Citation
« Le mensonge endort, telle une drogue. Le demi-mensonge aussi, cette complaisance dans le non-savoir, qui est elle-même une complicité. »
François-Xavier Verschave
Il y a vingt ans, le Rwanda fut le théâtre sanglant du dernier génocide du xxe siècle. Perpétré par le gouvernement intérimaire rwandais (GIR) aux mains des extrémistes hutu, sur les Tutsi et les Hutu modérés qui s’opposaient au massacre, il a débuté dans la nuit suivant l’attentat du 6 avril 1994, qui a coûté la vie au président Juvénal Habyarimana. Les faits, répondant aux critères de définition les plus stricts du terme « génocide »1, ont abouti à l’extermination de 800 000 à 1 million d’individus, hommes, femmes, enfants, selon des modes opératoires alliant une organisation centralisée du meurtre de masse et une autonomie des acteurs, visible jusque dans la cruauté des exécutions2. Le meurtre de masse reste en soi un défi à la pensée, mais la commémoration du génocide tutsi en 2014 a également relancé en France une polémique sans cesse refoulée et lancinante.
3 Édition no 2778, en kiosque du 6 au 13 avril 2014. Les références à cette revue sont lisibles sur l (...)
4 En effet, une passe d’armes assez semblable avait eu lieu dix ans plus tôt dans un même contexte de (...)
5 Sur la définition strictement juridique de ces événements, l’ouvrage de référence est Géraud de la (...)
6 Ibid., p. 140-143.
7 Laure Coret et François-Xavier Verschave, L’horreur qui nous prend au visage. L’État français et le (...)
2En effet, dans un entretien publié dans la revue Jeune Afrique3, quelques jours avant les cérémonies, le président rwandais Paul Kagame réitérait des accusations régulièrement formulées à l’encontre de la France4 : les autorités françaises de l’époque se seraient rendues complices et auraient même participé au génocide. Accusation terrible. Si terrible qu’elle ne peut que sidérer ceux qui ne se sont pas penchés sérieusement sur le dossier. Il faut rappeler ici la distinction entre ces deux notions de « complicité » et de « participation ». Au regard du droit français, « est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui, sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. Est également complice la personne qui, par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir, aura provoqué une infraction ou donné des instructions pour la commettre » (articles 121-6 et 121-7 du Code pénal français). À cet égard, le soutien et l’assistance que, selon Paul Kagame, les autorités françaises auraient apportés aux autorités rwandaises, avant et pendant l’accomplissement de leur dérive génocidaire, relèvent bien de la complicité, au sens juridique du terme5. Il faut ensuite faire un sort à la notion d’intention : « aux yeux des tribunaux internationaux […] la complicité de génocide peut être caractérisée alors que le complice n’avait pas de volonté proprement “génocidaire” »6. Cela s’appliquerait tout aussi pleinement au cas de la France au Rwanda s’il était avéré que les plus hautes instances de l’État, même sans intention génocidaire, avaient sciemment aidé des autorités politiques alors qu’elles commettaient un génocide. La notion de participation, plus intuitivement compréhensible, va encore plus loin et implique une action directe dans les massacres. Aux yeux de Paul Kagame et de nombre d’ONG, cette dernière accusation repose sur le témoignage de rescapés concernant certains agissements de militaires français avant et pendant le génocide7.
8 Alain Juppé, « L’honneur de la France », note sur son blog, , en date du 5 avril 2014.
9 Ce travail est consultable en ligne sur le site de l’Assemblée nationale.
10 Il faut constamment distinguer les deux effets de la mission d’information parlementaire. Si le cor (...)
11 Rapport de la mission d’information parlementaire sur les opérations françaises au Rwanda, présidée (...)
12 Ibid, p. 318.
3Prévenu par l’AFP de la teneur de l’entretien accordé par Paul Kagame à Jeune Afrique, l’Élysée décida le 5 avril 2014 de ne pas participer aux cérémonies commémoratives où Christiane Taubira, garde des Sceaux, devait représenter la France. Le 6 avril, selon une chorégraphie bien connue, les médias hexagonaux relayaient les réactions officielles (diplomatiques), ou personnelles (outrées) des autorités françaises aux responsabilités à l’époque ou détentrices actuelles de ces mêmes responsabilités. Ainsi, dès le 5 avril, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères en 1994, répondait sur son blog à ces accusations sur le ton de l’homme d’honneur bafoué, en protestant de son innocence et de celle du gouvernement auquel il appartenait8. Cet emballement a sans doute incité le président rwandais à modifier le discours qu’il devait prononcer le 7 avril au stade Amahoro de Kigali, et à répondre indirectement aux dénégations des autorités françaises : « Aucun pays, même s’il arrivait à s’en convaincre lui-même, n’est assez puissant pour changer les faits… Les faits sont têtus » (cette dernière phrase a été prononcée en français, comme une adresse à la patrie des droits de l’homme, alors que le reste du discours était en anglais). Cependant, le Premier ministre Manuel Valls, lors de son discours de politique générale, prononcé le 8 avril, soit le lendemain de celui de Paul Kagame, récusa ces attaques et qualifia « d’injustes et indignes » les accusations portées par le président rwandais, comme mu par un réflexe patriotique mal à propos et peut-être par la volonté de répondre à l’exhortation d’Alain Juppé de défendre l’honneur de la France. Il reprit ainsi à son compte la ligne politique de tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 1994, officialisée et légitimée par la mission d’information parlementaire sur le Rwanda en 19989 : la France a commis des erreurs mais n’a rien à se reprocher. Elle serait au contraire le seul pays à avoir essayé d’intervenir sur le terrain avec l’opération Turquoise, toujours présentée officiellement comme une opération essentiellement humanitaire10 : « Face à cette montée et à cette organisation de la violence et des massacres, la France n’a en aucune manière incité, encouragé, aidé ou soutenu ceux qui ont orchestré le génocide et l’ont déclenché dans les jours qui ont suivi l’attentat »11 ; « L’opération Turquoise avait sans conteste pour but principal et premier de sauver des vies humaines en protégeant indifféremment les populations menacées, qu’elles soient hutu ou tutsi »12.
13 Nicolas Sarkozy tient une place à part dans cette histoire : acteur d’une « Françafrique » décomple (...)
14 Il faut lire le livre de Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable, La France au Rwanda, Paris, les Ar (...)
4Cette ligne, indéfendable comme nous allons le voir, a fait l’objet d’un consensus constant, voire agressif à l’encontre du Rwanda postgénocidaire. Seule la parenthèse ouverte par le tandem Sarkozy-Kouchner13 a permis une courte détente dans les relations franco-rwandaises, le discours officiel changeant, il faut le souligner, davantage sur la forme que sur le fond. Les accusations portées par Paul Kagame, quoi que l’on pense de cet homme politique – et nous laisserons cette question hors du cadre étroit de cette étude –, ne peuvent laisser indifférent le citoyen soucieux de regarder en face son histoire. Elles ravivent chez ceux qui ont fait le voyage sans retour vers la connaissance de ces événements les effets d’un syndrome douloureux14. Elles rouvrent chez les acteurs de cette période des plaies mal refermées et réveillent peut-être chez certains responsables une mauvaise conscience, jamais exprimée, du moins chez ceux que le cynisme n’a pas mithridatisé contre toute remise en cause.
5Les faits sont têtus pourtant : les autorités françaises ont, entre 1990 et 1994, soutenu un régime qui a préparé et réalisé un génocide. Le seul mot qui convienne pour nommer cela est « complicité ». Cette vérité s’est dévoilée au fil des ans dans une bibliographie abondante, des travaux pionniers parus dès 1994 aux derniers publiés à l’occasion du 20e anniversaire du génocide. Si les faits sont têtus, le déni est aussi bien ancré : il faudra dès lors s’interroger sur les mécanismes et les enjeux d’un tel refoulement du réel et plus largement sur les conditions d’émergence, dans un pays démocratique, d’une réalité qui dérange.
15 Jean-Claude Lattès, 1994.
16 Nécrologie par Yann Plougastel dans Le Monde, 31 juillet 2010.
6Les interrogations sur le rôle de la France durant le génocide ont surgi, alors même que les massacres se déchaînaient, sous la plume notamment de journalistes qui constataient, sur le terrain comme à Paris, la complaisance des militaires ou des officiels de ce pays avec les organisateurs du carnage. Nous en reparlerons. Des livres sont aussi très vite venus relayer l’éphémère indignation de certains médias. Le premier, sans doute, à se lancer dans une dénonciation virulente de ces accointances coupables (et notamment du président François Mitterrand et de son fils Jean-Christophe, responsable de la cellule africaine de l’Élysée de 1986 à 1992) fut Pascal Krop, dans un pamphlet au titre pour le moins provocateur : Génocide franco-africain : faut-il juger les Mitterrand ?15. Grand reporter à L’Événement du jeudi et spécialiste des services secrets, Krop s’était déjà fait remarquer pour avoir été, dès 1985, l’auteur des révélations sur l’implication du contre-espionnage français dans l’attentat contre le Rainbow Warrior en Nouvelle-Zélande. Considéré comme « un des meilleurs enquêteurs de sa génération »16, Krop n’a toutefois pas donné suite à cette très irrévérencieuse salve inaugurale.
