'étroitesse des
liens avec les grands commerçants tutsi burundais dont le monopole ne fut jamais sérieusement
entamé après l'indépendance du fait de la symbiose avec le pouvoir politique. Au cours des deux
Républiques, .les grands commerçants hutu et tutsi concentrèrent surtout leur activité à Kigali et à
Gijarama.'" A l'échelle régionale, ils privilégièrent le Kivu (à partir de Cyangugu et de Gisenyi)
dont la dépendance économique quasi totale en matière d'approvisionnement
permettait des
trafics florissants.
Cet aspect du contexte butaréen
eut une grande incidence dans l'administration
de la
préfecture. Les autorités politiques des deux. Républiques durent composer avec les grands
lignages tutsi qui contrôlaient le commerce de gros et de serni-gros et ils tissèrent entre eux des
liens étroits de solidarité, ou pour le moins de co-gestion des ressources économiques.
Ainsi,
brièvement dit, le long règne de Joseph KANY AB ASHI à la tête des communes de Mukura et de
Ngoma reposait sur une alliance mutuellement
profitable aux commerçants
des deux ethnies
malgré les à-coups introduits par quelques préfets connus pour leur activisme anti-tutsi (cf. infra,
§ 7.1., p. 96 sqs).
Avec le multipartisme en 1992-1993 et l'égalité théorique des partis en matière de recherche
de financement, un fort mouvement de politisation suscité ou contrainte se développa au sein des
milieux cornmerçants.!"
Le MRND conserva de fortes positions, plus par prudence que par
conviction des cotisants. Beaucoup de commerçants
craignaient de perdre les protections et
arrangements dont ils profitaient jusque-là et savaient que les filières nationales restaient sous le
Évincées du champ politique, les élites de Gitararna se replièrent sur le commerce.
Une partie de leurs affaires dépendait étroitement des relations avec des gens bien placés dans la politique ou dans
l'administration: obtention d'autorisations, de licences ...
121

122

65

contrôle des hiérarques de l'ex-parti-État
(cf. infra § 6.1., p. 88). La solution estimée la plus
raisonnable consista généralement à payer une double cotisation au MRND et au PSD. Il apparaît
cependant que les caisses du MRND ou des autres partis n'enregistraient
pas les sommes
collectées. Il serait plus exact de dire que les commercants donnaient cet argent à des individus
placés à des postes stratégiques et dont on espérait recevoir des marchés ou d'autres privilèges en
retour.
Le PSD fut le second bénéficiaire du soutien des milieux commerçants. Le ministre des
Finances des gouvernements
pluripartite était PSD (Marc RUGENERA) et, à Butare, tous
imaginaient gue « le parti de GATABAZI » serait de toutes façons majoritaire. Le ralliement d li
bourgmestre Joseph KANY ABASHI au PSD fut un signal fort car la commune disposait d' un
poids décisif en matière de marchés publics. Ainsi, on retrouva au PSD, Juvénal BIH!RA et
123
Vincent SEMUHUNGU, grands commerçants
tutsi, ainsi qu'Etienne
BASHIMIKI , Etienne
GAKWAYA12\ Innocent JABO et Grégoire NGENDAHIMANA,
grands commerçants hutu, etc.
Par contre, très peu adhérèrent au MDR. Les deux principaux, ceux qui s'engagèrent le plus
fortement sur le plan politique, furent Venant GAKW AYA et Isaac MUNYAGASHEKE. Le
premier, surnommé Socode, ancien juge de canton à Gikongoro, préfecture gui fut un des
bastions du MDR-PARMEHUTU
au cours de la première République, était secrétaire de la
Chambre de commerce de Butare. Le second, ex-enseignant,
fut, au cours de la première
République,
député MDR-PARMEHUTU.125
Il put s'enrichir
et s'installa ensuite comme
commerçant à Butare où il assurait la distribution de la BRALIRW A comme grossiste, Sans être
lui-même un militant politique, il soutint activement le MDR Butare tendance Power et ses deux
fils Clément MUNYAGASHEKE et Désiré MUNYANEZA se distinguèrent comme miliciens.!"
Venant GAKW Ay A et Isaac MUNY AG ASHEKE figuraient parmi les actionnaires importants de
ta BCR.
Au cours de la guerre en 1994, Venant GAKW AyA et un autre commerçant important de
Butare, Félix SEMWAGA, trésorier du MDR préfectoral, occupèrent des responsabilités dans les
organes de la défense civile'" (cf. aussi infra tableau n" 14, p. 154). Pour se déplacer pendant la
guerre et franchir les barrages, il fallait pouvoir exhiber les laisser-passer adéquats. Outre la
multiplicité des adhésions à des partis pro hutu (MRND, CDR plus une tendance Power d'un parti
de l'ex-opposition)
de nombreux commerçants
hutu prévoyants financèrent ouvertement les
miliciens Interahamwe engendrés par les nouvelles autorités après le 19 avril 1994.
Quant au PL, la plupart des commerçants tutsi furent soupçonnés de financer en sous-main le
FPR par son intermédiaire, mais le FPR disposait de longue date de ses propres réseaux de [und
raising, En outre, selon plusieurs témoignages
convergents, il semble bien que beaucoup de
commerçants tutsi maintinrent des cotisations au MRND pour sauvegarder l'avenir.
Il est très difficile, bien évidemment, d'apporter
des preuves tangibles dans ce domaine où
chacun préférait la discrétion. Pour ies hommes d'affaires, les marges de manœuvre étaient faibles
et la pérennité de leur activité supposait d'anticiper des évolutions politiques délicates à décrypter.
La plupart se virent donc obligé de cotiser, voire de posséder la carte de plusieurs partis: celle du
MRND, bien entendu, si l'on voulait continuer à circuler dans]' ensemble des préfectures et des
communes et au moins une des partis d'opposition.
Pour les commerçants hutu, la décantation
politique qui s'opéra à la fin 1993 au profit des tendances Power simplifia le choix : Innocent
JABO et Grégoire NGENDAHIMANA
du PSD était considéré comme «Hutu Power», de même
l2J
Il fut tué en 1994 à la frontière burundaise qu'il tentait de franchir. Il était soupçonné d'avoir participé à
l'assassinat de Martin BUCY ANA, dirigeant de la CDR, à Mbazi en février 1994.
Le frère d'Étienne GAKWAYA, Évariste KARANGWA, alias Mwami (commune urbaine de Ngorna, Nkubi), a
épousé une fille de Théodore SINDIKUBWABO.
I~S Il fut député titulaire
au cours de la seconde législature
de 1965 à 1969, puis député suppléant au cours de la
troisième de 1969 à 1973. Son frère, James KABERA, connut aussi une carrière politique importante. Sous-préfet de
Kibuye, de Kigali et de Gisenyi au cours de la première République, il accéda au poste de préfet de Gikongoro de 1969 à
1973. Dès le 13 juillet 1973, Juvénal HABYARIMANA le nomma préfet de Cyangugu, De décembre 1974 à la fin 1985,
il tint la préfecture stratégique de Gitarama.
1!6 Bien avant Je 6 avril,
les deux miliciens s'étaient
établis une solide réputation d'activistes
de « bistrot
Il,
notamment Clément MUNYAGASHEKE qui n'hésitait
pas à anticiper publiquement
l'ordre des femmes tutsi qu'il
violerait je jour où la guerre serait déclenchée.
127 De graves
accusations, contradictoires
d'après les éléments du dossier établis par le parquet de Butare, pesèrent
notamment sur l'implication de Fé1lK SEMWAGA dans les massacres et notamment lors de J'assassinat des deux fils de
Jean-Gualbert RUMIYA. Félix SEMWAGA décéda à la prison de Karubanda en 1999 (cf. supra § 3.2.l., note 84, p. 47).

I~'

66

que Venant GAKWA YA et Isaac MUNY AGASHEKE du MDR. Les commerçants
confrontés au même dilemme au sein des partis PL, MDR et accessoirement PSD.

tutsi furent

4.2. Le contrôle politique du secteur public et des projets de développement
Dans le domaine des établissements publics ou parapublics à vocation éducative, sociale et
économique, la mainmise traditionnelle du MRND demeura décisive. Le rôle de l'ex-parti unique
comme fournisseur d'emplois et d'avantages
divers fut déterminant dans le maintien d'une
militance politique populaire à Butare et compensa
largement le faible rayonnement
des
personnalités et cadres politiques butaréens membres du MRND. Si l'on reprend les principaux
projets de développement et les employeurs étatiques préfectoraux, cette prééminence apparaît
très nette. Au premier trimestre 1993, la situation se présentait ainsi:

Tableau

n° 7

Les

dirigeants
des principaux
établissements
la préfecture
de Butare en 199312&

publics

implantés

dans

Université nationale du Rwanda (l er employeur de la préfecture)
Recteur: Maurice NTAHOBARl, Butare, hutu, MRND129
Secrétaire général: poste vacant (ex-Charles NT AKIRUTINKA, Gikongoro, hutu, PSD)130
Administrateur trésorier de l'UNR : Jean NTA WUNEZA, Gisenyi, hutu, MRND
Vice-recteur CUB : Jean-Berchmans NSHIMYUMUREMYI,
Ruhengeri, hutu, MRND
Vice-recteur CUR : Anatole RW AGASANA, Kibuye, hutu, MRND
Secrétaire général adjoint CUB : Alphonse RUDATSIKIRA, Kigali, hutu, MRND
Secrétaire général adjoint CUR : Alphonse MUREGO, Gisenyi, hutu, MRND
Administrateur trésorier adjoint CUB : Anastase NKURANGA, Byurnba, Murarnbi, hutu, MRND
13l
Administrateur trésorier adjoint CUR: Eugène SANO, Butare, hutu, MRND
Chef du personnel CUB : Denis MUTAGOMA, Gisenyi, Karago, hutu, MRND/CDR
Chef du personnel CUR : Annonciata KARADUSENGE,
Il, hutu, If
Doyens des Facultés 132:
Agronomie: Aloys MUHA WENIMANA, Ruhengeri, hutu, MRNDI33
Sciences économiques, sociales et de gestion: RUSIBANE Gaétan, Kigali rural, hutu,
Droit: Jean GAKW A y A, Byumba, hutu, PRD
Santé publique: Cyprien MUNY ANSHONGORE, Kigali, hutu
ISAP: Fidèle NKUNDABAGENZI, Cyangugu, hutu, MRND
Pharmacie: Ezéchiel BISALINKUMI, Kibuye, hutu, MDR
Sciences appliquées: Jean-Baptiste KATABARWA, Ruhengeri, hutu, MRND
Médecine: Alphonse KAREMERA, Gitararna, hutu, MDR
Lettres: François-Xavier BANGAMWABO, Byumba, hutu, MRND

«

sans parti ))1~4

m Nous avons ajouté, dans certains cas, la mention « Pow er » après celle de j'affiliation
partisane. Sauf erreur,
l'appartenance à la tendance Power des partis d'opposition
n'a été mentionnée que lorsqu'elle pouvait être considérée
comme explicite et confirmée. En effet, le qualificatif Power, qui souvent à l'époque était attribué à tel ou tel de manière
assez subjective, de la même façon que beaucoup de Tutsi se voyaient qualifiés de « FPR », est devenu après juillet
1994 une étiquette distribuée fort généreusement et fréquemment
de manière arbitraire par les nouvelles autorités et les
rescapés. Il est cependant vrai qu'au cours des mois d'avril-juillet
1994 les partis n'existèrent plus qu'au travers de leurs
tendances Power et que les militants connus comme étant hostiles
aux tendances Power n'eurent plus guère de
possibilité d'expression ou furent eux. aussi pourchassés.
129 Rappelons
que comme son prédécesseur, Venant NTABOMVURA (hutu., Butare, commune Ndora), docteur en
médecine et recteur de mars 1981 à 1989, Maurice NTAHOBARI était membre du comité central du MRND.
uo Succédant
à André NTAGERURA (hutu, Cyangugu)
appelé à des fonctions
ministérielles,
Charles
NTA.KrRUTINKA (hutu, Gikongoro)
occupa ce poste administratif
important de juin 1981 à novembre 1992. Il fut
ensuite nommé directeur général au ministère des Travaux. publics et de l'Énergie dirigé à cette époque par Félicien
GAT ABAZl. En fait, il représenta alors le PSD aux négociations
d'Arusha. Le poste de secrétaire général resta ensuite
vacant.
l) 1 Décédé au cours de l' année 1993, il fut remplacé par un originaire
de Ruhengeri,
ll2 Élus par leurs collègues, les doyens de faculté ne peuvent
être assimilés à des directeurs nommés par les autorités
centrales d'un ministère. Pour autant, la sphère académique n'échappait pas aux mécanismes de pouvoir dominants.
ID Gendre de Théodore SINDIKUBWABü.
1). Plutôt proche des milieux d'opposition
à la mouvance présidentielle.
67

IRST:
Directeur:

François

GASENGARIYE,

ISAR
Directeur

général

en poste

Gitarama,

à Rubana

: Charles

hutu, MDR

NDEREYEHE

NTAHONTUYE,

Ruhengeri,

hutu,

MRND/CDR'35
Directeur régional 136 : Venant RUTUNGA,
Ruhengeri,
hutu!"
Chef de station: Joseph MULINDANGABO,
Gitarama, commune Masango,
Directeur scientifique:
Pierre NYABYENDA,
Butare, Ruhashya, PSD
Directeur financier:
Jean-Damascène
SHYIRAMBERE,
Il, hutu, /1
Administrateur
du personnel:
Didace MUGEMANA,
PSD, hutu
SORWAL
(principal établissement
industriel de la préfecture)
Directeur:
Alphonse HIGANIRO,
Gisenyi, hutu, MRND/CDR
Directeur technique:
Martin DUSABE, Gisenyi, hutu, MRND
Directeur commercial:
Jean-Paul KAMA VU, Kigali rural, hutu, MRND
Directeur administratif
et financier:
Jean-Baptiste
SEBALINDA,
Butare,

hutu, PSD

commune

Kibayi,

hutu, MDR

Power
Chef comptable:

Pierre NSABIMANA,

Butare,

Région
sanitaire
de Butare
Directeur:
Jean-Chrysostome
NDINDABAHIZI,

commune

Butare,

Nyakizu,

commune

hutu, PSD

Nyakizu,

hutu, PSD

Power

LABOPHAR
Directeur
Directeur
CUR),
Laiterie
Directeur:
Direction

(suspendu)

: Emmanuel

a.i : Mme Espérancia
Cyangugu,

hutu,

MUNY ANGENDO,
MUKARUGAMBWA,

Gikongoro, hutu, PSD
D8
épouse RWAGASANA

(vice-recteur

de l'UNR-

MRND

de Nyabisindu
Dr Callixte MIRASANO,
Ruhengeri,
hutu,
régionale
des services
agricoles

l39

CDR
de Buta

re : Justin

NSENGIMANA,

Butare,

l40

commune Gishamvu, hutu, PSD

ns Nommé le 27 janvier

1992.
"6 En 1993, l'ISAR fut organisé

sur la base de cinq régions,

dirigées

à partir du siège central

de la station

de

Rubona.

I)? la station
de Rubona était considérée comme un bastion du PSD, mais le directeur régional ne s'affichait ni
MRND, ni PSD. Après le début des massacres, la distinction
MRNDfPSD n'avait plus cours et l'activisme antitutsi ne
suscita guère d'opposition au sein des personnels. Venant RUTUNGA participa à de nombreuses réunions préfectorales
de sécurité au cours de la période du génocide. De même, Joseph MULINDANGABO et Didace MUGEMANA sont
nommément cités par des témoins comme participants directs à des assassinats de membres du personnel. Ce sont eux
qui réglaient notamment la question des dédommagements
et récompenses octroyés aux tueurs.
IlB Fille d'Augustin
KAMOSO (hutu, Cyangugu), ex-ministre
de la première République de 1965 à 1973. Élu député

de la troisième législature (1969-1973).
1)9 L'animosité
de nombreux ressortissants
de la commune et de la sous-région envers Callixte MIRASANO était
particulièrement
vive du fait de la discrimination
présumée qu'il entretenait vis-à-vis des éleveurs tutsi du Mayaga.
D'après ces derniers, la laiterie refusait d'acheter prioritairement
leur production et commercialisait
en fait le lait des
grands éleveurs de Gisenyi qui avaient perdu leur débouché avec la faillite de l'établissement de Nkamira (qui appartenait
personnellement
aux membres de la famille présidentielle)
et les difficultés de la laiterie de Gishwati, Joseph
NZIRORERA, alors ministre de l'Industrie et de l'Artisanat, avait récupéré le contrôle de cet établissement important sur
le plan économique et du rayonnement
socio-politique
en démissionnant
sans préavis le lQ décembre 1990 son
directeur, Augustin IY AMUREMYE (huw, Butare), dont les sympathies
envers les «opposants»
du sud étaient
connues. À cette époque déjà, il apparut évident pour le MRND qu'il était plus important de tenir une entreprise
florissante que des postes de la haure fonction publique nationale. Ainsi, Callixte MIRASANO occupait jusque là le
poste de directeur général de l'Élevage au ministère de l'Agriculture,
poste qui demeura ensuite vacant. Quant à lui,
Augustin IY AMUREMYE fut nommé préfet de Gitarama. Cette promotion
permettait
de satisfaire son beau-père,
Théodore SINDIKUBWABO, dont on attendait qu'il «conseilla"
son gendre. Il s'agissait
cependant d'une mission
impossible dans une préfecture qui échappait déjà de facto à la tutelle du MRND .
•• 0 Nommé en 1993, II resta en fonction
jusqu'en juillet 1994. Il reprit son poste dès le mois de septembre après
l'installation du FPR au pouvoir. Toujours membre du PSD, il aurait été sollicité en mars 1995 pour remplacer le préfet
de Butare, Pierre-Claver RW ANGABO, assassiné par des militaires de l'APR, offre qu'il aurait décliné. Il fut arrêté et
emprisonné le 27 mars 1995 sur la base de charges et de témoignages bien ténus .. Il était toujours en prison en janvier

2002.
68

Projet développement
global de Butare (DGB II) (administré sous la tutelle directe du directeur
régional de l'agriculture)
Directeur:
Justin NSENGIMANA, Butare, Gishamvu, hutu, PSD (succède en 1993 à Charles
GASARABWE, Gi tarama , hutu, MRND)
l42
Directeur adjoint: Alphonse KARANGWAI41, Gitarama, hutu, MRNDIPSD Power
Tous les postes d'encadrement furent monopolisés par le PSD. Un des rares militants MDR, Révérien
HARIDlNTWARI, Gikongoro, commune Rwamiko, hutu, MDR Power, a demandé sa mutation"?
Projet Rizicole de Butare
Directeur: Augustin NKUSI, Butare, hutu, PSD
Projet
piscicole
de Kigembe
Directeur: ex-Alphonse KARANGWA (cf. supra DGB)
Directeur a-i. et DAF: Innocent RWAMIGABO, Butare, Kigembe, hutu, PSD (de la fin 1992 à 1994)
Musée de Butare
Directeur: Simon NTlGASHIRA,

'Gisenyi, hutu, MRND

Sur cette liste, les deux-tiers
des responsables
des administrations
et organismes
étatiques
influents de la préfecture
étaient des cadres ou des membres
du MRND - souvent nommés ct u
temps du parti unique -, le dernier tiers était composé en majorité de cadres ou membres du PSD.
Tous étaient hutu et les originaires
des trois préfectures
du Rukig a représentaient
40 % de
l'effectif. La dénonciation
de cette main-mise
des gens du nord était d'autant
plus forte qu'elle
ne se limitait pas aux postes de cadres. Très souvent, ces derniers amenaient
avec eux la parentèle
à laquelle
étaient octroyés
les postes subalternes
de gardiens,
de manœuvres
habituellement
occupés par des originaires
de la préfecture.
Le MDR n'occupait
ici, comme dans le domaine de
l'administration
territoriale.l"
aucune
position
d'importance.
Agathe
UWILINGIYIMANA
dénonça à de nombreuses
reprises le comportement
hégémonique
du PSD. Pour le projet DGB,
comme pour les autres programmes
de coopération
et services publics à Butare et Gikongoro,
beaucoup
estimaient que les méthodes
de gestion du PSD ne différaient
guère du MRND, sauf
que les gens du sud prenaient
la place des gens du nord. La plupart d'entre
eux étaient d' exresponsables
nommés par le MRND qui adhérèrent
au PSD pour sécuriser leurs positions lorsqu'il
fut avéré que le PSD était bien devenu le parti dominant
de Butare.
La situation que nous décrivons ici était celle qui prévalait au cours de l'année
1993,'4~ À cette
date, le rapport
de force national était globalement
stabilisé, la phase de conquête
des postes,
concomitante
de la prise de contrôle de plusieurs
ministères
par les partis de l'opposition,
était
achevée et, sur le terrain, les compétitions
individuelles
avaient dans l'ensemble
été tranchées.l"
En fait, le contrôle
des filières d'emplois
fut systématiquement
utilisé comme
moyen de
pression pour l'adhésion
aux partis. Les contreparties
pouvaient
être notables particulièrement
avec le projet DGB qui distribuait
des parcelles
dans les marais ou dans le Mayaga.
D'une
manière générale, cette tutelle permettait d'embaucher
les parents et les proches et de fidéliser les
soutiens,
Le second
intérêt du contrôle
des organisations
étatiques
tenait à la possibilité
de
disposer d'un parc de véhicules et de moyens
annexes
(essence, téléphone,
téléfax, reproduction
141 Son frère cadet, Alexis NSABIMANA,
président du PRD, a été nommé secrétaire général de la Sûreté en avril [994
au niveau national. Le professeur Vincent NTEZIMANA, condamné en juin 2001 par la Cour d'assises de Bruxelles, était

le secrétaire exécutif du PRD.
142 Membre du MRND lorsque
Charles GASARABWE

était directeur,

II adhéra au PSD lors de la nomination

de son

successeur, membre du PSD ...
10 En juin
1994, il devint responsable de la 3< section du deuxième peloton de l'autodéfense civile.
14. Le recours
à la violence que le MDR pratiqua dans certaines préfectures lors des opérations
de kubohoza lui
conféra une réputation peu favorable dans la préfecture de Butare, Réputation que confirmaient
les militants de la
commune de Nyakizu. D'autre part, le comportement
dominateur des originaires de Gitararna, qui avaient tendance à
considérer le MDR comme leur propre parti et qui se comportaient
comme ayant déjà conquis le pouvoir, rebutait
également les intellectuels de Butare,
145 Nous avons repris
et complété ici les éléments d'une note politique rédigée par Ignace SENDAMA en date du Il
mars 1993 à l'intention d'Agathe UWILlNGlYIMANA
intitulée Mémorandum sur les faiblesses du MDR à Bu/are.
1<6 Mais les conflits
de positionnement perdurèrent. Le harcèlement des membres du MRND par les ministres MDR,
PSD et PL ne cessa vraiment qu'avec l'éclatement au grand jour des divisions au sein de leurs partis à la fin 1993 el au
début 1994.

69

de documents) qui facilitaient
cellules, la propagande ...

les déplacements,

la tenue de réunions

dans les secteurs et les

Ces quelques éléments que je compléterai ci-après lors de l'analyse approfondie de la situation
au sein de la SORWAL (cf. infra § 5, p. 73) démontrent clairement qu'au-delà
de la sphère
politique militante dont les membres affichaient ouvertement leur engagement et leur affiliation
dans les manifestations et réunions, d'autres lOqigues de « sensibilisation » et de mobilisation
agissaient, bien plus efficaces et contraignantes. 47 Derrière la sphère publique et au-delà des
solidarités imposées (lignagères, régionales, ethniques), qualifiées avec ironie d'« émotionnelles»
par un de nos interlocuteurs, d'autres réseaux intervenaient. Ainsi, sous le multipartisme et du fait
du basculement majoritaire de la préfecture dans l'opposition,
une vie politique souterraine
intense s'était développée. Celle-ci nuançait, pondérait ou infirmait les jeux de rôles publics des
indi vidus et des groupes.
D'une manière générale, les fonctionnaires du nord qui détenaient une part essentielle des
leviers de pouvoir observèrent une attitude discrète, en retrait.!" Pour la plupart, ils ne
manifestèrent guère publiquement leurs engagements, sauf lors de meetings officiels organisés à
l'occasion du déplacement de personnalités nationales du MRND.
Seuls quelques « enragés », comme Callixte MIRASANü (Ruhengeri,
CDR), le directeur de la
laiterie de Nyabisindu, Alphonsine MUKAKAMANZl,
l'épouse d'Alphonse HIGANIRO, égérie
de la CDR, les députés Bernadette MUKARURANGWA et Laurent BARAVUGA, Jean-Berchmans
NSHIMYUMUREMYI, le vice-recteur du CUB (Ruhengeri,
MRNDICDR), Charles NDEREYEHE
NT AHONTUYE, le directeur de l'ISAR (Ruhengeri,
MRND/CDR)
participèrent ouvertement à des
meetings locaux de la CDR et/ou du MRND. Pour une large part, et cela explique le réalisme ou
l'opportunisme dont les acteurs politiques majeurs firent preuve, le jeu politique restait déterminé
de l'extérieur par des réseaux parallèles aux contours mouvants mais d'autant plus craints,
notamment par les « petits ».
4.3. Séraphin BARARENGANA,

l' « œil» du président Juvénal HABYARIMANA

à Butare

C'est à ce ni veau qu'il faut introduire celui qui fut le véritable patron de la sphère politique à
Butare depuis sa nomination en 1978 à la faculté de médecine de l'UNR jusqu'en 1994. Il s'agit
de Séraphin BARARENGANA, le plus jeune frère du président HABYARIMANA, qui épousa lui
aussi une sœur d'Agathe KANZIGA, Catherine MUKAMUSONI (elle aussi scolarisée à l'Ecole
sociale de Karubanda, promotion 1970). Lors de son installation à Butare, elle devint agent de la
BeR.
4.3.1. Le

«

découvreur

de talents»

Dans le système du pouvoir local, il était celui qui avait le contact direct avec l'entourage
présidentiel et faisait fonction de représentant de l'akazu. Plutôt discret et réservé, ses fonctions de
doyen de la faculté de médecine lui offrait un poste d'observateur direct et privilégié des milieux
intellectuels du sud et plus largement du climat politique butaréen. Il était considéré comme le
découvreur des jeunes talents politiques, celui qui les « présentait à la promotion », et joua ainsi un
rôle décisif dans les carrières de plusieurs personnalités éminentes issues de l'Université.
Les «créatures»
de Séraphin
BARARENGANA
furent nombreuses.
Ainsi, André
NTAGERURA (hutu, Cyangugu] qui occupa le poste de secrétaire général de l'UNR en 1980 et
1981, fut nommé après le limogeage
et l'arrestation,
le 29 avril 1980, de Spiridion
149
SHYIRAMBERE,
professeur
de linguistique
à l'UNR.
André NTAGERURA
y acquit
147 C'est
ainsi que se comprennent
les déclarations de plusieurs interlocuteurs affirmant n'avoir ~< manqué aucun
meeting politique à Butare » pour éviter d'être pris à partie par tel ou tel camp. Cette option e multlr isque . était la

plus sûre en termes de tranquillité personnelle.
14B Une
personnalité
importante originaire
du nord, disait à j'époque, en parlant des militantes locales de la
mouvance présidentielle
avec lesquelles elle était très engagée:
«Les
'paysannes',
je ne les fréquente que pour la
politique », Elle signifiait par là le refus de prolonger la solidarité partisane avec les femmes de Butare membres des
mêmes partis pro-hutu au-dela des activités communes
imposées
par sa position
et ses convictions.
Ses autres
fréquentations publiques et privées relevaient de groupes d'affinités
totalement étrangers à cette militance, et même
ouvertement
hostiles.
149 Il fut mis en cause dans le cadre de l'affaire Théoneste

LlZINDE.
70

rapidement la réputation d'être le protégé de Séraphin BARARENGANA:
postes ministériels et devint un proche du clan présidentieL

il accéda très vite aux

Plus largement, Séraphin BARARENGANA faisait ou défaisait les réputations des personnalités
politiques de Butare. Le cas du préfet Frédéric KARANGWA fut aussi fréquemment cité. Mis en
place en 1987 par Thomas HABANABAKIZE, originaire de la même commune Bulinga que lui à
Gitararna et ministre de l'Intérieur
de 1977 à 1989, ce jeune technocrate inexpérimenté fut
remarqué par Séraphin BARARENGANA qui se porta garant de lui lorsque le président dut
nommer
dans la précipitation
un remplaçant
oritf\inaire de Gitarama
à Félicula
NYIRAMUTARAMBIRWA au comité central du MRND.\S Au cours de la seconde République,
aucune carrière de préfet ne pouvait être durable et réussie si l'impétrant n'avait été installé ou
admis par le clan présidentieL De la part de Thomas HABANABAKIZE, la stratégie fut
transparente: la nomination de son protégé à Butare donna à ce dernier de multiples occasions de
se familiariser avec Séraphin BARARENGANA et de se faire ainsi connaître de la présidence.

4.3.2. Le contrôle politique de l'Université

nationale

du Rwanda (UNR)

De même, Séraphin BARARENGANA s'intéressa
de tout temps au fonctionnement
de
l'Université. Il joua un rôle décisif dans la nomination
des deux vice-recteurs de Butare et de
Ruhengeri. Celle du vice-recteur du campus universitaire de Butare le 19 novembre 1987, J eanBerchmans NSHIMYUMUREMYI
(MRND, hutu, Ruhengeri,
commune Batarot'", apparut
comme la cooptation directe d'un collègue de S. BARARENGANA sous les ordres duquel il avait
fait toute sa carrière. Il fut recruté comme médecin à l' hôpital universitaire de Butare en 1981
alors que Séraphin BARARENGANA
accédait au décanat de la faculté de médecine. La
nomination comme vice-recteur d'un enseignant soucieux de la qualité de l'enseignement et de la
recherche apparut comme un progrès par rapport à son prédecesseur, Dismas GASHEGU (hutu,
Gisenyi) dont les mauvaises relations avec la majorité du corps professoral étaient de notoriété
publique, mais elle prolongeait la tradition de contrôle politique ferme du CUB par les Bakiga. La
nomination de Daniel MBANGURA (MRND, hutu, Gikongoro, commune Mudasomwa) comme
vice-recteur du campus universitaire de Ruhengeri bénéficia des mêmes soutiens. Enseignant
connu pour ses compétences en matière d'éducation
et d'enseignement,
il fut adopté sans
difficulté par les personnels et étudiants bien qu'originaire
du sud. Il accéda peu de temps après
au comité central du MRND.
La nomination honorifique de Maurice NT AHOBARI à la direction de l'UNR le 24 janvier
1989 n'affecta pas les prérogatives que s'était arrogées le vice-recteur de Butare, originaire du
nord et politiquement protégé. Ce dernier conserva la haute main sur la gestion politique de
l'établissement. Lors des événements d'octobre 1990, sous la direction des autorités universitaires,
les personnels de l'Université furent mobilisés activement, aussi bien à Butare qu'à Ruhengeri,
pour soutenir le «régime agressé» et le «Père de la nation» et firent preuve d'une belle
unanimité.
C'est à partir de 1992 que s'ébaucha une résistance ouverte aux autorités universitaires et plus
généralement aux tenants du régime HABY ARIMANA à l'intérieur de l'Université. Elle suscita
aussitôt la recomposition d'un noyau de fidèles radicaux autour des autorités rectorales. Une
nouvelle
fois, le groupe
fut en fait
animé
par
le vice-recteur
Jean-Berchmans
NSHIMYUMUREMYI et maintint une pression politique forte envers tous les opposants à la
mouvance présidentielle (enseignants, personnels administratifs et étudiants). Au début de l'année
1993, lors des élections pour le renouvellement
de la direction de l'association
des étudiants
ISO Félicula NYIRAMUTARAMBIRWA
était devenue une opposante déterminée au pouvoir et bénéficiait d'une
grande notoriété, Elle décéda à Kigali le 8 mai 1989 dans un accident de voiture suspect qui fut qualifié d'assassinat par
de larges secteurs de la classe politique. À la fin de la même année, à Butare, le 7 novembre 1989, alors que Frédéric
KARANGW A y occupait les fonctions de préfet, un second « accident» de voiture se produisit sur la route de Save dont
la victime fut un autre opposant célèbre, l'abbé Silvio SINDAMB1WE, curé de la cathédrale. Précédemment directeur du
journal catholique Kinyamateka, il avait été évincé de ce poste en 1986 par la conférence épiscopale présidée par
l'archevêque Vincent NSENGIYUMV A. Ces deux décès dégradèrent fortement l'image du régime et avivèrent les tensions

Nduga-Rukiga.
Outre Félicula NYIRAMUT ARAMBIRW A, la préfecture de Gitarama était alors représentée au comité central du
MRND par deux autres membres, Benoît NTIGULIRWA, ministre des Finances, et Thomas HABANABAK1ZE, ministre
de l'Intérieur.
151 Son épouse, Spéciose MUKANTABANA
(Butare, commune RuhashyaJ fut une des premières
en médecine enseignante à l'UNR (1979). Lui-même fut recruté en 1981.
71

femmes doctoresses

(AGEUNR, association générale des étudiants de l'Université nationale du Rwanda) le candidat
pro-MRND fut mis en minorité par le candidat commun proche des partis d'opposition
MDR,
PSD et PL aux termes de réunions qui mêlèrent des agressions verbales et physiques. Une
association parallèle d'étudiants
pro-MRND fut ensuite mise en place avec le soutien des
responsables de l'UNR, la LIDER, ligue des étudiants au Rwanda." Le comité préfectoral de
sécurité du 11 janvier 1993 fut saisi de cette agitation.
L'attaque de Ruhengeri en février 1993, qui imposa le rapatriement de toutes les filières et
étudiants du campus universitaire de Nyakinama sur Butare, accrut fortement les tensions. De
nombreux enseignants et étudiants avaient déjà regagné Butare pour fuir la terreur qui régnait sur
le campus de Ruhengeri du fait des menaces et exactions des groupes de miliciens et des services
de sécurité. Le clivage politico:ethnique' doublé d'affrontements
à caractère régional confortait
des frontières infranchissables. A la fin de l'année 1993, une filière universitaire du MDR se mit
en place en dehors des instances formelles du parti et mena une campagne violente contre
1'« usurpation» de titre et de fonction de l'équipe TWAGIRAMUNGU (cf. annexe 13, tome 3).
Il ne faudrait pas oublier aussi la mobilisation active des étudiants de la faculté de droit à
Kigali, Mobilisation téléguidée à partir de la préfecture par l'intermédiaire
d'étudiants atypiques.
On y remarquait notamment le trio des « épouses CDR » dont la figure marquante était Geneviève
KABERA, tutsi bagogwe'" de Gisenyi, mariée au lieutenant-colonel
Léonard NKUNDIYE,
étudiante de 1991 à 1994. Les deux autres étaient Françoise NIWEMW ANA, épouse de Viateur
NVUYEKURE, cousin de Juvénal HABYARIMANA, elle aussi étudiante en licence 1, et Laurence
NYIRAGUHIRWA, épouse de Jean-Baptiste NDARIHORANYE, éphémère ministre de la Santé au
début de l'année 1992 et un des responsables du MRND de Gisenyi,
Nous ne reviendrons pas dans ce document sur les massacres commis à l'UNR à partir de la
mi-avril 1994 ni sur le rôle des différentes structures universitaires au cours des mois qui suivirent.
Signalons néanmoins que dès le 6 avril, les responsables de l'UNR étaient « sensibilisés» et prêts à
répondre aux consignes nationales. Dès le renvoi du préfet Jean-Baptiste HABY ALIMANA, un
groupe de miliciens était opérationnel sur le campus universitaire sous les ordres du vice-recteur
Jean-Berchrnans
NSHIMYUMUREMYI.
La plupart des opposants et des Tutsi, personnels
administratifs, enseignants et étudiants, gui ne parvinrent pas à quitter Butare avant la mi-avril
furent ensuite assassinés. Parmi d'autres exemples, un des doyens, celui de la faculté de médecine,
Alphonse KAREMERA (MDR Gitarama, commune Nyabikenke),
responsable
de l'hôpital
uni versitaire, laissa massacrer les blessés tutsi hospitalisés et organisa à la fin du mois d'avril, avec
le vice-recteur Jean-Berchmans NSHIMYUMUREMYI
et les autorités administratives de la ville et
de la préfecture, la remise en fonctionnement
de l'hôpital universitaire débarrassé de ses
personnels et patients tutsi. Jean-Berchmans
NSHIMYUMUREMYI
fut ensuite nommé en mai
coordonnateur du comité universitaire de Butare en charge de la défense civile.

152 Elle fut déclarée légalement le 20 décembre
1992 avec trois coordonnateurs nationaux, Jean de Dieu BIZllv1ANA,
Corneille SEBAHUNDE, Gaspard BAHINYUZA. Le bureau exécutif de la section locale de Butare fut installé le 27 juin
1993. Assiel NZABAHA YO fut élu président et Thomas GAKIRE, vice-président.
Il) Déclarée
comme hutu à l'UNR.

72

5. Butare, pôle national du financement des Interahamwe
Ce chapitre déborde largement de la stricte sphère politique butaréenne.
Il concerne la
principale entreprise de la préfecture, la SORW AL, société rwandaise des allumettes, sur laquel1e
j'ai réalisé des investigations inédites à partir d'avril 2001. Une partie de ces recherches a été
exploitée en mai de la même année lors d'une déposition devant la Cour d'assises
de Bruxelles où
I54
comparaissait Alphonse HIGANIRO, le directeur général de la SORWAL • L'analyse des
documents comptables de la société, des archives et de nombreux témoignages ont éclairé le rôle
majeur qu'elle a joué dans le financement national et régional de groupes ou partis politiques liés
à la mouvance présidentielle.
Une exploitation pius systématique a été effectuée dans le cadre de ce rapport pour mettre en
lumière le contrôle étroit de la sphère politique nationale et régionale par quelques membres ct u
clan présidentiel. Il en ressort à la fois une meilleure compréhension
d'un projet politique
national cobérent et méthodiquement mis en œuvre, et un éclairage précis des hiérarchies et rôles
politiques des principaux protagonistes concernés du niveau national à l'échelle locale,
Au terme de cette analyse couvrant les années 1991-94, la configuration des décideurs apparaît
nettement: les leaders butaréens à qui la mouvance présidentielle offrit un destin national furent
d'abord les relais et exécutants d'un noyau de personnalités originaires du nord qui contrôlait les
lieux de pouvoir centraux. Cette mise en perspective nationale permet alors de mieux comprendre
les compétitions qu'entretinrent les personnalités locales. Compétitions dont l'enjeu, à partir du 6
avril 1994, consista à apparaître sur le terrain comme les plus actives dans la conduite des tueries
et l'accomplissement des exactions.
5.1. L'entreprise
présidentielle )}

SORWAL

et le financement

des

activités

politiques

de

la

«mouvance

Au cours des années 1990, seules trois fabriques d'allumettes
SWEDFUNDlUnion Match
étaient installées sur le continent africain: l'une au Rwanda (la SORW AL), une autre à Kinshasa
(l'entreprise MAZAL) et la troisième en Namibie. Chacune disposait donc d'un marché régional
potentiel important qui, en cas de bonne gestion, pouvait lui assurer une rentabilité certaine.
L'entreprise de Butare a été créée sur financement de l'État rwandais au début des années 80.
Elle employa alors jusqu'à 600 employés. Afin d'assurer sa modernisation grâce à l'apport de
capitaux étrangers, le statut de la SORW AL fut modifié une première fois en 1987 avec la création
d'une société par actions à responsabilité limitée (arrêté présidentiel du 23 décembre 1987), puis
une seconde fois en 1989. Elle obtint alors le régime des «entreprises décentralisées» qui lui
accorda un traitement privilégié1S5 en échange d'un investissement initial d'un minimum de 660
millions de FRw et de diverses autres contreparties,
notamment en matière de formation du
personnel (arrêté ministériel du 14 mars 1989). Le) 0 avril 1990, les différents actionnaires
constituèrent
la société anonyme
SORW AL. L'Etat
rwandais et la société rwandaise
TABARW ANDA se partageaient approximativement
la moitié des actions, le reste du capital était
réparti, dans l'ordre d'importance, entre la société commerciale rwandaise RWANDEX, la Banque
rwandaise de développement (BRD), la société belge UNAL (assistance technique à la gestion), la
fondation suédoise SWEDFUND (fournisseur
des matériels) et deux actionnaires privés (un
Suédois et un Français). La partie rwandaise détenait au total 7S % du capital: 27 % pour l'Etat
rwandais, 48 % pour les trois sociétés privées (BRD, TABARWANDA, RWANDEX), et tes
actionnaires étrangers disposaient des 25 % restants.
En décembre

1989, le premier

conseil

ct' administration

(CA) de la nouvelle

société était

composé de:

MM.

NGIRUMPATSE

156

Mathieu, président à compter du 12 octobre 1989

;

Celui-ci a été reconnu coupable et condamné à une peine de 20 ans de prison.
Exonération des droits et taxes à l'importation et à l'ex.portation, exonération des impôts sur le bénéfice
pendant cinq ans, exonération des redevances foncières pendant huit ans...
1$6 Mathieu NGlRUMPATSE était alors secrétaire général en charge du service des Affaires extérieures à la présidence
de la République. En mars 1990, il obtint la direction de la SONARWA, société nationale d'assurances de Rwanda, un des
postes rémunérateurs les plus prisés du pays. Lors de son accession à la tête du CA de la SORWAL, le président sortant
1$4

1$$

73

BRÉTÉCHER Gérard, de nationalité française, NEDERLIGHT-BBV, vice-président;
BASIAUX Jean-Pierre, de nationalité belge, représentant de TABARWANDA ;
BUNANI Fabien, fonctionnaire
du ministère de l'Industrie,
des Mines et de l'Artisanat,
représentant de l'État rwandais nommé le 2 décembre 1989 ;
NKEZABERA Jean-Marie Vianney, représentant de la BRD ;
NGIRABACU Jean-Baptiste, représentant de RWANDEX ;
BERHIN Pierre, de nationalité française, représentant de SWEDFUND.
Hormis la forte présence de représentants étrangers qui devaient garantir la relance de la
société (ils devaient assurer le suivi des investissements et de la gestion), la composition du CA
présentait des caractéristiques habituelles à cette époque. Mathieu NGIRUMPATSE, juriste, ami de
longue date du président Juvénal HABYARIMANA, ex-ambassadeur notamment en Allemagne et
auprès de l'OUA à Addis-Abeba, venait de connaître une période difficile sur le plan personnel.
Cette nomination honorifique et financièrement intéressante marquait un retour en activité.
Mathieu NGIRIRA (hutu, 'Gisetiyi) fut nommé directeur général de la société le 24 avril 1989.
11s'agissait d'un homme puissant,et"respecté pour ses compétences techniques. De janvier 1979 à
janvier 1984, il fut ministre de l'Economie et du Commerce, poste qu'il quitta pour le portefeuille
très recherché de ministre de l'Industrie, des Mines et de l'Artisanat où il resta en fonction
jusqu'en avril 1987. Il fut parallèlement député au cours de la première législature et membre du
comité central du MRND nommé en 1980, La nomination à un poste «alimentaire » de directeur
d'entreprise publique équivalait cependant à une mise à l'écart de l'arène politique décidée
personnellement par le président HABYARIMANA. Sur place à Butare, sa nomination suscita bien
évidemment de vives protestations « contre l'importation des gens du nord ».
Mathieu NGIRIRA réalisa la modernisation
de l'entreprise
qui s'équipa
de matériels
performants et, du fait des gains de productivité, licencia la majorité de ses personnels. En 1991,
les effectifs étaient ramenés aux alentours de 150 salariés. En octobre 1991, les pillages qui
touchèrent la ville de Kinshasa aboutirent à la mise hors d'état de l'usine kinoise MAZAL et une
carence d'allumettes gagna l'ensemble du territoire zaïrois. Une augmentation importante de la
production de la SORW AL était attendue et les ventes devaient suivre.
157

C'est dans ce contexte que Mathieu NGIRIRA fut démis de ses fonctions le 17 février 1992158
et remplacé par Alphonse HIGANIRO (hutu, Giseriyi, commune Gaseke) le 13 février 1992.
Pour Alphonse HlGANIRO aussi, l'affectation à Butare succédait à un poste ministériel: il occupa
brièvement le poste de ministre des Transports et des Communications de février à décembre
159
1991 dans le dernier gouvernement du parti unique MRND.
La raison de ce transfert à un poste « en province» ne fut pas liée cependant à une disgrâce
personnelle. L'année 1991 avait vu l'avènement du multipartisme et les structures administratives
et économiques de l'État ne pouvaient plus être monopolisées ou ,mises au service exclusif du
parti unique. Bien que contrôlant encore l'essentiel de l'appareil d'Etat, le clan présidentiel et les
dirigeants du MRND ne pouvaient exclure l'accession
des nouveaux partis d'opposition
au
pouvoir. Il importait donc de garantir au plus vite la pérennité de ressources substantielles qui
permettraient de financer de futures campagnes
électorales pour conserver le pouvoir ou y
revenir.
Ainsi, dans la deuxième moitié de l'année,
alors que d'impressionnantes
manifestations
faisaient sans cesse reculer les dirigeants du MRND qui tergiversaient, le cercle restreint des
proches du président HABY ARIMANA mit en œuvre une retraite ordonnée en redistribuant les
postes. Dans la plupart des ministères furent organisés de vastes mouvements de nomination aux

était Théodore MPATSWENUMUGABO
(h~[tu, Gùarama), un économiste de formation qui enseigna à l'UNR avant d'être
nommé directeur au ministère des Finances, puis secrétaire général du ministère des Transports et des Communications,
En i989, il obtint un poste à la Banque mondiale à Washington,
ln M. NGIRrRA venait de publier un ouvrage qui connut un certain succès dans les milieux intellectuels
rwandais.
Ouvrage qui préconisait ouvertement un changement de régime politique et appelait au multipartisme,
cf. Dr Mathieu
NGIRIRA, Dr Jean Bosco NZITABAKUZE, Le Rwanda à la croisée des chemins, Butare, Imprimerie Nationale du Rwanda,
juin

1991.
Il fut formellement détaché à la SORWAL le 27 janvier l 992,
159 Son administration
d'origine était le ministère de l'Éducation nationale où il occupait le poste de secrétaire
général jusqu'au début de J'année 1990. Il fut ensuite affecté à la CEPGL à Gisenyi où il remplit pendant quelques mois
les fonctions de secrétaire exécutif avant d'intégrer le cabinet ministériel.
Ils

74

postes-clés des directions
collaborateurs fidèles.

et établissements

publics

et parapublics

pour

y

installer

des

Joseph NZIRORERA, ministre de l'Industrie, des Mines et de l'Artisanat, exerçant la tutelle sur
les principales entreprises du pays joua un rôle décisif pour verrouiller les postes et s'installa dans
les fonctions d'un «premier ministre bis » au titre du MRND. Il constitua ainsi une sorte de
gouvernement parallèle dont la finalité était d'assurer le financement politique de la famille du
président, du MRND, des organisations
ad hoc (associations
de parents d'élèves, ASBL
diverses, ... ), puis, lorsqu'elles
furent créées à partir de 1992, de la CDR et des milices,
L'organisation
de ces financements passait par la nomination de gens de confiance à la tête des
structures dont « la caisse était pleine ». Toutes les institutions intéressantes furent inventoriées.
L'argument central exposé aux barons du régime dont les carrières et les rentes étaient menacées,
fut simple : «comment allez-vous faire vivre vos partis politiques pour organiser les élections
législatives et présidentielles
?» Elections considérées
alors' comme inévitables. Ainsi, de
nombreux dignitaires furent mis en réserve du pouvoir et affectés à des postes certes moins
prestigieux, mais, comme dans le cas présent de la SORW AL, nettement plus rémunérateurs qu'un
portefeuille ministériel. Il fallait faire vite car l'éventuelle arrivée de l'opposition au pouvoir ou le
partage du pouvoir devaient inévitablement se traduire par une répartition des postes stratégiques
ou d' infl uenee.
À la fin de t'année 1991, Juvénal HABYARIMANA tenta une dernière diversion pour bloquer
la pression croissante des partis d'opposition en nommant un premier ministre originaire du sud,
Sylvestre NSANZIMANA,
à la tête d'un
nouveau gouvernement
qui bouleversa assez
profondément le noyau dur des titulaires habituels. Les figures les plus marquées de la mouvance
présidentielle, celles qui passaient comme les plus proches de la présidence, les plus impliquées
dans les dossiers politiques délicats ou les affaires de corruption dénoncés par l'opposition,
durent quitter le cabinet ministériel. Ce fut notamment le cas de Joseph NZIRORERA, un des
hommes clés du rézime HABYARIMANA, et d'Alphonse
HIGANIRü, un originaire du terroir
présidentiel (OTP)l60 qui avait épousé la fille d'Emmanuel AKlNGENEYE, médecin personnel du
président. Alphonse HIGANIRO était membre du Conseil préfectoral de la préfecture de Gisenyi,
et donc du comité préfectoral du MRND, depuis le 21 octobre 1975, date de sa création. Depuis
l'avènement du multipartisme, il figurait bien évidemment parmi les personnalités élues du comité
préfectoral du MRND rénové à Gisenyi (cf. annexe 14, tome 3).
La SORWAL était l'une des plus importantes entreprises industrielles du pays avec l'OCIRThé et l'OCIR-Café, la CIMERWA (cimenterie) de Cyangugu, la BRALIRWA (bière) de Gisenyi,
... Au début 1992, elles étaient toutes sous le contrôle direct de la famille présidentielle et de ses
alliés. Les équipes dirigeantes étaient composées d'OTP, tous nommés personnellement par le
président de la République ou avec son accord.
À titre d'exemple, citons Marcel SEBATWARE (hutu, Ruhengeri, commune Mukingo), qui
obtint le poste de la CIMERWA à Cyangugu à la fin de l'année 1991. Il était voisin de colline de
Joseph NZIRORERA (hutu, Ruhengeri, commune
Mukingo), ministre de l'Industrie et de
l'Artisanat du 10 juillet 1990 au 31 décembre 1991 qui exerçait la tutelle sur l'entreprise. Celui-cl
proposa et soutint avec succès sa candidature. La plupart des postes de direction de l'usine furent
ensuite pourvus par des originaires de Ruhengeri,
dont le propre demi-frère de Joseph
NZIRORERA. Mentionnons encore, Michel BAGARAGAZA, directeur de l'OCIR-Thé, nommé en
1988, élément majeur du noyau financier de l'akaz;u.l61 Ou enfin, Alphonse NTILIV AMUNDA,
directeur général des Ponts et Chaussées et responsable
de la gestion quotidienne du Fonds
routier, et marié avec la fille de Juvénal HABYARIMANA, Marie-Jeanne, en 1989. Il contrôla
alors des budgets très importants et des moyens logistiques qui s'avérèrent décisifs en matière de
mobilisation politique.
Ces entreprises parastatales avaient toujours été fortement sollicitées par le régime pour placer
des proches ou enrichir tel ou tel membre de la clientèle présidentielle. Avec le multipartisme et la
guerre, la pression fut encore plus forte car la fidélité aux engagements politiques demeurait liée
aux faveurs susceptibles d'être offertes par les différents partis. De 1991 à 1992, le nombre des
militants déçus ayant rallié les nouveaux. partis d'opposition
s'était fortement accru et le MRND

160 Cette expression
s'appliquait à toutes les personnalités
promues du fait de leur naissance ou de l'origine
filiation dans la commune du président HABY ARIMANA et plus globalement dans la région du Bushiru,
,., Son épouse est une cousine directe d'Agathe KANZIGA qu'il épousa par arrangement.

75

de leur

mit en œuvre toute une panoplie de sanctions envers ceux qui le quittaient dans l'administration,
le privé, etc,
Tel fut le parcours de Mathieu NGIRIRA, prédécesseur d'Alphonse HIGANIRO à la tête de la
SORW AL, qui faisait partie des «mécontents»
du régime HABY ARIMANA et qui fut considéré
comme un allié de Jean.Berchmans BIRARA tombé en disgrâce. Bien qu'originaire lui aussi de
Gisenyi, il n'était pas un ressortissant de la région du Bushiru mais de cene du Bugoyi, d'où
procédaient la plupart des putschistes qui tentèrent en 1980 d'évincer Juvénal HABYARIMANA.
De nombreuses personnalités de Ruhengeri et, d'une manière générale, la plupart des originaires
du Bugoyi (Théoneste LIZINDE, Stanislas BISERUKA, Jean-Berchmans BIRARA, ...) subirent
ensuite le contrecoup des soupçons de trahison, fondés ou non, de la part des membres du clan
présidentiel,
Ainsi, Mathieu NOIRIRA gagna en 1991 les rangs du MDR et se fit élire secrétaire du comité
directeur préfectoral du MDR Gisenyi. Ce n'était pourtant pas un militant, mais le simple fait
qu'un notable se déclare anti·MRND apparut comme une provocation dans la préfecture du
président. De plus, Mathieu NGIRIRA fut jugé comme un adversaire potentiellement dangereux
car il était bien informé des modes de gestion de la famille présidentielle et entretenait des liens
personnels avec les représentants des coopérations étrangères. Enfin, en tant que directeur de la
SORW AL, il « donnait» à l' opposition' la direction de la principale entreprise de la préfecture de
Butare, préfecture qui s'imposait avec celle de Gitarama comme un des bastions de l'opposition
sudiste. Brutalement évincé, il ne reçut aucune autre affectation jusqu'à la mise en place du
gouvernement pluripartite dirigé par Dismas NSENGIYAREMYE .en avril 1992. Ce dernier le
rattacha alors à son cabinet comme conseiller chargé des Affaires économiques.
Cette reprise en main de la SORWAL correspondait parallèlement à la montée en puissance du
président du conseil d'administration,
Mathieu NOIRUMPATSE. Nommé ministre de la Justice
dans le gouvernement éphémère de Sylvestre NSANZIMANA, il apparut comme un homme
nouveau qui échappait au discrédit des hiérarques
du régime. Ensuite, sa gestion habile de
dossiers judiciaires délicats'" le mit en avant et en fit le candidat idéal du président pour incarner
le renouveau du MRND. Originaire de Kigali, il souhaitait se dissocier des gens du nord et se bâtir
une stature nationale dégagée du handicap régionaliste.
Certes, le président du CA de la SORW AL n'était pas un administrateur et il ne votait pas les
décisions, tout comme le directeur général qui faisait fonction de secrétaire de séance. Cependant
compte tenu du poids politique personnel de Mathieu NGIRUMPATSE, il ne pouvait être
considéré comme un simple figurant. La distribution de ces postes très recherchés faisait l'objet
de savants calculs au sein du clan présidentiel et aucun actionnaire n'aurait osé affronter ou
contredire un représentant aussi éminent et proche du président de la République.
Les autres représentants rwandais au sein du CA agissaient pour le compte de trois sociétés
commerciales de droit privé (RWANDEX, TABARWANDA et la BRD) qui étaient elles-mêmes des
sociétés hébergeant les puissants du régime. La BRD était directement supervisée par des cadres
placés par l'akazu:63
On n'imagine pas non plus l'administrateur
délégué de TABARWANDA,
de nationalité belge, qui représentait généralement
par procuration
les sociétés UNAL et
SWEFUND, ainsi que les deux actionnaires étrangers, s'immiscer dans des dossiers proprement
rwandais.
Deux représentants étaient néanmoins connus comme appartenant à l'opposition.
Jean-Marie
Vianney NKEZABERA
(hutu, Butare, commune
Kigembe), représentant
de la BRD, se fit
1.1 Le régime était alors empêtré
dans l'affaire des « complices
du FPR » arrêtés à partir du 4 octobre 1990 dont
l'emprisonnement
et les jugements avaient suscité de violentes
réactions nationales
et internationales.
Mathieu
NG1RUMPATSE qui pilotait ce dossier sous la responsabilité
de Sylvestre NSANZIMANA, bénéficia de la sanie
honorable qui fut mise en œuvre sans susciter de trop vives oppositions des durs du régime.
1.) On notera que la Banque
rwandaise de développement
était dirigée par Augustin MAHARANGARl (tutsi, Butare,
commune Mugusa) qui bénéficiait d'un soutien total de la présidence. Augustin MAHARANGARl appartenait au groupe
des Tutsi, grands commis de l'État, qui travaillait sans état d'âme avec le régime MRND. Lors du déclenchement de la
guerre en octobre 1990, il participa à la rédaction d'une déclaration d'intellectuels rwandais condamnant l'attaque du FPR
et fut membre de la mission officielle chargée d'expliquer à la communauté internationale la situation politique du pays.
Au cours du multipartisme, comme la plupart des personnalités
originaires de Butare, il rejoignit les rangs du PSD. Il fut
assassiné au cours du génocide. Notons cependant que l'essentiel
des fonds bancaires de la SORWAL était géré par la
Banque de Kigali et non par la BRD (cf. déclaration A. HIGANIRO, Cour d'assises, Bruxelles, le 21 mai 2001:
«La
BRD ne détenait pas la réalité des mouvements de fonds et c'est la Banque de Kigali qui jouait le rôle essentiel. »},

76

connaître comme membre du PSD, tout en se déclarant aussi très proche du MDR. Son départ du
CA coïncida avec celui de Mathieu NGIRIRA. Le représentant de la BRD qui lui succéda, JeanPierre MURENZI (PL, tutsi), directeur du pôle sud de la BRD de Butare, fut nommé comme
représentant résidant à Butare. De même, Jean-Berchmans
BIRARA, haut dignitaire du régime,
avait la réputation d'être un homme indépendant,
qui n'hésita pas à dénoncer les pratiques
prédatrices des proches de la présidence. Mais dans les deux cas, ces représentants n'étaient que
les porte-parole de leurs établissements actionnaires, établissements eux-mêmes sous contrôle du
même groupe. Jean-Berchmans BIRARA préféra se faire représenter et ne siégea qu'une fois
personnellement
(le 24 mars 1993). D'une
manière générale, selon la déclaration d'un
représentant au CA, « les membres du CA ont préféré se taire. Le pouvoir se trouvait dans les
mains de Mathieu NGIRUMPATSE et de son secrétaire du CA, Alphonse HIGANIRO. JeanBerchmans BIRARA n'osait rien dire, il n'est venu qu'une fois. »
La composition du conseil d'administration en fonction en janvier 1994 ne modifiait pas cette
analyse: Fabien BUNANI, le représentant de l'Etat rwandais, avait rejoint le ministère de
l'Intérieur et occupait un poste à la préfecture de Kigali sous les ordres du colonel Tharcisse
RENZAHO ; Silas MUCUMANKIKO, originaire de Gikongoro, patron de TABARWANDA, était
un allié fidèle de l'akazuJ6\
Gaspard TEGIBANZE (Gikongoro), le commissaire aux comptes,
était ordonnateur trésorier du Rwanda et fut recruté comme «technicien ». Le dernier conseil
d'administration d'avant-guerre se tint en mars 1994.
Une reprise en main similaire s'effectua au niveau du personnel de l'entreprise. Les cadres
techniques et administratifs appuyèrent sans réserve la nouvelle direction. Parmi les cadres
dirigeants figuraient:
DUSABE Martin (MRND, hutu, Gisenyi, commune Mutura), directeur technique, recruté le 1cr
janvier 1990. Comme M. NGIRIRA et A. HIGANIRO, il était originaire de Gisenyi. Son père
était le fameux major Mathias MUNY ARUKIKO, ex-policier tortionnaire, responsable du
Bureau central de criminalistique, qui fut impliqué dans l'élimination
des ministres de la
première
République
originaires
de Gitarama
après le coup
d'Etat
de Juvénal
BABY ARIMANA en juillet 1973. Martin DUSABE, le plus ancien des cadres de la SORW AL,
était l'homme de confiance d'Alphonse HIGANIRO et assurait l'intérim en son absence.
SEBALINDA Jean-Baptiste (MDR, hutu, Butare, commune Kibayi), directeur administratif et
financier, recruté le 9 septembre
1992. Ancien économiste/gestionnaire
de l'UNR, puis
directeur des Industries au ministère de l'Industrie, des Mines et de l'Artisanat quand Mathieu
NOIRIRA détenait ce portefeuille entre 1984 et 1987, il accéda ensuite à un poste de directeur
au ministère du Commerce. Il fut parallèlement nommé membre du conseil d'administration
de l'IRST le l " mars 1991 en remplacement
d'Augustin
NGIRABATWARE (MRND, hutu,
Gisenyi), nommé ministre du Plan.!" Il fut embauché par Alphonse HIGANIRO pour s'assurer
les bonnes grâces des gens de Butare très allergiques à la présence des gens du nord dans les
projets et autres structures de développement
de leur préfecture. Jean-Baptiste SEBALINDA
devint membre du MDR. Il se proclamait proche d'Agathe UWILINGIYIMANA plus que de
Jean KAMBANDA. Lui et Alphonse HIGANIRO formèrent sur le plan professionnel un duo
solidaire (obligé) pour présenter des comptes acceptables aux. actionnaires, se partager des surrémunérations et avantages divers. Pendant la guerre, il devint un activiste du MDR Power. Il
fut un des quatre gestionnaires du compte bancaire de l'autodéfense civile ouvert à la Banque
de Kigali le 15 juin 1994. Avec les autres fondés de pouvoir, Faustin RUT AYISIRE, souspréfet, Jean-Berchmans NSHIMYUMUREMYI,
vice-recteur de l'UNR et Venant GAKWAYA,
secrétaire de la Chambre de commerce de Butare, et notamment les deux premier d'entre eux,
ils s'illustrèrent comme des partisans actifs des massacres à Butare.

