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LE 25 mai, c'est-à-dire mercredi dernier, le deuxième secrétaire de l'ambassade du Rwanda au Caire adressait à son ministère de la Défense à Kigali un message (voir le fac-similé ci-dessous) lui annonçant une livraison d'armes et de munitions. Voici les principaux extraits de ce document:
« Honneur vous communiquer ce qui suit:
1. Mr Anoop dispose pour le moment d'une licence d'exportation pour le
stock suivant:
40.000 Hand Grenade (défensive),
3.000.000 rounds 7,62 x 39.
Au cas où la BBL avait exécuté le transfert en sa faveur, il aurait
déjà livré ce 25/05/1994, le chargement suivant avec 365.000 USD de
crédit:
760.000 rounds 7,62 x 39
20.000 H. G. (...)
(soit) un chargement net 33 tonnes (avec possibilité de chargement des
deux avions en même temps). »
Le coût total de ce « chargement » s'élève, selon la note de l'ambassade
rwandaise au Caire, à un total de 765.000 dollars.
La fin du document est ainsi rédigée: « Pour les produits 5,56 mm, il
(Mr Anoop) peut les apprêter à condition qu'on ait les certificats de
destination finale faits à Kinshasa-Zaïre (par via ambassades) et que
les fonds nécessaires soient disponibles avant livraison.
Je l'ai déjà contacté pour être prêt dès que votre messager parvienne à
Paris. »
Cette dernière partie du message soulève des questions graves.
Observons tout d'abord que ces armements livrés ou en cours de
livraison, destinés directement aux auteurs du génocide qui continue à
être perpétré au Rwanda, sont des balles de 7,62 mm et des grenades
dites défensives, les plus meurtrières.
La « BBL » citée comme étant
l'organisme transférant les fonds à destination de « Mr Anoop »
serait-elle la Banque belgo-luxembourgeoise?
Il y a plus grave: les « certificats de destination finale faits à
Kinshasa » sont les documents exigés habituellement par les autorités
françaises auprès du client « final » officiel - en l'occurrence, ici, le
Zaïre - de tout envoi d'armes à partir du territoire français.
Un avion fantôme
A cela s'ajoutent deux autres interrogations particulièrement
inquiétantes: quel est ce « messager » qui doit « parvenir » à Paris? Avec
qui a-t-il des contacts? Uniquement des trafiquants? Et, surtout, par
qui sont affrétés les « deux avions » sur lesquels le « chargement »
pourrait se faire « en même temps »? D'où partent-il? Serait-ce d'une
base gouvernementale française?
On se souvient que, fin avril, le gouvernement français avait annoncé
l'envoi d'au moins un avion, officiellement chargé de secours d'urgence
à destination du Rwanda. Aucune organisation humanitaire n'a, à notre
connaissance, été en mesure de réceptionner le contenu de cet appareil
qui aurait atterri au Zaïre ou en Tanzanie. Il est aussi de notoriété
publique que l'aide militaire française à la dictature était organisée
ces dernières années à partir du Caire et était garantie par une banque
nationalisée française, le Crédit lyonnais.
Un trafic qui se poursuit
Dans une interview publiée par « le Quotidien » du 28 mai, le ministre de
la Coopération, Michel Roussin, se demande, avec une fausse naïveté:
« Par où pourrions-nous fournir des armes et par quel moyen? Cela serait
en totale contradiction avec la politique africaine du gouvernement. »
Et il ajoute que les informations selon lesquelles une aide militaire
est accordée, ou l'a été, par Paris à la dictature rwandaise « ne
tiennent pas la route ni politiquement ni techniquement ». Le ministre
va jusqu'à nier le fait que des armes destinées aux tueurs pourraient
transiter par la ville zaïroise de Goma, car, affirme-t-il, « c'est
méconnaître nos relations avec ce dernier pays que tous les
spécialistes de la politique africaine connaissent bien ».
Mais, justement, n'est-ce pas avec ce pays que les autorités françaises
ont depuis quelques mois les meilleures relations, allant jusqu'au
point, dit-on dans certaines chancelleries africaines, de faire
pression afin que le Zaïre préside l'Organisation de l'unité africaine
(OUA) à l'issue du prochain sommet? Faut-il rappeler qu'après avoir
fait mine d'encourager le mouvement démocratique zaïrois le président
Mitterrand avait accordé un entretien au maréchal-président Mobutu, à
l'issue du sommet de la francophonie à Maurice le 18 octobre dernier.
La France « ne soutient personne » au Zaïre, avait alors promis le chef
de l'Etat à Mobutu. Ce qui avait à l'époque vivement ému l'opposition
zaïroise regroupée au sein de l'Union sacrée.
Toujours est-il que le trafic d'armes à destination des assassins
rwandais se poursuit encore aujourd'hui et qu'il passe, d'une manière
ou d'une autre, par la capitale française. M.Roussin pourrait peut-être
se renseigner utilement auprès de son collègue de la Défense pour
savoir quels certificats de destination finale ont été visés par ses
services. Et, le cas échéant, lui indiquer que ce trafic
particulièrement scandaleux en faveur de responsables de l'un des plus
grands génocides de la fin du siècle doit immédiatement cesser.
MICHEL MULLER