17 Colette Braeckman, Rwanda. Histoire d’un génocide, Paris, Fayard, 1994.
18 Gérard Prunier, The Rwanda Crisis, 1959-1994. History of a Genocide, London, Hurst & Co, 1995, trad (...)
19 Colette Braeckman, Rwanda…, op. cit., p. 45-52 ; Gérard Prunier, Rwanda : le génocide…, op. cit, p. (...)
20 Ancien chef d’état-major de Kayibanda, arrivé au pouvoir grâce à un coup d’État en 1973 (Jean-Pierr (...)
21 Colette Braeckman, Rwanda…, op. cit., p. 254-258 ; Gérard Prunier, Rwanda : le génocide…, op. cit., (...)
7Moins d’un an après les faits, des ouvrages aux intentions moins clairement polémiques ont aussi été édités, qui intègrent ces connivences honteuses dans le temps long du processus conduisant à la tragédie. C’est notamment le cas de deux livres dont l’ambition est, avant tout, de comprendre comment ce déferlement de haine et de violence a pu se produire, non pas comme la simple expression d’une fatalité africaine de « l’affrontement tribal », supposé atavique et sans cesse recommencé, mais bien en tant que produit d’une histoire dans laquelle la responsabilité du monde occidental est pleinement engagée. La journaliste belge Colette Braeckman17, comme l’historien français Gérard Prunier18, nous rappellent en effet que les événements de 1994 puisent aux sources de l’ethnicisation et de l’instrumentalisation politique des catégories Hutu et Tutsi par les colonisateurs belges qui, en orchestrant la « révolution sociale » de 1959, transformèrent en bouc émissaire la minorité tutsi sur laquelle ils s’appuyaient jusqu’alors. Parvenu au pouvoir avec la bénédiction de Bruxelles, le président du Rwanda désormais indépendant, Grégoire Kayibanda (1962-1973), reprenait alors à son compte cette construction raciale pour la mettre au service d’une politique de purges et de discriminations anti tutsi, périodiquement meurtrière et constamment protégée par l’ombre tutélaire de l’ancienne métropole19. Mais le fait le plus important pour notre sujet est indéniablement le transfert d’influence qui s’opère en 1975 entre la Belgique et la France à la faveur d’un accord d’assistance militaire signé par Valéry Giscard d’Estaing et le successeur de Kayibanda, le général Juvénal Habyarimana20. À partir de ce moment-là, c’est donc la Ve République et son armée qui se trouvent en position de soutien privilégié du petit État d’Afrique centrale, en dépit du caractère dictatorial et de la propagande ouvertement raciste de ce dernier. Elles ne se privent d’ailleurs pas d’honorer leurs engagements en intervenant directement entre 1990 et 1993, dans le cadre de l’opération Noroît, aux côtés des Forces armées rwandaises (FAR), pour stopper l’avancée de la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR)21, organisation basée en Ouganda, militant pour le droit au retour des exilés tutsi et pour une réforme démocratique du Rwanda dépassant le clivage Hutu-Tutsi.
22 Colette Braeckman, Rwanda…, op. cit., p. 259-260.
23 Gérard Prunier, Rwanda : le génocide…, op. cit., p. 214 : « La Direction générale des services exté (...)
24 Ibid., p. 134-135.
8Ces deux ouvrages ont donc eu le mérite de proposer rapidement au grand public des clés de lecture indispensables pour la compréhension des événements, attirant notamment l’attention sur la filiation qui relie les implications françaises des années 1990, à travers deux décennies d’engagement aux côtés du régime d’Habyarimana, à l’héritage idéologique de la colonisation belge. Leur contribution ne s’arrête toutefois pas au rappel de ces précédents. Dans un chapitre qu’elle consacre aux responsabilités occidentales, Colette Braeckman révèle notamment le rôle du DAMI (Détachement d’assistance militaire et d’instruction) dans la formation de la garde présidentielle rwandaise entre 1991 et 1992, un corps d’élite qui sera des plus déterminés dans l’action génocidaire. Elle fait aussi état de la prise en main par la France de la guerre que mène l’armée rwandaise contre la rébellion, à partir de la nomination du chef du DAMI, le lieutenant-colonel Gilles Chollet, comme conseiller du président Habyarimana et du commandement des FAR22. De son côté, Gérard Prunier, qui soutient que le génocide était dans l’air dès les derniers mois de 1992, montre comment les Français ont cherché, à cette époque, à masquer les massacres commis par les troupes gouvernementales en les attribuant aux rebelles23. Dans les années qui précèdent le génocide, à un moment où sa menace est manifestement sensible, il existe donc un contexte d’alliance, effective sur le théâtre des opérations militaires, entre l’armée française et les FAR, contre un ennemi commun, le FPR, guidé depuis l’Ouganda anglophone et derrière lequel les stratèges de l’Élysée voient la main des États-Unis24.
25 Colette Braeckman, Rwanda…, op. cit., p. 188-199. La journaliste a révélé l’information dans un art (...)
26 Colette Braeckman, Rwanda…, op. cit, p. 295-303.
27 Gérard Prunier, Rwanda : le génocide…, op. cit. p. 339.
28 Interview de François Mitterrand, France 2 TV, 14 juillet 2014. « Selon des estimations, leurs 2 50 (...)
29 Daniel Vernet, Le Monde, 11 décembre 1997.
30 Claudine Vidal qualifie l’ouvrage de Braeckman de « pseudo-histoire » et l’accuse de parti pris eth (...)
9Il y a du coup une certaine logique à penser que cette situation ne s’est peut-être pas brutalement arrêtée avec la destruction du Falcon de Juvénal Habyarimana et le début du génocide. Colette Braeckman va même jusqu’à laisser entendre que l’avion présidentiel aurait été abattu par deux Français travaillant pour le compte de radicaux hutu jugeant trop molle l’attitude de leur chef d’État à l’égard du FPR25. Un pas que n’ose franchir Prunier. Mais les deux auteurs sont d’accord pour émettre de sérieux doutes quant aux véritables motivations de l’opération Turquoise, conduite par la France à partir de juin 1994, sous le mandat des Nations unies et dans un but officiellement humanitaire. Colette Braeckman accuse l’intervention d’avoir surtout permis à Paris de remettre en selle le despote zaïrois Mobutu, tout en offrant la possibilité aux génocidaires de trouver refuge chez lui26. Quant à Gérard Prunier, il va jusqu’à envisager que l’opération Turquoise ait pu n’être qu’une « gigantesque mascarade »27 destinée à retarder, voire à empêcher la défaite du gouvernement intérimaire. Ces premières brèches ouvertes dans la version officielle française, glorifiant l’opération Turquoise et ses « dizaines de milliers de vies sauvées »28 pour mieux faire oublier les compromissions antérieures, n’eurent en France qu’un écho limité. Il est vrai que le texte de Prunier fut d’abord publié à Londres et en anglais, le chercheur n’étant pas parvenu à trouver en France un éditeur intéressé29 ! En dépit de leur parfaite légitimité à traiter ce sujet (Colette Braeckman comme journaliste spécialisée sur l’Afrique centrale à la rédaction du Soir, Gérard Prunier comme historien reconnu de l’Afrique des Grands Lacs et membre de la cellule de crise qui prépara l’opération Turquoise), leur travail a été dénigré, parfois bien sévèrement. Par exemple, la sociologue Claudine Vidal, chercheuse au CNRS, a jugé ces publications « prématurées », voire partisanes et approximatives. Au nom de la défense revendiquée de la « méthode » historique, de telles appréciations contribuaient surtout à disqualifier des prises de positions pourtant inédites et courageuses30.
31 L’association « Survie » tire son origine d’une campagne homonyme contre « l’extermination par la f (...)
32 François-Xavier Verschave, Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda, La Découve (...)
33 Le mot a été forgé par référence à l’expression « France-Afrique », utilisée en 1955 par Félix Houp (...)
10À la même époque, fort heureusement, François-Xavier Verschave, économiste de formation mais plus encore militant associatif audacieux, ignorait toutes ces subtiles préventions académiques. Il n’en fut manifestement que plus à son aise pour s’engager dans un combat de longue haleine visant à révéler à l’opinion publique française le jeu trouble de leurs responsables politiques au Rwanda. Menée au sein de l’association « Survie », qu’il dirigea à la suite de Jean Carbonare31, son action de sensibilisation passa également par la publication d’études qui, contrairement aux livres de Braeckman ou de Prunier, concentraient leur objet sur l’attitude de la France avant et pendant les massacres de 1994. Il ne s’agissait donc pas cette fois de reconstituer la généalogie du crime de masse et incidemment de pointer les errements ou les insuffisances de tel ou tel acteur de la « communauté internationale », mais bien de poser la question de la complicité de la France et de démonter l’engrenage qui l’a conduite à soutenir un régime « en pleine dérive de type nazi »32. Au-delà, Verschave apporte un éclairage supplémentaire à cet épisode en le situant dans la lignée d’un système de domination, forgé par Jacques Foccart dans le but de maintenir les pays nouvellement décolonisés dans la dépendance, et qu’il a nommé la « Françafrique »33. Avec le Rwanda et ses 800 000 morts, l’entreprise criminelle du néocolonialisme à la française atteindrait un paroxysme dans l’horreur, comme dans le déshonneur. Et c’est bien sûr cette dérive ultime du système dans l’impensable qui explique, pour Verschave, l’ampleur de l’occultation au plus haut niveau de l’État.
34 Formule de Jacques Julliard (Le Nouvel Observateur, 5 mai 1995), que Verschave reprend en sous-titr (...)
35 François-Xavier Verschave, De la Françafrique à la Mafiafrique, Bruxelles, Tribord, 2004, p. 16.
36 Laure Coret, François-Xavier Verschave (dir.), L’horreur qui nous prend au visage…, op. cit., p. 10
37 Ibid., p. 531. Le chercheur Gabriel Périès, auteur d’une thèse de doctorat sur « la guerre révoluti (...)
38 Par exemple : Mehdi Ba, Rwanda. Un génocide français, L’Esprit frappeur, 1997 ; Michel Sitbon, Un g (...)
11Le mérite de cet infatigable pourfendeur du « plus long scandale de la République »34 est donc autant d’apporter sa contribution à la quête de la vérité sur ces monstrueuses connexions que de leur donner un sens en les associant à la « face immergée » de l’iceberg franco-africain : « un monde sans lois, un monde sans règles, plein de détournements financiers, de criminalité politique, de polices tortionnaires, ou de soutiens [...] à des guerres civiles »35. Jusqu’à sa mort, en 2005, le président de « Survie » a développé ses arguments et maintenu la pression sur les autorités politiques, portant avec trois autres associations (Aircrige, la Cimade, l’Observatoire des transferts d’armement) le projet de « Commission d’enquête citoyenne sur le rôle de la France durant le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 » (CEC). Durant cinq jours, du 22 au 26 mars 2004, des juristes, des historiens, des témoins et des militants ont confronté leurs points de vue au cours de séances publiques, reprenant méthodiquement « le dossier des complicités françaises là où les députés [de la mission Quilès] l’avaient laissé »36. Les conclusions, on s’en doute, n’ont cette fois pas été escamotées et mettent à jour un pan nouveau de cette responsabilité en étayant la thèse « qu’une guerre secrète a été menée au Rwanda par une “légion présidentielle”, hors hiérarchie, le commandement des opérations spéciales (COS), affranchi de tout contrôle démocratique hors la personne du président »37. Les révélations de François-Xavier Verschave ont chamboulé les confortables certitudes de bien des lecteurs abasourdis. Leur caractère proprement « inimaginable » – ce sont ses propres mots – en auront braqué beaucoup d’autres, bien que l’homme ne soit pas connu pour défendre une quelconque chapelle et qu’il ait gagné tous les procès qu’on lui a intentés. L’autorité de Verschave reste aujourd’hui cantonnée aux milieux militants, peut-être en raison d’une méthode de travail essentiellement compilatoire, qui s’est dispensée d’une expérience africaine in vivo, mais plus encore, probablement, à cause de la tenace et gênante odeur de soufre qui émane de ses écrits. La même marginalité affecte des auteurs publiant de brèves et percutantes études, à la tonalité pamphlétaire, dans des collections à petit prix et peu réputées pour leur goût du politiquement correct38.
