Fiche du document numéro 17222

Num
17222
Date
Mercredi 9 novembre 2016
Amj
Auteur
Fichier
Taille
188327
Pages
10
Urlorg
Titre
Procès en appel de Simbikangwa. Mercredi 9 novembre 2016. J10 [Audition de Jean-François Dupaquier, du colonel Robardey et de deux policiers de Mayotte]
Nom cité
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation

Audition de monsieur Jean-François Dupaquier, journaliste, cité par les parties civiles

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Monsieur Dupaquier arrive au Burundi en décembre 1971 et, jeune coopérant, il vit les événements de 1972 qui ne bénéficient d’aucune couverture médiatique. Rédacteur en chef à L’Événement du Jeudi, il a du mal à faire passer des articles. Il publiera cependant en novembre 1992 “La France au chevet d’un fascisme africain“. En 1994, il sera envoyé au Rwanda dans le cadre d’une enquête diligentée par Reporters sans Frontières. Jean-Pierre Chrétien l’accompagne. Il découvre alors le journal Kangura numéro 6 du 10 décembre 1990: y figure un texte raciste intitulé Les 10 commandements des Bahutu. “ On disait sur les Tutsi ce qu’on avait dit sur les Juifs“.

Il y a 25 ans, le Rwanda est un pays pauvre avec une bureaucratie efficace et qui produit beaucoup de documents écrits bien archivés. Pour comprendre le génocide, il faut assimiler la notion de propagande: un génocide de voisins qui va aller jusqu’à la transgression brutale de toutes les valeurs qui font le pays. Comme nombre de témoins l’ont fait, il souligne le rôle capital de la RTLM.

Monsieur Dupaquier avait entendu parler de Simbikangwa en 1993 avec la publication du rapport de la Commission internationale d’enquête de la FIDH/Human Rights Watch qui dénonce “une situation qui peut mener au génocide au Rwanda“.

Se pose au journaliste une double question:
Quand a-t-on décidé d’exterminer les Tutsi et comment la propagande était-elle organisée? “Pas de réponse définitive. Comme pour la Shoah, la question est polémique. En 1959 comme le laisserait entendre la thèse officielle au Rwanda? En 1963 avec les massacres de Gikongoro qui firent plus de 20 000 morts (NDR. Événements qualifiés de “petit génocide” par Bertrand Russel). “Les Tutsi se considéraient d’ailleurs comme les Juifs de l’Afrique“: perte d’un territoire et carte d’identité ethnique, existence de quotas comme sous le régime de Vichy pour les Juifs. (NDR. Les nombreuses références à la Shoah que fait le témoin irritent passablement maître Epstein. Serait-il un adepte de l’unicité de la Shoah?)

Même si les premières années du “règne” de Habyarimana sont plutôt calmes, le président était prêt de perdre le pouvoir avec l’attaque du FPR du 1er octobre 1990: ce qui va souder les Hutu. Et le témoin rappelle les propos de l’accusé: ” Si Habyarimana n’était pas mort, il n’y aurait pas eu de génocide.“

Peu à peu le pouvoir va se radicaliser. En 1991, le président réunit une dizaine de hauts militaires pour définir l’ennemi. En janvier 1992, cette commission définit le Tutsi comme ennemi, qu’il soit de l’intérieur ou de l’extérieur. C’est à ce moment qu’a germé l’idée d’exterminer les Tutsi. A l’instigation de Ferdinand Nahimana, docteur en Histoire (Sorbonne), et Directeur de l’Office Rwandais d’Information (ORINFOR) on organise une sorte de “galop d’essai“. Il produit un faux document pour chauffer à blanc les élites du Bugesera. Se constitue une force qui regroupe les paysans, les miliciens et les élèves de l’École de Gendarmerie de Ruhengeri. Protestations de l’Occident, demande est faite de limoger Nahimana. Dans le même temps, Agathe Kanziga, épouse Habyarimana, commence à fomenter contre son mari.

