Citation
Audition de M. Robert GALLEY
Ministre de la Coopération (1976-1978 et 1980-1981), Député de l’Aube
(séance du 13 mai 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a accueilli M. Robert Galley, Ministre de
la coopération de 1976 à 1981. Il a estimé qu’en dépit du caractère lointain
de cette période, M. Robert Galley pourrait certainement apporter à la
mission un éclairage utile sur les débuts de la coopération entre la France et
le Rwanda, en particulier dans le domaine militaire. Il a jugé qu’il pourrait
aussi aider la mission à mieux comprendre les raisons pour lesquelles le
Rwanda a été intégré dans le champ de la coopération française et, à cet
égard, assimilé aux pays qui ont, dans le passé, relevé de l’administration
coloniale française, question qui s’est posée à plusieurs reprises lors des
précédentes auditions.
M. Robert Galley a d’abord fait part aux membres de la mission de
sa surprise d’être convoqué devant eux, les souvenirs qu’il pouvait avoir du
Rwanda étant extrêmement lointains.
Il a indiqué qu’en tant que Ministre de la coopération de 1976 à
1981, il avait effectué diverses missions au Rwanda mais qu’il aurait
l’occasion de parler également du Burundi, les problèmes rencontrés par ces
deux pays lui paraissant indissolublement liés. Il a, par ailleurs, déclaré qu’il
avait établi avec le Président Habyarimana des relations très sincères et très
étroites, qui lui avaient permis de connaître certaines réalités de l’intérieur et
qu’il avait également noué diverses amitiés, en particulier avec une religieuse
qui dirigeait une école à Gitarama.
Il a toutefois observé que son dernier passage à Kigali datait du
sommet franco-africain que le Président Mitterrand y avait organisé en
octobre 1982 et que c’est alors en tant que Président du groupe d’amitié
France-Rwanda de l’Assemblée nationale qu’il avait accepté d’y être présent.
M. Robert Galley a d’abord évoqué la personnalité du Président
Habyarimana et les circonstances de son arrivée au pouvoir.
Après avoir rappelé que certains estimaient qu’il s’agissait d’un
putsch militaire, il a déclaré avoir eu, par divers témoignages, une relation
très précise de ce qui s’était passé. Kayibanda, Président du Rwanda depuis
1962, était devenu petit à petit l’otage d’un certain nombre d’extrémistes
hutus. Juvénal Habyarimana, Colonel de la garde présidentielle, se situait,
quant à lui, en dehors de la problématique ethnique, car il pensait qu’il n’y
avait pas d’avenir pour la Rwanda dans les luttes entre Hutus, Tutsis et
Twas. Il se montrait, de ce fait, très réservé à l’égard des missions que lui
donnait le Président Kayibanda. Poussé alors par les extrémistes, ce dernier
le convoqua en juillet 1973 au Palais. Le Colonel Habyarimana se trouvant
en présence de deux militaires qui braquaient un revolver sur sa tempe, les
écarta violemment, sauta par la fenêtre, appela la garde présidentielle et
encercla le Palais. Ce coup d’Etat se déroula sans aucune mort d’homme.
Reprenant une expression restée précise dans sa mémoire,
M. Robert Galley a rappelé qu’à la suite de cette affaire, un certain nombre
de Hutus avaient considéré que le moment était arrivé de « faire la chasse
aux Tutsis ». A ce moment-là, le Colonel Habyarimana envoya tous les
extrémistes hutus en prison et fit savoir qu’il ne tolérerait pas l’extrémisme,
ni d’un côté ni de l’autre. C’est ainsi que le Rwanda connut quinze ans de
paix quasiment sans nuages.
Contrairement à ce qu’en ont rapporté certains journaux, le régime
du Président Habyarimana, fondé sur une structure démocratique
communale, était extrêmement tolérant et permettait une très grande liberté
d’expression. Il s’agissait d’une démocratie à la base et non au sommet.
L’énorme problème résidait cependant dans la croissance de la population,
laquelle était, sans porter de jugement de valeur, très encouragée par la
présence -partout et dans tout- de l’Eglise. Cette dernière était farouchement
opposée à toute mesure de restriction des naissances, ce qui favorisait un
accroissement galopant de la population rwandaise.