39 Alison Des Forges, Aucun témoin…, op. cit. Le livre a été publié simultanément aux États-Unis sous (...)
40 Alison Liebhafsky Des Forges, Defeat in the Only Bad News. Rwanda under Musinga, 1896-1931, Madison (...)
41 Il s’agit d’une base de données électronique sur les violences de masse et les génocides du xxe siè (...)
42 « The story of Rwanda’s agonies has been told many times in many forms, but nowhere more persuasive (...)
12S’il était plus ou moins possible de faire fi des premières alertes lancées par Colette Braeckman, Gérard Prunier, François-Xavier Verschave ou d’autres, en usant de l’argument d’une écriture à chaud, trop peu mûrie ou trop outrancière pour espérer figurer en bonne place parmi les « références » bibliographiques recommandables, il s’avère bien plus délicat de traiter par le mépris l’ouvrage produit en 1999 sous la houlette de la FIDH (Fédération internationale des droits de l’homme) et de l’ONG Human Rights Watch. Intitulée Aucun témoin ne doit survivre39, cette somme extrêmement documentée de plus de 900 pages a été rédigée par une historienne étatsunienne, Alison Des Forges, auteure en 1972 d’une thèse sur le Rwanda à l’époque du roi Musinga, soutenue à l’université de Yale40. Issu d’une recherche collective qui s’est prolongée sur cinq années, le livre accorde l’essentiel de son attention (les trois quarts du volume) au déroulement des massacres, à leurs acteurs et à leurs mécanismes de mise en œuvre, entre avril et juillet 1994. L’étude des faits, fort minutieuse et appuyée sur des centaines d’entretiens et des milliers de documents alors inédits, chemine du contexte national à l’échelon local (à travers les exemples de Gikongoro et Butare) pour aboutir à l’examen du comportement de la communauté internationale (chapitres 15 et 16). Il s’agit probablement de l’histoire la plus complète et la mieux documentée du génocide rwandais dont on puisse disposer aujourd’hui : c’est au moins l’avis du politologue René Lemarchand, qui la présente sur le site de l’Encyclopédie en ligne des violences de masse41 comme une œuvre « de grande envergure », « la source d’information la plus fouillée et la plus fiable » sur les événements de 199442. Les commentateurs tatillons auraient, en outre, du mal à démontrer le caractère partisan de cette enquête puisque son auteure, dans un ultime chapitre, impute au FPR la responsabilité d’un certain nombre de massacres de civils désarmés. Au point d’ailleurs qu’Alison Des Forges fut, après cette publication, déclarée persona non grata au Rwanda.
43 Alison Des Forges, Aucun témoin…, op. cit., p. 762.
44 À l’époque, conseiller du président Mitterrand, à la tête de la cellule africaine de l’Élysée. Amba (...)
45 Alison Des Forges, Aucun témoin…, op. cit., p. 762-799.
13Voilà donc un livre qu’on pourra, sans prendre trop de risques, qualifier de « référence ». Et c’est aussi là que le lecteur motivé peut parcourir quelque 37 pages de considérations étayées, soulignant les compromissions de la France avec les auteurs du génocide pendant son déroulement. Car, ainsi que le souligne l’auteure, certains responsables français, malgré l’accroissement du nombre de victimes, « n’en poursuivirent pas moins leur objectif d’assurer aux héritiers de Habyarimana un rôle prédominant dans la politique rwandaise. Ce faisant, ils atténuèrent l’impact des faibles efforts tardifs visant à faire cesser les massacres et renforcèrent la détermination du gouvernement génocidaire »43. Et Alison Des Forges de passer en revue une série d’actions occultes et de manœuvres sournoises : permanence d’un contingent français au Rwanda après décembre 1993 en violation des accords d’Arusha, présence immédiate de soldats français sur le site du crash de l’avion présidentiel, soutien politique aux autorités génocidaires avec notamment la réception par Alain Juppé et Bruno Delaye44 d’une délégation du GIR, livraison d’armes aux FAR après le 6 avril, via le Zaïre, jeu trouble du capitaine Paul Barril à Kigali et dans le cadre de l’intrigant programme de formation « insecticide », épisode des rescapés de Bisesero et protection par les hommes de l’opération Turquoise des soldats et miliciens rwandais génocidaires, l’ensemble sur fond de lecture ethnique de la situation locale par François Mitterrand et son état-major… Tout ce qui alimente encore aujourd’hui la dénonciation des turpitudes françaises au plus fort du déchaînement de la violence meurtrière est donc déjà détaillé, documenté et même interprété dans ce travail pour le moins impressionnant45. Trop impressionnant ? Admettons que le volume et le prix aient pu en rebuter certains. Il reste ce fait, troublant : cinq ans après le génocide, l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur l’épineux sujet des connivences françaises est accessible à la communauté des scientifiques, des responsables et des militants politiques de notre pays, dans un ouvrage qui parle leur langage et respecte l’idée qu’ils sont censés se faire de la méthodologie et de la déontologie.
46 Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable…, op. cit. Son ouvrage a rencontré un certain succès : 17 00 (...)
47 Patrick de Saint-Exupéry et Charles Lambroschini, « France-Rwanda : Un génocide sans importance », (...)
48 La formule figurait déjà dans la version écrite du discours de François Mitterrand au sommet franco (...)
14Dans la prise de conscience des agissements de la France au Rwanda par une part plus large de l’opinion publique, une étape est indéniablement franchie avec la parution en 2004 du livre de Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable46. Grand reporter au Figaro depuis 1989, le journaliste a couvert pour le quotidien conservateur le génocide et le conflit entre les FAR et le FPR, d’abord du côté de la rébellion, ensuite avec les soldats de l’opération Turquoise. Les articles qu’il envoie à sa rédaction se signalent déjà par une dénonciation appuyée de la politique française au Rwanda depuis 1990, quand bien même ils prendraient grand soin de charger l’Élysée et sa cellule africaine pour mieux ménager le Premier ministre d’alors, Édouard Balladur. Mais ce sont surtout ses quatre articles rétrospectifs écrits pour le même quotidien en 1998 qui font grand bruit47 et suscitent l’ouverture de la mission parlementaire déjà évoquée. Alors que se profilent les commémorations décennales du génocide et qu’il est correspondant du Figaro à Moscou, Patrick de Saint-Exupéry livre donc son témoignage et son analyse des événements, poussé par l’installation paisible dans le discours officiel d’une « logique de négation ». En novembre 2003, le ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin, interrogé sur Radio France Internationale, évoquait au détour d’une phrase, « les génocides » rwandais48, suggérant de la sorte que les crimes de guerre commis par le FPR pendant l’offensive sur Kigali et lors de leur traque des tueurs hutu réfugiés au Kivu pussent être placés sur le même plan que l’extermination massive et organisée de centaines de milliers de Tutsi et de Hutu démocrates. Patrick de Saint-Exupéry décide donc de prendre, symboliquement, le ministre par la main pour l’entraîner dans le récit de son épouvantable expérience de correspondant de guerre au Rwanda.
49 Sur les collines de Bisesero, à l’ouest du Rwanda, le 27 juin 1994, une patrouille de soldats franç (...)
50 Patrick de Saint-Exupéry, « Rwanda. Les assassins racontent leurs massacres », Le Figaro, 29 juin 1 (...)
51 Il suffit de faire une petite recherche sur les sites des grands éditeurs français (Seuil, Gallimar (...)
52 Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable…, op. cit., p. 236.
53 Le rôle de lanceur d’alerte joué par Patrick de Saint-Exupéry recoupe son engagement pour une press (...)
15Comparé aux livres dont nous avons déjà parlé, L’inavouable n’apporte finalement rien de très neuf au florilège des ignominies françaises, hormis l’épisode des rescapés oubliés de Bisesero49, toutefois déjà traité par Saint-Exupéry dans un reportage de 199450 comme dans ses articles de 1998. La force de ce texte réside donc autant dans les faits terrifiants qu’il rapporte que dans le procédé narratif qui donne le sentiment au lecteur de se trouver lui aussi – à l’image de Villepin mais la culpabilité en moins – dans la position privilégiée du confident, partageant les visions cauchemardesques et les questionnements douloureux du journaliste. Avant ce livre, d’ailleurs, la littérature orientée contre l’impunité était surtout l’affaire de militants d’ONG se débattant dans le marais éditorial51, d’enquêteurs rompus à l’exercice du pamphlet ou bien d’auteurs étrangers, aisément soupçonnables de vouloir nuire à la réputation d’un pays dont l’influence en Afrique suscite envie et irritation. À l’inverse de ces auteurs, Saint-Exupéry jouit d’une crédibilité spontanée grâce à – ou en dépit de – sa subjectivité affichée de témoin direct des événements. Il faut dire que le reporter a dû réviser, au fil de son itinéraire rwandais, ce qui pouvait lui rester de convictions ou d’illusions sur la politique de la France en Afrique. Comme lui, au terme de ce qui ressemble à un insupportable parcours initiatique, le lecteur non averti de L’inavouable a donc toutes les chances de sortir de cette traversée littéraire de l’horreur changé et « dessillé »52. La confiance qu’inspire ce témoignage provient aussi sans doute d’un profil particulier : lauréat du prix Albert Londres en 1991, le correspondant du Figaro est un professionnel respecté pour sa rigueur et son intégrité, qui ne ressemble en rien à un polémiste patenté. Son milieu d’origine et le journal pour lequel il a travaillé jusqu’en 2008 rendent par ailleurs peu vraisemblable une allégeance cachée à des groupuscules gauchisants ou anarchisants, ni d’ailleurs une quelconque propension à brocarder l’armée française et à offenser le drapeau ! Saint-Exupéry donne simplement l’image d’un homme libre, ébranlé par une expérience à nulle autre pareille53.
