Citation
MALGRE un calme relatif observé samedi, la situation semble avoir basculé dimanche après-midi à Kigali. Des affrontements à l'arme lourde ont en effet opposé les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR) et les troupes gouvernementales à la périphérie de la capitale, près de l'hôtel Méridien, où s'étaient regroupés, depuis quatre jours, les ressortissants étrangers. Le cessez-le-feu signé entre les deux belligérants, le matin même, n'aura donc été - comme vendredi - qu'un feu de paille... Et l'attaque de Kigali risque d'être l'étincelle qui va embraser tout le pays.
Alors qu'on se battait dans les faubourgs, les rues de la capitale ont été le théâtre de nouveaux massacres contre l'ethnie tutsi. « La chasse à l'homme continue et de très nombreux corps jonchent les rues. Des camionnettes ramassent les cadavres qui sont ensuite enterrés dans des fosses communes. C'est la population hutu qui se livre à ces massacres, souvent à l'arme blanche, les soldats leur prêtant parfois main-forte », a indiqué la correspondante de l'AFP, décrivant « des scènes d'horreur ». L'hôpital et la morgue de Kigali seraient submergés de cadavres, obligeant à disposer les corps en tas devant le bâtiment. Un membre de la Croix-Rouge déclarait, lui, que l'on « tuait les gens sans raison. Tous les habitants sont très armés. Ils ont beaucoup de munitions et de grenades ».
C'est pour mettre fin à « ces actes barbares » que le Front patriotique rwandais (FPR) avait annoncé samedi son intention de « rétablir l'ordre à Kigali ». Positionnés dans le nord du pays, quelque 4.000 hommes avaient immédiatement pris la route de la capitale. Mais cette offensive est aussi une réponse à la nomination, vendredi, d'un nouveau chef de l'Etat. Issu des rangs hutus, Théodore Sindikubwabo, ancien chef du Parlement et proche du président défunt, a en effet été désigné par un « comité de crise » composé en partie de représentants de l'armée. « Inacceptable » pour le dirigeant du FPR, Paul Kagame, pour qui ce dernier « figure parmi ceux qui sont liés aux meurtres de civils à Kigali ».
Un climat de guerre civile
C'est dans ce climat de guerre civile que l'opération « Amaryllis » - nom de code donné à l'évacuation des ressortissants étrangers - se poursuit. Samedi soir, le premier Transall, comprenant 43 Français, avait pu décoller pour Bangui. Un autre appareil a gagné dimanche le Burundi avec 64 personnes à son bord. A 16 heures, hier, c'est près de 250 de nos compatriotes qui avaient quitté le Rwanda. Le ministre de la Coopération, Michel Roussin, a estimé dimanche que l'évacuation des 600 Français pourrait s'achever dans la soirée, tandis que le premier groupe, parti samedi, était attendu vers 23 heures à l'aéroport Charles-de-Gaulle à Paris. Interrogé sur l'évacuation de certains dirigeants rwandais par la France, Michel Roussin a simplement déclaré que « quelques Rwandais ont été embarqués à l'occasion de ces départs. Il y en a quelques autres actuellement protégés au sein de l'ambassade de France. Leur problème sera traité dans la grande tradition humanitaire de la France ». Dans de pareils moments, il est vrai, on n'oublie jamais ses amis...
Kigali en proie aux pilleurs
Au-delà des simples ressortissants français, l'opération « Amaryllis » concerne quelque 2.400 autres étrangers présents dans le pays (Belges, Allemands, Nord-Américains, Italiens, Britanniques, Canadiens, Suisses...). Hier, en fin d'après-midi, Radio-France internationale annonçait qu'à bord de plus de 200 véhicules, 1.000 d'entre eux allaient quitter Kigali, désormais en proie aux pilleurs. Dans un « but strictement humanitaire », 400 militaires français ont été dépêchés sur place et tiennent notamment l'aéroport international. Un premier groupe de paras belges - sur les 800 annoncés - commençait hier, en fin d'après-midi, à débarquer à Kigali, via Nairobi. Venus de Somalie, 330 marines US sont arrivés, eux, samedi au Burundi. Ajoutée aux 2.500 hommes de la force des Nations unies, une telle concentration de troupes occidentales - qui plus est, d'élite - n'est pas sans inquiéter le Front patriotique rwandais.
Soulignant que la communauté internationale portait une lourde responsabilité dans le bain de sang actuel, ce mouvement a d'ores et déjà prévenu qu'il ne supporterait aucune intervention visant à instaurer un régime tel que le Rwanda en a déjà connu. Un avertissement on ne peut plus clair.