La colère du peuple s’exprime alors dans les journaux. Dans “L’indomptable Ikinani” publié par Simbikangwa, on relativise ces événements du Bugesera. Kangura est créé en réponse à Kanguka de Vincent Rwabukwisi. Il est de notoriété publique que l’accusé avait terrorisé les journalistes démocrates du Messager. Deux d’entre eux seront même torturés. Les femmes sont tout particulièrement livrées à la vindicte populaire. Les femmes tutsi sont dénudées, violées: cas d’une femme qui, après qu’on lui eut placé des électrodes sur les seins, fuira en Ouganda où elle mourra

(NDR.Maître Epstein se fait rappeler à l’ordre pour interrompre sans cesse le témoin.)

Monsieur Dupaquier fait la découverte de “L’indomptable Ikinani“, journal que Simbikangwa avait demandé d’imprimer et qui contenait des attaques violentes contre la Premier Ministre Agathe Uwingiliyimana comparée à une prostituée poursuivie par des clients pour lui faire subir ce qu’elle avait déjà subi à quatre reprises à Butare (viols). Avec Ikinani, on transgresse le tabou de la nudité. C’est la première fois qu’on ose une caricature de gens nus.. On va retrouver ces caricatures dans Kangura. L’idéologie génocidaire s’accompagne de la multiplication des caricatures pornographiques. Le témoin évoque à son tour le rapport de l’ambassadeur Swinnen dont on a déjà parlé et affirme que le rapport de la FIDH de 1993 a retardé l’agenda du génocide. Et de préciser que l’accusé avait une haine particulière pour les Hutu démocrates. Rappel aussi de l’affaire Kavaruganda. Pour le témoin, ce sont les Hutu extrémistes qui ont tué Habyarimana: ils publient un faux document du FPR en 1992 et une fausse accusation toujours contre le FPR en 1994. Evoquant la solitude de l’accusé, le témoin la met sur le compte du fait qu’il a sans doute connu les assassins du président à qui il est tout dévoué.

Concernant l’attentat contre l’avion du président, le témoin affirme sa conviction: les responsables sont les extrémistes hutu. Il le dit depuis 1994 vu l’endroit d’où sont partis les tirs, proche du camp de la Garde présidentielle. A qui profite le crime? Pas aux Tutsi mais bien à Bagosora qui voulait faire un coup d’état. L’audition s’oriente ensuite sur le livre Les médias du génocide qui a valu à deux de ses auteurs d’aller témoigner au TPIR. Si une partie de leur expertise a été retirée de l’accusation, c’est que la France avait réussi à faire en sorte que les procès ne portent que sur l’année 1994. “Façon de protéger les intérêts moraux de la Mitterrandie” . L’accusé phare était sans conteste Ferdinand Nahimana. Hassan Ngeze était un homme de paille. Mais il y avait aussi Edouard Karemera, Ngirumpatse. “La propagande avait été menée par des intellectuels qui utilisent les règles de la propagande nazie pour faire la même chose au Rwanda.”

Le président revient sur la RTLM ce qui donne l’occasion au témoin de dire qu’on assiste à une dérive progressive: radio commerciale et enjouée qui devait rapporter de l’argent aux actionnaires. Nahimana avait eu le génie de regrouper une équipe étonnante où chacun avait son rôle à jouer. On reparle aussi de l’attentat contre Ndadaye au Burundi et de ses conséquences sur le Rwanda.

Habyarimana acteur ou otage? Le témoin rapporte une anecdote qui s’est passée lors de la visite de Habyarimana à Paris. Le journaliste interroge le président sur les Dix commandements des Bahutu. Ce dernier de répondre: ” Au Rwanda, ça s’appelle la liberté d’expression“. “Habyarimana essayait de durer, c’était un homme seul. Il ne lui restait que deux amis: Sagatwa et Simbikangwa. Il avait deux fers au feu: les extrémistes d’un côté, les modérés et le FPR de l’autre..” D’où ses hésitations à signer les accords d’Arusha. Il sera d’ailleurs assassiné le jour de la signature. Quelques propos sur la belle-famille, sur l’attachement quasi amoureux de l’accusé pour son président. Quant à l’attentat, l’accusé n’était probablement pas dans la confidence. Simbikangwa s’est retrouvé seul, misérable, impossible de réagir, coupé de ses anciens amis.