54 David Servenay et Benoît Collombat, « Au nom de la France », ..., op. cit., « Les trois cercles du (...)
55 Voir Laure de Vulpian, Thierry Prungnaud, Silence Turquoise…, op. cit., p. 93.
56 Thierry Prungnaud s’est exprimé dès 1994 lors des événements de la colline de Bisesero au micro des (...)
57 Citation de Thierry Prungnaud, op. cit., « La leçon de Bisesero », p. 165-169.
16Avec le temps, c’est également la propagande qui visait à présenter l’opération Turquoise comme une opération humanitaire qui s’effondre pour de bon. Très vite, on l’a vu, des observateurs se sont demandé comment un État aussi engagé militairement depuis des années auprès des autorités hutu pouvait du jour au lendemain mettre sur pied une opération totalement neutre. Les effectifs et le matériel mobilisés, en outre, n’étaient pas pour rassurer les tenants d’une opération strictement humanitaire. Il apparaît en effet que les objectifs de cette opération ont fait l’objet de vives discussions au sommet de l’État, Édouard Balladur défendant la ligne humanitaire officielle et François Mitterrand la concevant comme un nouveau moyen de sauver la mise à ses affidés54. De fait l’opération Turquoise fut les deux, mêlant des actions militaires visant à refouler de nouveau le FPR et à maintenir le gouvernement intérimaire au pouvoir – actions assimilables dans le contexte de l’époque à de la complicité de génocide – et des actions humanitaires qui ont permis de sauver un grand nombre de vies. La fiction d’une opération exclusivement humanitaire a été démontée dès le départ par certains correspondants de presse sur place55 mais vole littéralement en éclats avec le témoignage de militaires qui ont eu le courage de crever le silence de la « grande muette ». Thierry Prungnaud, adjudant du GIGN intégré au détachement de Marin Gillier dans le cadre de l’opération Turquoise, a révélé à plusieurs reprises le pire et le meilleur de cette intervention lors de l’affaire exemplaire de Bisesero56. C’est en désobéissant aux ordres que Thierry Prungnaud a pu mener une opération qui a sauvé la vie à plusieurs centaines de Tutsi réduits à l’état de fantômes après des semaines de traque. « Nous avons été trompés. […] On nous a raconté que c’était les Tutsi qui tuaient les Hutu. Nous croyions que les Hutu étaient les bons et les victimes… Or, c’était le contraire. »57
58 Sur les imaginaires qui favorisent le passage à l’acte génocidaire, voir Jacques Semelin, Purifier (...)
59 Laure de Vulpian, Thierry Prungnaud, Silence Turquoise…, op. cit., « Un général très engagé », p. 4 (...)
17On voit que l’état-major partageait la vision des extrémistes hutu, même au cœur des massacres. Alors que les Tutsi étaient victimes d’un génocide, l’obsession était de débusquer les agents infiltrés du FPR porteurs d’une accusation en miroir de génocide à l’encontre des Hutu. Dans un pays où les Tutsi ne représentaient que 10 à 25 % de la population selon les estimations, et dans une région encore éloignée de l’avancée du FPR, cela en dit long sur le caractère délirant des représentations que les soldats français avaient en tête au moment de l’opération Turquoise, charriant les pires poncifs racistes à l’encontre des Tutsi, simple décalque de la paranoïa58 qui avait envahi la population hutu et ses élites, auprès desquelles l’état-major français prenait exclusivement ses informations. Laure de Vulpian a pu entendre avec effroi le double discours du général Quesnot, chef de l’état-major particulier de François Mitterrand : celui de l’officiel dans un exercice de propagande face à un micro de France Culture et celui de l’homme pétri de représentations raciales anti tutsi dans le cadre d’une discussion informelle où il pensait pouvoir s’exprimer librement59.
60 Guillaume Ancel, « L’histoire mythique de l’opération Turquoise ne correspond pas à la réalité », p (...)
61 Guillaume Ancel : « […] pourquoi est-ce la seule mission où je n’ai pas eu de briefing ? […] Sinon, (...)
62 Le 5 juillet 1994, le Conseil de sécurité de l’ONU autorise la France à créer une « zone humanitair (...)
63 Laure Coret, François-Xavier Verschave (dir.), L’horreur qui nous prend au visage, op. cit., p. 87- (...)
64 « Dans les camps de réfugiés qu’ils contrôlent, les militaires français accueillent indifféremment (...)
65 Association « Survie », La complicité de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda, Paris, L’H (...)
66 Colette Braeckman, « Du Rwanda au Zaïre, l’onde choc d’un génocide », Le Monde diplomatique, décemb (...)
18Plus récemment, Guillaume Ancel, capitaine du 68e régiment d’artillerie d’Afrique en 1994, a témoigné à son tour du caractère engagé de l’opération Turquoise. Si à partir du mois de juillet 1994 il a participé à des opérations humanitaires auprès de rescapés tutsi, il révèle que sa première mission avait été de préparer une attaque sur Kigali afin de freiner l’avancée du FPR60. Au vu de l’état d’esprit du commandement de l’armée française impliquée au Rwanda en 1994, on s’étonne moins du bilan de l’opération Turquoise. Loin d’avoir arrêté les massacres, elle a eu effectivement pour objectif inavouable de stopper l’avancée du FPR, seul disposé à ce stade des événements, quoi que l’on en pense, à mettre un terme au génocide61. À l’intérieur même de la « zone humanitaire sûre »62 délimitée au mois de juillet, alors que l’objectif de repousser le FPR, devenu inatteignable, est abandonné, les tueries ont continué, avec l’assistance éventuelle de militaires français selon le témoignage de certains rescapés63. Couronnement de cette politique aveugle, cette zone humanitaire si peu sûre pour les rescapés tutsi64 fut le moyen d’exfiltrer les responsables du génocide, les troupes débandées des FAR et des milices interahamwe65 qui allaient déstabiliser et faire basculer le Zaïre voisin dans une guerre civile aux trois millions de victimes. La situation désastreuse de la région du Kivu est l’héritière directe de cette politique, qui a permis l’exportation du conflit rwandais sur le sol congolais66.
67 Justine Brabant, « Enquêter sur le Rwanda, mode d’emploi », sur le site internet d’Arrêt sur image, (...)
68 Benoît Collombat et David Servenay, « Au nom de la France »…, op. cit.
19Les commémorations de 2014 sont également le moment d’une nouvelle vague de publications sur le Rwanda. Justine Brabant a pu en recenser dix-neuf, hors rééditions67. Sur ces dix-neuf ouvrages, onze sont des essais, dont neuf portent sur le rôle de la France dans le génocide. Dans cette livraison, soulignons l’ouvrage de Benoît Collombat et David Servenay68 pour la synthèse qu’il offre des connaissances sur la question et l’impact qu’il pourrait avoir dans l’évolution de l’opinion publique sur le sujet. Au nom de la France compile et complète une documentation foisonnante en lui donnant sens. Même s’il reste des zones à éclaircir – les questions portant sur le degré d’implication de mercenaires comme Paul Barril sont un des fils conducteurs de l’ouvrage –, les éléments connus dessinent sans ambiguïté le rôle joué par la France dans l’histoire rwandaise.
20L’ouvrage, édité par La Découverte, est cosigné par le cofondateur du site Rue 89 (David Servenay) et par un grand reporter à France Inter (Benoît Collombat). C’est donc un nouveau cran qui est franchi dans la pénétration de l’espace médiatique. La controverse s’installe dans des médias à l’audience de plus en plus large. La version de la culpabilité française « s’institutionnalise », pourrait-on dire, en trouvant droit de cité dans la radio de service public, bien que de manière encore relative malgré tout. Ainsi, le même jour, a-t-on pu entendre sur France Inter Benoît Collombat répondre aux auditeurs dans le cadre du « Téléphone sonne » alors que le matin même, en direct de Kigali (!), Bernard Guetta signait un édito qui entretenait la confusion sur la notion de complicité : « Pour ne pas employer de grands mots, ce n’est tout simplement pas vrai. Contrairement à ce que le président rwandais vient de redire, en des termes plus excessifs que jamais, il n’est pas vrai que la France ait eu un “rôle direct” dans la préparation du génocide des Tutsi, qu’elle ait “participé à son exécution” et que ses soldats en aient été non seulement “complices” mais également “acteurs”. Il aurait fallu pour cela que le gouvernement de cohabitation de l’époque, tout le monde politique français, ait voulu et conçu l’assassinat à la machette – pour quelle raison d’ailleurs ? – de 800 000 personnes, hommes, femmes et enfants… Non ! ». Nous avons vu dès l’introduction que poser le problème en ces termes ne peut que sidérer l’auditeur et en rien l’éclairer sur les enjeux réels, alors que la notion de complicité n’implique pas nécessairement que le gouvernement français ait voulu et conçu le génocide mais, de manière suffisante, qu’il ait soutenu des autorités qui s’en sont rendues coupables. C’est, entre autres choses, ce que Benoît Collombat a tenté d’expliquer – sans omettre toute les réserves possibles concernant Paul Kagame – aux auditeurs de France Inter qui avaient suivi la journée « spéciale Rwanda » jusqu’au soir.
