Fiche du document numéro 10380

Num
10380
Date
Novembre 2007
Amj
Auteur
Fichier
Taille
1008512
Pages
33
Titre
Les représentations françaises du Rwanda
Cote
No 6
Source
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
David Rigoulet-Roze

CONTROVERSES

Les REPRÉSENTATIONS
françaises DU RWANDA
David Rigoulet-Roze
David Rigoulet-Roze est enseignant
et chercheur et consultant en
relations internationales. Il a
notamment publié Géopolitique de
l’Arabie saoudite : des Ikhwans à
Al-Qaïda (Armand Colin, 2005).

« La peur, le complexe d’infériorité et le besoin “atavique” d’un tuteur, attribués à l’essence du Muhutu, si
tant est vrai qu’ils sont une réalité, sont des séquelles du système féodal ».
Manifeste des Bahutu,
Note sur l’aspect social du problème
racial indigène au Ruanda, 24 mars 1957.
« [Juvénal Habyarimana] représentait à Kigali une ethnie majoritaire à 80 % »
Le Président François Mitterrand,
in Le Figaro, 9 septembre 1994.
« Selon sa conception idéalisée [celle du Président François Mitterrand], au Rwanda, les Hutus devaient
nécessairement être au pouvoir car ils étaient la majorité » (…) « Il considérait que les troupes tutsies du FPR étaient
constituées en majorité d’Ougandais et qu’il s’agissait donc d’une invasion extérieure, ce en quoi il n’avait pas toutà-fait tort »
Bernard Debré, ancien ministre de la Coopération
de François Mitterrand de novembre 1994 à mai 1995,
auditionné par la Mission parlementaire française
sur le Rwanda le 2 juin 1998.
« Je dis agression “venue de l’extérieur”, je ne dis pas qu’elle ne comportait pas une revendication légitime.
C’était une minorité qui réclamait son droit, et ce droit pouvait s’exprimer dans un régime démocratique que nous
avons souhaité instaurer. Est-ce qu’il était légitime d’aller chercher une aide extérieure dans les conditions que l’on
connaît maintenant, pour combattre une autorité légitime reconnue sur le plan international ? »
Roland Dumas, ancien ministre des affaires étrangères
de François Mitterrand de mai 1988 à mars 1993,
auditionné par la Mission parlementaire française
sur le Rwanda le 30 juin 1998.

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es grilles de lecture « européo-centristes » à travers lesquelles les Européens
perçoivent le Rwanda ont eu un effet profondément néfaste sur les événements
tragiques auxquels a été confronté le Rwanda contemporain. Plaquées sur les
sociétés de la région des Grands Lacs en général, et du Rwanda en particulier,
depuis la colonisation européenne – qui fut d’abord allemande puis surtout
belge, pour s’achever avec l’engagement français controversé de la première
moitié des années 1990 – elles sont restées à l’oeuvre à l’époque post-coloniale
qui a vu s’installer une situation toujours plus convulsive entre supposées
« ethnies » tutsie et hutue, jusqu’à l’apocalypse du génocide des Tutsis et Hutus
« modérés », perpétré entre avril et juin 1994.

A la recherche des sources mythiques du Nil
C’est en 1858 que les premiers Européens, les Anglais John Hanning Speke (18271864) et Sir Richard Francis Burton (1821-1890)1, partis à la recherche de la
mythique source du Nil, découvrirent la région dite des Grands Lacs. Ils furent
stupéfaits de trouver des royaumes bien structurés, dirigés par des Noirs dont
beaucoup avaient une peau peu foncée, une taille élancée et des traits fins – soit
un phénotype conforme aux canons esthétiques européens – et rappelant certaines populations de la corne de l’Afrique. L’idée que des royaumes aussi bien
organisés aient pu apparaître « au cœur des Ténèbres » – pour reprendre le
titre éponyme du livre de Joseph Conrad (1857-1924)2 – était tout simplement
irrecevable dans le contexte colonial de l’époque. Toute civilisation supérieure
ne pouvait qu’être l’oeuvre de Blancs. Une autre explication s’imposait nécessairement. C’est ainsi qu’on en vint à considérer que ces populations étaient certainement de lointains descendants de Blancs parvenus jusque-là à la faveur d’une
très ancienne migration. Dès lors que les doctrines polygénistes – niant l’origine
commune des divers groupes humains – étaient scientifiquement disqualifiées par la démonstration darwinienne de l’évolutionnisme, seule une théorie
prenant appui sur les migrations, voire les conquêtes, semblait en mesure de
rendre compte de la diversité des phénotypes constatés. Dans son Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855), le comte Joseph-Arthur de Gobineau
(1816-1882) avait déjà parlé de la « descente primordiale des peuples blancs »,
celles de prétendus « Chamites » venus, à l’instar des autres Blancs, d’Asie
septentrionale et qui se seraient répandus le long des côtes arabes jusque dans
l’Est de l’Afrique. L’explorateur John Speke, ne fera que reprendre à son compte
cette théorie fumeuse dans son livre à succès intitulé Journal of The Discovery of
The Source of The Nile (1863). Il y présenta notamment les peuples abyssinien,

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galla, somali, hima et tutsi comme les représentants d’une race conquérante
« sémito-hamitique » venue du Nord et tout particulièrement d’Ethiopie. Cette
théorie trouvait son fondement pseudo-scientifique dans une lecture du texte
biblique revisitée pour les besoins de la cause.
Cela renvoyait directement à un problème qui s’était posé dès la fin du
XVIIIe siècle, lorsque l’étude des bas-reliefs et fresques égyptiens, rendue possible
par l’expédition d’Egypte (1798-1801) de Bonaparte, avait révélé que l’une des
plus anciennes civilisations connues pouvait être due à des Noirs3. Jusqu’alors, ces
derniers avaient été présentés comme les « fils de Cham ». Dans la Bible, Cham
(Ham en hébreu), l’un des fils de Noé, vit la nudité de son père ivre et s’en moqua
auprès de ses frères Japhet et Sem. A son réveil, Noé aurait maudit, non pas
directement Cham, mais Canaan ou Chanaan, l’un de ses fils (chapitre 10 de la
Génèse) qu’il condamna alors à devenir esclave de ses oncles Japhet et Sem, ainsi
que sa descendance. Les fils de Cham auraient ainsi été voués à l’esclavage, une
manière somme toute commode de légitimer a posteriori la traite du « Bois
d’ébène ». Mais l’idée que des « pécheurs maudits » pussent avoir été à l’origine
d’une civilisation élaborée était jugée si inconcevable qu’on en vint à considérer
que la Bible devait être réinterprétée puisque la « vérité révélée » ne pouvait être
mise en question. Comme Cham lui-même n’avait pas été maudit, on transforma
donc les Egyptiens à la peau foncée, visibles sur les fresques, en descendants
d’un autre fils de Cham, sur qui – heureusement – ne pesait pas la malédiction.
Ce fils était présenté comme un « caucasoïde » qui, sans mauvais jeu de mots, s’en
trouvait « blanchi ». C’est donc cette autre lignée de Cham – lequel avait trois
autres fils (Cusch, Mitsraïm et Puth) –, qui est censée avoir donné ceux que l’on
qualifie aujourd’hui, anthropologiquement parlant, de « Nilotiques ». Cela permettait
de rendre compte de l’existence de « Pharaons noirs » de la civilisation « couchitique » de Méroé4, une « monstruosité culturelle » qui ne pourrait s’expliquer
que par cette supposée ascendance chamitique. C’est dans ce cadre que s’inscrit
également la « race » supposée des « Hamites » de laquelle dériveraient les Tutsis de la région des Grands Lacs. Ils seraient issus lointainement de la lignée du
fils non maudit de Cham. Leur phénotype, jugé « plus fin » que celui des bantous
majoritaires, décrits comme « plus grossiers », constitua longtemps la configuration
d’un génotype à valeur scientifique largement relayée par la description qu’en fit
un explorateur comme John Speke.

L’éphémère colonisation allemande mais l’implantation durable de l’Eglise
catholique
Au cours des années 1880, John Speke fut suivi par des explorateurs allemands,
amorce d’une pénétration coloniale germanique dans la région. En 1890, mal-

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gré les réticences du mwami (« roi ») rwandais Yuhi V Musinga, les Allemands
parvinrent à intégrer les territoires du Ruanda et de l’Urundi – initialement
dévolus par le Traité de Berlin5 à ce qui était alors le Gesellschaft allemand
(« sphère d’influence ») –, à leurs possessions d’Afrique orientale, la Deutsch OstAfrika6. L’Afrique Orientale Allemande était placée sous l’autorité d’un gouverneur basé à Dar-es-Salaam en Tanganyika (actuelle Tanzanie). Sous la supervision de ce dernier, le Ruanda et l’Urundi étaient administrés respectivement
par un « Résident » avec l’aide non négligeable des missionnaires catholiques.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, il revint en effet à l’Allemagne, pourtant d’obédience protestante, d’avoir introduit l’Église catholique qui, en tant que
double spirituel du pouvoir politique, allait avec succès prendre en charge les
secteurs de l’enseignement et de la santé. En effet, dans la foulée des explorateurs allemands, des prêtres de la « Société des Missionnaires d’Afrique », plus
connus sous le nom de « Pères Blancs » (essentiellement francophones belges et/ou
Français), envoyés par le cardinal Lavigerie (1825-1892), le fondateur de l’ordre
(1868), commencèrent à s’introduire au Burundi. La première caravane arriva à
Rumonge, sur les rives du lac Tanganika, dès 1879. Trois de ces missionnaires furent
massacrés par la population locale en 1881. En 1891, une autre caravane de « Pères
Blancs » tenta de s’installer à Uzige, près de l’actuel Bujumbura. Ses membres
furent également massacrés peu après. Les « Pères Blancs » tentèrent alors de pénétrer au Burundi par le Nord-Est et réussirent cette fois à s’installer et à fonder
une mission catholique à Muyaga en 1898, qui sera suivie par plusieurs autres, dont
celle de Buhonga, située à 10 kilomètres dans les contreforts surplombant Bujumbura à l’Est7. C’est de là que devait partir la « conquête des âmes ».
Ce sont les Allemands qui fondèrent Usumbura (aujourd’hui Bujumbura) en
1899. Ces derniers finirent par imposer leur « protectorat » au mwami (« roi ») de
l’Urundi Mwezi Gisabo (1850-1908) qui signa le 6 juin 1903 avec Berlin le traité
de Kiganda, en référence à une localité située dans le centre du pays et où le
mwami avait une résidence. Les termes de ce traité stipulaient, entre autres, que
le roi reconnaissait l’autorité du colonisateur allemand. En échange, l’Allemagne
reconnaissait sa royauté. Par commodité du fait d’effectifs réduits, les Allemands
optèrent pour le système britannique de l’indirect rule (« auto-administation
locale ») ou « administration indirecte ». Le gouverneur allemand assurait en
quelque sorte le rôle du mwami, mais était contraint de s’appuyer sur la collaboration des chefs locaux – notamment tutsis, mais pas exclusivement –, pour assurer son contrôle sur les populations nombreuses de la région.
Or, les missionnaires catholiques avaient justement pour instruction de la part
du cardinal Charles-Martial Lavigerie de gagner la confiance des chefs afin de les
convertir en priorité avec l’idée toute « papale » qu’ils entraîneraient avec eux le

