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« C'est pas facile d'être fils de président de la République », dit très sérieusement Jeanny Lorgeoux, l'un des meilleurs amis de Jean-Christophe Mitterrand. Ancien député, maire de Romorantin, qui a arpenté l'Afrique pendant dix ans aux côtés de « Papamadit », Lorgeoux, comme tous les proches de Jean-Christophe Mitterrand, est « tombé des nues » en apprenant la nouvelle de son incarcération, jeudi soir, à la prison de la Santé.
« Intermédiaire ». « Dans la tradition africaine, Christophe étant le fils du Président, toutes les demandes affluaient vers lui », explique Lorgeoux. Placé de 1986 à 1992 à la tête de la cellule africaine de l'Elysée, comme conseiller de Mitterrand, Jean-Christophe est resté dans son rôle de fils après avoir quitté l'Elysée et même après la mort de son père. Un peu marionnette. Et son incarcération résonne comme un bilan. « Il n'a jamais été un chef d'orchestre, ou un Deus ex machina comme Jacques Foccart, remarque Antoine Glaser, directeur du Courrier du continent. Il a plus souvent été manipulé que manipulateur. Beaucoup de gens l'ont utilisé. Il représentait une ouverture pour les réseaux de la droite, lorsqu'ils étaient dans l'opposition »
Un « intermédiaire » plus qu'un chef de réseau, c'est la marque qu'aura laissée Jean-Christophe de son passage à la cellule de l'Elysée. « Il a su maintenir un bon niveau de relations, remarque un proche. Il était à l'aise. Il occupait le terrain. Mon père par ci, mon père par là. Mais la cellule n'imprimait aucune ligne politique. C'était vraiment ``Papamadit''. C'était le vieux qui dirigeait tout. Jean-Christophe avait une certaine horreur de la politique. En cela il était l'antinomie de son frère », Gilbert, maire de Libourne et député PS de Gironde. Ancien journaliste à l'AFP dans les années 70 en Mauritanie et au Togo, il prend la tête de la cellule à la faveur des ennuis de Guy Penne, éclaboussé par l'affaire Carrefour du développement. « Les combinazione l'intéressaient, mais il restait très café du commerce », remarque un ancien de l'Elysée. « Il a été un grand télégraphiste des chefs d'Etat africains vis-à- vis de son père, incontestablement, dit Lorgeoux. La politique africaine était le domaine réservé du Président. Le ministre de la Coopération exécutait ».
Mais Papamadit s'occupait aussi des amis. Les présentait aux Présidents pour qu'ils récupèrent des marchés. Il y a l'affaire, non élucidée, d'une vente d'avions Mistral à l'Afrique du Sud. Sa femme apparaît dans des opérations de communication. Jean-Christophe affiche aussi un côté fêtard, qui n'est pas du goût de tout le monde. C'est l'avis de François de Grossouvre, ancien conseiller de son père, qui va ébruiter ses frasques, et quelques opérations financières africaines. « Grossouvre a contribué à ruiner son image », dit un proche. « On était décontractés, pas protocole-protocole, c'est vrai, réagit Lorgeoux. Si on voulait boire un coup dans une boîte, eh bien, on y allait. Notre style n'a sûrement pas plu aux diplomates. »
Lorsqu'il quitte la cellule, il espère un poste d'ambassadeur à Abidjan. Refus de la Côte-d'Ivoire. « Le président Houphouët-Boigny a jugé que Jean-Christophe était trop impliqué dans ses affaires », raconte Antoine Glaser. Il est récupéré par la Générale des eaux et Elf-Aquitaine. « Le Floch-Prigent [ancien PDG d'Elf] le fayotait évidemment pour son père. Il a voulu l'utiliser », remarque un ami. A cette époque, il croise Alfred Sirven, l'homme des caisses noires d'Elf-Aquitaine. Le courant ne passe pas. « Je n'ai jamais vu un menteur pareil », tranche-t-il. Jean-Christophe trempe pourtant les doigts dans le pétrole à l'occasion.
Queue de poisson. Les réseaux socialistes lui restent utiles. En Angola, il parvient à ouvrir la voie des marchés de fournitures d'armes aux hommes de Pasqua, pas spécialement marxistes-léninistes. Ces ventes d'armes à Dos Santos valent à Jean-Christophe - c'est le soupçon des juges - les commissions reçues de Falcone. « Falcone, c'est pas le Père Noël. Il n'a pas rétribué Mitterrand par philanthropie », remarque un homme d'affaires. « Papamadit » finit donc sa carrière de « fils » entretenu par le réseau Pasqua. Itinéraire en queue de poisson. « Il n'a jamais vraiment été reconnu par son père. A la mort de François Mitterrand, il n'a été appelé qu'à la dernière minute. Malgré les apparences et son surnom, il était un peu le rejeté de la famille. L'enfant dont on s'était le moins occupé, à cause de la militance, remarque Antoine Glaser. Le clan Mitterrand l'a d'autant plus protégé. Il était devenu intouchable ».