69 Une information judiciaire avait été ouverte en mars 1998 sur la plainte des familles de l’équipage (...)
70 Christophe Châtelot, « Génocide rwandais : le camp Kagame innocenté », Le Monde, 12 janvier 2012.
71 Ruzibiza se disait membre d’un network commando, chargé par le FPR d’éliminer des responsables poli (...)
72 Serge Farnel, « Rwanda, France et génocide : pions noirs, pions blancs », Controverses, novembre 20 (...)
73 Ou commission nationale indépendante rwandaise, présidée par Jean de Dieu Mucyo, ancien ministre de (...)
21Le travail de Benoît Collombat et de David Servenay a, en outre, grandement profité des investigations menées par le juge d’instruction Marc Trévidic qui, au mois de juin 2007, après le départ de la magistrature de Jean-Louis Bruguière, récupère le dossier de l’attentat du 6 avril69. Après cinq années d’enquête supplémentaire pour tenter de démasquer les auteurs du tir des deux missiles qui ont abattu l’avion, Marc Trévidic rend public en janvier 2012 un rapport d’expertise qui contredit totalement les conclusions de son prédécesseur. Alors que le juge Bruguière avait mis en cause la responsabilité du FPR et de Paul Kagame dans la destruction du Falcon, la nouvelle instruction aboutit, au contraire, à incriminer le camp adverse, c’est-à-dire les extrémistes hutu. Différentes constatations menées sur les lieux mêmes de l’attentat par six experts (en balistique, acoustique, explosif, cartographie et pilotage) ont pu déterminer que les projectiles sont partis du domaine militaire de Kanombe, contrôlé par les FAR70. L’hypothèse privilégiée devient donc, à partir de ce moment-là, celle d’un attentat commis par les ultras du régime, hostiles aux accords d’Arusha et désireux d’inaugurer le génocide en préparation par l’élimination d’un président trop accommodant. La fragile construction intellectuelle de Jean-Louis Bruguière est donc littéralement balayée. Elle était d’ailleurs déjà bien chancelante : entreprise sans reconstitution au Rwanda, l’enquête avait déjà été fortement décrédibilisée en 2008 par la rétractation du « témoin-clé », Abdul Ruzibiza71. Son agenda politique et médiatique était, en outre, un peu trop visible : l’information judiciaire de Jean-Louis Bruguière a commencé le 27 mars 1998, soit trois jours seulement avant les premières auditions de la mission Quilès, permettant ainsi de soustraire certains témoins (dont Paul Barril) à la curiosité des parlementaires72. Par ailleurs, et en dépit du secret de l’instruction, quelques unes de ses conclusions furent prématurément dévoilées pour servir de pare-feu aux accusations portées par les autorités de Kigali contre la France lors des commémorations de 2004, tandis que l’émission des mandats d’arrêt internationaux contre les officiels rwandais, en décembre 2006, coïncidait avec les travaux de la commission Mucyo73, créée par Paul Kagame pour rassembler les éléments permettant de mettre en cause la France.
74 Cf. supra, note 25.
75 Guillaume Ancel avoue néanmoins qu’il aurait préféré un scénario avec des tireurs « mercenaires des (...)
22Mises en perspective par les auteurs d’Au nom de la France, les investigations du juge Trévidic viennent donc apporter une réelle consistance au scénario qu’esquissait Colette Braeckman dès le mois de juin 199474 : la France n’a pas non plus la conscience tranquille dans l’épisode de l’attentat du 6 avril. Benoît Collombat et David Servenay accumulent, en effet, les indices permettant de penser que les militaires français, très rapidement présents sur les lieux du crash, s’y sont rendus pour récupérer les boîtes noires de l’appareil et les faire disparaître. Pourquoi ? La réponse à cette question s’impose avec une pénible évidence : des Français étaient au courant de ce qui se tramait, voire y ont participé. Le nom d’un éventuel tireur, surnommé « Étienne » et membre du DAMI, circule même depuis longtemps dans la presse belge. Cette hypothèse d’un attentat perpétré par des soldats français, dont on concède sans mal l’énormité, atteint pourtant aujourd’hui un très haut degré de vraisemblance, d’autant que de nouvelles révélations viennent régulièrement l’étayer. Ancien officier du contingent Turquoise et « utilisateur expérimenté » de missiles anti-aériens, Guillaume Ancel démontre ainsi dans une interview récente que l’équipe de tir avait des complicités fortes avec les autorités militaires rwandaises et que l’opération a nécessairement bénéficié du « soutien de services secrets assez puissants pour [qu’elle] ne soit pas bloquée ni éventée ». Il ajoute que les forces spéciales françaises étaient « techniquement » capables d’exécuter l’attentat, puisqu’elles disposaient des missiles Stinger ou SAM-16 qui auraient servi à abattre l’avion présidentiel75.
76 Dans le cadre de l’opération clandestine « Insecticide », qui tire son nom des cafards (inyenzi en (...)
77 En particulier des tubes lance-missiles qui, selon Paul Barril, auraient servi à abattre l’avion pr (...)
23Il reste aussi à déterminer le rôle dans les événements du capitaine Paul Barril, présent à cette époque à Kigali et dont l’emploi du temps du 6 avril reste obscur. Formateur de commandos engagé par le ministère de la Défense du GIR en plein génocide76, Barril fut aussi le principal acteur d’une véritable guerre médiatique, menée dans la presse et à la télévision française en 1994 dans le but de focaliser l’attention de l’opinion sur le FPR, qu’il désigne alors comme le responsable de l’attentat. L’ancien « gendarme de l’Élysée » va même jusqu’à présenter une fausse boîte noire du Falcon au journal de 13 heures de France 2 en affirmant détenir avec cet objet la preuve de l’implication des rebelles tutsi ! Il y aura d’autres mensonges et manipulations, que révèle le livre de Collombat et Servenay77. La résolution de ce qui reste aujourd’hui l’une des plus grandes énigmes de l’histoire récente se profilerait-elle enfin ? Les zones d’ombre sont toutefois encore trop nombreuses pour offrir à ce stade toutes les garanties d’une vérité affermie. Un point essentiel, notamment, demande à être clarifié : pour qui roulaient ces militaires français ouvertement associés aux génocidaires ? Mercenaires à la solde des Hutu fanatiques ou bien soldats de l’ombre au service d’une « guerre secrète » décidée et conduite depuis l’Élysée ?
78 C’est le fameux « J’accuse ! », lettre ouverte au président Félix Faure, publiée dans L’Aurore le 1 (...)
79 Il suffit pour s’en convaincre de parcourir les 1 500 pages de documents réunis par Jacques Morel ((...)
80 Les crimes de l’armée française, Algérie 1955-1962, dossier réuni par Pierre Vidal-Naquet, Paris, M (...)
24Si toute la lumière n’est pas encore faite sur l’attentat du 6 avril, les faits permettant d’établir la complicité de la France dans le génocide des Tutsi du Rwanda sont, au moins selon les critères de l’historien, solidement établis. Des informations fiables sur cette question sont aisément disponibles, aussi bien dans les bonnes librairies que sur la toile. Les auteurs de ces documents n’ont pas d’intérêt particulier à défendre une thèse qui ébranle certainement, lorsqu’ils sont français, l’attachement à leur pays et à ses valeurs universalistes. Ils n’ont, en règle générale, pas d’autre allégeance connue que celle due à la vérité. Car les faits sont là, réellement obstinés. Et s’il est bien sûr souhaitable d’exiger l’ouverture aux chercheurs de tous les fonds d’archives utiles pour en préciser les contours et en affiner l’interprétation, se draper derrière cette demande pour éviter de prendre parti est agir en cauteleux. Lors de l’affaire Dreyfus (1898), Émile Zola n’a évidemment pas attendu d’avoir sur son bureau les carnets du général prussien Schwartzkoppen (publiés en 1930 !) pour s’insurger contre la détention au bagne d’un innocent et mettre en accusation le rôle coupable du gouvernement et de l’état-major français dans l’acquittement d’Esterházy78 ! Notons d’ailleurs que la documentation accessible (sources écrites autant que témoignages) est à l’heure actuelle bien plus abondante79 et tout aussi confondante que celle réunie par Pierre Vidal-Naquet sur les crimes de l’armée française en Algérie80, dans un célèbre et retentissant petit livre publié par Maspero en 1975.
81 Voir notamment l’interview de Jean Carbonare sur le plateau du journal télévisé de France 2, le 28 (...)
82 Des armes sont rassemblées et cachées, des milices (Interahamwe) sont recrutées et entraînées, des (...)
83 Alain Verhaagen, « Une accablante prévisibilité », dans Radouane Bouhlal et Placide Kalisa, « N’épa (...)
84 L’armée fut présente de 1990 à 1993 avec le dispositif Noroît, après décembre 1993 dans le cadre de (...)
85 Roméo Dallaire, commandant de la MINUAR, est avisé en janvier 1994 de l’existence de caches d’armes (...)
86 Gérard Prunier, Rwanda : le génocide…, op. cit., p. 138-140.
87 Lors de cette opération d’évacuation des expatriés et des Occidentaux, menée par l’armée française (...)
88 Voir Alison Des Forges, Aucun témoin…, op. cit., p. 731-734, ainsi que son témoignage dans le cadre (...)
25Au moins depuis les travaux d’Alison Des Forges, d’Human Rights Watch et de la FIDH, il est donc possible d’affirmer que la position officielle de la France, rappelée avec constance jusqu’au mois d’avril 2014, relève de la falsification pure et simple des faits. Il n’est même pas envisageable d’imaginer des responsables politiques et militaires français totalement dépassés par les événements, dupés par leurs alliés et ignorant l’ampleur des tueries que ceux-ci étaient en train de commettre. Cette hypothèse achoppe sur la nature même du génocide, qui ne fut pas une explosion de violence soudaine et inattendue déclenchée par l’assassinat du président Habyarimana. Les témoignages de l’époque81 et les ouvrages que nous venons de présenter82 ne laissent pas le moindre doute sur son caractère planifié, au moins depuis la fin de l’année 1992. Les événements à venir étaient déjà alors d’une « accablante prévisibilité »83. Comment imaginer que la France ait pu ignorer, alors que ses services de renseignement et son armée ont continuellement été présents sur place, jusqu’au cœur de l’état-major des FAR84, ce que des responsables d’ONG et le chef de la MINUAR, Roméo Dallaire, ont pu constater à peine arrivés au Rwanda85. Il faudrait aussi expliquer pourquoi les soldats des opérations Noroît86, Amaryllis87 et Turquoise n’ont rien fait pour arrêter des massacres qui se déroulaient sous leurs yeux, pourquoi leurs officiers ont cherché à les dissimuler ou à les imputer aux rebelles, pourquoi la France s’est employée à minimiser aux Nations unies la gravité des faits en désinformant les représentants des autres membres du Conseil de sécurité, aidée de quelques-uns de ses affidés françafricains, alors que le génocide redoublait d’intensité88…
89 Phrase restée célèbre, prononcée par Alfred Sirven lors de l’affaire Elf (Bernard Delattre, « Alfre (...)
90 Pierre Brana, député socialiste, corapporteur de la mission d’information parlementaire de 1998 ; i (...)
91 Après l’assassinat le 7 avril des dix casques bleus en charge de la protection de la Première minis (...)
26On a pu dire de certaines affaires qu’il y avait « de quoi faire sauter vingt fois la République »89. Que penser alors de ce scandale qui, d’un strict point de vue juridique et en raison de l’imprescriptibilité du crime, dépasse en gravité les pires atrocités commises par la France durant l’ère coloniale ? La vigueur de la protestation du gouvernement français face aux attaques de Paul Kagame se mesure donc à l’aune de ce qu’il lui faut cacher, à ses citoyens comme au reste du monde. « Un pays se grandit quand il reconnaît ses erreurs et ses fautes », estime, lucide, un ancien membre de la mission Quilès90. Celles de la France seraient-elles à ce point hors de toute proportion qu’elles en deviendraient « inavouables » ? Il était sans doute plus facile à la Belgique, par la voix de son Premier ministre Guy Verhofstadt, de présenter des excuses publiques au Rwanda lors des commémorations de 2004. L’ancienne métropole coloniale, en retirant précipitamment son contingent de la MINUAR du pays en proie à la folie des génocidaires, a sûrement commis une très grave erreur, lourde de conséquences91. Mais il s’agissait là de non-assistance à personnes en danger, pas de complicité de génocide. La Belgique, surtout, n’est pas soumise à la même psychose mégalomaniaque que son grand voisin, sans doute parce qu’elle ne prétend pas à un rôle de premier plan dans le concert des nations, pas plus qu’elle ne s’illusionne sur les risques que la vérité ferait courir à la « conscience nationale » ! À propos de son action passée au Rwanda, à rebours de la repentance, cette maladie imaginaire qui, selon certains, affecterait la partie la plus éclairée du corps social, les gouvernants de la France témoignent donc une nouvelle fois de leur singulière obstination dans le non-dit et le déni. Ils démontrent là leur incapacité à comprendre que le poids du passé est d’autant plus lourd et périlleux à porter qu’il n’est pas clairement assumé.