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reste de la population, comme le baptême de Clovis en 496 était supposé l’avoir
fait avec ses Francs dans le prolongement de la conquête de la Gaule romaine au
début du Ve siècle. Cette comparaison est tout sauf contingente. Les premiers
« Pères Blancs » qui vinrent évangéliser le Rwanda à partir de 1900 étaient tout
empreints d’un historicisme largement suranné. Hutus et Tutsis furent immédiatement transposés comme l’équivalent des Gaulois et Francs dans l’Histoire
de France avec les attendus d’ailleurs contradictoires que cela pouvait induire en
termes d’aliénation. Le même cardinal Lavigerie imposait ainsi aux futurs « Pères
Blancs » la lecture assidue de l’ouvrage du comte Charles de Montalembert
(1810-1870) paru en 1860, Les moines d’Occident8, archétype du thème du dualisme
Gaulois/Francs9. Certains, comme le Père Martial de Salviac10, allèrent même jusqu’à entretenir des confusions intellectuelles farfelues, en voyant dans les populations « hamitiques » susmentionnées des descendants de Gaulois sous le prétexte pour le moins ténu qu’il y aurait eu une ressemblance phonétique entre
« Gaulois » et « Galla », nom d’une ethnie « hamitique » d’Afrique de l’Est.
Cette hypothèse délirante figure même dans un livre de référence pour l’époque,
Le Sphinx noir, écrit en 1926 par le Comte de Briey11 (1799-1877), que le gouvernement belge avait envoyé en mission en 1917 au Rwanda pour tenter de
déterminer la politique idoine à mener dans ce pays12.
La question qui s’était rapidement posée consistait en effet à savoir sur
qui s’appuyer au sein de sociétés complexes qu’ils comprenaient mal. Cela
avait suscité des débats très contradictoires, à la fois au sein de l’Eglise catholique,
et de l’administration coloniale allemande. D’après John Speke et les explorateurs allemands qui lui succédèrent, les chefs ne pouvaient être que des Tutsis.
Monseigneur Jean-Joseph Hirth (1854-1931), l’évêque des « Pères Blancs »,
dont la connaissance du pays était des plus limitées, estimait que le mwami
devait être tenu pour seul roi afin de devenir le futur « Clovis » de la contrée. Mais
d’autres « Pères Blancs », anthropologues avant la lettre, comprirent rapidement
que la situation était beaucoup plus complexe qu’elle ne le laissait penser,
notamment dans le Nord du Rwanda. Le fait est que l’autorité du mwami était
loin d’être absolue comme cela avait pu être le cas en Europe, et en France en
particulier. En outre, tous les Tutsis ne faisaient pas partie de la cour du roi, loin
s’en faut, et il existait dans le Nord du Rwanda et à la périphérie du Rwanda central – concrètement délimité par ce qui se situait en deçà ou au-delà de la rivière
Nyabaronogo – des principautés hutues, voire de petites royautés, plutôt rétives
à l’emprise du mwami, dont la souveraineté se limitait le plus souvent à la perception de tributs représentant un faible pourcentage des récoltes, quand ses
envoyés n’étaient pas accueillis, dans le meilleur des cas par des quolibets
sinon par des volées de lances hostiles13.

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Le fait est que, dès le début du XXe siècle, se dessina une opposition farouche
entre des Européens pro-Hutus et pro-Tutsis, qui s’expliquait largement par
une généralisation erronée à l’ensemble du Rwanda de l’organisation sociale que
croyaient discerner les « Pères Blancs », sans réaliser que le pays était loin
d’être aussi homogène qu’ils le pensaient. Les problèmes rencontrés par l’évangélisation des populations considérées jouaient aussi leur rôle. Les dissensions
entre « Pères Blancs » furent parfois d’une violence peu courante pour un
milieu prêchant le pacifisme. Cette violence était accrue par les tensions que le
débat suscitait avec l’autorité allemande, laquelle avait d’emblée délibérément
choisi de soutenir le mwami. Il était en effet plus aisé d’avoir un interlocuteur
unique plutôt qu’une multitude de petits « roitelets locaux » et/ou de chefs de
lignages plus ou moins indépendants, qu’ils soient tutsis ou hutus d’ailleurs. Cette
politique ne faisait pas consensus au sein de l’administration coloniale allemande. Le déclenchement du premier conflit mondial ne laissa pas le temps à
l’Allemagne de trancher la question.

La période du « mandat » colonial belge et l’hégémonie idéologique des
« Pères Blancs »
L’onde de choc de la 1ère guerre mondiale devait se faire sentir jusque dans
cette partie lointaine de l’Afrique. En effet, les Belges, présents au Congo et
alliés des Britanniques contrôlant l’Afrique australe, allaient chasser définitivement les Allemands de toutes leurs colonies africaines. Ils amputèrent dans
un premier temps une partie du Rwanda qu’ils placèrent sous leur « protectorat », tandis que les Britanniques annexaient les districts septentrionaux à leur
colonie d’Ouganda. Finalement victorieuse de la Deutsche Ost-Afrika, dont les
troupes avaient tenté d’envahir le Congo voisin, la Belgique occupa à partir de
juin 1916 l’ensemble des territoires qui allaient devenir le « Ruanda-Urundi »,
placé sous « mandat »14 de la « Société des Nations » et officiellement confié à
la Belgique le 20 juillet 192215. La tutelle ratifiée par la Belgique le 20 octobre
1924 fut exercée à partir de Bujumbura, devenue capitale du « mandat » belge
connu sous le nom de Ruanda-Urundi.
Les Belges ne connaissaient quasiment rien des territoires qu’ils prenaient en
charge. Ils allaient donc se tourner vers ceux qui étaient sur place depuis le début
du siècle, à savoir les supérieurs des « Pères Blancs », et notamment vers le
vicaire apostolique résolument pro-tutsi de Monseigneur Hirth, à savoir Monseigneur Léon Classe, premier évêque nommé au Rwanda en 1922. Selon ce dernier, ainsi qu’il l’écrivit à plusieurs reprises, les Tutsis, de « race hamite » et originaires d’Egypte, avaient conquis les Bantous hutus depuis trois cents à trois
cent cinquante ans, soit vers le milieu du XVe et le début du XVIe siècle de notre ère.

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Il les décrivait alors en ces termes : « Les Batutsis ont pour eux le savoir-faire, le
tact, des manières que n’ont pas les Bahutus plus frustres et plus timides. Ils ont
encore un sens réel du commandement, qui se remarque même chez des enfants
de quatorze ou quinze ans. Le Muhutu, lui, est travailleur, plus tenace, mais
moins dégrossi »16. Concernant la détermination du partenaire indigène jugé le
plus apte à une collaboration avec la tutelle coloniale et l’Eglise, Monseigneur
Classe s’exprima en des termes qui ne laissaient la place à aucune ambiguïté :
« Quant à nous-mêmes, au point de vue religieux, puisque c’est le nôtre, nous
croyons, expérience faite, que l’élément mututsi est pour nous le meilleur, le plus
actif, le plus convaincu, le plus capable de faire dans la masse le rôle de ferment »17. Consulté par le nouveau pouvoir colonial sur la politique à mener, Monseigneur Classe conseilla à chaque fois de s’appuyer exclusivement sur les chefs
tutsis entourant la cour royale du mwami comme l’avaient fait les Allemands.
A l’instar de l’Allemagne donc, la Belgique entreprit d’administrer le RuandaUrundi selon ce principe de l’administration indirecte, qu’elle avait déjà expérimenté
dans sa colonie voisine. Le Décret du 2 mai 1910, qui inspirait généralement la politique indigène de la Belgique, imposait en effet la reconnaissance de la légitimité des chefs coutumiers (qui jouissant d’un statut et d’un salaire de fonctionnaires) qu’il érigeait ainsi en relais obligatoire entre l’administration belge et les
populations colonisées. Au Rwanda-Urundi, l’autorité coutumière revenait donc
théoriquement toujours au mwami (« roi ») et, par délégation, aux Baganwa
(« princes de sang »), puis aux Batutsis, considérés comme appartenant à une « caste
noble » censée exercer sa domination sur la population hutue.
Mais cette supposée administration indirecte différait en réalité profondément
de celle mise en place par les Allemands. Et selon les dires mêmes d’un administrateur belge, c’était quasiment une administration directe, « la plus ‘directe’
qu’il soit possible d’imaginer », car elle légiférait jusque dans les moindres
détails, ne laissant aux chefs tutsis qu’un rôle de simples exécutants18. Les Belges
suivirent d’autant plus facilement les recommandations de Monseigneur Classe
que la symbiose était totale entre pouvoir colonial et Eglise catholique. Il faut rappeler que la Belgique était un royaume profondément catholique. Le gouvernement colonial belge avait alors confié à l’Église catholique tout le secteur scolaire et la santé : les « Pères Blancs » introduisirent notamment l’alphabet latin
et une orthographe commune pour le kinyarwanda (une langue bantoue) parlé
au Rwanda comme pour le kirundi (également une langue bantoue très proche
de la précédente) parlé au Burundi ; quand quelqu’un était malade c’était chez
les « Pères Blancs » que l’on allait se faire soigner grâce à la médecine européenne qui allait à l’encontre des croyances en la médecine traditionnelle taxée
de sorcellerie. De fait, l’Eglise combattit vigoureusement la religion locale (consi-