Des génocidaires se sont retrouvés à Nairobi à vivre dans des conditions très favorables (cf. monsieur Ceppi et son article L’exil doré des dignitaires hutu.) D’où vient l’argent? “Ils ont beaucoup volé les banques avant de fuir, tiraient leurs revenus des FDLR qui pillent le Congo et leur envoient des ressources... Mais à un moment, Simbikangwa n’émarge plus!” Et le témoin d’ajouter: ” Ce qui l’a isolé c’est d’avoir été le dernier fidèle de Habyarimana“. Madame Habyarimana? “Un personnage abominable“! selon le témoin. Si on ne voit plus Simbikangwa après 1992, “peut-être appartient-il à un organe parallèle. Cela a existé dans l’Allemagne nazie“.

Lorsque le témoin affirme que “l’extermination de la race tutsi est une forme de folie comme l’extermination des Juifs“, maître Epstein se met à trépigner et proteste.

Maître Philippart souhaite savoir dans quelle conditions le témoin s’est procuré “L’ Indomptable Ikinani“. C’est le directeur de l’Imprimerie nationale qui lui en a montré un numéro. Mais ce journal n’a circulé que sous forme de photocopie, et encore de mauvaise qualité. Le Journal n’a pas été diffusé vu la violence des propos.

Maître Justine Mahasela. En 1994, on instrumentalise l’action du FPR? “Exact”, répond le témoin. L’avocat d’interroger: ” C’est une forme d’équivalence de morale“? reprenant les termes de madame Melvern. Le témoin: “Grande efficacité d’une propagande auprès de la population marquée par la manipulation”.

Monsieur Hervelin-Serre demande s’il existe une censure de la presse écrite. “Il y a bien eu des arrestations de journaliste tutsi en 90 mais cette pratique a diminué. On était plus dans l’intimidation. Les caricatures se répandent dans la presse et même sous forme de tracts. “Kanguka a eu un énorme succès et on a essayé de le détruire.” “Au Rwanda, il fallait être courageux pour diriger un journal d’opposition”. Un plan de colonisation tutsi? C’était un faux document qui laissait entendre que les Tutsi voulaient prendre le pouvoir dans les années 70. C’est un pendant du “Protocole des Sages de Sion.”

L’avocat général veut connaître l’importance du numéro 6 de Kangura. ” Il sera tiré à 15 000 exemplaires et on en a distribué aux étudiants de Butare en grand nombre“.

Et Umurava? ” C’était une réplique de Kangura, le deuxième journal de la haine. Quand on était propriétaire d’un Journal, on devenait un homme important.“

« Un article fait état de massacres au Bugesera. Y est évoquée la mort de « 35 petits cancrelats » alors qu’il y a eu 350 morts et beaucoup de blessés, sans compter les destructions des biens ! » Le témoin complète : « On a retiré un zéro. On a même dit qu’ils s’étaient suicidés : façon de mépriser les victimes, de minimiser les crimes, de les nier.» Dupaquier a bien eu un exemplaire de ce Journal. Il a prêté serment, il ne ment pas.

Monsieur Crosson du Cormier souligne le « potentiel exceptionnel de vie de l’accusé. Sa fuite à la fin du génocide en atteste. Et de s’interroger :” Comment un homme dans cet état a-t-il pu commettre des actes de torture?” Le témoin n’a pas enquêté sur ce sujet-là.

Maître Epstein ouvre le feu, ironique. « Vous êtes plus qu’un journaliste ; spécialiste des photocopieurs, de la Shoah ! Vous avez écrit sur la Shoah ? « Non, j’ai lu, ce qui m’a permis de faire des parallèles ! »

« Hervé Deguine vous considère comme un écrivain militant ! » lance l’avocat « C’est comme dire que l’avocat partage les convictions de son client ! » rétorque le témoin.

