Fiche du document numéro 13442

Num
13442
Date
Mardi 3 mai 1994
Amj
Auteur
Fichier
Taille
143602
Pages
3
Urlorg
Titre
Exclusif : un plan de purification ethnique au Burundi
Sous titre
Un document clandestin d'une formation raciste et terroriste, le Palipehutu, révèle un véritable plan de guerre inspiré par le terrorisme d'Etat qui se déchaîne au Rwanda. De notre envoyé spécial.
Cote
no 15463
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
QUE les massacres du Rwanda aient été minutieusement et longuement préparés, leur caractère massif et leur simultanéité suffisent à l'attester. Leurs cibles confirment aussi que l'explication « ethnique » est notoirement insuffisante: certes, les Tutsi ont été décimés, mais aussi les Hutu ou les Batwa qui avaient manifesté leur hostilité à la dictature.

Les premières tueries, celles de Kigali, furent précédées et accompagnées de dizaines et dizaines d'assassinats à domicile perpétrés par des commandos de la garde présidentielle et de la milice. Hommes politiques, journalistes, personnalités morales ou religieuses qui n'emboîtaient pas servilement le pas ont été la cible prioritaire des tueurs. Nombre de ceux qui auraient pu constituer l'encadrement national de demain ont été éliminés. Les massacres « ethniques » ont aussitôt suivi, créant délibérément les conditions de la guerre civile et « noyant » l'élimination des adversaires politiques dans la folie raciale. L'objectif du gang de Kigali était avant tout politique, si les moyens employés pour l'atteindre sont empruntés à ceux de tout régime ségrégatif.

Des contextes différents



Ce sinistre plan semble donner des idées à certains dans des pays voisins, en particulier le Burundi. Les situations du Rwanda et du Burundi connaissent des différences marquées, et il faut se garder des analogies hâtives. Le document que nous reproduisons ci-dessous ne doit donc pas être interprété comme une « preuve » que les deux pays basculent dans une tourmente identique, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Il doit en revanche retenir l'attention pour ce que, faute d'un autre qualificatif, j'appellerais son côté « technique »: c'est la technique du dernier coup d'Etat rwandais qui inspire le Palipehutu burundais pour son « plan de guerre ». Les contextes nationaux sont différents, mais les « méthodes » préconisées par le Palipehutu sont inspirées par les sanglants événements du Rwanda.

Le Parti de la libération hutu (Palipehutu) est un mouvement extrémiste et raciste, qui affiche ouvertement sa volonté de « purification ethnique » du Burundi. Il s'est constitué, voici déjà de nombreuses années, en liaison étroite avec le MLND rwandais. Les mauvaises langues assurent que cela lui a permis de bénéficier d'une partie de la manne financière déversée par le gouvernement français dans les poches du général-président rwandais Habyarimana.

Organisé militairement, le Palipehutu dispose de camps d'entraînement au terrorisme, notamment dans la forêt de Nyangwe, à proximité de la frontière entre le Burundi et le Rwanda. Ses dirigeants ne sont pas tous connus; on sait que son chef de guerre a pris le nom de Kosam. Egalement que cette formation terroriste recrute dans les milieux de l'immigration burundaise en Tanzanie, au Zaïre et au Rwanda. Lorsque le président Ndadaye fut assassiné le 23 octobre 1993, ce fut surtout la radio officielle rwandaise qui lança aux Burundais de véritables appels au meurtre contre les Tutsi, déclenchant une première série de massacres dans le pays. L'objectif que s'est fixé le Palipehutu tient en une phrase: rayer les Tutsi de la carte du Burundi pour faire de celui-ci un pays strictement hutu. Et c'est là que le terrorisme d'Etat rwandais donne des idées au terrorisme d'« opposition » burundais.

Un document top secret



Un document de trois feuillets que nous avons pu nous procurer a été adressé récemment aux responsables locaux du Palipehutu. Il a donc largement circulé, ce qui explique qu'au moins une fuite se soit produite. En voici les principaux extraits, respectant le « style » littéraire des auteurs. Tapé à la machine, il s'intitule ouvertement: « Plan de guerre Palipehutu ».
Quatre premiers paragraphes posent d'abord les principes de l'action psychologique de masse destinée à préparer les conditions de massacres, puis de la guerre raciale.

