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Les présidents rwandais Paul Kagame, français Emmanuel Macron et de la République démocratique du Congo Félix Tshisekedi aux Nations unies, à New York, en septembre 2022 à New York (de gauche à droite). © Ludovic Marin/AFP
La nuit du 3 au 4 mars, après une brève escale à Brazzaville, Emmanuel Macron franchira le fleuve Congo pour rencontrer son homologue congolais, Félix Tshisekedi, à Kinshasa. Cette étape, la dernière de sa tournée en Afrique centrale, sera sans doute l’une des plus sensibles sur le plan diplomatique.
Le président français débarque en effet à Kinshasa dans un contexte sous-régional explosif. Voilà plus d’un an que la RDC et le Rwanda sont en conflit. Kinshasa accuse Kigali de soutenir le M23, qui, depuis mars 2022 a conquis de nombreuses localités au Nord-Kivu. Après une ébauche de retrait entre la fin du mois de décembre et le début du mois de janvier, les combats entre l’armée congolaise et les rebelles ont redoublé d’intensité ces dernières semaines dans le territoire de Masisi, où le M23 a progressé en prenant encore récemment le contrôle de nouvelles localités.
L’impasse diplomatique semble totale : le cessez-le-feu décidé à Bujumbura le 4 février, lors du dernier sommet de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), est resté une promesse vaine. Le processus de retrait, qui après un troisième report devait reprendre le 28 février, semble lui aussi promis à un énième glissement.
« Passer un message clair et sans ambiguïté »
Emmanuel Macron n’aura d’autres choix que de s’exprimer sur le sujet à Kinshasa. Mais le positionnement du président français sur ce dossier ne sera pas évident. « Nous avons conseillé à l’Elysée de passer un message clair et sans ambiguïté pour montrer aux Congolais que la France condamne l’agression de la RDC par le Rwanda », explique un proche collaborateur de Félix Tshisekedi.
Ces espoirs ont visiblement été refroidis par le discours sur la « nouvelle » politique africaine de la France d’Emmanuel Macron, le 27 février. Interrogé après son allocution sur le conflit en cours, le président français a rappelé son attachement à l’intégrité territoriale de la RDC mais n’a pas abordé la question du soutien aux rebelles. Insuffisant pour Kinshasa, comme l’a souligné le lendemain, dans une interview à France 24, le ministre des Affaires étrangères congolais Christophe Lutundula. D’ailleurs, le 2 mars, une centaine de manifestants se sont réunis devant l’ambassade de France en RDC pour protester contre la venue du président français.
Kinshasa espérait qu’Emmanuel Macron s’alignerait sur le discours de sa secrétaire d’État chargée du Développement, de la Francophonie et des Partenariats internationaux, Chrysoula Zacharopoulou. En visite à Kinshasa le 21 décembre dernier, cette dernière a dénoncé, au nom de la France, « le soutien du Rwanda au M23 ». « Le Rwanda, car il faut le nommer, doit cesser son soutien au M23. Il faut en finir avec la répétition de l’histoire dans cette région », avait-elle lancé. Il s’agissait alors d’une première pour Paris depuis le début du conflit.
Ces condamnations, saluées à l’époque par Kinshasa, sont aujourd’hui accompagnées d’autres attentes du côté congolais. Mais la déclaration du mois de décembre est aussi à remettre dans son contexte. Au même moment, plusieurs autres pays occidentaux, l’Allemagne, l’Espagne et la Belgique notamment, avaient émis ou réitéré les mêmes critiques. Une levée de boucliers commune qui s’expliquait notamment par la publication imminente d’un rapport du groupe d’experts de l’ONU sur le Congo faisant état de « preuves substantielles » du soutien rwandais au rebelles. Ces conclusions, ainsi que les éléments collectées par les experts circulaient depuis des semaines, voire des mois, au sein de certaines chancelleries. Mais la plupart des pays occidentaux avaient privilégié une approche prudente.
Costume de médiateur
Paris se voulait à l’époque d’autant plus mesuré du fait que le président français avait tenté, plusieurs mois avant, de se positionner dans un costume de médiateur. Comme révélé par Jeune Afrique, la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) a réuni des représentants des services de renseignements rwandais, congolais et ougandais en septembre dernier afin de tenter d’impulser des discussions. Cette initiative a débouché quelques jours plus tard à New York sur une rencontre tripartite entre Paul Kagame, Emmanuel Macron et Félix Tshisekedi en marge de l’Assemblée générale de l’ONU. Mais les appels au retrait des rebelles, qui n’occupaient alors que Bunagana, ont été vains, comme les autres demandes de retrait formulées depuis.