160 Silas
MUcUMANKIKü était un économiste formé en Belgique dans le même établissement
que de nombreuses
personnalités
ayant rejoint les rangs de l'opposition
(comme Marc RUGENERA, Emmanuel BAHIGlKl, Emmanuel
GAPYISI, Vincent RUHAMANYA, ... ). Il était marié à une femme tutsi. Depuis le milieu des années 80, il s'était lié
avec Charles NZABAGERAGEZA, membre de l'akaa!, cousin du président Juvénal HABY ARIMANA. Ce dernier fut
successivement directeur au ministère de l'Agriculture,
préfet de Ruhengeri (1989-1992) et directeur de cabinet d'André
NTAGERURA, ministre des Transports
et des Communications
(1992-1994).
Au cours de la guerre en 1994, Silas
MUCUMANKIKü participa activement
avec le lieutenant-colonel
Aloys SIMBA, officier retraité responsable
de
l'autodéfense
ci vile pour les préfectures de Gikongoro
et B utare, à l'organisation
des attaques menées à partir de
Gikongoro avec les miliciens Interahamwe dans les communes de Butare qui résistaient à la politique des nouvelles

autorités.
165 Il occupa le même poste sans discontinuer

jusqu'à

la chute du gouvernement

77

intérimaire en juillet t994.

KAMA VU Jean-Paul (MRND, hutu, Kigali rural), délégué commercial, recruté le 9 septembre
1992,166 En tant que prospecteur commercial, il occupait une position stratégique au sein de
l'entreprise pour proposer des clients ou les évincer. On notera cependant que dans tous les
domaines de décision, aucune suite ne pouvait être donnée à un dossier sans l'aval explicite
d'Alphonse HIGANIRO. Ainsi, celui-ci imposait que tous les documents à signer lui soit
transmis rédigés à la main. Ils n'étaient ensuite tapés par le secrétariat et signés qu'après avoir
reçu un avis favorable mentionné personnellement sur le document par le directeur général.
NSABIMANA Pierre (MRND, hutu, Butare, commune Ntyazo), chef comptable, recruté le 9
septembre 1992. Son recrutement a été recommandé par Jean-Baptiste SEBALINDA. Aucun
témoin ne le décrit comme impliqué dans les massacres.
La prise de contrôle de l'entreprise s'effectua de manière systématique: de la mi-1992 à la fin
1993, 50 salariés furent recrutés, promus ou changés d'affectation sur un total de 120. Parmi eux
figuraient notamment:
CYIZA Jean-Léonard (MRND/CDR, hutu, Ruhengeri, résidant commune Ngoma, secteur Rango),
dactylographe, qui fut très engagé dans les massacres (cf annexe 15, tome 3) ;
MUHUTU Ladislas (MRND/CDR, hutu, Butare, commune Ngoma), ex-FAR, recruté le 7
décembre 1993, garde du corps d'Alphonse HIGANIRO ;
NDAZ1LIWE Nicolas (CDR, hutu, Ruhengeri, dom. Byumba), déjà en fonction en 1993 ;
NKUYUBWATSI Innocent (MRND, hutu, Ruhengeri), contrôle qualité, recruté le 1"' septembre
1993. Précédemment élève de l'ESO, il fut réformé suite à un accident et le capitaine
Ildephonse NIZEYIMANA, auquel il était apparenté, le fit embaucher à la SORW AL. Il
s'illustra alors comme milicien Interahamwe ;
H17
MISAGO Boniface (MRND, hutu, Butare), chauffeur recruté par la SORWAL •
Alphonse HIGANIRO fut officiellement
nommé pour remédier à la mauvaise gestion
présumée de Mathieu NGIRIRA. Plus ex.plicitement, il s'agissait
aussi de le discréditer.
L'argumentaire
fut trouvé dans la tenue du compte des «clients douteux ». En effet, au 31
décembre 1991, la société se trouvait à la tête de plus de 85 millions de FRw d'impayés. 36
millions étaient imputables à un seul commerçant de Kibungo, Sadallah BASOMINGERA ; 20 à
Edouard BANDETSE, un nouveau partenaire recruté à Cyangugu pour ~(inonder le marché
zaïrois à partir de Bukavu» ; la plus grosse partie des autres créances était le fait de commerçants
du quartier Matheus à Kigali. Ces commerçants avaient la particularité d'être tous originaires de
Gitarama et proches du MDR (cf SORWAL, Comptes clients 1991, in annexe 16, tome 3). Des
pressions vigoureuses
furent donc engagées
pour recouvrer les arriérés et si Sadallah
BASOMINGERA s'acquitta immédiatement de sa dette, les autres tergiversèrent et le CA approuva
l'ouverture de poursuites judiciaires.
De fait, tout laisse penser que la SORW AL, sous la direction de Mathieu NGIRIRA, accorda un
statut de commerçants privilégiés à des clients auxquels de grandes quantités d'allumettes étaient
livrées en échange de chèques qui n'étaient pas encaissés dans l'immédiat et/ou qui restaient sans
provision. La connotation politique de ce soutien pouvait apparaître manifeste en cette année de
début du multipartisme, même si la pratique des « ventes à crédit » était en soi banale et commune
à la plupart des établissements industriels et de services tout au long de la seconde République.

5.2. Du système clientéliste à la prédation partisane
Pour autant, tout en entretenant
NGIRIRAl6B et ses « clients» avérés ou
Alphonse HIGANIRO de transformer
financement des partis et des milices de

une série de procédures
judiciaires
contre Mathieu
présumés accusés de détournement
de fonds, il revint à
ce mode de gestion permissif en système organisé de
la mouvance présidentielle,

Dans la division du travail qui s'instaura alors entre les sociétés contrôlées par les dignitaires
du régime, la SORW AL fut notamment chargée du financement des milices lnterahamwe,

166

Sans que ce dernier n'entretînt

de relations particulières

avec lui, il était connu à Butare comme l'oncle

MUNY AZESA, alors ministre de l'Intérieur.
167 Il fit l'objet d'une instruction judiciaire
suite à un vol de 200 cartons d'allumettes
Butare, en liaison avec lean-Paul KAMAVU, délégué commercial,
et le client Vincent
85).
16&

organisé, d'après le parquet de
MUREKEZI (cf. infra § 5.3, p.

Mathieu NOIRIRA était devenu une cible facile. Il décéda de maladie à Gisenyi en juin 1994.

78

de Faustin

Les Interahamwe, mouvement des jeunesses du MRND, avait été créé en 1991 par Désiré
M9RENZI (MRND, hutu, Kigali), ex-directeur des impôts devenu directeur général. de la société
PETRORW AND A et membre du comité national du MRND. L~ groupe initial I69des responsables
était constitué de Désiré MURENZI, de Robert KAJUGA et d'Eric KAREKEZI • Les premiers
membres étaient des footballeurs d'une équipe animée par Robert KAJUGA. 11 s'agissait à
l'époque de créer des groupes militants de base sur le modèle des mouvements associatifs et
composés de Hutu et de Tutsi. Grâce à des subsides et avantages fournis par PETRORW ANDA,
Désiré MURENZI assurait diverses contreparties pour les jeunes adhérents. Le succès fut immédiat
et de nombreux jeunes gagnèrent les rangs de la jeunesse du MRND. Mais, du fait même du
succès de sa formule, Désiré MURENZI perdit rapidement le contrôle de la structure qu'il avait
mise en place au profit des cadres du MRND qui voulaient en faire explicitement une milice:
Séraphin RW ABUKUMBA, Joseph ~ZIRORERA, Protais ZIGIRANYIRAZO. Avec la démission
du promoteur, les financements de PETRORWANDA disparurent et il fallut faire appel à d'autres
mécènes et bailleurs.
Des opérations de crédit via la Banque de Kigali, la Banque rwandaise de développement et
surtout la BACAR avaient déjà été' effectuées au profit de militants du MDR comme Georges
RUTAGANDA et Phénéas RUHUMULIZA, afin de les attirer au MRND pour Y encadrer la
nouvelle milice. Le ralliement de ces deux hommes forts du MDR de Gitarama, était considéré
comme particulièrement
important dans une préfecture où le MRND était historiquement
marginalisé. Georges RUTAGANDA était alors fonctionnaire
au ministère de l'Agriculture et
Phénéas RUHUMULlZA faisait fonction de tenancier de bar. Le premier était issu d'une famille
puissante et bénéficiait d'un réseau de relations étoffé. Son père, Esdras MPAMO (hutu,
Gitarama, commune Masango), était un personnage
important de la première République qui
occupa de nombreux
postes de préfet (Kibuye,
Cyangugu, Butare) avant d'être nommé
ambassadeur en Aïlemagne.:" Il fut ensuite nommé bourgmestre de la commune Masango de
171
juillet 1974 jusqu'à sa mise à la retraite à la fin de l'année 1992.
Il continua néanmoins sa
carrière politique et devint un des éléments centraux du MRND à Gitarama. Elu à la fin 1991 en
tête des candidats présentés par le MRND rénové au conseil préfectoral, il intégra le bureau
préfectoral comme vice-président et accéda ainsi, comme membre de droit au comité national du
parti.!" À l.a fin 1993, c'est lui qui devait représenter le MRND comme député de Gitarama dans
l'Assemblée
nationale de transition. Le second, Phénéas RUHUMULIZA (hutu, GitaYama,
commune Murama, Ruhango), ancien policier'", était beaucoup moins connu.
Georges RUTAGANDA et Phénéas RUHUMULIZA
connaissaient des difficultés financières
permanentes. Leurs ambitions et trains de vie n'étaient pas compatibles avec les revenus tirés de
leurs activités. En 1991, le fonctionnaire Georges RUTAGANDA s'essayait aux affaires et le bar.
de sa femme à Nyamirambo
tenu par Phénéas RUHUMULIZA était en quasi-faillite. Le
multipartisme app?-rut à l'un et à l'autre comme l'occasion inespérée de monnayer leurs services
au plus offrant. Etant tous les deux. bien ancrés à Gitarama sur le plan de la notoriété, ils
adhérèrent dans un premier temps au MDR. Ils se firent rapidement remarquer comme des
recruteurs efficaces de militants à Gitarama et à Kigali. Ils ne restèrent toutefois que quelques
mois au MDR. Ils le perçurent très vite comme un petit parti incapable de leur «donner à
manger ».174 Leur ralliement au MRND fut en fait la conséquence de négociations directes entre le
président HABYARIMANA et Esdras MPAMO, Ce dernier participait comme la plupart des
personnalités des préfectures du sud aux diverses réunions informelles qui devaient donner
naissance au(x) nouveau(x) parti(s) politique(s)
de l'opposition
au MRND dans le cadre du
multipartisme. Il fut alors personnellement
sollicité par le président qui consultait activement à
partir de son hôtel-restaurant du « village Urugwiro », installé sur la colline Rebero à proximité de
Kigali. Ce dernier craignait que la préfecture
de Gitararna ne lui échappe totalement. Le
débauchage d'Esdras MPAMO (cf. supra § 3.2.1., p. 46) fut, entre autres marchandages,
monnayé en échange de la prise en charge financière de son fils, Georges RUTAGANDA, et de
Phénéas RUHUMULIZA. Tous les deux démissionnèrent
du MDR et intégrèrent le MRND qui
16~

I?O

Tutsi de Kigali, Beau-frère de Bonaventure HABIMANA (hutu, Kigali rural), secrétaire général du MRND.
Il n'avait pourtant effectué qu'une scolarité de trois années d'enseignement secondaire.

n était

né en i930.
Callixte NSABONIMANA,
ministre MRND, fut, selon le nombre de voix, le second membre élu par les adhérents
au comité préfectoral. Lors de l'élection du bureau du comité préfectoral, l'ordre fut inversé afin que le ministre devienne
président du bureau et donc membre de droit du bureau politique national. La préfecture de Gitarama fut donc représentée
111
1?4

par des porte-parole sûrs.
l?) Il était issu de la première
Rwamagana.
n. Phénéas RUHUMULlZA

promotion

de la gendarmerie

nationale

ne serait resté que deux mois au MDR.

79

de 1975-76

et fut longtemps

en poste à

175

leur proposa des crédits bancaires à la Banque de Kigali et, surtout, à la BACAR.
Ces crédits
servirent dans un premier temps à remettre leurs affaires à flot, mais ne pouvaient constituer une
formule durable de soutien financier. C'est Mathieu NGIRUMPATSE qui trouva la formule la
plus efficace avec Alphonse HIGANIRO grâce à des crédits de montants élevés et renouvelables
par l'intermédiaire de la SORW AL.l?6
En effet, l'entreprise leur confia des lots importants d'allumettes à très bas prix' qui étaient
revendus immédiatement et à perte à des semi-grossistes. Ces lots n'étaient pas réglés ou étaient
payés avec des chèques non remplis - et presque toujours sans provision - conservés dans la
comptabilité de la SORWAL (cf annexe 17, tome 3). L'argent ainsi gagné servait à démarrer des
opérations lucratives personnelles et/ou politiques. La formule était particulièrement rentable car
la SORWAL s'était vue accorder le mono)?ole de la distribution à l'échelon national et n'avait pas
de concurrent ni au Kivu, ni au Burundi. 1
Dès l'obtention des prêts, de la Banque de Kigali, Georges RUTAGANDA se fit mettre en
disponibilité de la fonction publique pour convenances personnelles (arrêté du 6 août 1991).
Grâce à ces gains rapides, les deux associés purent se lancer dans l' import-export
(bières et
alcools, principalernent'").
Georges RUTAGANDA, sur les traces de son père, devint un homme
d'affaires prospère et évolua rapidement au sein du MRND. La double nomination de Phénéas
RUHUMULIZA et de Georges RUTAGANDA comme premier et deuxième vice-présidents des
jeunesses Interahamwe lors de la mise en place formelle d'un bureau en novembre 1992
consacrait l'important investissement réalisé par les dignitaires nationaux du MRND notamment
grâce à la SORW AL Parmi les clients bénéficiaires directs des «ventes à crédit », les dirigeants des
lnterahamwe se voyaient accorder de facto l'exclusivité des ventes:
o; Alphonse
HIGANIRO
était directement impliqué
dans l'organisation
de la milice et agissait d'une
façon active. En qualité de directeur de l'usine,
il avait pour mission
d'aider les Interahamwe à
s'autofinancer
pour qu'ils aient une vie meilleure
par rapport aux autres groupes sociaux. La plupart des
Interahamwe étaient sans emploi. Pour subsister, tous les directeurs des Offices étatiques avaient mission
d'aider les lnterahamwe à bénéficier d'avantages par rapport aux autres surtout en leur octroyant des crédits
sans garantie. C'est dans ce cadre que HIGANIRO
distribuait des crédits aux Interahamwe en leur accordant
le monopole de la vente des allumettes au prix de l'usine contre un chèque en blanc pour la comptabilité.
Après avoir reçu ce crédit, ils allaient sur le marché vendre ces cartons à un prix très bas pour les écouler
très vite. Ils bénéficiaient
ainsi de liquidités pour promouvoir
ou développer d'autres activités lucratives
sans s'inquiéter du crédit ou de la trésorerie. Les personnes qui ont reçu ce genre de crédit sont surtout les
membres
influents
des
lnterahamwe : Georges
RUTAGANDA,
Robert
KAJUGA,
Phénéas
RUHUMULIZA,
... C'est le système utilisé par le MRND pour consolider le groupe Interahamwe en leur
octroyant des facilités, puisqu'il
était difficile de leur donner des salaires ou des crédits bancaires sans
garantie. Seuls les Interahamwe recevaient ce genre de crédit qui était organisé au plus haut niveau. Même
le Président de la République
était au courant.
» « La SORWAL,
comme d'autres sociétés n'engageait
que les lnterahamwe. Ces derniers faisaient
des entraînements
militaires
dans les enceintes
de la
SORWAL. Le directeur de la SORW AL a facilité les lnterahamwe à ouvrir des magasins en leur octroyant

175 Cette pratique était en soi courante.
Les crédits bancaires et les bourses d'étudiants à l'étranger furent tout au long
de la seconde République deux. outils utilisés par les dirigeants pour conforter leur clientèle politique, notamment au
profit des originaires du nord. Pasteur MUSABE (MRND, hutu, Gisenyi, commune Karago], petit frère de Théoneste
BAGOSORA, était le directeur général de la Banque africaine continentale.
1?6 « Alors lui, avec son ami Phénéas,
ils étaient forts dans le MDR. C'est eux qui étaient chargés du recrutement.
Alors comme ils étaient forts, le MRND chercha t.ous les moyens pour les récupérer. Alors, comment i1 faisait ? Le
MRND leur proposa des crédits au niveau bancaire, comme ils faisaient des affaires, et ça n'allait pas, Phénéas me disant
avant, «vraiment
ce parti c'est un petit parti, je croyais qu'on allait décrocher quelques parastataux. ou banques pour
avoir accès aux crédits, maintenant je vais quitter, mais moyennant quelque chose».
Ils ont eu, au niveau banque, au
niveau Banque de Kigali, qui était dirigée par BIZIIvlANA Cyrille, comité central du MRND (cette attribution
est
inexacte, AG). Alors ils ont eu facilement des crédits au niveau de la Banque de Kigali. Et après avoir eu des crédits, ils
ont eu des crédits au niveau de l'usine d'allumettes
de HIGANIRO Alphonse, H-I-G-A-N-I-R-O, Alphonse, qui était
directeur de l'usine d'allumettes,
qui leur accordait des prêts, à long terme, il donnait même, ils sont arrivés même à
avoir des prêts à neuf millions des allumettes et des exclusivités. » (témoignage)
177 Ce système fut d'une efficacité
redoutable, car il dissuadait toutes relations commerciales avec des commerçants
normaux et aboutissait à des positions de monopole des Interahamwe gui inondaient le marché sans respecter les zones
de distribution négociées avec les représentants officiels de la SORW AL. Un courrier d'Alphonse ffiGANIRO adressé à
un client mécontent le 11 novembre 1993 le reconnaissait
sans détour: «Nous vous confirmons maintenant que le
système du crédit qui engendrait cette spéculation
(baisse volontaire
des prix pour toucher immédiatement
l'argent
liquide) a été supprimé. » (lettre du DG à Fidèle MUPAGASr, Gitarama).
l7S Au même titre que les carburants
et quelques autres produits vitaux, ces filières, extrêmement lucratives, étaient
étroitement contrôlées et pressurées par la nomenklatura du régime.

80

des crédits. Un Interahamwe qui voulait entrer dans le commerce recevait un crédit de boîtes d'allumettes
qu'il vendait sur le marché à un prix inférieur à celui de l'usine en vue de les écouler dans un petit délai.
Avec ces liquidités, il investissait dans d'autres activités commerciales. Pour avoir ce crédit, on devait
présenter une lettre de recommandation de M. KAJUGA Robert, président des lnterahamwe ou de Georges
RUTAGANDA qui était premier vice-présidentou de Phénéas RUHUMULIZA gui était deuxième viceprésident (la hiérarchie entre les deux hommes au sein du bureau des Interahamwe était en fait inversée,
note AG) »179
Outre la filière des lnterahamwe, la SORWAL se prêtait à d'autres opérations encore plus
rémunératrices avec des grossistes transitaires qui travaillaient avec le Burundi et le Zaïre. Les
cargaisons étaient livrées dès Butare sans licence d'exportation
et payées directement en dollars.
Lorsque les sommes réintégraient la comptabilité de la SORWAL, cela se faisait en francs rwandais
et les marges de change étaient confortables pour les opérateurs privés et leurs acolytes au sein de
la SORW AL. De 1992 à 1994, le cours du franc rwandais sur le marché parallèle fut très déprimé
du fait de la guerre (jusqu'à moins 15 à 25 % par rapport au taux officiel selon les périodes) et il
était possible de gagner plusieurs millions en quelques heures. L'avantage de la SORWAL par
rapport à d'autres grandes entreprises nationales comme la CIMERWA et l'OCIR-Thé résidait
dans la possibilité de négocier les marchandises sur place et de les revendre aussitôt au détail sans
passer par des filières structurées.
L'analyse
des comptes clients de l'année 1992 (cf. SORWAL. Comptes clients 1992, in
annexe 16, tome 3) montre clairement l'évolution
de la clientèle de la SORWAL et sa
spécialisation. En quelques mois, les ex-clients proches du MDR avaient été évincés et ne
représentaient
plus que quelque
4 millions de créances
nOD recouvrées,
alors que
les commerçants et hommes d'affaires du MRND et de son mouvement de jeunesse lnterahamwe
bénéficiaient de créances pour un montant d'environ 40 millions sur un total enregistré de 47
millions.
Phénéas RUHUMULIZA, et son éRouse, Marie BAMURANGE, connue dans les milieux
politiques sous l'appellation«
Mary » 0, mirent en place plusieurs sociétés-écrans (Hardware
Center, SOGEDII81) et firent une entrée en force parmi les clients privilégiés en octobre 1992. La
société APROCOM, créée par Jean-Marie Vianney MUDAHINYUKA, plus connu sous le surnom
de Zuzu, un autre responsable du comité parallèle des Interahamwe, fit lui aussi partie du système.
Deux autres percées «commerciales»
méritaient
encore d'être soulignées. Ii s'agissait
premièrement
d'Edouard
BANDETSE
(MRND, hutu,
Cyangugu,
commune
Nyakabuye),
commerçant de Kamembe à Cyangugu, sollicité initialement par Mathieu NGIRIRA pour couvrir
le marché zaïrois. Il appartenait au groupe restreint des hommes qui, avec l'ouverture
du
multipartisme, accompagna l'ascension d'André NT AGERURA, ministre MRND, consacré par la
présidence comme le nouveau patron politique
de la préfecture de Cyangugu. Lors ct u
renouvellement
des instances du MRND rénové à la fin 1991, Edouard BANDETSE devint
trésorier du comité préfectoral du MRND à Cyangugu et intégra le comité national du MRND mis
en place lors du congrès d'avril 1992. Comme de nombreux hommes d'affaires de sa préfecture,
il entretint personnellement des groupes d' lnterahamwe qui furent très actifs entre avril et juillet
1994. Sa fiche client à la SORW AL est particulièrement
instructive sur le comportement de ces
commerçants politiciens promus par le MRND. Au cours de l'ensemble de l'année 1991, il prit
livraison de cartons d'allumettes pour un montant total de 26 millions de FRw, puis, pour les seuls
deux premiers mois de l'année 1992 correspondant
à sa prise de fonction comme trésorier du
MRND Cyangugu, il commanda des lots pour un montant équivalent ! Ces lots furent aussitôt
revendus au Zaïre et bien évidemment, tout comme pour ceux de 1991, il n'envisageait pas de les
payer. Toutefois, compte tenu de l'ampleur
et du rythme de ses achats, la direction de la
SORWAL, une fois n'est pas coutume, cessa ses livraisons puis engagea des recours. Cet exemple
illustre clairement les modalités du financement politique qui bénéficie à des individus censés
179 Extrait
du témoignage
d'Édouard KAYIHURA, premier substitut du procureur, responsable
de la Chambre
spécialisée pour les crimes de génocide et les crimes contre l'humanité
à Kigali (jusqu'en juillet 2000) transmis au
président de la Cour d'Assises de Bruxelles, juin 2001,
180 Tutsi
Bagogwe, originaire de Gisenyi Ville. La plupart des membres de sa famille furent assassinés pendant le

génocide.
lOI
La SOGEDI fut un temps hébergée dans l'immeuble d'Aloys SIMBA, lieutenant-colonel recyclé
MRND en 1992 à la demande personnelle du président Juvénal HABY ARIMANA. Devenu président du
pour la préfecture de Gikongoro,
il intégra comme membre de droit le comité national et le bureau
MRND. En avril 1994, cet officier retraité fut nommé responsable
de j'autodéfense
civile pour
Gikongoro

et Butare.
81

dans l'appareil du
comité préfectoral
politique du parti
les préfectures de

ensuite prendre en charge personnellement des militants et des frais de «fonctionnement ». Il
apparaît alors bien difficile de dissocier ce qui relève de la sécurisation de ses propres intérêts de
ceux du parti que le client représente. Nous retrouvons là l'illustration claire des mécanismes du
système clientéliste caractéristique de la seconde République. Notons encore Vincent MUREKEZI,
originaire de Byumba, commune Tumba, commerçant semi-grossiste de Butare, membre du PSD
et parallèlement bailleur de fonds du MRND, qui couvrait notamment le marché burundais.!"
Après la clôture de l'exercice de l'année 1992, la SORW AL entama des procédures judiciaires
pour le recouvrement des ..créances datant de 1991. Quatre clients furent visés : François
HABINEZA, Vianney KIMENYI, Léon MUNY AMPUNDU et Fidèle UTAZIRUBANDA. A eux
quatre pourtant, ils ne représentaient qu'un montant de créances de 2,7 millions de francs
rwandais à comparer à un total de créances impayées dépassant 47 millions. Le premier, par
exemple, n'était redevable que de 300 000 FRw. l Mais les quatre étaient des commerçants
membres du MDR et proches ,de l'ancienne direction de la SORW AL. Signalons que l'avocatconseil de la SORW AL était Edouard KAREMERA, secrétaire national du MRND à la tête du
comité national installé en juillet 1991 et chargé de la mise en place des nouvelles instances du
IB3
MRND rénové! Son successeur au poste de secrétaire national du MRND , élu lors du congrès
national d'avril 1992, fut ." Mathieu NGIRUMPATSE, président du CA de la SORWAL.

A contrario, les nouveaux clients «amis» bénéficiaient d'un traitement privilégié; Édouard
BANDETSE, redevable de 6,5 millions, devenu au début de l'année 1992, trésorier du MRND de
Cyangugu, avait déposé un- chèque qui devait être encaissé à la fin mars de l'année suivante.
Jackson ZILIMW ABAGABQ, recruté du fait de sa proximité de la frontière ougandaise.!" dont les
biens auraient été détruits par le FPR à Byumba faisait l'objet de la part de la SORWAL d'une
«recherche pour accord ». Protais MUNYANDINDA, originaire de Gisenyi, bénéficiait lui aussi
d'un délai du fait d'un « court-circuit dans son magasin ». Enfin, Marie BAMURANGE, Vincent
MUREKEZI et la SOGEDI. .. promettaient de payer leurs dettes en janvier 1993, mais il n'était
pas indiqué si les chèques étaient encaissables et pouvaient être honorés par les banques.
Ainsi, malgré une politique présumée de rigueur, c'est paradoxalement
au cours de l'année
1993 que l'on assista à une dérive financière majeure des comptes de la SORWAL. Le montant
des créances douteuses fit plus que doubler et atteignit 103 millions dont 60 millions pour le seul
financement des clients Interahamwe et de la CDR (cf. annexe 16, tome 3). La démarche avait
alors changé, il ne s'agissait plus uniquement de renflouer les caisses personnelles de politiciens
mercenaires et de financer, les «rafraîchissements»
des miliciens que certains d'entre eux
entretenaient. Désormais nantis, les dirigeants des Interahamwe servaient de point d'appui à une
démarche « industrielle » de transfert de fonds qui se chiffraient par dizaines de millions. Les
montants en question démontrent qu'il s'agit alors de financements
d'envergure
nationale.
Organiser un meeting' à Kigali Ville pouvait coûter entre 3 et 5 millions de FRw. Avec plusieurs
dizaines de millions de francs rwandais, c'est toute une structure militante nationale qui pouvait
assurer son fonctionnement, ses entraînements, les rémunérations de ses membres, sa logistique et
ses achats d'équipements. lBS .
Mathieu NGIRUMPATSE, secrétaire national du MRND d'avril 1992 à juillet 1993, puis
président du MRND à compter de cette date, joua un rôle décisif dans la mise en place de ce

IB2 Outre le commerce
des allumettes, il était aussi considéré comme fournisseur d'armes aux opposants burundais.
Ce débouché n'a cependant jamais représenté des volumes significatifs,
du moins jusqu'à l'assassinat
du président
Melchior NDADA YE à la fin de l'année 1993. Aucun mouvement rebelle hutu burundais ne constitua jusqu'à cette date de

groupes armés.
lB) Lui-même
connut une période de disgrâce politique jusqu'à la guerre civile. Il devint alors ministre de l'Intérieur
du gouvernement intérimaire à compter du 22 avril 1994.
IB4 Il s'agissait
d'un proche de Casimir BIZIMUNGU (MRND, hutu, Ruhengeri), ministre sans interruption de 1987 à
1994 alternant entre le portefeuille de la Santé et celui des Affaires étrangères. Membre du gouvernement
intérimaire

à juillet 1994.
Signalons qu'en dehors de tout cadre institutionnel
de financement
des partis, il est fort probable, voire
nécessaire, que les partis PSD, MDR et PL qui organisèrent
plusieurs grands meetings militants à Kigali-ville
procédèrent de manière analogue en sollicitant
les ressources
des ministères et organismes
que leurs membres
contrôlèrent. Il apparaît donc légitime de penser que le Rwanda a subi un pillage systématique et massif de la part de tous
les partis participant
au gouvernement.
Pratique qui explique vraisemblablement
une bonne part des guerres de
positionnement
internes au sein de l'appareil d'État, des défaillances de l'opposition
intérieure, les désillusions des
militants et des populations et, au terme, la faillite de l'expérience
démocratique.

d'avril

IS~

82

système de prédation au détriment de la SORWAL et au profit du MRND national.!" Sa présence
à la tête du MRND (et des Interahamwe) et à la présidence de la SORWAL verrouillait les deux.
extrémités de la chaîne. Rappelons que la milice lnterahamwe du MRND, sans statut autonome'",
était dirigée par un comité national (officiel) qui travaillait sous les ordres du comité exécutif du
MRND, c'est-à-dire de Mathieu NGIRUMPATSE et de Joseph NZIRORERA (hutu, Ruhengeri),
qui devint secrétaire exécutif en juillet 1993. Jerry Robert KAJUGA (MRND, tutsi, de mère hutu,
Kibungo), le président des jeunesses lnterahamwe, « client » émargeant au budget de la SORW AL,
était par ailleurs un ami intime de Mathieu NGIRUMPATSE. C'est lui qui conduisait souvent son
véhicule Mercedes personnel, qui le déplaçait lors de ses réunions et les deux faisaient des affaires
communes. En outre, les liens directs de Mathieu NGIRUMPATSE avec les miliciens étaient
nombreux. Ainsi, il embauchait des lnterahamwe dans son restaurant l'Eden Garden de Kigali.
Parmi ses salariés figurait notamment Léon MBONABARYI, un des encadreurs des entraînements
militaires des lnterahamwe et agitateur bien connu à Kigali pour sa violence. Ce dernier était le
fils de Noël MBONABARYI, parrain du président Juvénal HABYARIMANA.
En ce qui concerne les transferts de fonds, une anomalie significative mérite d'être soulignée.
En effet, de manière surprenante, alors que la plupart des membres des états-majors officiel et
parallèle des Iruerahamwe'" figuraient parmi les débiteurs de la SORW AL, le trésorier élu du
bureau officiel du mouvement, Dieudonné NIYITEGEKA, par ailleurs originaire de Butare'", ne
faisait pas partie des clients, même à titre personnel comme Robert KAJUGA. Il ne vit pas non
plus transiter les fonds. Pour ce typ~ d'opérations, il était ouvertement court-circuité par le bureau
parallèle des Interahamwe qui opérait directement
sous les ordres de l'akazu. D'après un
témoignage très précis, les responsables des Iruerahamwe discutait directement des financements
avec le président Juvénal HABY ARIMANA qui les recevait à Rebero et qui ensuite ordonnait les
décaissements en s'adressant généralement à Joseph NZIRORERA qui relayait le message au
dispensateur retenu selon la formule consacrée:
«le président m'a chargé de ... ». Parmi les
membres du comité parallèle, deux organisaient les transferts bancaires à partir des établissements
où ils travaillaient. Ephrem NKEZABERA (hutu, Gisenyi, commune Kibilira), ex-directeur de
l'agence de la BeR de Butare de 1981 à 198919°, puis coordonnateur des agences au siège à
Kigali, et Ildephonse GASHUMBA, fils de Méiane, frère du président Juvénal HABY ARIMANA,
directeur de change à la Banque nationale du Rwanda. Le premier était un proche de l'akazu et le
second un membre éminent.

ISO Si la SORWAL participait
directement au financement
des Interahamwe, du PSD, du MDR, de la CDR, nous
n'avons pas identifié en l'état de nos informations de financements directs et massifs de j'activité du MRND préfectoral
à Bctare (ce qui confirme le témoignage
rapporté supra, p. 45), même si des témoins nous ont indiqué l'utilisation
de
véhicules de la SORW AL, l'appui à la mise en place d'un groupe d' lnierahomwe au sein de la SORW AL, l'embauche de

militants

(cf. infra § 6.4., p. 92).
cette situation fit J'objet de nombreux. débats au sein du MRND. La formule de l'absence de statut
juridique fut retenue afin de garantir l'impunité de ses membres. Personne parmi les victimes d'exactions de la part des
miliciens n'aurait osé déposer plainte directement contre le président du MRND !
,as Créée en novembre
l 992, l'organisation
s'étai t dotée d'un bureau élu qui comprenait Jerry Robert Kajuga,
président (MRND. tutsi de mère hutu, Kibungo) ; Phénéas RuhumuLiza (e;c-MDR, hutu, Gitarama), premier viceprésident;
Georges RlliAGANDA (ex-MDR. hu.tu, Gisarama), 2' vice-président;
Eugène MBARUSH:.IlVIANA (MRND,
hutu, Gisenyi), secrétaire général;
Emmanuel MWALIMU (MRND, hutu, Il), secrétaire permanent
; Dieudonné
NIYITEGEKA (MRND, hutu, Butare), trésorier. 11 existait en outre un «comité
parallèle»
relevant directement de
l'aka;:u qui regroupait divers conseillers
comme Bernard MANIRAGABA (MRND, hutu, Ruhengeri),
Joseph
SERUGENDO (MRND, hutu, Gisenyi), chef technique à la radio nationale et à RTLM, Ephrem NkEzabera (MRND, hutu
de mère tutsi, Gisenyi), Jean-Marie Vianney MUDAHJ.NYUKA (MRND, hutu, Gitarama). Ildephonse GASHUMBA
(MRND, hutu, Gisenyi), Jean-Pierre SEBANETSI (MRND, hu!U, Gisenyi), Alphonse KANIMBA (MRND, hutu, Il).
lE9 Dieudonné NIYITEGEKA
(MRND, hutu de mère tutsi, Butare, commune Shyanda) fut éduqué par la famine d'Aloys
MUNYANGAJU (hutu, Astrida), membre du premier Conseil du Pays mis en place en 1953 par les autorités belges, puis
en charge des relations extérieures dans les premiers gouvernements
installés lors de l'indépendance
(1960 et i961).
Aloys MUNYANGAJU fut un des fondateurs de l'APROSOMA avec Théodore SINDIKUBWABO. Dieudonné NlYITEGEKA
travaillait à la société tnierjreighi à Kigali. Il épousa la sœur de la femme de Juvénal RENZAHO (MRND, hutu.
Ruhengeri). Enes étaient toutes deux. originaires de Gitararna, commune Mushubati, Juvénal RENZAHO décéda le 6 avril
1994 avec le président HABYARlMANA qu'il accompagnait
lors de ses déplacements. Il fut ambassadeur à New York,
puis en Allemagne. Rappelé à Kigali en 1990, il fut mis à la disposition du MRND, puis transféré le 3 juin 1991 à la
présidence de la République où il fut nommé conseiller au service des Affaires politiques.
190 II était le chef direct de l'épouse
de Séraphin BARARENGANA, cadre de la BeR à Butare. Celle-ci était une
'SJ

À l'époque,

cousine lointaine

d'Agathe

Kanziga.

83

5.3. L'octroi

de l'exclusivité

des ventes aux trésoriers

de la CDR et du MDR

Alphonse HIGANIRO
gagna ainsi le surnom de « coffre-fort
des Interahamwe », Les éléments
ci-après permettent d'apprécier
l'ampleur des transferts.
Par contrats signés le 24 juillet 1993 (cf.
annexe 18, tome 3), l'exclusivité
de toute la production
d'allumettes
de l'entreprise
fut accordée
à Vincent MUREKEZI et à deux sociétés créées par Phénéas RUHUMULIZA
(Hardware Center et
SOGEDI). Les deux hommes se partagèrent par lot de 2000, une production
de l'ordre de 6 000
cartons par mois (la moyenne des ventes pour l'année
1993 atteignit 6 200 cartons/mois).
Si l'on
prend les prix de vente pratiqués
en 1992-1993 J91, on obtient un total annuel de recettes de
l'ordre de 400 minions de FRw environ. Dans un document
interne, le directeur administratif
et
financier, Jean-Baptiste
SEBALINDA,
estimait les recettes pour l'année
1994 à 398 millions de
FRw, soit des ventes mensuelles
de l'ordre
de 30 millions FRw. Ces informations
correspondent
globalement
à ce qu'Alphonse
HIGANIRO
a admis devant la Cour de Bruxelles:
« En 1993, j'ai expérimenté certaines formules sur les ventes à crédit. (... ) RUHUMULIZA entre en
1993 dans l'expérimentation du système de vente par exclusivité. Le client exclusif était la société ce
Jean-Berchmans BIRARA,la Rwandex, Ce système a été abandonné car il créait un monopole. J'ai essayé
l'exclusivité avec un peu plus de clients. Et j'ai lancé un appel d'offres. Pour 4 régions: Nord-Nord Kivu,
Centre-Ouganda Tanzanie, Ouest-Sud Kivu, Sud-Burundi.
Je n'ai eu que deux offres: MUREREZI et RUHUMULIZA. J'ai donc signé des contrats d'exclusivité
avec ces deux clients. [Ces contrats d'exclusivité] ont fonctionné pendant environ six mois. M.
RUHUMULIZA n'a pas pu honorer ses engagements. J'ai coupé ses nouvelles fournitures. M.
RUHUMULIZA a été traduit en justice. Il avait un problème avec les travaux publics (il avait construit
une maison sans permis). Il a eu gain de cause au tribunal contre le gouvernement rwandais. Au tribunal,
la SORWAL était là avec priorité sur ces indemnisations. L'État rwandais a fait appel. Après, c'est
1994 ... MUREKEZI a continué. Il avait toujours payé ses factures. Il payait cash les livraisons de 1994.
Lorsqu'il y a eu la guerre, il devait environ 8 millions. J'ignorais qu'il était trésorier de la CDR. Pour
nous, c'était un bon client. »J92
C'est
donc au titre de «bon
client»
que le commerçant
Vincent
MUREKEZI
obtint
l'exclusivité
de 4 000 boîtes
par mois prélevées
au détriment
de la part de Phénéas
RUHUMULIZA
(cf. annexe 19, tome 3). Quant à l'argumentaire
économique
de ce choix, il fut
particulièrement
spécieux:
au 31 décembre
1992, les impayés
de Vincent
MUREKEZI
atteignaient
6,6 millions, puis au 31 décembre
1993, son découvert
avait quasiment
triplé à 16
millions de FRw. Le nouveau
contrat d'exclusivité
signé le 7 février
1994 récompensa
donc
d'autres
mérites qu'économiques.
Deux hypothèses
peuvent être avancées. La première tient à la
position politique de Vincent MUREKEZL
Ce dernier était bien le trésorier de la CDR Butare.
D'après les informations
que nous avons recueillies,
Vincent MUREKEZI
changea de parti pour
décrocher le marché de la SORWAL.
Il s'est alors enrichi brusquement.
Jean-Paul
KAMAVU, qui
s'occupait
des recouvrements
à la SORWAL, prenait sa part des bénéfices.
Ils habitaient
l'un à
côté de l'autre en haut de Butare en direction
de la frontière burundaise,
et furent mis en cause
conjointement
lors de l'enquête
judiciaire
enclenchée
suite à un vol dans les stocks d'allumettes
de la SORWAL en mai 1993. Nouvel « ami » d'Alphonse
HIGANIRO,
Vincent MUREKEZI,
militant du PSD, serait devenu trésorier
de la CDR après l'assassinat
de Félicien G AT AB AZI,
l'homme
fort du PSD en février 1994. En fait, cette fonction
ne fut ni officielle ni publique.
Vincent MUREKEZI
restait connu comme membre
du PSD Power. Il demeurait
dans la maison
voisine de Siméon REMERA, président de la CDR à Butare. Les deux hommes étaient très liés et
Vincent
MUREKEZI
servit plutôt de passeur
de fonds destinés à la CDR. Dans cette optique,
avantager
Vincent MUREKEZI
par rapport à Phénéas RUHUMULIZA
répondait
certainement
à
des priorités extérieures
qui s'imposaient
aussi bien à A. HIGANIRO
qu'à V. MUREKEZI.
La
deuxième
hypothèse,
qui n'est
pas contradictoire
avec la première,
tient au fait que les
responsables
de la SORW AL pouvaient préférer traiter avec un client butaréen bien connu et donc
contrôlable
avec lequel ils entretenaient
des contacts
réguliers
plutôt que de négocier
avec un
truand et un escroc notoire installé à Kigali. Il était évident qu'aux
yeux des membres étrangers
du CA et du parquet
de Kigali,l9J la personne
de Vincent MUREKEZI
paraissait un peu plus
présentable
que celle de Phénéas RUHUMULIZA.
Cette analyse nous semble confortée
par le fait
que la largesse faite à Vincent MUREKEZI
fut concomitante
d'un autre accord, signé deux jours
plus tard, le 9 février, directement
avec Robert KAJUGA, le président
des Interahamwe, Celui-ci
s'engageait
à rembourser
ses impayés et se voyait octroyer
en échange
3 000 cartons par mois
(payables à la livraison) selon la décision du CA prise le 26 janvier précédent (cf. annexe 20, tome

Union Match: 4 495 FRw/carton ; Ikibiliti : 4 450 FRw/carton.
Déclaration d'Alphonse HIGANIRO, Cour d'assises de Bruxelles, 21 mai 2001.
19} Celui-ci cherchait à mettre à jour les financements politiques de la SORW AL et à poursuivre les bénéficiaires.

.91

ln

84

3) .194 Manifestement, ALphonse HIGANIRO, pressé par l'action de' la justice, se couvrait vis-à-vis
des actionnaires (cf. annexe 21, tome 3), protégeait
les Inierahamwe débiteurs en rendant
caduques les poursuites judiciaires contre eux (notamment
envers R. KAJUGA et G.
RUTAGANDA) et assurait, via V. MUREKEZI, la pérennité des transferts vers ses protecteurs.
Afin de relativiser encore le discrédit apparent du client RUHUMULIZA, on soulignera
l'attribution par la SORWAL au cours de l'année
1993 d'une nouvelle ligne de crédit à une
société fraîchement créée par Phénéas RUHUMULIZA, INTERPETROL, pour servir d'avaliseur à
Hardware Center. Phénéas RUHUMULIZA disposa alors de quatre comptes clients différents !
Mais on relèvera surtout l'entrée dans le réseau des clients d'un nouveau militant Interahamwe,
François MUSONI, IP} du parquet de Kigali qui avait rendu divers services à la SORW AL pour
l'aider à identifier les biens des créanciers récalcitrants.
Il bénéficia en contrepartie de
compensations tangibles'" : lui-même ne pouvant être déclaré comme commerçant du fait de son
statut de fonctionnaire du ministère de la Justice, le commerce fut enregistré au nom de son
épouse. L'ardeur présumée déployée par Alphonse HIGANIRO pour faire rembourser le client
RUHUMULIZA apparaît donc bien problématique
car François MUSONI, lui aussi milicien
lnterahamwe, était un ami personnel' de l'intéressé : ils étaient originaires de la même commune
de Murama et faisaient des affaires communes:
« Je me souviens d'un certain MUSONI François
avec qui UeJ travaillais dans le même bureau et qui
a ouvert un magasin des produits de la SORW AL pour sa femme grâce à ce système. Il était originaire
la même commune que M. RUHUMULIZA
Phénéas. Ce dernier lui a donné une lettre de recommandation
qu'il présenta au directeur de la SORWAL comme un Interahamwe qui voulait entrer dans le commerce.
MUSONI a été bien accueilli par le directeur et rentra avec un crédit de boîtes d'allumettes
équivalant à 5
000 000 de FRw. Ainsi, sa femme ouvrit
un magasin
de produits de la SORW AL au quartier
commercial.
» 196

ce

Enfin, au cours du mois de mai 1994, un seul client apparaît qui commercialise la quasi-totalité
de la production. Il s'agit de Félix SEMW AGA, commerçant représentant de la préfecture de
Butare au conseil de la Chambre nationale du Commerce. Félix SEMW AGA était par ailleurs le
trésorier du MDR Butare, élu en 1992 lors de la mise en place du comité directeur préfectoral (cf.
supra tableau n° 4, p. 54).
Le cas du client SEMW AGA est particulièrement intéressant à étudier, car avec lui la SORW AL
boucla en quelque sorte la série des structures Power des partis susceptibles d'être financées, et
dans ce cas plus précisément la milice JDR. Félix SEMWAGA n'était pas un ressortissant de
Butare, il était originaire de la commune de Bu1inga à Gitarama. Il fut greffier du tribunal de
première instance de Gitararna, puis demanda sa mutation à Butare, où il fut juge puis mandataire
de justice au début des années 80. Mis en prison pour indélicatesses, il fut exclu de la fonction
publique et vécut un temps comme vendeur de brochettes à Matyazo avant d'élargir le champ de
ses activités en courtisant des femmes d'affaires. Il devint une personnalité importante même si sa
réputation personnelle
dût en souffrir lorsqu'il
épousa Marguerite NI KUZE, veuve d' un
commerçant fortuné!", qui possédait le magasin «MARNI », Il fut considéré comme un homme
«marié par sa femme », et l'on disait ironiquement
qu'« il vivait chez sa femme ». En fait, il
apporta en contrepartie une ouverture commerciale importante vers Kigali grâce à ses liens avec
Froduald KARAMIRA, originaire de la même colline que lui à Bulinga et ex-propriétaire d'une
quincaillerie à Butare qu'il avait achetée à Jean-Baptiste GITERA HABYARIMANA. Félix
SEMW AGA et Froduald
KARAMIRA traitèrent
alors fréquemment
des affaires ensemble
(notamment de matériels électriques).
Toutefois, lors de la nomination de Frédéric KARANGW A comme préfet de Butare, le statut de
Félix SEMW AGA évolua rapidement. Frédéric KARANGW A était lui aussi natif de la même
commune de Bulinga, comme le ministre de l'Intérieur
Thomas HABANABAKIZE qui l'avait
nommé. Comme tout préfet, Frédéric KARANGW A avait besoin d'agents de renseignement et
194 D'après
l'agenda de 1-B. SEBAL]]\[)A (Parquet de Bruxelles, page 93), Robert KAJUGA avait été programmé
pour 1994 à hauteur de 2 000 cartons pour l'exportation, soit quelque 9 millions de FRw de futures créances ...
195 Cf. annexe
16, tome 3. Comptes clients 1993.
1% Extrait
du témoignage
d'Édouard KAYTHURA, premier substitut du procureur, responsable
de la Chambre
spécialisée pour les crimes de génocide et les crimes. contre l'humanité
à Kigali (jusqu'en juillet 2000) transmis au
président de la Cour d'Assises de Bruxelles, juin 2001.
'
191 Originaire
de la commune Mubuga, préfecture Gikongoro,
Marguerite N1KUZE, épousa en premières noces un
commerçant de la commune Mbazi, André SIBOMANA, communément
appelé Mashanya (littéralement
l' « homme am,
oreillons bien gonflés ») qui décéda en 1981. Félix SEMWAGA s'installa à Mbazi en 1983 et construisit sa maison
dans la parcelle de A. SIBOMANA dans la cellule Gatobotobo.

85

Félix SEMWAGA fut « son œil ». S'il n'améliora pas sa réputation auprès des Butaréens, il devint
un homme craint et put faire prospérer les affaires familiales. Avec l'avènement du multipartisme,
il rejoignit le MDR comme la plupart des gens de Gitarama. Félix SEMW AGA fut nommé
trésorier du MDR Butare dès la création du parti. Au MRND, d'après plusieurs témoins, il
entretenait des liens étroits avec François NZABAHIMANA,
lui aussi originaire de Gitararna
(commune Masango), et dont la famille s'installa
ensuite à Butare, commune Mbazi. Cadre
dirigeant des Banques populaires et ministre du Commerce et de la Consommation dans le dernier
gouvernement MRND (juillet 1990-février 1991), François NZABAHIMANA joua, d'après des
témoins, un grand rôle dans le rapprochement
de Jean KAMBANDA, autre cadre des Banques
populaires, avec le MRND à l'échelon national Mais on peut penser aussi que les événements ont
suffi à précipiter Jean KAMBANDA dans les bras du MRND ... Au MOR, Félix SEMWAGA
pouvait aussi s'appuyer sur Froduald KARAMIRA, homme fortuné (il était propriétaire du siège
que louait le MOR à Kigali) devenu deuxième vice-président national et dirigeant de l'aile Power
du MDR face à Faustin TW AGIRAMUNGU.
Lors du congrès du MDR de. Kabusunzu le 23 juillet 1993, au cours duquel Faustin
TW AGIRAMUNGU et la présidente du MOR Butare, Agathe UWILINGlYIMANA, furent exclus
du parti, Félix SEMWAGA fut approché par le nouveau tandem Jean KAMBANDAlFroduald
KARAMIRA qui accéda aux rênes du parti. Ces deux dirigeants voulaient obtenir son soutien
pour évincer Agathe UWILINGlYIMANA de la direction du MDR Butare où elle restait" pour
des raisons essentiellement affectives - majoritaire chez les adhérents. Félix SEMW AGA obtint
alors d'être élu au bureau politique national. A partir de cette date, Jean KAMBANDA fut
systématiquement présenté comme le candidat légitime du parti désigné pour occuper le poste de
premier ministre du GTBE. Froduald KARAMIRA devint le meneur national de la tendance
Power du MORI98. Au sein du MDR Butare, scindé en deux tendances désormais inconciliables,
Jean KAMBANDA ne réussit pas à évincer Agathe UWILINGIYIMANA, mais il structura la
tendance Power sur l'ensemble de la préfecture. Ainsi, de manière explicite, Félix SEMWAGA se
présentait comme «le trésorier du MDR Power à Butare » lors de ses dépositions devant le
parquet de Butare après la guerre de 1994 (cf. annexe 22, référence K0226881, tome 3).
l

Au cours de la guerre et du génocide, alors que Jean KAMBANDA, nommé premier ministre,
avait enfin atteint son objectif, Félix SEMW AGA devint l'animateur local du MDR Power et fut
considéré comme le chef d'un groupe de miliciens disposant d'une base forte dans les communes
de Ngoma et de Mbazi (où il résidait) (cf. infra § 8.2.).
Il devint parallèlement le principal client de la SORW AL et supplanta Vincent MUREKEZL
D'après les témoignages recueillis, une des raisons tint au fait que Vincent MUREKEZI qui
commerçait essentiellement avec le Burundi se trouva alors coupé de son débouché habituel et
accumula les dettes. De plus, il traitait apparemment
ses affaires au Burundi en chèques, or la
SORW AL n'acceptait
plus que des paiements
en liquide.
Félix SEMW AGA, dont
l'approvisionnement
en liquide était abondant du fait de ses multiples activités commerciales
(commerce de gros et desemi-gros à Butare, garage à Mbazi ... ) assura donc l'essentiel des ventes.
La guerre offrait de nombreuses occasions d'enrichissement
spéculatif notamment à ceux qui
possédaient des véhicules, qui accédaient aux autorisations de déplacement adéquates et surtout
qui bénéficaient d'une escorte militaire. Ce qui fut le cas de Félix SEMW AGA dès avant le 6 avril,
Ainsi en mai 1994, il démarchait encore des clients de la SORW AL en préfecture de Gitarama. A
la fin de la guerre, malgré une situation sécuritaire très tendue, il disposa d'une autorisation
officielle de circuler du fait de ses responsabilités de membre du comité restreint d'organisation
de l'autodéfense
civile en préfecture de Butare (cf. infra § 8.4., p. 146). Dans le comité de
l'autodéfense
civile figurait aussi le secrétaire du MDR Butare, Faustin NIYONZIMA, et deux
dirigeants de la SORW AL, dont Jean-Baptiste SEBAL1NDA, directeur administratif et financier,
MDR Power... Il profitait alors d'un autre avantage décisif sur son concurrent, Vincent
MUREKEZI. En effet, ce dernier, bien que participant zélé aux massacres, n'occupait
que la
position de membre de la 3e section du le' peloton de l'autodéfense civile de la commune urbaine
de Ngoma (cf. annexe 23, tome 3).

ln On soulignera
que dans ses diverses déclarations,
Félix SEMWAGA utilise toujours l'expression
« MDR
Power" pour caractériser sa position politique. Ce terme prévalut en effet jusqu'en novembre 1993 et voulait montrer
que malgré la « trahison » de Faustin TWAGIRAMUNGU que la Présidence avait choisi pour occuper les fonctions de
Premier ministre de la transition, le parti MDR restait puissant. Le terme disparut ensuite, lorsque la nouvelle direction
du MDR conduite par D. MUREGO et F. KARAMIRA se joignit à l'alliance du Hutu Power sous la houlette du MRND. Par
hostilité vis-à-vis des leaders MRND du nord, beaucoup de militants MDR du sud maintinrent néanmoins l'appellation

« MDR

Power),.
86

Plus fondamentalement, la guerre avait totalement bouleversé les systèmes de protection des
deux grands commerçants associés à la SORW AL. Si Vincent MUREKEZI bénéficia de l'appui
actif de Straton NSABUMUKUNZI, ministre de l'Agriculture du GI, il ne pouvait rivaliser avec le
« léopard »199 de Félix SEMWAGA. Ce dernier profita du soutien constant de Jean KAMBANDA,
président du MDR Butare et premier ministre, et de Froduald KARAMIRA, patron de facto du
MDR qui assurait la direction de la JDR. Au sein de la SORW AL, Vincent MUREKEZI était
partiellement privé de ses soutiens de la CDR (le couple HIGANIRO s'était installé à Gisenyi),
alors que Félix SEMWAGA, qui ne s'entendait guère avec A. HIGANIRO et les « gens du nord »,
travaillait étroitement avec Jean-Baptiste SEBALINDA, directeur administratif et financier, MDR
Power et lui aussi en charge de l'autodéfense civile. Il pouvait en outre négocier directement avec
Innocent NKUYUBWATSI, milicien installé chez le capitaine Ildephonse NIZEYIMANA, homme
20o
de confiance d'HIGANIRO et dépositaire des fonds en liquide de la SORWAL après son départ.

199 Le système
clientéliste sur lequel reposait le regime BABYARlMANA supposait l'insertion de chaque
bénéficiaire dans une filière de protection étroitement hiérarchisée selon la formule rwandaise" Uhagarikiwe n'ingwe
aravoma " (celui qui est protégé par le léopard puise tranquillement).
~QO Témoignage, prison de Karubanda, Butare, 26 juin 2001.

B7

6. La SORWAL, ïakazu et la sphère politique butaréenne
Tous ces éléments agencés permettent désormais de brosser un tableau de la sphère politique
butaréenne qui révèle l'arrière-plan
du jeu politique public. La tutelle centrale exercée sur la
SORW AL illustrait certains des ressorts de la mainmise économico-politique
que le noyau du
pouvoir nordiste imposait à la principale préfecture du sud. Cette main mise multiforme dépassait,
et de loin, les ponctions économiques que nous venons d'analyser.
6.1. Un réseau politique unifié et centré sur le contrôle des ressources
Le pilotage était assuré par le représentant du clan présidentiel à l'échelon local: Séraphin
BARARENGANA, le frère du président, par qui tout passait ou aboutissait d'une manière ou
d'une autre. D'un côté, il faisait remonter les informations sur la situation régionale vers l'akazu
et les centres de décision qui faisaient et défaisaient les carrières ; de l' autre, il répercutait sur
place « ce que le président souhaitait» en utilisant les différents canaux adéquats. Son principal
relais local était la personnalité la plus proche de l'akazu, Alphonse HIGANIRO, celui-ci était
surnommé le « secrétaire exécutif » de Séraphin BARARENGANA, par allusion au titre qu'il
portait lorsqu'il était en poste à la CEPGL. Il ne pilotait pas tous les dossiers, mais il était
vraisemblablement le seul à Butare dont les liens avec l'akazu lui permettaient de couvrir et
d'intervenir
sur l'ensemble
des sphères et niveaux de pouvoir. Rappelons, par exemple,
qu'Alphonse HIGANIRO fut nommé membre de la Commission sociale du ÇC du MRND à partir
du 4 juin 1980 où il siégeait notamment aves: Protais ZIGIRANYIRAZO et Edouard KAREMERA
(futur avocat-conseil de la SORWAL). A l'époque,
le beau-père d'Alphonse
HIGANIRO,
Emmanuel AKINGENEYE siégeait à la Commission Affaires Etrangeres du MRND et Séraphin
BARARENGANA était membre de la Commission Recherche du Cc.
Lors de son procès à Bruxelles, Alphonse HIGANIRO nia être un responsable de la CDR à la
différence de son épouse qui, interrogée comme témoin, le reconnut sans difficulté. En fait, il était
beaucoup
plus qu'un
membre
de la CDR. Alphonse HIGANIRO,
comme
Séraphin
BARARENGANA, n'agissait pas au grand jour. Il appartenait aux structures, de l'ombre dont les'
cadres politiques de la sphère publique craignaient et anticipaient les avis. A ce titre, son niveau
d'intervention
se situait au-delà des composantes
particulières de la mouvance présidentielle,
précisément au niveau où quelques personnalités autorisées décidaient de la distribution des rôles
entre les partis eux-mêmes et leurs chefs locaux.
Comme nous avons pu le constater dans les archives reconstituées d'Alphonse HIGANIRO à la
SORW AL, c'est lui qui à Butare effectuait le lien avec les directions des différents partis de la
mouvance présidentielle
installés à Kigali. Ii assurait ensuite l'information
de Séraphin
BARARENGANA qui était le vrai destinataire de cette abondante littérature. Les documents
internes du MRND arrivaient sur le télécopieur de la SORWAL, ainsi que les communiqués de la
CDR201 et diverses autres informations politiques envoyées directement par le directeur de cabinet
du ministre de l'Intérieur. Cette dernière donnée que nous avons pu confirmer (cf. annexes 24,
tome 3) s'avère particulièrement
révélatrice,
car le directeur
de cabinet en question,
personnellement
sollicité par l'akazu pour remplir cette fonction de contact et d'information,
n'était autre que Callixte KALIMANZIRA, une des trois personnalités les plus importantes
du
lo2
MRND de Butare avec Pauline NYIRAMASUHUKO
et RUNYINYA BARABWIRIZA.
Dans le
cas précis, le fait qu'Alphonse
HIGANIRO soit considéré comme le «secrétaire exécutif » de
Séraphin BARARENGANA correspond parfaitement
à la réalité, car les membres de l'akazu
n'établissaient jamais eux-mêmes de contacts directs avec des administrations.

:01 La diffusion
des communiqués de la CDR se faisait à partir du ministère des Affaires étrangères via le téléfax
numéro 00 250 72 902 qui était sous la responsabilité
de Jean-Bosco
BAY.AYAGWJZA (CDR, hutu, Gisenyi, commune
Mutura), en charge par ailleurs de l'information
des ambassades et des corps diplomatiques (cf. annexes 25, tome 3).
Jean-Bosco BARA YAGWIZA était un des membres fondateurs
de la CDR et le principal responsable des jeunesses

Impuzamugambi.
aoz Callixte KALIMANZIRA assura ensuite à partir du 6 avril 1994 l'intérim du ministre
encadré n" 3, p. 51) et joua un rôle décisif dans]' organisation des massacres à Butare,
88

de l'Intérieur

(cf. supra

Dans les archives de l'ex-directeur
de la SORW AL, on trouve aussi de nombreux envois de
2D3
documents politiques téléfaxés à partir de la SONARWA
(téléfax n" 00 250 72 052), des
communiqués du MRND Gisenyi - dont il était membre du bureau préfectoral - télécopiés par
l'intermédiaire de l'ORTPN à Kigali (téléfax n" 00 250 76514)204 et une abondante collection de
communiqués et de courriers du secrétariat national du MRND signés Mathieu NGIRUMPA TSE
(cf. annexes 26, tome 3). Le directeur général de la SORWAL recevait aussi régulièrement le
bimensuel Le courrier du peuple, bulletin extrémiste prohutu, dont l'exergue était fort explicite
« Qui veut la paix prépare la guerre » ...
Ces premiers éléments éclairent le rôle joué par la SORWAL et Alphonse HIGANIRO en
matière de financement des partis: ils permettent de comprendre au moins partiellement la
complexité du système multi-partis mis en œuvre et les fonctions attribuées aux individus. La
coordination,
comme
nous l'avons
vu était MRND/CDR. Une
formule
d'Innocent
NKUYUBW ATSI, son assistant personnel, résume très précisément la fonction remplie par son
patron ; «Alphonse HIGANIRO recevait des messages de la CDR dans le cadre de la
complémentarité des partis ».' Les relais locaux; étaient nombreux avec au premier plan l'épouse
d'Alphonse HIGANIRO, cadre de l'agence Electrogaz de Butare, qui s'affichait ouvertement
comme membre et porte-parole de la CDR dans les réunions publiques. Elle fut aussi engagée
dans des 0rérations militantes plus délicates comme les livraisons d'armes au PALIPEHUTU
burundais" . On mentionnera encore, parmi les personnages directement liés à la SORW AL, les
militants actifs comme Célestin MUHA YIMANA (CDR, hutu, Butare, commune Kibayi) introduit
parmi les clients par Jean-Baptiste SEBALINDA. Célestin MUHA YIMANA était un agent du
ministère des Travaux publics où régnait Alphonse NTILIV AMUNDA, gendre du président
BABY ARIMANA. Ce dernier, en tant que directeur du Fonds routier, apportait un soutien
logistique essentiel aux partis de la mouvance présidentielle. Célestin MUHA YIMANA était
affecté au service d'urbanisme
à Butare. Son militantisme à la CDR et ses liens étroits avec le
lieutenant-colonel Alphonse NTEZIL y AYO (hutu, Butare, commune Kibayi, secteur Nyagahuru)
dont il était considéré comme le « cousin », l'avait mis en conflit avec le préfet Jean-Baptiste
HABY ARIMANA, qui avait obtenu sa mutation à Kigali.2% Citons enfin, deux personnages déjà
mentionnés parmi les prédateurs de la SORWAL, Jean-Marie Vianney
MUDAHINYUKA
(MRND/CDR, hutu, Gitarama, commune Masango}, un des dirigeants du comité parallèle des
lnterahamwe, et Vincent MUREKEZI, trésorier de la CDR Butare et chargé d'assurer le transit des
fonds de la SORW AL.
De tous les partis de la mouvance présidentielle,
la CDR était le seul qui n'avait pas de
financement connu. Si les milieux politiques informés savaient que les membres les plus éminents
de l'akazu, Protais ZIGIRANYIRAZO et Joseph NZIRORERA, en étaient les promoteurs et les
soutiens, aucune information ne filtra sur les mécanismes de financement. Ces mécanismes ne
pouvaient être que dissimulés et personnalisés compte tenu de la diabolisation de ce parti dans la
sphère politique officielle et l'« opinion publique».

