Citation
MEDECINS du monde fait partie d'un collectif d'organisations humanitaires baptisé « Urgence Rwanda » qui, bien avant le début de l'opération Turquoise, avait condamnée toute intervention militaire française. Son président, Bernard Granjon, répond aux questions de « l'Humanité »
Etes-vous surpris par le tournant pris par l'intervention française ?.
Je ne suis malheureusement pas surpris puisque la situation actuelle sur le terrain découle de la logique même de cette action. Dans ce cas précis, l'humanitaire, le politique, le militaire... tout a été mélangé. De fait, cela ne pouvait donc aboutir à ce que l'on voit et entend aujourd'hui. On ne peut pas faire de l'humanitaire quand on fait une mauvaise politique et surtout quand on ne veut pas en changer. C'est très bien de sauver des vies humaines, et je m'en félicite, mais dans le même temps, on protège des criminels qui, demain comme hier, peuvent massacrer des milliers de personnes. Notre refus n'est pas d'aujourd'hui. Il y a plus d'un mois, j'avais rencontré le président de la République et je lui avais dit tout le mal que je pensais de la politique française au Rwanda. Une politique qui soutenait déjà des assassins et un régime corrompu et dictatorial. Et deux semaines avant l'intervention, j'avais, au cours d'un entretien avec Edouard Balladur, souligné combien cette action allait être périlleuse. Les faits nous ont donné raison.
Quelle solution préconisez-vous désormais ?
Que la France s'en aille ! Il est plus que temps de laisser la place aux troupes de la MINUAR. C'est la seule solution viable. La France est trop empêtrée dans ce bourbier, non seulement au Rwanda, mais j'ajouterais, dans l'ensemble des pays d'Afrique que nous continuons de soutenir.
Vous parlez de bourbier, le député RPR Jacques Baumel évoque lui le Vietnam…
Le Vietnam, je ne sais pas… mais en tout cas cette opération ne va déboucher sur rien sinon que de laisser au pouvoir des gens qui sont une catastrophe pour le continent entier.
N'avez-vous le sentiment qu'une fois plus, l'opinion publique a été manipulée ?
Bien sur, on fait que çà d'ailleurs. Tout le monde vend aujourd'hui de l'humanitaire. Il n'y a pas un département ou un ministère qui n'en fasse pas aujourd'hui ! Mais sous ce pavillon, c'est une toute autre marchandise que l'on amène dans ces pays. C'est pour cette raison que nous avons décidé, nous organisations humanitaires, de créer un collectif afin, non seulement de collecter et d'aider effectivement le peuple rwandais mais aussi de donner notre point de vue. Un point de vue qui, lui, ne prend qu'en compte l'enjeu humanitaire, et aucun autre.
LAURENT FLANDRE