M. Robert Galley a jugé nécessaire de compléter son analyse par le
rappel des événements survenus au Burundi. A l’inverse de ce qui s’était
passé au Rwanda en 1962, la minorité aristocratique tutsie d’origine royale,
avait, au Burundi, conservé le pouvoir. M. Robert Galley a d’ailleurs indiqué
qu’il avait très bien connu le Président Bagaza et qu’il fallait bien savoir -et
dire très clairement- que cette aristocratie tutsie dominait sans partage un
peuple de travailleurs. Illustrant son propos, il a alors évoqué une scène dont
il avait été témoin au Burundi. La coopération française ayant donné l’argent
nécessaire à la construction d’un grand collège dans le sud du pays, à Bururi,
M. Robert Galley avait été conduit à en organiser l’inauguration, laquelle
marquait, en fait, la remise de ce collège par la France aux autorités
religieuses, l’Eglise catholique étant chargée, au Burundi, de l’éducation. A
la suite des discours, une fête avait eu lieu, donnée par des officiels
exclusivement tutsis, les élèves, dans leur totalité, garçons et filles, étaient
des Tutsis très grands et longilignes dont on remarquait l’extraordinaire
beauté. Il en fit l’observation à l’évêque, lequel répondit : « Bien entendu, ils
sont tous tutsis ; pourquoi voulez-vous qu’il en soit autrement ? ». A la
réponse de M. Robert Galley qui lui faisait remarquer que le Burundi
comptait tout de même 80 % de Hutus, l ’évêque rétorqua -c’était en 1978- :
« Mais les Hutus n’ont rien à faire dans nos collèges ; ils sont là pour
travailler ! ». Comme le Ministre lui avait demandé où ils étaient, l’évêque
avait, d’un geste large, montré les sommets de toutes les collines situées à
trois ou quatre kilomètres de Bururi, où l’on apercevait de petits groupes
humains sans pouvoir les distinguer. Il s’agissait des Hutus, lesquels n’étaient
admis ni à la fête ni à l’école. C’était une aristocratie et des esclaves. Tel
avait également été le régime antérieur au Rwanda pendant des siècles.
Soulignant qu’il n’était pas un partisan d’une quelconque forme de racisme, il
a toutefois rappelé que la domination de l’aristocratie tutsie sur le Rwanda
avait laissé de très fortes empreintes.
Le colonisateur allemand, lorsqu’il était arrivé, et ce, dans la lignée
de ce qu’auraient pu faire les junkers prussiens, avait considéré qu’il était
extrêmement commode de conforter l’administration et la hiérarchie tutsie
sur les Hutus. Les Belges, à la prise de leur mandat, avaient également estimé
que cette situation était extrêmement confortable. Ainsi, jusqu’au début des
années soixante, l’aristocratie tutsie avait totalement dominé le pays, à
l’image de ce que pouvait être la féodalité en l’an 1000 en Europe.
Le référendum de 1962 témoigna cependant de l’écrasante
supériorité numérique des Hutus qui sentirent alors leur force. Les Tutsis
partirent en Ouganda, en Tanzanie et au Burundi, qui n’avaient pas subi la
même évolution. Se créa, par conséquent, un mouvement d’émigrés, à
l’image de celui que les Français avaient bien connu pendant la Révolution.
Ce mouvement fut le ferment de la création du FPR, mais aussi l’occasion
pour cette minorité de gens très intelligents et de grande capacité d’établir
une diaspora aux Etats-Unis, en Belgique et au Canada, laquelle a été par la
suite, dans une large mesure, à l’origine du versement des sommes
considérables qui ont financé l’équipement du FPR.
Tels étaient donc ces deux pays qui ont vécu côte à côte, le Burundi
conservant de fait le pouvoir aristocratique et le Rwanda luttant contre le
retour de cette situation.
M. Robert Galley a tenu à revenir sur un point qu’il a jugé
insuffisamment mis en évidence.
En 1988, puis en 1993, des émeutes considérables eurent lieu au
Burundi, auxquelles l’armée réagit avec une extraordinaire violence.
M. Robert Galley a indiqué qu’il avait pu, par les documents qu’il s’était
procurés, se rendre compte de l’extraordinaire ampleur des massacres de
Hutus qui s’étaient alors déroulés au Burundi, renvoyant ainsi en masse vers
le Rwanda des réfugiés qui avaient franchi la frontière pour se sentir protégés
et étaient de ce fait venus alimenter un détestable extrémisme hutu. Le
massacre de 1993 fit, au Burundi, 150 000 morts et entraîna la fuite à
l’étranger de 700 000 réfugiés hutus qui vinrent rejoindre les 240 000 Hutus
qui avaient quitté le pays lors des affrontements précédents.