L03

Jusqu'en

199[, le directeur de la SONARWA fut Mathieu

NGIRUMPATSE.

Siméon NTEZffi..YAYO, précédemment

ministre à la présidence, lui succéda.
20< Pendant la période
du multipartisme,
l'ORTPN était connu à Kigali comme un repère d'extrémistes
hutu. Sa
direction fut confiée il. Juvénal UWILINGIYIMANA (MRND, hutu, Gisenyi), ex-ministre
du Commerce et de la
Consommation (gouvernement du 18 janvier 1989). Le conseil d'administration
mis en place par arrêté présidentiel du
29 août 1989 était présidé par RUNYlNY A BARABWIRIZA,
son vice-président était Protais ZIGlRANYIRAZO.
205 « Peu de temps
avant le génocide, un camion qui se dirigeait vers le Burundi a fait un accident dans la ville de
Kigali. Ce camion contenait des armes à feu. Les enquêtes qui ont été menées ont démontré que Madame HIGANIRO était
impliquée dans cette affaire.}} Témoignage d'Édouard KA Y1HURA, premier substitut du procureur, responsable de la
Chambre spécialisée pour les crimes de génocide et les crimes contre l'humanité à Kigali (jusqu'en juillet 2000)
transmis au président de la Cour d'Assises de Bruxelles, juin 2001. D'après les propres déclarations d'Alphonsine
MUKANKAKA il. ses proches, le couple RIGANIRO était aussi actionnaire de RTLM, 500000 Frw pour elle et 1 million
pour lui. Ils ne figurent pas cependant dans la première liste des actionnaires fondateurs.
206 Après le renvoi de Jean-Baptiste
RABYALIMANA, Célestin MURA YIMANA fut réaffecté dès la tin avril L994 au
service d'urbanisme à Butare où il fit fonction de fossoyeur.
C'est son service qui récupérait les corps des personnes
assassinées dans la ville, notamment aux barrages. La renommée macabre de ce personnage public demeure toujours très
présente dans les témoignages

des Butaréens

rescapés.

89

6.2. Le financement des milices par les réseaux Hutu Power de Gitarama
Vient ensuite le financement des milices: comme je l'ai déjà longuement illustré, la jeunesse
lnterahamwe apparut comme la principale bénéficiaire, mais il s'agissait plus largement des
jeunesses Power des différents partis. On retrouve là un réseau dense d'intermédiaires
et de
personnalités politiques pratiquement
tous originaires de deux pôles de la préfecture de
Gitarama: la région de l'Akabagali, c'est-à-dire les communes Masango/Murama, ainsi que la
commune Bulinga: Phénéas RUHUMULIZA, Georges RUTAGANDA, Jean-Marie Vianney
MUDAHINYUKA, François MUSONI, Félix SEMWAGA, Froduald KARAMIRA ... Quant à
Ca1lixte NZABONIMANA, ministre MRND de la Jeunesse et du Mouvement associatif, en charge
du suivi politique des « Jeunesses », il était originaire de la commune de Nyabikenke. La jonction
entre Froduald KARAMIRA, responsable de la JDR et le ministre Callixte NZABONIMANA
s'effectua en septembre 1993 après la rupture au sein du MDR et l'autonomisation
du pôle

Power.
Le dédale des sociétés-écrans créées pour servir d'avaliseur mutuel et faciliter les opérations de
cavalerie bancaire apparaît impressionnant, autant sur le plan des montages institutionnels mis en
place qu'au niveau des personnalités mobilisées à cette fin. Toutes bénéficiaient elles aussi
personnellement
de' contreparties financières. L'analyse des statuts des sociétés déclarées livre
bien des éléments inédits. Par exemple, dans le cas de Hardware Center SARL dirigée par Phénéas
RUHUMULIZA,"07 ,premier
vice-président
des Interahamwe,
le co-actionnaire
fut Élaste
SEBUJISHO, lui aussi originaire de la commune Murama, ex-journaliste
de Radio Rwanda
(section des émissions en swahili), qui s'était installé comme commerçant grossiste avec l'aide
d'une des plus grosses fortunes commerciales du pays, Silas MAJYAMBERE (MRND, hutu,
Gitarama), ce dernier était également originaire de l'Akabagali
(commune MasangofOS (cf.
annexe 27, tome 3).·
Quant à la société INTERPETROL, enregistrée le 10 septembre 1991, et pareillement dirigée
par Phénéas RUHUMULIZA, elle comportait trois autres associés: Isaac KAMALI, .Jean-Marie
Vianney MUDAHINYUKA et Callixte NZABONIMANA (cf. annexe 28, tome 3). Le premier,
Isaac KAMALI (MRND, hutu, Gitarama, commune Nyabikenke), fut un ex-agent du ministère de
la Jeunesse, protégé du colonel Aloys NSEKALIJE. Après que ce dernier eut quitté la tête du
ministère, Isaac KAMALI passa au ministère des Travaux publics, alors sous la tutelle de Joseph
NZIRORERA (hutu, Ruhengeri),
Isaac KAMALI était par ailleurs le beau-frère du colonel
Théoneste BAGOSORA (son épouse et lui sont de même père et de même mère). La propre
épouse du colonel Théoneste BAGOSORA était originaire de la même commune de Nyabikenke.
Sur la crête de Ndiza, dans la préfecture de Gitarama, Isaac KAMALI était le bras droit de Callixte
NZABONIMANA (MRND, hutu, Gitarama), originaire lui aussi de Nyabikenke. Rappelons que
Callixte NZABONIMANA, ministre de la Jeunesse et du Mouvement associatif depuis juillet 1990,
forma avec Pauline NYIRAMASUHUKO
à partir d'avril 1992, le binôme gouvernemental des
ministres activistes en charge de la mobilissation
idéologique
au profit du MRND .209
Accessoirement, cette implication financière dans le financement des partis permet de comprendre
comment Callixte NZABONIMANA
devint un personnage
fort riche. Quant à Jean-Marie
Vianney MUDAHINYUKA, membre du comité parallèle des Interahamwe, il intervenait déjà dans
les ventes de la SORW AL comme dirigeant de la société APROCOM. Ces quelques exemples,
auxquels on peut ajouter le financement
de la JDR de Froduald KARAMIRA via Félix
SEMW AGA, font apparaître un rapport de tutelle politique très fort entre Gitarama et Butare.
Rapport particulièrement net dans le cas du MDR Butare vis-à-vis du MDR Gitarama : c'est avec
l'aval de Froduald KARAMIRA que Félix SEMWAGA entra au bureau politique national du

MDR.
Toutefois, malgré l'importance
de ce réseau des milices et le nombre de personnalités
d'envergure nationale qu'il impliquait, il ne faudrait pas surestimer son rôle. Si localement, dans

207 Déclarée
le 17 novembre 1993, cette société réalisait déjà des affaires avant d'être formellement enregistrée.
Marie BAMURANGE, l'épouse de Pnénéas RUHUMULIZA, lui servait d'avaliseur sur son compte bancaire personnel, lui

aussi non approvisionné
(cf. annexe 29, tome 3).
lei Avant la restauration
du multipartisme,
Silas MAJYAMBERE

s'était

réfugié

à l'étranger,

où il avait créé son

propre parti politique, l'UPR.
.
109 En 1992, les militants du MDR de Gitarama excédés de \' activisme MRND
de Callixte NZABONIMANA et d'Isaac
KAMALI sur un « territoire MDR » organisèrent une embuscade pour les intimider et les corriger, mais Isaac KAMALI
usa d'une arme à feu en tirant en l'air. Ce banal fait divers se transforma alors en une affaire nationale où les deux
«

terroristes»

furent

décriés.

90

les préfectures du sud, les milices furent bien les éléments moteurs des massacres, redoutées même
des militaires ou des bourgmestres,
persuadant
les populations
de s'impliquer
dans les tueries,
elles ne furent jamais plus que des instruments politiques dans les mains des décideurs
de l'akazu.
Ainsi, malgré les apparences,
tous les ressortissants
du sud qui faisaient fonction
de responsables
officiels des lnterahamwe à l'échelon national n'étaient
que des personnalités
sans envergure
politique réelle: KAJUGA Robert, tutsi de Kibungo, président;
RUHUMULIZA
Phénéas, hutu de
Gitararna, premier vice-président;
RUTAGANDA
Georges, hutu de Gitararna,
deuxième
viceprésident;
NIYITEGEKA
Dieudonné,
trésorier,
hutu
de Butare.
L'akazu
ne procéda
pas
autrement lorsqu'elle
porta à la présidence de la CDR, Martin BUCY ANA, hutu de Cyangugu,
un
supplétif sans pouvoir réel mis en avant pour contrer la percée de Faustin TW AGIRAMUNGU.
6.3. Les relais butaréens
Pour clore ce chapitre sur le rôle de la SORWAL,
de ses dirigeants et de ses partenaires, il reste
l'implication
directe des responsables
de la SORW AL dans le jeu politique
local. Le
premier point concerne le directeur général lui-même:

à préciser

«Alphonse HIGANIRO n'allait jamais au cabaret, il ne sortait pas. Il circulait toujours seul dans sa
Mercedes ou la Pajero de la SORWAL. Il recevait chez lui presque uniquement les gens du nord en
fonction dans la préfecture. Il était considéré comme un des dirigeants de Butare.
Le seul endroit qu'il fréquentait était le Rotary Club international où il pouvait approcher les Blancs
qui ont de l'argent, mais il avait eu une période d'observation comme extrérniste.i'" Le président du
Rotary Club de Butare était alors Jérôme NGARAMBE, mais c'est Jean-Baptiste BABYALIMANA qui le
parraina?" Ils se connaissaient bien. Jean-Baptiste BABY ALIMANA se rendait de temps en temps chez
HIGANIRO à son domicile. Bien entendu, il ne participait pas aux réunions avec les gens du nord, il y
allait seul. Parmi les autres personnes de Butare qui se rendaient chez BIGANIRO figurait aussi Joseph
KANYABASBl, c'est certainement lui qui y allait le plus souvent. » (témoignage Butare, juin 2001)
Ces propos supposent
quelques explications.
Tous les témoignages
confirment
l'étroitesse
du
champ des relations butaréennes
d'Alphonse
HIGANIRO,
logé près de l'évêché
à proximité de la
résidence de Séraphin BARARENGANA
dans une villa louée par la SORW AL à Augustin NKUSI,
directeur
de l'usine
de décorticage
du riz à Gikondo
(PSD Power, hutu, Butare, commune
Mugusa).212 Hormis les visites fréquentes qu'Alphonse
HIGANIRO
et Séraphin
BARARENGANA
se rendaient
mutuellement,
la grande majorité
des visiteurs à son domicile
étaient des gens de
Gisenyi membres du MRND, notamment Bernard MUTWEWlNGABO
(MRND, hutu, Ruhengeri),
doyen de la faculté dagroncmie'",
Denis MUTAGOMA
(MRNDICDR, hutu, Gisenyi, commune
Karago}, chef du personnel
de l'UNR ... Telle était aussi la fonction
d'Alphonse
HIGANIRO:
structurer et mobiliser le réseau des ressortissants
du nord.
La plupart des relations butaréennes d'Alphonse
HIGANIRO
furent nouées, à un double titre,
par
l'intermédiaire
de
son
épouse,
Alphonsine
MUKAKAMANZI,
fille
d'Emmanuel
AKINGENEYE
(MRND, hutu, Ruhengeri) médecin
personnel
du président
et d'Une mère tutsi
originaire
du secteur Muzenga
en commune
Ndora à Butare?"
D'une
part, des rapports étroits

210 Peu de temps après son adhésion, au cours d'une soirée dansante organisée le 5 décembre 1992 par le Rotary
Club
à Butare, Alphonse HIGANIRO, qui, comme sa propre épouse et Joseph KANYABASffi, se déplaçaient toujours avec un
revolver, sortit son arme pour intimider Jérôme NGARAMBE, président du Rotary, avec lequel il venait d'engager une

dispute.
211
Malgré l'opposition déclarée de nombreux adhérents butaréens, A. HIGANffi.Odevint ainsi le seul membre
originaire de Gisenyi. Bien qu'extérieur au champ politique, un tel groupe occupait une place symbolique importante
comme lieu de rencontre et de relation des personnalités locales, Sans être lui-même un membre actif, Joseph
KANYABASHI avait été intronisé membre d'honneur de Ia section du Rotary Club de Butare du fait de ses fonctions de
bourgmestre.
212
Des témoignages décrivent Augustin NKUSI comme le responsable et le financeur des lnterahamwe à Gikondo.
Son nom figure sur la liste officielle des accusés de génocide recherchés par les autorités rwandaises (n° 258 de la liste
d'avril 2001). Des tueries perpétrées par des policiers communaux et la « population»
eurent lieu dans la cour de
l'usine de décorticage de riz avant le début des massacres massifs le 20 avril 1994. Il existe toutefois des documents
adressés au préfet de préfecture à la fin avril 1994 accusant Augustin NKUSI d'utiliser les militaires chargés de la
surveillance de l'usine pour protéger des Tutsi.
W Il est le gendre de Venant NTAHOMVURA (hutu, Butare, commune Ndora), membre du CC du MRND, ex-recteur de
]'UNR de 1981 à 1989, devenu chancelier des Médailles. L'épouse de Bernard MUTWEWlNGABü, Thérèse KAMPIRE,
était directrice de l'Institut supérieur d'administration publique (ISAP).
~ 14 Du fait de son ascendance maternelle, l'engagement
politique au sein d'un parti ouvertement ethniste et anti tutsi
valut à Alphonsine MUKAKAMANZI une très mauvaise réputation à Butare, Les propos antitutsi que son époux proférait
91

s'étaient établis au cours des années 1970 au sein de l'équipe des anciens assistants médicaux de
l'hôpital universitaire. Dans ce groupe figuraient notamment Emmanuel AKINGENEYE et
Venant NTABOMVURA, tous les deux étaient issus de la première promotion des docteurs en
médecine rwandais (1967-68). On y retrouvait aussi Théodore SINDIKUBW ABO, chef du service
de pédiatrie de l'hôpital universitaire (promotion 1968-69),215 ou encore Joseph KANYABASHl,
alors sous-directeur administratif de l'hôpital universitaire (cf. infra encadré n° 10 , p. 118) dont
les fonctions le mirent en relation régulière avec les personnels en formation. Ensuite, à la fin de
la décennie, s'ajouta Séraphin BARARENGANA, professeur, puis doyen de la faculté de
médecine. C'est en se faisant remarquer comme bon administrateur, notamment par Emmanuel
AKINGENEYE, que Joseph KANY ABASBI a été proposé aux autorités supérieures pour occuper
les fonctions de bourgmestre
de Mukura puis de Ngoma. Après l'installation
d'Alphonse
HIGANIRO à Butare, Joseph KANYABASHI se rendit très fréquemment chez lui lors des visites
de son beau-père, Emmanuel AKINGENEYE.
D'autre part, la filiation maternelie butaréenne d'Alphonsine MUKAKAMANZI établissait des
liens de voisinage avec la belle-famille de Jean-Baptiste
HABYARIMANA. L'épouse de ce
dernier, d'ethnie hutu, était originaire du secteur Gisagara et la famille maternelle d'Alphonsine
MUKAKAMANZI du secteur Muzenga. Le caractère atypique de la condition familiale des deux
couples les rapprochait: d'un côté, Alphonse HIGANIRO, le nordiste relais local de l'akazu, avait
un beau-père nordiste de l'akazu et une belle-mère tutsi de Butare/" et de l'autre, Jean-Baptiste
HABY ARIMANA, l'intellectuel tutsi de Butare, était marié avec une femme hutu de mère tutsi,
Joséphine KARUHIMBI. Celle-ci était la fille de Désiré KALINIJABü, hutu originaire de Save,
membre du MDR-PARMEHUTU qui fut nommé administrateur-adjoint
(équivalent de préfet) de
Cyangugu au cours de l'année 1960! C'est, semble-t-il, du fait de telles attaches que JeanBaptiste BABY ARIMANA estima être la seule personnalité
tutsi à pouvoir se rendre chez
Alphonse HIGANIRO et Alphonsine MUKAKAMANZL
Ces fréquentations
politiques ou
mondaines très «ouvertes»
de Jean-Baptiste
HABY ARIMANA surprenaient
beaucoup les
Butaréens politisés. Si certains les interprétaient comme une preuve d'autonomie intellectuelle et
de refus de diaboliser des opposants, d'autres y voyait la preuve d'une soif d'ambition et/ou
d'une certaine naïveté.?"
6.4. Les engagements politiques des personnels de la SORWAL

.

Au-delà de sa participation aux financements des activités des partis, que ce soit avant la guerre
ou pendant, la SORW AL joua un rôle important dans la vie politique butaréenne.
D'après divers témoignages, et au titre de la mobilisation courante des moyens de l'État et des
entreprises para-étatiques, le minibus Mazda rouge (immatriculé CB 1929) et les camionnettes
Pajero de la SORWAL sillonnaient toute la ville lors de l'organisation
de manifestations du
MRND ou des diverses activités des structures politiques liées à la mouvance présidentielle. De
même, les locaux de la SORW AL, excentrés et vastes, furent utilisés pour l'hébergement
et
l'entraînement de miliciens, à commencer par ceux qui étaient salariés de l'entreprise.
J'ai déjà mentionné ci-dessus (cf. supra § S.L, p. 73 sqs) la pratique des recrutements
politiques lors des diverses réorganisations
des personnels. La plus importante concerne la
création ex nihilo d'une équipe technique chargée d'une nouvelle ligne de production. Dirigée
ouvertement

envers

sa belle-famille

maternelle

étaient relayés

par son épouse

qui soutenait

«être

la fille d'un

homme ».
ns Lorsque Emmanuel AKINGENEYE devint médecin personnel
du président HABY.ARTh1ANA, il était en charge de
la couverture médicale générale du président et de sa famille. Parallèlement,
Théodore SINDIKUBW ABC, pédiatre,
intervenait comme spécialiste dans le suivi médical des enfants du président.
116 Parmi les premières
promotions
d'assistants
médicaux formés à l'hôpital universitaire
de Butare, un grand
nombre d'étudiants, notamment ceux qui venaient du Rukiga, épousèrent des jeunes femmes originaires de la préfecture,
très généralement des femmes tutsi (ou au moins de mère tutsi):
AKlN'GENEYE, MUBILlGl. GATERA. MUSAFlRI,
KAYIHIGI, MBARUTSO, GAHUNGU, NTABOMWURA, etc. Citons encore la situation familiale du vice-recteur JeanBerchmans NSHIMYUMUREMYI,
un des {(bourreaux»
de Butare pendant le génocide, dont l'épouse, Spéciose
MUKANrABANA. originaire de Ruhashya et de mère tutsi, était la cousine de Bernadette, l'épouse tutsi d'Emmanuel
BAGAMBIKl, ex-préfet de Kigali rural puis de Cyangugu, deux préfectures où d'importants
massacres se déroulèrent
alors que ce dernier était en fonction.
m C'est par exemple un burundais réfugié, Charles SINZABAKWIRA,
homme d'affaires installé à Cyarwa et membre
éminent du Rotary club de Butare, qui pourchassa et fit assassiner la plupart des membres tutsi qui n'avaient pas réussi à
s'enfuir.

92

par Déo NDIKUMANA (hutu, Butare, commune Mbazi), chef d'équipe recruté en février 1993,
celle-ci fut considérée comme la mise en place de personnels privilégiés et politiquement sûrs. Les
recrutements s'étalèrent sur l'année 1993,
Par ailleurs, le 21 avril 1993, trois salariés se virent notifier un «avertissement pour faute
lourde ». La faute lourde consistait à avoir suscité « un mouvement de révolte avorté », En fait, les
trois personnes visées figuraient parmi les derniers salariés rescapés proches des partis de
l'opposition.
Alors même que les jeunesses Interahamwe nexistaient
guère ~ ou n'étaient guère connues avant le début de la guerre d'avril 1994 à Butare, la SORWAL avait anticipé leur organisation et
put fournir dès que l'opportunité
se présenta le noyau des militants sûrs et formés qui se
chargèrent de la multiplication et de l'encadrement
des effectifs. Alphonse HIGANIRO et
lldephonse NIZEYIMANA, capitaine à l'ESO, se concertèrent lors des recrutements et mirent en
œuvre cette mobilisation dont le suivi était assuré par Innocent NKUYUBWATSI, parent
d'Ildephonse NIZEYIMANA (cf. supra § 5.1. p. 78).218
Après
l'attentat
contre
l'avion
présidentiel,
Alphonse
HIGANIRO
et Séraphin
BARARENGANA quittèrent ensemble Butare le 7 avril avec le convoi qui escortait les
personnalités butaréennes promues, Théodore SINDIKUBWABO et le général Marcel GATSINZI.
Alphonse HIGANIRO se rendit à Gisenyi pour assister à l'enterrement de son beau-père, décédé
alors qu'il accompagnait le président. Il s'y installa ensuite jusqu'à la fin de la guerre et s'intégra
dans le noyau des personnalités "conseillant" le GL A Butare, Martin DUS ABE fit fonction de
directeur général ad interim,
La production de l'usine fut arrêtée à la mi-avril du fait des difficultés de déplacement des
personnels après l'installation d'un grand nombre de barrages sur les routes et de la situation
générale d'insécurité dans la préfecture. La SORWAL avait embauché une trentaine de salariés
tutsi, la plupart Jurent tués chez eux dans leurs communes de résidence. La production reprit
ensuite du 9 mai au 30 juin 1994. A. HIGANIRO suivait l'évolution de la situation à partir de
Gisenyi. Avant de partir, il avait signé plusieurs chèques vierges à l'avance, chèques sur lesquels il
fallait simplement ajouter les signatures de M. DUSABE et .T.-B. SEBALINDA. Mais, du fait des
défaillances du système bancaire, la quasi-totalité des transactions se fit en liquide. Les fonds de
l'entreprise furent détenus par Innocent NKUYUBW ATSI qui fit fonction de caissier pour la
totalité des opérations courantes (salaires et autres charges, dépenses, recettes). Le fait que cette
fonction de caissier lui soit confiée peut s'expliquer
par la garantie de sécurité qu'il offrait
comme ex-militaire lnterahamwe logé chez un capitaine important sur la place de Butare et par
son niveau d'information des affaires (au sens large) de la SORWAL Lors de la reprise du travail
en mai, tous ceux qui voulurent toucher leurs arriérés de salaires se déplacèrent à Karubanda.
Quelques salariés tutsi survivants se présentèrent. Ils firent l'objet de menaces de la part des
salariés militants prohutu et après la diffusion d'une note de Martin DUS ABE justifiant le refus de
payer le salaire d'une cantinière hutu, Clarisse UW ACU, accusée d'être en réalité une Tutsi ayant
changé d'ethnie, les autres employés tutsi, qui avaient déjà pris le risque de franchir les barrages
routiers, ne tentèrent plus de revenir à l'usine, Dans ce domaine, la ségrégation ethnique envers les
personnels tutsi était délibérée, puisque Innocent NKUYUBW ATS1 dut aller payer directement à
son domicile Jean-Marie Vianney RUTAGANDA
(hutu), chef de contrôle, qui demeurait à
Cyarwa, qui n'osait pas se déplacer car, selon l'expression
du responsable milicien, «il avait
une esthétique tutsi » et craignait d'être abattu aux. barrages,
Tout au long de la guerre civile, Martin DUSABE fut en charge des relations avec les autorités
militaires et administratives. Il rencontra presque quotidiennement
le capitaine Ildephonse
NIZEYIMANA et participa à l'organisation
de l'autodéfense
civile à Butare tout comme J.-B.
SEBALINDA qui assurait officiellement la gestion des financements consacrés à l'autodéfense
civile,
D'une manière générale, incités par leur directeur à partir de Gisenyi, les cadres de la
SORW AL furent très impliqués dans la politique de « pacification» à Butare. Les éléments les plus
extrémistes de la SORW AL, « les plus avertis » parmi les personnels, furent même sollicités « pour
qu'ils collaborent avec la population qui contrôle les réfugiés aux barrières » (cf. annexe 15, tome
Ils Le capitaine Ildephonse NIZEYIMANA
bénéficiait de longue date d'une réputation dextrémiste
hutu à Butare, À
différentes occasions, 11fut mis en cause pour son parti pris (cf annexe 12, tome 3, tract des" Gens de Butare » du 2 6

février 1994).

93

3). On retrouve sur cette liste Jean-Léonard CYIZA, du secteur Rango, militant MRND/CDR.
Parmi les autres employés ou ex-employés qui se distinguèrent, figurent encore deux activistes
notoires dont le zèle mortifère s'illustra notamment lors de l'attaque de l'église de Ngoma, le 29
avril:
_ Jacques HABIMANA (MDR Power, hutu, Butare, commune Nyakizu), magasinier devenu
«joumaliste » privé. Il fut ensuite nommé conseiller du secteur Ngoma par le bourgmestre Joseph
K..;.NYABASHI en remplacement de Saïd MUNYANKUMBURWA,
assassiné;
_ Edouard NIYITEGEKA (MRND, hutu, Cyangugu), technicien, qui bénéficia de la redoutable
réputation d'être «l'époux qui tua sa propre femme tutsi »,
La direction et les personnels de la SORWAL s'enfuirent
3 juillet 1994.

94

vers Gikongoro

et Cyangugu les 2 et

7. L'administration territoriale
Parmi les acteurs locaux, les responsables de l'administration
déconcentrée occupaient tous à
des degrés divers des positions qui leur conféraient un pouvoir de décision et d'intervention
majeur au sein de la sphère politique. Tout au long de la seconde République, l'attitude des
fonctionnaires locaux et leur contrôle constituèrent pour les autorités nationales un enjeu capital,
l'ai déjà déjà souligné à maintes reprises comment les cadres et intellectuels des préfectures du
sud furent soumis à la tutelle des originaires du nord ou mis en concurrence avec eux. Ces
derniers se virent confier la majorité des postes importants de la fonction publique et du secteur
para-étatique. La fonction d'autorité et la relation hiérarchique apparaissaient d'autant plus fortes
et contraignantes que ces cadres expatriés étaient directement en contact avec les vrais décideurs
nationaux.
Avec l'avènement du multipartisme, une politisation générale s'ajouta aux clivages anciens au
sein des administrations et services. Toutes les décisions, déclarations et comportements étaient
susceptibles d'être perçus comme ayant une signification politique. De même, les compétitions,
les méfiances et les soupçons gui marquaient
inévitablement
l'environnement
professionnel
faisaient désormais l'objet de lectures partisanes génératrices de tension entre les individus et les
groupes. L'environnement
instable ou des événements dramatiques, nationaux ou proches,
alourdissaient épisodiquement un climat social déjà plus ou moins dégradé. Dans ce contexte, une
responsabilité éminente incombait aux membres de l'administration
territoriale traditionnellement
en charge de l'ordre et de la paix civile. Au sein de l'administration
déconcentrée, l'autorité était
tout entière détenue par les représentants du ministère de l'Intérieur qui au nom du parti-Etat
exerçaient la tutelle politique et fonctionnelle
sur l'ensemble
des fonctionnaires
et des
populations.
Si la seconde République rompit avec la « République des bourgmestres»
et mit en place la
Répu blique des préfets »219, elle ne fit gue déplacer l'échelon auquel incombait la primauté de
l'exercice de l'autorité. Pour autant, la volonté de neutraliser toute expression politique qui
s'attaquerait au monopole du ministère public fut une constante depuis les premières années de
l'indépendance.
Les deux brèves années de retour au multipartisme ne firent qu'entamer
les
prérogatives
jusque-là
incontestées
de
l'administration
territoriale
et
apparaissent
rétrospectivement comme une simple parenthèse.
Dans cette préfecture « rebelle », il est aisé
d'imaginer l'importance gu'a pu revêtir la tutelle préfectorale aux yeux des autorités centrales.

«

7.1. Les préfets
Dans les préfectures du sud, d'une maniere générale, le commandant
de place, puis le
représentant des services de sécurité assuraient le contrôle stratégique en étroite collaboration avec
les préfets, ou en cas de nécessité en lieu et place du préfet. A Butare cependant, la situation était
quelque peu différente car il n' y existait pas de secteur militaire opérationnel. Le préfet relevait
donc prioritairement des autorités et des réseaux de pouvoir civils. Ce dernier était assurément le
personnage le plus important de la préfecture, tout en n'étant lui-même le plus souvent qu'un
exécutant attentif des ordres ou conseils reçus de la part des autorités supérieures (MRND,
ministres ou personnalités de l' akazu),
En ce qui concerne les préfets de la première République, rappelons uniquement quelques
points. Tout au long de cette République,
la préfecture fut tenue par des membres du
PARMEHUTU alors que les partis d'opposition
étaient localement majoritaires (notamment
l'APROSOMA) ou soumis.
Insistons encore sur le symbole qui fit que le premier préfet officiellement nommé en JUin
1961, Jean-Baptiste HABY ARIMANA, fut préalablement
nommé administrateur
adjoint de la
préfecture par ladrninisrration
belge le lor décembre 1960, puis confirmé préfet par les autorités
issues du « coup d'Etat de Gitarama » du 28 janvier 1961. Le hasard voulut qu'il fut à nouveau
affecté à Butare quelques mois avant le coup d'Etat de juillet 1973. Pour les autorités, confrontées
alors à de fortes dissensions, il importait de rétablir une légitimité butaréenne à la fonction exercée
depuis 1967 par des préfets étrangers à la préfecture. Cette légitimité s'imposait d'autant plus que
119

Cf.

A.

GUICHAOUA,

L'administraiion

territoriale

rwandaise,

95

Nations unies, op. cit., p. 7.

les tensions ethniques locales avaient été fortement ravivees, notamment lors du bref passage
d'Esdras MPAMO. Celui-ci est généralement décrit comme le premier préfet à avoir ouvertement
soutenu l'ethnisme antitutsi à Butare et à avoir délibérément heurté les intérêts de la communauté
tutsi de Butare, notamment les réfugiés tutsi originaires de Gikongoro, installés dans le commerce
ou les affaires.

Tableau n" 8

Les préfets de Butare (1961-1994)

Première République
HABYARIMANA

Jean-Baptiste

(MDR.PARMEHUTU,

hutu, Astrida, commune Buhoro)
01/06/1961

SEZIRAHIGA François (A:!DR-PARMEHUTU, hutu, Astrida, commune Kigembe)
01/12/1962
24/05/1963
KALINIJABO Charles (MDR-PARMEHUTU, hutu, Kigali)
01/04/1964
MUNYANGABE Ladislas (MDR·PARMEHUTU, hutu, Gikongoro)
14/08/1964
SEZIRAHIGA François (MDR-PARMEHUTU, hutu, Butare)
20/0411965
RWANZEGUSHIRA Aloys (MDR-PARMEHUTU, hutu, Kigali)
01/0611965
UGIRASHEBUJA Joseph (MDR-PARMEHUTU, hutu, Butare)
14/0211968
KARUTA Tharcisse (MDR-PARMEHUTU, hutu, Kibuye)
MPAMO Esdras (MDR-PARMEHUTU, hutu, Gitarama)
HABYARIMANA Jean-Baptiste (MDR-PARMEHUTU, hutu, Butare)

0211972

05/01/1973

01/1211962
24/05/1963
09/1963
01/07/1%4

20/0411965
01/0611965

01/0611967
0211972
14/1011972
31105/1973

Deuxième République
KABALISA Palatin (MRND, tutsi, Cyangugu)
1510711973
NKURUNZIZA Charles (MRND, hutu, Byumba)
20/0711976
RUZINDANA Emmanuel (MRND, hutu, Gitarama, commune Mukingi) 19/0511978
KALIMANZIRA Callixte, préfet a.i.22o (MRND. hutu, Butare, commune Mugarua)

18/0511987

KARANGW A Frédéric (MRND, hutu, Gitarama, commune Bulinga)
27/11/1987
GATERA Gaspard, préfet a.i. (MRND, hutu, Syumba)w
10/0711990
TEMAHAGALI Justin (MRND, hutu, Byumba)
05/10/1990
HABYALIMANA Jean-Baptiste (PL, tutsi, Butare, commune Runyinya) 0410711992
NSABIMANA Sylvain (PSD, hutu, Butare, commune Mbazi)
19/0411994
Lieutenant-colonel NTEZILYA YO Alphonse (hutu, Butare, commune Kibayi)
17/06/1994

7.1.1. Les préfets « fonctionnaires})

20/07/1976
19/05Jl978
18/05Jl987
27/11/1987
10/0711990
05/1011990

04/0711992
18/0411994
17/à6/1994
17/07/1994

de la seconde République

La deuxième République chercha à réduire les tensions à Butare en nommant pour la
première fois depuis l'indépendance
un préfet tutsL:m Puis, au cours du long mandat
d'Emmanuel
RUZINDANA l'animosité des élites butaréennes envers le pouvoir central et donc
l'autorité préfectorale reprit avec vigueur au milieu des années 80 et s'amplifia jusqu'à la fin du
monopartisrne. Le préfet Emmanuel RUZINDANA fut habituellement considéré par les élites
butaréennes comme ayant tenté une première reprise en main autoritaire de la préfecture dont
plusieurs personnalités politiques indisposaient la nomenklatura du nord. C'est en fait au cours de
la deuxième moitié de son mandat que débuta ta structuration d'une résistance politique discrète
mais efficace, notamment après l'épisode de l'élimination
politique et de l'emprisonnement
du
ministre et député Félicien GAT ABAZI. Des intellectuels hutu et tutsi conjuguèrent leurs efforts
pour créer et faire fonctionner des écoles privées (CEFûTEC, Ecole Technique de Kansi, École
120 Callixte KALIMA.NZIRA,nommé en juillet 1986 sous-préfet chargé des Affaires administratives et juridiques,
assura l'intérim de la préfecture après le départ du préfet RUZINDANA (cf. supra encadré nO3, p. 51).
12\ Dès la fin de son intérim, Gaspard GATERA, originaire de la même sous-région de Ngarama (commune Gituza) que
Justin TEMAHAGALl, obtint la direction de la sous-prêfecture de Kabaya en préfecture de Gisenyi.
m Palatin KABALISA s'est toutefois toujours déclaré hutu. Il devint ensuite l'inamovible notaire officiel de la
seconde République. Il fut tué à Kicukiro (Kigali) pendant le génocide.

96

secondaire de Save, ... ). Propriété des associations de parents d'élèves, ces écoles transgressaient ta
discrimination scolaire dont la préfecture était victime et ignoraient toute considération ethnique
dans le recrutement des élèves, des professeurs et des responsables. D'après certains témoins, des
ressortissants de Butare occupant des postes de responsabilité encouragèrent le recrutement des
ressortissants tutsi et hutu de Butare et du sud en général, rompant en quelque sorte la tradition
d'individualisme des politiciens de Butare pour aligner leur comportement sur celui de la plupart
de leurs collègues.
Frédéric KARANGW A, qui lui succéda, était lui aussi originaire de la préfecture de Gitarama.
Il fut perçu comme un jeune technocrate dénué d'expérience
et sans grande envergure
personnelle. Ses interlocuteurs le décrivirent comme un personnage complexé, comme une
« créature» sous tutelle du ministre de l'Intérieur.
Sa nomination à la mi-1989 au comité central
du MRND, en même temps que Daniel MBANGURA, apparut tout à fait surprenantes (cf. supra §
2.4., p. 29). Il hérita d'emblée d'une situation socio-politique fort tendue, notamment à partir
d'août 1988 du fait de l'arrivée d'environ 60 000 réfugiés hutu burundais. Outre l'agitation
politique induite, la pression 'sur les. ressources alimentaires aggrava fortement une période de
soudure déjà très difficile à cause de variations climatiques. La disette qui s: ensuivit fut une des
plus sévères que connut le pays au cours de la seconde République. A la différence des
préfectures du nord où des ravitaillements rapides et abondants furent organisés, la disette au sud
fut traitée comme un événement à masquer. Ainsi l'abbé Modeste MUNGW ARAREBA qui, avec
l'organisation
catholique CARITAS, avait commencé
à distribuer des vivres aux personnes
frappées par la famine, reçut une lettre du préfet F. KARANGW A lui interdisant de continuer. La
démarche du préfet, considérée comme incompréhensible
et scandaleuse.t" fut pourtant soutenue
par Constantin CYUBAHIRO (tutsi, Kibungo) alors directeur général au ministère de la Justice.
Pour les autorités politiques, il était interdit de reconnaître l'existence de cette famine, Le rapport
de force avait changé lorsque, après le 31 mai 1990, le préfet dut affronter la vive campagne
locale et nationale qui s'enclencha
après que des militaires tirèrent sur une manifestation
d'étudiants et firent un mort. Ses appuis ne suffirent pas à le sauver. Le président le sacrifia (cf.
infra encadré n° 5, p. 98).
Retenons encore que cette longue tutelle de préfets originaire
de Gitarama favorisa
l'implantation à Butare de ressortissants de cette préfecture (cf. supra § 6,2, p. 90) et notamment
l'arrivée de Félix SEMW AGA, lui aussi natif de la commune Bulinga,

m Au cours de cette période de revendications démocratiques, de nombreuses pratiques habituelles de la part des
puissants faisaient l'objet de dénonciations. Face aux « affamés », le préfet KARANGWA, qui s'était attribué
personnellement l'intégralité d'un marais dans le secteur Musange de la commune Huye pour y cultiver de l'herbe pour le
bétail, était bien mal placé pour appliquer une politique autoritaire et répressive. Les contestations des popu lations
avoisinantes envers ce qu'elles considéraient comme une spoliation ne cessèrent jamais et malgré les arrangements
négociés en 1992 lors de la nomination du préfet issu des rangs de l'opposition, J.·B. HABYALIMANA,le marais fut
récupéré de force par les riverains en décembre 1992.

97

Encadré

n° 5: Frédéric

224

KARANGWA

Né le 8 juin 1955 dans la préfecture de Gitarama, commune de Bulinga, secteur Mushishiro. ~e t 967

à 1974, li étudia aux séminaires St Léon et St Paul de Kabgayi où il réussit ses Humanités. Etudiant
inscrit à l'UNR en 1974, il obtint le diplôme d'ingénieur agronome avec distinction le 27 juin 1980.
Recruté par le ministère de l'Agriculture et de l'Élevage le 2 février 1981, il occupa alors la fonction
d'homologue du chef de projet Kibungo II parallèlement à celle d'agronome de préfecture. Il fut admis à
titredéfinitif dans les cadres de l'administration centrale le 2 février 1983 (arrêté présidentiel du 21 juillet
1983). Le 5 juin 1984, il fut transféré au ministère de l'Intérieur, alors sous la tutelle du ministre Thomas
HABANABAKIZE, Il resta quelques mois affecté à la direction Planification et Inspection au sein de la
direction générale du Développement communal et accéda d'emblée, le 20 février 1985, à la direction œ
l' Umuganda. Le ministre le promut ensuite directement préfet de Butare le 27 novembre 1987. Il perdit
son « parrain»
lors du remaniement ministériel du l.8 janvier 1989, mais continua à bénéficier des
faveurs des plus hautes autorités du régime. À la fin de l'année 1989 ou au début de l'année 1990, il fut
nommé par le président BABY ARIMANA au comité central du MRND dans un contexte marqué par des
polémiques extrêmement vives puisqu'il y succéda à Félicula NYIRAMUTARAMBIRWA,
opposante
déterminée, qui venait de décéder dans un accident de voiture suspect et que quelques mois plus tard, dans
sa propre préfecture de Butare, un second « accident»
touchait un autre opposant célèbre, l'abbé Silvio
SINDAMBIWE, curé de la cathédrale de Butare (cf. supra § 4.3.1., note 149, p. 71).
Suite à une brutale opération de maintien de l'ordre envers une manifestation d'étudiants le 31 mai
1990, il fut suspendu de ses fonctions par mesure d'ordre le 10 juillet 1990 sans mesure de sanction
disciplinaire. Lâché par la présidence, l'arrêté présidentiel n" 843/04 du 30 octobre 1990 mit fin à son
affectation dans l'administration préfectorale et le réintégra formellement comme chef de division au
ministère de l'Intérieur à la direction du Développement communal. Le ministre l'affecta à la Division
Appui et Encadrement le 3 décembre 1990 où il s'occupa du « développement du mouvement associatif
dans le monde rural », Il fut condamné par arrêt RA 0995/13.03/90 - RMPC 185-PROGECA rendu par
la Cour de cassation le 20 février 1991 à 18 mois d'emprisonnement ferme et à 30 000 FRw. d'amende.
Conformément au statut des agents de l'administration
centrale, un projet d'arrêté présidentiel portant
démission d'office de l'intéressé fut établi et transmis par le ministre de la Fonction publique pour
signature à la présidence le 25 juillet 1991 (cf. annex.e 30, tome 3). Opportunément, lorsque la loi 54
bis/9l du 15 novembre 1991 portant amnistie de certaines infractions parut, cet arrêté n'avait toujours pas
été signé et Frédéric KARANGWA en bénéficia. Rappelons néanmoins que la loi avait été prévue pour
amnistier le caractère délictueux des infractions commises par les opposants au parti-État MRND (et
notamment les « complices» arrêtés après octobre 1990), et pour permettre aux personnes bénéficiaires
« de participer à la consolidation de la démocratie en faisant valoir leurs conceptions à l'occasion de la
réinstauration du pluralisme ». Elle prévoyait aussi qu'« il n'y a pas lieu d'amnistier des faits
constitutifs d'infractions commises contre des personnes » (Journal officiel, 15 décembre 1991, p. i921).
Une fois amnistié, le ministre de l'Intérieur mit Frédéric KARANGWA à la disposition du projet microréalisations de la coopération canado-rvvandaise à compter du 5 novembre 1991. En 1992, il fut nommé
coordonnateur du projet PSTP-HIMO du BIT géré par la direction générale du Développement communal.
Ce projet était une composante essentielle du Programme national d'actions sociales (PN AS) financé par
la Banque mondiale et différents bailleurs de fonds.
Lors de l'avènement du multipartisme, Frédéric KARANGWA rejoignit les rangs du MDR. Après la
guerre, Frédéric KARANGWA
se réfugia au Zaïre. Lui et rex-préfet
de Cyangugu, André
KAGIMBAMGABO, furent tués en 1996 lors de la prise de Kisangani par l'APR et les forces de LaurentDésiré KABILA.

124 Nous consacrons
un encadré à ce préfet du fait du rôle majeur qu'il joua dans la radica\isation
politique butaréenne
contre le régime HABYARIMANA et surtout parce qu'il fut le seul préfet de la seconde République destitué et condamné à
une lourde peine pour des actes de répression envers la population commis dans l'exercice de ses fonctions même s'il fut

presque

aussitôt amnistié.

98

7.1.2, Les préfets «politiques»

de la seconde République

7.1.2.1. Le maintien de l'ordre selon Justin TEMAHAGALI
Avec la nomination de Justin TEMAHAGALI, jusqu'alors secrétaire général du ministère de
J'Intérieur et supérieur hiérarchique direct des préfets, le 5 octobre 1990, Butare fut dotée d'un
préfet nordiste, qui s'était forgé au cours de sa longue carrière politique une réputation de
«dur ». Militant du MDR-PARMEHUTU dès sa création, il fut nommé en 1960 sous-chef de sa
commune de Gituza avant d'être élu bourgmestre lors des premières élections communales du Il
janvier 1961. Il fut affecté ensuite à la préfecture de Byumba (fonctionnaire principal puis souspréfet, 1962-63), à celle de Kibungo (sous-préfet, 1964), à celle de Gikongoro (préfet de juin
1964 à juillet 1969). En septembre 1969, il décrocha un mandat de député puis la seconde
République en fit un ambassadeur de 1973 à 1985.
Sa carrière de parlementaire débuta en même temps que celle de Protais ZIGlRANYIRAZO,
beau-frère
de Juvénal BABY ARIMANA, alors ministre de la Garde nationale. Justin
TEMAHAGALI et Protais ZIGIRANYIRAZO se connaissaient bien et entretinrent des relations
utiles surtout lorsque Protais ZIGIRANYIRAZO devint «préfet des préfets» sous la deuxième
République et que Justin TEMAHAGALI réintégra l'administration
centrale du ministère de
l'Intérieur le 11 octobre 1985 comme secrétaire général, poste qu'il occupa jusqu'en octobre

1990.225
Sa nomination à Butare, quelques jours après l'attaque du FPR au nord du pays en octobre
1990, inaugura la série des préfets qualifiés de politiques. Il fut explicitement nommé pour
organiser la répression des « complices du FPR », Dans le contexte de l'époque, son affectation
dans la capitale du sud fut d'emblée perçue comme une provocation. Sa réputation d'ancien
préfet brutal et anti-tutsi de Gikongoro des années 60226, demeurait présente dans l'esprit de ceux
qui durent alors quitter cette préfecture pour s'installer sous les cieux plus cléments de Butare.
Dès son arrivée, il conforta cette image hostile en refusant d'occuper
la villa de fonction
habituelle des préfets et en réquisitionnant une villa de l'Université. Avec la mise en œuvre des
arrestations massives et arbitraires, il se comporta comme si tous les habitants de Butare étaient des
Ïnyenr]. L'arrestation et le harcèlement de nombreux commerçants tutsi originaires de Gikongoro
renouèrent avec les pratiques des années 60. Mais la mission de Justin TEMAHAGALI fut en fait
plus complexe. Au-delà de la phase de répression, il était aussi chargé d'utiliser ses relations
familiales pour renouer des liens avec quelques
grandes familles tutsi de Butare et de
Gikongoro?"
Sans imaginer pouvoir les rallier au régime, il comptait au moins pouvoir
s'appuyer sur eux pour gérer la préfecture.
L'attitude sectaire de Justin TEMAHAGALI
renforça l'ascendant
de l'opposition
et, dès
l'avènement du multipartisme, l'administration
territoriale se scinda de manière tranchée entre le
groupe des gens du nord ou proches d'eux (essentiellement à la préfecture et dans les souspréfectures
avec le soutien de quelques
bourgmestres)
et celui des cadres butaréens
majoritairement proches du PSD, du PL et du MDR.
Malgré l'intransigeance que le préfet TEMAHAGALI manifesta, il ne put empêcher le MRND
de perdre l'essentiel de ses cadres et partisans. De plus, les militants restés fidèles au MRND
préférèrent souvent rester discrets ou prendre une deuxième adhésion pour sauvegarder leur
avenir. La carrière de préfet de Justin TEMAHAGALI
cessa dès la dissolution du dernier
gouvernement monopartite. Il fut alors récupéré comme conseiller aux Affaires politiques et
administratives par le ministre Cailixte NZABONIMANA
au ministère de la Jeunesse et du
Mouvement associatif (arrêté présidentiel du 23 septembre 1992). Il se retrouva alors, entre autres
responsabilités, en charge du suivi des mouvements de jeunesse des partis. Or le hasard (?) voulut
que le ministre Callixte NZABüNIMANA,
qui entretenait des liens étroits avec sa collègue Pauline
NYIRAMASUHUKO,
soit personnellement
impliqué
dans le financement
des Jeunesses
Interahamwe
via l'entreprise
INTERPETROL
dont il était co-actionnaire
avec Phénéas

m On remarquera à titre anecdotique
sous-préfet de Callixte KALIMANZIRA
rôles furent renversés puisque Callixte

que ce fut Justin TEMAHAGAU qui accompagna de 1986 à 1989 la carrière de
alors qu'il était secrétaire général du Mil'ITNTER. Au cours de l'année 1992, les
KALIMANZIRA devint son «chef
au deuxième degré"
et « représentant
de

l'autorité
compétente ».
226 Il succéda alors à André NKERAMUGABA,
ouvertement impliqué dans les massacres antitutsi de la préfecture.
m Son fils avait épousé une femme tutsi de Gikongoro et le frère de sa belle-fille avait épousé une de ses filles.

99

RUHUMULIZA
à Butare ...

grâce à l'obligeance

d'Alphonse

7.1.2.2. La nomination surprise de Jean-Baptiste

HIGANIRO, directeur général de la SORW AL

HABYALIMANA

Avec l'installation
du gouvernement
pluripartite
de Dismas NSENGIYAREMYE,
la
nomination d'un préfet autochtone issu des rangs de l'opposition
fit l'objet de tractations
subtiles.t" Normalement, selon le mot d'ordre du nouveau gouvernement qui consistait à affecter
les préfets dans leur préfecture d'origine, le poste devait automatiquement
revenir à Augustin
lY AMUREMYE originaire de Butare et alors en fonction à Gitarama. Pour la présidence de la
République, qui ne souhaitait pas installer un préfet PSD « fort» à Butare, il importait de trouver
un habillage convaincant à son refus .219 C'est ainsi que naquit l'idée de donner une préfecture à
un Tutsi hors des appareils politiques et dont on imaginait qu'il serait, de ce fait, un préfet faible.
Formule qui présentait en outre l'avantage
pour le pouvoir d'installer
une personnalité
intellectuelle qui servirait detrait d'union afin d'atténuer les tensions exacerbées par Justin
TEMAHAGALl aussi bien avec les milieux universitaires qu'avec les commerçants tutsi.
Le profil de Jean-Baptiste BABY ALIMANA, tutsi, universitaire et membre du PL, apparut alors
idéal à bien des égards. Sa candidature fut suggérée par le ministre Landoald NDASINGW A, viceprésident du PL, et acceptée par le gouvernement. Intellectuel brillant, peu sensible aux clivages
ethnique et régionaliste, il côtoyait sans difficulté les Hutu comme les gens du nord (cf. supra §
6.3., p. 92).
En fait, lors des marchandages politiques' d'avril-juin 1992, Félicien GATABAZI, dont le parti
contrôlait Butare, aurait accepté de céder le poste de préfet de Butare au PL en échange du poste
de Kibungo du fait de la personnalité de Jean-Baptiste HABYALIMANA, considéré comme
proche des dirigeants du PSD. Le contrôle par le PSD de la préfecture de Kibungo élargissait
l'audience du parti dans le sud dans l'optique d'élections nationales et la cession de Butare ne
nuisait pas au PSD qui tenait déjà bien en main la plupart des postes de décision dans la
préfecture.
Il semble
de même
que
Félicien
GAT AB AZI, tout
comme
Frédéric
NZAMURAMBAHO,
ne souhaitaient
pas que le poste de préfet revienne à Augustin
IYAMUREMYE, pas plus qu'au premier président du comité régional du PSD, le Dr JeanChrysostome NDINDABAHIZI, qui revendiquait pourtant ouvertement le poste.

m Pour les postes de hauts fonctionnaires,

les nominations

devaient se faire par consensus

du gouvernement.

Dans

le cas présent, il devait être accepté par les ministres du MRND.
m D'après différents témoins, cette nomination suscitait aussi l'hostilité du MDR qui craignait, avec Un préfet PSD,
de ne plus pouvoir maintenir ses marges de manœuvres à Butare. C'est ainsi qu'ils expliquent la promotion d'Augustin
IYAMUREMYE à la tête des services de renseignement de la Prirnature par Disrnas NSENGIYAREMYE.
100

Encadré

n° 6: Jean-Baptiste

HABY ALIMANA

Né le 14 mars 1950 dans la commune Runyinya230, Jean-Baptiste HABYAUMANA effectua ses
études secondaires au Groupe scolaire de Butare et obtint le diplôme des Humanités scientifiques en i969.
En octobre 1975, l'Université nationale du Rwanda lui délivra le diplôme d'ingénieur civil des
constructionsf''c Il fut affecté au Centre d'études et d'application de l'énergie au Rwanda de décembre 1975
à novembre 1978, date à laquelle il fut nommé professeur assistant à la faculté des sciences de l'UNR.
En août 1984, il fut enfin autorisé à suivre des études de post-graduation à l'Université de MissouriColumbia aux États-Unis et soutint sa thèse de doctorat en août 1989. Il s'agissait là d'un privilège rare
pour un étudiant tutsi. Il réintégra alors l'UNR comme chargé de cours et fut élu vice-doyen de la faculté
des sciences appliquées le n janvier 1990.
Arrêté et emprisonné le 3 octobre 1990 dans le cadre de la campagne d'arrestation des « complices du
FPR », il fut libéré le 25 mars 1991 sans qu'aucune charge ne soit relevée à son encontre. Le 9 avril
1991, le vice-recteur de l'UNR, Jean-Berchmans NSHIMYUMUREMYI,
acceptait sa réintégration mais
lui demandait de «s'accommoder des dispositions prises en son absence », c'est-à-dire concrètement sa
mise à l'écart de toute responsabilité administrativet"
Parallèlement le vice-recteur et le doyen Jean-Baptiste KAT ABARWA engagèrent un harcèlement
administratif en suspendant sa prime de vice-doyen, en organisant une nouvelle élection pour l'évincer
définitivement et surtout en refusant de payer les salaires suspendus lors de son arrestation (en prenant
argument sur des déclarations radiodiffusées par des autorités politiques l) malgré l'ordre transmis par le
recteur de l'Université, Maurice NTAHOBARI, aux deux vice-recteurs des campus de Butare et Ruhengeri.
Jean-Baptiste HABYALIMANA et les cinq autres professeurs concernés menèrent une campagne publique
contre cet arbitraire et menacèrent de recourir à la justice. Ce n'est que le 5 décembre 1992, après avoir
reçu une injonction formelle et confidentielle de la part du recteur (courrier n° LlO/0577/92 du 18 juin
1992, cf. annexe 31, tome 3) que le vice-recteur donna l'ordre à la comptabilité de régulariser les
antécédents de salaire. Le fait qu'entre-temps Jean-Baptiste HABYALIMANA ait été nommé préfet œ
Butare n'avait donc pas suffi pour faire céder le vice-recteur. Celui-ci menait déjà un combat déterminé
contre les personnels tutsi de son établissement et structurait ses propres réseaux d'activistes prohutu au
sein de l'administration universitaire malgré le désaveu de ses supérieurs hiérarchiques.
Jean-Baptiste

HABYALIMANA

fut transféré dans l'administration

préfectorale par arrêté présidentiel

303/04 du 14 août 1992.

