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Un accrochage a opposé hier pour la première fois les soldats français à des combattants du FPR à Butaré, au sud-ouest du Rwanda. Assurant que ses parachutistes s'apprêtaient à procéder à des évacuations de civils, le colonel Didier Thibaut a affirmé que les militaires sous ses ordres avaient répliqué à des tirs contre leurs véhicules. L'incident, qui n'a duré qu'une trentaine de secondes, n'a pas fait de victimes côté français, a-t-il ajouté, précisant qu'il pouvait y en avoir côté FPR.
« Si les Français et le Front patriotique du Rwanda s'affrontent à Butaré, ce sera un désastre complet. (…) Tout en affirmant la neutralité de la France dans le conflit rwandais et leur désir d'éviter tout contact avec les rebelles, les responsables de l'opération ``Turquoise'' espèrent par leur seule présence arrêter l'avancée du FPR », note l'envoyé spécial de Reuter, Peter Smerdon, se faisant l'écho de confidences d'un responsable d'ONG. Question non posée formellement, mais perceptible en filigrane : une « présence » susceptible « d'arrêter l'avancée du FPR » ne serait-elle pas là pour sauver la mise au camp d'en face, celui de la dictature ? Et pourrait-on alors, sans hypocrisie, toujours parler de « neutralité » ?
Située au sud de Kigali, la ville de Butaré est l'enjeu de combats entre les FAR (Forces armées rwandaises) et les combattants du FPR depuis plusieurs semaines. Auparavant, elle fut le théâtre de massacres à répétitions. Massacres des familles tutsies et des démocrates hutus résidant dans la région ; massacres des réfugiés fuyant Kigali, devant les tueurs de la milice qui, eux-mêmes, se repliaient devant les forces du FPR. Les cadavres jetés dans la rivière voisine, affluent de l'Akagera, n'ont cessé de tourbillonner sous le pont de Rusumo, à la frontière rwando-tanzanienne. Leurs photos ont ensanglanté la une de la presse mondiale, française comprise. Ces corps que vous avez entr'aperçus sur votre écran de télévision, ce sont ceux des martyrs assassinés par les hommes de la dictature. Ceux qui, aujourd'hui, sont menacés par l'offensive FPR.
Plus au nord, à Kigali, les affrontements se poursuivent. L'important camp de la gendarmerie du quartier de Kacyiru, l'une des dernières positions de la dictature dans la capitale, a été le terrain d'une violente bataille, dont le nombre de victimes n'a pas été précisé. Les informations sont difficiles à réunir et doivent être confrontées entre elles, sans que cela n'en garantisse d'ailleurs la véracité. Témoin cette déclaration, hier, du major-général canadien Roméo Dallaire, commandant de la MINUAR (mission des Nations unies pour l'assistance au Rwanda), reconnaissant qu'il n'avait « pas les moyens de confirmer » les propos de source militaire française selon lesquels « les forces du FPR encerclent complètement et étanchement Kigali ».
La veille, samedi, les quinze membres du Conseil de sécurité de l'ONU ont été informés de l'initiative française visant théoriquement à mettre en place une « zone humanitaire sûre » dans le sud-ouest du Rwanda. Dans une lettre adressée aux membres du Conseil, son président en exercice, Jamsheed Marker (Pakistan), joignait un projet de réponse à l'intention de Boutros Boutros-Ghali, par laquelle le secrétaire général sera formellement informé que l'initiative française a été « portée à la connaissance des membres du Conseil de sécurité ». Selon la procédure régulière de non-objection, cette réponse deviendra officielle ce mardi à 17 heures, lundi étant jour férié à l'ONU, a précisé M. Marker. Ce qu'on appelle prendre acte sans s'engager personnellement. Le FPR s'est déclaré opposé à ce projet de « zone humanitaire », estimant que celui-ci permettrait de « protéger les auteurs de massacre ». L'accrochage survenu hier soir dans la région de Butaré ne contribuera pas à régler le différend.
JEAN CHATAIN.