« Pourquoi ne retrouve-t-on pas la haine raciale dans les livres de l’accusé ? » « Demandez à votre client ! » Et quand l’avocat insiste, il s’attire une réponse cinglante : « Votre question n’a pas de sens ! »

« Vous citez Hannah Arendt à tort et à travers ! Simbikangwa pourrait faire partie d’une structure secrète ? Zigiranyirazo et Sagatwa restent sur la scène politique ? » Dupaquier de répondre : « Le nom de Simbikangwa est cité par monsieur Swinnen et par le Département d’État Américain ! » “Ma source, concernant le document de Swinnen, c’est Jean Birara, un homme respectable qui vit au cœur du régime. Il donne la liste de 1 500 Tutsi à tuer!”

Et l’attentat? Le témoin a ses convictions: ce sont les extrémistes hutu! Il y a deux thèses? “Oui, il y a deux thèses sur l’attentat: il y a la vérité et le mensonge!”

Suit une série de questions qui ne nous apprennent rien de plus.

Maître Epstein change de sujet. ” Vous êtes ami avec Alain Gauthier!” Le témoin de répondre: ” C’est grâce aux Gauthier qu’on est là. On les appelle les Klarsfed du Rwanda. Alain Gauthier, je le respecte et je l’admire. Je le considère comme un ami. Jamais Alain Gauthier ne m’a parlé de l’instruction. On nous a même confondus lors de l’arrestation de Rwamucyo, ce qui lui a valu d’être menacé lors d’une audience à la Cour d’appel de Versailles“.

Si le témoin a été partie civile dans l’affaire Munyeshyaka, c’est parce qu’une parente de son épouse était dans l’église de la Sainte Famille à Kigali. Comme il s’agissait d’une affaire de viol, elle n’a pas souhaité qu’ils soient dans le dossier!

Maître Epstein revient au dossier. ” En 2009, les juges ont entre les mains la plainte du CPCR. Ils demandent des informations aux parties civiles. Alain Gauthier est convoqué.” (NDR. On ne voit pas trop où veut en venir l’avocat!) Dupaquier répond à côté: ” Je suis de ces journalistes qu’on appelle parfois “fouillent merde”. Si c’est pour la vérité, je veux bien fouiller dans les poubelles.”

Maître Philippart intervient à son tour: ” On reproche à Alain Gauthier de ne pas avoir appelé Jean-Pierre Chrétien pour obtenir une copie de L’Indomptable Ikinani! C’était aux juges de le faire!”

Maître Bourgeot intervient à son tour, manifestement de mauvaise foi: ” Parce que monsieur Gauthier n’est pas un enquêteur? Il est bien allé dans les prisons pour enquêter!” Et de poursuivre en parlant de Twagiramungu qui est venu témoigner en faveur de Simbikangwa en première instance. ” Il y a un faux dans le dossier? s’étonne maître Rachel Lindon. ” Vous pouviez attaquer en diffamation la publication de ce faux!”

On s’en tiendra là! Ce sera au tour du colonel Robardey, “un ami du CPCR”, qui sera entendu en début d’après-midi. Les échanges s’annoncent musclés au vu des dépositions qu’il a déjà faites à la Cour d’assises de Paris en 2014, lors du premier procès Simbikangwa.



Audition du colonel Michel Robardey, au Rwanda de septembre 90 à septembre 93, témoin cité par la défense.



Le colonel commence par s’étonner qu’on éprouve le besoin de préciser qu’il est cité à la demande de la défense: cela ne change rien à son témoignage.

Le colonel Robardey déclare ne pas connaître Simbikangwa: il ne l’a jamais rencontré, ne lui a jamais parlé. Il va ensuite rapporter longuement la mission qui lui a été confiée. On l’a nommé au Rwanda pour moderniser les services de police judiciaire. Comme il arrive quelques jours avant l’attaque du FPR, il devra différer son intervention auprès de l’unité de gendarmerie qui a été envoyée au front. Il se contente, dans un premier temps, de faire des audits.