Les deux années au cours desquelles l'administration
préfectorale fut sous les ordres de JeanBaptiste HABY ALIMANA furent particulièrement
éprouvantes notamment avec le mouvement
d'épuration
et de remplacement des bourgmestres
et sous-préfets en 1993, l'assassinat le 21
février 1994 de Félicien GAT ABAZI, la personnalité politique la plus populaire de la préfecture,
suivi le surlendemain
du lynchage de Martin BUCY ANA. Mais la gestion de la préfecture fut
globalement considérée comme exemplaire.
Les débordements et les affrontements partisans furent presque toujours contenus, la sécurité
des biens et des personnes sauvegardée et Butare échappa pour l'essentiel aux passions, troubles et
attentats de la capitale
Kigali233• L'ascendant
personnel
et l'autorité
de Jean-Baptiste
HABY ALIMANA ne furent guère contestés. Selon un témoin actif,
DO Sur ses documents d'identité, il est mentionné comme natif de la commune Ngoma car il avait ensuite demandé le
transfert de son dossier de naissance dans cette commune.
ni Il était issu de la même promotion que Joseph NZIRORERA (1974-75).
Dl Son collègue Godefroid RUZINDANA.s'était présenté dès le 4 avril au bureau du recteur Maurice NTAHOBARlqui
l'avait fait accompagner à son bureau «sans autres formalités » (Notes personnelles M. NTAHüBARI).
m La préfecture de Butare ne connut qu'un attentat notable. Le 19 avril 1993, au marché de Butare, explosa un colis
piégé faisant 5 blessés graves. Bien que les services du :Ivlll'lADEFaient clairement fait savoir que le type d'allumeur à
traction MUV 2 LOT 156 de fabrication soviétique n'avait jamais fait partie des matériels utilisés par les FAR ou tout
autre structure rwandaise et que cette origine désignait explicitement le FPR, ils ne furent pas crus. Attribué à la
mouvance présidentielle, comme la plupart des attentats commis à cette époque, cet acte terroriste est pourtant bien le

101

« le préfet Jean-Baptiste BABY ALIMAN A a joué un rôle important dans le maintien d'un climat ce
bonne entente. Son bureau était toujours ouvert aux représentants des partis politiques y compris ceux du
MRND. Il recevait régulièrement les responsables du MRND résidant à Butare (Jean-Gualbert RUMIYA
et Amandin RUGIRA). Ceux qui résidaient à Kigali (Innocent BUTARE, RUNYINYA BARABWlRJZA)
lui rendaient aussi des visites de courtoisie et ils étaient toujours bien accueillis. De temps en temps, le
préfet partageait un verre avec eux à l'hôtel Ibis. Dans l'allocution prononcée lors du décès d'Amandin
RUGIRA, le préfet BABYALIMANA a particulièrement loué la sagesse, le respect de la légalité et des
autres partis avec lesquels le MRND se comportait à Butare. Il a même invité les autres à suivre son
exemple. Cette appréciation positive a toujours été exprimée par le commandant de la gendarmerie,
Cyriaque HABYARABATUMA.»
(témoignage)

Malgré cette ouverture et un traitement équitable vis-à-vis des divers partis", son attitude
décontractée, son humour ironique et la liberté de son expression déclenchèrent des haines quasi
viscérales. Bien que le préfet fut d'origine sociale modeste, ses détracteurs disaient de lui qu'il se
comportait comme les Tutsi '« d'antan », Se sachant isolé, Jean-Baptiste HABYALIMANA utilisa
des instances politico-administratives
généralement marginalisées par ses pairs, pour s'informer,
asseoir son autorité, définir une politique préfectorale et la faire assumer par l'ensemble des
autorités locales: le conseil préfectoral de sécurité (CPS) et la conférence préfectorale. Trois
niveaux de réunion prévalaient habituellement:
le CPS « informel» : selon les préfectures et toujours à l'initiative du préfet, trois ou
quatre individus se réunissaient selon leurs affinités pour discuter des affaires de sécurité : le
préfet, le responsable du service de renseignement préfectoral, le commandant de place et le
procureur de la République. Selon les dossiers traités, le juge du tribunal d'instance pouvait
faire partie de ce CPS restreint. Dans les préfectures politiquement homogènes et/ou dirigées
par un préfet fort et directement connecté au clan présidentiel, une concertation régulière au
sein de ce groupe suffisait à traiter l'essentiel des dossiers. Toute autre personnalité majeure de
la préfecture (ministre originaire, ... ) pouvait s'y ajouter;

ID



le CPS officiel : outre les membres
précités y figuraient les responsables des
administrations directement concernés: directeur du service immigration-émigration,
directeur
de prison, juge du tribunal de première instance, etc. Dans la pratique, une position homogène
présentée ou soutenue par les membres du «CPS inforrnel » entraînait automatiquement
l'aval du CPS. La marge de manœuvre du préfet qui présidait le CPS était cependant étroite.
Deux personnages jouaient un rôle clé lors des réunions du CPS, le premier était le
représentant du SCR, le chef du service de renseignement, service rattaché directement à la
présidence. Il était « l' œil de la présidence» et pouvait joindre Kigali par radio à tout moment.
Le second était le commandant de place, « l' œil de l'armée ». Lui également pouvait joindre à
tout moment sa hiérarchie, elle aussi directement
sous la tutelle du président. Avant le
multipartisme, le préfet étant automatiquement
président du comité préfectoral du MRND,
aucune contestation ne pouvait venir de ce côté, Il en alla différemment sous le multipartisme,
où « l' œil du MRND » ne pouvait être évité. Dans les préfectures concédées à l'opposition, le
MRND conserva généralement la plupart des postes de sous-préfets et au minimum celui du
sous-préfet ayant la sécurité dans ses attributions, c'est-à-dire
celui qui était chargé des
Affaires administratives et qui assurait, d'après les textes, le secrétariat de séance du CPS et/ou
celui en charge des Affaires politiques. Avec l'avènement du multipartisme, le débat politique
pouvait être plus ouvert, mais le contrôle central demeurait à peu près inchangé;


la Conférence préfectorale était ouverte à tous les chefs de service des administrations de
la préfecture (procureur de la République, juge du tribunal de première instance, commandant
de camp, de groupement de gendarmerie, ... ), aux bourgmestres des communes et à diverses
personnalités influentes (notamment les personnalités
religieuses, les grands employeurs - le
recteur de l'UNR à Butare, par exemple - et, avec l'avènement
du multipartisme,
les
responsables des partis politiques). Tous étaient invités nominalement au gré du préfet. La
conférence préfectorale n'avait pas d'attribution
spécifique en matière de sécurité, mais
pouvait débattre de tout sujet concernant la vie de ta préfecture. Elle servit de tribune publique
dans les préfectures d'opposition.
fait du FPR engagé

alors

dans

une campagne

de déstabilisation

des partis

de l'intérieur

qui se soupçonnaient

mutuellement d'en être les auteurs.
2)< Relevons
que cette équité permît à la préfecture de Butare d'échapper à la multiplication
politiques non déclarées qui fut le lot courant de la plupart des autres préfectures.
102

des manifestations

Vu la composition formelle de ces instances, un préfet membre ou proche de la mouvance
présidentielle _ ils furent 8 sur 11 dans ce cas du 4 juillet 1992 au 16 avril 1994 - pouvait utiliser
le CPS et la conférence préfectorale à sa guise. Il ne pouvait aucunement être contesté. A
l'inverse, un préfet d'opposition
n'avait guère de moyens pour s'imposer face à de tels
interlocuteurs.
En effet, contrairement à certaines thèses qui postulent l'existence d'un failed state à partir du
6 avril 1994 entraînant une période de chaos généralisé, il n'a jamais existé de vacance du
pouvoir au Rwanda. Si des dysfonctionnements
de l'encadrement
administratif et économique se
manifestaient et s'approfondissaient,
les acteurs politiques majeurs des deux blocs militaires et les
groupes civils qui leur étaient attachés ont toujours maîtrisé la situation politique interne. Ce sont
eux qui ont soigneusement planifié et organisé à la fois les événements déterminants dans
l'évolution du conflit militaire et de la guerre civile et l'ensemble
des troubles adjacents
(manifestations, tracts et déclarations, pogroms, attentats, assassinats, etc.) qui entretenaient un
niveau de tension ou de déstabilisation adapté à leur stratégie globale de conquête du pouvoir. De
même, l'administration
continua pratiquement
partout à fonctionner
presque normalement
comme l'attestent des masses considérables de documents échangés entre les divers échelons de la
hiérarchie. Elle était tout simplement mobilisée à des fins partisanes et d'extermination.
Dans ce contexte, les préfectures ne furent jamais abandonnées à leur sort par les dirigeants de
la mouvance présidentielle. Si tel ou tel préfet n'était pas susceptible de rendre les services
souhaités, il était simplement doublé par d'autres instances ou personnalités: militaires (Kibungo),
super-bourgmestres
(comme à Kigali rural où la nomination d'un préfet titulaire ne fut même
plus jugée nécessaire) ... Tous les cas de figure intermédiaires pouvaient être constatés selon les
préfectures. On put voir ainsi des commandants de place agissant au nom du CPS «jnformel »
organiser l'intervention des structures parallèles de pouvoir (les milices du MRND et de la CDR)
pour faire pression sur les bourgmestres qui s'opposaient
à la radicalisation politique de leurs
communes. Les CPS couvraient ensuite les exactions et garantissaient l'impunité aux auteurs avec
l'aval des autorités judiciaires (Cyangugu).
Dans deux préfectures seulement, celles de Gitarama et de Butare, le CPS et la conférence
préfectorale fournirent des lieux d'expression et de décision relativement favorables à des préfets
d'opposition
habiles et bénéficiant de fermes soutiens locaux. Dans la situation politique très
ouverte de Butare, Jean-Baptiste HABYALIMANA
put utiliser le CPS et surtout la conférence
préfectorale pour accroître ses marges de manœuvre, isoler les opinions dissidentes et neutraliser
ses opposants. Il pouvait aussi faire endosser par le CPS des positions ou recommandations
contraires aux directives nationales. Les marges de manœuvre étaient étroites mais bien réelles.
Elles supposaient une série d'alliances qui furent possibles avec tel commandant de place des
FAR, tel commandant de groupement de gendarmerie, tel magistrat, tel sous-préfet, l'invitation de
telle ou telle personnalité, et surtout grâce au soutien politique affiché de la quasi-totalité des
bourgmestres. D'après certains de nos interlocuteurs, Jean-Baptiste HABYARIMANA privilégia
systématiquement la plus large ouverture pour asseoir son autorité et sa légitimité et usa de son
franc-parler
pour neutraliser publiquement
ses adversaires. Plus encore, des conférences
préfectorales élargies à tous les conseillers de secteur et responsables des partis au niveau des
235
communes se seraient tenues en 1994.
Plusieurs procès-verbaux des réunions du CPS démontrent à ta fois la montée de l'insécurité
liée au contexte général (comme la facilité de l'accès à des armes légères ou à des grenades dans
l'ensemble du pays) et le contrôle efficace du préfet. Il en ressort notamment une volonté
partagée de mettre en place des formules
d'autodéfense
des populations
pour pallier
l'impuissance
du cadre légal (insuffisance des effectifs de police et inadéquation des personnels
dans les communes). Ainsi la réunion du
du Il janvier 1993 a longuement débattu de la
proposition des partis MDR, PSD et PL de structurer la population afin d'appuyer les forces de
l'ordre et d'organiser
des rondes de nuit. Le MRND craignant d'être marginalisé dans cette
opération au profit des partis de l'opposition préférait un renforcement des « instances ordinaires
chargées de la sécurité »: Le préfet exigea alors un accord préalable de tous les partis avant de
réunir une CPS élargie (cf. annexe 32, tome 3).

crs

Cette vigilance politique du préfet vis-à-vis du risque de politisation de la sécurité publique ne
put cependant s'exercer avec la même efficacité dans certaines communes comme celle de
zns Nous n'en avons toutefois

ni date, ni procès-verbaux.
103

Nyakizu dont le bourgmestre put structurer le dispositif de sécurité autour d'extrémistes Dataires
avec la caution tacite d'Assiel SIMBALIKURE, le sous-préfet de Busoro. De même, la souspréfecture de Nyabisindu connaissait de vives tensions politico-ethniques
depuis la fin 1993
parallèlement à l'arrivée massive de réfugiés hutu burundais (deux camps furent installés dans les
communes de Muyira et Ntyazo). Ainsi, le conseil sous-préfectoral de sécurité (CSPS) réuni le 10
novembre 1993 décida de convoquer et d'auditionner les «fauteurs de troubles ». Cette décision inédite _ causa un vif émoi dans la mesure où le CSPS composé exclusivement de membres hutu
(comme la plupart des instances de l'administration
territoriale) convoquait des Tutsi considérés
par les services de sécurité sous-préfectoraux comme des agitateurs et semblait les traiter d'emblée
comme des accusés. Plus globalement, la sous-préfecture
souffrait de problèmes d'insécurité
particuliers et tenta à la même époque de renforcer le personnel de sécurité en mettant en place un
système de cotisation volontaire des commerçants, principales victimes des exactions et vols. Les
fortes oppositions politiques locales rendirent ces mesures caduques.
Si l'organisation
de réseaux politiques clandestins se développa parmi les partisans de la
mouvance présidentielle, l'absence de milices structurées, le contrôle de l'action des services de
sécurité apparurent comme des succès (à bien des égards surprenants) dans l'environnement
national dégradé auquel les préfectures
voisines n'échappaient
pas (Kibuye, Cyangugu,
Gikongoro ... ). Parmi les autres réussites personnelles du préfet, figura bien évidemment la qualité
des relations fonctionnelles
avec l'administration
du ministère de l'Intérieur
où toutes. les
éventuelles
erreurs
poli tiques
pouvaient
être immédiatement
exploitées
par Callixte
KALIMANZIRA, directeur de cabinet du ministre et intermédiaire de l' akazu dans le suivi
politique de la préfecture (cf. supra encadré 3, p. 51).
On comprend mieux alors la nécessité, après le 8 avril 1994, pour les organisateurs des
massacres et du génocide des Tutsi, d'éliminer un adversaire aussi bien accepté localement et sûr
de lui. Pendant une dizaine de jours, avec l'appui
du commandant
du groupement de la
gendarmerie,
le soutien quasi unanime de l'administration
territoriale,
il réunit presque
quotidiennement le CPS pour venir en aide aux populations déplacées de Gikongoro, contenir les
premiers foyers de violence antitutsi (notamment le 10 avril), organiser la résistance locale et
neutraliser les militaires obéissant aux mots d'ordre
des autorités nationales. Il incarna
l'opposition au gouvernement intérimaire et aux deux éminentes personnalités butaréennes du
MRND et du MDR qui le dirigeait. Il fut destitué et publiquement humilié le 18 avril 1994 à
Butare, lors de la visite du président de la République
par intérim et des membres du
gouvernement. Menacé et recherché, Jean-Baptiste HABYALIMANA se cacha en divers endroits,
notamment à l'évêché. Repéré à la mi-mai, il n'accompagna
les gendarmes lancés à sa poursuite
qu'après qu'ils eurent promis de le rendre vivant. Incarcéré à la préfecture, puis conduit à
Murambi pour une « audition » devant les membres du GI, il ne revint jamais de Gitarama où il
fut exécuté. Sa veuve et ses deux filles furent elles aussi tuées par des militaires à la fin juin.

7.1.2.3. Sylvain NSABIMANA,

préfet par procuration

Sylvain NSABlMANA (P5D, hutu. Butare, commune Mbazi), son successeur du 19 avril 1994
au 17 juin 1994, fut nommé lors du mouvement général de renouvellement
des préfets par le
gouvernement intérimaire le 16 avriL Il fut lui-même proposé par François NDUNGUTSE,
autopromu président du PSD et rallié à la ligne du MRND.

104

Encadré

n° 7:

Sylvain

NSABIMANA

Né en 1953 en préfecture de Butare, commune Mbazi,
Il obtint le titre d'ingénieur agronome de l'Académie agricole de Moscou le 15 juin 1981 et réintégra
l'UNR par arrêté présidentiel du 1"' avril 1982 avec le grade de secrétaire d'administration. Il fut recruté
comme assistant à la faculté d'agronomie du l " septembre 1981 au 3 janvier 1985. Période au cours œ
laquelle il remplit les fonctions de secrétaire de la Faculté à partir de 1983.
Afin de pouvoir devenir professeur, il bénéficia d'une bourse de 3' cycle de l'ACDI (coopération
canadienne) et reprit ses études supérieures à l'Université Laval au Québec. Admis en année propédeutique
avant d'être autorisé à s'inscrire en maîtrise de biologie végétale, il échoua ses examens et obtint des
résultats notablement inférieurs à ceux de ses propres étudiants. De retour au Rwanda en février 1986, il
ne put être réembauché par·l'DNR.Il bénéficia le 29 avril 1986 d'un accord de réintégration du ministère
de la Fonction publique et fut affecté à l'ISAR comme chercheur. Bien qu'embauché à titre provisoire sur
un projet de recherche, le ministère de l'Ensèignement supérieur refusa en octobre 1987 la nomination à
l'ISAR du fait de l'absence des qualifications requises pour être intégré comme chercheur (cf. annexe 33,
tome 3).
Malgré de nombreuses démarches, il dut renoncer à toute carrière dans l'enseignement supérieur et la
recherche et se contenter d'un poste opérationnel. Il fut finalement placé le l " décembre 1989 par le
ministère de l'Agriculture dans le programme d'appui à la sécurité alimentaire du projet DOB II à Butare.
Ce n'est qu'au terme de l'année 1990 que son nouvel employeur proposa un avancement de carrière, le
premier depuis son embauche dans la fonction publique à l'UNR en 1982! À 38 ans, Sylvain
NSABIMANA s'engageait enfin dans une carrière professionnelle déterminée.
Il fut ensuite nommé agronome de la sous-préfecture de Busoro, puis promu au début de l'année 1994,
directeur du Projet pilote café à Kigali. Alors qu'il venait d'accéder, pour la première fois de sa brève
« carrière»
professionnelle, à un poste de responsabilité offrant divers avantages financiers, il accepta
d'intégrer aussitôt la sphère du pouvoir politique ...

Aux yeux de Théodore
SINDIKUBW ABO qU1 Joua un rôle' décisif dans cette dernière
promotion,
le fait que la présidence
du PSD revienne
à un originaire de la commune Shyanda
marquait une continuité
apparente
avec la ligne de Félicien GAT ABAZI lui aussi originaire
de
cette commune.
Par ailleurs,
les relations
entre la famille
de Théodore
SINDIKUBW ABO,
également
native de Shxanda,
et cene de François
NDUNGUTSE
étaient anciennes
et étroites.
Germain
GASINGW A,2 6 le père de François
NDUNGUTSE,
et Théodore
SINDIKUBW ABO
faisaient partie tous les deux des membres fondateurs
de l'APROSOMA
à la fin des années 50,
l'un des deux grands partis qui conduisit le pays à l'indépendance
(cf. supra § 1.2., p. 16).
François NDUNGUTSE,
connu pour être proche
des thèses Power, se devait de consolider
les
positions du PSD fragilisées par l'élimination
de tous ses dirigeants historiques.
Après l'assassinat
du préfet PSD de Kibungo,
il fallait que son parti récupère
une préfecture
pour sceller
officiellement
le ralliement national du PSD à l'alliance
du Hutu Power. Lors du mouvement
des
préfets qu'organisa
le GI le 16 avril 1994 et à la demande
de Théodore
SINDIKUBWABO,
président de la République
par intérim, le président
du PL et ministre, Justin MUGENZI,
accepta
de permuter Butare (préfecture
PL) avec Gisenyi (préfecture
MRND qui passa au PL). Le MRND
récupéra alors Kibungo
(précédemment
préfecture
PSD, gui, militairement
occupée, passa dans
les faits sous administration

FPR).

Dès le début des massacres
et du génocide,
le PL disparut de la scène butaréenne
membres de son comité préfectoral
furent tués) et la compétition
entre les trois blocs
MRND/CDR ne pouvait que nuire à la suprématie
du PSD. Il importait
donc pour
président du PSD d'asseoir
sa nouvelle autorité au moins à l'échelon local en obtenant
préfet. Parmi les autres raisons de cette revendication
figure aussi la nécessité de

(tous les
PSD-MDR·
le nouveau
le poste de
garantir la

2)(, Germain GAS1NGWA fut le premier titulaire du département
des Affaires étrangères du Rwanda créé par la Tutelle
belge en 1960, puis il occupa le même poste dans le premier gouvernement rwandais. Il fut ensuite élu secrétaire député
de la première législature de la première République.

105

sécurité des militants du PSD à Mbazi et dans la préfecture. Plusieurs parmi eux avaient tout à
craindre d'une éventuelle reprise des investigations concernant l'assassinat de Martin BUCYANA
en février 1994. Etienne BASHIMIKI était personnellement mis en cause (il fut assassiné comme
de nombreux autres militants PSD de Butare) et François NDUNGUTSE lui-même tenait à ce que
le PSD s'assure le contrôle de la préfecture de Butare pour se mettre à l'abri de la vindicte de la
CDR. Cette motivation n'était certes pas exclusive, mais apparaît rétrospecti vernent tout à fait
fondée. En effet, le 21 avril, les deux assassinats du sous-préfet de préfecture chargé des Affaires
politiques, Zéphanie NYILINKW AyA, membre du PSD, et du premier substitut du parquet, JeanBaptiste MAT ABARü, qui avaient fait libérer les personnes accusées du meurtre de Martin
BUCYANA quelques jours après leur arrestation, démontraient que l'heure des règlements de
comptes avait sonné.
La nomination de Sylvain NSABIMANA (hutu, Butare, commune Mbazi), président du PSD
Mbazi, agronome de formation et alors directeur du Projet pilote café (PPe) à Kigali, surprit
l'intéressé qui n'était pas demandeur. Mais il ne refusa pas non plus la proposition formulée par
les responsables improvisés du PSD (Etienne BASHIMIKI, résidant à Mbazi, et François
NDUNGUTSE) et se rendit à Butare pour l'accepter après l'annonce de sa nomination par la
radio nationale. François NDUNGUTSE et Sylvain NSABIMANA étaient liés l'un à l'autre,
même si le second n'était pas connu comme proche des positions politiques du premier. Straton
NSABUMUKUNZI appuya lui aussi cette candidature.
Dans les faits, malgré les nouvelles alliances politiques soudées par la guerre civile, il était
impossible politiquement de confier le poste de préfet de Butare à un membre du MRND,
toujours perçu comme le parti des nordistes. De plus, Théodore SINDIKUBW ABü et les
dirigeants du MRND souhaitaient faire endosser au PSD les massacres programmés dans la
préfecture. Ainsi, alors que Callixte KALIMANZIRA jouait le rôle de préfet effectif pour le
compte du MRND en organisant la réunion de destitution du préfet HABYALIMANA du 19 avril
1994 à Butare et la mise en œuvre des massacres, c'est Sylvain NSABIMANA qui, dès son
installation fut mandaté pour enclencher la « guerre» dans la préfecture de Butare. C'est lui qui,
dès le lendemain, présida la réunion des autorités préfectorales et des bourgmestres, réunion qui
lança formellement le déclenchement
des massacres ordonnés la veille par l'ensemble
des
autorités politiques en déplacement à Butare. Nous avons retenu quelques extraits révélateurs des
mots d'ordre transmis à cette occasion dans l'encadré n° 8 (cf. infra, p. 107)'

106

Encadré
« Réunion

n" 8:

Réunion

de présentation

du

d'installation
du nouveau préfet Sylvain N8ABIMANA
à Butare du 19 avril 1994237
nouveau

préfet

en

présence

du Présirep

et

le

I"

ministre

Bg. Nyaruhengeri
Bg. Runyinya
B g. Gisharnvu
Bg, Huye - 2000 déplacés

RUK.ERIBUGA wa Rusatirai"
Abatera invururu bafiie intwaro ziruta izo abaturage
Traduction: « Ceux qui provoquent les querelles ont des armes plus puissantes que celles dont disposent
la population»
Mot du représentant des bourgrnestresi'"
Mot du Présirep,
Badukize abaturebera abagambartyi babadukize cyane cyane abagiye kwiga ubuiyo bwo kutwica
CV! y'abatabaz! iz'abgambanyi
niizizongera
Traduction: « Qu'on nous enlève ceux qui nous observent sans nous aider, les traîtres, surtout ceux qui
ont été entraînés pour nous tuer"?
Le gouvernement Abatobazi connaît les traîtres. Ils ne recommenceront pas.?" »

Dans cette optique,
le choix d'un
titulaire
aisément manipulable
comme Sylvain
NSABIMANA, sans expérience administrative, étranger aux arcanes du jeu politique national et
régional
convenait
parfaitement
au couple
NYIRAMASUHUKO-KALIMANZIRA,
deux
originaires de Butare, hors hiérarchie formelle du MRND, qui s'apprêtaient
à faire obéir
l'administration
territoriale sous la pression de leurs réseaux (01, miliciens, ministère de
l'Intérieur). Sylvain NSABIMANA signait les ordres et pourvoyait à l'intendance sous la tutelle
de Callixte KALIMANZIRA qui s'était installé à Buye tout en continuant d'assurer l'intérim du
MININTER à Kigali.242
2J7 Agenda PN, pages en date des 10 et 11 février 1994). Bien que l'essentiel des interventions
faites au cours de ces
réunions soit présenté dans le tome 2 du rapport, nous avons repris ici le bref extrait rapporté par Pauline
NYfRAMASUHUKOdans son agenda, car dans sa brièveté (qui contraste avec les pages entières de son compte-rendu
d'une réunion similaire tenue à Gitararna la veille), elle retient deux des phrases parmi les plus violentes prononcées par
Théodore SINDIKUBWABO dans son discours. Pauline NYIRAMASUHUKO a ainsi parfaitement sélectionné et compris
ce qui était important dans le message présidentiel qui, dans le contexte, peut être considéré comme un ordre. Ordre sur
lequel elle fonda ensuite son action de ministre et de militante.
m Cette remarque ironique (et courageuse) du bourgmestre de Rusatira (membre du PSD comme Sylvain
NSABIMANA) anticipe l'attitude ambivalente qu'il adopta au cours de la guerre. Il fut démissionné le 17 juin en même
temps que le préfet et plusieurs des bourgmestres «timorés».
1'9 Joseph KANYABASHI, Ngoma,
l'O « Enlever» signifie ici écarter, tuer. Trois cibles sont explicitement visées au travers du propos:
«ceux qui nous observent sans nous aider », c'est-à-dire les Hutu «bien placés », l'administration
territoriale et surtout les militaires;
«les traîtres », c'est-à-dire les opposants hutu;
« ceux qui ont été entraînés pour nous tuer », c'est-à-dire les Tutsi de Mulindi.
141

«

Ils » :::::les Inkotanyi,

Cet extrait de l'ouvrage de Charles K.A.REMANO,Au delà des barrières. Dans les méandres du drame rwandais,
L'Harmattan, Paris, 2003, illustre bien ce rôle: «30 avril 1994. Pour se déplacer, il faut non seulement exhiber sa
carte d'identité, il faut encore un laisser-passer délivré par le bourgmestre. La logique étant aussi le meilleur moyen pour
simplifier les choses, je conclus: si l'autorisation du bourgmestre est requise pour se déplacer dans la commune, celle
du préfet est suffisante pour qui veut se déplacer dans toutes les communes de la préfecture. Je décide donc d'aller trouver
le préfet Sylvain Nsabirnana. De plus, puisqu'il est membre de mon parti, le Psd, j'en profiterai pour jauger ma
crédibilité auprès d'un dignitaire sorti de mon parti. Devant la porte du bureau du préfet se tenait Calixte Kalimanzira,
alors secrétaire général au ministère de l'Intérieur. Hier ami, je m'attendais à être reçu comme tel. Au lieu de cela, il
refusa la main que je lui tendis. Il me demanda ce que je venais faire" chez ce vaurien de préfet comme la plupart des
membres du Psd 1". Je protestai contre le qualificatif dont· il affubla les membres du Psd. N'insistant pas outre mesure,
je m'éloignai sans voir le préfet et sans autorisation de circuler. Quelques temps après, Sylvain Nsabirnana fut démis de
241

107

D'après les témoins ou les personnes concernées que nous avons interrogés, les noms de
Callixte KALlMANZIRA et de Pauline NYIRAMASUHUKO sont presque toujours cités lors des
révocations et nominations importantes qui eurent lieu dans la préfecture entre avril et juillet 1994
et non celui du préfet dont le maintien en fonction n'était, semble-t-il, pas plus assuré que celui
de ceux qu'il dirigeait. Les révocations furent nombreuses et toujours suscitées par le MRND.
D'après un témoin assidu membre du CPS, Cal1ixte KALIMANZIRA aurait été présent à 7
réunions tenues à partir de la nomination de Sylvain NSABIMANA à la mi-avril.
Si le choix d'une personnalité faible et incompétente
peut être analysé comme un piège
politique, il n'en reste pas moins qu'à la date et dans le contexte de la nomination, l'intéressé ne
pouvait ignorer les termes de son mandat et les exigences du poste; «Monsieur le préfet dans
votre préfecture, ne pensez pas pas que vous entrez au paradis: vous arrivez au mauvais moment»
déclara explicitement le président SINDIKUBWABO (cf. annexe 42, tome 3).243 Le jour de sa
nomination, et dans le contexte où elle se déroula, aucun doute ne pouvait subsister sur le fait que
son maintien en fonction ne serait assuré que dans la mesure où il remplissait les tâches attendues
à la satisfaction des autorités en charge des tueries. Il n'existe malheureusement
pas pour cette
période de «bulletin de signalement»
rempli par «les chefs compétents au premier et au
deuxième degré» puis par « l'autorité compétente pour attribuer définitivement le signalement»
qui aurait apprécié l'initiative, le sens des responsabilités, la puissance de travail, les connaissances
professionnelles, l'aptitude et l'habileté professionnelles,
etc. de l'intéressé. Son premier et son
dernier bulletins de signalement mentionnaient la même formule « Agent très dynamique, dévoué
et consciencieux
au travail. Participe régulièrement
et activement à l'Animation
et à
l'Umuganda ».
D'après tous les témoignages recueillis, il apparaît que le dynamisme et les performances
furent indéniablement jugées insuffisantes au regard des attentes de « ceux qui mettaient le feu à
Butare », même si les vertus de soumission semblaient intactes. C'est ainsi que le préfet-agronome
Sylvain NSABIMANA resta en fonction les deux mois au cours desquels l'essentiel des massacres
et du génocide s'accomplit. Le 16 juin, la veille de sa révocation, l'annonce d'une intervention
militaire française avait revigoré le GI. Sylvain NSABIMANA fut renvoyé comme défaitiste.
Apparemment, on attendait vainement de lui un vaste renouvellement administratif qui aurait
récompensé les cadres politiques les plus actifs dans les massacres:
«Le préfet Sylvain de Butare a été relevé de ses fonctions et le Premi.er ministre lui-même et le ministre
NYIRAMASUHUKO ont insisté au sein de conseil pour que ce préfet soit relevé de ses fonctions et qu'il
soit remplacé par un colonel du nom de NTEZIRY AYO. Selon KAMBANDA et NYIRAMASUHUKO, le
préfet Sylvain était inactif, selon eux, il n'avait jamais quitté le centre de Butare (ville) depuis sa nomination
(deux semaines). Selon eux (KAMBANDA et NYIRAMASUHUKO), Butare risquait de tomber si l'on y
gardait Sylvain comme préfet.,) (déposition Emmanuel NDINDABAHIZI, ministre des Finances, TPIR
KA016477).

7.1.2.4. Alphonse NTEZIL y AYO, le finisseur
Sylvain NSABIMANA fut remplacé par le lieutenant-colonel
Alphonse NTEZILYAYO (hutu,
Butare, commune Kibayi) dont les convictions ethnistes étaient à cette date fermement proclamées
et qui fut chargé d'achever «le travail ». Celui-ci fut nommé préfet le 17 juin 1994 juste après la
prise de Gitarama par l'APR qui marqua aussi le début de la débandade politique et militaire du
or et des FAR. Lors du conseil de gouvernement du 17 juin qui procéda à cette nomination des
réserves furent émises notamment par le ministre des Travaux Publics et de l'Energie, Hyacinthe
NSENGIYUMVA RAFIKI, un des dirigeants du PSD, qui, dans la logique de la répartition
partisane des préfecture, contestait l'engagement
politique du candidat qui se réclamait bien
évidemment du PSD ... Cette révocation/nomination
se déroula, d'après nos informations, au cours
d'une réunion convoquée à la préfecture et présidée par Callixte KALIMANZIRA. Une seconde
intronisation
fut organisée le 22 juin en présence du ministre de l'Intérieur,
Edouard
KAREMERA, qui fixa les objectifs politiques attendus du nouveau préfet.
ses fonctions de préfet. Comme d'autres dirigeants remerciés en même temps, il lui était reproché d'avoir été incapable
de suivre la politique du gouvernement dans l'éradication" des sympathisants de l'ennemi ''. Je compris alors ce que
signifiait le terme" vaurien" dans la bouche du secrétaire général au ministère de l'Intérieur. », p. 80.
~4, « C'est vrai, il n'a pas demandé le poste, mais on ne peut pas dire non plus qu'il ne le voulait pas. Çà, il ne l'a
jamais dit, à la différence de Straton [le ministre de l'Agriculture) qui au début n'était pas du tout intéressé »
(témoignage, Butare, 20 novembre 2001).
108

Encadré

n" 9:

Alphonse

NTEZIL y AYO

Le lieutenant-colonel Alphonse NTEZIL y A YO a un profil hétérodoxe ..
Diplômé de la première promotion des agrégés de degré secondaire inférieur en sciences humaines lb
l'IPN (1969-70), il devint professeur dans l'enseignement secondaire. Il fut affecté à Nyamasheke à
Cyangugu, où il se distingua surtout comme un grand joueur de football, fort sollicité, du club Mukura
de Butare,
Il intégra tardivement l'ESM (12" promoiiorù'" sur les conseils d'Emmanuel AKlNGENEYE, exassistant médical à l'hôpital universitaire qui était devenu médecin personnel du président, et du lieutenant
Déogratias NSABIMANA, alors professeur à l'ESO aux débuts des années 70. Élève brillant et déjà mûr,
soutenu par de nombreux. officiers, il a ensuite obtenu un brevet d'enseignement militaire supérieur
(BEMS) en France.
À son retour de formation, il intégra la gendarmerie, puis connut une promotion fulgurante pour un
officier du sud lorsqu'il succéda, en 1988, au colonel Théoneste BAGOSORA, au poste stratégique lb
commandant de la Police militaire. Ce dernier venait d'être nommé commandant du camp Kanombe en
remplacement du colonel Stanislas MA YUY A, assassiné le 12 mai 1988. La police militaire et le
bataillon paracommandos suppléaient habituellement la Garde présidentielle et faisaient partie des unités
choyées par le pouvoir. Un tel poste était d'habitude réservé aux officiers du nord qui n'apprécièrent guère
cette nomination. Les proches de l'akazu, et notamment le chef d'état-major adjoint, Laurent
SERUBUGA, réussirent à convaincre Juvénal HABYARIMANA de l'évincer vers août 1989, 11 bénéficia
alors d'une promotion formelle comme commandant du bataillon Huye : il dirigeait désormais au moins
trois compagnies au lieu d'une, renforcée et prestigieuse.

I~

_'.-:

Cette nouvelle unité du nom des monts Huye qui surplombent Mata-Rwamiko et qui aurait dû
vraisemblablement être basée à Gikongoro fut envoyée au front dans le Mutara au début de la guerre en
1990 et connut, comme plusieurs autres, la débandade. Il vécut alors une véritable descente aux enfers
propre aux. bannis. Muté comme commandant de camp à Kibuye quasiment à la tête d'Un simple peloton,
cet officier, considéré comme « pro-FPR », connut l'ultime humiliation pour un militaire, équivalent à
un quasi-limogeage des FAR, lorsqu'il fut affecté le 21 septembre 1991 (AP 906/04) au ministère lb
l'Intérieur et du Développement communal comme directeur de la police communale et urbaine (cf.
annexe 34, tome 3) où H succéda au colonel Laurent MUNYAKAZI (hutu, Byumba, Tumba).
Traditionnellement, ce ministère bénéficiait de l'affectation d'un ou deux. officiers et c'est Callixte
KALIMANZIRA qui le demanda. Il fut confirmé dans ses fonctions lors de la réorganisation lb
l'administration des ministères suite à la mise en place du gouvernement pluripartite de Disrnas
NSENGlYAREMYE (annexe de l'AR 474/02 du 23 septembre 1992). Affecté à la direction générale des
Affaires politiques et administratives du ministère de J'Intérieur, c'est lui qui fut chargé habituellement ce
l'intérim du directeur en cas d'empêchement (lettre du ministre de l'Intérieur à l'intéressé du 28 décembre
1992).
Alphonse NTEZILYA YO n'était plus considéré alors ni comme une personnalité politique ni même
comme un vrai militaire, il était surtout connu pour s'occuper de ses affaires au sens propre et au sens
24S
figuré. Il avait épousé une femme tutsi issue d'une famille de grands cornmerçants
et vivait à J'aise à
Remera. Bien que résidant à Kigali, il demeurait « proche des gens du sud »,

246

Au début du génocide,
il aurait hébergé
des Tutsi chez lui dès le 6 avril au soir
et aurait
craint pour sa propre sécurité. Il quitta alors la capitale pour se replier avec sa famille à Butare
vers le 18 ou le 19 avril. Son attitude évolua alors au contact des nouvelles autorités et surprit tous
ses proches.
Le «déçu»
du régime
HABY ARIMANA se vit offrir une seconde
carrière en
intégrant la cour des gens du sud qui s'était constituée
autour du président SINDIKUBWABO
et
Sa promotion parraina la nem., celle d'Augustin BIZIMUNGU qui fut nommé chef d'État-major le 15 avril t 994.
Il était en outre le beau-frère d'Isidore NZEYIMANA, un des fondateurs de l'APROSOMA, ex-président de la Cour
suprême et président de ta Cour de Cassation en 1961 puis député. Il fut aussi directeur de la STIR.
146 D'après un témoignage
précis, il assura notamment l'évacuation de la famille GATERA, un commerçant
(notamment en produits pétroliers) résidant à Kacyiru près du camp de la gendarmerie et soupçonné d'être un des piliers
du FPR, qui avait été invité chez lui le 6 avril au soir et ne put ensuite regagner son domicile (Bruxelles, 20 mars 2002).
244

)45

109

du premier ministre KAMBANDA. À la demande de Théoneste BAGOSORA, au nom de la
nation en danger, il accepta, comme plusieurs autres officiers retraités ou «mis à disposition »,
d'être recyclé dans le cadre de l'autodéfense civile et réintégra administrativement les cadres de
l'armée comme réserviste sans pour autant relever de la hiérarchie formelle de l'état-major.
Son association avec le major Aloys SIMBA, en charge de la préfecture voisine de Gikongoro,
fut révélatrice. Ce dernier aussi figurait parmi les «mecs »~ les mécontents, humiliés par le régime
HABYARIMANA. Issu de la deuxième promotion de l'Ecole d'Officiers et membre du groupe
des putschistes « camarades de la Révolution du 5 juillet» qui hissa Juvénal HABYARIMANA au
pouvoir en 1973 puis membre du Comité pour la paix et l'unité nationale et ministre, Aloys
SIMBA avait été lui aussi mis à l'écart comme la plupart des officiers du sud, Il assura, après le
putsch de 1973, des fonctions ministérielles jusqu'en juin 1975, puis réintégra l'armée. Laurent
SERUBUGA, lui aussi issu de la deuxième promotion. alors chef d'état-major, lui manifesta une
hostilité ouverte qui aboutit à sa mise à la retraite. En 1988, le MRND, très affaibli à Gikongoro
du fait de l'éviction de Prédéric NZAMURAMBAHO,
utilisa sa réputation de militaire engagé
dans les luttes des années 60,' et le présenta à la députation, Il siégea au CND à partir de janvier
1989 et accompagna ensuite la promotion de Sylvestre NSANZIMANA au poste de premier
ministre à la fin 1991. Il figura alors dans diverses commissions chargées de préparer le retour au
multipartisme. Lors de son avènement en 1991, il participa, avec les principaux opposants au
régime HAB Y ARIMANA originaires des préfectures du sud, à la mise en place d'un « grand parti
d'opposition ». Tout comme dans le cas d'Esdras MPAMO à Gitarama, le président renoua alors
avec lui et lui proposa une « deuxième carrière », D'un côté, il effectua un retour politique
remarqué lors de l'installation des instances du MRND rénové à la fin de l'année 1991. Il fut élu
au comité préfectoral de Gikongoro qui le porta à la présidence. Il devint donc membre de droit
du comité national et du bureau politique du parti MRND réuni en congrès en avril 1992. De
l'autre, Silas MUCUMANKIKO, patron de TABARWANDA originaire de Gikongoro et allié de
l'akazu, se chargea des contreparties financières du ralliement.
Dès son arrivée à Butare, le 18 ou 19 avril, Alphonse NTEZIL y AYO réquisitionna la « suite n?
1 » de l'h6teIIbis abandonné par son propriétaire. Sa famille y demeura deux ou trois jours avant
de gagner Kibayi. Lui-même se fixa à demeure et installa son quartier général dans l'hôtel
jusqu'au début juillet. A partir du 1cr ou du 2 mai, il cohabita à l'Ibis avec Robert KAJUGA,
président des Lnterahamwe, accompagné de son « état-major s/" et de ses femmes.
D'après tous les témoignages recueillis, le ralliement d'Alphonse NTEZIL y AYO au camp des
activistes du génocide fut à la fois brutal et surprenant. Ses ex-collègues militaires furent surpris
de l'entendre tenir des propos ethnistes véhéments et surtout de le voir adhérer et propager les
rumeurs les plus invraisemblables, comme celle qui concernait les fosses soi-disant creusées par
les Tutsi dans tout le pays avant le 6 avril pour y enterrer les Hutu ... C est ainsi qu'il soutenait
que les massacres qu'il organisait ne faisaient que devancer le « plan des Tutsi »,
Certains le décrivent comme étant devenu « fou» et de plus en plus acharné au fil des semaines
jusqu'au franchissement de limites extrêmes notamment lors du discours, retransmis sur Radio
Rwanda, qu'il ,prononça, juste après sa nomination comme préfet, lors de la (ré)instaHation du
bourgmestre Elie NDA YAMBAJE dans la commune Muganza le 20 juin 1994. Ce jour-là,
accompagné des médias, Alphonse NTEZIL YAYO procéda le matin à l'installation de Fidèle
UWIZEYE à la tête de la commune Ndora en remplacement de Célestin p..WANKUBITO, jugé
trop peu activiste, puis se rendit à Muganza pour la ré-installation
d'Elie NDAYAMBAJE.
D'après des témoins, il déclara alors en substance : « tuez les Tutsi et allez au confessionnal vous
confesser, Dieu vous absoudra ».~48 Ces propos connurent un grand retentissement local et
national et le classèrent, au même titre que Pauline NYIRAMASUHUKO,
parmi les
« ultragénocidaires
». L'ex-responsable
des policiers communaux. pouvait se targuer d'être
redevenu plus puissant que les militaires qui craignaient la violence des miliciens enragés qu'il
avait sous ses ordres.249

241

Cet

«

état-major»

n'était plus opérationnel.

Les ordres n'étaient plus donnés par Robert KAJUGA et ne

partaient pas de l' Ibis.
NB La belle-mère d'Élie NDAYAMBAJE était pourtant tutsi et ses deux beaux-frères avaient été tués à Kigali les 7 et
8 avril.
149 Plusieurs témoins racontent par exemple qu'il était
très attentif à la possibilité
victimes, biens qu'il faisait ensuite transporter chez lui,
110

de récupérer les biens des

En fait, le ralliement d'Alphonse
NTEZIL y AYO et son intégration dans le groupe des
décideurs en charge des massacres à Butare furent favorisés par la protection offerte par les
dirigeants butaréens qui occupaient alors la sphère officielle du pouvoir.i" Ces protections
définissent mieux ses prérogatives que son statut formel.
Plus précisément, en ce qui concerne sa fonction spécifique, il épousa la trajectoire de son chef
direct, Callixte KALIMANZIRA, originaire de la même sous-région de la préfecture de Butare
que lui. En outre, depuis deux années, les deux hommes collaboraient étroitement au MININTER
dont Callixte KALIMANZIRA était le secrétaire général puis le directeur de cabinet du ministre.
La transition de la direction nationale de la police communale à l'autodéfense civile à Butare fut
donc naturelle pour le nouveau responsable en charge de la préfecture de Butare, C'est en effet
Callixte KALIMANZIRA qui, en tan! que directeur de cabinet assurant l'intérim du ministre de
l'Intérieur jusqu'à la nomination d'Edouard KARAMERA, géra l'autodéfense
civile en liaison
avec le groupe d'officiers constitué autour de Théoneste BAGOSORA.
Sur le plan opérationnel comme sur le plan hiérarchique, l'autodéfense civile ne dépendait pas
du commandant de place de Butare et de Gikongoro, le lieutenant-colonel Tharcisse MUVUNYI.
Elle était coordonnée directement par le ministère de l'Intérieur, hors hiérarchie militaire. Pour
autant, même si les textes tardifs produits par le ministère de l'Intérieur (cf. annexes 35, tome 3)
établissent la responsabilité
du préfet sur l'officier
responsable
du comité préfectoral
d'autodéfense civile, celui-ci n'était pas lié localement au préfet par une relation hiérarchique.
Alphonse NTEZIL y AYO rendait compte directement
aux responsables nationaux, civils et
militaires, de l'autodéfense civile.
Dans cette optique, l'itinéraire qui conduisit Alphonse NTEZIL yAYO au poste de préfet
apparaît limpide. En tant qu'officier responsable du programme d'autodéfense
populaire pour
Butare, il était déjà opérationnel en matière de massacres depuis la fin avril. Il ne fit qu'ajouter le
titre de préfet à ses prérogatives lorsque l'autodéfense civile devint l'essence même de la politique
sécuritaire du ministère de l'Intérieur. D'après plusieurs témoignages, Alphonse NTEZIL YAYO
aurait accepté cette promotion
du fait de la volonté et de la confiance
de Pauline
NYIRAMASUHUKO, originaire d'une commune proche et appartenant à une même génération,
et de Callixte KALIMANZIRA, désireux d'évincer Sylvain NSABIMANA au plus vite. C'est au
nom de la restauration de l'autorité
de l'administration
que furent relancés les massacres
organisés par les brigades de l'autodéfense civile dans toutes les communes de la préfecture.

7.2. Les sous-préfets
Lors de la création de cet échelon de l'administration
territoriale en 1975, ta volonté
présidentielle était forte et explicite. Il s'agissait d'assurer un maillage plus étroit de la couverture
administrative du pays et un encadrement rapproché des populations rurales.
Pour une large part, les marges d'autonomie
sauvegardée des administrés tenaient à
l'éloignement
de l'autorité.
L'éloignement
n'était pas tant lié aux distances, partout faibles,
qu'aux
difficultés de déplacement
du fait de la topographie
et de l'état des pistes,
particulièrement en saison des pluies.
Déjà, au niveau des communes, la fraction la plus importante de l'emploi du temps du
bourgmestre et des cadres communaux (agronomes, policiers, juges, etc.) consistait à se déplacer
de secteur en secteur, de cellule en cellule, pour s'informer et vérifier l'application des consignes
(impôts, justice, développement, équipement, travaux communautaires, animation politique, ... ).
La contrainte était beaucoup plus forte encore à l'échelon préfectoral. La multiplicité des
communes imposait des tournées fastidieuses et quasi permanentes. Dans certaines grandes
préfectures où les communes d'accès malaisé étaient nombreuses (crête Zaïre-Nil à Gitarama,
Kibuye ou Gikongoro,
ou encore Cyangugu
ou Butare), il était fort aléatoire pour les
représentants préfectoraux d'imaginer faire l'aller-retour
dans la journée si la météorologie était

m D'après de nombreux témoignages, il ne manqua pas de « parrains":
« SINDIKUBWABO l' a remis en
selle », «il était l' ami de Straton » (originaire de la même commune de Kibayi), «lors du retour de Célestin
MUHAYIMANA,les deux 'cousins' de Kibayi purent travailler ensemble » (cf. supra § 6.1., p. 89), «Pauline avait

totalement confiance en lui

»,

etc.
111

hostile. En l'absence
préfectures s'imposa.

de téléphonie

ou d'équipements

radio, la création

de quelques

sous-

Toutefois, malgré les efforts financiers consentis, l'échelon de la sous-préfecture n'a jamais
vraiment trouvé sa place. Hormis l'accomplissement
de tâches prosaïques qui allégeait la charge
de travail des services préfectoraux, le sous-préfet de sous-préfecture demeura partout un intrus
pris entre les prérogatives sans limites du préfet et tes réflexes d'autodéfense
spontanément
déployés par les bourgmestres pour sauvegarder un minimum d'autonomie.
La fonction d'intermédiation
n'avait ici aucune autre légitimité que gestionnaire:
si les
rapports qu'entretenaient
les bourgmestres et le préfet étaient bons, les sous-préfets se voyaient
automatiquement
court-circuités
au profit de liens directs. Les bourgmestres, de leur côté,
n'avaient aucune raison de contribuer à renforcer cet échelon intermédiaire. Eux-mêmes et le
conseil communal aspiraient de manière générale à traiter les dossiers à leur niveau. Alors gue tant
de bourgmestres souffraient d'être à la fois surchargés de tâches imposées par le sommet et
dépossédés formellement de tout pouvoir, le slogan des années 80 «la commune, cellule de base
du développement» et les velléités de responsabilisation de l'administration de base furent pris au
sérieux. 11 existait donc a priori une solidarité objective entre le préfet et les bourgmestres pour
contenir l'intervention des sous-préfets, et, lorsque les bourgmestres étaient des gens puissants,
pour les neutraliser.
Une des fonctions spécifiques des sous-préfectures
dans les préfectures hostiles du sud fut
d'instaurer une tutelle politique rapprochée sur les bourgmestres, d'installer «un œil» du préfet
sur place, voire, si nécessaire, se substituer au moins momentanément
à des bourgmestres
défaillants.?'
À Butare, les tensions politiques de la deuxième moitié des années 80 vis-à-vis du
pouvoir central renforcèrent
les missions de renseignement.
Cette tâche prit ensuite une
importance capitale dès le début de la guerre avec le FPR en 1990, puis avec l'instauration du
multipartisme.
Relayant l'action du préfet, les sous-préfets de sous-préfecture devaient maintenir une pression
politique maximale sur les bourgmestres tentés de rejoindre les partis d'opposition.
Après la
nomination d'un préfet issu des rangs de l'opposition
à Butare, les sous-préfets de préfecture et
de sous-préfecture,
et plus généralement tous les cadres proches du MRND au sein de
l'administration du ministère de l'Intérieur, furent partagés entre deux autorités: celle, immédiate
du nouveau chef de la préfecture et celle, plus diffuse mais toujours bien ancrée, de la fidélité aux
réseaux du pouvoir MRND. Bien qu'en retrait ou franchement isolé dans certaines communes de
l'intérieur, le MRND conserva ainsi un pouvoir de contrôle et un niveau d'information
minima
grâce notamment aux nombreux fonctionnaires
originaires du nord qui n'acceptèrent
qu'en
apparence de servir les nouvelles autorités.
Comme l'indique
le tableau n" 9 ci-dessous, l'emprise du MRND demeurait étroite sur
l'administration
décentralisée, puisque sur 7 postes de sous-préfets pourvus, seuls 2 revenaient à
un non-membre (un en 1992, puis deux à partir de 1993).

251

Le sous-préfet de sous-préfecture

aux sous-préfets

relevait

directement

de l'autorité

de préfecture.
112

du préfet et ne rendait pas de comptes

directs

Tableau n? 9: Les sous-préfets de Butare
(situation en avril 1994)
Sous-préfets

de préfecture

(4) :

• Sous-préfet chargé des Affaires politiques
Zéphanie NYIIJNKWA
y A (?SD. hutu, Gikongoro), précédemment bourgmestre de Rukondo, nommé à
Butare en 1992:152, assassiné le 21 avril 1994 par des militaires et des miliciens ainsi que toute sa famille.
Remplacé en mai 1994 par Laurent KUBWIMANA
(MRND2S3, hutu, Butare, commune Gishamvu;Z54
• Sous-préfet
Jean-Baptiste

chargé des Affaires
HAKIZAMUNGU

administratives

et juridiques

(MRND, hutu, Kibungo, commune Mugesera)

255

nommé

en 1991

• Sous-préfet chargé des Affaires économiques
et techniques
Augustin HARELIMANA
(PL. hutu256, Kibungo), nommé en février 1993, « porté disparu
1994 (a fui au Burundi). ,Remplacé en mai 1994258 par Faustin RUTAYISIRE
(ex-MRND,

»251

en avril

PSD, hutu,

Butare, commune Nyakizu)
• Sous-préfet chargé des Affaires sociales
Évariste BICAMUMPAKA
(MRND. hutu, Butare, commune Nyaruhengeri)
Sous-préfets
Gisagara

de sous-préfecture

: Dominique

(4 dont 3 pourvus)

NTAWUKULIRYAYO

nommé

le 22 mai 1991

:

(MRND259,

hutu. Gikongoro, commune Mubuga), nommé

260

le 21 septembre 1990
Nyabisindu:
Gaétan KAYITANA
octobre
Busoro:

1993
Assiel

SIMBALIKURE

(MRNDICDR,
(MRND,

hutu, Cyangugu, commune Karengera), nommé

hutu, Cyangugu,

commune

Kirambo),

nommé

le

15

le 2 novembre

1984261
Gakoni

: sous-préfecture

non installée,

sans titulaire

Le contrôle de l'administration
par les anciens personnels politiques du MRND demeura
déterminant malgré la dynamique non-partisane
qu'instaura
le préfet HABYALIMANA. Parmi
les sous-préfets de préfecture, un seul, Augustin HARELIMANA, pouvait être réputé comme
ouvertement solidaire du préfet. Si Zéphanie NYILmKW A y A et Evariste BICAMUMPAKA

..' .';.

~

W Précédemment
en charge des Affaires économiques.
Il ne s'entendait
pas avec le préfet qui le transféra aux
Affaires politiques, où les deux hommes ne se gênaient plus l'un J'autre. Il fut remplacé par Augustin HARELIMANA.
Jean-Baptiste
HABY ALIMANA souhaitait disposer à ce poste, perçu comme stratégique. d'un homme de confiance.

Augustin HARELIMANA était comme membre lui du PL.
m Initialement PSD, rallié au MRND.
2~. Précédemment
fonctionnaire
de l'éducation
nationale,
il commença
sa carrière comme professeur
de
mathématiques au groupe scolaire de Butare (AP 283/09 du 28 juillet 1981).
z ss Moniteur à l'établissement
scolaire de Zaza depuis 1963, il fut cornrnisionné
sous-préfet de préfecture à
Gikongoro le 22 novembre 1974. En charge des Questions économiques, sociales et culturelles jusqu'en 1976, il passa
ensuite aux Affaires politiques, administratives et juridiques. Titularisé comme fonctionnaire
le l" janvier 1979, il fut
affecté à la préfecture de Gitarama du 2 mai 1980 au 8 juillet 1986, où il occupa les fonctions de sous-préfet chargé des
Affaires administratives
et juridiques. Il fut ensuite nommé sous-préfet aux Affaires politiques,
administratives
et
juridiques à la préfecture de Kibuye. d'où il gagna enfin la préfecture de Butare.
m Augustin HARELIMANA était en fait tutsi. Son père avait changé d'ethnie.
2S1 Cf. annexe 36, tome 3, Procès-verbal
de la réunion des agents de la préfecture et des chefs de service de l'État du
10 mai 1994 dirigée par le préfet Sylvain NSABIMANA.
m Vraisemblablement
le i7 lors du mouvement national

de nomination

de bourgmestres

et sous-préfets

engagé par

le gouvernement intérimaire.
m Il fut élu membre du comité préfectoral du MRND pour la préfecture de Gikongoro
à la fin de l'année 1991. Sans
être actif en préfecture de Butare, il ne se démarqua pas néanmoins du parti présidentiel.
l60 Ancien bourgmestre
de Mubuga au cours de la première République, sous-préfet de Kigali de 1974 à 1976, puis
député de 1981 à 1988, il fut évincé lors de la mise en place de la troisième législature et réaffecté dans l'enseignement.
Sa réintégration au ministère de l'Intérieur (AM 12i/06 du 18 janvier 1989) apparut à [a fois comme un retour en activité
et une mise à l'écart, Il fut affecté à [a préfecture de Butare qui lui confia dans un premier temps le service des Affaires
culturelles en attendant sa nomination comme sous-préfet. 11 fut alors muté à la sous-préfecture de Gisagara CAP 777104).
261 Enseignant
recruté en 1966, il fut détaché à la permanence
du MRND le 1" septembre 1976 au service de la
Documentation, puis nommé sous-préfet chargé des Affaires politiques et administratives
à la préfecture de Gikongoro
le 2 mai 1980 CAP 155/03). En 1984, après avoir assuré pendant quelques mois l'intérim du préfet de Gikongoro,
il
obtint le poste de sous-préfet

de sous-préfecture

de Busoro ,
113

n'étaient pas considérés comme des opposants activistes ni de fortes personnalités, ils n'étaient
pas pour autant en bons termes avec le préfet ou proches de lui. Par contre, le sous-préfet chargé
des Affaires administratives et juridiques, Jean-Baptiste HAKIZAMUNGU, était un adversaire
déterminé de Jean-Baptiste HABYALIMANA
bien que ne s'exprimant
presque jamais et
apparemment soumis à son autorité. C'est lui qui était hiérarchiquement le second personnage de
la préfecture: il assurait l'intérim en l'absence du préfet à la demande du ministre de l'Intérieur
et traitait avec la hiérarchie du ministère de l'Intérieur,
c'est-à-dire le directeur général, Alyos
NGENDAHIMANA, et surtout avec le directeur de cabinet, Callixte KALIMANZIRA. Par ailleurs,
Jean-Baptiste HAKIZAMUNGU entretenait des relations étroites avec le chef du SRP, Sylvain
HARIDINTW ALI, qui lui aussi affichait ouvertement son opposition au préfet. Sur son dernier
bulletin de signalement rédigé par le préfet HABYALIMANA en date du 3 février 1993 et valable
pour l'année civile, le commentaire est des plus sobres: «le sous-préfet HAKIZAMUNGU JeanBaptiste est un agent exemplaire à plusieurs égards notamment par sa ponctualité et son
attachement au service ».
En ce qui concerne les sous-préfe~s de préfecture, le préfet obtint une attitude loyale de la part
du sous-préfet de Gis ag ara, Dominique NT AWUKULIY AYO. Dans son bulletin de signalement
en date du 3 février 1993, le préfet HABYALIMANA relève avec une certaine ironie: «Ses
initiatives dans le domaine de la sécurité sont très heureuses. Il a compris ce qu'est la neutralité
administrative dans un pays à plusieurs partis politiques », Par contre, l'attitude du plus ancien des
sous-préfets de sous-préfecture, Assiel SIMBALIKURE, changea radicalement avec l'arrivée du
préfet HABY ALIMANA. Toujours bien noté par les préfets KAR AN GW A et TEMAHAGALI
avec des appréciations louangeuses, Assiel SIMBALIKURE fut sévèrement rappelé à l'ordre par
le préfet HABY ALIMANA qui baissa fortement ses notes et mentionna, dans son bulletin de
signalement de février 1993 : «Il devra néanmoins faire preuve de plus de collaboration avec ses
supérieurs directs ».
Enfin, l'irrédentisme de la sous-préfecture
de Nyabisindu vis-à-vis le l'autorité préfectorale
peut être considérée comme exemplaire avec le cas du sous-préfet Michel HABUMUGISHA,
originaire de Ruhengeri, affecté dans un premier temps comme sous-préfet de préfecture chargé
des Affaires économiques et sociales, qui cristallisa l'animosité des Butaréens. Dès sa nomination
à Butare, lui et plusieurs autres fonctionnàires se firent attribuer des propriétés foncières dans la
commune de Ntyazo par le bourgmestre Athanase NZARAMBA en fonction de 1964 à 1986?62
La population protesta vigoureusement, mais sans succès, contre ces accaparements. Lors de son
installation à Nyabisindu, les conflits avec les bourgmestres et les agents de l'Etat furent
nombreux. Il connut même une tentative d'assassinat de la part d'un policier communal. En
janvier 1991, lors de la prise de Ruhengeri par le FPR, l'hostilité entre les fonctionnaires du nord
en charge de la préfecture et la majorité des populations s'exprima ouvertement. Le sous-préfet
afficha ostensiblement
son intolérance vis-à-vis des opposants au MRND et structura )es
lnterahamwe. Malgré le rapport de la commission nationale d'évaluation
des agents de l'Etat
demandant une autre affectation, le gouvernement
ne put suivre dans un premier temps cette
recommandation du fait de l'opposition de ministres du MRND. Ce climat conflictuel prévalut à
Nyabisindu avec son successeur jusqu'en avril 1994.
Celui-ci, Gaétan KAYITANA, titulaire d'un diplôme d'assistant social, effectua la première
partie de sa carrière dans les centres communaux de formation permanente'"
et fut déjà affecté à
la sous-préfecture de Nyabisindu le Il septembre 1985 chargé du suivi des CCDFP. Le 20 août
1987, il accéda à son premier poste de sous-préfet à la préfecture de Gikongoro (AP 456/04), il
fut ensuite nommé à celle de Ruhengeri le 20 septembre 1990 (AP 779104) avec la responsabilité
des Affaires politiques et administratives, fonction éminente dans une telle région. Devenu
familier des dirigeants du nord, la mouvance présidentielle affecta cet homme de confiance
comme sous-préfet de sous-préfecture
à Nyabisindu. Ainsi, le MRND et la CDR consolidait de
manière décisive un, point d'appui
politique
majeur à la confluence
de deux préfectures
ouvertement hostiles. A cette date, en octobre 1993, une telle nomination marquait clairement les
limites du pouvoir du préfet HAB y ALIMANA.

Le préfet Frédéric KARANGW A bénéficia lui aussi de parcelles dans la même commune au cours de son mandat.
Relevons dès cette époque un incident révélateur de la personnalité de l'intéressé. Dans le cadre de ses fonctions
de chargé de promotion des CCDFP dans le Bumbogo (préfecture de Kigali rural), il fit l'objet d'une mission d'enquête du
ministère des Affaires sociales et du Développement communautaire puis d'une sanction en décembre 1983 en tant
qu' « instigateur de chicanes qui sont nées de votre état d'ébriété permanente qui vous pousse même à commettre des
délits tels que coups et blessures volontaires ». Son ministre de tutelle était alors Félicien GATABAZI.
262

26;

114

Dès le début des événements d'avril 1994, les deux sous-préfets «d'opposition»
furent
victimes d'ostracisme
politique. Le premier, Zéphanie NYILINKWAYA. paya de sa vie son
engagement politique au profit du PSD. Lui et tous les membres de sa famille furent assassinés à
la fin avril. Le second, Augustin HARELIMANA, PL et tutsi, s'enfuit au Burundi le 14 avril après
un dernier entretien avec Jean-Baptiste HABYALIMANA qui chercha à le dissuader de partir, lui
assurant qu'il serait capable de faire front dans sa préfecture, à la différence de ce qui se
produisait déjà dans l'ensemble
des autres régions du pays. Les autres sous-préfets, pour
l'essentiel, obéirent aux ordres du préfet légitime tant qu'il fut en fonction et qu'il bénéficia de
l'appui des responsables militaires butaréens (notamment de la gendarmerie). Ils n'eurent guère
d'états d'âme au-delà du 19 avril pour accomplir leurs nouvelles tâches.
D'après les témoignages recueillis, les sous-préfets de préfecture Évariste BICAMUMPAKA et
Jean-Baptiste HAKIZAMUNGU, décrits comme des amis intimes, sont considérés comme des
exécutants consciencieux de la politique voulue par les «autorités », Faustin RUT AYISIRE et,
après sa nomination, Laurent KUBWIMANA bénéficient d'appréciations
plus tranchées. Les
termes « chefs» ou «activistes» des massacres reviennent souvent. Dans le cas de Laurent
KUBWIMANA, le qualificatif d'« assassin » est le plus fréquent.i"
La réputation de deux des trois sous-préfets de sous-préfectures apparaît encore plus marquée.
Les titulaires des postes de Nyabisindu et Busoro, Gaétan KAYITANA et Assiel SIMBALIKURE,
sont très systématiquement décrits comme les véritables détenteurs du pouvoir dans les communes
de leur ressort et les organisateurs directs de la traque et des massacres des opposants et des Tutsi.
Gaétan KAYITANA, qui devint immédiatement un des plus fermes relais des nouvelles autorités
après l'élimination du préfet HABYALIMANA, bénéficiait d'importantes
marges de manœuvres
personnelles du fait du soutien du commandant de gendarmerie de Nyabisindu et surtout de ses
liens étroits avec Sylvain HARINDINTW ARl, responsable du SRP de Butare. La position de
Dominique NT AWUKULIRY AYO en charge de la sous-préfecture de Gisagara apparaît plus
ambiguë. Il n'est pas dépeint comme un homme d'initiative et s'il ne fait pas l'objet de
dénonciations actives, il semble pour autant ne pas avoir vraiment pesé pour bloquer le cours des
massacres si ce n'est dans son environnement
spatial et relationnel immédiat. Son fils ayant
épousé en novembre 1993 une épouse tutsi lors d'une cérémonie à laquelle tous les notables de
Butare participèrent, il fut soupçonné d'être «agent des Tutsi », Dans la configuration locale,
majoritairement
composée
de figures actives pleinement
engagées dans l'élimination
des
«ennemis », il n'était pas considéré comme fiable et ne pouvait prendre le risque d'affronter les
décideurs majeurs originaires des communes de son ressort : à Kibayi, on retrouvait Straton
NSABUMUKUNZI,
ministre du Gr et surtout
Alphonse NTEZIL y AYO, responsable
de
l'autodéfense
civile, puis
préfet;
à Ndora,
en l'absence
physique
de
Pauline
NYIRAMASUHUKO, sévissait le couple des députés MRND, Bernadette MUKARURANGW A et
Laurent BARAVUGA ; à MU:fganza,on retrouvait Callixte KALIMANZIRA et Jean KAMBANDA,
qui y visitait sa belle-famille S ; et, à Muyaga, Kantano HABrMANA, journaliste de la RTLM.
C'est dans ce contexte que Bernadette MUKARURANGW A proclama, vers le 22 ou le 23 mai
1994, que le sous-préfet NTAWUKULIRYAYO devait être éliminé. Elle organisa avec son mari
Innocent NZAMWITA et le groupe de miliciens qu'ils entretenaient une tentative d'assassinat le
l " juin. Le sous-préfet de passage au barrage sur la route de Butare proche du domicile de
Bernadette MUKARURANGW A fut intercepté et reconduit à son domicile accompagné pour
l'occasion du mari de la députée, armé d'un fusil, Ils firent évacuer sa demeure et la fouillèrent à
la recherche de Tutsi réfugiés. Ne trouvant personne à éliminer, ils renoncèrent à investir le
logement du bourgmestre et, privés du butin du pillage programmé, retournèrent auprès de
Bernadette MUKARURANGW A pour lui demander un dédommagement. Le même groupe revint
quelques jours plus tard pour tuer des rescapés tutsi à Gisagara (notamment ceux qui étaient
hébergés chez les religieuses), d'où ils furent chassés. A cette date, la « passivité» du bourgmestre
de Ndora était fréquemment dénoncée par les autorités politiques préfectorales (notamment C.
KALIMANZIRA).

Z~4

Bien que peu enclins

à la dénonciation

outrancière,

plusieurs

témoins

rencontrés

à la prison

de Karubanda

utilisèrent ce terme sans guère de réserve.
2~5 Dès son installation
à la Primature, Jean KAlvIBANDA s'attacha les services d'un originaire de Muganza, Marc
TWAGIRAMUKlZE
comme conseiller aux Affaires politiques et administratives (CAPA) (nomination du 16 avril 1994).
115

7.3. Les bourgmestres
Ce chapitre ne prétend aucunement fournir une analyse exhaustive de la situation politique des
différentes communes et de leurs titulaires, il dégage simplement quelques traits marquants sur ce
corps tout à fait particulier de l'administration territoriale qui suppose à la fois d'avoir été choisi
par les autorités centrales/'" mais aussi de disposer de vertus personnelles reconnues par les
populations administrées. Ces deux références indissociables fondent la double légitimité du
bourgmestre.
S'il était possible (voire fréquent) que de « mauvais» bourgmestres soient nommés, il était rare
que ceux-ci puissent rester durablement en fonction si leur environnement (le préfet et/ou les
administrés) devenait résolument hostile.
7.3.1. Une majorité de bourgmestres

anciens

La principale caractéristique des bourgmestres
de Butare tenait à leur ancienneté et à la
solidarité du corps. Au-delà des habituelles rivalités et compétitions individuelles, la continuité
dans la fonction avait permis que des liens étroits se nouent entre les bourgmestres, liens avec
lesquels tous les préfets durent composer. Le tableau n° 10 suivant illustre ce phénomène:

2M Cet adoubement perdura au-dela de l'instauration du multipartisme. Parmi les éléments de la continuité du système
politique mis en place par le régime HARYARIMANA, relevons que le serment prêté par les bourgmestres lors de leur
nomination maintint la formule: e. je jure à la Nation (.,,) de garder fidélité à la République rwandaise et au Chef de
l'État •. " » mettant en quelque sorte la légitimité de ce dernier au-delà des appartenances partisanes.