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dérée comme païenne parce qu’animiste) basée qu’elle était sur le culte de
Kiranga19 et mit tout en oeuvre pour affaiblir la royauté sacrée du mwami, puis
supprimer ce qui faisait figure de « théocratie » rwandaise. Et ce, d’autant plus
que le mwami ne manifestait pas un entrain particulier pour cette « évangélisation politique ». Et Monseigneur Classe de déplorer à propos du Rwanda : « Jusqu’à présent, rien au point de vue politique ou dans les sphères administratives
du Rwanda n’a vraiment favorisé le catholicisme. Nous n’avons pas de Messieurs pratiquants comme dans l’Urundi, et Musinga [Yuhi V Musinga qui avait
succédé au mwami Kigeli Rwabugili (1860-1895) à l’issue d’un coup d’Etat et
qui ne conserva le pouvoir que grâce à l’appui colonial allemand, puis belge,
jusqu’à sa destitution en 1931] a toujours conservé son autorité, laquelle devint
de plus en plus anti-catholique. Couramment, il le dit : les catholiques sont ses
ennemis, les ennemis des coutumes du Rwanda… »20.
Les « Pères Blancs » avaient leur mot à dire pour toute décision importante prise
par le pouvoir colonial. Le rôle central joué par Monseigneur Classe dans la destitution en 1931 de mwami Musinga parce qu’il refusait la conversion au catholicisme en constitue la preuve patente. En août 1927, dans une lettre à la maison-mère
des « Pères Blancs », Monseigneur Classe écrivait en anticipant les événements à
venir : « Il semble que Musinga, par suite de son opposition folle au gouvernement et à tout ce qui est européen, tend à une solution qui lui sera funeste »21.
La destitution de Musinga était donc inévitable. Le gouverneur belge Postiaux écrivit dans un rapport au ministère des Colonies en date du 28 mai
1929 : « Le gouverneur n’avait aucune idée préconçue sur le roi, mais dès à
présent il considère que la pratique de l’administration n’a rien à gagner, au
contraire, même aux yeux des nobles batutsis, qui méritent notre considération
[…] Je puis conclure que le gouvernement ne s’exposerait, dans le Rwanda, à
aucun mécompte en reléguant Musinga et en lui réservant une pension… »22.
Cette destitution intervint en novembre 1931. Comme l’écrivit le Père Rutayisire : « Le jour fatidique pour Musinga est arrivé le 12 novembre 1931. Le gouverneur arrive à Nyanza avec une troupe de soldats, en présence de tous les
chefs du pays. Il a un entretien avec Musinga dans la matinée. Le roi apprend
qu’il est destitué et reçoit l’ordre de partir le surlendemain pour Kamembe
[dans ce qui sera plus tard la préfecture de Cyangugu] où une maison lui a été
aménagée, puis une prison quelque temps après. Au jour indiqué, vers dix
heures, une colonne d’environ 700 personnes et 14 véhicules ont quitté Nyanza
[…] Parmi les partants, il y avait Musinga… » »23.
Musinga24 fut remplacé par son fils Mutara III Rudahigwa (1931-1959),
beaucoup plus docile parce que « catéchumène », soit une personne qui n’est
pas encore formellement baptisée, mais qui s’instruit pour le devenir.

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Baptisé le 17 octobre 1943, il choisit des noms significatifs de sa soumission
à la foi missionnaire du colonisateur : Charles, Léon, Pierre (le premier en
référence à Charles Le Bon, comte de Flandres ; le deuxième en référence au Saint
patron de Monseigneur Classe ; le troisième en référence au Saint patron de son
parrain Ryckmans, gouverneur-général de l’Afrique belge). La reine-mère sera
baptisée par la même occasion et prendra le nom de Radegonde, reine des
Francs mérovingiens au VIe siècle et épouse de Clothaire Ier, fils de Clovis le barbare converti.
Lors de l’intronisation de Mutara III Rudahigwa, Monseigneur Classe préféra rester en retrait : « Le nouveau roi fut intronisé solennellement le
16 novembre. Les officiers belges, les chefs, la population des environs de
Nyanza, personne ne manque au rendez-vous, sinon Monseigneur Classe qui
avait jugé prudent de ne pas s’afficher publiquement pour ne pas laisser soupçonner le rôle qu’il avait eu dans la destitution […] »25.
Le nouveau roi finira par consacrer son royaume au Christ-roi en 1946
lors d’une cérémonie orchestrée : Rudahigwa déclara reconnaître dans le Christ
« le souverain Maître du Rwanda, la racine de laquelle sort tout pouvoir et toute
puissance » et rejeter « les erreurs et les vices du paganisme »26. Prenant pleinement conscience de la puissance de l’Eglise, les chefs tutsis dans l’entourage du roi comprirent rapidement que leur intérêt était de se convertir et de servir d’exemple à leur « clientèle ». Il s’ensuivit une vague de conversions restée
dans les mémoires sous le nom de « Tornade des conversions ». Signe éclatant
de l’implantation du catholicisme au Rwanda, en vingt ans, plus de 90 % des
Rwandais devinrent catholiques. Le français devint la langue officielle, car la plupart des missionnaires étaient francophones (de nationalité française ou belge).

La cristallisation du « complexe ethnique » par l’Eglise catholique
A partir de 1930, sous l’influence de l’Eglise catholique qui jugeait que la supposée « caste » des Batutsis jouissait d’un prestige qui la prédestinait en quelque sorte
à dominer, contrairement au peuple hutu, plutôt appelé à obéir, les chefs hutus (souvent considérés comme de simples « sous-chefs ») furent progressivement écartés27. Le gouvernement belge avait décidé dès 1926 de modifier en profondeur l’administration de la colonie. Les fonctions de chef devinrent « héréditaires ».
L’Administration coloniale décida que dorénavant, à travers tout le Rwanda, les chefs
devaient être exclusivement des Tutsis jugés « plus aptes à gérer » le pays.
Dans cet esprit, l’école fut alors majoritairement réservée aux futurs « chefs »
– soit aux Batutsis. Il s’agissait officiellement de créer une « école de fils de
chefs » afin d’assurer la pérennité du système mis en place. Ce fut l’instauration
du Groupe scolaire d’Astrida (dans ce qui devint préfecture de Butare au

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*Tutsis et Hutus confondus.

Rwanda), lequel fut confié aux « Frères de la Charité de Gand ». Pratiquement,
seuls des Tutsis issus des grands lignages y étaient admis. Quant aux autres Tutsis, ils avaient la possibilité de prolonger leurs études après l’école élémentaire
en allant au séminaire des « Pères Blancs » où ils pouvaient être amenés à
côtoyer quelques rares Hutus suffisamment doués pour avoir été remarqués. Mais
de manière générale, si les jeunes Tutsis étaient poussés à aller à l’école dont l’enseignement se faisait à la fois en français et en kinyarwanda, les fils des Hutus
n’avaient souvent plus que la possibilité de devenir agriculteurs comme leurs
parents étaient censés l’avoir toujours été.
La maîtrise par l’Eglise de l’enseignement à travers l’écrit eut un effet redoutable sur les différents groupes de la société rwandaise en général, et sur les
futurs cadres tutsis en particulier, dont la mémoire historique avait jusque-là été
exclusivement orale. L’Eglise assura leur « conversion » au catholicisme en leur
« enseignant » – alors même qu’aucune tradition orale n’évoquât une quelconque
conquête « hamitique » et qu’il n’y avait pas à l’intérieur des limites du Rwanda
pré-colonial une unité culturelle et symbolique avérée28 – qu’ils formaient les
« seigneurs féodaux » (évolués et apparentés à la « race blanche »), alors que les
Hutus étaient présentés comme de simples « serfs » (« négroïdes » et donc sauvages) voués à la domination. L’ouvrage qui joua un rôle majeur dans la construction des représentations coloniales opératoires sur la société rwandaise fut l’oeuvre
du chanoine français Louis de Lacger (du clergé d’Albi) qui ne fit somme toute que

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transcrire les idées et les projections historiques de Monseigneur Classe, son
ancien condisciple de Saint-Sulpice qui vivait dans le pays depuis une trentaine d’années. Paru une première fois avant la Seconde Guerre Mondiale dans la revue des
« Pères Blancs », cet ouvrage intitulé sobrement Ruanda29 fut réimprimé par la
suite à Kabgayi, le siège archiépiscopal. Il reprenait pour l’essentiel les thèses
développées dans un livre du Révérend Père A. Pagès intitulé Un Royaume hamite
au centre de l’Afrique, publié au début des années 1930 par l’Institut royal colonial belge. Le Rwanda y était caractérisé comme un royaume « hamite » comportant « trois groupes ethniques, qui constituent à peu près trois classes sociales »
: d’abord les « pygmées » dénommées Twas, seuls véritables « autochtones » ; puis
les agriculteurs bantous, à savoir les Hutus, « formant le gros du peuple » ; enfin
les Tutsis, « élite sociale, possédant richesse, prestige, pouvoir […] des gens de
haute mine et qui en imposent […] des magnats […] des hommes nés pour le
commandement », venus d’Abyssinie en poussant leurs troupeaux de vaches,
guère « au-delà du XVe siècle »30.
Par-delà les références « bibliques » déjà mentionnées, toute l’histoire du
Rwanda était appréhendée à travers le prisme déformant de la France médiévale,
à la fois mérovingienne, carolingienne et capétienne. L’existence de « roitelets » hutus n’était certes totalement pas niée, mais l’« unité rouandienne »
était présentée comme ayant été le fait d’une seule « royauté hamite », à partir
d’une base géographique qualifiée par Louis de Lacger « d’Ile-du-Ruanda »,
par analogie avec la dynamique qui aurait présidé à la réalisation de l’unité du