A propos des arrestations opérées à la suite de l’attaque du FPR le 1er octobre 1990, il reconnaît bien que 8 000 personnes ont été enfermées au stade de Nyamirambo et précise que ce sont des opposants politiques, dont 2/3 de Hutu. De 1973 à 1990, le témoin présente Habyarimana comme un “protecteur des tutsi“! Il a été le premier à alerter les autorités françaises de la possibilité d’un génocide, dès 1991.

Lors de son séjour, il a rencontré des personnes de tout bord. Il va parler longuement, et à plusieurs reprises, d’une activiste des Droits de l’Homme, dont il s’étonne qu’elle n’ait pas été convoquée dans cette Cour: il s’agit de Monique Mujawamariya (NDR. Elle vit en Afrique du Sud et sillonne le monde pour rencontrer les membres de l’association de femmes qu’elle a créée, la Leading Women of Africa.) Le témoin la citera à plusieurs reprises, cette dame étant restée son amie.

Concernant les massacres de Kibilira et ceux des Bagogwe, sa conviction est faite. Jean-Marie Ndagijimana a démontré qu’ils étaient l’œuvre du FPR!!!

Les massacres du Bugesera? Le témoin s’est rendu sur place. Les assassins étaient des bandes de jeunes avinés qui portaient des armes traditionnelles et qui lui disent: “ Quand on est attaqué, on se défend.” Il reconnaît que “l’inaction des autorités rwandaises était inadmissible“. 450 personnes seront arrêtées, grâce à son intervention, semble-t-il. Mais il oublie de dire qu’elles ne seront pas poursuivies!

Pour former les membres de la Police judiciaire, le témoin préfère les envoyer sur le terrain en leur fournissant des méthodes d’investigation. Trois directions:

– les attentats perpétrés à l’époque: on analyse les débris d’explosifs, on reconstitue la traçabilité. Les armes étaient d’origine belge et russe. Les mines avaient été livrées à Kadhafi, puis à l’Ouganda via le Burundi. C’est donc le FPR qui était responsable de ces massacres aveugles. CQFD.

– les massacres commis dans le Nord, à Byumba en 1992, puis à Ruhengeri: le FPR rassemblait la population et ouvrait le feu. Le FPR ne voulait pas garder des adversaires sur ses lignes arrières. Il fallait faire de la place pour les réfugiés tutsi qui rentraient d’Ouganda

– l’Akazu/le Réseau Zéro? Clair que Janvier Africa n’était en rien crédible: c’était un menteur. On reproche à Simbikangwa d’être un cousin de Habyarimana, d’être membre de l’Akazu? “Une des parties civiles est cousine de Kabarebe (NDR. Actuel ministre de la Défense.), membre de l’Akazu de Kagame! La parole des témoins est fragilisée!”

– les Escadrons de la mort? “ Nous n’avons trouvé aucune victime! S’il n’y a pas de victimes, pas d’Escadron de la mort!” (NDR. Raisonnement tout militaire!)

L’audition du témoin se poursuit par un échange avec le président sur l’identité de ceux qui ont attaqué en octobre 1990. “ C’était des troupes venues d’Ouganda pour attaquer Kigali et qui portaient des uniformes ougandais et possédaient des cartes d’identité ougandaises. Qui avait-il sous ces uniformes? Nous avons fait une vingtaine de prisonniers: la majorité était rattachée à la diaspora tutsi qui avait aidé Museveni à prendre le pouvoir en Ouganda.”

Le Rwanda à l’époque? “Un gouvernement autoritaire qui encadre la population, avec la pratique de l’Umuganda, ces chantiers à la Mao. Je suis reconnaissant à Habyarimana d’avoir ramené la paix. Au Burundi, gouverné par les Tutsi, se produisaient des massacres de masse périodiques.”

“Votre rôle au Rwanda: extirper les mauvaises méthodes?” demande le président. Le colonel semble gêné de répondre. Lui-même n’a pas constaté ces mauvaises méthodes. “Mon travail était pédagogique. J’étais chargé de nettoyer les écuries d’Augias. Quant à l’accusé, il n’est jamais intervenu au Fichier Central.”