« 1 - Travailler sur la conscience hutu. Arriver à faire croire au Hutu que l'ennemi numéro un à abattre est le Tutsi. »

« 2 - Diviser les Tutsi: insister sur le régionalisme. Il faut que les Tutsi dits tiers monde (c'est-à-dire immigrés
NDLR) soient inculqués d'une haine viscérale contre les Tutsi de Bururi et Muramvya. »

« 3 - Diviser l'armée: il faut d'abord jouer sur la carte régionaliste (...), corrompre les officiers non originaires de Bururi. De préférence arriver à créer une solidarité militaire contre le Sud. »

« 4 - Enerver l'armée (...) pour l'amener à intervenir. C'est juste après les interventions que le Plan général sera mis en application.»

Intertitre écrit en capitales et souligné: « Plan général d'extermination des Tutsi ». Quatre sous-titres précisent les quatre « phases » à respecter.

« Première phase. Commencer d'abord par les communes, les provinces les moins peuplées de Tutsi. Abattre très vite tout ce qui s'appelle Tutsi et le peu de ceux qui restent seront acculés dans des camps de déplacés (...); tenter des actions de terrorisme dans la région sud. »

« Deuxième phase. Monopoliser tous les médias publics (...); diaboliser l'armée et insister surtout sur la question de son démantèlement. Certainement qu'elle va s'énerver et tentera d'autres actions suicidaires. L'intention suicidaire de l'armée justifiera la troisième phase qui consiste en une guérilla urbaine. »

« Troisième phase: guérilla urbaine. S'assurer bien avant que nos militants hutu sont bien armés (...); s'attaquer à tous les Tutsi vivant dans les quartiers périphériques: Kamenge, Kinama, Kanyosha (...); réserver un traitement particulier au quartier Cibitoke qui héberge beaucoup de Rwandais (...), il faut y aller doucement (dans ce quartier - NDLR) en opérant sélectivement la nuit. Cela fera peur à cette population et certainement que ces Tutsi et Rwandais vont regagner les ghettos tutsi. »

« Quatrième phase: phase finale. Après s'être assuré de la purification de nos quartiers (...), alors la quatrième phase pourra commencer. C'est une phase délicate qu'il faudra exécuter sans faille. »

« 1 - S'infiltrer par toutes les frontières (...);

2 - Opération ville morte dans tous les chefs-lieux de province, spécialement à Bujumbura. Cette opération consistera à ne plus approvisionner les Tutsi en produits de première nécessité. »
Dernier paragraphe de ce document: « Après deux jours de villes mortes, ce sera la dernière attaque. Nos militants de l'intérieur du pays attaqueront les centres de déplacés, ceux de la mairie de Bujumbura vont attaquer simultanément Ngagara, Musaga, Robero I et II, Kinindo, Hutanga sud et Kanyosha Kigwati. Veuillez (sans doute pour veiller - NDLR) SVP à ce qu'il n'y ait aucun Tutsi qui fuit. Dans tous les cas, ce sera facile parce qu'ils n'ont pas de zones de retrait. » Fin du document.

Ce plan à la fois atroce et dément ne doit pas être rejeté d'un haussement d'épaules comme une rêverie de paranoïaque. Le précédent rwandais est là: pendant au moins quatre mois, les tueurs de la milice ont recruté d'autres tueurs, les « formant » au su et au vu de tout le monde. On m'a rapporté des déclarations anciennes d'officiels locaux annonçant et préparant les massacres. Tout était prêt lorsque le feu vert (l'assassinat du général président) fut donné.

Encore une fois, les situations respectives des deux pays ne doivent pas être comparées de façon simpliste. Mais ce que montre le « plan de guerre Palipehutu », c'est que la mèche allumée par le petit clan qui environnait le général Habyarimana brûle aussi dans un pays voisin. L'utilisation de la haine raciale par les gouvernants rwandais pour asseoir leur pouvoir et tourner la page d'Arusha est devenue un point de repère et une référence sinistres dans cette partie du monde pour les adeptes de la purification ethnique.

JEAN CHATAIN
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024