116

Tableau n? 10: Les bourgmestres en fonction le 6 avril 1994
selon l'ancienneté de leur nomination*
Gishamvu
Mukura/
Ngoma
Muyaga
Muyira

"
Huye

Runyinya
Kibayi
Nyaruhengeri
Muganza

Mbazi
Ruhashya

Ndora
Maraba
Mugusa
Shyanda
Kigembe

Nyabisindu
Nyakizu
Ntyazo
Rusatira

KAMBANDA Pascal
KANYABASHI Joseph
KANY ABASHI Joseph
NZAMWIT A Fidèle
MUHUTU Adalbert
RUSATSI Hezekia
RUREMESHA Jonathan
HATEGEKlMANA Déogratias
KAJYAMBERE Pierre-Canisius
KABEZA Charles~69
NDAYAMBAJEÉlie
BIMENYIMANA Chrysologue
NDA YAMBAJE Élie
SIBOMANA Antoine
RUDAKUBANA Martin
RW ANKUBITO Célestin
HABINEZA Jean-Marie Vianney
KABA YlZA André
SHYIRAMBERE Théophile.
KAREKEZI Symphorierr'"
GISAGARA Jean-Marie Vianney
NT AGANZW A Ladislas
NY AGASAZA Narcisse
RUKERIBUGA Vincent

18/07/1971

07/1994
07/08/1971
0111211973
04/07/1994
08/04/1975
07/1994
01112/1973
08/0211980 04/08/1993~67
1994
05/0311993268
07/1994
02/0511980
07/1994
27/05/1981
0711994
27/0511981
07/1994
27/05/1981
270
10/01/1983 23/0311993
20/06/1994
23/03/1993
30/06/1994
20/06/1994
0711994
11110/1985
0411994
27/06/1989
271
10/05/1990 17/06/1994
07/1994
22/0911990
07!l994
27/02/1991
07/1994
19/04/1993
07/07/1994
16/04/1993
25/0411994
06/07/1993
07/1994
19104/1993
23/04/1994
19/04/1993
06/1994
19/04/1993

La date indiquée dans la première colonne est celle de l'élection du bourgmestre au suffrage universel (l<'~
République), la seconde colonne mentionne les dates de nomination ou celle de l'élection des
bourgmestres par un collège de grands électeurs en 1993. La troisième indique la fin des fonctions ou le
départ de la commune.

Ainsi, parmi les bourgmestres en poste en avril 1994, la moitié était en activité depuis une
dizaine d'années ou plus. Le plus ancien, Pascal KAMBANDA, bourgmestre de Gishamvu, avait
pris ses fonctions 23 ans plus tôt comme bourgmestre élu de la première République.i"
Ce phénomène de forte longévité
rappelle les carrières des «grands»
récents de la liste ci-dessus.

des bourgmestres
apparaît encore bien plus fort si l' 0 n
bourgmestres
qui précédèrent tes bourgmestres les plus

La commune
Ntyazo restait marquée
par le long règne du bourgmestre
Athanase
NZARAMBA nommé en 1964, puis élu en 1967 et réélu en 1971, renouvelé sous la deuxième
République jusqu'en 1986. La seconde République le maintint ensuite en fonction jusqu'en
1986. A Kigembe, Straton SEMANYENZI demeura en fonction de 1967 à 1987; à Ndora,

Révoqué, Adalbert MUHUTU s'est ensuite maintenu de facto en fonction.
Nommé conseiller remplaçant du bourgmestre chargé d'expédier les affaires courantes dans une commune où le
MRND maintint une administration parallèle.
2"9 Il serait mort en RDC durant sa fuite après le démantèlement des camps de réfugiés par l'APR en octobre 1996,
m Bien que n'étant plus en fonction depuis les élections de mars 1993 au cours de laquelle il fit élire son secrétaire
communal, Élie NDAYAMBAJE continua à interférer avec la nouvelle administration communale, Il reprit formellement
le poste le 20 juin 1994 (cf. infra § 8.2., p. 1 Lü),
"11 Démis par le nouveau préfet Alphonse NTEZll.Y AYO, il fut remplacé par Fidèle RW1RJZEYE, MDR Power
(électricien du groupe scolaire de Butare).
m 11succéda au plus ancien bourgmestre de la préfecture, Straton SEMANYENZl, élu le 17 décembre 1967, réélu le 7
août 1971 et maintenu en fonction jusqu'au 31 décembre 1992,
213 Pascal KAMBANDA naquit à Gishamvu le 1" décembre 1943. Il atteignit alors le niveau scolaire D4, ce qui était
assez rare à l'époque,
~61

~6S

117

Joseph KAMANZI, nommé en 1970, élu en 1971 resta à la tête de l'exécutif
communal
jusqu'en
1984; à Mbazi, Nicodème LIBANJE, assura la direction de la commune
Mbazi de 1974 à 1983 ;
à Rusatira,
Esdron
NY A WENDA
fut maintenu
en fonction
de 1973 à 1991;
à Mugusa,
Onesphore
KANYAMANZA
occupa
le poste de 1974 à 1991;
à Nyakizu,
Jean-Baptiste
GASANA de 1982 à 1993.
De telles anciennetés,
particulièrement
marquées dans cette préfecture, traduisait la volonté - 0 u
la nécessité - des préfets successifs et de la présidence
de s'appuyer
sur des notables disposant
d'une large assise personnelle
et capables de répondre avec efficacité aux desiderata des autorités
centrales.
Au fil des ans, devenus
incontournables,
ils incarnèrent
pleinement
la symbiose
recherchée entre le notable local et le fonctionn aire du parti unique. Comme je l'ai déjà indiqué
précédemment
(cf. supra § 3.1., p. 39), la préoccupation
première
du pouvoir central résidait
dans le maintien de l'ordre politique et la participation
aux rites électoraux
épisodiques
selon les
attentes des dignitaires
du régime. La seconde
priorité
consistait dans I'accomplissement
d'un
certain nombre
de mots d'ordre
nationaux
en matière de développement
et de «participation
populaire » (travaux communautaires,
application
des grands thèmes de vulgarisation
agricole,
objectifs en matière de scolarisation,
de santé, ... ).
La longévité
d'un bourgmestre
tenait donc d'abord
à sa capacité à assurer la paix sociale
parmi
les administrés
et à faire preuve
d'un
minimum
de dynamisme
en matière
de
développement.
Pour y parvenir,
le bourgmestre
devait en premier
lieu s'imposer
parmi
l'assemblée
des conseillers
de secteur
élus. Tirant
leur légitimité
du suffrages
de leurs
concitoyens,
ces derniers étaient les véritables représentants
des grands lignages et familles de la
commune
et servaient de relais indispensables
à l'action
du bourgmestre.
Plusieurs parmi eux
étaient tutsi. L'ancrage
populaire
de ces bourgmestres
anciens
était donc fort. Ils étaient
incontestablement
écoutés et obéis.
Au niveau de la préfecture,
la considération
politique
que la hiérarchie
accordait
aux
bourgmestres
dépendait
largement
du poids
des réseaux
qu'ils
réussissaient
à établir. Par
exemple, les pouvoirs du bourgmestre
Joseph KANY ABASHI et le respect qu'on
lui accordait
tenaient à sa « bonne gestion >} de la commune (fidélité des personnels,
capacité à faire rentrer de
l'argent
des Bazungu - notamment
via les jumelages
-, à réaliser des infrastructures,
etc.) ; aux
liens privilégiés qu'il entretenait avec les grands commerçants
en général et plus particulièrement
les commerçants
tutsi; aux fonctions de maître de cérémonie qu'il assurait lors des mariages pour
toutes les familles importantes
de la préfecture;
aux liens directs qu'Il entretenait
avec des
personnalités
importantes
du régime
(Emmanuel
AKINGENEYE
notamment),
sans oublier
l'ampleur
des biens personnels
qu'Il acquit au cours de sa carrière. Pour autant, Jean-Baptiste
HABYALIMANA
n'appréciait
guère les vertus politiques
reconnues à Joseph KANYABASHI.
En
tant qu'intellectuel
émancipé! Jort peu respectueux
des mœurs politiques
héritées du parti unique,
te préfet se méfiait au plus haut point de ses manœuvres
et de ses alliances.

Encadré

n" 10:

Joseph KANYABASHI

Joseph KANYABASHI est né en 1937 à Mpare dans l'ex-commune Nyanza de la préfecture d'Astrida
(devenue la commune Huye). Il s'est marié en 1958 avec Bernadette KAMANZI, tutsi, originaire elle
aussi de la colline Mpare.
Sa formation scolaire post-primaire se limita à deux années suivies à l'École artisanale Minétain
d'Astrida, En 1954, il obtint un certificat de fin d'études «comprenant
Religion, Déontologie,
Technologie, Dessin, Français»
qu'il compléta par une formation d'une année supplémentaire en
administration et comptabilité (certificat de fin d'études délivré le 31 mars 1955). Il suivit aussi deux
années d'enseignement par correspondance en électricité à partir de 1961 ainsi que divers stages en
comptabilité.
Ouvrier polyvalent, il fut embauché à l'hôpital universitaire de Butare le 15 août 1955 et y travailla
jusqu'au 30 novembre 1973. Il y occupa tout d'abord le poste d'artisan qualifié (<< maçon, menuisier,
électricien, plombier et conducteur de travaux ,», puis de capita (chef) de la main d'œuvre de l'hôpital
(juillet 1957).

118

Après qu'il eut suivi six mois « de cours d'accélération de comptabilité », Venant NTABOMVURA,
e
secrétaire général adjoint de l'établissement, sollicita son embauche sur un poste budgétaire d'agent de 2
classe. Il occupa alors les fonctions d'intendant à compter du le' janvier 1963. Dès sa nomination, il
bénéficia d'appréciations dithyrambiques de la part de ses supérieurs et se rendit indispensable: « M.
KANYABASHI Joseph est un excellent élément, jouissant d'une initiative remarquable et possédant
toutes les qualités possibles d'un élément d'Élite ( ... ). Il a un sens d'organisation admirable et peu
commun aux agents de son grade (... ). Ce nommé KANYABASHI est affecté à l'hôpital de Butare pas
seulement en qualité d'intendant de l'hôpital, mais comme l'homme à tout faire ( ... ). Il est très correct et
très respectueux, très estimé par toute la population.)}
(François-Xavier SEFUKU, directeur de l'hôpital
de Butare, 10 juillet 1965).
Il accéda ainsi aux fonctions de sous-directeur administratif de l'hôpital universitaire de Butare le 16
décembre 1966 et maintint sa réputation d'élément hors du commun. Dès sa première année ct
nomination, le ministre de la Santé, Sixte BUTERA, constatant qu'il avait «fait preuve de qualités
exceptionnelles dans l'accomplissement de ses fonctions », conserva l'appréciation « Elite» et sollicita
un commissionnement à un grade compatible avec ses nouvelles responsabilités. Il fut directement
commissionné fonctionnaire de lore classe dès 1968. Avec la nomination de Venant NTABOMVURA à la
direction de l'hôpital, les appréciations franchirent un nouveau degré. D'exceptionnelles,
ses qualités
devinrent « extraordinaires » et se cumulèrent avec des vertus explicitement politiques:
«Pour lui les
heures ne comptent pas et il n'a pas peur de se dépenser pour la bonne marche de l' hôpi tal et aussi pour
les malades pauvres. Sa serviabilité et son amour patriotique font que même les gens des autres secteurs
ne se gênent pas de recourir à lui,» En effet, dès 1967, Joseph KANY ABASHI avait parallèlement mis
ses compétences et sa réputation au service du MDR-PARMEHUTU.
Il avait été élu responsable du
comité ville Butare du parti, puis conseiller communal de la commune Mukura.
Cette longue carrière à l'hôpital universitaire de Butare ne fut entrecoupée brièvement qu'à deux
reprises. La première fois, il fut nommé sous-chef intérimaire de la sous-chefferie de Musange ce
décembre 1959 à juin 1960, puis une seconde fois après sa réélection comme conseiller communal le 18
juillet 1971, où il fut placé automatiquement en disponibilité. Disponibilité qu'il contesta et il menaça
alors de renoncer à prêter serment.
Lors de l'avènement de la seconde République, il fut nommé bourgmestre de la commune Mukura le
l" décembre 1973 (AP 271/0311). La commune devint ensuite la commune urbaine de Ngoma. Parvenu à
cette importante fonction politique, il consacra le même zèle à gérer et à s'assurer le contrôle de sa
commune que dans son précédent établissement Toute la suite de sa carrière atteste un sens politique
aigu, une grande capacité à exploiter les réseaux politiques patiemment tissés jusqu'alors et à les élargir,
une souplesse et un réalisme prononcés.
Joseph KANY ABASHI fut nommé sans discontinuer au conseil préfectoral de Butare dès sa création le
21 octobre 1975, privilège qu'il partagea avec Théodore SINDIKUBWABO et Maurice NTABOBARl. 11
y côtoya toutes les autres personnalités butaréennes promues au fil des années au cours de la seconde
République: Jean-Chrysostome NDUHUNGIREHE,
Venant NTABOMVURA, Félicien GATABAZI,
Augustin NDINDILIYIMANA, Anastase NTEZIL y AYO, ...
C'est grâce à la reconnaissance de ce réseau et notamment du fait du soutien de Venant
NT ABOMVURA, le parrain qui accompagna toute sa carrière, que Joseph KANY AB ASHI intégra la
sphère des dignitaires politiques de la seconde République. Il fut nommé en effet le 4 juin 1981 membre
de la Commission politique du MRND, commission
la plus importante de l'organigramme du parti
unique, présidée alors par Venant NTABOMVURA.
Certes, il y entra comme «membre
nommé
extérieur au comité central» dont il n'était pas membre, mais sa légitimité n'était pas moindre que celle
des autres participants. À la différence de la plupart des personnalités nommées par le sommet, Joseph
KANYABASHl bénéficia de cette reconnaissance du pouvoir central principalement du fait de la forte
assise politique locale qu'il avait su construire à la tête de Butare Ville. La nomination du bourgmestre ce
Butare consacrait explicitement le ralliement de la capitale du sud au régime HABY ARIMANA.
Plus largement, la fonction éminente de bourgmestre d'une importante commune urbaine et son statut
de notable le firent accéder à de multiples postes de représentation dans les structures politicoadministratives ou financières qui encadraient l'administration
territoriale. À titre d'exemple parmi les
plus récents, il fut élu le 3 juin i993 au conseil d'administration du Crédit intercommunal ce
développement par l'assemblée des bourgmestres de Butare. Cet organe, qui succédait au Fonds ch
développement communal dissous, devait assurer les activités de financement des investissements des
communes rwandaises en redistribuant les apports des bailleurs de fonds internationaux.

119

Politicien affairiste, sa gestion communale fit fréquemment l'objet de rumeurs de népotisme et
d'enrichissement personnel (embauche de membres de sa famille, usage privé de biens communaux). Ces
rumeurs sont attestées par des pièces figurant dans son dossier administratif. L'une d'entre elles, adressée
au ministre de l'Agriculture par l'agronome de commune en date du 12 décembre 1978 relate de manière
détaillée l'embauche de son frère Innocent GAKUBA comme moniteur agricole et son affectation à des
fonctions privilégiées, sa dotation en moto. Elle mentionne aussi l'acquisition de biens immobiliers
(« Si vous auriez entendu des rumeurs dire que certaines de vos maisons, entre autres celle de Cyarwa,
auraient été construite par le matériel acheté par la commune ainsi que sa main d'œuvre, dois-je en être le
bouc émissaire? Vous. feriez mieux de rechercher les vrais indiscrets ( ... ). »),214 Face aux rumeurs, le
préfet Emmanuel RUZINDANA clôtura l'état des services de l'intéressé (17 septembre 1981) par une
appréciation sans appel: « La gestion du patrimoine communal est exemplaire »,
Ce n'est qu'à partir de février 1989, lors du mandat du préfet Frédéric KARANGWA, que les états ce
service de Joseph KANYABASHI mentionnèrent des réserves sibyllines qui furent reprises inchangées
jusqu'en 1992 par le préfet Jean-Baptiste HABYALIMANA:
« Il devra cependant faire un effort pour
éradiquer J'habitude de faire circuler des rumeurs dans le milieu de Butare, observées dans certains groupes
de sa population.»
(cf. annexe 37, tome 3). Il est évident que Frédéric KARANGWA, jeune préfet
inexpérimenté, avait fort à faire pour se soumettre un bourgmestre notable aussi bien inséré politiquement
et économiquement dans sa commune et la préfecture. Par contre, les rapports avec le préfet
HABYALIMANA étaient d'une toute autre nature et les deux profils s'opposaient radicalement:
l'intellectuel brillant, quelque peu dilettante, avec son franc-parler et ses positions politiques ouvertement
affichées n'avait aucunpoint commun avec cet héritier formé à l'école du parti unique, aussi à l'aise sous
la première que sous la seconde République. Mais une cohabitation fonctionnelle prévalut car le
bourgmestre était prudent et pratiquait l'esqui ve.
Joseph KANY ABASHI reçut en date du 4 mars 1992, une lettre du ministre de la Fonction publique,
Alexandre MUTERAHEJURU, l'informant de sa « mise à la retraite par limite d'âge» et lui demandant
«de se préparer à la nouvelle vie qui commencera après la signature des décrets relatifs à l'objet
émargé ». Il retourna alors au ministre de l'Intérieur, avec copie au président de la République, un courrier
en date du 18 juin 1992 déclarant «Pour ma part, j'attends mon départ à la retraite avec beaucoup œ
sérénité » tout en activant déjà ses réseaux politiques pour être maintenu en fonction. Ainsi, dès le 24
juillet, alors que le préfet était chargé de donner suite au dossier que Joseph KANYABASHI avait fait
parvenir pour l'obtention d'une décoration pour ses «bons et loyaux services rendus à la nation» (il
avait déjà bénéficié en 1982 d'une médaille de bronze par arrêté présidentiel), il sollicita une prolongation
d'une année de service en invoquant « Je souhait exprimé par les autorités habilitées de voir ma carrière se
prolonger. .. »,
Après avoir « consacré plus de 35 ans de ma vie à servir sans cesse l'État et la population: dix-huit
ans à l'hôpital universitaire et dix-huit autres à la commune urbaine de Ngoma » (lettre au ministre ce
l'Intérieur du 18 juin 1992) (cf. annexe 38, tome 3), le bourgmestre KANYABASHI n'avait pourtant plus
rien à prouver ni à attendre. Il fut incapable d'accepter de rentrer dans le rang et s'estima, comme tout au
long de sa carrière, indispensable, Il n'imaginait pas alors, selon toute vraisemblance, que le dignitaire
« hors tutelle » qu'il était devenu devrait à nouveau obéir aux ordres de nouveaux maîtres et redevenir
l' « homme à tout faire » qu'il fut à ses débuts.

D'une manière générale, les bourgmestres
des communes
«bien tenues ~) avaient su établir une
relation équilibrée
avec l'administration
préfectorale
où la diligence
n'excluait
pas de larges
espaces
d'autonomie.
Certains
bourgmestres
pouvaient
même
être
considérés
comme
« affranchis»
vis-à-vis de l'autorité
des préfets successifs:
on citera Athanase NZARAMBA
et le
ministre HABANABAKIZE,
Denys SEKIMONYO
et Aloys NSEKALIJE,
Ange NSHIMIL YA YO
et Alexis KANY ARENGWE,
d'autres étaient soutenus par les commandants
de place ...

214 On mentionnera parmi les biens immobiliers connus en 1994, outre les deux vinas qu'il louait, un magasin en
centre ville à côté des Banques populaires et un bar à Mpare.

120

7.3.2. Des bourgmestres

plus notables que militants

Dans ce contexte, les convictions politiques pouvaient être relativisées et la situation de
monopartisme convenait autant à la population qu'aux intéressés, des responsables de cellules aux
bourgmestres en passant par les conseillers de secteur.
Ainsi, lors de l'avènement du multipartisme, sous la pression des cadres administratifs locaux,
deux anciens bourgmestres MRND adhérèrent au PSD (Pascal KAMBANDA de Gishamvu,
Joseph KANY ABASHI de Ngorna), sans vraiment
rompre avec le MRND. Celui dont
l'engagement
politique
fut suivi avec le plus d'attention
dans la préfecture,
Joseph
KANYABASHI, maintint une ambivalence prudente.
Il fit partie des personnalités qui
démissionnèrent en transmettant un courrier au président du parti pour lui faire savoir q li' il
prenait cette décision avec regret faisant ainsi comprendre qu'il n'aurait pas un comportement
hostile. Et effectivement, à la différence de la plupart des politiciens émancipés par le
multipartisme, Joseph KANYABASHI, d'après de nombreux témoignages, ne participa pas plus
aux meetings du MRND, qu'à ceux du PSD, sauvegardant ainsi l'ambiguïté sur son engagement
réel. De même, Antoine SIBüMANA soutint qu'il n'adhéra plus à aucun parti, mais ne fut pas
pour autant considéré comme démissionnaire
du MRND. Il ne désavouait pas non pius ceux qui
le déclaraient proche du PSD. A notre connaissance,
seul Déogratias
HATEGEKIMANA,
bourgmestre de Runyinya, démissionna du MRND par lettre officielle et se déclara ouvertement
"sans parti", sans toutefois manifester d'hostilité vis-à-vis de son ex-parti. Un dernier, qui figurait
parmi les trois bourgmestres nommés récemment au cours du mandat de Justin TEMAHAGALI,
rejoignit les rangs du MDR (Célestin RW ANKUBITO, bourgmestre de Ndora) et marqua assez
nettement son évolution politique.
De la même manière, parmi les « survivants» du MRND, certains devaient leur maintien plus à
l'attachement de la population à leur personne ou à l'absence de candidat d'opposition
d'un
poids suffisant qu'à l'orientation
politique q li' ils incarnaient. On soulignera par exemple la
grande tolérance dont bénéficièrent certains bourgmestres
y compris parmi ceux qui furent
officiellement mis en cause du fait d'importants
détournements de fonds communaux (comme
Jonathan RUREMESHA, bourgmestre de Huye).
Tous les nouveaux bourgmestres nommés en 1993 le furent dans le cadre du renouvellement
électoral des membres de l'administration territoriale ayant fait l'objet de doléances diverses. Un
processus de présélection fut organisé où votèrent des «grands
électeurs » (notables de la
commune). L'administration
préfectorale supervisait le processus, le ministre validait ensuite les
résultats et proposait le «bon candidat » au gouvernement.
La candidature retenue faisait enfin
l' objet d'une nomination officielle par arrêté présidentiel. Tous les élus sauf un (Chrysologue
BIMENYIMANA27S à Muganza) appartenaient à l'opposition
(4 PSD, 2 MDR, 1 PL). Le parti
PSD fut le principal bénéficiaire de cette nouvelle donne. Il profita alors de l'important travail de
recrutement et de formation effectué par ses jeunes cadres auprès des personnels des communes
(agronomes, vétérinaires, assistants bourgmestres,
directeurs d'école, ... ). A la fin 1993, les
communes de Shyanda, Gishamvu, Rusatira, Kigembe, Nyabisindu, Ngoma avaient basculé, au
moins formellement, au PSD (cf. annexe 39, tome 3).

m Lors de la présélection des candidats bourgmestres du 23 mars 1993, Chrysologue
BIMENYIMANA, soutenu par
le bourgmestre sortant, Élie NDA YAMBAJE, fut élu par 18 voix contre 13 au candidat du PSD et 2 à celui duMDR.
121

Tableau n° 11

Préfet

Sous-

L'administration

territoriale butaréenne en fonction le 6 avril 1994

HABY ALIMANA Jean- 1. NGOMA
Baptiste
2. HUYE
(PL, tutsi, Butare)
révoqué le 18 avril
1994. Arrêté ..Exécuté à 3. MARABA
Gitarama à la mi -mai
4. MBAZI

préfets
Busoro
Gishamvu
Nyakizu
Kigembe
Runyinya

SIMBALIKURE
(MRND, hutu,
Cyangugu)

5. MUGUSA
Assiel 6. RUHASHYA

7. SHYANDA

Gisagara

NTAWUKULIRYAYO
Dominique (MRND,
Muy aga
hutu, Gikongpro)
Ndora
Nyaruhengeri
Kibayi
Muganza

Nyabisindu KA YITANA Gaétan
Muyira
Mugusa

Ntyazo

8. GISHAMVU
9. KIGEMBE

10. NYAKIZU
Il. RUNYINY A
12. K!BAYI

(MRND, hutu,
Cyangugu)
"!"

Hutu
PSD
KANYAB ASHl
Joseph
Hutu
MRND
RUREMESRA
Jonathan
MRND/C Hutu
HABINEZA JeanDR
Marie Vianney
« sans
Hutu
SIBOMANA Antoine
parti ~>276
MRND27? Hutu
KABA YIZA André
Hutu
MDR
RUDAKUBANA
Martin

Butare
Butare
Butare
Butare
Butare
Butare

SHYlRAMBERE
Théophile
KAMBANDA Pascal
KAREKEZI
Symphorien

PSD

Hutu

Butare

PSD
PSD

Hutu
Hutu

Butare
Butare

NTAGANZWA
Ladislas
HATEGEKIMANA
Déogratias
KAJYAMBERE
Pierre-Canisius

MDR

Hutu

Butare

"sans
parti"
MRND

Hutu
278

Butare

Hutu

Butare

MDR

Hutu

Butare

13. NDORA

RW I\NKUBITO
Célestin

14. MUGANZA

BIMENYIMANA
Chrysologue
NZAMWIT A Fidèle
KABEZA Charles

MRND

Hutu

Butare

MRND
MRND

Hutu
Hutu

Butare
Butare

GISAGARA JeanMarie Vianney

PSD

Hutu
279

Butare

Nyabisindu
Rusatira
.'

15. MUYAGA

16.
NY ARUHENGERI
17. NY ABISINDU

Vacant"?
NYAGASAZA
Narcisse
RUKERIBUGA
Vincent

18. MUYIRA

19. NTYAZO
20. RUSATIRA

-

-

-

PL

Tutsi

Butare

PSD

Hutu

Butare

281

Au total, l'opposition
était nettement majoritaire dans la préfecture avec 13 communes nonMRND, mais la signification politique de ces appartenances pouvait être nuancée. Y compris au

m Se déclare personnellement comme ayant été « sans parti» depuis 1991 (témoignage, novembre 2001).
21? Avant d'être muté à Mugusa, André KABAYIZA, travaillait
au SCR. Il fut nommé pour reprendre en main une
commune « hors tutelle » dirigée depuis le début de la seconde République par Onesphore KANYAMANZA.
m D'après plusieurs témoins, le père de Déo HATEGEKIMANA était un Tutsi ayant changé d'ethnie.
m Jean-Marie Vianney GISAGARA est formellement recensé comme hutu. Une seule commune était donc
formellement administrée par un bourgmestre tutsi dans la préfecture de Butare, Le père de Jean-Marie Vianney
GISAGARA, Canisius KANYANDEKWE, était néanmoins considéré comme ayant changé d'ethnie. Cet élément, avéré
ou non, n'est certainement pas étranger à l'opposition déterminée et courageuse du bourgmestre aux mots d'ordre en
faveur du génocide.
2~O Le bourgmestre Adalbert MUHUTU fut suspendu en mars 1993, puis révoqué en août. Un conseiller remplacent,
Hezekia RUSATSI, assura alors l'intérim. La procédure électorale mise en œuvre pour désigner un nouveau bourgmestre
n'aboutit pas,
1~1 Vincent RUKERIBUGA était pareillement soupçonné d'être tutsi, il fut destitué en juin t994,

122

sein de la nouvelle opposition, c'est le groupe des bourgmestres
apparaissait majoritaire.
7.3.3. Une prise de pouvoir de l'opposition

relativement

plus notables que militants qui

pacifique

Si les communes où les bourgmestres furent révoqués connurent des affrontements partisans
inédits et souvent violents au cours du processus qui accompagna leur remplacement, ce furent
autant les personnalités qui furent récusées que les appartenances partisanes.
D'une manière générale, le discrédit pesant sur le MRND relevait d'un phénomène global
d'usure du pouvoir. Ainsi, le PSD qui, à Butare, incarna l'aspiration au renouveau, n'introduisit
pas de démarcations politiques tranchées entre les titulaires anciens et nouveaux. Les nouveaux
élus se coulèrent dans les fonctions de leurs prédécesseurs sans révolutionner la distribution des
pouvoirs ni les modes d'exercice,
Dans les communes où la transition fut décrite comme mouvementée, le refus de l'alternance
politique était toujours redoublé par la volonté des titulaires contestés de conserver les avantages
liés à la fonction et au contrôle des activités économiques et sociales qui en découlait. Par ailleurs,
l'émergence d'une nouvelle génération de cadres ravivait souvent des compétitions d'influence
anciennes entre les grands lignages qui régnaient sur les collines et secteurs, rivalités redoublées
par le choc des ambitions personnelles au sein de ces mêmes lignages.
La commune Nyakizu connut le premier et unique cas de destitution violente avec le recours à
l'intimidation physique peu après la mise en place du gouvernement pluripartite à la mi-1992.
Dans le cadre du kubohoza, le chef du MDR local, Ladislas NT AGANZW A, assistant médical,
s'attaqua violemment au bourgmestre Jean-Baptiste GASANA en fonction depuis 1982. Celui-ci
dut s'enfuir de la commune. Avec son départ, le MRND cessa ses activités et disparut
pratiquement
Jean-Baptiste
GASANA fut remplacé
en novembre
1992 par l'assistant
bourgmestre, Jean-Marie GASINGWA, membre du PSD, qui subissant les mêmes méthodes
d'intimidation
de la part du MDR proposa presque aussitôt sa démission aux autorités. À
l'occasion du vote du 23 mars 1993 pour le renouvellement
des bourgmestres révoqués (cf.
annexe 40, tome 3), Ladislas NTAGANZWA et Jean-Marie GASINGWA arrivèrent à égalité des
voix. Puis, lors d'un deuxième tour de scrutin organisé en mai 1993, les grands électeurs,
terrorisés, votèrent à l'unanimité pour Ladislas NTAGANZWA. Ce dernier consolida alors son
pouvoir en s'appuyant
sur l'aile Power du MDR et sur ses liens privilégiés avec Jean
KAMBANDA, président du MDR Butare qui était natif de la commune voisine de Gisharnvu.
L'administration communale opposée au nouveau bourgmestre fut épurée.
L'installation de nombreux réfugiés hutu burundais à partir d'octobre
1993 contribua à la
radicalisation ethnique dans la commune qui échappa de facto à l'autorité
du préfet: des
entraînements militaires s' y déroulèrent, des armes circulèrent, des patrouilles furent organisées.
Lors de la reprise de la guerre civile après le 6 avril 1994, elle fut la seule commune prête à
organiser des tueries de grande ampleur. Dès le 13 avril 1994, malgré les ordres formels de la
préfecture, des massacres massifs de déplacés
tutsi débutèrent.
Le 15 avril, Jean-Marie
GASINGW A et d'autres personnalités opposées au génocide, furent tués. Le 17 avril, une visite du
préfet HABYALIMANA et du major HABYARABATUMA
ne suffit pas à arrêter les tueries à
l'église de Cyahinda. Celles-ci étaient en fait soutenues au plus haut niveau: ainsi, le 18 avril, le
président Théodore SINDIKUBW ABü se rendit lui-même sur les lieux pour soutenir les
massacres. Le 19 avril, lors de la fin des attaques, entre 10 et 20000 Tutsi avaient été éliminés.
La commune Kigembe connut elle aussi quelques cas de violence politique qui opposèrent, sur
un schéma assez similaire à celle de Nyakizu, des militants MDR aux bourgmestres, conseillers de
secteurs et autres adhérents du MRND. Le MRND disparut de la sphère politique et la plupart de
ses militants rejoignirent prudemment les rangs du PSD qui représentait la nouvelle légitimité
majoritaire.
Muyira fit aussi partie des communes où la situation administrative resta confuse malgré
l'organisation de deux élections de «présélection»
qui ne parvinrent pas à départager les
candidats. L'inamovible bourgmestre, Adalbert MUHUTU (MRND, hutu), en poste depuis 1980,
entretint des rapports très tendus avec le préfet Jean-Baptiste HABY ALIMANA et n'hésita pas à
braver ouvertement son autorité. Adalbert MUHUTU était un personnage appuyé en haut lieu qui
tout au long de sa carrière n'hésita pas à tenir tête aux préfets et à la hiérarchie du MININTER
123

lorsque des ordres ne lui convenaient pas.m Avec l'avènement du multipartisme, il figura parmi
les premiers bourgmestres dont les opposants demandèrent la révocation. Sur le plan politique,
son « cas» fut pour la préfecture de Butare, ce que fut celui de Jean-Baptiste GATETE dans celle
de Byumba (cf. aussi supra 2.5.1.). La plainte déposée par le PSD et le MDR de Muyira fit
l'objet d'un courrier du bourgmestre au premier ministre en date du 12 septembre, lettre qui
connut une large diffusion. Mais le conflit le plus vif l'opposa
au préfet Jean-Baptiste
BABY ALIMANA dont il ne reconnaissait manifestement
pas la légitimité. Jean-Baptiste
BABY ALIMANA fit engager des enquêtes sur la gestion financière de la commune. Devant le
blocage opposé par l'administration
communale,
le préfet sollicita des investigations pour
détournements de fonds directement auprès de la présidence de la RépubUque et demanda au
ministre de l'Intérieur la suspension du bourgmestre. L'accord lui parvint le 4 mars 1993 et fut
mis en application dès le lendemain. Adalbert MUBUTU fut ensuite définitivement révoqué le 4
août 1993 dans le cadre de la campagne d'assainissement.
Cette victoire importante du préfet
n'eut cependant qu'une
portée symbolique.
Obligés de céder au niveau du ,conseil de
gouvernement,
la présidence. et les chefs du MRND lui assurèrent immédiatement
une
reconversion prestigieuse en lui accordant le poste de candidat député représentant le MRND
pour la préfecture de Butare dans l'Assemblée nationale de transition issue des accords d'Arusha.
Fort de cette promotion, et en attendant la mise en place de l'ANT, Adalbert MUHUTU se
reconvertit dans le commerce et resta très présent dans sa commune. Bien que contesté par une
forte opposition conduite par le PL et le PSD, l'ascendant du MRND qu'il dirigeait demeura
prépondérant. Formellement, la commune fut dirigée par Hezekia RUSA TSI, nommé lef mars
1993 conseiller remplaçant du bourgmestre.
Dans la commune' Muganza,
où régnait
un autre bourgmestre
« historique », Élie
NDAYAMBAJE (MRND, hutu/m, lui aussi formellement
remplacé en mars 1993, la situation
politique était assez différente. En effet, ce fut la seule élection communale de la préfecture où le
MRND demeura majoritaire. Elie NDA YAMBAJE s'inscrivit comme étudiant à Ï'Université'" et
fit élire son secrétaire communal avec lequel il entretenait des relations amicales anciennes et
étroites.285 Sa famille continua à résider dans la commune où il rentrait régulièrement. Il maintint
ainsi une autorité parallèle à celle du nouveau bourgmestre. Entre février et mars 1994, Callixte
KALIMANZIRA revenait pratiquement tous les week-ends à .Butare et se rendait régulièrement
dans sa commune d'origine
à Muganza où il visitait Elie NDA Y AMBAJE. Les congés
universitaires ayant été prolongés sine die en avril 1994, il reprit de facto, puis officiellement ses
fonctions de bourgmestre.
D'après
plusieurs témoins, la population
avait peur de l'exbourgmestre, ils parlent toujours avec effroi des passages de la « moto rouge» de l'intéressé.
Signalons enfin, le caractère symbolique
de l'hostilité
et de la mauvaise volonté du
bourgmestre révoqué dans la commune Ntyazo à l'égard de son successeur. Dans la plupart des
communes, la remise-reprise, qui s'effectua au terme d'un processus d'éviction et d'élection
totalement inédit et plus ou moins maîtrisé par les autorités supérieures, fut marquée par les
séquelles des affrontements
partisans. Mais dans celle de Ntyazo, où fut élu le premier
bourgmestre
tutsi du pays, Narcisse NY AGASAZA, son prédécesseur
du MRND, Pascal
HARELIMANA, laissa un bureau vide lors de son départ. Le préfet HABYALIMANA dut
intervenir auprès du nouveau ministre de tutelle de l'intéressé pour qu'il restitue au moins les
documents officiels nécessaires à la poursuite de l' acti vité communale.
7.3.4. La situation particulière

des communes

à forte composante de population tutsi

Une autre caractéristique des communes de la préfecture de Butare peut être mise à jour si l'on
étudie la relation entre la situation des bourgmestres
et l'importance des populations tutsi des
différentes

communes.

m Par exemple, en août 1986, il fut sanctionné par le préfet Emmanuel RUZJNDANA pour avoir refusé d'organiser
le recrutement de jeunes de sa commune dans les FAR. Il refusait de même de participer aux réunions de travail organisées
par la préfecture.
lB) Né le 8 mars 1958 dans la commune
de Kibayi, secteur de Cyumba, Élie Ndayambaje, était par ailleurs le gendre
de Nicodème LIBANJE, lui aussi ex-bourgmestre tout puissant de la commune Mbazi de 1974 à I 983.
284 Il suivit
au cours de l'année universitaire 1993-94 les cours de licence Il Management.
liS Élie NDA Y AMBAJE l'avait
recruté dès les débuts de son mandat de bourgmestre et en avait fait son homme de
confiance : «Effectivement,
Monsieur BIMENY1MANA Chrysologue
a commencé à travailler pour la commune
Muganza depuis le let octobre 1985 en qualité de secrétaire communal (chef de secrétariat).
Dès maintenant,
il sera
chargé des affaires juridiques et administratives d'autant plus qu'il accumule une longue expérience dans ce domaine. »
(extrait de la lettre du bourgmestre Élie NDA YAMBAJE au ministre de l'Intérieur en date du 21 mars 1990).
124

La constatation est assez surprenante:
en effet, toutes les communes à forte proportion de
population tutsi (supérieure à 20 %) ont conservé des bourgmestres MRND ou des bourgmestres
transfuges récents du MRND (cf. infra tableau n° 12 et annexe I, tome 3) et presque tous étaient
des bourgmestres anciens. Aucune commune à fort pourcentage de population tutsi ne figure en
outre parmi celles où les bourgmestres firent l'objet de contestations ayant débouché sur des
révocations et de nouvelles éiections.
Tableau

n" 12 : Les bourgmestres des communes à fort pourcentage
de population tutsi

Parti

Chiffres 1984 Chiffres 1994
Runyinya
Muganza
Ndora
Nyaruhengeri
Ngoma""
Gishamvu
Huye
Mugusa

* données

Bourgmestre

pourcentage des populations tutsi286

Communes

41,6
34,5

?*

31

29,7
25,4

28,2
27,4
27,2
24
20,4

sans parti» (ex-MRND)
MRND
MDR (ex-MRND)
MRND
PSD 1 MRND
PSD 1 MRND
MRND
«

39,4

26,6
26,6
23,5

MRND

?*

Ancienneté
1981
1983
1990
1981
1974
1971
1980
1991

non transmises à la préfecture ou égarées

Plusieurs enseignements en découlent. Le premier, purement factuel mais révélateur, est que la
comptabilité ethnique demeurait parfaitement à jour en 1994. Même si de nombreux transferts
d'ethnie avaient sensiblement abaissé le pourcentage
global des populations tutsi recensées,
l'administration communale, du fait de la continuité de ses représentants, possédait une mémoire
très précise des appartenances ethniques. Quelle que soit la mention ethnique portée sur les cartes
d'identité, les apparentements réels étaient parfaitement
connus localement. Le second tient au
fait que ces bourgmestres avaient réussi de longue date à établir une paix sociale durable dans
leur commune. A l'évidence, la question ethnique ne figurait pas parmi les enjeux majeurs de
discorde dans les communes rurales. Le maintien en fonction des bourgmestres
sur longue
période (6 des 8 bourgmestres en poste depuis 10 ans et plus figurent sur cette liste) n'est
certainement pas étranger à cette capacité à « tenir » leur commune.
Même dans la commune Ngoma, chef-lieu
de préfecture où la compétition
entre les
personnalités et le contrôle des richesses pouvaient toujours revêtir une dimension ethnique,
Joseph KANY ABASHI sut laisser «passer l'orage»
lorsque, épisodiquement, des préfets ou la
conjoncture politique déclenchèrent des regains de tension. Les liens étroits entre KANYABASHI
et les grands commerçants
tutsi furent souvent dénoncés par les milieux ethnistes mais
perdurèrent. Le qualificatif « kanyabatutsi » que les extrémistes lui appliquèrent à partir de 1990
illustrait bien la cohabitation mutuellement avantageuse qui s'instaura progressivement sous la
seconde République et la banalisation de l'appartenance
ethnique jusqu'à la guerre d'octobre

1990.
Le troisième, vraisemblablement le plus important, tient au fait que dans les communes où les
populations tutsi représentaient une masse critique qui leur aurait permis de peser fortement sur le
jeu politique local, elles ne se mobilisèrent pas pour prendre le pou voir, ni même pour évincer le
bourgmestre MRND. Dans cette optique, il est tout à fait révélateur que dans les trois communes
où des bourgmestres tutsi ou ayant la réputation de l'être furent élus en 1993 les effectifs de
populations tutsi étaient proches ou inférieurs à la moyenne de la préfecture: 19 % à Nyabisindu,
286 Préfecture de Butare, Recensements administratifs établis par les communes à partir des états civils. Les chiffres
de 1994 correspondent à la situation arrêtée au 31 décembre 1993.
191 D'après le recensement administratif
annuel transmis à. la préfecture en février 1994, la commune Ngorna

atteignait en décembre 1993, 26 650 habitants.
125

15,6 % à Ntyazo, 12,2 % à Rusatira pour une moyenne de 18,2 %. Si le choix de ces communes
attribuées à des candidats tutsi ou soupçonnés de l'être avait, vraisemblablement, été débattu au
niveau de la direction des partis à l'échelle préfectorale, il n'était en aucun cas le résultat d'une
mobilisation locale.· Ainsi, à Nyabisindu,
commune
« hutu»
fortement marquée par la
radicalisation ethnique du fait de l'activisme de la CDR, lors de la présélection du 23 mars 1993,
c'est le candidat tutsi présenté par le PL, Alexandre MUNYEMANA, qui arriva en tête du scrutin
et qui fut nommé bourgmestre a. i .. Le conseil de gouvernement qui pouvait retenir le candidat de
son choix parmi les trois noms arrivés en tête soutint finalement le candidat du PSD, Jean-Marie
Vianney GISAGARA2BB, hutu considéré comme tutsi, qui devint lui-même la cible des extrémistes
hutu.

m Jean-Marie Vianney GlSAGARA avait déjà exercé dans la commune Nyabisindu
les fonctions
de FAB
(fonctionnaire
assistant du bourgmestre)
auprès de Deny s SEKIMONYO du 4 juillet 1988 au 29 septembre 1992. Le
corps des FAB. composé de diplômés de l'université, avait été spécialement créé pour assister les bourgmestres dont le
niveau de formation était considéré comme insuffisant au regard des tâches et dossiers à remplir. Muté ensuite à la
préfecture de Kibungo, il fut rappelé à la demande du PSD et du gouvernement appelé à valider les élections locales du 23
mars 1993. Le PSD ayant contesté le résultat qui avait porté en tête le candidat du PL (celui-ci, d'ethnie tutsi, avait
bénéficié
de voix d'électeurs tutsi pourtant désignés comme membres du PSD), le conseil de gouvernement ne souhaita
pas cependant nommer le candidat présenté par le PSD, Denys SEKItv10NYO, ancien bourgmestre, arrivé en deuxième
position. Le PSD proposa alors au conseil de gouvernement le nom de son ex·FAB, dont la nomination fut avalisée (AP
280/04) .
"\26

8. La résistance aux massacres (avril-juillet 1994)
Dans le contexte butaréen que nous venons de décrire, à la différence de la plupart des autres
préfectures, il était évident que la situation n'était pas propice à une large mobilisation populaire
en faveur des massacres et du génocide. A l'abri de la guerre depuis 1990, la préfecture de Butare
connaissait un climat politique totalement atypique: elle n'accueillait aucun camp de déplacés des
offensives du FPR de 1992 et 1993, elle avait su maîtriser les arrivées d'importants contingents de
réfugiés hutu burundais après octobre 1993289, elle échappait pour l'essentiel aux campagnes
d'attentats et de violences physiques, les milices n'y étaient pas répandues, enfin, elle était
administrée par un préfet vigilant et rigoureux et des bourgmestres proches des populations.
Certes, les éléments ethnistes radicaux existaient bel et bien et avaient tissé leurs réseaux, mais
le rapport de force global ne leur permettait pas d'intervenir ouvertement dans la vie politique. La
chasse à l'homme puis l'assassinat de Martin BUCYANA de février 1994 illustraient bien qu'en
cas d'agression envers des personnalités butaréennes, tous les représentants et alliés locaux d li
pouvoir nordiste pouvaient être inquiétés et ne disposaient pas dans la préfectnre d'autre recours
en matière de sécurité que les forces de l'ordre.
Elles-mêmes peu motivées à protéger les
agitateurs de la mouvance présidentielle.
Toutefois, et cet élément fut indéniablement sous-estimé, les équipes dirigeantes des différents
partis majoritaires dans la préfecture avaient pratiquement toutes, le PL excepté, évolué vers des
positions ouvertement prohutu : I'assassinat au Burundi voisin du président Melchior NDADAYE
et des principaux dignitaires de l'Etat, tous membres du FRODEBU, moins de trois mois après les
premières élections démocratiques
organisées dans ce pays qui mettaient fin à trente ans
d'hégémonie
des élites tutsi, avait durablement semé le doute sur la confiance qui pouvait être
accordée aux engagements
démocratiques
des états-majors tutsi qui dirigeaient l'armée
burundaise et l'armée patriotique rwandaise.
Le comité directeur préfectoral du MDR Butare, contrôlé de facto par Jean KAMBANDA,
s'était clairement aligné sur les dirigeants nationaux de la tendance Power (Produald KARAMIRA
et Donat MUREGO). Et si une large majorité des militants et cadres dans les communes restaient
fidèles à leur présidente, Agathe UWlLINGIYIMANA,
la ligne politique qu'elle défendait à
l'échelon national (l'alliance privilégiée avec le FPR) n'était plus comprise ni soutenue par la
plupart des militants. Même à Nyaruhengeri, commune d'origine d'Agathe UWILINGlYIMANA,
le président du MDR de la commune, Gaspard
SEMAT AMA, avait rejoint la tendance
KAMBANDA. D'Une manière générale, le discours du MDR modéré n'avait plus prise sur la
majorité des populations.
De même, l'assassinat de Félicien GATABAZI avait porté à la direction du PSD Butare une
équipe qui était assurément solidaire du rééquilibrage politique opéré par leur dirigeant dans les
semaines qui précédèrent sa disparition en se démarquant de plus en plus clairement des autres
membres du comité directeur national favorables à une alliance exclusive avec le FPR.
Au total cependant, la tension latente qu'entretenaient
les quelques meneurs extrémistes
butaréens et la nouvelle réceptivité des populations aux positions anti-FPR ne pouvaient suffire à
faire basculer l'ordre dans la préfecture et encore moins à générer des cohortes de génocideurs.
8.1. Briser la résistance à Butare : 6-19 avril
Pour les nouvelles autorités et le gouvernement
intérimaire mis en place à partir du 8 avril,
soumettre le sud à la nouvelle politique de l' « alliance de tous les Hutu» fut la préoccupation
centrale. La préfecture de Gitarama posa le premier problème
car le préfet comme les
bourgmestres refusèrent les massacres, mais le déplacement du gouvernement
et des nouveaux.
chefs militaires qui s'y installèrent dès le 11 avril mit les résistants en porte-à-faux. La fuite des
autorités de Kigali à Gitarama suscita dans un premier temps la panique dans la préfecture et
amplifia la gravité de la situation politico-rnilitaire.
Pour l'administration
territoriale de la
préfecture, l'opposition au gouvernement devint une position intenable alors que Gitarama passait
de facto en gestion centrale directe. Dans chaque commune, il fut possible aux autorités de
s'appuyer sur des partisans de la nouvelle politique antitutsi ou de les susciter.

189

Plus de 100 000 réfugiés étaient encore installés dans la préfecture
127

au début du mois d'avril

1994.

L'idéologie ethniste fondatrice de la première République demeurait fort présente et la
majorité des chefs du MDR, parti qui occupait une situation de quasi-monopole a Gitarama, était
favorable au Hutu Power. À partir du 12 avril 1994, la nouvelle direction nationale du MDR, aux
mains des chefs Power, devint politiquement homogène: Donat MUREGO (Ruhengeri) dirigea de
fait le MDR national, Froduald KARAMIRA tenait Gitarama et Jean KAMBANDA contrôlait
Butare. Les deux derniers se référaient toujours aux avis de Donat MUREGO, considéré comme
un politicien avisé el expérimenté, c'est-a-dire en kinyarwanda inararibonye. Enfin, les préfectures
de Kibuye et de Cyangugu étaient bien tenues par le MRND.
Seule la préfecture de Butare résista ouvertement et le préfet tenta même d'obtenir de son
homologue de Gikongoro, Laurent BUCYIBARUTA (MRND, hutu, Gikongoro), un contrôle des
flux de réfugiés tutsi vers les communes limitrophes de Butare poursuivis par des miliciens Power.
De plus, la préfecture de Butare n'étaient même pas dotée d'un secteur opérationnel militaire qui
aurait pu se substituer ou peser de manière décisive sur les autorités civiles.
Malgré l'assassihat d'Agathe UWILlNGIYIMANA,
malgré la nomination de Butaréens à la
tête des institutions centrales du pays, les autori tés intérimaires furent donc obligées de renforcer
la pression:
le Il avril, des autobus chargés de miliciens Interahamwe arrivèrent dans la commune
Ngoma. Le préfet informé estima qu'il s'agissait d'une rumeur et leur lieu d'hébergement
ne put être localisé. Il semble qu'ils furent hébergés dans les locaux de la SORWAL ;
le sous-préfetAugustin
HARELIMANA menacé fit partir sa famille au Burundi fe 13 avril
et s'enfuit lui-même le lendemain.i" Le préfet estima, quant à lui, être toujours en mesure
de pouvoir assurer la protection des populations de Butare'" ;
la destitutiondu

préfet HABYALIMANA

Marcel GATSINZI,
poste le 19 avril ;

récemment

nommé

fut annoncée le 17 avril;
chef d'état-major

des FAR, fut renvoyé de son

le major gendarme Cyriaque BABY ARABATUMA, un des soutiens essentiels du préfet
HABY ALIMANA, fut muté à Kigali le même jour (le 19 avril). Parallèlement, les soldats
qui ne participaient pas aux massacres furent sanctionnés par NIZEYIMANA et une partie
de l'unité dé"gendarmerie fut envoyée au front.
Une fois les autorités qui incarnaient la résistance aux massacres formellement évincées, le chef
de l'Etat, le premier ministre, plusieurs
membres
du GI (Justin MUGENZI, Pauline
NYIRAMASUHUKO,
Agnès
NTAMABYALIRO,
Eliezer
NIYITEGEKA,
Straton
NSABUMUKUNZI, Callixte KALIMANZIRA au nom du ministère de l'Intérieur demeuré sans
titulaire) et des représentants des partis (notamment Stanislas MBONAMPEKA du PL, Froduald
KARAMIRA du MDR, etc.) se déplacèrent le même jour dans la préfecture pour mettre en scène
le ralliement de l'administration locale aux nou velles autorités. Callixte KALIMANZIRA jouait le
rôle de maître de cérémonie et l'ensemble fut diffusé en retransmission directe sur les ondes de la
radio nationale: le .préfet HABYARIMANA fut destitué solennellement, Sylvain NSABIMANA
fut intronisé et dument mandaté et le bourgmestre KANY ABASHI s'inclina publiquement suite
aux réprimandes présidentielles dénonçant le manque d'ardeur des Butaréens (cf. annexe 41,
tome 3). La journée fut décisive: aucune ambiguïté ne subsistait dans les divers appels des
personnalités au génocide (cf. annexe 42, tome 3) et dès le lendemain le nouveau préfet ordonnait
aux bourgmestres de lancer les tueries. Mais il fallut encore t'intervention des unités militaires de
Kigali pour faire basculer définitivement l'ordre social et briser les derniers lieux significatifs de
résistance.
Les menaces formulées par les autorités produisirent les effets escomptés et le résumé proposé
par un des témoins: «les populations vivaient en harmonie jusqu'à ce que les responsables
administratifs viennent les conscientiser pour se débarrasser de leurs 'ennemis' » (un sous-préfet
de Butare, 1ef février 2002) est profondément
juste. Il fallait que l'ordre de massacrer soit
formellement donné sur place au travers d'une mise en scène destinée à impressionner
les
auditeurs pour que la préfecture sombre.
29Q L'annonce
faite par le colonel Tharcisse MUVUNYI lors du CPS du Il avril qu'il fallait bloquer la frontière avec
le Burundi pour faire cesser le flux des lnkotanyi avait inquiété les participants à la réunion.
291 Un officier butaréen fit cependant
remarquer qu'à cette date, « même si quelqu'un avait voulu sauver Jean-Baptiste
HABY ALIMANA en allant le chercher en hélicoptère, il n'aurait pas pu réussir tellement la haine à son égard était forte
chez les extrémistes »;

1 2.8

À la différence du préfet de Gikongoro gui désapprouva sans pour autant s'opposer
formellement aux partisans des massacres, les responsables administratifs et militaires de Butare
refusaient ouvertement d'appliquer les consignes nationales et en s'engageant eux-mêmes dans la
dissidence couvraient leurs subordonnés qui, de ce fait, osèrent eux aussi prendre, à leur niveau,
les mesures de protection des populations qui s'imposaient. L'éviction des deux personnages clés
de la préfecture,
J.-B. HABYALIMANA
et Cyriague
HABYARABATUMA,
entraînait
automatiquement l'effondrement
de toutes les chaînes hiérarchiques administrative, politique et
militaire.
Pour les détenteurs
de l'autorité,
seules
deux
issues étaient
alors praticables:
démissionner/fuir avec les risques inhérents à cette démarche ou obéir. La seconde offrait une
large gradation d'attitudes
allant de la résistance passive à l'activisme zélé. Mais personne
n'ignorait que le seul fait de ne pas donner ou de relayer soi-même l.es ordres qui étaient
parfaitement explicites et connus équivalait à laisser les échelons inférieurs responsables de leur
mise en œuvre.
Rétrospectivement, ces dix jours. de résistance conservent un caractère exemplaire dans le
contexte rwandais. En effet, malgré la violence qui a fini par prévaloir à Butare comme ailleurs, la
signification de cet intermède
me semble capitale pour apprécier les responsabilités
et
l'engagement ultérieur des acteurs des massacres et du génocide.
La résistance aux massacres et au génocide - ou l'impréparation
- butaréenne obligèrent les
politiciens promoteurs à mettre en œuvre personnellement
toute une série de stratagèmes, de
manœuvres et de propagandes
popr enclencher
le processus des massacres. Les habituels
argumentaires alibis invoquant l'« Etat décapité» après le 6 avril, la «colère»
puis la « folie
populaire » qu'auraient
déclenchées l'assassinat du président, 1'« effondrement
spontané» des
repères moraux à l'origine
du déchaînement
des violences sont, à Butare plus qu'ailleurs,
déplacés ou, pour le moins, hors de propos.
Ils le sont à deux niveaux.
Avant que de pouvoir accomplir leurs desseins, les concepteurs et partisans du génocide durent
briser méthodiquement
les ressorts de l'ordre social (l'administration,
la justice/", en premier
lieu) et les liens entre groupes et individus qui avaient survécu à quatre années de fortes tensions.
Pour y parvenir, ils furent obligés en outre de recourir à des forces extérieures à la préfecture
(gardes présidentiels - débarqués le 20 avril - et officiers des FAR, miliciens lnterahamwe et CDR,
réfugiés burundais, groupes d'universitaires du nord)?". Preuve supplémentaire de la faible assise
de l'ensemble des leaders extrémistes locaux et de l'absence d'ascendant populaire personnel de
ceux qui se proclamèrent ensuite responsables de la préfecture au cours des massacres.
La mise en œuvre des massacres a été le fait d' indi vidus et de groupes opportunistes qui ne se
sont retrouvés au premier plan qu'après avoir réussi à éliminer les personnalités représentatives et
d'envergure de la préfecture qui assuraient et cautionnaient la paix. Félicien GATABAZI, Agathe
UWILINGIYIMANA, Frédéric NZAMURAMBAHû,
Jean-Baptiste HABY ALIMANA, Cyriaque
HABYARABATUMA, etc. étaient perçus, chacun dans ses fonctions, comme des protecteurs par
les populations.

2n Le procureur du parquet de Butare, Mathias BUSHISHI (hutu, Ruhengeri) se fit surtout remarquer par les libérations
des auteurs des tueries qu'il autorisa sous la pression des autorités à la mi-avril. Quant au premier substitut, Jean-Baptiste
MATABARO (hutu, Gikongoro),
il fut assassiné
à Buye en avril avec Ignace NYANDWI (frère de Charles
NTAKIRUTINKA, un des dirigeants
nationaux
du PSD) à ]' instigation
de son voisin,
le capitaine Ildephonse
NIZEYIMANA. Comme le sous-préfet Zéphanie NYILINKWAYA, Jean-Baptiste MATABARO payait ainsi la libération
et l'absence
de poursuites
judiciaires
envers les participants
au lynchage
de Martin
BUCY ANA. Charles
MUL1NDAHABI, premier président du PSD Butare, mis en cause à l'époque, fut, quant à lui, tué en mai. Ces assassinats
marquaient publiquement qu'aucune tolérance ne serait accordée aux opposants hutu. Le président du tribunal de première
instance, Jean-Baptiste RUZINDAZA (hutu, Cyangugu), concourait alors à la formation de l'autodéfense civile.
29J Éléments
relevés par le ministre des Finances du GI, Emmanuel NDINDABAIDZI (PSD, hutu, Kibuye), dans sa
déposition au TPIR:
"Les
bruits ont circulé à Gitarama dans la semaine du 12 au 17 avril que des milliers de
Interahamwe et des éléments de la OP s'étaient rendus à Butare en provenance de Kigali pour démarrer les actes de
massacres et de pillage. Commentant ces bruits au sein d'un conseil du gouvernement,
le premier ministre a qualifié
l'information de non fondée et d'exagérée, car, disait-il, des milliers d'lnterahamwe et de certains éléments de la GP ne
pouvaient pas traverser Gitarama à bord de véhicules sans être vus (on parlait de 10 000 hommes). Ce qui est vrai, c'est
que la préfecture de Butare était en train de brûler en ces jours là.
.
.,
,.
.
~~e
d@s éléments v@nus de Kigali aura pBlolt êtfe pFis l@soin de-véfifier qui a alors mis le fe~
J:*éfuctuHl, sa pt'éfectllre d'origin~ (passage rayé dans le texte) » (KA 016475)

129

Les nouveaux .chefs promus furent avant tout des profiteurs soucieux d'occuper l'espace
libéré par les assassinats, des arrivistes propulsés en connaissance de cause pour faire le « sale
travail»: Théodore SINDIKUBWABO était un has been velléitaire'?"; Jean KAMBANDA, un
looser repêché;
Pauline NYIRAMASUHUKO,
une égérie aux compétences
intellectuelles
limitées;
Straton NSABUMUKUNZI,
une créature
des militaires extrémistes
; Sylvain
NSABIMANA, un intellectuel raté; Alphonse NTEZIL y AYO, un militaire déclassé en quête de

revanche.i"

.'

,

Ce temps de latence, qui leur a été nécessaire à la préparation du contexte et des hommes pour
enclencher les massacres, les dissocie par ailleurs radicalement des ralliés « de la seconde heure»
du 19 avril et au-delà, même si ensuite les victimes ne perçurent guère la différence entre ces deux
groupes d'acteurs.
Dans cette seconde catégorie figure, à mon avis, la majorité des bourgmestres de la préfecture.
Eux aussi crurent un temps qu'ils seraient capables de tenir face à la volonté du gouvernement
intérimaire. Ils considérèrent
le préfet HABY ALIMANA et le major gendarme Cyriaque
HABYARABATUMA comme des boucliers. De la même façon qu'Agathe UWILINGlYIMANA
imagina survivre ta nuit du 6 avril, voire assumer la continuité de !'ordre constitutionnel, les
« résistants»
de Butare crurent que des décisions favorables de personnalités politiques ou
militaires, que des interventions étrangères pourraient arrêter la spirale des affrontements. Dans
leur raisonnement, il fallait pour cela tenir le temps nécessaire pour que la fureur retombe. Cette
attente fut illusoire'" : ceux qui ne plièrent pas à temps furent, comme le préfet, éliminés. Mais, à
notre avis, leur changement d'attitude, modulé dans le temps et dans la forme, n'efface pas
l'importance de ladésapprobation
initiale des massacres.
Plusieurs interlocuteurs invoquent a posteriori des justifications externes pour expliquer les
raisons de la résistance de certaines personnalités et des milieux tutsi (et pro-tutsi) de Butare aux
consignes du GI à partir du 8 avril. D'après eux, les résistants s'appuyaient
sur des promesses du
FPR ou l'espoir que le FPR lancerait une attaque à partir du Burundi où il bénéficiait d'appuis
puissants dans l'armée et jouait un rôle important dans la capitale, Bujumbura.

194 Ainsi, le comportement
de Théodore SINDIK.UEWABO apparut à beaucoup comme particulièrement
ambivalent
sur le terrain. Ce n'est pas le lieu de procéder à l'analyse de sa gestion politique de la guerre. Citons simplement
un
exemple recueilli auprès de témoins locaux. Lors de ses déplacements
personnels du 21 avril 1994, il tint des propos
susceptibles
d'être diversement interprétés à la sous-préfecture
de Gisagara en commune Ndora, où il fut assistant
médical au dispensaire
au début de sa carrière professionnelle
avant d'accéder aux fonctions
de bourgmestre de la
commune Ndora : « il.faut que chacun s'occupe de la sécurité de son voisin ». Par contre à la sous-préfecture de Busoro,
où il se rendit ensuite, la ligne politique nationale fut défendue sans détour.
m Au regard de ces comportements, et en l'état de mes informations, on ne peut s'empêcher de constater la position
en retrait d'une autre personnalité butaréenne majeure de la seconde République, Maurice NTAHOBARI. Nul discours, nul
engagement public et aucun témoignage formel ne le mettent en avant. Au sein de l'Université,
c'est toujours le vicerecteur ou d'autres enseignants dont les noms sont évoqués lors de l'organisation de réunions, de prises de décision (cf.
annexe 43, tome 3). Et, s'il n'en ignorait rien, il n'apparaît pas non plus personnellement
associé aux activités de sa
femme et de son fils. Pour autant, les témoignages le concernant
sont ambivalents. D'un côté, il est décrit comme un
« bon », Maurice NTAHOBARI aurait sauvé des étudiants, des professeurs,
confirmant ainsi la réputation de tolérance
politique qu'il acquit en 1990-91 lorsqu'il usa de son autorité en faveur de la réintégration
des personnels universitaires
arbitrairement arrêtés, inculpés et licenciés de la fonction publique (cf. supra § 2.4., p. 30). Par exemple, d'après des
témoignages concordants, il aurait notamment dissuadé son fils Shalom de tuer les quatre enfants de Juvénal BlHIRA,
grand commerçant tutsi de Butare, membre du PSD, en lui disant qu'il en avait déjà tué beaucoup, et qu'il s'opposait à ce
qu'il tue ces quatre-là. D'un autre côté, il dirigeait le comité de financement de l'autodéfense
civile qui est certes
l'instance la moins engagée dans l'organigramme de ce programme, mais qui assure" le nerf de la guerre », c'est-a-dire
l'entretien
courant des miliciens (les « rafraîchissements
») et la rémunération
directe ou indirecte des tueries.
Remarquons toutefois, qu'il n'en était pas gestionnaire
et qu'une fois encore, parmi les trois signataires du compte
bancaire, connus comme des partisans zélés des massacres, figure le vice-recteur du campus de Butare, Jean-Berchrnans
NSHIMYUMUREMYI.
Ce que nous ne savons pas cependant. faute de preuves formelles, concerne la présence ou non de
Maurice NTAHOBARI aux réunions du conseil préfectoral de sécurité au cours des mois d'avril-juillet
alors même qu'eil
en était membre de droit. Si l'université était bien représentée et si son représentant jouait pleinement son rôle dans la
chasse aux complices, l'identité de ce dernier n'est pas indiquée sur les documents actuellement connus.
2% Aujourd' hui encore,
son évocation déclenche une grande amertume parmi les rescapés. Ils sont nombreux à
accuser plus ou moins vigoureusement
et pêle-rnêle le général Augustin NDINDILIYIMINA qui «n'engagea
pas son
autorité pour faire cesser les massacres », y compris Je massacre «de ses propres voisins dans sa commune",
mais
aussi, de manière plus surprenante, le major gendarme Cyriaque HABYARABATUMA, qui « entretint
l'illusion d'un
soutien des gendarmes» ou encore le général Marcel GATSINZI qui « abandonna la préfecture à son sort » en échange
d'une promotion fictive et éphémère. Au-delà de l'expression
compréhensible
d'un sentiment d'abandon général de la
part des dépositaires
de l'autorité, l'appréciation
des pouvoirs effectifs dont disposa telle ou telle personnalité
dans
certains domaines et à certains moments mérite cependant d'être relati visée.

130

Le contrôle rapide de la situation politique burundaise, avec la mise en place d'un Comité de
suivi assurant la continuité des institutions, le 6 avril au soir dès l'annonce du décès du président
Cyprien NTARYAMIRA, grâce à l'intervention déterminée de l'envoyé spécial du représentant
du secrétaire général des Nations unies, Ahmedou Ould Abdallah, aurait compromis le projet et
expliquerait, en partie au moins, les règlements de compte - certains très récents - entre les porteparole des rescapés et les actuels responsables du régime. D'après eux, une telle intervention du
FPR se justifiait théoriquement
du fait de l'importance
des populations tutsi menacées et
susceptibles ensuite d'appuyer l'offensive du FPR. Ce sont en effet quelque 150 000 Tutsi qui
résidaient dans la préfecture de Butare. Cet argumentaire, bien évidemment exploité tout au long
de la guerre par les autorités en charge du génocide, ne me semble pas étayé. S'il exprime les
doléances des rescapés face à ce qu'ils décrivent comme un abandon par le FPR (ou, selon de
nombreux propos, une «trahison »), rien ne permet d'affirmer qu'une intervention ait jamais été
envisagée à partir du Burundi où la situation intérieure était suffisamment complexe et fluide pour
interdire l'éventualité de ce scénario.
Plus fondamentalement, une telle analyse dénature gravement la réalité de la situation politique
butaréenne à cette date: si la propagande génocidaire avait marqué des points dans l'ensemble de
la préfecture depuis le début de l'année 1994, la résistance des Butaréens ne fut pas une résistance
« tutsi », mais bien une résistance
politique collective de la plupart des cadres butaréens de
l'administration
et de tous les simples gens qui ne s'imaginaient
pas en bourreaux de leurs
propres voisins.
8.2. Le contrôle des bourgmestres
Le basculement de l'administration
territoriale
est clairement daté et suit la ceremonie
d'installation du nouveau préfet puis la réunion de tous les bourgmestres avec le président
SINDIKUBWABO le 19 avril. Après les discours officiels des personnalités et ce ui fut perçu
comme la capitulation publique du plus éminent parmi les bourgmestres butaréens.i" la situation
était claire et les alternatives imposées aux récalcitrants dramatiques.

a

8.2.1. L'engagement

personnel

des bourgmestres

et l'élimination

des opposants

La réunion du CPS du 20 avril à la préfecture fut capitale. Dès le lendemain de sa nomination,
le nouveau préfet Sylvain NSABIMANA dirigea une réunion des bourgmestres au cours de
laquelle chacun dut s'engager
à mettre en œuvre la politique voulue par les plus hautes
personnalités de l'Etat. D'après un témoin extérieur, « il a dû sans doute leur expliquer le plan.
Après cette réunion, l'attitude de certains bourgmestres
a changé radicalement. Par exemple le
bourgmestre de Huye est devenu froid » (déposition, Parquet de Bruxelles, 8 juin 1995, p. 8).
Chaque responsable communal savait parfaitement
que son ralliement personnel était décisif
pour entraîner l'implication des autres cadres locaux (agents communaux, conseillers de secteur
et chefs de cellule) et des populations hutu dans les massacres. L'immense
majorité des
populations rurales ne militait pas: elle faisait confiance aux porte-parole élus, les conseillers de
secteur, et reconnaissait l'autorité des bourgmestres.
Dans une préfecture épargnée par la guerre,
la réalité des affrontements politiques apparaissait lointaine: elle était le fait des éduqués, des
urbains, c'est-à-dire
des intellectuels et des politiciens. Le militantisme politique était perçu
comme une prise de risque majeure réservée à ceux qui entendaient fréquenter les élites ou en
retirer des dividendes personnels. Le recours à la violence politique populaire était inconcevable
sans l'engagement ou l'assentiment conjoint des chefs politiques et des autorités administratives et
militaires,
Seule la commune Nyakizu évitait le dilemme. Dirigée par Ladislas NTAGANZWA (MDR
Power, hutu), elle échappait bien avant le 6 avril à l'autorité
du préfet. Son bourgmestre
conduisait une politique ouvertement antitutsi qui put s'appliquer pleinement dès le 7 avril. Les
tueries de masse commencèrent le 15 avril avec l'attaque de l'église de Cyahinda où des milliers
m « Radio-Rwanda a diffusé intégralement le discours du président. l'ai entendu aussi la réponse du bourgmestre
Joseph KANYABASHI. Il était d'accord avec le président et le soutenait pleinement pour gagner la guerre. Le discours
de KANYABASHr était aussi virulent que celui du président. Le président avait dit que la population était des « cela ne
me regarde pas " alors que c'était la population qui connaissait les ennemis du pays. K.ANYABASHl, dans sa réponse,
lui a promis de changer cela. Ce discours nous a fait peur mais il était impossible de sortir de la vllle. Les barrières
avaient augmenté." (déposition, Parquet de Bruxelles, 8 juin 1995, p. 8)

131

de Tutsi étaient réfugiés. Le premier bourgmestre à suivre l'exemple de NTAGANZWA, d'après
les informations que nous avons pu recueillir, fut Jean-Marie Vianney HABINEZA, bourgmestre
de Maraba (MRND), soumis d'un côté à une forte pression des miliciens de Gikongoro et,
semble-t-il, aisément convaincu de la justesse de la cause officielle. Il laissa les assassinats et
massacres se produire à partir du 15 avril.?" La commune de Runyinya suivit. Le 18 avril, des
affrontement gagnèrent la commune urbaine de Ngoma'", celle de Nyaruhengeri, dirigée par le
bourgmestre Charles KABEZN°O (MRND), puis vint le tour des communes Kigembe et Huye. La
commune de Gisharnvu servit aussi de référence en matière de massacres précoces pour complaire
aux attentes de son ressortissant originaire
le plus prestigieux,
le propagandiste
Jean
KAMBANDA. Le 21 avril peut être considéré comme le jour où les massacres de grande ampleur
se généralisèrent, notamment à Ngoma.
Les tueries massives débutèrent au sud puis gagnèrent les communes du nord avant de se
généraliser sur l'ensemble du territoire de la préfecture, Toutes, sauf Mbazi, avaient « basculé » les
22-23 avril. Les massacres ne commencèrent à Mbazi que le 25 avril. Parmi les communes «
résistantes » sont habituellement citées: Ruhashya, Muyaga, Shyanda, Ndora, Mbazi, Ntyazo,
Runyinya.
Les bourgmestres tutsi, ou considérés comme tels, de la préfecture furent assassinés, À Ntyazo,
le bourgmestre Narcisse NY AGASAZA (PL, tutsi), fut rattrapé et abattu vers le 23 avril alors qu'il
tentait de s'enfuir au Burundi. Nicodème BIZIMANA fut nommé bourgmestre par intérim, puis
Mathieu NDAHIMANA, ex-candidat du PSD battu lors des élections du 23 mars 1993, devint
titulaire du poste à la fin juin après la nomination du préfet Alphonse NTEZIL yA YO,
À Nyabisindu, le bourgmestre Jean-Marie Vianney GlSAGARA (?SD, hutu/tutsi), un des
opposants au génocide les plus déterminés de la préfecture?", fut assassiné vers le 25 avril après
une longue traque conduite par le sous-préfet Gaétan KA YIT ANA, la gendarmerie et les miliciens
lnterahamwe dirigé par Callixte MIRASANü, responsable local de la CDR et .directeur de la
laiterie, Parmi l'es dernières décisions de Jean-Marie Vianney GISAGARA figurait l'arrestation
d'Abel BASABOSE, ex-militaire installé comme commerçant, qui avait organisé des massacres de
Tutsi dès la mi-avril, Vers le 20 avril, en l'absence du bourgmestre convoqué à Butare pour
assister à la réunion du CPS convoqué par le préfet Sylvain NSABIMANA nommé la veille par les
autorités, Abd BASABOSE fut libéré par les gendarmes. Jean-Marie Vianney GISAGARA
comprit dès son retour au bureau communal que le nouveau cours des choses l'avait précédé et
qu'il était lui-même assimilé aux «ennemis»,
Il s'enfuit, se cacha et fut assassiné peu après. La
commune fut administrée ensuite en co-gestion par le sous-préfet et ie MRND/CDR via un
bourgmestre intérimaire. Cette situation prévalut jusqu'au 17 juin où le conseil de gouvernement,
sur
proposition
de
Pauline
NYIRAMASUHUKO,
installa
formellement
Vincent
NGIRUWONSANGA, ancien bourgmestre MRND nommé le 29 août 1991 et évincé lors des
élections de 1993.
Martin RUDAKUBANA (MDR, hutu), bourgmestre de Ruhashya fut lui aussi assassiné en avril
1994 par des miliciens lnterahamwe parce qu'il s'opposait à leurs tueries. Parmi les victimes,
figure aussi Charles NYILIDANDI (MRND,
hutu), bourgmestre
de la commune voisine de
Mubuga en préfecture de Gikongoro, assassiné à Munini, base logistique importante du projet
DOB en cours de pillage le 18 mai, par des ressortissants de sa commune appuyés par le
bourgmestre
de Nyakizu, Ladislas NTAGANZW A, Dans sa propre
commune,
Ladislas
NTAGANZW A s'acharna contre Ange NSHIMYIRY ARYü, ancien bourgmestre, ex-député de la
tendance MDR-Twagiramungu.
Sans cesse harcelé par le bourgmestre, qui fit piller sa demeure,
Ange NSHIMYlRY ARYO ne sauva sa vie que grâce à l'appui de son beau-frère, le sous-préfet de

m Plusieurs témoins décrivent Maraba comme une base active des militants
de la CDR. Mais les témoignages
divergent sur l'attitude du bourgmestre, Comme NTAGANZWA à Nyakizu, il était connu comme un opposant déclaré au
préfet HABYALIMANA et à la politique qu'il conduisait, Toutefois, pour les uns, il n'aurait pas cautionné les tueries du
moins dans un premier temps. Mais, d'après d'autres interlocuteurs,
il soutint personnellement
des massacres dont la
finalité explicite visait à s'emparer des biens des victimes, y compris ceux de résidents hutu.
m « Dès le matin, les collines tout autour de la ville brûlaient. La fumée avait envahi les faubourgs. Le nombre des
réfugiés de Mat yazo a triplé. Beaucoup de réfugiés sont arrivés à Huye, La colline Mpare a résisté. Là, Hutu et Tutsi ont
résisté ensemble contre les assaillants qui venaient brûler les maisons, Les maisons n'y ont commencé à brûler que dans
la soirée du 18 avril" (déposition, Parquet de Bruxelles, 8 juin 1995, p, 8).
\00 Marié à une épouse tutsi.
JOI Il réussit
à empêcher que sa commune ne bascule jusqu'au 2.0 avril malgré les tentatives de la CDR locale
bénéficiant de l'appui des miliciens de la préfecture de Gikongoro.

132

Gisagara, Dominique NT AWUKULlYA YO)02,et du sous-préfet
originaire de Nyakizu.

Faustin RUTAYISIRE, lui aussi

Après le lancement de la première phase des massacres, l'engagement
des différentes autorités
devint fort ambigu et complexe à suivre. Des contraintes « structurelles» existaient. Parmi les
déterminants de leur comportement, un facteur trivial s'imposa à tous: l'ampleur du « travail » à
réaliser pour éliminer 1'« ennemi»
était totalement
inégale selon les sous-préfectures
et
communes du fait de la concentration géographique des populations tutsi. Les pourcentages se
situaient entre 30 à 40 % pour Ndora, Muganza et Runyinya, et fluctuaient entre 20 et 30 % dans
les communes Mugusa, Huye, Gisharnvu, Ngoma et Nyaruhengeri. À l'inverse, celles de Maraba,
Mbazi, Muyaga, Rusatira n'atteignaient plus que les 10 % et à Shyanda, Kibayi, Kigembe, les
pourcentages tombaient entre 3 à 6 %, La pression sur les autorités communales fut donc
particulièrement forte lorsque se combinaient d'importants effectifs et des velléités de résistance.
L'attitude et l'engagement quotidiens des sous-préfets (tous formellement acquis à la politique
centrale officielle), bourgmestres, conseillers de secteurs et chefs de cellule furent l'enjeu
déterminant dans l'accomplissement
des massacres et la mobilisation des populations. Placés au
centre du dispositif sécuritaire du fait de leur fonction, et toujours en charge des attributions
habituelles des administrateurs
communaux
(école, santé, approvisionnements,
police ... ), les
autorités de base furent sans cesse sollicitées et soumises à des pressions multiformes de tous les
groupes de la population. Outre leur pouvoir toujours menacé par les acteurs les plus radicaux, ils
étaient susceptibles d'être eux-mêmes, sur le plan personnel et familial, mis en situation
d'insécurité,
Dans de nombreux
récits, l'argumentaire
des témoins et notamment
des responsables
administratifs (hutu) repose sur une structure commune qui invoque assez systématiquement la
responsabilité d'acteurs extérieurs à la préfecture, à la commune, au secteur, à la cellule dans
l'initiative des massacres: gens du « nord », miliciens des préfectures voisines, activistes d'autres
communes, etc. Indéniablement, le rôle des militaires démobilisés ou déserteurs qui avec leur fusil
entraînèrent fréquemment des groupes à commettre des violences et des pillages est une constante
dans les récits des témoins. Parmi les déclarations recueillies, le cas exemplaire d'un chauffeur de
taxi étranger à la commune concernée m'a semblé révélateur. Ce taximan, porteur d'un uniforme
militaire et armé d'un fusil, harangua la population d'une colline et obtint son ralliement aux
massacres malgré 1'« opposition des autorités ». Le fait d'avoir revendiqué s'être emparé de
plusieurs véhicules fut considéré comme un élément décisif de son argumentaire auprès de ses
interlocuteurs.
Toutefois, sans méconnaître la complexité des situations vécues, ces récits vraisemblablement
authentiques sur le démarrage des massacres ne peuvent servir de justification à des opérations
étalées sur plusieurs mois et intégrées dans une politique coordonnée et méthodique. A bien des
égards, ils apparaissent comme des éléments d'une ligne de défense qui occulte bien souvent
l'implication personnelle directe des cadres et populations originaires qui alterna entre passivité et
réceptivité.
8.2.2. Le dilemme des bourgmestres:

obéir aux ordres reçus et répondre aux exigences locales

Sans entrer dans une analyse fine des contextes communaux, le cadre général de la conduite
de la guerre civile sur le terrain pourrait être décrit ainsi. Les décisions stratégiques étaient prises
par les responsables politiques butaréens qui occupaient les postes les plus éminents de l'Etat.
Localement, eux-mêmes ou les membres du gouvernement originaires de la préfecture, assuraient
le relais des mots d'ordre et leur suivi.
Les députés et cadres du MRND (butaréens et résidents des préfectures du nord) étaient en
charge du suivi rapproché. Ainsi, Adalbert MUHUTU, bourgmestre révoqué, s'attachait avec zèle
à mériter son poste de député de Butare désigné par le MRND pour siéger à l'Assemblée
nationale
de transition.
De leur côté, les députés
encore
en fonction,
Bernadette
MUKARURANGWA et Laurent BARA VUGA. n'hésitaient pas à organiser eux-mêmes les tueries
dans leurs communes de Ndora et de Kigernbe et à donner des ordres aux bourgmestres. Ils
,02 Dominique NTA WUKULIYA YO fut bourgmestre élu de la commune de Mubuga au cours de la première République,
commune où Ange NSHIMYIRY ARYO se réfugia auprès du bourgmestre
Innocent
BAKUNDUKlZE pour fuir les

tentatives d'assassinat

de Ladislas NTAGANZWA.
133

étaient installés ensemble au domicile de Bernadette
MUKARURANGW A dans le secteur
Muzenga de la commune Ndora et avaient fait ériger une barrière à proximité de la résidence sur
la route conduisant à Butare. Avec les responsables des partis, ils coordonnaient des groupes de
miliciens souvent rivaux que les entrepreneurs et les commerçants finançaient. A titre d'exemple,
les locaux de la SORW AL, jusqu'à la réouverture de l'usine en mai, servirent de pied-à-terre pour
un des groupes de miliciens Interahamwe de la commune de Ngorna, puis le groupe déménagea à
l' hôtel Ibis au début du mois de mai lors de l' installation de Robert KAJUG A à Butare.
Parmi les. principaux responsables des groupes de miliciens Interahamwe et autres opérant à
Butare Ville' figuraient Charles SIJYENIYO, stomatologue
à l'h6pital universitaire de Butare
(originaire du secteur Cyarwa-Cyimana à Ngoma, et résidant à Cyarwa-Sumo), et les deux fils du
commerçant.ilsaac MUNY AGASHEKE, Clément MUNY AGASHEKE et Désiré MUNY ANEZA.
Ces derniers étaient membres du MDR et agissaient, d'après des témoins, sous les ordres de Félix
SEMW AGA. Shalom NTAHOBARI contrôlait son propre groupe, parallèlement aux autres
« jeunesses >}'notamment du PSD. Lui-même contrôlait
un barrage de miliciens érigé sur la voie
publique à 'hauteur de l'hôtel
où. il. résidait à la sortie sud de Butare, Ce barrage était
particulièrement redouté?" Un autre groupe, parmi les plus importants et craints, était installé
dans le nordde la préfecture à la laiterie de Nyabisindu sous les ordres de Callixte MIRASANO.
Ces divers collectifs, dont les membres étaient rémunérés ou entretenus par leurs chefs agissaient
de manière largement autonome les uns par rapport aux autres, De même, s'ils mettaient en œuvre
les décisions des autorités communales, ils pouvaient aussi dédoubler ces dernières ou se substituer
à elles. Les bourgmestres durent tenir compte des exigences de ces groupes dont l'activisme
politique n'était pas dissociable de formes de grand banditisme organisé (vols, chantages, viols,
exactions en tous genres).
La grande latitude laissée à ces groupes de miliciens tenait bien évidemment à la complaisance
de leurs chefs, souvent impliqués personnellement
dans les tueries et exactions, mais aussi à la
symbiose avec des groupes militaires (cf. annexe 44, tome 3) qui les entraînaient, les armaient et
avec lesquels ils intervenaient conjointement
pour mener à bien les grandes opérations de
massacres.
'
Notons encore, parmi les groupes de pression sur les autorités, l'existence d'autres structures
d'activistes téléguidés par les responsables politiques du MRND/CDR et chargés d'intimider les
« défaitistes » ,civils et militaires. Ainsi, le Cerc1e des républicains
universitaires de Butare et le
Groupe des défenseurs des intérêts de la nation, deux groupuscules omniprésents coordonnés par
le Dr Eugène RW AMUCYO (CDR, hutu, Gitarama) de l'UNR304 et regroupant les extrémistes
hutu les plus actifs de la commune urbaine, organisèrent au siège de la commune de Ngoma le 23
juin 1994 une table ronde dont un des points à l'ordre du jour était: «Note d'appréciation
des
responsables civils et militaires actuels et leur rôle dans la victoire prochaine ou lointaine de la
majorité populaire contre le FPR. » (cf. annexe 45, tome 3).
Concrètement, le suivi rapproché exercé sur les autorités locales se traduisit par un système
permanent d'évaluation des performances individuelles agrémenté de mesures de sanction ou de
récompense d'Une grande diversité.

À Nyabisindu, après l'assassinat du bourgmestre PSD fin avril, la commune fut administrée de
facto en co-gestion par le sous-préfet et un bourgmestre
intérimaire. Cette situation prévalut
jusqu'au
17 juin
où le conseil
de gouvernement
rétablit
formellement
Vincent
NGIRUWONSANGA, ancien bourgmestre MRND nommé le 29 août 1991 et évincé lors des
élections de 1993,
À Runyinya, Déo HATEGEKIMANA,
bourgmestre
«sans parti », aurait longuement
~t
fermement résisté avant de céder et de se transformer
en «bourgmestre
très méchant », A
Shyanda, le bourgmestre,
Théophile SHYIRAMBERE
du PSD, reçut la visite de Callixte
KALIMANZIRA qui le menaça de destitution et de représailles au cas où il ne mettrait pas en
œuvre activement la politique des autorités. Il se rallia, tout en continuant à s'opposer en sous
main aux tueries. Dans la commune Rusatira, l'ex-bourgmestre
Esdron NY AWENDA (MRND,
hutu), en poste pendant 18 ans de 1973 à 1991, aidé par le responsable local de la CDR, entra en

lOl

Ce point

est souligné

notamment

par le préfet Sylvain

massacres à Butare », p. i3.
l04 Où il travaillait
au Centre universitaire

de santé publique.

son nom en Rwamuko ...
134

NSABIMANA

dans son plaidoyer

«

Il se réfugia en 1995 en Côte d'Ivoire

Réalités

sur les

où il transforma

compétition avec Vincent RUKERIBUGA, membre du PSD, activement soutenu par Straton
NSABUMUKUNZL Vincent RUKERIBUGA était soupçonné d'être de père tutsi et il fut dénoncé
comme un organisateur timoré des massacres. Il fut remplacé par Jean-Baptiste KANDAGA YE
lors du mouvement de renouvellement des bourgmestres du 17 juin accompagnant la nomination
d'Alphonse NTEZIL y AY O. Dans les faits, si l'on en croit le témoignage de témoins, c'est à cette
date que se situe le «retour»
d'Esdron
NY AWENDA aux affaires. 30S Son activisme étant
récompensé par Callixte KALIMANZIRA et Pauline NYIRAMASUHUKO.
Dans la commune
Maraba, le bourgmestre Jean-Marie Vianney HABINEZA, du fait d'un manque de zèle évident,
fut soumis à une pression permanente. Dans l'agenda de Pauline NYIRAMASUHUKO, en date du
25 juin, l'épée suspendue au-dessus de sa tête se précise. La ministre donne ses ordres:
« Kornini Maraba si il faut un changement donner la place à
HABANABASHAKA Ildephonse, D7, Bacc II, adm. Public.
NYAGASAZA
NDABUNGUYE Emmanuel, agro
MUJY AMBERE Antoine, président MRND }}
Mais le bourgmestre HABINEZA

parvint finalement

à se maintenir.

Célestin RWANKUBITO (MDR, hutuf06, bourgmestre de la commune Ndora, fut démis de ses
fonctions après deux passages de Callixte KALIMANZIRA. Le premier eut lieu le 7 juin pour la
tenue d'une réunion publique avec la députée Bernadette MUKARURANGWA destinée à inciter
la population à s'engager activement dans l'autodéfense
civile. Le second se situe le 10 ou le 12
juin où Callixte KALIMANZIRA,participa
à une réunion organisée à la commune et consacrée à
la distribution des biens vacants. A cette occasion, ce dernier adressa une admonestation publique
au bourgmestre qui la présidait et qui, appliquant une décision débattue au niveau de la souspréfecture, refusait de distribuer les biens. Callixte KALIMANZIRA sollicita publiquement le nom
de candidats motivés souhaitant lui succéder. A la fin du mois de mai déjà, un convoi de véhicules
était passé dans la commune brièvement, convoi dans lequel figurait Jean KAMBANDA, Pauline
NYIRAMASUHUKO,
Callixte
KALIMANZIRA
et Sylvain
NSABIMANA.
Seul
Jean
KAMBANDA était descendu de son véhicule pendant une dizaine de minutes pour blâmer le
bourgmestre pour son manque de zèle et le menacer d'une révocation prochaine. Il fut remplacé
par un autre membre de son parti, Fidèle RWIRIZEYE, président du comité communal du MDR,
tendance Power. Le PSD qui représentait le groupe politique le plus important dans la commune
avant le 6 avril 1994 et qui revendiquait le poste depuis le début du multipartisme alors que le
bourgmestre MRND adhérait au MDR s'était dissous et ses membres avaient (re)gagné le MRND.
Dans la commune Muganza, dès le feu vert donné aux massacres par les autorités
gouvernementales le 19 avril, Elie NDA Y AMBAJE, ex-bourgmestre
de 1983 à 1992 et alors
étudiant en vacances forcées, s' acti va aux côtés des acteurs des tueries. Chef incontesté de la
commune où il demeurait actif, notamment dans le cadre du projet de développement financé par
la Belgique, il récupéra formellement
le titre de bourgmestre le 20 juin lorsque Alphonse
NTEZIL y AYO mit fin officiellement aux fonctions de son éphémère successeur, Chrysologue
BIMENYIMANA. Des témoins nous ont signalé que Jean KAMBANDA s'était rendu peu avant
dans la commune de Muganza pour une visite auprès de sa belle-famille. Tout laisse penser
cependant qu'il a laissé Callixte KALIMANZIRA,
originaire, gérer cette succession concernant
une commune MRND.
Ces deux derniers remplacements ne firent pas l'objet de consultations préalables ni du souspréfet de sous-préfecture,
ni, formellement au moins, du sous-préfet de préfecture chargé des
Affaires politiques, ni du préfet Sylvain NSABIMANA dont le sort fut scellé en même temps que
celui de plusieurs bourgmestres. La décision fut prise au niveau des autorités politiques. En effet,
les plaintes envers l'encadrement de la préfecture de Butare montaient dans les rapports faits lors
des réunions du gouvernement
intérimaire par la ministre en charge du suivi de la préfecture
Pauline NYIRAMASUHUKO. Lors du conseil des ministres du 17 juin, un important mouvement
de nomination concerna le ministère des Finances et l'administration
territoriale. En tout, 24
communes furent concernées et les préfectures de Gitarama et de Butare furent les plus touchées.
À Butare, outre le remplacement du préfet, le départ de cinq bourgmestres fut proposé par Pauline
NYIRAMASUHUKO, qui signala en outre une fronde des « autorités militaires qui ont refusé les

)0,1 Lors de j'arrivée
du FPR, il se réfugia à Kibeho. Suite à un appel radiodiffusé des nouvelles
rentrer à Rusatira, Il fut abattu par les militaires de l' APR sur le chemin du retour,
30ô Marié à une épouse tutsi.

135

autorités,

il décida de

ordres de mutation ». Sur les cinq communes visés (Mbazi, Nyabisindu,
Rusatira, Ndora et
Muganza),. seul le bourgmestre de Mbazi conserva son poste faute de candidat sur lequel se mettre
d'accord (cr. infra § 8.2.3., p. 138).
.
L'organisation
des visites de personnalités fut cependant variable selon les communes et les
nécessités. On notera ainsi que, selon des témoignages recoupés, plusieurs d'entre elles ne
reçurent pratiquement
pas de visites des autorités
nationales,
notamment
de Pauline
NYIRAMASUHUKO (Mbazi, Ndora, par exemple) et de Straton NSABUMUKUNZI, ou même
préfectorales. Par contre, Callixte KALIMANZIRA apparaît omniprésent, soit pour accompagner
les personnalités en visite, soit à titre personnel. Sa présence fut notamment relevée à plusieurs
reprises à Mbazi, à l'insu du bourgmestre.
En ce qui concerne les préfets, Sylvain NSABIMANA ne semble guère s'être déplacé hors de
la périphérie immédiate de Butare Ville, et son successeur n'eut guère le temps de le faire entre sa
nomination le 20 juin et sa fuite le 3 juillet. Seules' des tournées de sous-préfets sont
systématiquement
mentionnées pour aider les autorités communales à régler des problèmes
courants ou des conflits majeurs (comme la distribution des parcelles et terres vacants) dans les
communes de leur ressort.
En outré, plusieurs bourgmestres insistent sur le fait qu'il n'y eut pas d'ingérence de miliciens
extérieurs à .leurs communes. En effet, une fois le ralliement ou la neutralisation du bourgmestre
et de ses fidèles acquis, le processus pouvait être entièrement
endogène.
Ces extraits de
témoignages', sont parfaitement révélateurs de l'auto-entretien
du processus: «il n'y avait pas de
visites car 'les autorités étaient sûres que [le bourgmestre]
allait défendre les "intérêts du parti »,
«dans la commune, l'autodéfense
civile des autorités n'est jamais devenue opérationnelle. Les
conseillers de secteur ont déclenché le chaos à titre individuel. »
D'une manière générale, dans le contexte de guerre, les responsables locaux durent aussi faire
preuve d'initiative pour résoudre les problèmes qui se posaient à leur niveau. Parmi ces problèmes
figuraientr- bien
évidemment
les questions
d'administration
courante
(déplacements,
approvisionnements, fonctionnement des services publics notamment ceux à caractère social, etc.).
La question de la sécurité des biens et des pillages domina cependant toutes les 'autres.
Les pressions des administrés sur les autorités locales furent particulièrement vives alors même
que les massacres visaient les derniers survivants (notamment les enfants et les femmes), quant les
enjeux économiques prirent une acuité extrême. Les dernières victimes ne représentaient plus,
bien évidemment, un danger politique, mais un des problèmes qui divisait le plus les populations
et l'administration
territoriale concernait l'avenir des biens vacants, objets d'appropriations
indues de la part d'occupants
cupides et pressés. Dans cette optique, l'élimination de tous les
descendants et des femmes fut estimée nécessaire pour « libérer» définitivement les propriétés. A
la fin du mois de mai et au début du mois de j uin 1994, les bourgmestres furent invités par les
autorités préfectorales à régler le problème des réattributions et ils firent établir au niveau des
cellules et secteurs des listes du «patrimoine
abandonné»
et des «personnes
auxquelles ce
patrimoine Aurait été accordé» (cf. annexe 46, tome 3 : Recensement pour la commune Ngoma,
secteur Cyimana). Il s'agissait de régler définitivement
les controverses en cours nées de la
transmission des patrimoines et de la récupération spontanée des terres afin de ne pas renouveler
les conflits et les situations d'incertitude
juridique qui avaient prévalu au cours des années 60
après la révolution sociale.
À titre d'exemple, on peut mesurer l'importance
des troubles causés par la question des
pillages et de l'appropriation
des biens et parcelles vacantes à la lecture d'un courrier du
bourgmestre. de Nyakizu au sous-préfet de Busaro qui, après la phraséologie de rigueur sur «la
guerre qui nous oppose à l'ennemi », aborde la nécessité de résoudre ce qu'il appelle. par
euphémisme mais avec force «cette guerre-ci ». Ainsi, la création immédiate d'une commission
ad hoc chargée d'examiner
en urgence « tous les voies et moyens devant nous conduire à la
victoire » fut décidée et il ne manqua pas de volontaires pour la constituer!
(cf. annexe 47, tome
3). Quant à la commune Ngoma, elle organisait elle-même, sur le budget communal, la
récupération des marchandises entreposées dans les magasins des commerçants tutsi assassinés (cf.
annexe 48, tome 3).

136

8.2.3. Les affrontements

fratricides

Nous avons vu précédemment comment les autorités mirent en compétition les autorités locales
avec des prétendants à l'exercice du pouvoir qu'elles suscitaient. Ainsi, dans plusieurs communes,
de multiples pôles d'autorité s'affrontèrent
et instaurèrent des situations de' double ou triple
pouvoir.
Dans l'ensemble cependant, la gestion des cadres communaux resta déterminée par des critères
fonctionnels et les décideurs préfectoraux et nationaux firent en sorte de respecter au moins
formellement les équilibres politiques initiaux (à Ndora, un MDR remplaça un MDR), ou prirent
en compte les ascendants personnels des promus afin de leur conférer le maximum de légitimité
(KANDAGAYE à Rusatira, NDAYAMBAJE à Muganza, NDAHIMANA à Ntyazo, ... ). Des
situations confuses demeurèrent, mals ne compromettaient
pas l'économie
générale de la
démarche. On citera ainsi, la commune Muyira avec Adalbert MUHUTU qui cohabitait avec un
bourgmestre suppléant ou celle de Kigembe, où Bonaventure NKUNDABAKURA, chef du MDR
Power, soupçonné d'avoir fait assassiner le leader de la tendance MDR-TWAGIRAMUNGU à la
fin avril, se retrouva ensuite associé à Bernard MUTABARUKA, chef de la CDR pour conduire les
massacres en lieu et place du bourgmestre Symphorien KAREKEZI qui devint leur cible.,o7
Une place à part doit cependant être accordée à la commune de Mbazi dont le contrôle
politique donna lieu à une compétition ouverte des dirigeants nationaux tout au long de la guerre.
La commune fut soumise à de fortes pressions contradictoires de la part des personnalités
originaires qui entrèrent dans une compétition
mortifère en utilisant plusieurs groupes de
miliciens obéissant aux différents partis et persoimalités.
Citons tout d'abord, Jean-Baptiste KAGABû, ex-bourgmestre
«historique », élu et réélu en
1963, 1967 et 1971, devenu avec le multipartisme vice-président de la CDR préfectorale. Il ne se
manifesta guère ouvertement jusqu'en avril 1994, puis il œuvra ouvertement pour reprendre la
direction de la commune avec le soutien des responsables locaux. du MRND. Le bourgmestre,
Antoine SIBüMANA, MRND se déclarant sans étiquette, se trouvait très isolé aussi bien par
rapport au MDR représenté
par Félix SEMW AGA, au MRND supporté
par la famille
NTAHOBARI et au PSD renforcé par la nomination du 'préfet NSABIMANA, originaire. Hostile
aux massacres dans un premier temps, il s'y rallia parmi les derniers bourgmestres. Sans jamais
être en mesure de maîtriser les événements, il en épousa les tendances dominantes de manière
opportuniste et gagna le surnom de « bouffon »: parmi les politiciens.i" D'une manière générale,
la commune Mbazi fit l'objet d'une attention particulière de la part du couple KALIMANZlRANYIRAMASUHUKO.
Du fait des rivalités politiques exacerbées et de la contestation de la
prééminence du MRND, Callixte KALIMANZIRA
administra en quelque sorte cette commune
proche de Butare en gestion directe.' Il Y entretenait ses propres réseaux. MRND/CDR et y
organisait, avec ou à l'insu du bourgmestre, diverses réunions, y compris pour la coordination des
barrières (cf. annexe 49, tome 3). J'ai déjà mentionné, à l'échelon de la préfecture (cf. supra §
5.3., p. 85), la structuration d'un groupe de miliciens MDR Power financés par Félix SEMWAGA
sur une base anti-MRND.J09 Ce groupe est souvent décrit comme rival de celui de Shalom
NTAHOBARI, qui, lui aussi, aurait recruté activement dans la commune d'origine de la famille
NTAHOBARI.

JO? Marié à une femme
tutsi dont la famille fut massacrée, il n'aurait pas, d'après lui, quitté son domicile du 19 au 29
avril (témoignage recueilli à la prison de Karubanda Je 20 novembre 2001).
JOB Succédant
à 1.-B. KAGABO et Nicodème LIBANJE, deux politiciens
professionnels
d'envergure, Antoine
SœOMANA bénéficia dès sa nomination
en 1985 d'une image atypique. Il fit partie des premières générations de
bourgmestres diplômés de J'université et était titulaire d'une maîtrise d'Anthropologie.
On peut imaginer que ce profil
de formation explique pour une part la différence, voire la distance, qu'il entretint avec les préoccupations dominantes
de ses collègues bourgmestres.
Gestionnaire
médiocre,
il n'était pas non plus, comme ses deux "grands»
prédécesseurs, un politicien madré, ni un chef autoritaire au point où il paraissait irrésolu dans une commune qui abritait
de fortes personnalités. Le rapport établi à son sujet par le préfet HABYALIMANA rend bien compte de cette attitude:
"Monsieur
SmOMANA Antoine fait des efforts pour se montrer à la hauteur de ses tâches. Malgré les intrigues qui
règnent dans sa commune, il parvient à s'organiser."
(cf. annexe 50, tome 3) D'après les témoignages recueillis, sa
longévité tint pour l'essentiel au fait qu'il était très apprécié par la population.
)Q9 Ce dernier
s'était démarqué localement en janvier 1994 de l'alliance privilégiée avec le MRND et les jeunesses
Interahamwe que les dirigeants nationaux du MDR Power préconisaient alors. L'hostilité au J'v[RND demeurait forte dans
la commune Mbazi. Félix SEMW AGA, homme puissant
et soutenu, notamment par Jean KAMBANDA et Froduald
KARAMffiA ainsi que par les grands commerçants du MDR Butare - Venant GAKWAYA, secrétaire de la Chambre de
commerce du Butare, et Isaac MUNYAGASHEKE - , proclamait
publiquement dans les rues de Butare avec les hautsparleurs installés sur son véhicule Peugeot 305 " akazu. karahiye » (l'akazu va brûler).

137

Leur rivalité aurait atteint un point de non-retour en mai et JUln 1994, puisque lors des
tentatives de reprise en main de la commune orchestrées par Callixte KALIMANZIRA et Pauline
NYIRAMASUHUK031o,
diverses attaques furent organisées, d'après les déclarations de l'intéressé
et de nombreux autres témoignages (cf. annexe 51, référence Kû226526, annexe 52, références
K0227559-56ü,
annexe 63,· références K0226460,
tome 3), à l'initiative
de Callixte
KALIMANZIRA et de Shalom NTAHOBARI à Mbazi pour éliminer Félix SEMW AGA. Elles
échouèrent toutes du fait de la résistance de ses partisans et des militaires qui avaient été affectés à
sa protection avant même le mois d'avril 1994.311 Kantano HABIMAN A sur RTLM s'en prit à
plusieurs reprises à Félix SEMW AGA et Sylvain NSABIMANA, censés héberger des Tutsi dans le
secteur Gatobotobo. L'attaque la plus importante fut organisée le Il mai avec la participation de
plusieurs centaines de personnes.
La contre-offensive fut radicale et visa certaines des personnalités d'importance
qui avaient
elles-mêmes conduit les attaques contre Félix SEMWAGA. En effet, le 25 mai 1994, Jean-Baptiste
KAGABO, bourgmestre historique et vice-président préfectoral de la CDR, fut arrêté lors d'une
réunion à la commune par des militaires conduits par le sergent-major V énuste GATW AZA (hutu,
Kibuye)J12 avec huit autres personnes et tous furent peu après abattus. Parmi les victimes figuraient
notamment les deux fils miliciens de Jean-Baptiste KAGABü, le président de la CDR Mbazi et
chef milicien MASUMBOKO et le conseiller de secteur Emmanuel SAKINDI, tutsi, officiellement
hutu. L'explication
que les autorités communales
voulurent retenir fut que Jean-Baptiste
KAGABû aurait utilisé à des fins personnelles des fonds donnés par les dirigeants préfectoraux de
la CDRpour
l'organisation
des milices locales ... S'il n'est pas prouvé que Félix SEMWAGA
(voire Sylvain NSABIMANA). fu(ren)t le(s) commanditaire(s)
directes) des assassinats'", ils en
furent au moins les bénéficiaires
immédiats.
Ainsi, Félix. SEMWAGA bénéficia
d'une
responsabilité préfectorale d'importance
en étant nommé par le préfet NSABIMANA viceprésident de l'autodéfense civile (cf. infra § 8.4., p. 150 sqs).
Une des attaques parmi les plus importantes fut, d'après Félix SEMWAGA, organisée suite à la
tenue d'une réunion préparatoire la veille à Mwurire qui aurait été coordonnée
par Callixte
KALIM;ANZIRA
et Shalom
NTAHOBARI.
Si l'on
recoupe
l'agenda
de Pauline
NYIRAMASUHUKO avec les dates des attaques, il s'agirait de celle du 6 juin (cf. annexe 52,
tome 3, référence K0227560),
l'agenda mentionnant
une réunion à l'Atelier de Mwulire de
Mbazi le' 4 juin.
Toutefois, le rapport de force redevint favorable aux miliciens de Shalom NTAHOBARI et aux
partisans de Callixte KALIMANZIRA après le renvoi du préfet NSABIMANA et la nomination
d'Alphonse
NTEZILYAYO. La vengeance fut tardive mais à la mesure de l'affront.
Félix
SEMW AGA put le constater au début juillet lors d'une embuscade dont il fut victime. Elle fut
organisée avec l'appui du bourgmestre de Maraba, Jean-Marie Vianney HABINEZA, et, d'après
un témoin visuel, en présence de Pauline NYIRAMASUHUKO, à un barrage routier à Kizi après
Sovu lors de la fuite de l'intéressé et de ses proches vers Gikongoro (cf. annexe 53, référence
K0226480). Si Félix SEMW AGA réussit à sauver sa vie (apparemment en échange de l'abandon
de ses biens), plusieurs personnes qui l'accompagnaient
furent tués par les policiers communaux,
et notamment deux de ses quatre enfants (annexe 54, référence Kü226547, tome 3).
Le cas de Mbazi illustre de manière caricaturale la responsabilité et l'engagement
personnalités qui instrumentèrent les massacres pour asseoir leur propre hégémonie
groupe des organisateurs des massacres et du génocide.

direct des
au sein du

8.3. Le rôle des autorités militaires
La sphère militaire n'échappa
pas, elle aussi, à la complexité butaréenne déjà relevée dans
d'autres domaines. La situation qui prévalut aux débuts du génocide put même apparaître comme
totalement paradoxale. Non seulement les deux têtes de l'exécutif politique étaient des originaires
JIO

Notons que Pauline NYIRAMASUHUKO

ne se serait pas elle-même

rendue dans la commune Mbazi pendant toute

la période du génocide.
JI' Il s'agît là d'une protection
exceptionnelle
qui bénéficia de l'appui des dirigeants nationaux du MDR Power qui
lui étaient proches, notamment
Jean KAMBANDA. Elle fut accordée personnellement
par le commandant du camp
Ngoma, Ildephonse HATEGEKIMANA,
lui aussi originaire de la préfecture de Gitarama, commune Mugina,
m Le nom de ce militaire, installé à Butare et marié à une femme de Huye, apparaît fréquemment dans les opérations
spéciales menées dans la préfecture.
m La décision de faire éliminer le vice-président de la CDR préfectorale par des militaires avait nécessairement
été
prise ou couverte à un niveau politique supérieur à celui de Félix SEMW AGA, même si ce dernier bénéficiait de ses
propres réseaux parmi les militaires.
138

de Butare, mais les deux états-majors des forces armées et de .la gendarmerie furent confiés, pour
le premier, au commandant de la brigade de Butare et, pour le second, à un originaire de Butare \
Les antécédents de ces deux officiers supérieurs étaient pourtant diamétralement opposés. Le
premier, l'actuel général de brigade BE"tJ Marcel GA TSINZI (hutu; Kigali) était, avant le 6 avril
1994, commandant de l'ESO à Butare (Ecole des Sous-Officiers). Etant l'officier le plus gradé à
Butare, il fut parallèlement le commandant de la région militaire de Butare qui s'étendait
également sur Gikongoro (commandant de place et de circonscription). La région militaire
devint
4
en 1993 le secteur
Butare {bien que sans opérations militaires dans la région).31

ors

Ex-chef des opérations à l'état-major (bureau 03), Marcel GATSINZI tomba en disgrâce à la
fin des années 80 en même temps que son épouse, une des dirigeantes du mouvement féministe
national (cf. supra § 2.5.2., p. 33), et fut affecté en août 1989 à l'ESO à Butare, préfecture où
une affectation pouvait être perçue comme une mise à l'écart sur le plan de la carrière pour les
officiers. Le 3 octobre 1990, il fut appelé au front, retourna à Butare le 12 du même mois, puis
participa à des négociations régionales à partir du 24 octobre à Goma sous les ordres du colonel
Pierre-Célestin RWAGAFILlTA (hutu, Kibungo}. Le colonel Marcel GATSINZI fut ensuite
affecté au suivi du GOMN 1 (qui regroupait des officiers des pays limitrophes du Rwanda sauf la
Tanzanie), puis en 1991 au GOMN 2 à Byumba. Nommé commandant ad interim du secteur
opérationnel du Mutara-Gabiro en mars 1992 pour le mettre à l' épreuve'", Marcel GA TSINZI fit
l'objet de nombreuses oppositions des officiers du clan présidentiel, notamment du colonel
Laurent SERUBUGA (hutu, Gisenyi). En avril 1992, alors que la mise en place du gouvernement
pluripartite de Disrnas NSBNGlYAREMYE donnait lieu à un vaste mouvement de mutation au
sein de l'armée et à divers rattrapages de carrière au profit d'officiers non-O'TP, toute promotion
fut bloquée par le président Juvénal HABYARIMANA. Celui-ci s'opposa personnellement aux
trois affectations successives proposées par le ministre de la Défense, James GASANA: chef
ct' état-major de l'armée, chef d'état-major de la gendarmerie, puis chef de cabinet du ministre.
Son retour à la direction de l'ESO à Butare d'avril à juillet 1992 équivalait certes à une mise à
l'écart, mais il aurait pu rester totalement sans affectation. Après la mise en vigueur du cessez-lefeu en août 1992, il fut placé à la tête des officiers des FAR au sein du GOMN jusqu'en octobre
1993, puis retourna à nouveau à Butare où 'il repris ses fonctions jusqu'en avril 1994. Entre
temps, le major Bernard NTUYAHAGA (hutu, Kibuye), commandant de camp Ngoma, assura en
tant qu'officier le plus ancien dans le grade le plus élevé les fonctions
de commandant de place
316
Butare-Gikongoro sans commandement opérationnel et dirigea l'ES0
jusqu'en février 1992 .. À
cette date, le colonel Déogratias NDIBWAMI (hutu, Gisenyi), longtemps emprisonne'
et
nouvellement réintégré dans l'armée et le grade, fut nommé commandant a. i. de l'ESO et
commandant de place à Butare. Il occupa ces fonctions jusqu'au retour du colonel GATSINZI en
octobre 1993.
Ce fut pourtant lui que le groupe d'officiers présidé par le colonel Théoneste BAGOSORA, en
présence du général canadien Roméo DALLAIRE et du colonel belge Luc MARCHAL, nomma,
sur la base du critère de l'ancienneté et du commandement de secteurs opérationnels, chef d'étatmajor ad Interim des FAR dans la nuit du 6 au 7 avril 1994 suite au décès du général-major
Déogratias NSABIMANA (hutu, Ruhengeri) quelques heures plus tôt dans l'avion présidentiel.
La raison de ce choix est complexe à analyser et recouvre des motivations multiples et
contradictoires. Signalons tout d'abord que le nombre des candidats n'était pas illimité. Ensuite,
on peut formuler l' hypothèse que certains acceptèrent ce choix pour que le poste soit confié à
une personnalité
sans trop d'ambition
que se plierait aux ordres et en assumerait les
114 La brigade
dont l'état-major devait être à Butare couvrait les préfectures de Butare, Gikongoro et Cyangugu
conformément à la structure décidée à Arusha, mais cette nouvelle structure n'était pas encore en place.
m Il remplaçait alors le général Déogratias NSABIMANA dans une région militaire qui était devenue indéfendable du
fait de l'absence
de moyens. Ses détracteurs lui firent endosser alors la réputation
de donner « le Mutare aux

Inkotanyi

».

À ce titre, il siégeait comme membre de droit aux réunions

du comité préfectoral de sécurité. Le 7 avril 1994 au
matin, le major Bernard Ntuyahaga, alors officier à l'état-major
de l'armée au bureau 04, conduisit au camp Kigali les
parachutistes
belges qui allaient y être massacrés. Il fut aussi poursuivi dans le cadre de l'assassinat
de la Première
ministre, Agathe UWILINGlYIMANA
et fut inculpé et incarcéré par le TPlR en 1998. Souhaitant qu'il soit jugé par la
justice belge, le bureau du Procureur retira ensuite son acte d'accusation.
Il fut libéré le 29 mars 1999 et arrêté par les
autorités tanzaniennes
saisies de deux demandes d'extradition
de la part de la Belgique et du Rwanda. Son cas n'est
JI~

toujours pas tranché à ce jour.
H7 Suite à l'assassinat
du colonel Stanislas MA YUY A, les officiers Mathias HAVUGWINTORE (major), Anselme
NKUUYEKUBONA (lieutenant-colonel)
et Déogratias
NDIBW AMI (lieutenant-colonel)
avaient été arbitrairement
incarcérés,

puis accuses d'atteinte

à la sécurité de l'État.
139

conséquences. Notamment les décisions les plus contestables. Les autres, que l'on qualifiera
d'officiers modérés, et qui étaient plutôt favorables à Marcel GATSINZI, appuyèrent ce choix
sans y percevoir un piège. Marcel GATSINZI fut invité à regagner Kigali la nuit même, ce qu'il
déclina pour des raisons de sécurité. Il fit le voyage de Butare à Kigali le lendemain dans le même
convoi militaire que Théodore SINDIKUBWABO, le futur président du GI.
Le second, le général-major Augustin NDINDILIYIMANA
(hutu, Butare) fut par contre un
des rares officiers supérieurs originaire du sud à échapper tout au long de sa carrière à la
discrimination régionale en matière d'accession à d'éminentes fonctions de pouvoir.?" Il accéda
ainsi successivement aux plus hauts postes politiques
et militaires. En février 1982, le
commandant BEM Augustin NDINDILIYIMANA" alors Gl à l'état-major de l'armée rwandaise,
fut nommé ministre de la Jeunesse et des Sports, Edouard KAREMERA (hutu, Kibuye, commune
Mwendo), qui venait lui-même d'être promu ministre à la présidence de la République charfl des
Affaires politiques, administratives et institutionnelles soutint activement cette candidature 9. On
ne peut cependant douter. que ce. choix était voulu personnellement
par le président
HABYARIMANA qui recomposait alors le noyau des militaires fidèles .après les défections ou
trahisons de nombreux officiers du nord. La réputation d'Augustin NDINDILIYIMANA était
d'être à la fois obéissant et peureux, Pour ce dernier, ce fut le début d'une longue et brillante
carrière ministérielle. Régulièrement reconduit au ministère de la Jeunesse et du Mouvement
associatif, il donna un certain lustre au poste et faisait partie des ministres respectés et efficaces. Il
ne fut pas non plus considéré comme un ministre faible, mais le qualificatif qui le décrivait le
mieux' était d'être un ministre soumis. Après un bref passage au ministère des Transports et
Communications en 1990, il accéda, dans le gouvernement
mis en place le 7 février 1991, au
premier rang protocolaire"? avec le titre de ministre à la présidence de la République chargé des
questions relatives à la Défense et à la Sécurité nationale. Il s'agissait néanmoins d'Une fonction
largment formelle: il ne disposa en effet que de quelques bureaux dans l'immeuble de la Caisse
d'épargne
à Kigali et n'avait guère de moyens:
il n'exerçait pas la tutelle des service de
renseignement (SCR) et n'avait pas d'emprise sur les états-majors.
Puis, lors de la mise en place du gouvernement
«d'ouverture»
de Sylvestre N sanzimana dans
iequel.le président Juvénal HABYARIMANA cessa d'être parallèlement chef du gouvernement et
ministre de la Défense, Augustin NDINDILIYIMANA
devint le premier titulaire du poste de
ministre de la Défense de la seconde République.
Quelques mois 'après, le gouvernement
pluripartite mit fin à sa carrière politique et il fut nommé le 12 juin 1992 chef d'état-major de la
Gendarmerie. Poste qu'il occupait le 6 avril lors du décès du chef d'état-major de l'Armée?"
L'intérim fut assuré dans un premier temps par la cellule de l'état-major, sous l'autorité du
ministère de la Défense. Normalement, cette cellule devait être commandée par l'officier le plus
gradé, à savoir le général-major Augustin NDINDILIYIMANA,
mais en l'absence d'un nouveau
chef de l'armée,
le chef d'état-major
de la Gendarmerie
n'était
pas automatiquement
promouvable et sa cooptation comme président du Comité de crise suscita une controverse entre
le colonel Théoneste BAGOSORA qui voulait occuper cette fonction et le général Léonidas
RUSATIRA qui soutenait la nomination
d'Augustin
NDINDILlYIMANA
comme officier
d'active à la tête d'un comité d'autres officiers d'active sans BAGOSORA qui n'était plus qu'un
« directeur de cabinet à la retraite »,
Augustin NDINDILIYIMANA ne refusa pas de présider le comité de crise, mais ne fit rien non
pius pour assumer cette responsabilité
et contrecarrer
les desseins du colonel Théoneste
BAGOSORA qui s'imposa provisoirement (6-7 avril). Dès le lendemain, le gouvernement fut mis
en place et le comité cessa d'exister sans avoir vraiment fonctionné.

)18 Son épouse,
Marie NAKURE, est,
RWAMAKUBA était un ancien député du
H~ Augustin NDlNDlLlYIMANA
était
no Depuis le gouvernement
nommé

elle aussi, originaire
de Butare (commune Huye), Feu son père, Déogratias
MDR-PARMEHUTU
(2''''"et 3<"" législatures de 1965 à 1913).
le parrain du fils d'Édouard KAREMERA.
le 22 avril 1980, ce rang prestigieux. revint sans discontinuer
à Siméon

NTEZILY AYO, qui fit fonction de premier ministre de facto,
ni Même du temps où le général-major Juvénal Habyarimana
était à la tête des forces armées, les deux états-majors
de l'Armée et de la Gendarmerie étaient séparés. Juvénal BABY A.RIWfANAétait chef de l'un et de l'autre, mais les deux.
fonctions étaient distinctes.
Il avait donc deux adjoints,
les colonels Laurent SERUBUGA et Pierre-Célestin
RWAGAFILlTA qui, tous deux, devinrent chefs d'état-major en décembre 1991 avec la mise en place du gouvernement de
Sylvestre NSANZIMANA et d'un ministère de la Défense qui assurait la liaison administrative
officielle entre les deux
états-majors. En avril 1994, les deux titulaires étaient le général Déogratias NSABIMANA, chef d'état-major de l'Armée
et le général-major Augustin NDINDILIYIMANA,
chef d'état-major de la Gendarmerie.
140

Le colonel Marcel GA TSINZI, membre du comité de crise, prit ses fonctions de chef d' étatmajor le 7 avril dans l'après-midi. Il fut choisi en tant qu'officier le plus ancien dans le grade le
plus élevé parmi les officiers ayant en charge un secteur opérationnel. Lui-même fut évincé par le
conseil de gouvernement qui promut Augustin BIZIMUNGU (hutu, Byumba) au grade de
général-major le 16 avril (arrêté du 18 avril) suite à l'annonce, le 15 avril, de sa nomination
comme chef d'état-major.
Parallèlement, le lieutenant-colonel
Gratien KABILIGI fut lui aussi
nommé général de brigade. Enfin, et dans le même mouvement, les colonels Marcel GATSINZI et
Léonidas RUSATIRA furent tous les deux promus au grade de général par le gouvernement
intérimaire pour compenser ces promotions fulgurantes et étonnantes.
Ces deux promotions marquaient le dénouement de longs contentieux. En effet, lors de la
promotion
au grade de général-major
d'Augustin
NDINDILlYIMANA
et de Déogratias
NSABINAMA en décembre 1993, outre le critère fonctionnel qui imposait le choix d'un officier
issu de la gendarmerie et un autre de l'armée, un équilibre avait prévalu entre un candidat du
nord et un candidat du sud. (aucun des deux pourtant n'était «à terme» du point de vue de
l'ancienneté dans le grade). Bien qu'étant un officier plus ancien, Léonidas RUSATIRA ne
pouvait obtenir l'assentiment ni de la présidence qui avait déjà « son » candidat du nord, ni de
l' « opposition» du sud dont le candidat 'naturel' était incontournable. Signalons en outre, que
les conditions de cette promotion déplurent à Augustin NDINDILIYIMANA
qui craignit de
passer pour up élu de l' ?pposition aux yeux de Juvé!1~l HABY ARIMAMA parce L$U' il avait. ~té
soutenu au sem du conseil de gouvernement par les rmmstres du PSD et du MDR.
La premlere
ministre Agathe UWILINGIYIMANA
envisageait cependant de relancer la candidature de
Léonidas RUSA TIRA avec l'appui des ministres MDR et PSD juste avant son assassinat?"
Les nominations au grade de général de brigade des colonels Marcel GATSINZI et Léonidas
RUSATIRA furent évoquées en Conseil de gouvernement
à Murambi par ceux qui, bien que
timidement, prônaient encore la modération et elles ne furent pas proposées par le ministre de la
Défense, Augustin BIZIMANA, qui n'avait pas apprécié le Communiqué du commandement des
FAR du 12 avril. Les nouveaux maîtres du pouvoir devaient cependant maintenir une cohésion au
moins apparente au sein des officiers supérieurs les plus anciens dont certains refusaient d'obéir
au nouveau général-major et qui exigeaient que les « scandales de carrière » soient corrigés. Par
exemple, le colonel RUSATIRA avait été dépassé à plusieurs reprises et, en avril 1994, accusait 8
ans d'ancienneté (dont 4 de retard) au grade de colonel. Deux autres arguments prévalurent dans
le cas de Léonidas RUSATIRA. En premier lieu, comme il était considéré «de sensibilité MDR »,
il s'agissait de complaire aux nouveaux membres promus du MDR au sein du gouvernement. De
plus, il importait d'équilibrer
la promotion d'un nordiste de Byumba par un nordiste de
Ruhengeri. Dans le cas de Marcel GATSINZI. à qui il manquait quelques mois poy.r être «à
terme ». il fallait atténuer l'effet provoqué par sa mise à l'écart rapide et brutale de l'Etat-major.
Les deux promus ne bénéficièrent en fait que des droits administratifs attachés au grade sans
fonctions spéciales.
..
Quant aux deux jeunes colonels promus ensemble en novembre ou décembre 1993, Augustin
BI,ZIMUNGU et Gratien KABILIGI, ils étaient issus respectivement des 13" et p. promotions de
l'Ecole supérieure militaire, bien loin derrière les deux anciens colonels (ô"?" pour Léonidas
RUSATIRA et 90mc pour Marcel GA TSINZI). Aucun des deux ne figurait sur la liste des officiers
«à terme », c'est-à-dire
ayant l'ancienneté
requise dans le grade pour postuler au grade
supérieur. Le second, Gratien KABILIGI, accéda au grade de colonel alors même qu'il ne figurait
qu'en li·m• position sur la liste des lieutenants-colonels
promouvables établie par la Commission
d'avancement...
Les deux étaient déjà promus au plus hautes responsabilités.
Augustin
BIZIMUNGU venait d'être désigné comme futur commandant d'une des quatre brigades prévues
par l' Accord de paix d'Arusha. Les promotions, dans leur cas, étaient couplées à des fonctions
éminentes. Le premier. comme nous l'avons déjà dit devenait chef d'Etat-major,
et le second
succédait à Augustin BIZIMUNGU au poste de commandant de secteur Ruhengeri.
Vis-à-vis des deux colonels 'anciens' promus généraux de brigade, GATSINZI et RUSATIRA,
le fait même de se voir imposer comme général-major
et chef hiérarchique, un candidat «non
classé » par la Commission d'avancement équivalait à un affront. L'affront était d'autant plus
fort gue Léonidas RUSATIRA était personnellement
« chef de promotion»
(officier le mieux
m Il fut communément

perçu comme «l'homme

d'Agathe

», la première

ministre.

Les deux étaient originaires

de

la même commune de Nyaruhengeri en préfecture de Butare.
m On trouve dans l'agenda de Pauline NYIRAMASUKO
mention de cette intention qui fit l'objet du premier point à
l'ordre du jour d'une réunion des ministres du MRND tenue le 2 avril;
«Conseil
des ministres projeté par 1" Min istre
pour examiner le dossier du colonel Rusatira qu'elle voudrait voir devenir Général. En profiter pour grader les autres. »
141

classé de sa promotion) et qu'Augustin BIZIMUNGU était le dernier de sa promotion ... En outre,
le fait d'être promu général de brigade en même temps qu'un lieutenant-colonel
mal classé
scandalisa le corps des colonels. Si les officiers supérieurs étaient familiers des décalages entre les
grades administratifs et les fonctions, distorsions liées à des considérations
politiques et «de
mérite» souvent fort complexes, de telles manipulations de carrière faussaient jusqu'aux relations
de respect entre les individus. Il n'est donc pas exagéré de soutenir que ces décisions arbitraires
expliquent pour une part non négligeable les faibles performances militaires du commandement
des FAR au cours de la guerre.
Le commandement de certaines unités de la Gendarmerie - celles au front - avait déjà été
rattaché au chef d'état-major de l'armée au cours du conflit, d'autres le furent dès le 8 avril, mais
l'état-major de la Gendarmerie resta en fonction pour les unités des préfectures du centre et du
sud dont celle de Butare.ï" Le général-major Augustin NDINDILlYIMANA,
proposé comme
ambassadeur à Bonn avant l'attentat du 6 avril, se vit refuser l'agrément des autorités allemandes
suite à un renouvellement de. sa demande effectuée par le or et resta donc en fonction jusqu'à
son départ à l'étranger avant la fin de la guerre en juin 1994.
À Butare, le général de brigade Marcel GATSINZI fut remplacé comme commandant de l'ESO
et commandant de la brigade de Butare (qui n'existait pas formellement) le 8 avril 1994 par le
colonel Tharcisse MUVUNYI (hutu, Byumba, commune Mukarange) qui le secondait à l'ESO.
Cette prise de fonction ne fit pas l'objet d'une nomination officielle par le conseil de
gouvernement comme il était d'usage pour le commandement
des écoles militaires. Il fut promu
d'office comme responsable temporaire en tant qu'officier le plus ancien dans le grade le plus
élevé localement. 11n'y eut pas non plus de remise-reprise verbale entre Marcel GATSINZI et son
successeur. Marcel GATSINZI reprit formellement les fonctions de commandant d'armée pour
les préfectures de Butare et de Gikongoro le 15 avril après avoir été remplacé au poste de chef
d'état-major. Dans les faits, il ne fut pas présent à Butare lors de la phase des massacres intensifs
puisqu'il fut membre de la délégation chargée de négocier avec le FPR.à Gbadolite et Arusha, Il
quitta Murambi, où le GI s'était installé après sa fuite de Kigali, le 22 avril pour n'y revenir que le
13 jriai d'où il regagna Butare.32S Suspendu pour une quinzaine de jours juste après le retour du
général GATSINZI, le colonel Tharcisse MUVUNYI fut muté fin mai et remplacé le 6 juin par un
officier butaréen originaire de Huye, le colonel François MUNYENGANGO, nommé par le
conseil de gouvernement. François MUNYENGANGO fut considéré comme un officier pendant
longtemps soumis aux volontés de l' akazu'" et qui, sans vraisemblablement
approuver les
massacres, ne s'y opposa pl).s. C'est lui qui reprit le commandement
de la brigade de Butare au
début. du mois de juin lorsque Marcel GA TSINZI fut rappelé à .. Kigali pour relancer les
négociations avec le FPR représenté par le colonel Franck MUGAMBAGE et notamment préparer
les réunions du sommet de l'OUA des 13-14 juin. Marcel GATSINZI né revint à Butare que le 24
juin, peu avant l' arri vée du FPR.
L-e 19 avril, après la visite des autorités, le colonel Tharcisse MUVUNYI a réuni les officiers au
camp pour leur dire en substance «qu'il faut suivre les ordres des autorités ». Il s'est alors attaché
les services du sous-lieutenant Fabien NIYONTEZE (hutu, Ruhengeri), qui secondait le chef du
camp de Ngoma, pour des tâches spéciales dont notamment l'assassinat
de lam Reine Mère
MUKADE et de Rosalie GICANDA, veuve du mwami Mutara III RUDAHIGWA.
Toutefois,
d'une manière générale, les rapports du colonel Tharcisse MUVUNYI avec les ministres
butaréens, Pauline NYIRAMASUHUKO et Straton NSABUMUKUNZI, étaient tendus car il était
jugé trop timoré dans la conduite du génocide (cf. supra § 8.4, note 356, p. 152). C'est pourquoi,
les autorités politiques utilisèrent au mieux et concurremment
les services des différentes unités
présentes à Butare: les gendarmes de Tumba, l'ESO et le camp Ngoma. Indéniablement, elles
)14

Elles étaient

sous les ordres du colonel

Paul RW ARAKABIGE

(hutu, Ruhengeri),

officier G 3, en \' absence du

général Augustin NDINDILIYIMANA.
m À la mi-mai, le ministère de la Défense ordonna de réinstaller
l'ESM à Butare ou à Nyanza et de recruter une
nouvelle promotion. Le général Marcel GATSINZI et le colonel Balthazar NDENGEY1NKA, qui commandait le secteur
opérationnel
du Bugesera, envoyés en reconnaissance,
retinrent Nyanza où le général Léonidas RUSATIRA s'installa
vers le 15 mai. Moins d'une semaine après l'installation
à Nyanza, !'ESM et ses candidats recrues furent transférés à
Kigerne (Gikongoro) du fait de l'avancée rapide du FPR.
)26 Au service
de Protais ZlGIRANYIRAZO quand il fut en poste

à Ruhengeri,

puis du colonel

Élie SAGATWA

lorsqu'il fut affecté à Gako.
J27 Rosalie
GlCANDA et l'ensemble
des personnels de maison (chauffeur, femme de ménage ... ) furent enlevés par
des militaires et tués dès le 20 avril, le lendemain du passage des autorités nationales.
La reine mère fut retrouvée morte
sans avoir apparemment subi de violences directes (témoignage,
Belgique, 23 janvier 2002). Cet assassinat connut un
grand retentissement local, L'aide du bourgmestre KANY A.BASHI fut sollicitée vainement par Rosalie GlCANDA.

142

préféraient traiter avec le capitaine Ildephonse NIZEYIMANA (hutu, Mu tu ra, Gisenyi'"}, sous les
ordres de Tharcisse MUVUNYI, mais qui semblait jouir d'une assez grande autonomie d'action.
Jusqu'au début du mois de mai, où il fut affecté dans la préfecture de Gikongoro, Ildephonse
NIZEYIMAN A peut être considéré comme celui qui mettait en œuvre pratiquement les opérations
militaires avec les politiciens et les milices Interahamwe, notamment dans la ville de Butare'" où il
agissait de concert avec le lieutenant Ildephonse HA TEGEKIMANA (hutu, Gitarama, commune
MuginallO, chef du camp de Ngoma secondé par le sous-lieutenant NIYONTEZE.
Nous avons déjà eu l'occasion d'insister à plusieurs reprises sur le rôle local éminent du
capitaine NIZEYIMANA. On retrouve là le phénomène
classique de la double hiérarchie des
réseaux de pouvoir mise en place" dans l'ensemble
du pays par les originaires de Gisenyi (cf.
supra § 5 et 6) et notamment au sein du commandement
militaire. Ainsi, lorsgue le major
~er!1ard NTUy"AHAp~ fit ~~~4aP..wk..Rl~ç,~
a\! "~Q.1JJ]I~~J22.k.2.~
...""Je
ca rt 'ne NIZEYIMANA ., ea à lusieurs re rises .illJ~"Ç.QIDi1~...p.r.éi~Çj;QtJlL..d!1~fcurité
en tantgue
r résentant comme l'indi uent plusieurs procès-verbaux des réunions. En fait, ~ptëtêiîücre la
orte ro atton des hauts gradés affectés à Butare, les « seconds» assurèrent d'une certaine façon la
continuité du service et bénéficièrent auprès des sous-officiers et des hommes de troupes d'une
autorité bien supérieure à leur grade effectif.
lldephonse HATEGEKIMANA fut lui aussi muté au cours du mois de rnai'" et remplacé par
le major Charles NTAMBAB AZI (hutu, Gikongoro},
Frère de feu le ministre Frédéric
NZAMURAMBAHO, en poste à. Kanombe, celui-ci avait sollicité du chef d'état-major
une
mutation dans le sud pour se mettre à l'abri des menaces qui pesaient sur lui en tant que complice
présumé des Inkotanyi. Dans les faits, il fut à Butare aussi victime d'un fort ostracisme politique et
n'exerça aucune fonction significative. Soupçonné
d'affaiblir
la défense de Butare, il fut
presqu'aussitôt
affecté sur décision signée du ministre de la Défense (et non du chef d'étatm~jor) au ,MINADEF: Aff~ct~tion qu'il refusa .. ,JSjfu,giéàs
j:.Ql~igj'p><~;_à
g~konggro, l!..fu.t1.§tbasseet lal.§§S.•;I;l.•Q),ll.."J.;!}Ql!,: A la ml-JUin, 11 reçut FOrare de gagner Gisenyi ou le
venait de s'instal1ëÏ'âj?"fêSla prise de Gitarama par l'APR. Hospitalisé, il refusa une nouvelle
fois de rejoindre le poste. Il fut ensuite évacué par les militaires français sur Bukavu, Son
successeur à la tête du camp Ngoma fut Bernard NTUYAHAGA, qui renouait avec les fonctions
déjà exercées en 1992-93,

~~ezrnm.~..

.Au total, environ cent cinquante militaires étaient stationp~J
!il,lter.e. La faiblesse des effectifs
explique l'Imbricatioii" cons tante "avec les groupes de miliciens et le recours à des militaires
retraités et à des policiers communaux pour inciter les populations aux massacres partout où
l'armée ne pouvaient conduire .les opérations elles-mêmes. Elle explique aussi l'absence de
discipline militaire et l'insécurité que fit régner la soldatesque parmi les administrés. Le caractère
systématique des exactions dont des Hutu étaient eux-mêmes victimes (pillages, meurtres, viols)
sur les barrières et dans les quartiers déclenchèrent
de nombreuses plaintes et furent à l'origine
des tentatives de reprise en main du mois de mai (cf. annexe 55, tome 3).
La situation ne fut pas plus simple au niveau du groupement de gendarmerie de Butare dont le
commandant, le major Cyriaque HABY ARABATUMA
(hutu, Gikongoro J, bénéficiait d'une
réputation d'homme
modéré pour être intervenu en faveur de Tutsi arbitrairement arrêtés en
octobre 1990. Mais ses décisions étaient fréquemment
contestées ou non appliquées par son
second, le major Alfred RUSIGARIYE (hutu, Ruhengeri, commune Gatonde) qui menait sa
propre politique en liaison avec le capitaine Ildephonse NIZEYIMANA. A partir du 6 avril, le
major Cyriaque HABY ARABA TUMA soutint l'attitude hostile aux massacres et au génocide
ln Certains
documents indiquent qu'il serait originaire
de la commune Mukingo de Ruhengeri. D'après nos
informations, il est originaire du lieu-dit Kora en commune Mutura à proximité de la préfecture de Ruhengeri.
m Jusqu'à la mutation de l'intéressé
hors de Butare, le domicile d'lldephonse
NlZEY1M.ANA servit de Heu de
coordination aux divers groupes d' lnterahamwe. Shalom NTAHOBARl était un des visiteurs réguliers au domicile du

capitaine.
))Q Dès le 9 avril, jour de l'installation
du gouvernement intérimaire, ce lieutenant eut droit aux honneurs de l'agenda
de Pauline NYIRAMASUHUKO pour ses faits d'armes:
Li HATEGEKIMANA ngo nji umuhutu de Gitarama ngo yaba
yaricishije abatuesi bahunga (Lieutenant HATEGEKIMANA serait un hutu de Gitararna et aurait fait tuer des Tutsi en
fuite).

)) 1 Sa mutation
apparaît directement liée au soutien explicite qu'il apportait à Félix SEMW AGA dans l'affrontement
fratricide que ce dernier entretenait avec le binôme NY ARAMASUHUKO-KALIlvlANzrRA.
N'ayant pu retrouver la date
exacte de la remise-reprise avec son successeur, nous ne pouvons cependant corroborer les propos de plusieurs témoins
selon lesquels l'assassinat des dirigeants de la CDR de Mbazi, qu'il couvrit ou organisa avec l'appui des dirigeants du
MDR, aurait été considéré comme une provocation vis- à-vis des dirigeants du MRND.

143

précomsee par le préfet Jean-Baptiste HABY ALIMANA et rencontra des difficultés pour
contrôler certains groupes de gendarmes activistes notamment avec la compagnie basée à
Nyabisindu sous les ordres du capitaine François-Xavier
BIRIKUNZIRA (hutu, Gitarama,
commune
Nyamabuye),
commandant
de
compagnie
GD.
Le
major
Cyriaque
HABYARABATUMA
fut muté à Kigali le 19 avril en même temps que le préfet
HABYARIMANA était destitué.332 Le major Alfred RUSIGARlYE lui succéda. Il fut lui-même
remplacé en mai333 par le capitaine Jean de Dieu MUGABO (hutu, Gisenyi) nommé commandant
ad Interim. Les effectifs du groupement de gendarmerie atteignaient quelque cent personnes pour
l'ensemble de la préfecture.

8A. L'autodéfense

civile

Lors du conseil des ministres·du 23 avril 1994 (point 2 de l'ordre du jour), dans le cadre de la
politique de pacification du pays, selon l'expression officielle, le gouvernement intérimaire avait
désigné des ministres responsables pour chaque région. Pauline NYIRAMASUHUKO
se vit
notamment attribuer la préfecture de Butare (cf. aussi infra § 8.4.1., encadré n° 11, p. 146 et §
8.5., p. 157 sqs). Son activisme et le fait qu'elle résidait sur place avec sa famille justifièrent le
choix du gouvernement pour cette préfecture. C'est donc elle qui prit sous sa responsabilité les
divers regroupements et transferts de réfugiés tutsi préalables à leur massacre. Ceci explique ses
nombreux déplacements à Butare et sa présence dans plusieurs communes de la préfecture, à
l'exclusion semble-t-il, des communes où elle avait des attaches familiales." Lors des visites du
premier ministre Jean KAMBANDA
dans la préfecture,
c'est elle qui généralement
l'a"ccompagnait. Du fait de ses fonctions officielles et de ses propres initiatives, du fait de la
régularité de sa présence et du grand nombre de ses tournées dans la préfecture avant et après les
massacres, elle peut être considérée au même titre que Callixte KALIMANZIRA comme les deux
témoins officiels parmi les mieux informés de la situation sur le terrain et les deux acteurs les plus
impliqués dans la préfecture de Butare. Le nom de Straton NSABUMUKUNZI
est lui aussi
associé à certains des visites ou des meetings de Pauline NYIRAMASUHUKO.

m Après la victoire du FPR, Cyriaque HABYRABATUMAfut le premier officier des ex-FAR intégré dans l'APR. Il
connut une carrière brillante et était commissaire général adjoint de la Police lorsqu'il fut arrêté le 6 février 2004 et
poursuivi pour actes de massacres à grande échelle et de génocide commis dans la province de Butare. Actes comprenant
notamment l'assassinat, l'association ou la formation d'associations de malfaiteurs, la distribution d'armes à feu, etc.
Exhibées dix ans après la guerre et largement médiatisées par le journal gouvernemental lmvaho Nshya (n" 1536 du 1622 février 2004), ces accusations iniques au regard de l'héroisme dont l'intéressé fit preuve tout au long de la guerre et de
la réputation d'intégrité dont il avait toujours bénéficié étaient l'aboutissement d'un long processus d'élimination
(assassinats, disparitions, arrestations, fuites à l'étranger) de la quasi totalité des officiers issus de l'armée vaincue par
le nouveau pouvoir militaire qui contrôle le pays. Accessoirement, celui-ci neutralise ainsi les témoins des exactions
commises par J'APR au cours du conflit et plus particulièrement lors de la prise de pouvoir. Les crimes de guerre et
crimes contre l'humanité imputables à l'APR furent particulièrement nombreux dans la préfecture de Butare en juillet et

août 1994.
ln Vraisemblablement aux alentours du 16 mai (agenda PN). Cf. aussi encadré n? 11, p. 146.
»4 De la même manière que Pauline NYIRAMASUHUKO ne se serait guère déplacée au cours des mois d'avril-juillet à
Mbazi. la commune d'origine de son mari, elle n'aurait pas séjourné à Ndora, sa commune de naissance, hormis une
brève traversée en véhicule officiel escorté avec le premier ministre et un aller-retour pour prendre des affaires
personnelles avant de partir pour Gisenyi puis au Zaïre. Le fait qu'elle ne se soit pas occupée de sa propre mère au cours
de ces trois mois, ni même envisagé de la récupérer, y compris lors de la fuite générale devant l'arrivée du FPR, a
beaucoup surpris les résidents de la commune.
144

Tableau n" 13 : Liste non exhaustive des réunions et interventions de mobilisation
politique auxquelles Pauline NYIRAMASUHUKO participa dans la préfecture de
Butare entre le 6 avril 1994 et le 18 juillet 1994
• Jeudi 14 avril: réunion commune Runyinya (agenda PN, 14/04)
• Mardi 19 avril: installation nouveau préfet de Butare avec or (agenda PN, 10/-11/02)
• Samedi 7 mai: réunion avec le Comité d' Inzerahamwe de Butare (agenda PN, 25-26/01)
• Mardi 10 mai: réunion avec les jeunes de tous les partis à Butare (agenda PN, 10/05)
• Mercredi 11 mai: réunions communes Nyabisindu et Rusatira (agenda PN, 11/05)
• Lundi 16 mai: conseil de sécurité de Butare (agenda PN, 30-31/01, 19·20102, 22/02). Entrevue avec le
préfet Sylvain N3ABIMANA (agenda PN, 16/05)
• Mardi 31 mai: conseil de sécurité à Butare (agenda PN, 26-27/05)
• Vendredi 3 juin: visite dans la préfecture de Gikongoro, commune Mubuga, sous-préfecture Mwulire
(agenda PN, 28/05)
• Samedi 4 juin:
commune Mbazi (agenda PN, 28/05);
commune Kibayi, secteur Runyinya (7)
entraînement militaire de la défense civile (agenda PN, 28/05)
• Dimanche 5 juin: commune Mugusa (agenda PN, 28/05)
• Lundi 6 juin: commune Mbazi (agenda PN, 28/05)
• Mardi 7 juin: communes Ndora et Nyaruhengeri (agenda PN, 29/05)
• Mercredi 8 juin: mot d'ordre aux « bourgmestres et sous-préfets pour la mobilisation de la population
et uti1isation des armes traditionnelles» (agenda PN, 29105)

Recension

non exhaustive des interventions
de Pauline NYIRAMASUHUKO
Conseil des ministres sur la situation politique à Butare

• Vendredi 20 mai:

débat sur communes de Butare en conseil des ministres:

en

Muyira, Ntyazo (agenda

PN,2ü/OS)

• Vendredi 10 juin: Pauline dénonce en conseil des ministres le « commandement militaire désorganisé à
Butare. » (cf. agenda NGIRABATWARE 643)
• Vendredi 17 juin: plainte en conseil des ministres au sujet des « autorités militaires qui ont refusé les
ordres de mutation », demande le remplacement des bourgmestres de Mbazi, Nyabisindu, Rusatira,
Ndora, Muganza et du préfet (cf. agenda NGIRABATWARE 646)
• Samedi 25 juin: postes et carrières (commune Maraba, directrice LABOPHAR) (agenda PN, 25/06)

Le 26 avril, l'annonce
officielle
du lancement
du programme
d'autodéfense
civile fUJ
proclamée
sur les ondes de Radio Rwanda par les autorités.
A Butare, le lieutenant-colonel
Tharcisse MUVUNYI,
commandant
de place, avait déjà transmis en date du 21 avril un courrier
aux bourgmestres
leur demandant
de recruter des candidats.

8.4.1.

La définition

d'un

cadre

institutionnel

formel

Mais ce n'est qu'à la fin du mois de mai que l'autodéfense
civile fit l'objet d'un ensemble de
mesures officielles.
On notera que la mise en place de ce que certains discours qualifièrent
de
«vraie
armée»
correspondait
à l'exacerbation
des tensions
entre
le noyau
des militaires
favorables
au génocide
et les officiers
dissidents:
c'est à cette date que fut élaborée
par un
groupe de dirigeants
extrémistes,
au nom du gouvernement,
« la liste des officiers
à éliminer »,
très majoritairement
originaires
des préfectures
du sud,33$ Avec l'autodéfense
civile, Théoneste
BAGOSORA
mit ainsi en place son propre
système
d'intervention
paramilitaire
reposant
uniquement
sur des officiers convaincus
et solidaires,
généralement
issus comme lui des premières
promotions
de l'ESM, auxquels des prérogatives
élargies et une totale autonomie
conféraient
de
quasi pleins pouvoirs, Dans les deux préfectures
de Gitarama et de Butare, les autorités centrales,
lasses de négocier
avec des responsables
timorés,
allèrent
jusqu'à
installer
les militaires

m Cf. André GUICHAQUA, Laurent SEMANZA,

le « grand bourgmestre
145

»,

TPIR, avril 2001, § 4, p. 27.

responsables de l'autodéfense
8.4.2., p. 155).

civile à la tête des administrations

territoriales"

(cf. aussi infra §

Le passage des massacres à grande échelle reposant sur l'association
de militaires et de
miliciens lnterahamwe, à l'autodéfense
ci vile enrichissait les tâches de la «pacification ».
L'autodéfense civile devint la politique centrale qui devait mobiliser (ou re-mobiliser) l'ensemble
des administrateurs et des citoyens en appui aux militaires et aux miliciens. A Butare, la deuxième
quinzaine
du mois de mai était déjà
consacrée
aux travaux
d'umuganda (travaux
communautaires d'intérêt collectif), euphémisme désignant la recherche systématique des Tutsi
survivants (CPS du 16 mai, CPS du 20 mai, lettre de J. KANYABASHI aux conseillers de secteur
du 24 mai, nouveaux CPS du 31 mai, etc. cf. infra encadré n° Il). Accessoirement, il s'agissait
aussi de mettre un frein aux exactions de ces nombreux groupes incontrôlés et de faire cesser les
règlements de comptes politiques ou autres entre Hutu. Le mot d'ordre du gouvernement, affirmé
avec force par le président SINDIKUBW ABO, qui avait lui-même perdu des membres de sa
famille, était de « ne plus tuer de Hutu ».

Encadré

na 11: La défense civile et les conseils préfectoraux

de sécurité à Butare'"

1. Le conseil préfectoral
de sécurité du 16 mai 1994 et l'entretien
NYIRAMUSUHUKO et le préfet Sylvain NSABIMANA

entre Pauline

1.1. Entrevue de Pauline NYIRAMASUHUKO
du 16 avril 1994 (agenda PN, page 16 mai)

NSAlHMANA

avec le préfet

Sylvain

Muvunyi Gucikisha (a aidé à s'enfuir)
Kayombya, colonel Nshizirungu, Ruhutinyanya, ss Gakwerere
Capitaine Mugabe gendarme - Umugogwe patron du groupement
Ntambabazi -7 camp Ngoma il

«

Relatée de manière extrêmement brève, cette entrevue illustre les rapports tendus qui prévalaient alors
entre les différentes autorités politiques, administratives et militaires. Elle permet de mieux comprendre le
climat du Conseil de sécurité qui se tint parallèlement et la distribution des rôles entre les participants.

À quoi correspondent ces phrases elliptiques?

La ministre NYIRAMASUHUKO s'invite en tête à tête
chez le préfet pour lui faire part de son indignation face aux défaillances qui prévalent dans le dispositif ce
défense et de sécurité:
-Ia première concerne l'aide que le lieutenant-colonel Tharcisse MUVUNYI était soupçonné apporter à
Robert KA YOMBY A, au colonel Anselme NSHIZIRliNGU
et à Faustin MUNYESHY AKA, alias
RUHUTINYANYA, pour s'enfuir au Burundi. La dénonciation provient du sous-lieutenant Ézechiel
GAKWERERE33S, originaire de la commune Shyorongi en préfecture de Kigali, qui commandait la
première compagnie d'instruction de l'ESO «Nouvelle
formule ».339 Robert KA YOMBY A était un
grand commerçant tutsi de Rwamagana (Kibungo), un transporteur;
Anselme NSmZIRUNGU était
officier des FAR, proche du MDR, originaire
de Kigali et affecté à la Primature ; Faustin
MUNYESHYAKA, était un commerçant tutsi en bière originaire de Butare et ancien salarié de la
BRALlRWA, un « complice ». Pour comprendre l'attitude de Tharcisse MUVUNYI, il faut préciser les
relations familiales qui l'unissaient à Robert KA YOMBYA. L'épouse de MUVUNYI, tutsi de Kibungo,
était la sœur de KA YOMBYA et seul un officier du rang de MUVUNYI avait la possibilité de protéger
KA YOMEY A et de Je mettre à ]' abre40, c'est pourquoi il se réfugia à Butare le Il avril chez MUVUNY1

n6 À Gitararna, il s'agit du major ex-député (en retraite) Jean-Damascène UKULlKlYEYEZU(hutu,
Gùarama) par le
major qui après la fuite du préfet Fidèle UWlZEYE (MDR, hutu, GitaranJa) fut nommé préfet début juin 1994. Il fut tué
avec son épouse par les troupes du FPR.
m Cf. aussi tome 2, p. 42 sqs.
m Le sous-lieutenant Ézechiel GAKWEREREse distingua pour son activisme antitutsi et joua un rôle important
dans l'entraînement des groupes tnierohamwe à Butare et Gikongoro.
JJ9 La « nouvelle formule» concernait les élèves recrutés
directement à la sortie de l'enseignement primaire et qui
recevait à l'ESO une formation équivalente aux trois premières années du secondaire avant d'entrer dans le cycle de

formation militaire spécifique.
)40 Malgré une réputation peu favorable au sein de la haute hiérarchie (ainsi le général Déogratias NSABIMANAle
« soupçonnait» d'être tutsi), Tharcisse MUVUNYI était considéré comme un officier important. n était originaire de la
même commune Mukarange qu'Augustin BIZIMUNGU, alors chef d'État-major.
146

qui se voyait dans ['obligation morale de le protéger. Il gagna le Burundi le 15 avril avec l'aide cE
MUVUNYI. La responsabilité vis-à-vis de la parentèle était d'autant plus grande que l'épouse tutsi de
KAYOMBYA était la fille d'un très important commerçant tutsi de Kigali, Tharcisse KAREKEZI,
enrichi dans l'exportation de peaux tannées et la fourniture de viande à l'armée. Ce dernier avait marié
trois de ses filles respectivement avec Bonaventure fIABlMANA, secrétaire général du parti unique
MRND de 1975 à 1991 (et donc zome personnage de l'Etat jusqu'à l'instauration du multipartisme), avec
Thaddée MUSONl, un fils d'Éliab NDAMAGE, grand commerçant installé à Kigali et originaire œ
Gitarama,"! et avec Sylvestre KAMALI, originaire de Gisenyi et ancien ambassadeur du Rwanda dans
divers pays dont la Chine, 'son dernier poste. Vis-à-vis du colonel Anselme NSHIZIRUNGU, la position
du lieutenant-colonel MUVUNY1 apparaissait encore plus compliquée. Menacé de mort, celui-ci avait
gagné Butare dès le 16 avril et avait aussitôt tenté de faire passer ses enfants au Burundi, mais ils avaient
été arrêtés et ramenés à Butare par les militaires du camp Ngoma. Il avait alors demandé protection au
commandant de l'ESO qui, manifestement, ne fit guère d'effort pour faire fléchir les militaires. Ce n'est
que le 26 juin, parès le retour du général Gatsinzi à Butare, qu'Anselme NSHIZIRUNGU réussit à gagner
la frontière et à passer au Burundi. Quant à RUHUTINY ANY A, il fut tué au courant du mois de mai. Son
corps en état de décomposition avancé fut, d'après des témoins, identifié à la sortie de la ville vers le 25
juin. Lors du déplacement des autorités sur les lieux (autorités militaire, communale et préfectorale), il
apparut qu'il s'agissait d'une erreur. À cette occasion, le préfet NTEZlL YA YO déclara qu'il savait que ce
ne pouvait être le cadavre de RUHUTINYANYA qui, selon lui, était mort dans « d'autres conditions»
qu'il connaissait mais qu'il n'a pas précisées. D'après divers témoignages, RUHUTINYANYA aurait été
tué d'une balle dans la tête devant l'hôtel Faucon. Un témoignage précise que l'auteur de l'assassinat était
le sous-lieutenant Jean-Pierre BIZIMANA, alias RWATSI, demeurant à Buye et qui dirigeait le 1cr
peloton de la 3èmo compagnie « Nouvelle formule » de l'ESO.
_ elle proteste en secondIieu envers la nomination du capitaine Jean de Dieu MUGABO, originaire œ
Gisenyi,
nommé commandant, du groupement
de gendarmerie qu'elle
dénonce comme un
« umugogwe
»3~2, c'est-à-dire un tutsi du Nord! En fait, le capitaine est hutu. Cette filiation tutsi-lui
serait ainsi attribué du seul fait que son installation à Butare n'était pas précédée par une réputation
d'extrémiste prohutu ;
_ enfin, troisième dossier à l'origine de sa visite, la nomination d'un « complice des Inkotanyi » à la tête
du camp Ngoma. Il s'agit du major Charles NTAMBABAZI, qui avait sollicité une mutation dans le Sud
pour se mettre à l'abri des menaces qui pesaient sur lui à Kigali où il était commandant de la compagnie
transport de « La Base » -à Kanombe. 11 était en fait le frère de feu le ministre NZAMURAMBAHO
(famille dont P. NYIRAMASUHUKO a déjà dénoncé un autre frère comme « organisateur des troubles»
à Butare en février 1994 (of. infra, tome 2, p. 16).
Cette mise en perspective situe Pauline NYIRAMASUHUKO
comme la promotrice la plus
intransigeante d'une ligne dure qui ne respecte même plus les solidarités nouées entre les différentes
composantes des élites de l'ancien régime. C'est bien elle qui tente de conduire l'élimination des ennemis
jusqu'à son terme alors même que les énergies de beaucoup se relâchent. Comme on le verra, cette ligne
s'imposa à la fin du mois de mai avec la relance des activités de l'autodéfense civile sur ordre du
gouvernement intérimaire et le renouvellement des cadres « timorés », dont le préfet NSABIMANA.

16 mai 1994: Consei] préfectoral de sécurité de Butare
Pages des 30-31 janvier et 19"20 février
_ Urwikekwe no gutinyatinya bituma okazi kadatangira
La suspicion et la peur font que le travail ne commence pas
Le problème de l'essence. 11n'y a pas de réserve
_ Autorisation de circuler en ville / commandant de place avec autorisation du bourgmestre commune
Ngoma.
_ Les motos n'ont pas l'autorisation de circuler
_Les bicyclettes ne nécessitent pas d'autorisation quoique dangereux
_ Imodoka sans plaque zigomba gufatwa niyo zaba dtwawe n'abasilikali
. Ibirangasbyaka biveho hasigare ishyaka limwe ryo kurwanya inkotanyi aiizo mwanzi wacu twese aho
guhora mwikanga interahamwe
JLaurent RUTAY1SIRE (Gikongoro), de feu Félicien
GATABAZI (Butare), de feu le lieutenant-colonel FrodualdMUGEMANYI (Gikongoro), etc.
J'~ Le massacre des Bagogwe se déroula en janvier et février 1991 dans la région des Volcans. Il fut organisé par les
autorités civiles et militaires, suite à l'attaque du FPR sur la ville de Ruhengeri le 23 janvier et illustra la mise en œuvre
d'une stratégie génocidaire à l'égard de populations civiles prises en otage en riposte aux incursions militaires du FPR.

147

({ _ Les véhicules sans plaques doivent être arrêtés même s'ils sont pilotés par les militaires
_ Les insignes des partis doivent disparaître pour laisser place à un seul parti qui combattra les lnkotanyi,
notre ennemi commun, au lieu d'avoir toujours peur des Interahamwe »
Mauvais
-+ BAKUNDUKIZE Tharcisse
Crête Zaïre-Nil

Nimulinde ibyambu byose, tous les coins stratégiques
Ishimwe ry'abaselire lizaboneka
Ikibazo cyere-keranye no kwirwanaho
Bg. Nagire liste y'abajura abahe amasomo yo gukunda amahoro n'igihugu
_ Ko turi mu ntambara umuntu w'icyitso cyangwa wagiye kwiga ku Mulindi ibyo bikwiye kuvaho
- Gusaka gahunda irahali
_ Kwigisha abaniu kwirwanaho ngo ni ukwigisha abakiga ngo bazamare abanyenduga.
Kugenzura tugomba kubtfatanya kuko umujyi n'uterwa ni rwese tuzazahara.
Umusivili ntagomba kwilirwa kuli barrière Y'abasilikare kuko bamwe niho batungira agatoki
(« -Garder tous les ponts, tous les coins stratégiques

_ Les primes des membres des comités de cellule seront disponibles.
Le problème de la défense civile
_Le bourgmestre devrait avoir une liste des bandits, qu'il leur donne des leçons de morale, pour aimer leur
pays et la paix.
_ Puisque nous sommes

en guerre, un complice

ou celui qui a été entraîné à Mulindi,

ils doivent

disparaître.
- La perquisition: le programme est là.
_ On dit que former la population à l'autodéfense

civile reviendrait à entraîner les gens originaires du Nord

à éliminer les gens du Sud!!
_ Nous devons tous participer aux contrôles,

car si la ville est attaquée tout le monde en subira les

conséquences
_ Les civils ne doivent pas passer la journée aux barrières tenues par les militaires car c'est de là que
viennent les délations »)
Colonel Muvunyi
• Hari abantu bajenjetse En plus de la carte d'identité mugomba gusaka sérieusement mukabaza umuntu
aho aturuka kugirango urebe niba azi u Rwanda
_ Mugomba kudutungira agatoki.Guellilas irwanywa n'indi guellilas
_ Démystifier l'usage d'armes kuko tugomba kumenya kuyikoresha.
_ Hégémonie Hima-tutsi de la zone interlacustre niyo ishakwa ngo vuba aha le 18 mai obohutu lero
nimwe muhwirwa
{« Il y a des gens qui ne sont pas sévères. En plus de la carte d'identité, vous devez fouiller sérieusement;

demander à l'intéressé d'où il vient pour tester s'il connaît le Rwanda.
_ Vous devez procéder à des dénonciations et nous indiquer les gens (aux militaires)
_ La guérilla est contrecarrée par une autre guérilla
_ Démystifier l'usage d'armes parce que nous devons tous savoir les utiliser
_ C'est l' hégémonie Hima-tutsi de la zone interlacustre qui est visée, et d'ici peu. Le 18 mai. Les Hutu
sont avertis. }})
Directeur de cabinet
Gukunda ibintu nibyo bigiye gutuma dutsindwa Mutange ibyo mufite turwane ku gihugu cyacu.
Umuganda wo kuvanaho urwihisho -abauuaza bazaba ali abafasha umwanzi.
Gukora Nimudakora inrara izadutsinda ubwayo, "Wima igihugu amaraso imbwa ikayanywera ubusa"
- Umusanzu w'ingabo
à nos biens. Voilà ce qui va nous conduire à la défaite. Donnez tout ce que vous
possédez afin de protéger notre patrie.
_ Les travaux communautaires Umuganda pour détruire les planques. Ceux qui ne viendraient pas y
participer seraient considérés comme des complices de l'ennemi.

(« _ L'attachement

148

_ Mettez-vous au travail sinon nous serons vaincus par la faim elle-même.
« Tu refuses du sang à ton pays et le chien le boit gratuitement. ~)
Les cotisations destinées à l'armée »}
Sous-préfet
Information igomba kuihuta
[« L'information doit être donnée à chaud »)
Vice-recteur
L'umuganda + réunion
(« Les travaux communautaires

+ réunion

»)

Rekeraho:!11
Ese les Bg. Basobanuye iyi ntambara icyo ali cyo ?
(« Les Bourgmestres ont-ils expliqué la nature de cette guerre? »)
Bg. Shyanda :
Ntiyunvikana n'abaturage ngo hari abaniu bahishe mu bigo, Save Bivuzwe na Konseye Gatoki. Il a une
liste des suspects?
(( Le Bourgmestre de Shyanda n'est pas en bons termes avec la population. Il y a des gens qui se cachent
au sein des établissements de Save. Ceci est rapporté par le conseiller GATOKI. 11 a une liste des

suspects.t"

»)

Ce compte rendu apparaît à bien des égards surprenant et il est dommage que l'identité de tous les
intervenants ne soit pas rapportée. Vraisemblablement la première partie correspond à une intervention du
préfet NSABIMANA, président du conseil. Mais on ne peut exclure que les propos retranscrits n'aient été
réécrits et radicalisés par la rédactrice du document. Il faut garder en mémoire qu'aussi bien NSABIMANA
que MUVUNYI viennent d'être' pris en flagrant délit de sollicitude envers les « complices ».
Soulignons tout d'abord que des réserves fortes envers la politique des massacres systématiques et la
défense civile ressortent des propos, soit ouvertement {« - On dit que former la population à l'autodéfense
civile reviendrait à entraîner les gens originaires du Nord à éliminer les gens du Sud Il »J45 «. Nous
devons tous participer aux contrôles, car si la ville est attaquée tout le monde en subira les
conséquences » ; « - Les civils ne doivent pas passer la journée aux barrières tenues par les militaires car
c'est de là que viennent les délations» ,. « - L'attachement à nos biens. Voilà ce qui va nous conduire à la
défaite. Donnez tout ce que vous possédez afin de protéger notre patrie. »), soit indirectement
La
suspicion et la peur font que le travail ne commence pas », « au lieu d'avoir toujours peut des
lnterahamwe » ; « Les bourgmestres ont-ils expliqué la nature de cette guerre? »).

«(

La tonalité générale est cependant extrêmement combative et des incitations formulées; le bourgmestre
de Ngoma devrait avoir une liste des « bandits » ; ( il Y a des gens qui ne sont pas sévères » ..• Des
phrases fortes sont prononcées autour du tryptique : dénonciation, perquisition, élimination:
« Puisque
nous sommes en guerre, un complice ou celui qui a été entraîné à Mulindi, ils doivent disparaître }~; ( La perquisition:
le programme est là. ». Le colonel MUVUNYI et le directeur de cabinet du préfet se
distinguent par leur agressivité: « C'est l'hégémonie Hima-tutsi de la zone intertacustre qui est visée, et
d'ici peu. Le 18 mai. Les Hutu sont avertis. »,. «- Les travaux communautaires Umuganda pour
détruire les planques. Ceux qui ne viendraient pas y participer seraient considérés comme des complices œ
l'ennemi. »; ( Tu refuses du sang à ton pays et le chien le boit gratuitement »,

HJ L'adjudant-chef Emmanuel REKERAHO, membre du comité de sécurité, avait en charge la formation de recrues
pour l'armée.
)44 Cette dénonciation
par le conseiller de secteur GATOKl équivaut à une déclaration de candidature au cas où
j'élimination du bourgmestre Théophile SHYAMBERE serait envisagée avec l'approbation des autorités.
)4S Cette phrase est politiquement
d'une grande j mportance et illustre les tensions toujours fortes entre les
ressortissants du nord et du sud, y compris dans la conduite de la guerre et de la défense civile. Ainsi, le « retard» pris
par les préfectures du sud dans la structuration, l'entraînement et l'armement des milices lnterahamwe s'explique d'un
côté par la peur des noyaux dirigeants du nord d'armer les « populations » du sud. En fait, les milices lnterahamwe ne
se sont vraiment élargies dans les préfectures du sud traditionnellement les plus hostiles au pouvoir du nord que lorsque
l'avancée du FPR apparut inexorable et que la défaite s'annonçait. D'un autre côté, alors que cet élargissement
commençait d'abord par l'entraînement des résidents originaires des préfectures du nord les plus motivés, la crainte était
vive que les miliciens du nord n'abusent de leurs armes et ne règlent leurs comptes vis-à-vis des ressortissants du sud.

149

Notons que ce texte est agrémenté d'une touche personnelle par Pauline NYIRAMASUHUKO : un encart
spécial est réservé à un cadre du projet Crête Zaïre-Nil avec la mention: « Mauvais ». Synonyme à cette
page comme à d'autres d'élimination programmée.
Le lendemain se tient un conseil des ministres important notamment consacré à la défense civile. Pauline
NYIRAMASUHUKO prépare le terrain, elle veut être inattaquable au niveau des « travaux pratiques ».
346

2. Le conseil préfectoral

de sécurité du 31 mai 1994
Muyaga-Rusatira-Mugusa.Ruhashya
-> Ruhashya -Nyabisindu

Kugemulira abali ku rugamba ntibishoboka donc bagomba kulya ibyo basanee
(Impossibilité de ravitaillement de ceux qui sont sur le champ de bataille; donc ils doivent vivre des
biens trouvés sur place)
Fouille systématique
résister sur place
Incorporation provisoire de 2000 jeunes honnêtes d'ici 2 jours
- Débroussailler et
- éclaircir les forêts
- Faire les tranchées d'observation et d'écoute
- tenue de rechange civile.
Ibikote by'imbeho (Manteaux contre le froid)
- Umuganda pour tous
Ndora n'ont que 3 fusils n'ont pas de radios
Tueries par FPR Bugeri-Ntyazo
Curusi-Mugusa
Gushaka 1mipang a {« Chercher les machettes »)
Signe distinctif (ikirere) [« feuille de bananier »]
347

Maraba 30 - Dirprison Munyeragwe
Ruhashya 30 - Prore''"
Rusatira 60 . Sylvain + Shyanda
Mugusa 60 - Préfet
Muyaga 60 - Rutayisire"
Runyinya-Gishamvu
: S/p350

- Décide la ligne de départ
_ Progression à vue. Avoir les observateurs devant la masse
_La commune Ngorna devrait faire cette fouille dans les différentes forêts car 3/4 de la commune est faite
de forêts
_ Risque de pil1age. Chaque cellule devrait avoir au moins cinq responsables.
_ Logistique buri wese agomba kugira icyo ashinzwe (( Chacun doit doit avoir une attribution précise
_L'UNR voudrait avoir des fusils pour l'autodéfense avec leur cotisation

»)

ESO
Caporal HAKIZIMANA 9 ans
Caporal UTAZIRUBONA (9[« aurait adressé des mots mauvais à la population sur Mwogo » (b. rivière
MwogO)]351

3. Le programme des déplacements de Pauline NYIRAMASUHUKO du 3 au 7 juin et
les enjeux sécuritaires35Z
Le 3 à Gikongoro -+ sous-préfet Mwulire
Le 4 Mbazi
Mwulire Atelier
Le 5 Mugusa population sans action, militaire envoi sans cartouches
6. ! Préfecture Butare non gardée
car brigade fermée
le parquet non opérant

Agenda PN, pages du 26 au 28 mai.
Le chiffre indique les effectifs que chaque responsable, ensuite mentionné, doit regrouper pour conduire
l'opération de ratissage avec les machettes et les feuilles de bananier.
J4a Procureur de la République:
Mathias BUSHISHI.
)49 Sous-préfet.
JSO Assiel SIMBALIKURE.
l51 Ils ont 9 années d'ancienneté.
Les deux sont des « mauvais ».
m Agenda PN, pages du 28 au 29 mai.
.1.6
J'"

150

NSHIZIRUNGU
MUNYENGANGO
MUVUNYI
Frère NZAMURAMBAHO
Préfet353
Le 6 « chez SEMWAGA des gens ont été tués, les autres ont été tabassés » . Les gendarmes ont tiré sur
la population causant l'insécurité dans la commune'"
?l les armes même cotiser pour cela
Le 7 Ndora et Nyaruhengeri
6. ! Dossier Minitraso bajyànye abana Sud Kivu {« ont conduit des enfants au Sud Kivu »)
~
Terre des hommes et Croix-Rouge
les encadreurs ni abasore baruta abana ubwinshi (« sont des jeunes plus nombreux que les enfants »).
3SS
C'est un recrutement pour le FPR déguisé 3 bus
Le 8 : les bourgmestres et sous-préfets -7 mobilisation de la population et utilisation des armes
traditionnelles'i"
Mbazi = Étienne Prof. Comme / Siméon

LE FPR veut prendre les hauteurs ibisibya Huye hait abafative muri Runyinya (<< la chaîne des
montagnes de Huye. Certains ont été arrêtés à Runyinya »)
S7
_ Kigembe = SESONGA akoresha «( emploie ») les jeunes Tutse

Plusieurs textes furent diffusés par le gouvernement en date du 25 mai 1994, qui fixaient les
directives du programme d'autodéfense
civile. Par rapport au programme de pacification qui le
précédait, l'objectif
demeurait
inchangé
(le terme qualifiait toujours l'organisation
des
massacres), mais il s'agissait de mieux. utiliser les ressources et d'accélérer
l'élimination
des
« ennemis»
alors même que l'avancée de l'APR se précisait aux abords de la préfecture de
Butare. Des officiers furent nommés pour diriger les comités d'autodéfense
dans chaque
préfecture, organiser des formations militaires et armer les miliciens. A Butare, l'officier
responsable du comité préfectoral
d'autodéfense
civile fut le lieutenant-colonel
Alphonse
NTEZIL y AYO.
Souvent sont confondues, sous le même terme, les deux catégories de défense civile. Si les
deux étaient dirigées par des officiers en retraite, la première consistait à entraîner de futurs
combattants à envoyer au front, la seconde concernait l'entraînement
de civils pour des tâches
dites de défense locale. Le comité de sécurité qui avait en charge la formation de recrues pour
Gikongoro et Butare était sous la responsabilité
des colonels Aloys SIMBA et d'Alphonse
NTEZIL y AYO ainsi que des adjudants-chefs
Emmanuel REKERAHü (hutu, Butare, commune
Huye) et NTARUGIRA (hutu;'/!).

m Cette déclaration complète l'entretien
ci-dessus entre Pauline NYIRAMASUHUKO et Sylvain NSABIMANA et
illustre le fond de sa pensée sur J'état des lieux jugé déplorable de la situation politique à Butare du fait du rôle des
« complices
» aussi bien au sein du parquet qu'au sein de l'armée. Complices
qu'elle dénonce avec virulence par
ailleurs. Ce passage permet certainement de comprendre les raisons de la suspension de Tharcisse MUVUNYI ft la mi-mai
(cf. supra § 8.3., p. 142),' c'est-à-dire juste après l'intervention
de P. NYIRAMASUHUKü.
Manifestement,
son
remplacement
par le colonel MUNYENGANGO prévue pour le 6 juin ne satisfaisait
pas la ministre. Parmi les
«complices»
figurait aussi comme nous J'avons déjà vu, le major Charles NTAMBABAZI qui fut affecté à Butare et dut
se réfugié chez lui à Gikongoro suite à un tabassage.
Sylvain NSABlMANA complète la panoplie des institutions
défaillantes:
justice, armée, administration
territoriale!
Pour la compréhension
de ce paragraphe on se reportera à la page 151 ci-dessous. Notons simplement que la
version de Félix. SEMWAGA et celle de Pauline NYlRAMASUHUKO concordent sur les faits, mais diffère sur le camp
défendu. Ici, P. NYIRAMASUHUKO justifie l'attaque de la « population » (toujours assimilée au camp des « b o n s »)
contre la parcelle de Félix SEMWAGA qui venait d'être nommé vice-président
de la défense civile par un autre
« complice
», le préfet NSABIMANA. Formulation
étrange;
les gendarmes qui ont défendu les «gens tués et
tabassés» installés chez Félix SEMWAGA sont considérés comme ayant « causé de l'insécurité dans la commune» !
),S Le dépit du prédateur devant les proies
qui lui 'échappent est ici exprimé ouvertement.
Le convoi humanitaire
emmenait effectivement
un certain nombre d'adultes tutsi comme « accompagnateurs»
des orphelins et enfants

~,4

abandonnés.
~56 Le 8 juin est une date importante:
c'est le jour où sont arrivés dans les préfectures les nouveaux textes envoyés
par le ministère de l'Intérieur sur l'organisation de l'autodéfense
civile et la relance des massacres. Comme d'habitude,
la ministre zélée, qui maîtrise les informations
et assure le suivi de toute la chaîne de décision, anticipe leur mise en
œuvre avant même que le cadre formel soit établi; priorité aux massacres!
ln Dans le langage des tueurs de l'époque,
cette mention signifie; à éliminer!
151

Avant même la réception des consignes ministérielles, Sylvain NSABIMANA organisa à la
commune urbaine de Ngoma, le 30 ou le 31 mai, une réunion qui regroupait les autorités, les
fonctionnaires et les commerçants
«qui avaient tous le problème d'insécurité causé par J'existence des barrières. C'est alors que le préfet
Sylvain m'a convié à cette réunion parce que je lui avais aussi exposé le problème des attaques qui étaient
menées contre moi à Mbazi. [... ) C'est alors qu'un comité chargé de contrôler les barrières a été mis sur
pied pour faire rapport sur ce qui s'y passait. Entre temps, suite aux désordres qui caractérisaient ces
barrières et à leur surnombre, il nous a été demandé de supprimer celles qui étaient très proches les unes
des autres et de les regrouper, ce que l'on a appelé « renforcer » les barrières. Mais ceci n'a pas été fait
parce qu'au moment où nous nous organisions, un certain Callixte KALlMANZIRA, alors directeur œ
cabinet au MININTER, a immédiatement dissout ledit comité au motif qu'il était composé de complices.
Vers le l6juin 1994, celui qui l'avait mis sur pied, le préfet Sylvain a été limogé. Depuis lors on n'a
plus parlé de ce comité, c'en était fini de lui.» (déclaration de Félix SEMWAGA du 5 décembre 1997, cf.
annexe 52, référence K0227559, tome 3).

Cette première tentative qui déboucha sur la nomination de Félix SEMW AGA comme viceprésident du comité préfectoral de i' autodéfense civile apparaît riche d'enseignements sur le plan
politique. Pour Sylvain NSABIMANA et certains cadres administratifs, il s'agissait de remédier
aux exactions qui s'étaient instaurées d'Une part avec les barrières tenues par des militaires et de
l'autre du fait de celles érigées par les milices, notamment celles du MRND sous le contrôle de
Shalom NT AHOBARL La décision de confier la responsabilité du programme
à Félix
SEMW AGA fut considérée
comme
une
provocation
ouverte
vis-à-vis
du tandem
KALIMANZIRA-NYIRAMASUHUKO
et plus largement à l'encontre
des responsables du
MRND. Cette décision relançait notamment
la question du rapport de force à Mbazi où
l'élimination du chef de la CDR, Jean-Baptiste KAGABO, laissait désormais face à face Félix
SEMWAGA et Antoine SIBOMANA, alliés de circonstance, mais soumis à la pression de Callixte
KALIMANZIRA et de Shalom NTAHOBARI et des lnterahamwe sous leurs ordres. La propriété
de Félix SEMWAGA, où étaient réfugiées entre 50 et 80 personnes (notamment un exbourgmestre de Kibayi et de nombreux Tutsi, la plupart apparentés à son épouse) fut une
nouvelle fois attaquée par les miliciens et la ( population»
le 26 mai et le 6 juin (cf. supra
encadré n" 11, point 3, p. 150). Les militaires chargés d'assurer sa protection l'emportèrent
à
nouveau. Avec deux fonctionnaires,
Félix SEMWAGA installa aussitôt son bureau de viceprésident préfectoral à l'hôtel Faucon et se mit à l' œuvre (annexes 56 et 57, tome 3). Mais
l'opération de démantèlement des barrières ne dura qu'une semaine, Callixte KAUMANZIRA
les fit rétablir, obtint le renvoi de Sylvain NS ABIMANA et déchargea Félix SEMW AGA de ses
fonctions.i"
Entre temps, les circulaires ministérielles étaient parvenues à Butare et une autre organisation
vit le jour. Dans la préfecture de Butare, la réception formelle par les services préfectoraux des
consignes ministérielles eut lieu le 8 juin 1994 (cf. annexes 35, tome 3). Elle fut suivie de la mise
en place d'un comité provisoire d'autodéfense civile le 17 juin au niveau de la commune urbaine
de Ngoma. Parmi les participants à cette réunion, figurent notamment la plupart des bourgmestres
et les autorités administratives habituelles:
l'inspecteur
d'arrondissement,
Viateur NY ANDWl;
l'inspecteur du travail, Pierre-Damien BAVAKURE;
le directeur général de l'IRST, François
GASENGAYIRE (MDR) ; le directeur régional de l'ISA~-Rubona,
Venant RUTUNGA, etc. La
convocation à cette réunion, signée par le sous-préfet
Evariste BICAMUMPAKA au nom du
préfet, Sylvain NSABIMANA, ne laissait aucune ambiguïté sur les objectifs et tâches attendus (cf.
annexe 58, tome 3). Les deux points à l'ordre du jour étaient:
• Modalités de mise en place des unités guerrières dans les communes;
• Organisation de la fouille dans des maisons.
D'après
les informations
partielles que j'ai pu recueillir, après l'éviction
de Sylvain
NSABIMANA et la dissolution du comité de « complices» qu'il venait d'installer, deux réunions
se ~a
présidence d'Alphonse
NTEZIL y AYO e tre le 17 et le 20 iui
,
~~n
un nouveauWfi:'ltfê~'"prël:eëtOrnl.,.râtït'ëiëTe ense civile doté 'une
irec Ion politique unifiée
sous les ordres du MRND/CDR et des miliciens lnterahamwe. L'organisation prévue par les textes

pra:ce

m Dans une autre déposition (Ministère de la Défense, Prison de Butare,
1994), Félix SEMWAGA déclara: « C'est au mois de mai 1994 que la Défense
président chargé de la sécurité de la ville. Toutefois Callixte KALlMANZIRA,
n'a pas permis l'instauration de la sécurité. Il a placé toutes les responsabilités
eux qui les assumaient. C'est en effet cet état de choses qui fut à l'origine
l'ancien préfet de Butare, » (cf. annexe 22, tome 3).
152

procès-verbal
d'audition du 27 décembre
civile a été créée et je fus nommé vicealors directeur de cabinet au MININTER,
aux mains des lnterahamwe et ce sont
du limogeage de Sylvain NSABlMANA,

était extrêmement hiérarchisée. Elle fonctionnait sous la tutelle d'un comité préfectoral de
coordination d'autodéfense civile supervisé par le préfet, puis à chaque échelon administratif, de
la préfecture au secteur (qui était retenu comme l'unité opérationnelle), un conseil d'autodéfense
civile était créé. Celui-ci agissait sous la responsabilité des autorités administratives, conférant par
la même une responsabilité éminente à la fois au commandant de place qui «contrôle et évalue »,
au préfet, aux bourgmestres et surtout aux conseillers de secteur.
Dans la nouvelle situation administrative de Butare, le cumul des fonctions d'Alphonse
NTEZIL y A YO simplifiait .l'organigramme
à l'extrême. En l'absence de document écrit, nous
n'avons pas réussi à le reconstituer de manière totalement rigoureuse et les témoins que nous
avons rencontrés assimilent généralement les participants aux réunions et les dirigeants nommés,
les responsables de la ville Ngoma et ceux de l'échelon préfectoral. En fait, ces approximations
sont compréhensibles: entre le 17 juin et la fuite de l'administration
territoriale vers Gikongoro
le week-end des 2 et 3 juillet, il n'a pas été possible de structurer vraiment une organisation
couvrant
l'ensemble
de la préfecture.
Une semaine
après l'installation
d'Alphonse359
NTEZIL yAYO les communes du nord-ouest puis du nord tombaient sous le contrôle de l'APR.
C'est donc le groupe constitué à Butare Ville autour des cadres politiques et des chefs miliciens
de la commune qui servit de bras armé à la relance préfectorale de l'autodéfense
civile. La mise
en place de cette structure suscita des compétitions extrêmement vives entre les différents partis et
groupes qui contrôlaient la ville et la préfecture. Le modus vivendi apparent qui fut négocié
répartissait les postes à parité entre le MDR, le PSD et le MRND/CDR, partage qui consacrait en
fait la perte d'influence du PSD. L'alliance scellée à cette occasion entre le MDR et le MRND
s'établissait toutefois entre': des forces de poids inégal. Dans la plupart des communes, le
MRND/CDR contrôlait à lui seul la situation. Néanmoins, les rivalités permanentes pour le
contrôle des barrages sur les routes et les pistes, l'appropriation
des biens pillés et des propriétés
vacantes n'avaient plus guèrë à voir avec les clivages politiques. L'exacerbation
des surenchères
et des conflits concernait essentiellement des groupuscules d'extrémistes prédateurs aux contours
aussi fluctuants et éphémères que les intérêts immédiats qu'ils défendaient.

m Entre la fin juin et le début du mois de juillet
1994, les responsables
des sous-préfectures
et communes
organisèrent leur départ ou fuite vers la zone Turquoise ou le Burundi en fonction de l'avancée effective de l' APR ou des
rumeurs qui circulaient sur ce point. Ils ne reçurent aucune consigne officielle de repli de la part des responsables de la
préfecture, qui avaient eux-mêmes pris les devants en se réfugiant d'abord à Nyakizu puis dans la commune voisine de
Mubuga en préfecture de Gikongoro qui était passée sous contrôle de l'armée française,
L'APR progressa dans la préfecture de Butare à partir du nord-est:
Muyira, Ntyazo et Mugusa furent les premières
communes conquises au cours de la deuxième quinzaine du mois de juin. La marche se poursuivit en deux branches:
l'une s'empara successivement {le Nyabisindu, Ruhashya et Mbazi, l'autre avançait vers Gakoni (Mugusa) - prise le 28
juin _ et Shyanda d'où elles convergèrent
pour s'emparer
de Butare Ville dans les premiers jours de juillet. La
progression reprit ensuite vers Ndora (prise le 9 juillet), Nyaruhengeri, Muganza, Kibayi et s'acheva par la prise de
contrôle des communes de l'ouest, riveraines de la zone humanitaire sûre, dite zone Turquoise, établie formellement le 5
juillet (Maraba, Huye, Gishamvu, Ki gembe , etc.).
153

Tableau

n" 14: Organigramme

de l'autodéfense

civile à Butare

Comité de supervision de l'autodéfense
civile
Faustin TWAGIRA YEZU, professeur Groupe scolaire de Butare, MRND, responsable de cellule
Kabutare-Ngorna, président, MRND
Félix SEMWAGA, vice-président MDR
Jean-Damascène RUGANINTWARI, directeur du centre de formation (CFP) de Karubanda, PSD
Comité

«préfectoral»

de l'autodéfense

civile

Président
Faustin TW AGIRA YEZU, professeur Groupe scolaire de Butare, MRND,
Kabutare-Ngoma
Vice-Président
Frédéric NT ABWOBA, bibliothécaire, Groupe scolaire de Butare, MRND

responsable de cellule

360

3 PSD, 3 MDR, 3 MRND/CDR

MDR
Venant G AKW Ay A, commerçant
Faustin NIYONZIMA, président MDR Maraba, secrétaire préfectoral du MDR
Emmanuel REKERAHO, ex-militaire
PSD
Damien IY AKAREMYE, ingénieur UNR
Jean-Damascène RUGANINTWARI, directeur du centre de formation (CFP) de Karubanda
Faustin RUT AYISIRE, sous-préfet
MRNDfCDR
Martin DUSABE361 , MRND, directeur Sorwal, MRND
Bernard MUTWEWINGABO, professeur UNR, MRND
Siméon REMERA, assistant médical Butare, CDR
Autres participants''"
Léon NY AMUSIMBA, enseignant Groupe scolaire de Butare
Clément MUNYAGASHEKE, milicien MDR (fils d'Isaac MUNYAGASHEKE)
Désiré MUNY ANEZA, milicien MDR MDR (fils d'Isaac MUNY AGASHEKE)
Célestin HALINDINTW ALI
Élysée MUTEYE, enseignant Groupe scolaire de Butare
François NDUTIYE, agent UNR
Vénusté UWIZEYE, conseiller Butare
Jean-Baptiste RUZINDANA, président du tribunal de première instance
Dr Martin KAGERUKA, UNR
Jean-Bosco NZIT ABAKUZE, enseignant, UNR

La structure organisationnelle
de l'autodéfense
civile était enfin complétée
financement où se retrouvaient la plupart des membres déjà cités.

par un comité de

Les divers recoupements concordent sur les neuf noms ci-dessous.
Pour situer le type de débat du comité, c'est de lui que vint l'information transmise fi un voisin selon laquelle il
avait été décidé que les épouses tutsi des médecins hutu ne seraient pas éliminées (témoignage, Butare, 30 janvier 2002).
)61 Les membres ci-dessous sont les plus fréquemment cités comme participants
actifs aux réunions et/ou lors des
actions conduites à Butare Ville. Nous n'avons pas retenu dans cette liste les noms des personnes ayant fait l'objet
d'une contestation ou réserve de la part d'un témoin.
aso

)61

154

Tableau na 15: Comité de financement

de Pautodéfense

63

civilé

Maurice NT AHOBARI, UNR, MRND, recteur
Jean-Berchmans NSHIMYUMUREMYI, UNR, MRND, vice-recteur
Zéphyrin BAGAMBIKl, hutu, Ruhengeri, MRND, directeur de la bibliothèque du CAB
Faustin RUT AYISIRE, sous-préfet
Venant GAKWA YA, commerçant
Isaac MUNY AGASHEKE, commerçant
Joseph KANY ABASHl, bourgmestre Ngorna
Jean-Baptiste SEBALINDA, DAF Sorwal
Charles SDYENIYO, stomatologue à l'hôpital universitaire de Butare
Sosthène MUNYEMANA, gynécologue-obstétricien
à l'hôpital universitaire, MDR
Quatre membres du comité de financement furent habilités comme mandataires du compte bancaire na 84
343 ouvert à la Banque de Kigali le 15 juin 1994 à la demande du préfet Sylvain NSABIMANA au nom du
comité de financement de l'autodéfense civile. Il s'agit de Faustin RUTA YISIRE, sous-préfet;
JeanBerchmans NSHIMYUMUREMYI,
vice-recteur de l'UNR;
Jean-Baptiste SEBALINDA, DAF de la
SORWAL, Venant GAKWA y A, secrétaire de la Chambre de commerce.