Le président interroge le témoin sur les enquêtes qu’il a eu à conduire. Monsieur Robardey insiste sur les arrestations qui ont suivi les massacres du Bugesera: plus de 400 personnes, qui seront d’ailleurs libérées par la suite. Quant aux massacres en zone du FPR, il souligne la difficulté qu’il y avait à enquêter sur place. Il doit donc se fier aux témoins. Mais il s’appuie aussi sur ses constatations personnelles: à Byumba et Ruhengeri en particulier, il a pu ramasser des armes sur les victimes. Il évoque les massacres perpétrés à la Cour d’appel par le FPR (NDR. D’autres témoins rencontrés attribuent ces massacres aux FAR!) Mention faite ensuite des témoignages des déplacés du Nord: toujours les massacres du FPR qui voulait vider le Nord et “envoyer la population dans les pattes du gouvernement“.

Impossible d’éviter le personnage de Janvier Africa. Pour le témoin, “on est au cœur des querelles dans ce dossier rwandais. “Escroc incarcéré en 1992, il prétend être responsable des services de renseignements… Certaines des parties civiles l’ont “statufié” comme un dieu incontournable, tout comme Jean-Pierre Turatsinze. Tout cela est une construction, une manipulation politique du FPR.” Puisque Janvier Africa n’a jamais participé aux réunions dont il parle, ces réunions n’ont pas existé! L’accident dans lequel Monique Mujawamariya évoque le nom de Simbikangwa permet au témoin de dire que, “au Rwanda, un handicapé n’est pas sympathique. Un handicapé en fauteuil roulant c’est suspect au Rwanda, même si le fauteuil a été payé par les assurances!” Plus loin, le témoin reviendra sur cet accident. Mujawamariya avait “accusé” Simbikangwa de ne pas y être étranger. Ce dernier, rencontré à l’aéroport, lui aurait dit: ” Arrête de raconter des conneries, sinon la prochaine fois tu n’en réchapperas pas“. Propos proférés en présence de madame Alison Des Forges.

D’aborder ensuite le thème de la presse d’opposition. ”J’ai vu la liberté d’expression se développer“, ajoute le témoin. “La liberté de parole? Au Rwanda, le pouvoir fort, c’est celui de Kagame. Parole libre? Vérité? C’est ce qui va permettre à celui qui s’exprime de nourrir sa famille, de vivre au jour le jour. Il est inimaginable de dire à une autorité autre chose que ce qu’elle veut entendre.” Et d’évoquer la mort des parents de Corneille! (NDR. Pour éviter toute polémique, on ne relèvera pas!)

Le président relance l’audition sur les Escadrons de la mort; l’Akazu, le Réseau Zéro! Il n’en sortira rien de nouveau. Le témoin donne les noms des gens qu’il a l’habitude de rencontrer. Quant à Barril, il n’a fait que l’apercevoir un jour à l’aéroport! Il ne semble pas vouloir en parler. Il poursuit en évoquant la présence des soldats français: ”Nous avons été les premiers à alerter de la possibilité d’un génocide, dès 1990. Le génocide s’est produit au départ de l’armée française. ”Pour lui, il se dit choqué: on ne différencie les notions de génocide et de crimes contre l’humanité qu’après enquête. ” Pourquoi Kagame a-t-il refusé que le TPIR travaille au Rwanda? On a qualifié les faits de génocide sans enquête!” Le colonel Robardey exprime aussi ses craintes: ”J’ai peur que cette Cour d’assises prenne le contre-pied de ce qu’a dit le TPIR. J’ai peur qu’on condamne Simbikangwa pour génocide et qu’on dise qu’il y a donc eu planification”!

Le rapport de la FIDH de 1993? “J’ai été stupéfait de lire tous ces mensonges gravés dans le marbre quand on venait de prouver que les attentats étaient commis par le FPR! Sur les 100 pages, 10 sont consacrées aux massacres du FPR. Ils n’ont passé qu’une journée dans leur zone dans laquelle il y a eu 10 fois plus de morts que dans la zone gouvernementale!” L’assassinat de Gatabazi? “L’enquête a été conduite par Pascal Kayihura, personne d’une grande probité qui sera assassiné par le FPR en 1995 pour avoir refusé de témoigner contre la France. Pour moi, il en savait trop sur les assassinats politiques! (NDR. On peut noter que le témoin attribue systématiquement tous les méfaits au FPR. Avec des preuves?) Et de continuer en attirant l’attention de la Cour sur le sort qui aurait été réservé à un témoin qui était venu témoigner au procès en première instance. Nous n’en dirons pas plus.

Sur la question de la liberté des enquêteurs français lors des commissions rogatoires, le témoin profère une contre-vérité manifeste. Les juges français et les gendarmes enquêteurs semblent bien enquêter en toute liberté, aucun membre du parquet rwandais n’assistant aux interrogatoires.

Maître Foreman s’adresse au témoin. “Vous parlez d’un procès qui dépasse l’accusé! Vous ne le connaissez pas? Nous sommes là pour examiner des faits qui lui sont reprochés. Vous n’avez rien à dire sur lui pendant le génocide.” Le témoin rétorque: “Ce n’est pas moi qui évoque ce procès sur internet. D’autres le font. J’ai droit de lire les comptes-rendus!”

Bilan de la mission du colonel Robardey? “La mission parlementaire française a émis un jugement modéré. Le général Varlet [Varret] a dit que la mission avait échoué parce que ce que les Rwandais cherchaient c’était de montrer les Tutsi”, déclare l’avocat du CPCR. Monsieur Robardey évoque “le naufrage de la vieillesse” à propos de son collègue. ” Je lui ai envoyé une lettre d’injures au général Varlet!” “Et pas à l’ambassadeur Martres qui a dit la même chose?” poursuit l’avocat. Réponse du colonel: “Martres avait pour mission que la France décroche du Rwanda.”

Le président: ” Vous avez travaillé avec Péan, vous lui avez rendu hommage?

Monsieur Robardey: “Il a reproduit ce que j’ai dit.”

Le président: ”Selon Péan, votre mission consistait à faire de la propagande!”

Monsieur Robardey: ”Ma mission était d’apaiser le pays.”

Le président insiste: “Péan dit “activité de contre-propagande!”

Monsieur Robardey: ”Je pensais que c’était l’intérêt du Rwanda.”

Le président: “Quelques personnes molestées”, écrivez-vous dans une lettre ouverte à l’ambassadeur Swinnen pour parler des massacres des Tutsi!”

Monsieur Robardey: “Quand j’écris cela, 40 000 Hutu ont été tués dans le Nord.”

Le président: ” Boniface torturé par Simbikangwa! Les faits sont dans le dossier!”

Monsieur Robardey: “J’ai pas lu Chrétien” (“Vous avez raison” intervient maître Epstein). J’ai enquêté sur Simbikangwa et les dires de Janvier Africa missionné par le FPR. Après, je ne me suis plus intéressé à lui.” A la question de savoir s’il a lu le rapport Carbonare (FIDH): ” J’ai dit 10 pages sur le FPR et 100 sur les autres crimes. Kibilira et les Bagogwe? Ndagijimana dit que c’est le FPR!” Et à maître Foreman qui proteste: ” Vous dites n’importe quoi pour faire un meltingpot. Votre position est ridicule!”

A maître Jean Simon qui s’étonne des propos du témoin (” J’ai enquêté et n’ai pas trouvé de traces de planification!“), le colonel répète qu’après le Bugesera, 400 personnes ont été arrêtées. “ Ma présence a fait arrêter les massacres au Bugesera. Ayant constaté les carences du pouvoir rwandais au Bugesera, j’ai enquêté: c’était le FPR qui était à l’instigation!” Il ajoute: “ Génocide des Tutsi mais aussi massacres au Zaïre qui sont un génocide (voir le rapport Mapping). Il faudrait une décision de justice.”

Monsieur Hervelin-Serre revient sur les massacres du Bugesera en faisant remarquer que les 400 personnes arrêtées ont été libérées et sont restés en liberté, en toute impunité.