M. Robert Galley a souligné que ce qui s’était passé au Rwanda en
1994 avait déjà été précédé d’événements, certes de nature tout à fait
différente, mais qui révélaient la dureté extrême de la répression menée par
l’armée tutsie du Burundi, laquelle avait écrasé la révolte des provinces du
nord et provoqué la fuite de nombreux Hutus en territoire rwandais. Il a jugé
que ces événements expliquaient, dans une certaine mesure, les raisons pour
lesquelles, lorsque le FPR rencontra ses premiers succès, non pas en 1990,
mais au cours des années suivantes, sur la frontière nord et dans l’est du
pays, une immense terreur s’était emparée de l’ensemble des Rwandais dont
les cousins et les amis avaient été chassés du Burundi. Il a estimé que dans la
presse, les journaux et ouvrages français, ces conséquences des événements
du Burundi sur l’état d’esprit des Rwandais et sur la montée de l’extrémisme
hutu avaient été largement sous-estimées. Les événements de 1994, dont
M. Robert Galley a souligné le caractère effrayant et suicidaire, étaient nés,
pour une large part, des massacres qui s’étaient produits au Burundi et qui
avaient renvoyé au Rwanda la masse de réfugiés qu’il venait de mentionner.
Remerciant M. Robert Galley de son exposé qui, s’il ramenait les
membres de la mission à une époque antérieure à celle qui faisait l’objet de
ses investigations, n’en plaçait pas moins les événements de 1994 dans un
contexte historique intéressant, le Président Paul Quilès a souhaité savoir
dans quel esprit l’accord d’assistance militaire de 1975 avait été élaboré. Il a
souhaité avoir des précisions supplémentaires, relatives notamment à l’aide à
la constitution d’une gendarmerie nationale.
M. Robert Galley a rappelé que les premiers gestes officiels
marquants à l’égard du Rwanda avaient été faits par le Général de Gaulle qui,
à la suite de l’indépendance, avait été sollicité par le Président Kayibanda. Au
nom de la défense de la francophonie et compte tenu de l’extrême intérêt
qu’il portait au Congo ex-belge et à tout ce qui était francophone, le Général
de Gaulle avait jeté les bases de la coopération avec le Rwanda. Cette
coopération se déroulait certes avec des coopérants, mais aussi avec des
volontaires. M. Robert Galley a indiqué à cet égard avoir retrouvé, dans
l’histoire des volontaires du progrès dont il était, jusqu’en décembre dernier,
le Président, le reflet de la progression des interventions des ONG qui étaient
venues apporter leurs contributions au développement du Rwanda.
Des accords de défense ont été passés avec le Rwanda en raison de
la présence en Ouganda d’une menace extrêmement sérieuse. Dans ce dernier
pays, en effet, après la sinistre période d’Amin Dada et celle, non moins
sinistre, du Président Obote qui avait trahi tout le monde, était apparu un
nouveau leader, Museveni. Ce dernier, s’appuyant sur la minorité tutsie, avait
constitué son armée et ses milices en faisant appel aux réfugiés tutsis. Les
Tutsis avaient pris le pouvoir en Ouganda, que ce soit dans la sécurité
militaire ou à la tête de l’armée. Ainsi, une sorte de coexistence, voire de
fusion, s’était créée entre l’armée de l’Ouganda, qui soutenait le Président
Museveni, et le FPR qui ne cessait de se développer. Au début des années
quatre-vingts, l’armée du FPR devait être constituée de quelques milliers
d’hommes, lesquels représentaient une menace par le fait qu’ils étaient
remarquablement armés. Certains de leurs officiers avaient même été formés
à West Point. Les Français sentaient que le régime rwandais pouvait être
menacé.
C’est dans ce contexte que le Président Habyarimana signa des
accords de défense avec la France, symétriques de ceux conclus avec le
Zaïre. M. Robert Galley a indiqué qu’existait dans son esprit, une espèce de
symétrie dans l’attitude qu’avait adoptée la France lors de l’attaque du Shaba
par des Katangais basés en Angola, lorsqu’elle avait mené l’opération de
Kolwezi -dont les Français avaient été relativement fiers- et à l’égard de la
menace que le FPR exerçait aux frontières nord du Rwanda. Même s’il
n’existait pas de menaces du côté du Burundi et aucune, bien entendu, du
côté du Zaïre, la création et la progression de cette force ougandaise
dominée par les exilés tutsis impliquaient que la France aidât ses amis. C’est
dans ce cadre que fut élaboré l’accord de défense qui conduisit l’armée
française à apporter son aide au Rwanda.
A ce sujet, il convient de distinguer deux phases. La première, qui
s’étend jusqu’en 1990, a été notamment marquée par les premières attaques
du FPR. Les raids dévastateurs et meurtriers de ce dernier dans le nord du
pays furent stoppés par les parachutistes français, certes peu nombreux -ils
n’étaient que 125-, mais représentant une force suffisante. A ce moment-là,
l’armée du FPR était constituée de 2 000 à 3 000 personnes et équipée
convenablement, à l’instar d’une armée moderne.