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Royaume de France depuis l’« Ile-de-France ». La société rwandaise était de
fait assimilée à une société médiévale avec une royauté « pour partie une monarchie centralisée et pour partie une monarchie féodale », dont le mwami, avatar
africain de souverain mérovingien, aurait accordé à ses « vassaux » des « fiefs »,
et où les Hutus seraient les « serfs » assignés par leurs « seigneurs » tutsis31, à
l’instar des Gallo-romains de la fin de l’Antiquité soumis par la conquête des envahisseurs Francs. Une distorsion anthropo-historique par ailleurs problématique si l’on songe que le prestige social dans le monde médiéval européen
découlait exclusivement de l’obtention d’une terre, alors que dans la société
rwandaise c’est plutôt la possession de bétail et non de terre qui conférait ce
même prestige. C’est ce qui permettrait de rendre compte de l’existence controversée de l’ubuhake 32 – un système de « clientèle » reposant sur le prêt ou
contrat de vaches –, en ajoutant en outre que, dans le Nord du Rwanda, les
colonisateurs allemands et les « Pères Blancs » constatèrent étonnés que des troupeaux de plusieurs milliers de têtes appartenaient non pas à des Tutsis mais à
des Hutus aisés33.
Toujours est-il que le mythe véhiculé des « Tutsis évolués » et des « Hutus
destinés à obéir » fut méthodiquement véhiculé pendant plusieurs décennies
par les missionnaires34, les enseignants, les intellectuels et les universitaires,
notamment rwandais35, qui accréditèrent cette vision de la société rwandaise jusqu’à la fin des années soixante. Le résultat de cette « mission civilisatrice » fut
de conférer aux Tutsis un pouvoir qu’ils n’avaient jamais connu avant la période
coloniale, et d’entraîner chez les Hutus une situation d’exploitation sans commune mesure avec leur situation traditionnelle préexistante.
D’autres dispositions eurent pour effet de cristalliser les rivalités entre les
deux groupes : les Belges imposèrent une « carte d’identité » (1933-1934) avec
la mention « ethnique » Tutsi ou Hutu, ce qui eut pour effet d’accentuer la distinction « sociale » entre les deux groupes, laquelle se transformera plus tard en
ségrégation « raciale »36. Les Tutsis bénéficièrent d’avantages considérables
aux dépens des Hutus. Ces derniers furent régulièrement soumis aux travaux
forcés dans les plantations ou les carrières. Les Tutsis reçurent l’ordre de fouetter les Hutus, sinon ils risquaient de se faire fouetter eux-mêmes par les colons
belges. L’Administration coloniale exigea même que tout propriétaire de dix
vaches et plus soit considéré comme un Tutsi, les autres demeurant automatiquement des Hutus37. C’est alors que les Tutsis pauvres devinrent automatiquement des Hutus et que les Hutus riches devinrent des Tutsis. Une telle
dichotomie entre Tutsis et Hutus n’existait tout simplement pas auparavant
puisqu’un Hutu qui possédait plusieurs têtes de bétail pouvait, de ce fait, être
déclaré Tutsi. Le phénomène inverse existait également. Alors que l’identité

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sociale était culturellement patrilinéaire – c’est-à-dire se transmettait par filiation paternelle – un Hutu détenant une importante quantité de bétail pouvait
épouser sans difficulté particulière une Tutsie et ses descendants allaient être
considérés comme Tutsis du fait de la richesse paternelle et en dépit de son
origine hutue. A contrario, les mêmes causes produisant les mêmes effets, des
Tutsis appauvris finissaient par devenir Hutus38.
Cette politique du colonisateur belge finit par diviser encore davantage la
société rwandaise de l’époque, car cette distinction signifiait que les riches
étaient nécessairement des Tutsis et les pauvres, des Hutus. Les deux communautés autochtones, qui avaient vécu en paix durant plusieurs siècles, en vinrent à se détester en raison des rivalités suscitées par les diverses décisions
prises dans le cadre du système colonial. La politique institutionnalisée par le
colonisateur et l’Eglise catholique avait développé chez les Tutsis un véritable complexe de supériorité, alors que, chez les Hutus, s’était durablement installé un
puissant sentiment de rancoeur et de haine.

La volte-face du pouvoir colonial et de l’Eglise
sur la « question ethnique »
Une nouvelle génération de prêtres flamands, d’origine plus modeste que leurs
collègues francophones, commença alors à s’identifier davantage aux Hutus
et entreprit de former une « contre-élite » hutue en leur apprenant le néerlandais. Ces Hutus devinrent les leaders d’une « nation hutue » selon la terminologie
européenne et s’impliquèrent dans la politique active à l’origine d’un renversement complet de perspective sur la question « ethnique ». Ce phénomène
semble d’ailleurs intimement lié à l’évolution de la situation interne à la Belgique.
En effet, au modèle « féodal » français dérivé de la théorie de la « dualité nationale » entre Gaulois et Francs, allait s’ajouter une nouvelle projection sur la
société rwandaise, celle du problème récurrent entre Wallons et Flamands.
Selon l’historien Ian Linden39, des administrateurs flamands qui souffraient en
Belgique de la domination wallone s’identifièrent de plus en plus largement à
la « plèbe » hutue opprimée par l’« aristocratie » tutsie. De nouveaux « Pères
Blancs » formés à l’« Action catholique » arrivèrent au Rwanda et commencèrent à dénoncer cette situation jugée inique.
Or, cette volte-face de l’Eglise intervint précisément au moment où les
« élites » tutsies plus ou moins acculturées avaient pleinement assimilé le discours sur leur supposée origine « éthiopienne » ou « hamitique » qui avait
semblé justifier leur domination. Considérant le nouveau discours européen
comme une trahison, les élites tutsies s’agitèrent contre le colonisateur. Instruites
et s’estimant clairement aptes à diriger la pays, investissant un discours « natio-

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naliste » désormais ouvertement anti-colonial, elles en vinrent purement et
simplement à souhaiter le départ des Belges, ce qui n’allait pas demeurer sans
conséquences. Les Hutus, quant à eux, tout en demandant que l’indépendance
soit retardée, dénoncèrent la «double colonisation » dont ils auraient été victimes,
celle des Tutsis, selon la reconstruction ethno-historique en vigueur, puis celle,
avérée, des Belges. Mais les Tutsis étaient la cible principale de leur vindicte. Ils
leur en voulaient d’autant plus que ces Tutsis étaient supposées être d’origine
« étrangère ». Le mythe qui avait légitimé un temps leur pouvoir allait se retourner contre eux, à l’instar de celui des origines franques de la noblesse française qui devait leur coûter très cher en 1789. Les Hutus exigèrent que les
Belges les débarrassent de cette « première » colonisation. Sentant le danger
venant des élites tutsies affranchies, le pouvoir colonial et l’Église catholique décidèrent de favoriser dorénavant les Hutus jugés, à tort ou à raison, plus contrôlables. Détenant le monopole de l’enseignement, l’Église catholique et les « nouveaux Pères Blancs » encouragèrent la promotion au sein du petit séminaire d’une
contre-élite hutue destinée à faire obstacle aux velléités indépendantistes de
l’élite tutsie formée, quant à elle, par les « Frères de la Charité » d’Astrida.
L’Église amplifia cette dynamique et, à partir de juin 1957, soutint ouvertement les mouvements hutus qui réclamaient des réformes sociales comme le
« Mouvement social muhutu » animé par un certain Grégoire Kayibanda,
ancien séminariste et futur président de la République du Rwanda (26 octobre
1961-5 juillet 1973), et dont le siège se trouvait au centre archiépiscopal de Kabgayi. Les « Pères Blancs » encouragèrent la transformation de ce « Mouvement » en un parti hutu démocrate-chrétien sur le mode belge, le PARMEHUTU (Parti pour l’émancipation des Hutus). L’« ethnicisation » du problème
social s’exprima ouvertement avec la publication du « Manifeste des Bahutu ».
Rédigé en 1957 en étroite collaboration avec ces « nouveaux Pères Blancs », il
ne faisait que reprendre la thèse « hamitique » sur l’origine des Tustis et présentait
ouvertement le problème social comme un problème « ethnique », sinon
« racial ».
Comme le souligne d’ailleurs presque malgré lui ledit « Manifeste » : «
D’aucuns se sont demandés s’il s’agit là d’un conflit social ou d’un conflit
racial. Nous pensons que c’est de la littérature. Dans la réalité des choses et
dans les réflexions des gens, il est l’un et l’autre. On pourrait cependant préciser : le problème est avant tout un problème de monopole politique dont dispose
une race, le Mututsi : monopole politique qui, étant donné l’ensemble des
structures actuelles, devient un monopole économique et social ; monopole
politique, économique et social qui, vu les sélections de facto dans l’enseignement,
parvient à être un monopole culturel, au grand désespoir des Bahutu qui se

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voient condamnés à rester d’éternels manoeuvres subalternes, et pis encore, après
une indépendance éventuelle qu’ils auront aidé à conquérir sans savoir ce qu’ils
font. […] Les prétendus anciens chefs bahutu ne furent que des exceptions,
pour confirmer la règle ! Et les occasions qui permettaient ces exceptions n’existent plus : il ne s’agit évidemment pas de rétablir la vieille coutume de l’ennoblissement des Bahutu. Quant aux fameux métissages ou ‘mutations’ de Bahutu
en Hamites, la statistique, une généalogie bien établie et peut-être aussi les
médecins, peuvent seuls donner des précisions objectives et assez solides pour
réfuter le sens commun auquel on se réfère pourtant pour bien d’autres choses ».
Ce « Manifeste » énumérait seize demandes de réformes. La première
d’entre elles était de cesser de considérer que les élites pouvaient ne venir que
des seuls « rangs hamites » ; une autre était que « l’on se rapporte aux mentions
de livrets d’identité pour respecter les proportions » de Tutsis et de Hutus dans
l’enseignement secondaire. Et d’insister : « Pour mieux surveiller ce monopole de race, nous nous opposons énergiquement, du moins pour le moment
[C’est nous qui soulignons40] à la suppression dans les pièces d’identité officielles
ou privées des mentions ‘muhutu’, ‘mututsi’, ‘mutwa’. Leur suppression risque
d’augmenter encore davantage la sélection en la voilant et en empêchant la loi
statistique de pouvoir établir la vérité des faits. Personne n’a dit d’ailleurs que
c’est le nom qui ennuie le Muhutu ; ce sont les privilèges d’un monopole favorisé, lequel risque de réduire la majorité de la population à une infériorité systématique et une sous-existence imméritée »41.
Le mwami lui-même pressentit le danger en remarquant que « certaines personnes peu ou mal informées répètent ou écrivent volontiers que les Batutsi sont
venus en conquérants, ont spolié les Bahutu de leurs terres et les ont maintenus à un rang inférieur »42. Il préconisa alors la suppression des mentions
« ethniques » sur les documents d’identité. Mais il était peut-être déjà trop
tard. Les colonisés avaient sans doute trop bien appris la leçon « ethniciste » largement transmise par le colonisateur européen.

