Fiche du document numéro 1472

Num
1472
Date
Mardi 17 mai 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
162359
Pages
2
Titre
En dépit de nombreux témoignages, le chef des milices rwandaises réfute les accusations de génocide
Sous titre
Dans un entretien accordé au Monde vendredi 13 mai, le chef des milices rwandaises, composées d'extrémistes hutus, nie que ses hommes se livrent à des massacres organisés de Tutsis et de Hutus modérés, partisans du dialogue.
Page
26
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Kigali, de notre envoyé spécial


« C'est la population qui s'est fâchée, après la mort de notre président
; difficile de dire qui est responsable des massacres
 » : Robert Kajuga,
président des milices Interahamwé, principales accusées des tueries au
Rwanda (qui ont fait, depuis le 6 avril, entre 100 000 et 200 000
morts), n'explique pas autrement ces massacres. Pour cet homme de
trente-trois ans, qui, dans le civil, gère une société commerciale avec
son frère, il n'y a « absolument rien d'organisé. Tout est spontané ;
les gens se sont défendus quand les rebelles du Front patriotique
rwandais ont attaqué
 ».

Les miliciens, selon lui, « sont chargés de la défense populaire ». Pour
atteindre la base des Interahamwé, dans le quartier de Nyamirambo, il
faut traverser une ville sur le pied de guerre, palabrer à chaque
barrage, s'expliquer avec les sentinelles armées de machettes ou de
fusils d'assaut Kalachnikov, et franchir un dernier contrôle. Robert
Kajuga reçoit la presse, solidement encadré par deux conseillers, dans
un modeste logement au bout d'une ruelle tortueuse.

Aucun d'eux ne semble réaliser combien ces « champs de la mort »
rwandais scandalisent la communauté internationale. Mais ils « en ont
assez
 » de ces accusations de « génocide » et contre-attaquent :
« Pourquoi ne parle-t-on pas des carnages commis par le Front patriotique
rwandais ? Et chez vous, en Europe, il n'y a pas eu des atrocités
pendant la dernière guerre mondiale ?
 »

Le Rwanda, perçu désormais comme un lieu de barbarie où l'on tue, où
l'on mutile les femmes et les enfants à l'arme blanche ? « Non, je ne
pense pas ; c'est la guerre, vous savez. Ce n'est pas de la sauvagerie,
c'est la guerre ! Il y a des innocents qui ont péri, c'est sûr, mais il
faut comprendre la réaction d'une population qui s'est sentie agressée.
 »

« Appels au meurtre » ou « défense civile » ?



Cette station privée, Radio-Mille Collines, qui appelle au meurtre des
Tutsis et des opposants hutus ? « Je le nie catégoriquement. Il faut
distinguer entre appels au meurtre et défense civile. La radio appelle
les gens à se défendre, à être vigilant contre les infiltrations
ennemies.
 » Et ces massacres dans les églises ? « Le clergé rwandais est
à 95 % tutsi
 [c'est-à-dire, dans la mentalité des extrémistes rwandais,
acquis au FPR, mouvement essentiellement tutsi], et dans certaines
missions, on a trouvé des caches d'armes. D'une paroisse, on nous a même
tiré dessus !
 »

Et ces blessés, extirpés des véhicules de la Croix-Rouge rwandaise et
achevés par les miliciens ? « Nous savons que le FPR a infiltré en ville
des combattants déguisés en faux blessés dans des ambulances.
 » Ces
milliers d'enfants abattus étaient des agents du FPR ? « Nous ne pouvons
contrôler tous le monde ; mais nous sommes en train de calmer la
population.
 » Le chef des Interahamwé soutient qu'il a déjà fait
« exécuter des miliciens qui se sont mal comportés », comme il assure
aussi qu'« il y a des Tutsis » dans son mouvement.

La responsabilité collective, invoquée par Robert Kajuga, est une ligne
de défense confortable, mais ses propos témoignent aussi de la peur
inspirée aux Interahamwé (qui se targuent pourtant d'« être toute la
nation
 ») par les rebelles du FPR. D'où leur refus de la moindre
concession à ce mouvement, notamment dans le partage du pouvoir prévu
par les accords de paix d'Arusha d'août 1993.

« Ces accords, c'était de la foutaise », s'écrie un de ses conseillers.
Toutefois, il n'est pas rare de voir les chefs de la milice s'entretenir
avec le gouvernement intérimaire et les officiers de l'armée : « Oui, on
a reçu quelques armes pour la défense civile, mais nous n'allons pas sur
le front. Remarquez que quand le FPR investit un quartier et que la
population résiste, c'est déjà un front.
 »

Malgré l'encerclement progressif de la capitale par le FPR, les
Interahamwé ne veulent pas imaginer que les rebelles s'emparent de la
ville. « Nous préférons mourir que d'abandonner Kigali ! »,
proclament-ils.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024