La réaction du Président Mitterrand, que M. Robert Galley avait
approuvée sans réserve, avait été de faire jouer les accords de défense et de
préserver, bien évidemment, l’intégrité du Rwanda face à ce qui apparaissait
comme une attaque extérieure. Il s’agissait aussi d’accroître les effectifs et
les moyens de l’armée rwandaise pour lui permettre de faire face à cette
attaque, au moment où le FPR, basé en Ouganda, recrutait, en Tanzanie, au
Burundi et même au Rwanda, des jeunes Tutsis de seize à dix-huit ans pour
les entraîner, son objectif étant de constituer ce qu’il appelait une armée de
libération.
La montée en puissance de l’armée rwandaise que le Président
Mitterrand et les gouvernements successifs ont accompagnée n’était, en
réalité, que la riposte à la menace du Front patriotique rwandais, qui devenait
de plus en plus pressante. Dans le même temps, le Président Habyarimana
faisait des efforts louables pour essayer de se rapprocher du Front patriotique
rwandais et d’éviter la guerre. L’histoire a cependant montré qu’à partir du
moment où Kagame, qui était le fils de Tutsis exilés, a pris le pouvoir, il a
mené de front, avec une habileté consommée, les combats et les
négociations. Au cours des négociations, il se donnait le rôle de vouloir
participer à un gouvernement d’union nationale et de réconciliation, alors
qu’en même temps il acquérait un armement très important et menait des
raids, relativement limités jusqu’à la grande invasion de 1993. Dans cette
affaire, le FPR s’est comporté comme un Machiavel utilisant à fond les relais
qu’il possédait aux Etats-Unis, au Canada et en Europe pour se présenter
comme voulant rétablir les droits de l’Homme et la démocratie au Rwanda.
En réalité, pour caricaturer, son ambition était de rétablir l’ordre antérieur,
c’est-à-dire la domination d’une minorité tutsie sur un peuple destiné à
demeurer un peuple de travailleurs.
M. Robert Galley a insisté sur le fait que la France s’était honorée,
sous la conduite de ses présidents successifs, en soutenant la politique du
Gouvernement rwandais et en faisant tout ce qui était en son pouvoir pour,
d’une part, éviter la guerre et, d’autre part, donner au Rwanda les moyens de
faire face à cette agression extérieure.
M. Bernard Cazeneuve, revenant sur les propos tenus par
M. Robert Galley concernant l’accord qu’il avait qualifié « d’accord de
défense », a fait observer qu’à la connaissance des membres de la mission,
l’accord signé effectivement en 1975 entre la France et le Rwanda était, non
pas un accord de défense, mais d’assistance militaire, avec une dimension de
coopération. Le texte originel, pas plus que les avenants le modifiant, ne
prévoyaient que la France interviendrait aux côtés du Rwanda en cas
d’invasion étrangère ou d’attaque extérieure dirigée contre le Rwanda, mais
seulement que la France apporterait, comme c’est le cas dans d’autres pays
d’Afrique, son soutien à la formation des militaires rwandais, qu’ils soient
dans la gendarmerie ou au sein des forces armées rwandaises, en y favorisant
en particulier l’apprentissage de ce que sont les moeurs démocratiques dans
un pays respectant les droits de l’Homme.
M. Robert Galley, se rangeant très volontiers à l’avis du
Rapporteur et reconnaissant sa connaissance du sujet, a admis qu’il s’agissait
là d’une erreur de sa part, étant entendu que l’opération menée sur
Ruhengeri, lors de la première incursion armée en force du FPR, paraissait
tout de même, à ses yeux, relever plus d’un accord de défense ou, du moins,
d’un accord de soutien mutuel que de la simple coopération.
M. Bernard Cazeneuve a souligné l’importance de ce point pour la
compréhension des faits. La question que les membres de la mission
d’information se sont posée à plusieurs reprises et qu’ils ont posée à un
certain nombre de ceux qui sont venus devant eux au cours des dernières
semaines, était de savoir si certaines interventions de la France, qu’il s’agisse
de l’opération « Noroît » ou de l’envoi du détachement d’assistance militaire
et d’instruction, résultaient de la mise en oeuvre de l’accord d’assistance et
de coopération militaires ou d’une autre logique. Il a jugé que, par
conséquent, le témoignage apporté par M. Robert Galley était intéressant,
dans la mesure où il prouvait que cet accord de coopération avait été signé
dans un esprit très large.