Le rôle paradoxal joué par l’Eglise dans la « Révolution sociale » hutue
de 1959-1960
En 1959, commença la « révolution sociale » hutue qui, s’inspirant des leçons
apprises par le pouvoir belge et les représentants de l’Église catholique, amena
le remplacement du «pouvoir minoritaire tutsi » par le «pouvoir majoritaire
hutu ». En favorisant systématiquement la notion de « démocratie majoritaire », nolens volens, les Belges firent monter les tensions entre les deux communautés. D’une part, l’aristocratie tutsie au pouvoir revendiquait, via son
propre parti l’UNAR (Union Nationale Rwandaise) – créé le 3 septembre 1959 en

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réponse à l’existence du PARMEHUTU –, l’indépendance sans céder sur ses privilèges ; d’autre part, les Hutus demandaient à être associés pleinement aux responsabilités publiques.
C’est manifestement à l’instigation de l’Eglise catholique que la rupture
avec les élites tutsies fut consommée. Le fait est que l’UNAR avait réclamé
dans son manifeste la révision de la Convention liant le Rwanda aux missions
catholiques. L’Eglise risquait clairement de perdre son emprise sur le pays. A
peine trois semaines après la création de l’UNAR, Monseigneur Perraudin (de
nationalité suisse), successeur de Monseigneur Classe, adressa aux prêtres
rwandais une circulaire mettant en garde les fidèles contre rien moins que le
« national-socialisme » de l’UNAR43.
La stratégie délétère de Monseigneur Perraudin se trouve exprimée dans son
message de Carême de 1959 : « L’Eglise n’est pas pour une race plutôt que
pour une autre. L’Eglise est pour toutes les races qu’elle embrasse d’un égal
amour et d’un égal dévouement. Mais dans notre Rwanda, les différences et les
inégalités sociales sont pour une grande part liées aux différences de race, en
ce sens que les richesses d’une part et le pouvoir politique et même judiciaire
d’autre part sont en réalité en proportion considérable entre les mains des gens
d’une même race »44. Le colonel Logiest, envoyé au Rwanda en novembre 1959
pour rétablir l’ordre alors qu’éclatait un soulèvement hutu, commentera en ces
termes la position de Monseigneur Perraudin : « Son Eminence Monseigneur
Perraudin, vicaire apostolique de Kabgayi, ayant pris fait et cause, par la parole
et par l’action, pour l’émancipation des Hutus, les Tutsis se sont mis en nombre
à boycotter leur religion… »45. Et le vice-gouverneur général Jean-Paul Harroy,
peu suspect de sympathie tutsie, de préciser : « Mutara essaya d’intimider Kayibanda, mais n’osa pas affronter jusqu’au coup de force ses puissants protecteurs
de l’évêché »46.
La situation finit par dégénérer au point d’obliger le gouverneur du RuandaUrundi nommé en 1956, Jean-Paul Harroy – qui se trouve être un partisan
déclaré d’une politique de «démocratisation » inspirée des standards électoraux occidentaux qui stipule « une voix pour une tête » – à placer le Rwanda sous
l’autorité expresse d’un militaire, le colonel Guillaume Logiest47. Celui-ci arriva
au Rwanda le 5 novembre 1959. Le 11, il fut nommé Résident militaire. Il se
trouva doté de pouvoirs exceptionnels à la mesure de la situation prévalant
dans ce pays qui lui était presque étranger. Comme il le reconnaît d’ailleurs
lui-même, sa connaissance du Rwanda se limitait à l’ouvrage du Père Pagès, Un
Royaume hamite au centre de l’Afrique. Or, c’est sur ses épaules que reposait le sort
du pays en proie aux violences croissantes entre Tutsis et Hutus.
La mort, dans des circonstances jamais réellement élucidées, du mwami

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Mutara III Rudahigwa le 25 juillet 1959, l’arrivée au pouvoir de Kigeli V Ndahindurwa (1935-), partisan de la fermeté dans la défense des privilèges de l’aristocratie tutsie, et les élections communales de 1960 gagnées par le PARMEHUTU dont le manifeste-programme proclamait que « la véritable indépendance
sera précédée de l’abolition de la colonisation du noir par le noir », aboutirent
aux premiers pogroms. Ils firent plusieurs centaines de tués et environ 7000
réfugiés tutsis en 1959, et sans doute sans doute dix fois plus de victimes en 19611962. Cette « Toussaint rwandaise » selon la terminologie des extrémistes
hutus marqua en réalité le début des premiers grands massacres. Cela conduisit immédiatement plus de 170 000 Tutsis à se réfugier en Ouganda, en Tanzanie, au Burundi et Congo-Kinshasa (futur Zaïre devenu aujourd’hui République
démocratique du Congo). Le 26 octobre 1960, le chef du PARMEHUTU, Grégoire Kayibanda n’hésitait pas à déclarer : « C’est la démocratie qui a vaincu la
féodalité »48.
D’aucuns ont pu parler de « révolution sociale » par une analogie douteuse avec la Révolution française. « Retournez en Abyssinie ! » purent proclamer les dirigeants du mouvement hutu aux nobles tutsis en 1959, à l’instar
d’Emmanuel-Joseph Sieyès (1748-1836) qui, dans son « Qu’est-ce-que le TiersEtat ? », stigmatisait violemment la noblesse française par calcul politique et sans
être dupe de son propre discours : puisque le Tiers « est aujourd’hui assez fort
pour ne pas se laisser conquérir, sa résistance sans doute sera plus efficace.
Pourquoi ne renverait-il pas dans les forêts de la Franconie toutes ces familles
qui conservent la folle prétention d’être issues de la race des conquérants et
d’avoir succédé à leurs droits ? La nation, épurée, pourra se consoler, je pense,
d’être réduite à ne plus se croire composée que des descendants des Gaulois et
des Romains. En vérité, si l’on tient à vouloir distinguer naissance et naissance,
ne pourrait-on pas révéler à nos pauvres concitoyens que celle qu’on tire des Gaulois et des Romains vaut au moins autant que celle qui viendrait des Sicambres,
des Welches et autres sauvages sortis des bois et des étangs de l’ancienne Germanie ? Oui, dira-t-on ; mais la conquête a dérangé tous les rapports, et la
noblesse de naissance a passé du côté des conquérants. Eh bien ! il faut la faire
repasser de l’autre côté, le Tiers redeviendra noble en devenant conquérant à son
tour »49. Dès lors que la noblesse se présentait comme « étrangère » de par
ses origines, il apparaissait éventuellement légitime de la rejeter hors la Nation
française essentiellement composée par le Tiers-Etat, finalement seul utile à
la société : « Qui oserait donc dire que le Tiers-Etat n’a pas en lui tout ce qu’il
faut pour former une Nation complète ? Il est l’homme fort et robuste dont
un bras est encore enchaîné. Si l’on ôtait l’ordre privilégié, la nation ne serait pas
quelque chose de moins, mais quelque chose de plus »50. Au Rwanda comme

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en France, la noblesse était devenue « étrangère » à double titre : par ses origines
« étrangères » imprudemment revendiquées mais aussi par le fait que les
Nobles apparaissaient comme des parasites vivant au crochet de la Nation laborieuse. Comme en écho africain du discours sur le Tiers-Etat de Sieyès, au
« Pays des mille collines » (nom traditionnel donné au Rwanda), les activistes
hutus chantaient allégrement à l’instar des paysans de la « Grande peur » dans
la France révolutionnaire de 1789 :
« Qui a défriché la forêt ?
Elle a été défrichée par Gahutu. Gatutsi le regardait faire.
Et maintenant que demande-t-il ?
Les routes ont été tracées par qui ?
Elles furent tracées par Gahutu. Gatutsis le regardait encore faire. Et maintenant que demande-t-il ? »51.
Le 28 janvier 1961, assurés du soutien du colonisateur belge et de l’Eglise
catholique, les Hutus proclamèrent la République et quelques mois plus tard,
un référendum valida par 80% des voix la fin de la monarchie. Le 1er juillet
1962, le nouvel Etat devenait indépendant. La prise du pouvoir par les Hutus provoqua l’exode de plus de 200 000 Tutsis vers l’étranger (Ouganda, Tanzanie et
Zaïre).
De décembre 196352 et janvier 1964, prenant prétexte d’une attaque de
ceux qui se trouvaient qualifiés d’inyenzi (« cancrelats »), nom désormais donné
par les Hutus aux rebelles monarchistes majoritairement tutsis et pour une
partie d’entre eux exilés à l’étranger, peut-être quinze ou vingt mille des Tutsis53
de l’intérieur, stigmatisés eux comme byitso (« complices de l’intérieur »), furent
massacrés et pourchassés à travers tout le pays par les Hutus qui les considéraient désormais comme de simples « étrangers » à exterminer. Selon les
termes de Reyntjens, cela donna lieu à une véritable « orgie de violences »54. Le
monde occidental – déjà – n’y prête qu’une attention distraite. Seul le philosophe
Bertrand Russell, en Angleterre, eut conscience qu’il s’agissait probablement là
« du massacre humain systématique le plus horrible qui ait eu lieu depuis l’extermination des Juifs par les Nazis »55.
Le fait est qu’à l’époque, le président hutu Grégoire Kayibanda (26 octobre 19615 juillet 1973) menaçait déjà explicitement les Tutsis d’extermination. Il fut le
véritable idéologue de l’« ethnisme » et du génocide, comme le révèle son discoursprogramme du 11 mars 1964. Dans un passage absolument lugubre, Kayibanda
s’adressa aux combattants de l’Union nationale rwandaise (UNAR), le mouvement politique de l’aristocratie tutsie nationaliste en lutte contre le pouvoir colonial belge, et leur dit ceci : « Les Tutsis restés au pays qui ont peur de la fureur populaire que font naître vos incursions, sont-ils heureux de vos comportements ?

