L’enquête sur cette figure de la mouvance identitaire du Nord - Pas-de-Calais contient des éléments très sensibles. Un lien avec les armes utilisées par le terroriste de l’Hyper Cacher de Paris est sérieusement envisagé. De plus, Claude Hermant était un informateur de la gendarmerie.
L’ombre des attentats de Paris plane sur le trafic d’armes présumé de Claude Hermant, figure de la mouvance identitaire régionale. C’est sans doute ce qui explique le mutisme de la police et de la justice. Car la volumineuse enquête de la PJ de Lille, pilotée par le juge lillois Stanislas Sandraps, contient de multiples informations explosives.
L’affaire a éclaté fin janvier, peu après les attaques terroristes. Après huit mois d’investigations, Claude Hermant, sa compagne, et un autre homme, sont mis en examen et écroués. Depuis, seul le premier reste en détention provisoire, les deux autres ayant été libérés. Selon deux sources différentes proches du dossier, « des éléments lourds » pèsent sur lui.
Depuis plusieurs années, il aurait remilitarisé « beaucoup » d’armes de guerre neutralisées provenant de pays de l’Est. « Elles ont ensuite été écoulées dans le milieu du grand banditisme, pas uniquement lillois. » Lors des perquisitions, de « nombreuses armes et munitions » ont été saisies.
Ce trafic présumé n’aurait pas servi qu’à alimenter des voyous. Dès fin janvier, nous évoquions l’hypothèse que certaines armes auraient été utilisées par Coulibaly, le terroriste de l’Hyper Cacher (attentat du 9 janvier à Paris). « C’est une piste très sérieuse, en bonne voie de confirmation. » Elle mène en Belgique, où « Claude Hermant avait des relations » dans le cadre de son réseau présumé. Rappelons que Coulibaly se serait procuré ses armes à Charleroi (B).
Si le lien se vérifie, il ne serait pas nécessairement direct. « Dans ce genre de trafic, il y a toujours un ou des intermédiaires. Claude Hermant ne connaissait pas forcément la destination finale des armes. Ça montrerait en tout cas la porosité entre certains milieux islamistes et du banditisme. » Un autre aspect s’ajoute à ce dossier. Claude Hermant était un informateur de la gendarmerie (ci-dessous). Mais il aurait trafiqué les armes, « pour son propre compte, tempèrent nos deux sources, pas celui de la gendarmerie. Il la mouille pour s’en sortir. »
Claude Hermant, du FN à la maison flamande de Lambersart
Âgé de 51 ans, Claude Hermant a un passé bien rempli dans les milieux « barbouzards » et d’extrême droite. Ancien membre de la sécurité du FN dans les années 90, il a aussi été mercenaire (Angola, Congo, Croatie). Au cours des dernières années, il s’est fait connaître dans la région en étant un leader de l’ex-Maison flamande de Lambersart. Ces derniers temps, il travaillait dans une friterie à Lille.
Ces mails qui jettent le trouble
« Salut Claude, nous avons vu avec notre hiérarchie… Nous sommes partant(s) pour les deux dossiers que tu nous as présentés (armes-Charleroi…)… » Imaginons que vous tombiez sur ce type de message (parmi une dizaine) qui aurait été envoyé par un gendarme à Claude Hermant, le 21 novembre 2014 à 8 h 47. Que ce mail soit en possession du juge d’instruction en compagnie d’autres pièces transmises par un homme sourcilleux. Qu’un proche du prévenu certifie que « Claude Hermant a assuré ses arrières… », voilà qui ajouterait au trouble. Poursuivi pour trafic d’armes en bande organisée (lire ci-dessus), Claude Hermant, 51 ans, placé à l’isolement au centre pénitentiaire de Lille-Annœullin, entend « laver son honneur ». « Mon client est un combattant, il n’aurait jamais travaillé contre les intérêts de son pays », poursuit Me Maxime Moulin.
La question est de savoir si le prévenu, via ces mails, était missionné (instrumentalisé) par quelques services de renseignements de la métropole lilloise. Si ces missions ont bien conduit l’ex-barbouze près de Charleroi pour y surveiller un hypothétique trafiquant. Si cette affaire croise le travail de la justice belge qui cherche à déterminer la solidité des liens entre Amédy Coulibaly et un trafiquant d’armes présumé domicilié à… Charleroi. Si le Lillois a joué le jeu des services ou double jeu.
« Le prochain Marc Fievet »
Selon nos informations, l’ex-mercenaire aurait acheté des armes « neutralisées » via une entreprise slovène (AFG) ayant pignon sur rue. « Il se servait de ces armes pour infiltrer le grand banditisme… », affirme un familier. Le renvoi à un message daté du 24 mai 2014 délivré à l’un de ses correspondants gendarmes se montre plus précis : « afg livre des armes qui ensuite suivent un circuit de remilitarisation et finissent dans les quartiers (lillois). » Les enquêteurs restent convaincus que Claude Hermant, présumé innocent, serait la tête pensante d’un important trafic au minimum régional. La nature des armes saisies, leur nombre, les factures… doivent permettre de clarifier une situation complexe.
Une affaire de vengeance et de balance plane également sur ce dossier dont chaque tiroir possède ses secrets. Joint ce jeudi, l’état-major de la gendarmerie de Villeneuve-d’Ascq renvoie à « la commission rogatoire internationale, aux services de police concernés, au procureur… ». Dans les couloirs du palais de justice, Claude Hermant s’était fait plus loquace. Il ne serait pas « le prochain Marc Fievet ». Allusion directe à cet ex-inspecteur des douanes français arrêté par les autorités canadiennes et lâché par sa hiérarchie. Qui, après avoir purgé onze ans de prison, se bat pour obtenir sa réhabilitation. Que le chemin s’annonce long.
Patrick Seghi