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Les parachutistes français sont arrivés, samedi 9 avril, sur l'aéroport
de Kigali, dans la perspective d'une éventuelle évacuation des
ressortissants français. La capitale rwandaise est plongée dans le chaos
depuis la mort du président Habyarimana et la situation risque de
s'aggraver, les rebelles tutsis menaçant d'intervenir.
Quelque 190 militaires français, des parachutistes du 3e régiment
parachutiste d'infanterie de marine, en provenance du Centrafrique, ont
été déployés, samedi 9 avril, à l'aube, sur l'aéroport de Kigali, afin
d'assurer l'évacuation éventuelle des 600 ressortissants français vivant
au Rwanda. Cinq avions de transport Transall se sont posés, sans
difficultés, sur l'aéroport, contrôlé par l'armée gouvernementale
rwandaise, en présence de « casques bleus » belges. Ces derniers ont
ensuite quitté les lieux.
La Belgique a également commencé à envoyer des parachutistes, samedi
matin, en vue d'une éventuelle évacuation de ses 1 500 ressortissants,
mais ceux-ci ne devaient, semble-t-il, pas se poser à Kigali. Environ
200 marines
américains devaient aussi arriver, samedi matin à Kigali,
dans la perspective d'une opération conjointe franco-américaine.
La violence qui sévit dans la capitale rwandaise depuis la mort,
mercredi soir, du président Juvénal Habyarimana et de son homologue
burundais Cyprien Ntaryamira, a « sans doute fait, non pas des
centaines, mais des milliers de morts », à Kigali, selon le délégué du
Comité international de la Croix-Rouge (CICR) sur place, Philippe
Gaillard. Ce dernier a précisé qu'il y avait, vendredi, 400 cadavres à
la morgue de l'hôpital de Kigali et devant le bâtiment.
Les victimes sont des civils, hommes et femmes, ainsi que des
militaires, tuées par balles, à l'arme blanche ou même lapidées. D'après
plusieurs témoignages, la plupart d'entre elles sont tutsies. A
l'exception du CICR qui compte 25 expatriés sur place, les organisations
humanitaires ont décidé d'évacuer leur personnel, considérant qu'«aucune
action médicale ne peut être envisagée dans le chaos qui règne ».
La nuit de vendredi à samedi a été beaucoup plus calme que les deux
précédentes, bien que des tirs sporadiques à l'arme légère étaient
entendus samedi matin, alors que la radio nationale annonçait la
formation d'un gouvernement intérimaire de crise.
Le président en
exercice du Conseil de sécurité de l'ONU, le Néo-Zélandais Colin
Keating, a annoncé à New-York que les factions rwandaises avaient conclu
un cessez-le-feu, suite aux efforts « très actifs » de médiation du
représentant spécial de l'ONU, le Camerounais Jacques-Roger Booh Booh.
Un gouvernement intérimaire a été formé dans la nuit : le nouveau
président est l'ancien président de l'Assemblée nationale, Théodore
Sindikubwabo, membre du parti du président Habyarimana (le Mouvement
républicain national pour la démocratie et le développement, MRND) ; les
cinq ministres désignés sont issus des trois partis qui composaient le
précédent gouvernement un du Mouvement démocrate républicain (MDR),
trois du Parti social démocratique (PSD) et un du Parti libéral (PL) ;
le premier ministre est Jean Kambada, membre du MDR, le principal parti
d'opposition, dont était issu le premier ministre, Agathe
Uwilingiyimana, assassinée jeudi, ainsi que dix « casques bleus » belges
qui couvraient sa fuite [et non pas qui se rendaient à l'aéroport, comme
indiqué par erreur dans nos éditions du 9 avril ].
Les rebelles tutsis menacent
Notre correspondant, Jean Hélène, nous signale, depuis Butaré, dans le
sud du pays, que ce gouvernement est composé de personnalités opposées
aux accords de paix d'Arusha, qui prévoyaient l'intégration de Tutsis
dans le gouvernement et au Parlement. Il nous indique également que
probablement en réaction à la formation de ce gouvernement la radio du
Front patriotique rwandais (FPR, tutsi), Radio Muhabura, a diffusé
samedi matin une déclaration de guerre, par la voix du général Paul
Kagamé, le commandant des forces du FPR, depuis Mulundi, dans le nord du
pays, où est situé le quartier général de la rébellion tutsie. Selon un
diplomate occidental, une intervention du FPR (dont les forces comptent
quelque 20 000 hommes, contre 30 000 pour l'armée rwandaise) ferait « basculer à nouveau le pays dans la guerre civile ».
Pour sa part, l'armée rwandaise semble ne pas s'être engagée jusqu'à
présent dans les combats aux côtés de la garde présidentielle. Elle a
fait lire un communiqué sur les ondes de la radio nationale, appelant la
population à la soutenir dans sa lutte contre les « malfaiteurs ». Selon
elle, les exactions sont le fait de soldats en colère après la mort du
chef de l'Etat. « Les forces armées ne peuvent tolérer pareille conduite
criminelle et honteuse », a-t-elle prévenu.
Une cinquantaine de responsables rwandais, hauts fonctionnaires et
ministres, se sont réfugiés avec leurs familles à l'ambassade de France
à Kigali, et deux cents autres dans la résidence de l'ambassadeur des
Etats-Unis. Notre correspondant nous indique que 42 expatriés ont été
évacués vendredi par la route de la région de Butaré vers Bujumbura et
que les camions qui assuraient la distribution de vivres dans les camps
de réfugiés, dans le sud du pays, sont également partis vers le Burundi.
Plus aucune distribution de vivres n'est donc assurée auprès des 340 000
Burundais réfugiés dans ces camps.
Enfin, le ministère français de la défense n'avait pas confirmé, samedi
matin, la mort d'un sous-officier français et de sa femme, à Kigali,
annoncée par Radio France Internationale. « Nous pensons que cette mort
est probable mais nous n'en avons pas la certitude, tant que nous ne
sommes pas allés voir sur place », a-t-on indiqué au ministère. (AFP,
Reuter.)