Le président français a néanmoins continué d’assurer un suivi des médiations régionales. Emmanuel Macron, qui a entrepris de tisser des liens étroits avec William Ruto, président de la République du Kenya, a affiché à plusieurs reprises son soutien au processus de Nairobi, que pilote l’EAC. Selon nos informations, le président français a même entrepris de plaider en coulisses pour un accompagnement financier au déploiement kényan, dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix. Cette force, de plus en plus critiquée à Kinshasa, qui lui reproche de ne pas adopter une stratégie offensive face au M23, se trouve aujourd’hui sous pression.
Allié et porte-plume
Avec ce déplacement, Emmanuel Macron entend donc resserrer ses liens diplomatiques et économiques avec la RDC. Trois conventions devraient être signées avec l’Agence française de développement (AFD) et d’autres accords, dans le domaine de la culture notamment, sont attendus. La France a déjà participé, depuis 2019, à la création de l’École de guerre de Kinshasa, inaugurée en 2021.
Mais ces cinq dernières années, le président français s’est surtout affiché comme un allié clé de Paul Kagame. Le partenariat noué entre Paris et Kigali est autant diplomatique qu’économique et sécuritaire, avec des dossiers d’intérêt commun, comme celui du Cabo Delgado, au Mozambique, où l’armée rwandaise intervient depuis le mois de juin 2021. TotalEnergies tente d’y relancer son méga-projet gazier – à l’arrêt depuis plus de deux ans – et espère, à la faveur de l’évolution de la situation sécuritaire, le faire en 2023. Fin novembre, l’UE a voté, sur proposition de la France, une enveloppe de 20 millions d’euros dans le cadre de la Facilité européenne de paix, pour accompagner le déploiement rwandais sur place. En discussion depuis 2021, bien avant l’offensive du M23 et la détérioration des relations entre la RDC et le Rwanda, cette enveloppe a néanmoins été critiquée à Kinshasa.
En parallèle, la France est aussi porte-plume des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU sur la RDC. L’ambassade de France à Kinshasa a, à ce titre, été régulièrement sollicitée ces derniers mois par l’entourage de Félix Tshisekedi pour obtenir une attitude plus ferme de Paris vis-à-vis du Rwanda. L’autre dossier sur lequel Paris a été sollicité était le régime onusien de notification sur les livraisons d’armes, auquel Kinshasa était soumis depuis la levée de l’embargo, en 2008. Dans la pratique, seuls les fournisseurs étaient tenus de signaler d’éventuelles livraisons, seulement pour un type restreint d’équipements. En difficulté face au M23, Kinshasa avait fait de cette question l’un de ces arguments pour dénoncer « un embargo qui ne dit pas son nom » et critiquer l’attitude de la communauté internationale, après le renouvellement de ce régime en juin dernier.
À l’époque, la France avait mis sur la table la suppression du système de notifications, mais avait finalement dû revoir sa copie face à l’opposition des États-Unis et du Royaume-Uni. Le dossier a finalement été relancé par Paris en décembre et le Conseil de sécurité a finalement mis un terme à ce dispositif.
« En même temps » diplomatique
Les diplomates d’Emmanuel Macron assument aujourd’hui la volonté de « parler à tout le monde dans ce conflit ». « Le problème aujourd’hui c’est que les solutions préconisées par les médiateurs ne sont pas appliquées », souligne une source élyséenne qui ajoute que le sujet a été abordé lors de l’entretien entre le président Macron et son homologue Ali Bongo Ondimba. Il sera aussi mis sur la table à Luanda et à Brazzaville.
Mais ce « en même temps » diplomatique semble actuellement difficile à mettre à œuvre. Face à l’impasse diplomatique dans laquelle se trouve la sous-région, la RDC est en quête de soutiens francs dans la guerre qui l’oppose au Rwanda. Kigali, de son côté, n’a pas manqué de critiquer les condamnations survenues en décembre, dont celle de la France. « Nous attendons d’un pays avec lequel nous entretenons de bonnes relations une attitude plus constructive », glisse une source officielle rwandaise.
« Lorsque, à l’invitation du président Macron, j’ai accepté de rencontrer Félix Tshisekedi en septembre dernier à New York, c’était parce que je pensais qu’Emmanuel Macron était animé par la volonté sincère de contribuer au règlement du problème, expliquait Paul Kagame dans une interview à Jeune Afrique en janvier dernier. J’espère donc que la France saura aborder ce dossier d’une meilleure manière et de la façon appropriée ».