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Notes
1 Pour une approche de la notion de génocide et de ses différentes définitions, voir Jacques Semelin, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Seuil, Point essais, 2005, p. 481-571.
2 Il faut de nouveau, et en préambule, tordre le cou à la représentation d’une explosion de violence incontrôlée faisant suite à l’assassinat d’Habyarimana. Une abondante littérature, dont il sera fait mention dans la suite de cet article, permet de mesurer combien la violence fut attisée, dirigée et manipulée par les autorités. Cette organisation n’est pas antinomique, mais au contraire associée dans une relation dialectique avec une certaine autonomie des acteurs des massacres. C’est ce que montre notamment l’étude d’Hélène Dumas, Le génocide au village, Paris, Seuil, 2014.
3 Édition no 2778, en kiosque du 6 au 13 avril 2014. Les références à cette revue sont lisibles sur le site internet .
4 En effet, une passe d’armes assez semblable avait eu lieu dix ans plus tôt dans un même contexte de commémorations. On se souvient que Renaud Muselier avait quitté les cérémonies après que Paul Kagame eut dénoncé le rôle de la France dans la tragédie de 1994.
5 Sur la définition strictement juridique de ces événements, l’ouvrage de référence est Géraud de la Pradelle, Imprescriptible. L’implication française dans le génocide tutsi portée devant les tribunaux, Paris, Les Arènes, 2005.
6 Ibid., p. 140-143.
7 Laure Coret et François-Xavier Verschave, L’horreur qui nous prend au visage. L’État français et le génocide au Rwanda, Paris, Karthala, 2005, p. 371-378. Il s’agit du rapport de la Commission d’enquête citoyenne (CEC) initiée par plusieurs ONG sur le rôle de la France au Rwanda. Ce rapport peut être lu en ligne sur le site de la CEC, .
8 Alain Juppé, « L’honneur de la France », note sur son blog, , en date du 5 avril 2014.
9 Ce travail est consultable en ligne sur le site de l’Assemblée nationale.
10 Il faut constamment distinguer les deux effets de la mission d’information parlementaire. Si le corps du texte est d’une grande richesse – très incomplète cependant mais déjà accablante – et relève les ambiguïtés, par exemple, de l’opération Turquoise, les protagonistes mis en cause ont trop souvent beau jeu de ne se référer qu’aux passages qui les arrangent et surtout à la conclusion qui dédouane les autorités françaises de toute culpabilité.
11 Rapport de la mission d’information parlementaire sur les opérations françaises au Rwanda, présidée par Paul Quilès (Pierre Brana et Bernard Cazeneuve, rapporteurs), p. 368.
12 Ibid, p. 318.
13 Nicolas Sarkozy tient une place à part dans cette histoire : acteur d’une « Françafrique » décomplexée dont le discours de Dakar restera comme le symbole insultant, il n’est pas directement impliqué dans les affaires rwandaises dans la période cruciale allant de 1990 à 1994. Il peut au contraire se parer de la cape du redresseur de torts face à un rival de longue date, Alain Juppé, favori du clan chiraquien et l’un des principaux responsables de la ligne anti-FPR qui a dérivé jusqu’au soutien inconditionnel aux autorités extrémistes hutu. Il fut le seul président français à faire de réels efforts pour renouer des liens diplomatiques avec le Rwanda de Paul Kagame, allant jusqu’à reconnaître le caractère tragique des erreurs commises par la France entre 1990 et 1994, lors d’un voyage au Rwanda en 2010, mais se refusant toutefois à toute forme de demande de pardon officiel et tout en réduisant au minimum les accusations pouvant être imputées à l’opération Turquoise, ce qui ne déroge en rien sur le fond à la ligne fixée par la mission d’information parlementaire présidée par Paul Quilès. Quant à Bernard Kouchner, sans se perdre dans les méandres d’un parcours singulièrement tortueux, retenons qu’il fut le seul fil diplomatique tendu entre la France et le FPR pour trouver une solution viable pendant l’été 1994… et le seul Français de marque présent, à titre personnel, dans le stade Amohoro, pour les commémorations de 2014.
14 Il faut lire le livre de Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable, La France au Rwanda, Paris, les Arènes, 2004, pour ressentir les effets du syndrome rwandais sur ceux, témoins ou simples érudits volontaires, qui sont allés au bout de la compréhension des mécanismes qui ont rendu possible cet « inavouable » : « Ce livre est mon histoire. Mais ce n’est pas seulement mon histoire. C’est aussi l’histoire d’un génocide. Une histoire française, une histoire africaine, une histoire d’empire. Une histoire d’une cruauté sans fond, d’une violence extrême. Si extrême que vous ne l’imaginez pas. […] Ce fut comme une déchirure. Soudaine, brutale et totalement inattendue. D’un coup, en dépit de dix longues années, la plaie s’est rouverte, aussi douloureuse qu’au premier jour » (p. 13).
15 Jean-Claude Lattès, 1994.
16 Nécrologie par Yann Plougastel dans Le Monde, 31 juillet 2010.
17 Colette Braeckman, Rwanda. Histoire d’un génocide, Paris, Fayard, 1994.
18 Gérard Prunier, The Rwanda Crisis, 1959-1994. History of a Genocide, London, Hurst & Co, 1995, traduction française : Rwanda, le génocide, Dagorno, 1997.
19 Colette Braeckman, Rwanda…, op. cit., p. 45-52 ; Gérard Prunier, Rwanda : le génocide…, op. cit, p. 72-81. Voir aussi Jean-Pierre Chrétien, L’Afrique des Grands Lacs. Deux mille ans d’histoire, Aubier, 2000, p. 262-268 et Dominique Franche, Généalogie du génocide rwandais, Bruxelles, Tribord, 2004.
20 Ancien chef d’état-major de Kayibanda, arrivé au pouvoir grâce à un coup d’État en 1973 (Jean-Pierre Chrétien, L’Afrique des Grands Lacs…, op. cit., p. 269).
21 Colette Braeckman, Rwanda…, op. cit., p. 254-258 ; Gérard Prunier, Rwanda : le génocide…, op. cit., p. 119-137.
22 Colette Braeckman, Rwanda…, op. cit., p. 259-260.
23 Gérard Prunier, Rwanda : le génocide…, op. cit., p. 214 : « La Direction générale des services extérieurs (DGSE, les services secrets français), accuse l’Ouganda d’aider le FPR dans son offensive et, pour faire bonne mesure, elle accuse les rebelles de brûler des villages, ajoutant que “des charniers ont été découverts dans leur zone ”. On n’explique pas comment les troupes du gouvernement auraient pu trouver des charniers dans le territoire tenu par l’ennemi, de plus en plus étendu, alors qu’elles-mêmes battent en retraite. La DGSE s’active à faire passer la désinformation, qui est reprise sous diverses formes dans plusieurs journaux français ».
24 Ibid., p. 134-135.
25 Colette Braeckman, Rwanda…, op. cit., p. 188-199. La journaliste a révélé l’information dans un article du Soir dès le 17 juin 1994, sur la base d’une lettre envoyée par un présumé chef de milice, recoupée avec des données provenant de l’Auditorat militaire belge (Benoît Collombat, David Servenay, « Au nom de la France », Guerres secrètes au Rwanda, Paris, La Découverte, 2014, p. 47-48).
26 Colette Braeckman, Rwanda…, op. cit, p. 295-303.
27 Gérard Prunier, Rwanda : le génocide…, op. cit. p. 339.
28 Interview de François Mitterrand, France 2 TV, 14 juillet 2014. « Selon des estimations, leurs 2 500 soldats d’élite, munis du meilleur équipement disponible, sauvèrent de 8 000 à 10 000 personnes à Nyarushishi, quelque 1 100 personnes à Bisesero et quelque 6 000 autres à Gikongoro, ce qui donne un total d’environ 15 000 à 17 000 personnes. La MINUAR, avec ses 500 hommes à peine, pauvrement armés et équipés, protégea à peu près deux fois ce nombre. Comme les autres membres des Nations unies, les Français pouvaient sauver des vies et le firent quand cela servait leurs intérêts » (Human Rights Watch, Fédération internationale des ligues des droits de l’homme [Alison Des Forges], Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda, Paris, Karthala, 1999, p. 799).
29 Daniel Vernet, Le Monde, 11 décembre 1997.
30 Claudine Vidal qualifie l’ouvrage de Braeckman de « pseudo-histoire » et l’accuse de parti pris ethniste sur la base de la dédicace de l’auteure à ses « amis rwandais » morts pendant le génocide ! (Claudine Vidal, « Un responsable humanitaire, une journaliste, un chercheur », Cahiers d’études africaines, volume 38, 1998, p. 656). La même s’en prend aussi à la version anglaise du livre de Prunier, dont elle pointe les « fragiles bases de connaissance » ou le « caractère journalistique ». Un « échec » qui, selon elle, « tient à sa précipitation » (Claudine Vidal, « Le génocide des Rwandais tutsi » dans L’Homme, 145, 1998, p. 229-237). Il faut noter que la sociologue ne commente absolument pas les accusations portées par les deux auteurs, mais qu’à force de chercher le diable dans les détails, elle parvient effectivement à jeter le doute sur le sérieux de leur enquête et donc à désamorcer l’effet dévastateur des thèses qu’ils défendent.