M. Bernard Cazeneuve a ensuite interrogé M. Robert Galley sur ses
relations personnelles d’amitié avec le Président Habyarimana, qu’il avait
connu à partir de la fin des années soixante-dix. Il a voulu savoir s’il avait
senti, à mesure que le temps passait, qu’il était de plus en plus aux prises
avec l’Akazu, ce petit groupe dont on écrit qu’il était entre les mains de
certains membres de sa famille et gagné à la cause extrémiste hutue contre
laquelle, à l’origine, le Président Habyarimana s’était pourtant battu.
En réponse à la première question du rapporteur, M. Robert Galley
a déclaré que les militaires français en coopération encadraient l’armée
rwandaise et l’assistaient dans ses manoeuvres, jusqu’au jour où des vies
françaises se sont trouvées menacées par le FPR, des Français, notamment
des coopérants et des prêtres, étant installés dans le nord du pays. La
préservation de vies humaines fut une extension, presque « naturelle », de
l’accord de coopération. C’est ainsi qu’ont dû être présentés les événements
de 1990, les seuls que M. Robert Galley a dit avoir connus.
S’agissant de sa relation avec le Président Habyarimana, M. Robert
Galley a déclaré l’avoir vu pour la dernière fois en 1982 mais avoir entretenu
des amitiés, en particulier avec le Ministre des Affaires étrangères et un
certain nombre de personnalités du gouvernement. Il a reconnu avoir
constamment senti que le Rwanda vivait dans une tension interethnique
latente, ce qui nécessitait une extrême attention pour réprimer, d’où qu’elles
viennent, les manifestations de cette tension prête à se raviver au moindre
signe.
Le Président Habyarimana lui avait effectivement signifié, à diverses
reprises, que les adversaires du maintien de la paix, à l’intérieur du pays,
étaient les extrémistes hutus qu’on trouvait un peu partout, même dans
l’armée. M. Robert Galley a déclaré avoir conservé un souvenir très précis
du Président Habyarimana lui parlant de cette situation : il savait qu’il devait
être, lui-même, extrêmement vigilant pour éviter les dérapages, ce qui se
passait au Burundi étant constamment présent dans l’esprit du gouvernement
et des populations, à un point que la France mesure difficilement. Tout ce qui
se passait dans un pays se répercutait sur l’autre, et vice versa.
Evoquant les propos de M. Robert Galley relatifs à la « tension
interethnique latente » et le tableau rapide qu’il avait brossé de l’histoire du
Rwanda et, dans une moindre mesure, du Burundi depuis la décolonisation,
le Président Paul Quilès a demandé à M. Robert Galley à quel moment,
selon lui, s’était accrue cette tension ethnique.
Dans une réponse qu’il a qualifiée de brutale, M. Robert Galley a
estimé que la majorité hutue du Burundi n’ayant jamais eu l’occasion ni la
possibilité de s’exprimer, il était difficile de parler de tensions interethniques.
Il y avait les maîtres et les esclaves.
Au Rwanda, furent déjà enregistrés, dans les années 1956-1958, des
réflexes d’opposition entre Hutus et Tutsis, mais ce fut l’indépendance de
1962 qui provoqua l’explosion des tensions interethniques.
M. François Lamy a d’abord interrogé M. Robert Galley sur le
régime du Président Habyarimana. Il a souligné que la description donnée par
M. Robert Galley d’un régime très « tolérant » et d’une démocratie à la base,
ne correspondait pas tout à fait à l’image qui en avait été présentée aux
membres de la mission. Il a observé qu’à l’époque où M. Robert Galley était
en fonction, il s’agissait d’un régime de parti unique et a rappelé qu’un des
universitaires entendus avait parlé, non pas de démocratie communale, mais
plutôt d’un système de « quadrillage » de la population. Il a donc demandé à
M. Robert Galley de revenir sur ce point et de préciser quelle était
l’ambiance dans ce pays. Faisant état des propos tenus devant la mission par
le Premier ministre rwandais, en exercice de juillet 1994 à août 1995, selon
lesquels nombre de problèmes du Rwanda étaient précisément liés à la lutte
pour le pouvoir, il a souhaité connaître l’analyse de M. Robert Galley sur le
régime Habyarimana et les oppositions qu’il suscitait, l’expression de
« nazisme tropical » ayant été employée pour le qualifier.
Relevant que M. Robert Galley avait été Président de l’Association
des volontaires pour le progrès jusqu’à très récemment et rappelant que
certains coopérants appartenant à cette association étaient présents au
Rwanda dans les années qui avaient précédé le génocide, M. François Lamy
a souhaité savoir si ces volontaires avaient fait des rapports et, dans
l’affirmative, s’il était possible de les communiquer aux membres de la
mission.
En réponse à cette dernière question, M. Robert Galley a indiqué
que l’actuel délégué général des Volontaires du progrès était au Rwanda lors
de la prise de pouvoir par le Président Habyarimana et qu’il pourrait donner à
la mission un éclairage sur la situation que connaissait alors le pays.