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Qui est génocidaire ?… Venons-en à votre avenir et à vos enfants. Nous vous
conjurons de penser à ces êtres innocents qui peuvent encore être sauvés de la perte
où vous conduisez votre groupe ethnique. Nous le répétons particulièrement à vous,
Tutsis : votre famille vous impose des devoirs ... A supposer par impossible que
vous veniez à prendre Kigali d’assaut, comment mesurez-vous le chaos dont vous
seriez les premières victimes ? Vous le devinez, sinon vous n’agiriez pas en désespérés ! Vous le dites entre vous : ‘ce serait la fin totale et précipitée de la race
Tutsi’ ». Kayibanda fit alors la promesse suivante : « Si vous, les Tutsis, vous prenez Kigali, nous tuerons vos femmes et enfants, nous exterminerons votre race »56.
Et ces mots figurent dans une édition officielle de ses discours.
Près de trente ans plus tard, rien n’avait réellement changé. En novembre
1992, Léon Mugesera, dignitaire du régime du président Juvénal Habyarimana57, appelait ouvertement à expédier les Tutsis en Ethiopie pour rejoindre
les Falashas, leurs frères en « hamitisme », en les jetant dans les eaux du bassin du Nil via la rivière Nyabarongo. Ce qui se produira effectivement lors du
génocide puisqu’elle charriera les cadavres tutsis jetés à même le fleuve58.

L’hégémonie hutue fondée sur le principe de la « majorité ethnique »
Le PARMEHUTU domina la vie politique pendant les dix ans qui suivirent
l’indépendance. S’inspirant des principes de la « démocratie majoritaire » héritée des Belges, les Hutus estimèrent qu’ils devaient utiliser tous les moyens
pour maintenir le Hutu Power et fonder un « État hutu » contre les Tutsis stigmatisés comme « féodaux et revanchards », à l’instar des « émigrés » de la
Révolution française. Cette conception allait de pair avec la « restauration des
droits de la majorité » et justifiait l’établissement d’un pouvoir politique de
plus en plus totalitaire.
Cette thématique devait être reprise plus tard et renforcée par la propagande de son successeur le général Juvénal Habyarimana, un Hutu du Nord,
arrivé au pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat59, le 5 juillet 1973. Dans le prolongement de cette prise du pouvoir qui résultait largement de dissensions
entre les Hutus du Nord alliés à ceux du Centre et les Hutus du Sud jugés plus
modérés , le nouveau régime institua un système de quotas dans les écoles et
l’administration. Aucun Tutsi ne figura parmi les 143 « bourgmestres » (terminologie belge équivalent à maires) que comptait le pays, pas plus qu’à la
tête des 10 préfectures. Le général-président Habyarimana fonda son propre parti,
le Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND), et une
nouvelle Constitution fut adoptée en 1978, qui entérina le régime de parti
unique.
Sur le plan extérieur, le Rwanda signa un accord de coopération militaire avec

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la France (1975). Dès lors, le pays bascula officiellement de l’aire d’influence de
la Belgique à celle de la France. La présence de la France dans ce pays répondait
au double souci de défendre, d’une part, ce que certains ont pu qualifier de
« ligne Maginot linguistique », en l’occurrence francophone ; d’autre part, de faire
face à l’influence anglo-saxonne, celle des Britanniques à l’origine et celles des
États-Unis par la suite, un tropisme de la politique africaine française qui renvoie à ce que l’on a appelé le « syndrome de Fachoda »60. Le fait est que, dès l’avènement de la République hutue, la France s’était tout de suite intéressée au
Rwanda. Les premiers accords de coopération conclus entre Paris et Kigali
remontent à 196261. En 1965, Michel Habib-Deloncle, Secrétaire d’Etat français
aux Affaires étrangères (28 novembre 1962-8 janvier 1966), en visite à Kigali,
déclarait à Grégoire Kayibanda que la France était « disposée à intensifier son
effort de coopération »62. Mais c’est évidemment avec la signature de l’accord
militaire de 1975 par le président Valéry Giscard d’Estaing que les liens se resserrent de manière décisive. L’intérêt porté au « Pays des Mille Collines » ne saurait se comprendre sans avoir en arrière-plan le Zaïre, nouveau nom donné, à
partir de 1971, par Joseph-Désiré Mobutu alias le Maréchal-président Mobutu
Sese Seko (14 octobre 1930-7 septembre 1997) à l’ancien Congo belge, ce payscontinent convulsif mais constituant, selon l’expression consacrée un véritable
« scandale géologique » pour les richesses dont regorge son sous-sol.
Après l’opération de Kolwezi (mai 1978) contre les rebelles Katangais, le président Giscard d’Estaing saura remercier la compréhension rwandaise pour le
rapatriement des militaires français et autres facilités accordées « pendant la première guerre du Shaba »63. Au Rwanda, la France avait l’avantage de ne pas
être dans la position d’une ancienne puissance coloniale comme la Belgique,
qu’elle cherchera progressivement à marginaliser pour faire prévaloir ses
propres intérêts. A cette fin, elle appuya de plus en plus le régime à parti unique
instauré depuis 1978 par le président Habyarimana et qui était une forme africaine de totalitarisme. Chaque citoyen, membre automatique du Parti Unique,
à savoir le Mouvement Révolutionnaire National pour le développement (MRND)
créé en 1975, possédait, outre sa carte d’identité, un permis de résidence (Uruhusa rwo Gucumbika) comportant vingt-deux mentions dont « l’ethnie » (Ubwoko)
et les paramètres précis de résidence (préfecture, commune et section). Il était
interdit de déménager sans autorisation et le « motif de déplacement » (Ikimugenza) devait figurer sur le permis. Les Bourgmestres (maires) exerçaient de
manière discrétionnaire un pouvoir administratif qui n’avait de bornes que la
volonté du gouvernement : le quadrillage socio-politique était absolu.
Devant le durcissement de la répression interne, et pressé par son allié
français après le discours prononcé le 20 juin 1990 par le Président Mitter-

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rand au sommet franco-africain de La Baule sur la nécessaire démocratisation
de l’Afrique en général, le Président Habyarimana prononça le 5 juillet 1990 un
discours où il promettait la démocratisation de son régime pour pérenniser le
soutien français qu’il estimait vital pour son régime.
De fait, en octobre 1990, les Tutsis réfugiés en Ouganda depuis des décennies pénétrèrent au Rwanda pour renverser le régime hutu du président Habyarimana. La Belgique et le Zaïre intervinrent brièvement en envoyant alors des
troupes pour aider Kigali à combattre ce qui était présenté comme une agression extérieure venue d’Ouganda, de la part d’exilés tutsis réunis au sein du Front
patriotique rwandais (FPR), que la France considérait comme soutenu par les Britanniques et les Américains. C’est précisément dans ce cadre que fut décidée
par le président François Mitterrand l’« Opération Noroît » (4 octobre 1990), officiellement destinée à protéger les ressortissants occidentaux mais qui servit
en réalité à encadrer les troupes gouvernementales « à la limite de l’engagement
direct » contre le FPR, selon le titre d’un chapitre du rapport de la Mission
d’information parlementaire française sur le Rwanda.
L’ancien ministre de la Coopération Robert Galley (août 1976-mai 1981)
témoignera d’ailleurs que l’armée française a bien été utilisée afin de stopper
l’avancée du FPR64. Le nombre officiel de militaires français participant à
« Noroît » atteindra 688 personnes65. Des milliers de Tutsis furent aussitôt
emprisonnés. Alors que les compagnies parachutistes se déployaient au Rwanda,
l’armée rwandaise massacrait quelque 1 000 Bahimas (apparentés aux Tutsis)
à Mutara, et 348 Tutsis dans la région de Kibilara. Le 15 octobre 1990, Georges
Martres, l’ambassadeur de France au Rwanda (1989-1993), adressa un télégramme à l’Amiral Jacques Lanxade, alors chef d’état-major particulier du Président de la République (avril 1989-avril 1991), auquel succédera à ce poste le
général Christian Quesnot (avril 1991-septembre 1995), et dans lequel il mentionne le risque d’un génocide contre les Tutsis. Malgré cet avertissement, délibérément ignoré par le Général Jean-Pierre Huchon66 qui officiait sous leur responsabilité en tant que chef de la coopération militaire à l’Elysée (mai 1991 à mai
1993) et qui, à ce titre, avait la haute main sur l’affaire rwandaise, le gouvernement
français allait continuer d’assister le régime d’Habyarimana, alors même que
plusieurs massacres de divers groupes Tutsis étaient avérés, comme celui de près
de 2 000 Bagogwe (hommes, femmes et enfants) dans le Nord-Ouest du pays
en janvier-février 1991. Les atteintes aux droits de l’Homme attribuées au
régime du président Juvénal Habyarimana avaient fini par lui retirer tout soutien de l’ancienne puissance coloniale belge. Celle-ci se décida, sous la pression de son opinion publique, à retirer ses troupes du pays le 1er novembre de
la même année, laissant les Français seuls sur place. Dans le courant du mois