31 L’association « Survie » tire son origine d’une campagne homonyme contre « l’extermination par la faim », lancée en 1981 par le manifeste-appel de 54 prix Nobel. François Xavier Verschave la rejoint en 1984. C’est au début des années 1990, lorsque les responsables de l’association constatent que l’aide au développement ne sert pas à lutter contre la pauvreté mais alimente des flux d’argent opaques qui reviennent en France pour financer les partis politiques, que « Survie » s’oriente vers la dénonciation des relations occultes franco-africaines (François-Xavier Verschave, La Françafrique…, op. cit., p. 36-55).
32 François-Xavier Verschave, Complicité de génocide ? La politique de la France au Rwanda, La Découverte, 1994.
33 Le mot a été forgé par référence à l’expression « France-Afrique », utilisée en 1955 par Félix Houphouët-Boigny pour désigner les liens privilégiés qu’il était, d’après lui, souhaitable de maintenir entre les pays d’Afrique en passe d’accéder à l’indépendance et leur ancienne métropole.
34 Formule de Jacques Julliard (Le Nouvel Observateur, 5 mai 1995), que Verschave reprend en sous-titre d’un de ses ouvrages les plus fameux (La Françafrique, op. cit.).
35 François-Xavier Verschave, De la Françafrique à la Mafiafrique, Bruxelles, Tribord, 2004, p. 16.
36 Laure Coret, François-Xavier Verschave (dir.), L’horreur qui nous prend au visage…, op. cit., p. 10.
37 Ibid., p. 531. Le chercheur Gabriel Périès, auteur d’une thèse de doctorat sur « la guerre révolutionnaire », une doctrine militaire française de contrôle des populations, enserrées dans un maillage étroitement territorialisé et organisées en hiérarchies politico-militaires parallèles, constate un grand nombre d’éléments de ressemblance entre l’application de cette théorie par la dictature des généraux argentins et l’usage qui en est fait au Rwanda (Ibid., p. 44-55). La « guerre révolutionnaire » produit, selon lui, « ses systèmes de dictature clés en main » et suppose une volonté « d’éradication de l’ennemi ». Voir aussi Gabriel Périès, David Servenay, Une guerre noire. Enquête sur les origines du génocide rwandais (1959-1994), Paris, La Découverte, 2007.
38 Par exemple : Mehdi Ba, Rwanda. Un génocide français, L’Esprit frappeur, 1997 ; Michel Sitbon, Un génocide sur la conscience, L’esprit frappeur, 1998 ; Jean-Paul Gouteux, Un génocide secret d’État : la France au Rwanda, 1990-1997, Éditions sociales, 1998.
39 Alison Des Forges, Aucun témoin…, op. cit. Le livre a été publié simultanément aux États-Unis sous le titre Leave No One to Tell the Story.
40 Alison Liebhafsky Des Forges, Defeat in the Only Bad News. Rwanda under Musinga, 1896-1931, Madison, University of Wisconsin Press, 2011. Alison Des Forges a quitté ses fonctions académiques en 1994 pour se consacrer au militantisme au sein de Human Rights Watch, dont elle est devenue la conseillère pour le continent africain. Elle est décédée dans un accident d’avion en 2009.
41 Il s’agit d’une base de données électronique sur les violences de masse et les génocides du xxe siècle, lancée en 2004 à l’initiative de Jacques Semelin et inaugurée en 2008 dans le cadre du CERI (Centre d’études et de recherches internationales), un laboratoire dépendant de Sciences po Paris.
42 « The story of Rwanda’s agonies has been told many times in many forms, but nowhere more persuasively than in Alison Des Forges’s landmark investigation, Leave No One To Tell the Story (1999). It remains the most wide-ranging, thoroughly researched and reliable source of information on the 1994 genocide. Trained as a historian and with impeccable credentials as a Rwanda expert, with the help of eight research assistants the author takes us into the belly of the beast. [...]. If any work on the genocide can be called definitive, this is it » (René Lemarchand, « Rwanda : the state of research », Online Encyclopedia of Mass Violence, [online], published on 27 May 2013, accessed 24 July 2014 ).
43 Alison Des Forges, Aucun témoin…, op. cit., p. 762.
44 À l’époque, conseiller du président Mitterrand, à la tête de la cellule africaine de l’Élysée. Ambassadeur de France au Togo depuis 1991, Bruno Delaye succède en 1992 à Jean-Christophe Mitterrand et quitte ses fonctions en 1995. Voir son portrait dans Libération, 8 mai 1995.
45 Alison Des Forges, Aucun témoin…, op. cit., p. 762-799.
46 Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable…, op. cit. Son ouvrage a rencontré un certain succès : 17 000 exemplaires ont été vendus en librairie l’année de sa parution (voir www.arenes.fr : « meilleures ventes par année »). Il a été réédité en 2009 par la même maison sous le titre plus explicite de Complices de l’inavouable et a récemment inspiré une bande dessinée (Hippolyte, Patrick de Saint-Exupéry, La fantaisie des dieux. Rwanda, Les Arènes, 2014).
47 Patrick de Saint-Exupéry et Charles Lambroschini, « France-Rwanda : Un génocide sans importance », Le Figaro, 12 janvier 1998 ; Patrick de Saint-Exupéry, « France-Rwanda : le syndrome de Fachoda », Le Figaro, 13 janvier 1998 ; Patrick de Saint-Exupéry, « France-Rwanda : des silences d’État », Le Figaro, 14 janvier 1998 ; Patrick de Saint-Exupéry, « France-Rwanda : le temps de l’hypocrisie », Le Figaro, 15 janvier 1998.
48 La formule figurait déjà dans la version écrite du discours de François Mitterrand au sommet franco-africain de Biarritz en novembre 1994 (Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable…, op. cit., p. 18). Gérard Prunier qualifie de « honte absolue » cette approbation officielle de la théorie du « double génocide » (Gérard Prunier, Rwanda : le génocide…, op.cit., p. 402).
49 Sur les collines de Bisesero, à l’ouest du Rwanda, le 27 juin 1994, une patrouille de soldats français accompagnés de trois journalistes (parmi lesquels Patrick de Saint-Exupéry) découvre une centaine de Tutsi, toujours traqués par les milices génocidaires. Bien que les survivants lui signalent l’imminence du retour des tueurs, le colonel Jean-Rémi Duval (alias Diego), qui commande le détachement français, repart en promettant de revenir les sauver dans trois jours. Duval fait part de sa découverte à ses supérieurs le soir même. En dépit de documents prouvant le contraire (notamment un fax du commandant de la force Turquoise adressé à Paris le 27 juin au soir, cf. Laure de Vulpian, Thierry Prungnaud, Silence Turquoise. Rwanda, 1992-1994. Responsabilités de l’État français dans le génocide des Tutsi, Don Quichotte, 2012, p. 241-247), l’état-major soutiendra ne pas avoir reçu ces informations. Ces faits sont pourtant rapportés par les trois journalistes présents : Patrick de Saint-Exupéry et Dominique Garraud, le 29 juin, dans leurs quotidiens respectifs (Le Figaro et Libération), Christophe Boisbouvier, dans un reportage sur RFI, dès le 28 juin à midi. Le 28 juin, des militaires français, depuis le camp de Gishyita, observent à la jumelle des hommes en armes qui poursuivent et assassinent des civils sur les collines de Bisesero. Le gendarme Thierry Prungnaud interpelle à plusieurs reprises son chef, le capitaine de frégate Marin Gillier, qui refuse de porter secours aux rescapés. Un douzaine d’hommes, parmi lesquels Prungnaud, choisissent alors de désobéir aux ordres pour se rendre à Bisesero où ils découvrent « des morts partout dans les hautes herbes » et 800 survivants « dans un état lamentable, avec des blessures horribles, puantes ». Marin Gillier, alerté, ne peut que se rendre sur place, accompagné par des journalistes (dont Patrick de Saint-Exupéry). L’état-major soutient toujours avoir découvert les victimes de Bisesero seulement à ce moment-là (Laure de Vulpian, Thierry Prungnaud, Silence Turquoise…, op. cit., p. 153-168, Jean-François Dupaquier, « Là-haut, sur la colline de Bisesero », XXI, avril-juin 2010, p. 30-39).
50 Patrick de Saint-Exupéry, « Rwanda. Les assassins racontent leurs massacres », Le Figaro, 29 juin 1994.
51 Il suffit de faire une petite recherche sur les sites des grands éditeurs français (Seuil, Gallimard, Albin Michel, Flammarion) pour s’apercevoir qu’aucun ouvrage n’y a été publié sur le rôle de la France au Rwanda. On peut parler pour le moins de frilosité concernant un sujet qui concerne tous les citoyens.
52 Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable…, op. cit., p. 236.
53 Le rôle de lanceur d’alerte joué par Patrick de Saint-Exupéry recoupe son engagement pour une presse libre. Son ouvrage, L’inavouable, a été publié par les éditions des Arènes, une maison fondée par Laurent Beccaria alors que l’éditeur chez qui il travaillait, Stock, refusait de sortir le travail de Dominique Lorentz sur les questions nucléaires et les relations franco-iraniennes. Patrick de Saint-Exupéry et Laurent Beccaria ont fondé depuis une revue désormais montrée comme un exemple de réussite dans un secteur sinistré, la revue XXI. Il faut en outre souligner le rôle des éditions La Découverte, qui se sont emparées depuis le début de ce sujet avec l’ouvrage de François-Xavier Verschave, Complicité de génocide ?..., op. cit., paru en décembre 1994 et réédité en 2013.
54 David Servenay et Benoît Collombat, « Au nom de la France », ..., op. cit., « Les trois cercles du pouvoir », p. 133-157.
55 Voir Laure de Vulpian, Thierry Prungnaud, Silence Turquoise…, op. cit., p. 93.
56 Thierry Prungnaud s’est exprimé dès 1994 lors des événements de la colline de Bisesero au micro des correspondants de Reuters et du New York Times, puis en 2005 dans le journal Le Point et au micro de France Culture. Son témoignage est retranscrit dans le cadre de l’enquête de Laure de Vulpian (Silence Turquoise…, op. cit.).
57 Citation de Thierry Prungnaud, op. cit., « La leçon de Bisesero », p. 165-169.
58 Sur les imaginaires qui favorisent le passage à l’acte génocidaire, voir Jacques Semelin, Purifier et détruire, op. cit.
59 Laure de Vulpian, Thierry Prungnaud, Silence Turquoise…, op. cit., « Un général très engagé », p. 43-49. Voir également François Graner, Le sabre et la machette, officiers et génocide tutsi, Éditions Tribord, 2014.
60 Guillaume Ancel, « L’histoire mythique de l’opération Turquoise ne correspond pas à la réalité », propos recueillis par Mehdi Ba pour Jeune Afrique, 7 avril 2014 ; « On aurait dû les arrêter », propos recueillis par François Graner et Mathieu Lopes, Billets d’Afrique, no 237, juillet-août 2014. Guillaume Ancel a été également le témoin direct d’une livraison d’armes par la France au régime génocidaire, en violation de l’embargo voté par le Conseil de sécurité le 17 mai : « Cinq à dix camions ont franchi la frontière dans la seconde partie de juillet. Moi, ce jour-là, j’étais chargé de “divertir” les journalistes présents sur place » (Guillaume Ancel, « Hanté par Turquoise », Libération, 2 juillet 2014).
61 Guillaume Ancel : « […] pourquoi est-ce la seule mission où je n’ai pas eu de briefing ? […] Sinon, c’est clair qu’on aurait refusé d’aller combattre le Front patriotique (qui arrêtait le génocide) et qu’on aurait arrêté les Forces armées (qui y participaient) », Billets d’Afrique, entretien cité plus haut.
62 Le 5 juillet 1994, le Conseil de sécurité de l’ONU autorise la France à créer une « zone humanitaire sûre » (ZHS) sur une partie sud-ouest du territoire rwandais. Pour une chronologie détaillée des relations franco-rwandaises de 1885 à 2012, voir Laure de Vulpian, Thierry Prungnaud, Silence Turquoise…, op. cit., p. 431-451. Le lecteur pourra en trouver une plus immédiatement accessible, en ligne sur le site des éditions des Arènes, de 1962 au 16 juin 1994, .
63 Laure Coret, François-Xavier Verschave (dir.), L’horreur qui nous prend au visage, op. cit., p. 87-91.
64 « Dans les camps de réfugiés qu’ils contrôlent, les militaires français accueillent indifféremment des Tutsi terrorisés et des tueurs pleins de morgue. À Nyarushishi et à Murambi, des miliciens continuent de “prélever” des Tutsi, et notamment des femmes, pour les tuer ou les violer ». Laure de Vulpian, Thierry Prungnaud, Silence Turquoise…, op. cit., p. 184.
65 Association « Survie », La complicité de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 42-43.
66 Colette Braeckman, « Du Rwanda au Zaïre, l’onde choc d’un génocide », Le Monde diplomatique, décembre 1996.
67 Justine Brabant, « Enquêter sur le Rwanda, mode d’emploi », sur le site internet d’Arrêt sur image, .
68 Benoît Collombat et David Servenay, « Au nom de la France »…, op. cit.
69 Une information judiciaire avait été ouverte en mars 1998 sur la plainte des familles de l’équipage français du Falcon présidentiel.
70 Christophe Châtelot, « Génocide rwandais : le camp Kagame innocenté », Le Monde, 12 janvier 2012.
71 Ruzibiza se disait membre d’un network commando, chargé par le FPR d’éliminer des responsables politiques rwandais en désaccord avec le FPR. Il aurait donné au juge Bruguière l’identité des tireurs et des autres membres du commando. Étrangement, Jean-Louis Bruguière n’a jamais mis en examen Ruzibiza ni l’un de ses complices supposés, Emmanuel Ruzigana, également entendu, pour leur participation à l’attentat. Installé en Norvège, Ruzibiza s’est plusieurs fois rétracté depuis, et a affirmé en 2010 à Marc Trévidic avoir donné des noms fictifs au juge Bruguière pour ne pas « mettre en danger d’autres personnes » (voir Benoît Collombat, David Servenay, « Au nom de la France »…, op. cit., p. 88-91).
72 Serge Farnel, « Rwanda, France et génocide : pions noirs, pions blancs », Controverses, novembre 2008, p. 186-196, texte en ligne sur le site de la revue : .
73 Ou commission nationale indépendante rwandaise, présidée par Jean de Dieu Mucyo, ancien ministre de la Justice du Rwanda. Ses travaux ont débuté en mai 2006 et ses conclusions ont été rendues publiques le 5 août 2008 : elles considèrent que Paris était au courant des préparatifs du génocide et a participé aux principales initiatives de sa mise en place et de sa mise en exécution.
74 Cf. supra, note 25.
75 Guillaume Ancel avoue néanmoins qu’il aurait préféré un scénario avec des tireurs « mercenaires des pays de l’Est » (cf. « Il faut rechercher les éjecteurs des missiles », entretien avec Guillaume Ancel, dans Billets d’Afrique et d’ailleurs, n° 238, septembre 2014). Voir aussi Maria Malagardis, « Rwanda : des missiles qui pointent Paris » et Linda Melvern, « Un document compromettant enterré dans les archives de l’ONU », Libération, 1er juin 2012.
76 Dans le cadre de l’opération clandestine « Insecticide », qui tire son nom des cafards (inyenzi en kinyarwanda), terme par lequel les extrémistes hutu désignaient les Tutsi. Sur le rôle de Paul Barril au Rwanda, voir l’enquête fouillée de Jean-Pierre Perrin, « Barril “l’affreux” », XXI, avril-juin 2010, p. 52-61.
77 En particulier des tubes lance-missiles qui, selon Paul Barril, auraient servi à abattre l’avion présidentiel et qu’il prétend avoir eu en mains vers le 30 avril 1994. Ces armes, censées avoir été récupérées par les FAR, n’ont, semble-t-il, jamais existé : Paul Barril contredira finalement en 2003 son propre témoignage (Benoît Collombat, David Servenay, « Au nom de la France »…, op. cit., p. 97-100).
78 C’est le fameux « J’accuse ! », lettre ouverte au président Félix Faure, publiée dans L’Aurore le 13 janvier 1898.
79 Il suffit pour s’en convaincre de parcourir les 1 500 pages de documents réunis par Jacques Morel (La France au cœur du génocide des Tutsi, Paris, l’Esprit frappeur/Izuba, Paris, 2010).
80 Les crimes de l’armée française, Algérie 1955-1962, dossier réuni par Pierre Vidal-Naquet, Paris, Maspéro, 1975, réédition La Découverte Poche, 2001.
81 Voir notamment l’interview de Jean Carbonare sur le plateau du journal télévisé de France 2, le 28 janvier 1993, de retour du Rwanda où il a participé à une commission internationale d’enquête (François-Xavier Verschave, La Françafrique…, op. cit., p. 15-20).
82 Des armes sont rassemblées et cachées, des milices (Interahamwe) sont recrutées et entraînées, des listes de Tutsi et d’opposants sont confectionnées, la propagande s’intensifie… Voir Alison Des Forges, Aucun témoin…, op. cit., p. 118-140.
83 Alain Verhaagen, « Une accablante prévisibilité », dans Radouane Bouhlal et Placide Kalisa, « N’épargnez pas les enfants ! ». Mémoire d’un génocide de proximité, Bruxelles, Aden, 2009, p. 27-40.
84 L’armée fut présente de 1990 à 1993 avec le dispositif Noroît, après décembre 1993 dans le cadre de programmes d’entraînement de différentes unités rwandaises, en avril 1994 avec Amaryllis, puis à partir de juin 1994 avec l’opération Turquoise.
85 Roméo Dallaire, commandant de la MINUAR, est avisé en janvier 1994 de l’existence de caches d’armes à Kigali, entreposées dans la perspective de l’extermination des Tutsi. Il communique ces informations à New York par un câble du 11 janvier, mais n’obtient pas l’autorisation demandée de démanteler cet arsenal clandestin (Linda Melvern, Complicités de génocide. Comment le monde a trahi le Rwanda, Paris, Karthala, 2010, p. 164-170).
86 Gérard Prunier, Rwanda : le génocide…, op. cit., p. 138-140.
87 Lors de cette opération d’évacuation des expatriés et des Occidentaux, menée par l’armée française du 6 au 19 avril 1994, les Tutsi membres du personnel de l’ambassade et des services culturels français sont abandonnés à leur sort. Voir André Guichaoua, Rwanda : de la guerre au génocide. Les politiques criminelles au Rwanda, Paris, La Découverte, 2010, chapitre X : « Les partis pris de l’ambassade de France », p. 355-407.
88 Voir Alison Des Forges, Aucun témoin…, op. cit., p. 731-734, ainsi que son témoignage dans le cadre de la CEC (Laure Coret, François-Xavier Verschave, L’horreur qui nous prend au visage…, op. cit., p. 238-240). L’homme-clé de cette entreprise de minimisation des massacres auprès des petits pays au Conseil de sécurité est le diplomate camerounais Jacques Booh-Booh, représentant spécial au Rwanda du secrétaire général Boutros-Ghali et ancien ambassadeur du Cameroun en France (1983-1988).
89 Phrase restée célèbre, prononcée par Alfred Sirven lors de l’affaire Elf (Bernard Delattre, « Alfred Sirven fera-t-il sauter vingt fois la république ? », La Libre Belgique, 2 janvier 2001).
90 Pierre Brana, député socialiste, corapporteur de la mission d’information parlementaire de 1998 ; interview sur le site nouvelobs.com, publiée le 4 avril 2014.
91 Après l’assassinat le 7 avril des dix casques bleus en charge de la protection de la Première ministre du Rwanda, Agathe Uwilingiyimana : voir Isabelle Durant, « De la responsabilité aux excuses de la Belgique », dans Radouane Bouhlal et Placide Kalisa, « N’épargnez pas les enfants ! »…, op. cit., p. 141-154.
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Pour citer cet article
Référence papier
Alain Gabet et Sébastien Jahan, « Les faits sont têtus : vingt ans de déni sur le rôle de la France au Rwanda (1994-2014) », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique, 128 | 2015, 163-186.
Référence électronique
Alain Gabet et Sébastien Jahan, « Les faits sont têtus : vingt ans de déni sur le rôle de la France au Rwanda (1994-2014) », Cahiers d'histoire. Revue d'histoire critique [En ligne], 128 | 2015, mis en ligne le 01 juillet 2015, consulté le 17 septembre 2015. URL : http://chrhc.revues.org/4673
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Auteurs
Alain Gabet
Docteur en histoire, professeur de l’enseignement secondaire
Sébastien Jahan
Maître de conférences à l’université de Poitiers
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