A ce propos, il a toutefois souligné que l’Association des
volontaires du progrès avait un souci absolu de la sécurité de ses coopérants
et que son rôle n’était pas de les envoyer dans un endroit où ils pouvaient
courir un risque quelconque. Pour illustrer son propos, il a cité un exemple.
M. André Santini, député et Président du syndicat des eaux de
l’Ile-de-France, avait entrepris la remarquable tâche de donner, en dix ou
quinze années, de l’eau potable à toutes les populations du nord du Rwanda,
tâche à laquelle contribuaient les volontaires du progrès qui encadraient les
travaux. Lors des premières incursions du FPR dans le nord du pays, les
dirigeants de l’Association étant convaincus que ces événements ne
pouvaient qu’entraîner des massacres d’un côté et de l’autre, les volontaires
ont été rapatriés. Par conséquent, ni en 1993, au moment des grands
massacres du Burundi, ni en 1994, les volontaires n’ont pu avoir eu une
vision de terrain de ce qui s’était passé. De ce point de vue, leur rapport
risque de ne pas être d’un très grand secours.
M. Robert Galley a en revanche estimé que pourraient être trouvées,
parmi les religieux français qui ont quitté le Rwanda, des personnes qui ont
vécu les événements. Soeur Odette, la supérieure du collège de Gitarama, qui
a passé sa vie au Rwanda, lui avait fait, elle-même, un rapport témoignant de
son épouvante devant ce qu’elle avait vu. Elle lui avait fait part du sentiment
de panique des Hutus à l’idée que les Tutsis reviennent et avait fait état de
quasi-émeutes raciales à l’intérieur même d’un collège où, quelques mois
auparavant, tous semblaient vivre dans une parfaite compréhension mutuelle
alors qu’étaient même conclus des mariages mixtes. L’explosion de haine
raciale paraissait, à cette époque de calme apparent, parfaitement
inconcevable. C’est aussi la raison pour laquelle en réponse au Président Paul
Quilès, il avait parlé de « tensions latentes » entre les ethnies, en précisant
qu’il suffisait d’une étincelle pour les ranimer.
Quant à la question posée sur le régime du Président Habyarimana,
M. Robert Galley, tout en reconnaissant que les parallèles étaient toujours
mauvais, l’a néanmoins comparé à celui de Côte-d’Ivoire. Rappelant que ce
pays, pour lequel la France avait une grande estime, avait vécu, avec le
Président Houphouët-Boigny, sous un régime de parti unique, il a souligné
que la France s’en était bien accommodée et estimé que la Côte-d’Ivoire s’en
était bien trouvée. Il a en outre fait valoir que, dans le Gouvernement de
Juvénal Habyarimana, il y avait des Tutsis, qui appartenaient au parti du
Président, le MRND.
Au Rwanda, la démocratie ne se situait pas au niveau de la
représentation nationale, composée uniquement de candidats du parti
unique : c’était là une caricature de démocratie. En revanche, dans les
villages, la démocratie existait vraiment et les équipes municipales étaient
constituées, après débats, par élections et cooptations. A l’intérieur même
des provinces, les élections étaient représentatives des forces communales.
Bien qu’ils fussent très éphémères et précaires, les moyens de communication
par radio facilitaient la constitution d’autorités locales capables d’assurer le
fonctionnement du pays.
M. Robert Galley s’est déclaré frappé, en tant que Ministre de la
coopération, du nombre formidable de projets de développement et de
modernisation du pays. En comparaison avec les projets de pays voisins,
comme le Zaïre, caricature de ce qu’il fallait faire, voire de pays tels que le
Mali ou la Mauritanie, il était stupéfiant de voir le Rwanda, confronté à ses
problèmes de surpopulation, se lancer, en s’appuyant sur ses structures
communales et préfectorales, dans des projets brillants de cultures de thé ou
de café.
Pour nombre de Français, le Rwanda était un peu un modèle de ce
que l’on pouvait rêver pour l’Afrique comme phase de transition entre la
période coloniale et la démocratie.
M. Jacques Myard a estimé qu’en suivant la logique historique
développée par M. Robert Galley qui avait rappelé l’histoire actuelle et
ancienne, voire la protohistoire du Rwanda, on était en droit de penser
qu’aujourd’hui, la situation était de nouveau explosive. Avec le pouvoir
d’une minorité sur une majorité, le Rwanda poursuit le cycle de
l’affrontement maîtres-esclaves qui risque d’alimenter à nouveau la violence.