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de mars 1991, le ministère de la coopération française établissait, dans le cadre
de l’accord de coopération de 1975, un détachement d’assistance militaire et
d’instruction, le DAMI (Département d’assistance militaire à l’instruction) qui
restera officiellement jusqu’en décembre 1993.
Cette année 1991 constitue à bien des égards un tournant dans le conflit.
En effet, dans le prolongement du discours de La Baule, Juvénal Habyarimana introduisit un amendement constitutionnel le 10 juin 1991 qui légalisait
le multipartisme, ce qui paradoxalement n’empêcha pas l’extrémisme hutu
de se radicaliser et les violences à l’encontre des Tutsis de l’intérieur de se
multiplier, prenant prétexte d’un « complot » des Tutsis de l’extérieur. Les
représentations françaises sur la nature du conflit n’évoluèrent pas et demeurèrent jusqu’au bout empreintes de bonne conscience jacobine selon la formule
de Jean-Paul Gouteux67, ce qui hypothéquait par avance les attendus de la
signature en janvier 1993 d’un protocole des accords d’Arusha (Tanzanie) sur
le maintien de l’état de droit, la fin des massacres et la constitution d’un gouvernement de transition à base élargie, incluant le FPR. Ainsi, en visite à
Kigali le 28 février 1993, Marcel Debarge, alors encore Ministre délégué à la
Coopération et au développement (2 avril 1992 au 28 mars 1993), en appellat-il aux Hutus de l’opposition – ces Hutus modérés qui seront également
exterminés lors du génocide – pour faire « front commun » contre le FPR. Dans
le contexte explosif de l’époque, c’était sans doute, malgré lui, quasiment un
appel à la « guerre raciale ». Cette déclaration officielle d’un ministre français devait d’ailleurs être suivie de l’organisation par le président Habyarimana d’une réunion entre le MRND (rebaptisé Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement), la CDR (Coalition de défense
de la République), créée en 1992 par la mouvance « ultra » de l’entourage
présidentiel (notamment Agathe Habyarimana, l’épouse du président hutu) et
les extrémistes anti-tutsis des autres partis, le MDR (Mouvement démocratique républicain), le PSD (Parti social démocrate), le PL (Parti libéral) et le PDC
(Parti démocratique chrétien), approuvant dans un bel élan d’unanimité la
présence française et appelant la population à « la défense civile du pays ». La
mouvance dite du Hutu Power68 se créa à la suite de cette funeste réunion
qui présageait largement de la suite des événements.
En dépit, ou bien peut-être, à cause de la signature des accords d’Arusha en
août 1993, qui prévoyaient à terme l’intégration politique et militaire des différentes composantes internes et externes de la nation rwandaise, les extrémistes hutus se déchaînèrent. Lors des difficiles négociations d’Arusha, le colonel Théoneste Bagosora, cousin du couple Habyarimana et directeur de cabinet
au ministère de la Défense, opposant déclaré à tout accord avec le FPR, n’avait

David Rigoulet-Roze

CONTROVERSES

pas hésité à déclarer le 8 janvier 1993 : « Je rentre à Kigali pour préparer l’apocalypse ». Il passe a posteriori pour avoir été le diabolique planificateur du génocide immédiatement après l’attentat du 6 avril 1994 perpétré contre l’avion du
président Habyarimana, un Mystère Falcon fourni par la France et piloté par
un équipage français. Ce dernier revenait d’une rencontre régionale en relation
avec les accords d’Arusha précédemment signés et à la faveur de laquelle il
avait accepté de mettre en place des institutions de transition mais sans que le
parti extrémiste CDR y soit représenté, au grand dam de ce dernier.
Alors que le génocide en était à son début (il durera pendant près de trois
mois entre le 6 avril et le 4 juillet 1994), la France déclencha l’Opération Amaryllis (8 avril 1994-16 avril 1994) et, parallèlement, la Belgique l’Opération Silverback afin de permettre l’évacuation sécurisée de quelque 1 500 ressortissants, essentiellement occidentaux. Ces deux opérations rendaient patente
l’inutilité de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR)
instaurée pourtant par l’ONU en octobre 1993. Mieux, quinze jours après le
déclenchement du génocide, le 21 avril 1994, l’ONU réduisait les effectifs de la
MINUAR dirigée par le brigadier-général canadien Roméo Dallaire à 270 personnes, soit 10 % de ce qu’elle était sur le terrain et 5 % de ce qui avait été
prévu initialement. A l’ONU, le débat fit rage pour qualifier les événements
alors en cours. Fin avril, Jean-Bernard Mérimée, représentant de la France au
Conseil de Sécurité (1991-1995), s’opposait encore fermement, sur instruction
politique expresse de l’Elysée, à la qualification de « génocide » pour les massacres
à grande échelle perpétrés contre les Tutsis.
Il revint à Edouard Balladur, nouveau Premier ministre de la seconde
« cohabitation » (29 mars 1993-16 mai 1995) ainsi qu’à Alain Juppé, son
ministre des Affaires étrangères de l’époque (30 mars 1993-16 mai 1995),
d’avoir durablement infléchi la politique française sur le Rwanda. Le projet de
François Mitterrand d’envoi de parachutistes français sur Kigali fut empêché par
Balladur et les membres plus prudents de l’exécutif de « cohabitation ».
Le fait est que, le 16 juin 1994, Alain Juppé fut le premier à parler de
« génocide » et annonça l’imminente intervention militaire française, la fameuse
et toujours controversée « Opération Turquoise » (22 juin 1994-21 août 1994).
La mise au point de cette opération donna lieu à de vifs débats au sein même
des autorités françaises, tant à l’intérieur de l’armée qu’au sein du pouvoir
étrange instauré par la « cohabitation ». Le 21 juin 1994, Edouard Balladur
enverra même un courrier de mise en garde à François Mitterrand sur les
risques de dérapage néocolonial de cette opération et sur l’idée qu’il convenait
de se faire de ses objectifs humanitaires. Ainsi que le relate le grand reporter
Patrick de Saint-Exupéry dans son livre intitulé L’inavouable. La France au

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CONTROVERSES

dossier

Rwanda, Edouard Balladur mentionnait « au nombre des ‘conditions de réussite’ de l’opération Turquoise, la clause suivante : ‘Limiter les opérations à des
actions humanitaires et ne pas nous laisser aller à ce qui serait considéré
comme une expédition coloniale au cœur même du territoire du Rwanda’ »69.
Toujours selon Patrick de Saint-Exupéry, « la bataille au sommet de l’exécutif fut
rude. […] A Paris, l’état-major se scinda. Il y eut les tenants de la ligne Mitterrand
et les partisans de la ligne Balladur »70. Et d’ajouter : « Sur le terrain, de nombreux officiers déjà engagés par le passé au Rwanda dans le plus grand secret
se rangèrent derrière la bannière de François Mitterrand : il fallait, assuraientils, entamer la reconquête du pays afin de rétablir au pouvoir nos alliés, lancés
non pas dans un génocide mais dans des “affrontements tribaux”. D’autres
officiers, tout aussi nombreux, effarés par l’ampleur démente des massacres, optèrent pour la retenue. De fait les soldats furent livrés à eux-mêmes et à leur
conscience »71. Finalement, « l’opération Turquoise fut formatée pour répondre
aux deux cas de figure : elle se fit offensive sous couvert d’humanitaire »72. Un
officier a même confié à Patrick de Saint-Exupéry : « Dans les premiers jours,
il était envisagé d’aller jusqu’à Kigali. Ces ordres ont été annulés au dernier
moment »73. Edouard Balladur le confirmera à demi-mots. Certains responsables français ont bien « envisagé une intervention militaire, notamment à
Kigali ». Mais il était déjà trop tard. « Il ne reste alors qu’une option : geler l’affrontement, sanctuariser la zone encore tenue par les tueurs, nos alliés. C’est
l’idée présidant à la création de la ‘Zone humanitaire sûre’ »74. Une idée qui n’enchante pas la communauté internationale, laquelle doutait de la « neutralité »
française.
La classe politique française fut alors presque unanimement en faveur de
cette opération. Valéry Giscard d’Estaing fut l’un des rares hommes politiques
à critiquer ouvertement l’existence même de cette opération, le 7 juillet 1994,
par des propos rapportés par le journal Le Monde : « ... Qu’est-ce qu’on va faire ?
s’est interrogé l’ancien Président de la République. Il y a des Tutsis qui avancent.
Est-ce qu’on va s’opposer à leur avance, de quel droit ? s’est-il exclamé. Actuellement on a les Tutsis qui avancent, c’est-à-dire les victimes et on a derrière
nous une partie de ceux qui ont procédé aux massacres… »75.
Aucun des décideurs de l’époque ne se risque publiquement aujourd’hui à
reconnaître les ambiguïtés d’une telle opération. Ainsi lors de leur audition
par la mission d’information parlementaire sur le Rwanda en 1998, Edouard Balladur comme Alain Juppé entendent-ils défendre l’honneur de la France en
développant un discours somme toute convenu qui masque les tensions à
l’oeuvre à l’époque au sein de la dyade de l’exécutif français. « La minorité tutsie [s’appuyait] sur l’aide matérielle et humaine apportée par l’Ouganda ce qui

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CONTROVERSES

lui [permit] de lancer à partir de la frontière Nord au Rwanda des opérations de
reconquête » expliqua ainsi Edouard Balladur, lors de son audition le 21 avril
1998. De son côté, Alain Juppé estimait lors de sa propre audition le même
jour que la France avait, de par sa position amicale vis-à-vis du président Habyarimana, « poussé [ce dernier] à la négociation, à la réconciliation, au partage du
pouvoir ». On peut raisonnablement en douter mais il n’est jamais aisé de
reconnaître qu’on a failli, et qu’au-delà de la « faute géopolitique » qu’a pu
constituer l’affaire rwandaise, selon la formule cinglante employée lors de son
audition le 30 juin 1998 par l’ancien Premier ministre Michel Rocard (10 mai
1988-22 juin 1988 et 23 juin 1988-15 mai 1991), qui n’avait pas son mot à dire
sur ce « domaine réservé » de la cellule africaine de l’Elysée, il s’agissait aussi
et peut-être surtout d’une « faute morale » dont on commence tout juste à
prendre la mesure aujourd’hui, plus d’une douzaine d’années après.