Le financement de la défense civile avait différentes finalités. Il tenait à la nécessité
d'entretenir les énergies militantes du haut en bas de l'échelle des activistes (au même titre que les
distributions de bière sur les barrages ou toutes autres gratifications comme l'octroi de propriétés
ou de biens ... ), et d'assurer
la logistique des massacres (véhicules pour les déplacements,
hébergement. ..). Les fonctionnaires
et les commerçants
formaient les groupes de donateurs
potentiels les plus sollicités. Les enseignants de l'UNR furent, du fait d'une mesure du vicerecteur Jean-Berchrnans NSHIMYUMUREMYl,
les plus importants donateurs, puisque le montant
total de leurs dépôts d'épargne
fut viré sur le compte de l'autodéfense
civile. Ces cotisations
n'étaient pas exclusives de celles qui étaient exigées par les militants ou miliciens des partis aux
points de contrôle divers en ville et dans les campagnes ainsi que par les FAR. Appelée umusanzu
wingabo, cette dernière faisait l'objet d'une attestation de soutien à l'armée qui était exigée lors
de tout déplacement dans la préfecture ou le pays. On se reportera à la liste des principaux
contributeurs butaréens (cf. annexe 59, tome 3).
8.4.2. Une politique de relance tardive et inefficace
La note du 25 mai 1994 du ministre de l'Intérieur, Édouard KAREMERA, relative à la « Mise
en œuvre des directives du Premier ministre sur l'auto-organisation
de la défense civile» donna
de facto aux responsables des comités d'autodéfense civile pouvoir de vie et de mort sur tous les
membres de la population susceptibles d'être considérés comme défaillants ou timorés vis-à-vis
de «la défense de la patrie en danger» (cf. annexes 35, tome 3).
Comme l'historienne
Alison Des Forges l'a abondamment
analysé dans son ouvrage'",
l'établissement d'un cadre formel de l'autodéfense
civile populaire présentait surtout l'avantage
de contourner à la fois les partis politiques, la hiérarchie militaire et l'administration
territoriale
pour consacrer ouvertement le pouvoir et la légitimité des milices, c'est-à-dire les partisans des
massacres les plus déterminés. Aucune loi, aucune hiérarchie ne pouvaient plus être invoquées
pour contenir le zèle des militants susceptibles de s'attaquer à tous ceux qui d'une manière ou
d'une autre freinaient le processus d'autodéfense. Une des fonctions principales de ces directives
visait à faire pression sur les « fatigués », nombreux dans l'administration, voire dans l'armée, qui
commençaient
à s'interroger
sérieusement sur l'utilité de toutes ces tueries, sentiment que
beaucoup de citoyens rwandais pouvaient partager alors que le Gl fuyait vers le nord, Dans cette
optique, les préfectures du sud étaient concernées
en premier lieu par ces directives car

m Hormis les quatre gestionnaires du compte bancaire dont l'appartenance
est formellement prouvées, les membres
indiqués sont ceux cités de manière concordante par nos divers interlocuteurs.
Pour autant, le fait d'être membre du
comité n'implique pas nécessairement
un engagement personnel actif
)~. HRW-FIDH, Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda. op. cit.

155

l'élimination des «ennemis»
y avait pris beaucoup de retard et l'ampleur
conséquente du fait de la forte proportion des populations tutsi.

du « travail»

était

En même temps, l'encadrement
renforcé de l'autodéfense civile permettait aussi un éventuel
contrôle des milices qui se comportaient comme des groupes prédateurs. La forte sollicitation des
agents du ministère de l'Intérieur et des cadres administratifs locaux visait à remobiliser les
populations qui avaient progressivement arrêté de participer aux patrouilles et cédé le contrôle des
barrières aux miliciens et/ou à la pègre.
Parallèlement aux recrutements hâtifs de jeunes enrôlés presque aussitôt dans les combats
effectués via les responsables communaux (cf. annexe 60, tome 3), le commandement militaire
tenta aussi de freiner l'avancée des troupes de l'APR vers Gitararna dans la première quinzaine du
mois de juin en recourant aux milices, mais les affrontements qui eurent lieu dans les communes
du nord de la préfecture de Butare (Muy aga, Mugusa, Nyabisindu) causèrent des pertes
importantes et illustrèrent la faible capacité militaire de l'autodéfense civile populaire.
La mise en place des « Formations d'autodéfense
civile» par peloton et section mobilisa de
nombreux candidats intéressés tout particulièrement par la possibilité de pouvoir disposer d'armes
à feu (cf. annexes 23 et 61, tome 3). On retrouvait parmi eux des citoyens de toutes catégories, de
nombreux. boutiquiers ou commerçants, des cadres administratifs, des personnels de l'université,
des chercheurs et universitaires, etc. (cf. annexe 62, tome 3). Au-delà des tâches de
« pacification»
qui incombaient aux membres de l'autodéfense
civile, les volontaires Poensaient
aussi pouvoir contribuer à leur propre sécurité et mieux assurer la défense de leurs biens .• s
Notamment dans les deux préfectures de Gitarama et de Butare, la relance du programme
d'autodéfense
civile supposait
une reprise en main de l'administration
préfectorale et
communales. Une coïncidence tout à fait étonnante voulut que le dernier acte public du préfet
destitué, Sylvain NSABIMANA, fut d'installer le 17 juin le comité provisoire d'autodéfense civile
de la préfecture dont Alphonse NTEZILY AYO était déjà l'officier responsable (cf. annexe 63,
référence K0226453 sqs, tome 3). Sur le plan formel, il est donc clairement établi que le préfet
Sylvain NSABIMANA endossa et valida toutes les étapes de la mise en œuvre du génocide à
Butare du 20 avril, avec la réunion de mise en application des consignes du gouvernement
intérimaire, jusqu'au lancement de la dernière phase du « nettoyage final ». Si l'on suit l'analyse
de la plupart des témoins butaréens, on retiendra donc que rien ne fut épargné par les décideurs
politiques à celui qui accepta cette nomination par opportunisme et qui fut choisi parce qu'il était
« le plus facile à manipuler ».
Avec le nouveau préfet, Pauline NYARAMUSUHUKO
et Callixte KALIMANZIRA
ne
rencontrèrent plus d'opposition
dans la direction stratégique des opérations. La coordination de
la défense civile entre les deux préfectures de Butare et de Gikongoro qu'assurait Aloys SIMBA
et Alphonse NTEZILYA YO n'était désormais plus freinée à l'échelon des préfets. Plus largement.
la gestion des miliciens entre les deux préfectures
du sud était rationalisée et ils pouvaient
transgresser toutes les entraves liées aux divisions administratives et susceptibilités des autorités
locales. Tout comme Cyangugu, préfecture MRND «exportatrice»
de miliciens vers Kibuye,
Gikongoro
palliait les défaillances
dans les communes riveraines moins dynamiques
des
préfectures de Gitarama et Butare (cf. supra § 8.2, p. 129, 132). Cette rotation des miliciens entre
préfectures remédiait aux faiblesses des dispositifs locaux où les phénomènes d'interconnaissance
protégeaient des proches ou des voisins." Enfin, cette nomination aurait permis de rétablir U il
certain consensus entre les chefs politiques locaux que le comportement
et l'attitude à adopter
envers le préfet NSABIMANA divisaient profondément.

M

C'est dans cette optique que furent parallèlement

réactivés

les comités de sécurité communaux,

structures initiées

en octobre 1990 lors de la première offensive du FPR.
J~~ Signalons
que les militants du MDR Gikongoro furent particulièrement
actifs dans l'organisation
des massacres
antitutsi. Après l'assassinat
d'Emmanuel GAPYISI en mai 1992, président du comité directeur préfectoral, Anastase
MUNY ANDEKWE , fonctionnaire du ministère des Transports
et des Communications
lui succéda. Il se fit rapidement
connaître comme un leader Power et fut régulièrement
dénoncé pour son extrémisme.
Il était affublé du surnom de
KIMWAMW ANY A (« celui qui triche ») et dénoncé comme « valet de KARAMIRA » (cf. par exemple, Le Partisan, n°
18 du 15 octobre 1993). Il figure au 7 1ème rang dans la liste des génocidaires de 1<" catégorie publiée dans le Journal
Officiel n" 17 du 1" septembre 1996.11 était l'époux de Céline NYIRANEZA, sœur de Pauline NYIRAMASUHUKO.
156

Ainsi, paradoxalement, Jean KAMBANDA et son «chargé de pouvoir»
butaréen, Félix
SEMWAGA (cf. supra § 5.3., p. 73), auraient eux aussi approuvé cette nominaüon?"
Dans la
compétition interne des ex-partis d'opposition
pour le contrôle politique de Butare, le MDR
Power prenait un avantage décisif sur le PSD dont le ministre Straton NSABUMUKUNZI était, de
son propre faie68, marginalisé. Bénéficiant déjà d'une relation privilégiée avec le capitaine
NIZEYIMANA et surtout avec le lieutenant Ildephonse HATEGEKIMANA, Félix SEMW AGA
aurait établi de bons rapports avec le nouveau préfet grâce à Emmanuel REKERAHO, exadjudant-chef, responsable du MDR et coordonnateur
de la défense civile êt des massacres pour
les communes de Mbazi, Maraba et Huye (Sovu) (témoignage, Kigali, 1"' février 2002).
Paradoxalement, le fait que la dispute pour la direction politique de la ville et des massacres se
recentre autour d'une compétition MDRfMRND conféra à l'ex-parti unique un label régional
inattendu. Théodore SINDIKUBW ABO, Pauline NYIRAMUSUHUKO, Callixte KALIMANZIRA
s'appuyant sur le nouveau préfet gagnèrent apparemment en légitimité alors que le MDR de Jean
KAMBANDA, assimilé à son porte-parole le plus actif, Félix SEMW AGA, était soupçonné d'être
l'agent d'une tentative de mainmise des gens de Gitarama. L'animosité
traditionnelle des
Butaréens envers toute tutelle des « étrangers » associait ainsi paradoxalement le MDR aux « gens
du nord » qui continuèrent pourtant à contrôler le MRND et à maintenir un contact direct avec les
décideurs de Gisenyi.
8.5. Pauline NYIRAMASUHUKO,
de l'activisme
au «coup
. .
369
umuga b0 ayo b ora urugo umugore a bayo b ora tsi yose

d'État

permanent»:

Ngo

iyo

De la même façon que le chapitre sur la sphère politique butaréenne avant avril 1994 s'est
achevé sur le rôle décisif joué par Séraphin BARARENGANA, acteur déterminant bien que
n'apparaissant pas dans la sphère formelle du pouvoir, celui-ci insistera sur un aspect, souvent
illustré par les témoins mais rarement argumenté, de la hiérarchie réelle des pouvoirs dans la
préfecture après le 6 avril et plus précisément au-delà du 18 avril, date de la reprise en main de
Butare par les nouvelles autorités politiques autoproclamées.
Nous avons pu analyser dans un premier temps comment Pauline NYIRAMASUHUKO du fait
des soutiens dont elle bénéficiait par délégation de la part de la famille présidentielle avait pu
. s'assurer à partir de 1991-92 des positions de pouvoir éminentes aussi bien à l'échelon
préfectoral que national. Mais à ce stade, ses fonctions étaient assez similaires à celles d'autres
serviteurs zélés et inconditionnels
du pouvoir:
elle était «en mission» pour la présidence et
appartenait à la nouvelle génération de militants déterminés et engagés promue depuis les débuts
du multipartisme. Militants parmi lesquels fi§urent des personnalités comme Laurent SEMANZA,
Léon MUGESERA, Jean-Baptiste GATETE 70 ••• qui bousculent l'appareil du MRND jusque là
plutôt contrôlé par des politiciens notables, diplômés et policés, alternant généralement entre des
postes de hauts fonctionnaires et des fonctions explicitement politiques (ministres, députés ou
autres).
De ce point de vue, l'engagement de Pauline NYIRAMASUHUKO rompt totalement avec celui
de son mari et, d'une manière générale tranche avec celui de la plupart des autres ministres ou
personnalités dont l'implication est beaucoup moins directe et surtout plus prudente. C'est dans
ce contexte qu'il faut situer le débat récurrent relatif à l'absence présumée « d'intelligence»
de
Pauline NYIRAMASUHUKO, grief habituellement formulé à son égard au sein de l'ensemble de
la sphère politique.?"
Le doute et les mises en cause sans cesse alimentés notamment par ses pairs au sein du
gouvernement semblaient tenir pour une bonne part à sa manière de vivre et d'assumer son
)67 « La nomination de NTEZILY AYO est bien une décision
des deux >} (témoignage,
Bruxelles, 30 mai 2002). Les
liens personnels entre Jean KAMBANDA et Pauline NY1RAMASUHUKO semblent avoir été très étroits à la fin de la
guerre où plusieurs témoins disent qu' « ils étaient toujours ensemble »,
)6&
Il se fit connaître comme un alcoolique notoire plus familier des militaires dans les bars que des réunions

po liti q ues.

« On dit que quand l' homme dirige le foyer, la femme gouverne la terre entière ».
m De manière révélatrice, comme indiqué supra § 2.5.1., p. 32, les deux derniers avaient été récupérés au sein du
cabinet de la ministre de la Famille et de la Promotion féminine lorsque la brutalité de leurs pratiques politiques obligea
)66

le pouvoir à les mettre en retrait.
311 À l'origine
de nombreux qualificatifs
parle trop

»,

peu flatteurs:

« tonneau

...

157

vide », « femme

sans cervelle

»,

« femme qui

engagement politique. Elle affichait ouvertement son ambition de servir, d'être proche des
puissants, proclamait ses convictions partisanes sans la moindre ambivalence, émettait sans cesse
des avis personnels, généralement très tranchés, sur tous les champs de l'activité gouvernementale
y compris bien évidemment ceux dont ses collègues avaient la charge ... En fait, avec l'assurance
affichée qu'elle retirait de ses récentes certifications universitaires, elle s'estimait en droit
d'exprimer publiquement des jugements à tous propos, sans même percevoir son ignorance des
analyses des «experts » et «professionnels ». Pour autant son investissement professionnel, son
activisme de terrain et sa proximité vis-à-vis des acteurs les plus engagés et radicaux la mettait en
symbiose avec l'évolution
des événements et firent d'elle un des membres les plus
« opérationnels»
des gouvernements successifs. Elle prenait des notes et se renseignait sur tout,
s'occupait de tous les dossiers, établissait des liens personnels avec les milieux. les plus divers.
Cette « fraicheur » de néophyte et cette débauche d'énergie lui valurent un soutien indéfectible du
président HABYARIMANA qui prit systématiquement
sa défense face à ses détracteurs en
assurant que « cette femme est intelligente », Nous retiendrons de ces débats que son sens pratique
et sa compréhension immédiate des situations furent fortement appréciés par les stratèges de
l'akazu et plus particulièrement les deux membres du couple présidentieL
Après le 6 avril 1994, on assista à une transformation
profonde du comportement de Pauline
NYIRAMASUHUKO qui, en quelque sorte pouvait désormais sexprirner pleinement, se libérer.
Si elle ne douta jamais qu'elle serait un jour récompensée pour son long travail de rattrapage
scolaire et ses efforts d'intégration
(favorisés par la réputation et l'expérience
acquise par son
mari), elle savait bien aussi que sa promotion était liée à la nécessité de contrer à Butare et à
l'échelon national la dame qui «comptait»
et qui était crainte au plus haut niveau, Agathe
UWILINGIYIMANA. Cantonnée dans un second rôle depuis la mise en place des gouvernements
pluripartites, toutes les comparaisons entre les deux femmes se faisaient systématiquement au
détriment de Pauline NYIRAMASUHUKO.
L'assassinat
de la Première ministre la hissa
brutalement au premier rang de la sphère des politiciens rwandais. Elle occupait à elle seule tout
le terrain.
Mais l'évolution la plus subtile découla de la disparition du président HABY ARIMANA, son
interlocuteur attentif et son fidèle soutien, aussitôt suivi de l'exil d'Agathe KANZIGA, son
épouse. Pauline NYIRAMASUHUKO devenait alors, par défaut, «la première femme du pays >Î.
Position inédite qu'elle était paradoxalement à même d'occuper à un double titre, en premier lieu
du fait des fonctions officielles qu'elle exerçait déjà et en second lieu, au nom de la continuité
politique en tant qu'amie parmi les plus anciennes et proches d'Agathe KANZIGA. En outre,
dans l'optique des calculs politiques qui aboutirent
à la mise en place du gouvernement
intérimaire, elle bénéficia d'un profil exceptionnel:
être à la fois proche de l' akazu et des
nouveaux. dirigeants civils du sud à qui le pouvoir de représentation politique était dévolu par les
premiers. Alors que l'unité des Hutu incarnait le fondement du nouvel ordre de guerre, elle
transgressait totalement le seul clivage (mortel) qui subsistait: la division nord/sud. C'est ainsi
qu'elle prit rapidement la mesure de son nouveau destin et des tâches auxquelles elle était
appelée, ce qu'elle exprima avec justesse et jubilation dans son agenda en date du Il avril 1994 :
« iyo umugabo
ayohora urugo umugore abayobora isi yose », phrase que l'on peut traduire
ainsi: «quand l'homme dirige le foyer, la femme gouverne la terre entière ».
Et c'est bien ce qui se passa alors à son niveau.
On la retrouva partout dans le pays : là où le nouveau président était, elle était; là où le
premier ministre allait, elle allait. Elle intervint au nom du gouvernement dans le suivi de presque
toutes les préfectures. En conseil des ministres, elle formulait des jugements sur tous les dossiers
politiques et militaires, se prononçait sur les nominations et évictions des préfets, des officiers, des
fonctionnaires de l'administration
territoriale, notait tout ce qui se disait en matière de politique
étrangère, de diplomatie et de propagande extérieure. Surtout, et cet élément complète les qualités
décrites précédemment,
la force principale de Pauline NY1RAMASUHUKO résida dans sa
capacité à se rendre, rapidement et en toute situation, indispensable. Elle n' opèrait aucun calcul
coût/avantage, dans l'utilisation
de son temps et de son énergie et ne refusa aucune tâche
« humble ». A ce titre, il répondit parfaitement
au nouveau profil des ministres « ébatabazi »
décrit par le président SINDIKUBWABO le 19 avril à Butare: «Nos ministres s'approcheront
de
la population, ils sortiront des bureaux et descendront sur le terrain. Ils auront des jours où ils
seront au bureau et d'autres jours pour travailler." au niveau de la population. Les problèmes
seront étudiés de concert et auront des solutions concertées. »

158

En termes d'attributions
politiques publiques, elle devint une pièce maîtresse de l'activité
visible du gouvernement intérimaire de la prestation de serment du 9 avril jusqu'à la défaite à la
mi-juillet 1994, mais aussi au-delà jusqu'à la mise à l'écart de cette entité exilée. m Assidue, active
et motivée, elle énervait nombre de ses collègues qui préférèrent - généralement par calcul - des
rôles plus en retrait, mais s'inséra dans le noyau des décideurs qui entourait le président et le
premier ministre (ministres, représentants importants des partis, conseillers divers). En tant que
membre du bureau politique du MRND, son réseau de contacts était dédoublé et la faisait
participer aux sphères parallèles du pouvoir (cf. réunion du comité national des Interahamwe à
Kigali du 7 mai 1994, agenda PN, p. 25 et 26 janvier).
Mais son influence dépendait aussi fortement
de son double statut de femme et ...
d'« épicière », En tant que femme, elle remplit en quelque sorte le rôle de «sœur» au sein du
groupe des ministres et des personnalités déplacés à Murambi. Elle entourait le président à la
santé fragile, assurait les « rafraîchissements}) des membres du GI et surveillait la nourriture.i"
Cette fonction revêtait une dimension vitale, en effet dans l'atmosphère délétère qui prévalait dans
les cercles du pouvoir, la peur des empoisonnements
était omniprésente et seule une personne de
confiance pouvait s'occuper du suivi des cuisines et des repas. Pour autant, cette tâche n'était pas
nouvelle pour Pauline NYIRAMASUHUKO qui s'occupait
habituellement des réceptions des
associations féminines dans lesquelles elle s'activait et qui assura tout au long de I'année 1994,
comme l'indique son agenda, l'approvisionnement
du restaurant familial de Butare géré par son
fils Shalorn. Restaurant qui, pendant la guerre, servit de point d'attache aux miliciens attachés à la
barrière installée à proximité. Tout naturellement, elle participa aussi au financement des milices
Interahamwe et aux transferts de fonds afférents. L'« épicière» ajouta alors de nouveaux produits
à son commerce comme l'achat de flèches en gros: le 18 juin, elle récupéra une enveloppe de
200 000 Frws .pour acheter l'équivalent
de 20 000 flèches traditionnelles
destinées à
l'autodéfense civile à Gisenyi (cf. agenda PN, 18/06, tome 3, p. 57)! On la retrouva aussi engagée
dans la gestion du «Patrimoine}} gouvernemental
qui conditionnait sa survie: des avions aux
minerais en passant par le café et le thé. Dans l'exil, c'est elle encore gui sui vit les divers trafics
qui permirent de financer une activité « gouvernementale»
minimale (cf. agenda PN, tome 3, p.
77,79 ... ).
.
Mais le dynamisme personnel et l'activisme politique de Pauline NYIRAMASUHUKO ne
peuvent suffire à :expliquer cet engagement multiforme, qui relève plus de la dispersion que de
l'efficacité. En premier lieu, son implication dans le suivi politique de plusieurs autres préfectures
du pays demeure. surprenante.
Si l'on peut considérer comme parfaitement
normal le fait
d'accompagner
Théodore SINDIKUBWABO et Jean KAMBANDA avec d'autres ministres, lors
de tournées politiques décisives (comme le lancement des massacres dans les préfectures de
Gitarama, Gikongoro et Butare à partir du 18 avril), on ne peut manquer de s'interroger sur les
responsabilités de coordination politique qui lui incombèrent dans les préfectures de Gisenyi et
Ruhengeri alors que des personnalités originaires majeures étaient sur place et que siègeait
l'hôtel Méridien de Gisenyi une équipe de conseillers «alternatifs » parfaitement représentative
des diverses sensibilités en compétition pour le pouvoir (cf. infra tableau n" 16).

a

m Elle maintint alors une activité débordante jusqu'en novembre lorsque fut installé le « gouvernement
en exil"
et que d'autres structures le concurrencèrent. Elle figura dans le dernier carré des ministres fidèles au premier ministre qui
bien qu'en exil continua à réunir des conseils des ministres (cf. Conseil des ministres du 4 août à la page du 3 août de
l'agenda PN), encadra et visita les camps de réfugiés du Nord-Kivu (cf. agenda PN, 20 aôut, 10 novembre), etc.
37J Cf agenda PN, 2 juin, 30/6 et autres pages, On la voit ainsi faire « le tour de table >; pour collecter
l'argent des
personnalités

présentes et assurer les achats du groupe.
159

Tableau

n° 16: Rôle dans le suivi politique et militaire des préfectures autres que
Butare au nom du Gouvernement intérimaire au-delà du 6 avril 1994

• Lundi 18 avril: conférence préfectorale à Gitarama (agenda PN, 18/04,5-9/02)
• Mardi 19 avril: suivi politique de la préfecture de Gisenyi (agenda PN, I9/04)
• Jeudi 21 avril: suivi politique de la préfecture de Ruhengeri (agenda PN, 13/02 et 16/02,25/04)
• Samedi 30 avril: réunion à la préfecture de Kigali (agenda PN, 30/04)
• Jeudi 21 avril: conférence préfectorale à Ruhengeri (agenda PN, 13-16102)
• Mardi 3 mai: suivi politique de la préfecture de Gisenyi. Réunion de pacification sous-préfecturede
Ngororero, préfecture de Gisenyi (agenda PN, 22-24104)
• Mercredi 4 mai: réunion préfecture de Kigali rural (agenda PN, 4/05)
• Vendredi 6 mai: réunion de pacification avec le Premier ministre dans la préfecture de Ruhengeri
(agenda PN, 6 et 5/05, 25-26/04)
• Vendredi 3 juin: visite dans la préfecture de Gikongoro, commune Mubuga, sous-préfecture Mwulire
(agenda PN, 28/05)
• Samedi 18 juin: commune Musange, préfecture de Gikongoro pour le financement de l'autodéfense
civile à Gisenyi (agenda PN, 18/06)

Deux explications
peuvent être avancées.
La prerniere tient au fait que Pauline
NYIRAMASUHUKO n'était pas assimilée à une simple «représentante du sud» qui avalt choisi
par opportunisme l'alliance avec les gens du nord. Ce que l'on sait au nord à son sujet est que
Pauline NYIRAMASUHUKO
et Agathe KANZIGA firent leurs études ensemble à Butare et
qu'elles demeurèrent ensuite étroitement liées. D'une manière générale, ses liens avec la famille
présidentielle dans son ensemble et son positionnement
constant comme élément radical et
inconditionnel
du MRND lui établirent une solide réputation nationale. Réputation qui la
démarquait de pratiquement toutes les personnalités politiques du sud. P. NYIRAMASUHUKO fut
ainsi la seule membre du gouvernement à disposer d'une légitimité suffisante pour pouvoir être
acceptée dans toutes les préfectures du pays et dans toutes les sphères politique où l'extrémisme
prohutu transgressait les clivages régionalistes (comme le comité national des lnterahamwe).
La seconde nous a été suggérée par un. extrait de l'agenda:
«- Famille du Présirép ; Téléphone par satellite », CM du 23104, p. 17/02), puis confirmée par certains témoins. Après le
départ d'Agathe KANZIGA le 9 avril vers Bangui, rapatriée le lendemain sur Paris par un vol
spécial organisé par les autorités françaises, cette dernière continua à jouer un rôle politique
personnel important au nom de la « Présidence» à la fois pour fédérer les tendances centripètes
qui animait la «mouvance»
orpheline et comme ambassadeur du régime et du Rwanda hutu
agressés. Agathe KANZIGA continua ainsi à suivre de très près les évolutions en cours et
l'actualité au plus proche du terrain, notamment
dans les deux. préfectures du nord qui
incarnaient le pouvoir. D'après nos informations,
les deux correspondants
de confiance qui
assuraient le contact avec la famille présidentielle et transmettaient les messages furent Augustin
NGIRABA TW ARE, membre apparenté et tête pensante de l'okazu qui figurait parmi les dauphins
potentiels déjà mis en avant par le président, et Pauline NYIRAMASUHUKO. Le premier rendait
compte des « éléments objectifs », la seconde livrait sans retenue les <{ nouvelles commentées })314,
Agathe KANZIGA jouait en particulier un très grand rôle dans l'établissement
de relations
directes avec plusieurs chefs d'Etat africains du fait des liens étroits que les familles présidentielles
avaient eu le temps de nouer au fil de leur long exercice du pouvoir (Zaïre, Togo, Gabon,
Congo, ... ). Cette médiation constitua une filière obligée lorsque le gouvernement intérimaire dut
se réfugier au Zaïre et qu'il dut solliciter des aides et facilités diverses pour poursuivre ses activités
po litico- mi li taires.

JJ4 C'est ainsi que j'on peut comprendre
le souci du détail dans les notes prises par Pauline NYIRAMASUHUKO sur
les événements
de la préfecture du Gisenyi,
En date du 19 avril, elle mentionne
«Le
préfet de Gisenyi
ZILIMWABAGABO
est arrivé à son poste ce jour la nuit et n'a pas trouvé le logement .. Le 21 - remise-reprise;
le 22
réunion bourgmestres + sécurité, depuis le 23 réunion commune Rubavu, Kanama, Myamyumba, Karago », Il est en
effet peu plausible d'imaginer qu'elle établit elle-même le programme quotidien du nouveau préfet nommé le 16 avril ou
qu'elle doive informer le gouvernement de ce genre de détails.

160

Pauline NYIRAMASUHUKO
manifesta ainsi jusqu'au
bout sa fidélité à la famille
présidentielle et assuma sur place l'héritage tant que cela fut envisageable. C'est à ce titre
qu'après la défaite, alors que le gouvernement en sursis était installé à Gorna, elle s'impliqua dans
la définition d'une alternative politique et tenta aussi longtemps que possible d'empêcher la
débandade complète du pouvoir contrôlé par le noyau divisé des Nordistes. On retrouve de
nombreux éléments des stratégies alors mises en œuvre dans son agenda lorsqu'elle théorise u TI
« Front de iibération nationale» conduisant une guérilla (agenda PN, page du 20 juillet), avec des
maquisards (24 juillet), puis surtout avec la mise en place d'une «organisation politico-rnilitaire
englobant les officiers » le 12 août (page du 5 août).
Mais Pauline NYIRAMASUHUKO ne tenta pas seulement de «diriger la terre» comme
exécutante testamentaire du président défunt, elle utilisa cette filiation et sa légitimité nationale
pour régner à Butare. Il ne s'agissait pas à cet échelon de doubler le couple président/premier
ministre avec lequel elle était totalement en phase quant à la politique à conduire, mais d'être la
plus active sur le terrain pour sa mise en application. C'est à ce niveau que s'illustra ce que
j'appelerai la pratique du « coup d'Etat permanent ».
C'est à Butare en effet, qU~ Pauline NYIRAMASUHUKO était confrontée à son défi le plus
redoutable. Au sommet de l'Etat, ses opposants - les politiciens « mondains» et/ou timorés pour
lesquels elle éprouvait de longue date le plus profond mépris - n'étaient pas susceptibles de
s'opposer à elle et elle n'avait aucune chance de se les attacher. Par contre à Butare, en l'absence
de relais militants fiables et expérimentés, la prise de contrôle effective d'une administration très
majoritairement hostile à la guerre civile jusqu'au
19 avril, puis la soumission d'une population
indépendante et métissée, furent une longue et difficile épreuve. Ces objectifs ne ,purent être
partiellement atteints qu'avec le recours à la terreur entretenue au jour le jour. Eliminer les
symboles sans défense comme Agathe UWILINGIYIMANA,
le préfet HABY ALIMANA ou la
Reine-Mère né' posait aucun problème, mais anéantir les valeurs et les espoirs dont ils étaient
porteurs parmi la « population » relevait de la gageure pour une femme qui ne détint jamais
aucun mandat politique local ou national validé par un suffrage quelconque même au niveau du
MRND. De larnême façon que Maurice NTAHOBARI accéda à des responsabilités éminentes
parce qu'il fut 'choisi par le sommet, Pauline NYIRAMASUHUKO ne fut à Butare, et beaucoup
plus que son. mari, qu'une
créature présidentielle
sans aucune légitimité et qui plus est,
ouvertement chargée de défendre les intérêts du nord au détriment même des personnalités locales
issus du même ·parti présidentiel (comme Amandin RUGIRA, Innocent BUTARE, RUNYINYA
BARABWIRIZA, etc.).
Après avoir été considérée comme une personnalité
suscitant le sarcasme et publiquement
ridiculisée, Pauline NYIRAMASUHUKO s'imposa par la peur et fut haïe. Elle n en eut cure et
s'attacha méticuleusement à éradiquer les ennemis et les complices qu'elle considéra bien souvent
comme ses propres ennemis. Aucune limite ne retint son action et elle tenta de s'assurer le
contrôle de la totalité de la chaîne des acteurs en charge de la guerre : des massacres sur les
barrières ou lors des «fouilles»
via les miliciens dont elle supervisait l'organisation
jusqu'au
niveau des cellules ou dont elle armait les bras (celui de son fils y compris), jusqu'aux hiérarchies
administratives et militaires préfectorales qu'elle
manipula outrancièrement.
Les soupçons et
dénonciations directes pouvaient viser tous les échelons de responsabilité jusqu'au simple citoyen
qu'elle
mettait en situation d'insécurité
constante
aux conséquences
redoutables
lorsque
l'intervention de la « population»
était sollicitée.37s Ce comportement d' acharnement personnel
de la ministre que nous avons déjà illustré à maintes reprises dans les chapitres précédents
justifient pleinement à mes yeux l'expression de « coup d'Etat permanent » qu'elle pratiquait au
niveau de la préfecture de Butare,
.
1

m On se reportera notamment à la recension des gens à cibler qu'elle effectue lors de ses divers déplacements ou
qu'elle note dès qu'une information lui est transmise: cf. agenda, PN. tome 2, pages du 14 avril, du 1"'mai, du 3 mai, du
6 mai, du 8 mai, etc.
161

9. Conclusion
Au début du mois d'avril 1994, les conditions sociales et politiques dans la préfecture de
Butare n'étaient pas mûres pour y enclencher des massacres conséquents. Ni le préfet et les
bourgmestres, ni la hiérarchie militaire (FAR et gendarmerie)
n'étaient
acquis au projet
génocidaire. Comme nous l'avons vu, les acteurs qui s'investirent pour faire basculer l'ordre
peuvent être clairement identifiés.
9.1. Le leadership des politiciens locaux
Ce rôle incomba à des personnalités politiques butaréennes, des membres du conseil de
gouvernement
et des dirigeants des partis politiques:
Théodore
SINDIKUBWABO, Jean
KAMBANDA,
Pauline
NYIRAMASUHUKO,
Straton
NSABUMUKUNZI,
Callixte
KALIMANZIRA, François NDUNGUTSE pour ne citer que les plus illustres. Ces individus
n'étaient certes que des personnalités sans envergure, installées au premier rang dans les heures
qui' suivirent l'attentat contre l'avion présidentiel par les dirigeants militaires autoproclarnés, mais
elles ne furent pas nommées au hasard. La plupart avait manifesté des dispositions favorables au
cours de la période de radicalisation qui précéda la reprise de la guerre ou étaient connues pour
leur « souplesse » opportuniste. Tous bénéficièrent des pouvoirs et des soutiens nécessaires pour
remplir la mission qui leur incombait et s'attachèrent avec détermination à la mener à bien. Le fait
que ces personnalités
furent considérées
comme les promoteurs
des massacres est donc
parfaitement fondé.
L'essentiel de leur tâche consista dans un premier temps à convaincre les fonctionnaires de
l'administration territoriale d'enclencher le cycle des tueries dans leurs communes et de suppléer
en quelque sorte à la défaillance politique de la préfecture. Dans la plupart des autres préfectures,
la radicalisation avait été méthodiquement entretenue depuis deux. ou trois ans sous la conduite
(ou accompagnée par) des préfets qui avaient eu le temps de structurer des groupes de miliciens
ou des noyaux. actifs de militants extrémistes (jeunesses, CDR et autres) susceptibles de convaincre
ou de faire pression sur les autorités récalcitrantes. Dans la plupart des préfectures aussi, des
massacres de Tutsi et des assassinats d'opposants avaient déjà eu lieu qui fournirent des occasions
d'apprentissage de l'exercice de la violence collective.
De tels groupes paramilitaires n'existaient pas à Butare et, une fois le préfet pacifiste éliminé,
son successeur demeura malgré tout un préfet « faible» en comparaison des autres. Pour remédier
à cette absence de relais, les membres du gouvernement
et dirigeants politiques butaréens durent
s'investir personnellement y compris dans les tâches de terrain au travers d'un suivi rapproché des
cadres de l'administration
territoriale, des militaires et des milices. On retrouve ainsi notamment
Jean KAMBANDA, Pauline NYIRAMASUHUKO et Callixte KALIMANZIRA omniprésents dans
Lesréunions politiques et de sécurité, y compris au niveau des communes et des secteurs comme si
leur autorité et leur conviction étaient nécessaires pour entretenir la combativité locale (cf. les
divers compte-rendus de réunion de l'agenda PN, tome 2). Ces dirigeants durent aussi recourir à
des éléments de la gendarmerie
(Ntyazo, Nyabisindu, Mugira ... ), mobiliser des réservistes,
solliciter des apports extérieurs:
miliciens de Gikongoro dans les communes de Maraba et
Runyinya, installation de Robert KAJUGA avec son propre état-major d' lnterahamwe et groupes
armés de réfugiés burundais dans les communes de Nyakizu, Kibayi, Nyaruhengeri, Muyaga et

Muganza.?"
Les analogies avec la préfecture de Gitarama apparaissent ainsi très fortes sur de nombreux
points. Les communes de Gitarama basculèrent
du fait de L'engagement personnel de leurs
personnalités originaires:
Nyabikenke avec Callixte NZABONIMAN A, Masango avec Georges
RUTAGANDA, Bulinga avec Froduald KARAMIRA, le Mayaga avec Pierre KAYONDO, ... Il
m Trois camps avaient été établis dans la commune de Kibayi, le plus important se trouvait dans le secteur Saga.
Deux camps étaient installés dans celle de Muyaga. À Nyakizu, un camp important avait été implanté à Karamba près du
bureau communal, tout comme dans la commune de Nyaruhengeri à Ngange et celle de Muganza. Aucun camp n'avait été
aménagé dans la commune Kigembe, mais lorsque les groupes de réfugiés organisés furent mobilisés pour participer aux
massacres des populations tutsi rwandaises, la commune se trouva prise en étau entre celles de Nyakizu, Nyaruhengeri et
Kibayi. Après avoir atteint les 300 000 ressortissants
burundais, dont 275 000 pour la seule préfecture de Butare, les
effectifs des camps connaissaient
une décrue au début de l'année 1994, reflux accéléré après la mort du président
HAB YARIMANA. Les estimations
au cours de la guerre civile tournaient autour de 70 à 80 000 réfugiés. Ces chiffres
sont à mettre en regard avec l'effectif de la population
totale de la préfecture en 1994 qui s'approchait
du million
d'habitants.
162

fallut là aussi faire intervenir les membres du gouvernement
intérimaire, des unités de l'armée,
Robert KAJUGA s'installa un temps à Rutobwe, commune récalcitrante, etc.
À Butare, les bourgmestres" les conseillers de secteurs et les personnels
communaux
(fonctionnaires des services de l'Etat, agents administratifs et policiers) détenaient sur le terrain les
clés du maintien de l'ordre. Ces notables et leurs équipes avaient survécu à de nombreuses
administrations de la première à la seconde République et rien ne pouvait se faire sans eux.
Dans chaque commune, en fonction des rapports de force et de leurs relais locaux, les
politiciens secondés par l'administration
préfectorale
durent mettre en œuvre des approches
particulières pour arriver à leurs fins: les bourgmestres
réfractaires furent tués (Nyabisindu,
Ntyazo, Ruhashya), certains furent remplacés, neutralisés ou doublés (Rusatira, Ndora), les autres
se soumirent ou se rallièrent (Runynya, Shyanda, Mbazi, Ngoma .. ,).
Toutefois, ces chefs politiques ne furent écoutés et obéis qu'à partir du moment où l'attitude
des militaires fut clarifiée. De ce point de vue, la «non-intervention»
de l'état-major de la
gendarmerie
(dirigée par un général butarëenj'",
puis la mutation du commandant
du
groupement de la gendarmerie de Butare, réfractaire aux massacres, donnèrent un signal fort en
faveur du génocide. De même, la brièveté de la promotion du général Marcel GATSINZI comme
chef d'état-major, puis la nomination de Tharcisse MUVUNYI comme commandant de place
pour Butarè et Gikongoro, indiquaient explicitement l'aval de l'armée. Le terrain était alors libre
pour les a'gissements brutaux des cadres militaires de second rang, partisans connus met déterminés
du génocide, le major Alfred RUSIGARIYE et le capitaine Alphonse NIZEYIMANA.
Butare ise retrouva alors dans une configuration
similaire à celle de' Gikongoro où le
responsable de l'autodéfense
civile, le lieutenant-colonel
Aloys SIMBA (hutu, Gikongoro),
ignorait le, commandant du groupement, le major gendarme Christophe BIZIMUNGU (hutu,
Cyangugu] peu actif, au profit du capitaine Nathanaël SEBUHURA (hutu, Ruhengeri, commune
Mukingo, secteur Busogo J. Il finit par obtenir son départ et à le faire remplacer en jui1let par un
collaborateur efficace, le capitaine Gelace HARELIMANA (hutu, Ruhengeri).
Une fois le processus enclenché, la suite des événements

fut d'une dramatique banalité.

9.2. Le relais des autorités communales
Les bourgmestres, les conseillers de secteur, les responsables de cellules et les personnels
communaux jouèrent assurément un rôle déterminant
et l'ampleur
des massacres fut alors
proportionnelle à l'engagement
personnel et solidaire des différentes autorités locales. Par peur,
par calcul, par accoutumance, par conviction, tous ceux qui restèrent en fonction ou qui furent
promus participèrent à la mise en œuvre directe des massacres et/ou à leur organisation.
Leur attitude fut cependant fort différente de celle des dirigeants politiques (ministres, hauts
fonctionnaires, responsables des partis, chefs miliciens). Ceux-ci manifestèrent une implication
sans réserve. Leur engagement fut entier et leurs agissements furent d'une brutalité radicale. A
l'opposé, l'ambivalence
des fonctionnaires territoriaux
face aux événements et à l'étendue de
leurs responsabilités impressionne fortement.
Pour quelques-uns, comme le préfet Alphonse NTEZIL y AYO et l'ensemble des sous-préfets,
les bourgmestres
ou ex-bourgmestres
Ladislas
NTAGANZWA,
Adalbert MU HUTU , Élie
NDA YAMBAJE, Esdron NYAWENDA, au-delà des antécédents et motivations personnels, la tâche
était clairement définie et tous les moyens pour l'accomplir
furent mobilisés. Aucune limite,
même morale, ne les retint: les convictions et les actes furent en totale harmonie.
Pour la plupart des autres bourgmestres, les motivations durent être entretenues, régulièrement
ravivées. Même si, comme le dit l'un, «le pas vers le précipice a été largement franchi », « la
fatigue gagnait»
devant ce «travail»
toujours
inachevé et le spectacle permanent
des
affrontements politiciens. Plusieurs, que nous avons rencontrés, acceptent de {(prendre leur part
m Dans les deux premières semaines après le 6 avril, une prise de position personnelle du chef d'état-major était
localement attendue et aurait d'emblée conforté les opposants aux. massacres,
ln Ou encore, à son niveau au camp Ngoma, le sous-lieutenant NIYONTEZE lorsque le major Charles NTAl'v1BABAZl
fut nommé formellement commandant.
163

de responsabilité », mais estiment qu'ils ne furent pas seuls à décider, à mettre en œuvre. D'autres
« responsables»
sont désignés, au-dessus d'eux
bien évidemment, mais en dessous aussi
(notamment les conseillers de secteur).
Les deux cas soumis au TPIR (Sylvain NSABIMANA et Joseph KANYABASHI) présentent un
argumentaire assez similaire de « non-coupables sous contrainte », Au fil des investigations et des
témoignages cependant, l'analogie entre ces deux personnalités nous est progressivement apparue
impropre. Dans le premier cas, il a non seulement été nécessaire d'« aller chercher» Sylvain
NSABIMANA, mais il fallut aussi le seconder régulièrement
pour endosser des tâches qu'il
accomplit alors avec le zèle des lâches. Manifestement, il n'usa guère des pouvoirs qui lui étaient
déférés pour contrecarrer le cours des événements, mais il ne fit rien non plus pour conserver
ces pouvoirs, sauvegarder des biens symboliques ou matériels. L'épisode préfectoral ne fut, si
l'on ose dire, qu'un échec professionnel de plus au terme d'une longue série.
L'attitude
de Joseph KANYABASHI fut, selon notre opinion, notablement
différente.
L'homme qui survécut à tous les préfets de la seconde République ne pouvait manifestement
renoncer à des fonctions, à un pouvoir et à des biens qu'il avait accumulés et consolidés tout au
long de sa carrière. En octobre 1990, lors des arrestations massives, il dut déjà couvrir de
nombreuses exactions et s'accommoder
de bien des traîtrises au nom du réalisme, mais le bilan
global put alors apparaître à son avantage au nom des « autres », ceux qu'il était censé avoir
protégé. Par contre, au regard de la déferlante qui s'abattit sur sa commune à la mi-avril 1994 et
des tâches qui lui incombèrent alors personnellement, ce calcul coût-avantage se révèle dérisoire.
Le bourgmestre KANYABASHI n'était pas un bourgmestre comme les autres. Ni la commune
Ngoma. Toutes les personnalités politiques majeures, toutes les autorités administratives, civiles et
militaires en charge des tueries y résidaient, toutes le visitaient ou le fréquentaient. Aucune parmi
elles ne s'est jamais plainte d'une mauvaise volonté ou de blocages du bourgmestre alors même
que la commune fut en permanence livrée aux massacreurs. Dans cette optique, la maîtrise
exceptionnelle du pur calcul politique qui lui va-lurent pendant vingt ans l'admiration et le respect
de ses administrés peut apparaître à l'aune des massacres qu'il « dut » ordonner et assumer
comme l'expression d'une ambition et d'un opportunisme
politiques démesurés. Si en 1990, il
suffisait de « laisser passer l'orage» et d'attendre
que le temps efface les compromissions,
l'engagement
pris publiquement le 19 avril 1994 devant le premier ministre ne laissait aucune
autre échappatoire que la solidarité de destin avec les commanditaires
des massacres et d li
génocide. «Nous vous assurons que tout ce qui sera possible, nous le mettrons en pratique en
nous basant surtout sur les conseils importants que vous nous avez donnés en plus des directives
que vous nous avez rappelées.» Au-delà des paroles contraintes de cette journée exceptionnelle,
les actes de l'administration
communale qu'il dirigea furent conformes aux propos dès le
surlendemain et ce jusqu'à la fuite à l'arrivée du FPR.

9.3. Des enjeux clairement politiques
Au total, le principal enseignement de cette étude de la préfecture de Butare, me semble résider
paradoxalement
dans la faible incidence de l'explication
ethnique du conflit. Pour les plus
enragés parmi les partisans des tueries, cette dimension bien qu'énoncée
comme exclusive, ne
recouvre aucun enjeu. Leur vision du champ social, leur analyse des fins n'allaient pas plus loin
que l'adhésion
à un projet d'extermination
massive qui avait le mérite d'être simple: un
adversaire était explicitement désigné et était aisément identifiable, ceux qui incarnaient la
légitimité du pouvoir ou qui s'exprimaient
au nom de l'autorité déclaraient que la cause était
juste et que les « rwandais démocrates» seraient appréciés selon leurs performances en matière de
massacres des « ennemis », c'est-à-dire des Tutsi et plus largement des opposants à ce projet. Un
tel message était à leur portée, les comportements dictés.
Mais au-delà du schéma, la définition de l' « ennemi» fut coextensive. Si l'ethnie fut sans cesse
invoquée, bien d'autres caractéristiques
adj acentes furent aussi sollicitées. Dans le contexte
d'impunité généralisée, et au nom du projet génocidaire, quand la carte d'identité ne suffisait pas
à condamner les victimes, n'importe quel argument pouvait être avancé pour se débarrasser d' un
individu, d'une famille ou d'un groupe, les dépouiller de leurs biens ou abuser des femmes: le
physique tutsi, les liens familiaux, de voisinage, professionnels
ou commerciaux
avérés ou
supposés avec des Tutsi et, d'une manière générale, le simple fait de ne pas adhérer et participer
aux tueries... Hormis cette forme de mobilisation
massive et suscitée à l'encontre
d'une
composante ethnique assimilée à 1'« ennemi ), qui concerna autant les éduqués que les simples
164

gens, il est bien délicat d'identifier un schéma explicatif simple avec des camps, des enjeux et des
objectifs de guerre clairement déterminés.
En fait, dans le contexte socio-politique
butaréen, profondément
marqué par le poids
démographique, économique et social des populations tutsi, le caractère ancien et généralisé du
brassage ethnique
hissait la préfecture
au-delà
du clivage ethnique
et des pratiques
discriminatoires qui régulaient la vie sociale rwandaise, notamment dans les préfectures du nord.
La fluidité des liens sociaux dans les différentes sphères d'activité ne permet même pas de
démontrer l'existence de comportements collectifs spécifiques, spontanés ou organisés, fondés sur
le critère de l'appartenance ethnique.
Excepté bien évidemment, les exclusives officielles. Ainsi, à Butare, le caractère arbitraire du
système officiel des quotas apparaissait de manière exemplaire puisque le principal domaine où il
s'exerçait était la sélection pour l'accès à L'enseignement
secondaire et universitaire, deux
institutions dont les valeurs fondamentales (le travail et le mérite individuels) devaient être déniées
pour que cette pratique soit mise en œuvre.
Mais c'est dans le domaine politique que l'ethnisme fut le plus nettement disqualifié lors des
luttes pour la restauration du multipartisme. Parmi les raisons du discrédit dont fut victime le
MRND, la vague d'arrestation
massive des <~ complices du FPR» d'octobre
1990 occupa une
place centrale. Si l'agression « étrangère» suscita une large réprobation et déboucha sur diverses
manifestations en faveur de l'unité nationale, les arrestations du 5 octobre furent très vite
interprétées comme une opération purement politique visant indifféremment
tous les opposants,
tutsi et hutu, au régime. Cette opération s'inscrivait
alors dans la continuité de la répression
brutale', des manifestations étudiantes du mois de mai précédent qui avait déjà fait l'unanimité
contre te préfet et les militaires. Pour le régime HABY ARIMANA l'enjeu butaréen était clair, il
importait de neutraliser durablement les porte-parole des élites du sud et de briser les embryons
des futurs partis d'opposition qui se structuraient plus ou moins clandestinement et sur des bases
non-ëthniquës, Ce fut notamment le cas du PSD, celuî qui treVihrlE pnrsimportent dentreeux."
- ..
Politiquement,
l'argument
ethnique s'avéra
totalement contre-productif
et - bien que
nombreux à Butare - les adhérents tutsi les plus insérés au sein cl),).· MRND le quittèrent
progressivement du fait de sa radicalisation croissante. Dans cette optique, la prééminence du PSD
à Butare s'est bien construite sur un dépassement du clivage ethnique qui en fit une préfecture
unique dans le contexte rwandais. Ce dépassement ne fut même pas un enjeu, il sanctionnait tout
simplement un archaïsme, une ressource politique démonétisée.
La quasi-élimination
du MRND militant de la sphère politique butaréenne reposa donc à la
fois sur l'inadéquation
du recentrage national de ce parti sur un ethnisme populaire et son
incapacité à contrer la mobilisation régionaliste dont te PSD fut le vecteur et le bénéficiaire
presque exclusif. Jusqu'à la fin 1993, malgré le contrôle occulte des rouages politiques et
économiques essentiels dans la préfecture, l'impuissance
du MRND et des partis de la mouvance
présidentielle fut à peu près totale. Les chefs charismatiques du PSD étaient intouchables, l'ordre
était maintenu par un préfet inattaquable aussi bien au niveau de l'exercice de ses fonctions que
sur le plan politique. Enfin et surtout, aucune cristallisation à dominante ethnique n'avait encore
gagné les populations. Même l'arrivée de dizaines de milliers de réfugiés hutu burundais et
l'assassinat de Félicien GAT ABAZI avaient été surmontés sans générer des déstabilisations
irréversibles.
Le basculement d'avril 1994 ne relève pas non plus d'enjeux à dominante ethnique. Les
stratégies et les cibles furent clairement politiques:
l'occasion était enfin donnée à la nouvelle
équipe mise en place par les militaires putschistes pour gagner la « guerre finale» de réussir là où
le régime HABYARIMANA
avait échoué en 1984. Ce qui fut appelé 1'« unité du peuple
rwandais»
passait par l'élimination
de toutes les personnalités
et autorités politiques du
sud dissidentes
: Agathe
UWILINGIYIMANA,
Frédéric
NZAMURAMBAHO,
et plus
généralement de tous ceux qui incarnaient l'opposition
aux gens du nord (membres des partis
d'opposition, intellectuels, cadres de la fonction publique, grands commerçants, etc.).
À partir du 19 avril, le préfet HABY ALIMANA, le sous-préfet chargé des Affaires politiques,
le premier substitut du parquet, les trois bourgmestres
assassinés, les personnels des exécutifs
communaux ... ne furent pas tués parce qu'ils étaient tutsi ou hutu, mais parce qu'ils s'étaient
déjà opposés ouvertement aux extrémistes hutu, et parce qu'ils contestèrent ou refusèrent de se
rallier à la ligne politique des nouvelles autorités promues le 8 avril. De même, parmi ceux qui les
165

soutinrent, de nombreux originaires de Butare durent aussitôt recourir à des artifices plus ou
moins efficaces pour trancher le destin, c'est-à-dire sauver ou condamner, un grand nombre de
leurs proches déclarés tutsi ou soupçonnés de l'être.

À Butare, la haine ethnique et la violence génocidaire furent avant tout les instruments dont se
servirent opportunément
les dirigeants politiques cl' un régime finissant pour se soumettre
durablement la « préfecture rebelle »,

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10. Principaux sigles et abréviations

ADL
AGEUNR

AM
AMASASU

ANT
AP
APR
APROSOMA
ARD

ARP
ASBL
BCR
BEM

BEMS
BK
CA

CC
CCDFP

CDR
CEPGL
CIMERWA

CND
CPS

CUE
CUR
DAF

DGB
EGL

ENESOL
ESO

ESM

FAR
FDC
FIOR

FPR
GOMN
GI
GP

GTBE
HRW
INADES
IP]

IPN
IRST
ISAP

ISAR
JDR
JPR
LABOPHAR
LIDER

Association rwandaise pour la défense des droits de la personne et des
libertés publiques
Association générale des étudiants de l'Université nationale du Rwanda
Arrêté ministériel
Alliance des militaires agacés par les séculaires actes sournois des
unaristes (littéralement, en kinyarwanda, amasasu signifie munitions,
balles rapides, meurtrières)
Assemblée nationale de transition
Arrêté présidentiel
Armée patriotique rwandaise (Rwandese Patriotic Army)
Association pour le progrès social de la masse
Alliance pour le renforcement de la Démocratie
Agence rwandaise de presse
Association sans but lucratif
Banque commerciale du Rwanda
,
Brevet d'état-major (délivré par l'Ecole de guerre de Bruxelles (devenu
Institut royal supérieur de défense)
Brevet d'enseignement
militaire supérieur délivré par l'École de guerre
interarmées de Paris
Banque de Kigali
Conseil d'administration
Comité central
Centre communal de développement et de formation permanente
Coalition pour la défense de la république
Communauté économique des pays des Grands lacs (Burundi, Rwanda,
Zaïre)
Cimenterie du Rwanda (Bugararna, Cyangugu)
Conseil national de développement (Parlement rwandais)
Conseil préfectoral de sécurité
Campus universitaire de Butare
Campus universitaire de Ruhengeri
Directeur administratif et financier
J;léveloppement global de Butare (Projet de)
Energie des Grands lacs (organe spécialisé de la CEPGL en charge des
iJ1frastructures électriques régionales communes)
Energie solaire (projet de développement, Butare)
Ecole des sous-officiers (Butare)
École supérieure militaire (Kigali)
Forces armées rwandaises
Forces démocratiques du changement
Fédération internationale des droits de l'homme
Front patriotique rwandais (Rwandese Patriotic Front)
Groupe d'observateurs militaires neutres de l'OUA
Gouvernement intérimaire
Garde présidentielle
Gouvernement de transition à base élargie
Human Rights Watch
Institut africain pour le développement économique et social
Inspecteur de police judiciaire
Institut pédagogique national (Butare)
Institut de recherche scientifique et technologique (Butare)
Institut supérieur d'administration
publique (Butare)
Institut des Sciences agronomiques du Rwanda (Butare)
Jeunesse démocratique républicaine (MDR) (Inkuba)
Jeunesse patriotique rwandaise (FPR)
Laboratoire pharmaceutique
du Rwanda (Butare)
Ligue des étudiants au Rwanda
167

MDR
MDR-PARMEHUTU

MFBP
MINADEF
MININTER
MINUAR
MONDOR
MRND
OBK
OCIR-Café
OCIR-Thé

ONG
OPROVIA
ORTPN
OUA
OTP
PADER
PAUPEHUTU
PARERWA
PDC
PECO

PL
PRD
PSD
PSR
RADER
RTLM
RUG
SIEP
SONARWA
SORWAL

SRP
SRS
STIR
UNAR

UNR
UO
URAMA

Mouvement démocratique républicain
Mouvement démocratique républicain - Parti de l'émancipation hutu
Mouvement des femmes et du bas-peuple
Ministère de la Défense
Ministère de l'Intérieur
Mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda (UNAMIR)
Mission d'observation des Nations unies en Ouganda et au Rwanda
Mouvement révolutionnaire
national pour le développement
(ex-parti
unique), rebaptisé en 1991 Mouvement républicain national pour la
démocratie et le développement
Organisation du bassin de l'Akagera
Office des cultures industrielles du Rwanda-Café
Office des cultures industrielles du R wanda- Thé
Organisation non gouvernementale
Office national pour la commercialisation et la valorisation des produits
vivriers et des productions animales
Office rwandais du tourisme et des parcs naturels
Organisation de l'unité africaine
Originaire du terroir présidentiel
Parti démocrate rwandais
Parti de la libération du peuple hutu (Burundi)
Parti républicain rwandais
Parti démocrate chrétien
Parti des .écologistes
Parti libéral
Parti pour le renouveau démocratique
Parti social-démocrate
Parti socialiste rwandais
Rassemblement démocratique rwandais
Radiotélévision libre des mille collines
Rijk's Universiteit Gent
Service d'immigration et d'émigration préfectoral
Société nationale des assurances du Rwanda
Société rwandaise d'allumettes
Service de renseignement préfectoral
Service de renseignement sous-préfectoral
Société des transports internationaux du Rwanda
Union nationale rwandaise (parti pro-monarchiste)
Université nationale du Rwanda
Unité opérationnelle (terme utilisé par les projets de développement)
Urunana rw'abanyarwandakazi
mu majyambere, Union des femmes
militantes pour le développement

168

11. Lexique

Abaguze ubwoko = "ceux qui ont changé d'ethnie"
Abakombozi = les "libérateurs". Nom du mouvement des jeunesses du PSD.
Abanyamabanga = "gens associés secrètement", le terme désignait aussi dans le langage courant
toutes les personnes occupant un emploi de secrétaire
Abarwanashyaka
= militants des partis politiques. Terme initialement utilisé par le MDRPARMEHUTU pour désigner ses animateurs dans les années 60. Au début des années 90, il
désignait toujours, dans le langage courant, les anciens militants du MDR.
Akazu z: littéralement "la petite maison", terme qui désignait l'entourage royal dans le Rwanda
ancien. Par extension, cercle des apparentés et des proches de la famille dirigeante. Il fut utilisé
abondamment à partir de 1991 pour qualifier les alliés de la famille présidentielle.
.Amoko = terme générique désignant les clans et groupes ethniques
lbyimanyi = "hybrides" (descendants des mariages mixtes)
Ibyitso = surnom donné au Rwanda aux complices présumés du FPR
lmpuramug ambi "'""ceux qui ont le même but". Nom que se donna le mouvement des jeunesses
de la CDR
Inararibonye = littéralement "celui qui a vu". Le terme s applique aux "vieux sages" des
collines. Se dit d'une personnalité avisée et expérimentée
Inkotanyi = le "lutteur".
Nom que se donnèrent les combattants du FPR à partir de 1990 en
référence à des troupes valeureuses de l'époque de la monarchie
lnkuba = "la foudre", Nom que se donna le mouvement des jeunesses du MDR
lnterahamwe = "ceux qui conjuguent leurs efforts". Nom que se donna le mouvement des
jeunesses du MRND
Kubohoza = la "libération".
Mouvement lancé lors de l'avènement
du multipartisme par les
partis politiques de l'opposition a;u MRND pour prendre le contrôle des institutions ou des
biens de l'ex-parti unique et de l'Etat (s'est traduit bien souvent par des mouvements collectifs
d'appropriation
des biens d'autrui)
Mwami = monarque (par extension ibwami désignait "la Cour")
Nduga (ou "Nduga élargi")
= appellation donnée à l'ensemble des préfectures du pays à
l'exception de celles de Gisenyi, Ruhengeri et Byumba d'où était originaire la majorité des
cadres de la deuxième République
Power = appellation générique que se donnèrent les partisans des formations politiques pro-hutu
sous le slogan "Hutu Powe r" (pouvoir hutu)
Rukiga = appellation donnée aux trois préfectures de Gisenyi, Ruhengeri et Byumba. Initialement
le terme rukiga s'appliquait
à toutes les régions montagneuses du pays par opposition au
mayaga, terres basses et chaudes. En fait, parmi les régions contrôlées par les gens du <~ nord }},
figuraient aussi une partie de la préfecture de Kigali rural (le Bumbogo et le Bu.gesera)
colonisée notamment par des originaires de Ruhengeri
Umuganda = entraide traditionnelle entre voisins. Le terme s'est appliqué par extension aux
travaux communautaires organisés par la seconde République
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024