Réponse du témoin: ” Je ne suis pas intervenu car ce n’était pas mon domaine. Je ne suis pas responsable des errements de la justice rwandaise.”

Concernant le rétablissement de réseaux parallèles du renseignement lorsque le SCR est passé de la Présidence à la Primature, le témoin précise qu’il a cru comprendre que Sagatwa avait tenté de rétablir un service de renseignements à la Présidence.

Monsieur Crosson du Cormier fait remarquer au témoin qu’il a lu internet et qu’il est influencé par ce qu’il a lu avant de se présenter. Réponse du témoin: ”C’est pourquoi je m’étonne que le CPCR puisse faire des comptes-rendus. Pour influencer les témoins?”

Suit un court débat sur les conditions dans lesquelles se déroulent les commissions rogatoires françaises au Rwanda, la défense prétendant que les enquêteurs sont toujours accompagnés d’un OPJ local. C’est FAUX.

Une dernière question est posée au témoin. ” Quelle valeur accordez-vous au procès?”

”Je ne continuerais pas à témoigner si je n’y croyais pas, par respect pour le travail de la Cour. J’ai de la considération pour les gens qui m’interrogent” poursuit monsieur Robardey. (NDR. On peut parfois en douter!). Et d’évoquer une “justice ethnique” au Rwanda. Il ajoute qu’il a peur que ce soit comme cela en France. Quant au rapport de la FIDH, “C’est une manipulation.”

Le témoin reconnaît-il le génocide des Tutsi? ” Vous m’avez entendu le nier?” répond le témoin.

Le pire reste à venir. Se tournant vers le banc des parties civiles, il ose ces mots indécents:
“Dans cette salle, je suis peut-être celui qui a perdu le plus d’amis pendant ce génocide!”

L’audience se termine par un dialogue entre maître Bourgeot et le témoin. On évoque l’intervention de Pierre Péan, le fait que Jean Carbonare soit devenu conseiller du président Kagame, l’assassinat de Gatabazi, “assassinat attribué au FPR aujourd’hui, ce que personne ne conteste“. Le témoin se plaint des pages d’insultes dont il a fait l’objet et publiées sur Google après son témoignage en première instance. (NDR. Il ne parle pas de ses propres calomnies, de celles de ses amis Péan, Ndagijimana, Emmanuel Neretse ou autres MUsabyimana à l’encontre du CPCR et de ses responsables!)



Audition de messieurs Le Foll et Jacquemin, policiers à Mayotte lors de l’arrestation de Pascal Simbikangwa.



Ils seront entendus séparément mais leurs déclarations présentent peu d’intérêt pour l’affaire qui concerne la Cour d’assises de Bobigny. Simbikangwa a été appréhendé pour fabrication de faux documents. S’en est suivie une garde à vue et les avocats de la défense veulent savoir dans quelles conditions leur client a été détenu. A souligner que l’accusé n’a pu obtenir l’aide d’aucun avocat. Renseignements pris auprès du bâtonnier: Simbikangwa avait des dettes à l’égard de son avocat et il ne souhaitait pas en nommer un nouveau. Aucun ne voulait peut-être le défendre! Le président veut connaître aussi dans quel état d’esprit était l’accusé lors des interrogatoires auquel il a été soumis. Il a collaboré, généralement calme, mais il s’énervait parfois, cherchant à la fois à minimiser son rôle tout en refusant qu’on le considère comme un personnage insignifiant. On s’y perd un peu dans le dédale des procédures. Le président fait d’ailleurs remarquer que la Cour n’est pas saisie de cette affaire.

Alors que maître Simon demande à la défense de poser des questions plutôt que de refaire le procès des faux papiers, maître Epstein revient sur les conditions de la détention de leur client.

Monsieur Crosson du Cormier pose une dernière question et veut savoir pourquoi il y a eu deux procédures dans cette affaire de faux papiers. Le dernier témoin fait remarquer qu’à Mayotte le trafic de faux papiers est “un sport national“. Il ajoute que ”c’est la première fois qu’il voyait des faux si bien faits.” La question de l’avocat général n’obtiendra pas vraiment de réponse.
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