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notes
1. Ils devaient être rapidement suivis par Henry Morton Stanley (1841-1904) et David Livingstone
(1813-1873) dont on a dit que la fameuse rencontre du 24 ou 26 novembre 1871 se serait déroulée au Burundi, près d’un rocher à 12 kilomètres au Sud de Bujumbura au bord du lac Tanganyika.
En réalité, cette fameuse rencontre des deux explorateurs aurait plutôt eu lieu à Ujiji, près du lac
Tanganyika en… Tanzanie.
2. Cf. Joseph Conrad, Heart of Darkness, 1902.
3. Le 11 janvier 2003, le chercheur suisse Charles Bonnet qui fouille depuis trente ans fouille les
vestiges du royaume de Kerma, situé au Soudan, découvre sept statues en morceaux, mais à la facture exceptionnelle. Certaines représentent les derniers pharaons de la XXVe dynastie qui, venant
de Nubie, régnèrent sur une partie de l’Egypte dans la première moitié du

VIIe

siècle avant Jésus-

Christ.
4. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, par un renversement « afro-centriste », on en
arrive parfois aujourd’hui à des aberrations inverses qui voudraient que toute forme civilisationnelle fût issue de la « négritude ». Cf. Jean-Philippe Omotunde, L’origine négro-africaine du savoir
grec, Editions Menaibuc, 2000.
5. Le traité de Berlin avait été signé en 1885 par la France, la Grande-Bretagne, l’Italie et
l’Allemagne. Il déterminait l’attribution des territoires en Afrique centrale, Le roi de Belgique
Léopold II profita de l’occasion pour faire reconnaître son occupation du bassin du Congo, qui avait
été organisée par Stanley au nom du roi et de son « Association Internationale du Congo » (AIC).
Par cette voie, Léopold II devenait le souverain de son propre Etat « privé » en Afrique centrale. Le
résultat fut que les accords de Berlin donnèrent aux frontières africaines une partie de celles qu’on
leur connaît encore aujourd’hui.
6. L’Afrique Orientale Allemande : colonie allemande de 1888 jusqu’à 1916, appelée Deutsch-Ost-

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CONTROVERSES

Afrika, sa superficie était de 995 000 kilomètres?, peuplée d’environ 7 millions et demi d’habitants. L’Afrique Orientale Allemande était bornée, au Nord, par l’Afrique Orientale britannique
(Kenya) et le lac Victoria, à l’Ouest par le Congo-Belge et le lac Tanganyika, au Sud par la Rhodésie
du Nord, le Nyassaland et le Mozambique et à l’Est, elle se trouve baignée par l’Océan Indien.
Administrée en 1884-1885 par la « Société allemande de l’Afrique Orientale », elle passa en 1891
sous la suzeraineté directe de l’Empire allemand. Occupée en 1915-1916 par les troupes britanniques jusqu’en 1922, elle prit à cette date le nom de Tanganyika, territoire sous « mandat » sauf
pour les districts du Ruanda et de l’Urundi, occupés et administrés par les Belges.
7. Cf. http://homepage.mac.com/trondsc/Burundi/History/4.L’Overture.html.
8. Cf. Comte de Montalembert, Les moines d’Occident depuis Saint-Benoît jusqu’à Saint Bernard,
VII Vol. Paris, Librairie Jacques Lecoffre, 1860-1877.
9. Cf. Dominique Franche, « Généalogie du génocide rwandais. Hutu et Tutsi : Gaulois et Francs ? »,
in Les Temps Modernes, n° 582, mai-juin 1995, p. 41.
10. Cf. Père Martial de Salviac, Un peuple antique au pays de Ménélik, Les Galla (dits d’origine
gauloise). Grande nation africaine, ris. H. Oudin, 1902, 353 pages.
11. Cf. Comte Renaud de Briey, Le Sphinx noir. Essai sur les problèmes de colonisation africaine,
Gembloux, Duculot, 1926.
12. Cf. Dominique Franche, Rwanda, généalogie d’un génocide, Paris, Editions des Mille et Une
Nuits, 1997, p. 34.
13. Cf. Dominique Franche, « Généalogie du génocide rwandais. Hutu et Tutsi : Gaulois et
Francs ? », in Les Temps Modernes, n° 582, mai-juin 1995, pp. 7-8.
14. Ces territoires furent administrés à partir de Bujumbura, devenue capitale du « mandat » belge
du Ruanda-Urundi. Il convient de rappeler qu’un mandat de la Société des Nations (SDN) était un
territoire juridiquement établi par l’article 22 du Pacte de la SDN signé le 28 avril 1919. Ces territoires concernés étaient avant la Première Guerre mondiale soit des colonies allemandes, soit des
possessions de l’Empire ottoman. Les mandats furent confiés au Royaume-Uni, à la France, à la
Belgique, à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande, au Japon et à l’Afrique-du-Sud.
15. Cette décision fut validée par la SDN le 31 août 1923.
16. Cf. Dominique Franche, Rwanda, généalogie d’un génocide, Paris, Editions des Mille et Une
Nuits, 1997, p. 41
17. Cf. Père Rutavisire, La Christianisation du Rwanda de 1900 à 1949, Fribourg, 1987, p. 167.
18. Cf. Ibidem.
19. Le culte de Kiranga consistait à demander par l’intermédiaire de cet esprit des faveurs d’Imana
(l’équivalent animiste du Dieu créateur). Il était pratiqué, soit publiquement, soit dans un cadre
restreint lors des occasions suggérées par diverses nécessités telles que l’initiation des ministres de
ce culte, l’hommage pour faveurs obtenues, la naissance des jumeaux, le temps des semailles ou
des récoltes, la guérison de certaines maladies particulièrement rebelles aux remèdes traditionnels.
La cérémonie elle-même comprenait une diversité de rites secrets parmi lesquels les paroles incantatoires, les invocations, la prise de possession, les chants et les danses, la consommation des

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CONTROVERSES

dossier

offrandes ou le repas festif. Cf. Faustin Rutembesa, « Le regard missionnaire sur la religion traditionnelle (1898-1948) » in Relecture des écrits sur le Burundi. Nouvelles perspectives de
recherche, Ed. par Tharcisse Nsabimana, Université du Burundi, juin 1994 pp 31-50.
20. Cf. Père Rutavisire, La Christianisation du Rwanda de 1900 à 1949, Fribourg, 1987, p. 167.
21. Cf. Ibidem, p. 181.
22. Cf. Ibidem, p. 174.
23. Cf. Ibidem, pp. 181-182.
24. Le 18 juin 1940, Musinga sera déporté à Moba (actuelle République Démocratique du Congo)
où il sera emprisonné. Il mourra le 25 septembre 1944.
25. Cf. Jean Rumiya, Le Rwanda sous le régime du mandat belge (1916-1931), Paris, L’Harmattan,
1992, p. 182.
26. Cf. Discours repris dans Solidaire, n°6 du 8 février 1995. Cité par Jean-Paul Gouteux, Un génocide secret d’Etat. La France et le Rwanda (1990-1997), Paris, Editions sociales, 1998, p. 96.
27. En 1929, sur 133 chefs, 57 % étaient Baganwas, 23 % Batutsis et 20 % Bahutus. En 1933,
alors que le nombre de chefs avait été réduit à 46, 78 % étaient Baganwas, 15 % Batutsis et 7 %
Bahutus. En 1945, sur 35 chefs, dont 71 % de Baganwas, plus aucun n’était d’origine hutue. Cf.
Valérie Paulus, Sorcellerie et politique. Notes sur une société secrète du Moso (Burundi). D’après
les Mémoires inédits de l’Administrateur territorial J. Moutarde, in Anthroposys.
(http://www.anthroposys.be/Moutarde.htm).
28. Même une personnalité aussi sulfureuse que Ferdinand Nahimana, ancien directeur de l’Office
Rwandais d’Information, appartenant, de fait, à l’aile extrémiste hutue avant le génocide de 1994
puisqu’il fut même animateur de RTLM (Radio-Télévison Mille Collines ) qui incita à l’extermination
des Tutsis, est contraint de reconnaître qu’en dépit de sa diversité historique, il n’y avait à l’intérieur
des frontières coloniales du Rwanda qu’une seule langue, le kinyarwanda, et que les peuples qui habitaient cette zone avaient les mêmes pratiques rituelles et culturelles, qu’ils utilisaient donc une même
culture ». Cf. Filip Reyntens, L’Afrique des grands Lacs en crise, Paris, Karthala, 1994, p. 23.
29. Cf. Louis de Lacger , Rwanda ,I. Le Rwanda ancien, II. Le Ruanda moderne, Editions des
Grands Lacs, Namur, 1939.
30. Cf. Dominique Franche, Rwanda, généalogie d’un génocide, Paris, Editions des Mille et Une
Nuits, 1997, p.46.
31. Cf. Dominique Franche, « Généalogie du génocide rwandais. Hutu et Tutsi : Gaulois et
Francs ? », in Les Temps Modernes, n° 582, mai-juin 1995, pp. 19-20.
32. Il s’agissait en réalité d’un lien de « clientèle », surtout en vigueur dans le Rwanda central et
oriental, en vertu duquel les éleveurs Tutsis confiaient une ou plusieurs têtes de bétail à des
« clients » agriculteurs hutus, qui, en échange, leur apportaient une part de leur récolte et leur rendaient divers services.
33. Cf. Dominique Franche, « Généalogie du génocide rwandais. Hutu et Tutsi : Gaulois et
Francs ? », in Les Temps Modernes, n° 582, mai-juin 1995, p. 24.
34. