Sous titre
François Rutayisire, représentant du Front patriotique rwandais, répond aux questions de l'Humanité
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Citation
Comment appréciez-vous aujourd'hui la situation au Rwanda ?.
Elle est la pire que l'on puisse imaginer. Les infrastructures ont été détruites. Ce qui reste encore debout a été pillé et ravagé par les forces de la dictature. Elles ont pratiqué la politique de la « terre brûlée ». Le tissu économique est presque inexistant (hommes d'affaires, commerçants, paysans tués ou exilés). Le pays est exsangue.
Quels sont vos besoins les plus immédiats ?
D'abord et avant tout la paix. Nos besoins ? Boire, manger, se soigner, se vêtir. La communauté internationale peut aider en empêchant les forces responsables du drame rwandais de poursuivre leurs crimes.
Quelles actions allez-vous intenter contre les commanditaires et les auteurs des massacres ?
La justice doit être rendue. C'est la condition incontournable pour que le sentiment de haine et de vengeance soit remplacé par le sentiment de réconciliation et de pardon. Pendant ces dernières décennies d'innombrables pogroms ont eu lieu. Les responsables n'ont jamais été jugés. Bien au contraire, c'était une des formes de promotion politique au Rwanda. Nombre de dirigeants politiques, militaires et miliciens considéraient qu'ils pouvaient ainsi rendre la « machine à tuer » plus « performante ».
Le gouvernement rwandais a déjà donné son point de vue par la voix de son premier ministre. Seront poursuivis ceux qui auront ordonné, organisé ou exécuté les massacres. Il appartiendra à la justice d'établir le degré de responsabilité de chacun et de déterminer les peines en fonction des actes dont les individus ont été coupables. Cette justice sera rendue dans l'impartialité et la transparence à travers les juridictions nationales et internationales dès que celles-ci seront mises en place.
On dit ici et là que les nouvelles autorités rwandaises auraient la volonté de réprimer les réfugiés dès leur retour au pays. Que répondez-vous à ces accusations ?
Il s'agit d'une campagne orchestrée par les forces de l'ancien régime ne souhaitant évidemment pas la réussite du gouvernement d'union nationale. Au fur et à mesure que les forces de la dictature perdaient du terrain, elles poussaient devant elle la population à l'aide notamment d'une propagande haineuse distillée par les radios, très particulièrement la station Mille-Collines. Pour ces criminels, le retour des réfugiés mettra à nu leur prétendue légitimité car ils ne pourront plus continuer à manipuler cette population. Les nouvelles autorités ont déjà lancé des messages clairs, appelant les réfugiés à rentrer chez eux. Des visites ont eu lieu (ou vont avoir lieu) dans les pays d'accueil pour les inciter à rentrer. La sécurité est assurée. La fin de la propagande haineuse, la situation matérielle sur la route du retour sont des conditions propices pour que le retour se déroule le moins péniblement et le plus rapidement possible.
La France occupe toujours une partie de votre territoire. Quels rapports comptez-vous avoir désormais avec Paris et sur quelles bases ? Quelles coopérations peuvent se nouer entre les deux pays ?
C'est au gouvernement rwandais de définir ces rapports. Mais d'ores et déjà un certain nombre de choses sont à souligner.
La catastrophe survenue dans notre pays est en grande partie liée à l'apartheid à la rwandaise. Le fichage ethnique administratif était inscrit dans les moeurs, le fichage ethnique mental a fait le reste. Il faudra une formation civique aux Rwandais des trois communautés pour les éveiller aux droits et devoirs du citoyen.
En ce qui concerne la France, il faudra qu'elle abandonne la lecture ethniste de la vie politique rwandaise. A entendre les déclarations officielles, on a l'impression que certains n'ont pas encore compris les résultats catastrophiques de cette politique. Le prisme ethnique a la vie dure. Les rapports avec la France dépendront aussi des facilités qu'elle donnera pour que les responsables du génocide rwandais soient transférés devant la justice. Enfin, les intérêts, le respect et la dignité du peuple rwandais seront des éléments déterminants.
Quant à la zone de l'opération « Turquoise », elle fait partie intégrante du territoire rwandais. Le gouvernement rwandais doit pouvoir y exercer son autorité.
Puisqu'on parle de coopération, j'en profite pour remercier toutes les personnes, associations et organisations françaises pour l'apport qu'elles ont apporté et continuent d'apporter à la dénonciation de la barbarie, et au soulagement des souffrances du peuple rwandais.
Propos recueillis par JOSE FORT