M. Jacques Myard a donc demandé à M. Robert Galley quel était son
sentiment sur la situation du Rwanda aujourd’hui, qui lui semblait la suite
logique, mais inversée, de tout ce qui s’est passé auparavant.
Par ailleurs, il a souhaité savoir comment M. Robert Galley
expliquait que le Gouvernement hutu, même avec l’aide de la France, si
importante ou minime soit-elle, selon que l’on se place d’un côté ou d’un
autre, n’ait pas su faire face aux attaques de blitzkrieg du FPR.
A la première question, M. Robert Galley a répondu par analogie.
Le nombre de Tutsis au Burundi doit être de l’ordre de 15 % à 20 %. Ils
détiennent l’administration, la police, la gendarmerie, l’armée, c’est-à-dire
tous les postes de pouvoir et ce, depuis des siècles -et ils ont su préserver
cette position au moment de l’indépendance.
Quand le FPR est arrivé dans le nord, il avait « regroupé », soidisant pour les protéger, les populations des villages et les avait triées. Il a
éliminé tous les dirigeants et a fait fusiller trois évêques, parce qu’ils
représentaient l’élite, hutue qui plus est. A l’heure actuelle, il n’existe pas
grand risque de drame au Rwanda puisque s’est installée la paix des
mitrailleuses.
Sachant que, durant les émeutes, l’armée du Burundi a tué, dans les
trois provinces du nord, 150 000 personnes en moins de cinq trimestres, le
danger, pour la population hutue, est très clair. De la même manière, les
Tutsis du Rwanda n’ont nullement cherché à aider les populations hutues ; ils
les ont jetées dans les forêts du Zaïre, sans se soucier de savoir si elles
allaient mourir, ce qui a d’ailleurs été le cas pour la plupart d’entre elles. Il
existe donc une logique de domination des Hutus par un peuple tutsi
intelligent et guerrier.
Concernant la question de savoir pourquoi l’armée hutue, aidée par
la France, n’avait pas su faire face aux attaques du FPR, M. Robert Galley a
rappelé qu’existaient au Rwanda trois peuples : les Twas, très apparentés aux
pygmées et originaires de la forêt, qui vivent dans le nord-est du pays, dans
la zone des volcans en particulier, les Hutus, populations bantoues qui
viennent de la forêt zaïroise et qui ont probablement commencé à coloniser
les terres du Rwanda aux XVème, XVIème et XVIIème siècles et les Tutsis,
d’origine étrangère. Ce sont les cousins des Dinkas du Soudan, des grands
gaillards, gardiens de boeufs, du Bahr-El-Ghazaï, ou des Masaïs dont on sait
au Kenya quels guerriers redoutables ils sont. Les Tutsis n’ont donc
rigoureusement rien à voir avec les peuples de la forêt. Ces populations,
malgré les mariages mixtes, sont complètement différentes. La réussite des
élites tutsies en Europe, notamment en France, en Belgique, au Canada et
aux Etats-Unis, est là pour montrer qu’il s’agit d’un peuple, intelligent et fier,
de très bons guerriers, qui n’a rien à voir avec ces hordes de pauvres
bantous, incapables de résister à la poussée d’une armée moderne, composée
d’une petite quantité d’hommes, mais très bien organisée et obéissant à une
discipline comparable à celle qui caractérise les armées européennes.
Même si l’armée rwandaise comportait des éléments convenables,
comme c’était également le cas de l’armée zaïroise, toutefois, globalement, la
qualité des soldats bantous était sans commune mesure avec celle des
combattants tutsis venant de l’extérieur.
Reconnaissant avoir quelque peu caricaturé et forcé le trait pour
bien faire comprendre sa pensée, M. Robert Galley a estimé que le sujet
exigerait des développements plus nuancés.
M. Michel Voisin, faisant allusion à l’anecdote évoquée par
M. Robert Galley concernant le lycée qu’il avait inauguré au Burundi, a
voulu savoir si ce qui avait été écrit concernant la séparation des Tutsis et
des Hutus dans les écoles rwandaises était vrai.
M. Robert Galley a répondu par la négative, pour avoir lui-même
visité plusieurs écoles religieuses, en particulier longuement celle de
Gitarama où il était retourné à deux reprises, compte tenu des liens d’amitié
qui le liaient à Soeur Odette. L’égalité était absolue. Les soeurs et les
professeurs préféraient probablement les Tutsis parce que, d’une manière
globale, ils étaient intelligents. Ainsi, lorsque les extrémistes hutus eurent
envahi un séminaire situé dans le Nord, du côté de Ruhengeri, ils avaient
aligné les personnes présentes contre le mur, en demandant à chacune leur
noM. En fonction du nom, les miliciens savaient qui était Hutu et qui était
Tutsi et ont fusillé les Tutsis.
