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« Ragots », « foutaise et calomnie ». Les autorités rwandaises ont vivement réagi, mardi 21 novembre, après l'ordonnance du juge français Jean-Louis Bruguière mettant en cause le président Paul Kagamé et neuf personnalités dans l'attentat contre l'avion du président Juvénal Habyarimana ayant précédé le génocide des Tutsis en 1994.
« L'action du juge Bruguière n'est que le prolongement de cette guerre
que nous mène la France », a affirmé le ministre des affaires
étrangères, Charles Murigande, à Radio France internationale. « Elle vise
à alléger la conscience de la France, très surchargée par l'horreur du
génocide rwandais (...), à nous faire taire sur le rôle néfaste de
certains milieux français dans le génocide. » Estimant que « cette
manoeuvre du juge Bruguière est téléguidée par les milieux militaires et
du renseignement français », le ministre a constaté que « les efforts de
normalisation en cours (entre le Rwanda et la France) vont en prendre
un coup ». « Ces allégations sont totalement infondées. Ce sont des
enjeux politiques plutôt qu'une procédure judiciaire », a appuyé le
ministre de la justice, Tharcisse Karugarama.
Le gouvernement français, lui, s'est retranché derrière le principe de
séparation des pouvoirs pour refuser de commenter la décision du juge.
« Nous sommes attachés aux relations entre la France et le Rwanda et
souhaitons continuer à travailler ensemble, notamment pour contribuer à
la stabilisation de la région des Grands Lacs », a déclaré le
porte-parole du Quai d'Orsay, Jean-Baptiste Mattéi. Mardi, le juge
Bruguière, qui s'apprête à émettre neuf mandats d'arrêt, a reçu l'avocat
de la famille du commandant de bord victime de l'attentat du 6 avril
1994 à Kigali, partie civile. « Les familles se sentent enfin soutenues
par la justice française », s'est félicité Me Laurent Curt.
Le procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR)
chargé de poursuivre les responsables du génocide, mais qui n'a pas
enquêté sur l'attentat de 1994, n'avait fait aucun commentaire, mercredi
matin. Les avocats de la défense au TPIR ont salué le travail du juge
français. « C'est très positif, même si cela risque de paraître comme
une réponse du berger à la bergère », a déclaré Me Raphaël Constant, défenseur du colonel Théoneste Bagosora, accusé d'être le cerveau
du génocide.
Kigali a en effet créé une commission d'enquête sur le rôle de la France
dans le génocide, et des auditions publiques ont démarré le 24 octobre.
Mardi, quelques heures après l'annonce de la démarche du juge Bruguière,
Kigali a annoncé que les auditions, actuellement interrompues,
reprendront le 11 décembre.