Au sein même des séminaires qui étaient à la base du système
d’éducation et dans les collèges, il n’y avait aucune différence. Des Tutsis
fort intelligents qui étaient parfaitement intégrés faisaient partie du
Gouvernement de Juvénal Habyarimana. M. Robert Galley a souligné que
Juvénal Habyarimana faisait tout pour éviter le racisme. C’est la raison pour
laquelle il a été abattu.
Le Président Paul Quilès a relevé les propos de M. Robert Galley
évoquant de façon allusive et avec pudeur, le rôle et la responsabilité de
l’Eglise catholique par rapport au problème de la surpopulation. Il s’est
demandé si, à l’examen de l’histoire du Rwanda et de son évolution
démographique, il n’apparaissait pas irresponsable de favoriser la
surpopulation. Sauf à être totalement aveugle, on sait en effet qu’une
croissance démographique non maîtrisée débouche inéluctablement, soit sur
des épidémies, soit sur des guerres civiles ou extérieures, soit sur les trois à
la fois. On peut se demander par conséquent, comment il se faisait que des
responsables politiques, mais surtout religieux, favorisent la surpopulation.
Même s’il est toujours facile d’interpréter l’histoire a posteriori, comme
beaucoup le font, on peut se demander s’il n’y a pas là une forme
d’irresponsabilité grave.
M. Robert Galley a rappelé que les premiers missionnaires sont
arrivés au Rwanda lors de la colonisation allemande. Mgr Hirth y a amené
l’ordre des Pères blancs, fondé par un Français, le Cardinal Lavigerie.
Tout montre que l’Eglise catholique s’est appuyée, dans un premier
temps, sur l’aristocratie tutsie au nom d’un principe qui était le suivant : dès
lors qu’elle christianisait l’élite, inévitablement l’ensemble des populations
deviendraient chrétiennes. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé. Par la suite,
dans les années 1920-1925, l’Eglise a fait machine arrière, mais son poids
était considérable. L’Eglise catholique a souhaité faire du Rwanda un Etat
chrétien. Le dimanche matin au Rwanda, il était fascinant de voir toutes les
petites colonnes de populations qui descendaient, de manière très régulière,
des collines pour venir écouter la messe sur l’immense place du village. Il est
dommage que l’Eglise catholique, dont le poids était si grand, n’ait pas réussi
à contrôler les extrémismes, en particulier l’extrémisme hutu. Elle a, dans les
faits, été entraînée dans la tourmente.
M. Bernard Cazeneuve est revenu à son tour sur les paroles de
l’évêque burundais, citées par M. Robert Galley, selon lesquelles les Tutsis
étaient seuls dignes de recevoir un enseignement, alors que les Hutus étaient
en train de travailler sur les collines.
Il a jugé que cet épisode entrait en contradiction avec ce que l’on
peut lire dans un certain nombre de textes émanant de religieux qui ont joué
un rôle très important au Rwanda, comme Mgr Perraudin, qui, en 1959, jette
les bases d’une sorte de révolution post-coloniale hutue, en affirmant qu’un
rééquilibrage du pouvoir au profit des Hutus est indispensable. Il a estimé
que les propos rapportés par M. Robert Galley paraissaient également en
contradiction avec le lien très étroit qui unissait un certain nombre de
responsables de l’Eglise catholique et le Gouvernement de Juvénal
Habyarimana, et qui s’est d’ailleurs traduit par des complicités éditoriales. A
plusieurs reprises, en effet, le Président Habyarimana a signé les éditoriaux de
la revue Dialogue, ce qui a conduit plusieurs ecclésiastiques à fonder la
revue Kinyamateka pour marquer leur distance à l’égard du régime.
M. Robert Galley a indiqué, tout en reconnaissant le caractère
quelque peu tranché de ses propos, motivé par son souci pédagogique, que
les églises du Rwanda et du Burundi n’avaient rien à voir l’une avec l’autre.
L’Eglise catholique rwandaise était à peu près conforme à ce que les
Européens, pouvaient souhaiter, étant entendu malgré tout que son rôle était
considérable puisqu’elle assurait l’enseignement. Mais l’enseignement ne
véhiculait aucune discrimination raciale.
En revanche, l’Eglise catholique du Burundi voulait maintenir les
structures aristocratiques au profit des Tutsis.
Ce n’est donc pas en termes de contradictions, mais de comparaison
qu’il faut analyser la réalité des deux pays voisins : l’un avait préservé le
régime de l’aristocratie dominante et de la minorité oppressive, alors que,
dans l’autre, certaines personnes essayaient de vivre en bonne intelligence.
C’est la raison pour laquelle, selon Kagame, il fallait les éliminer.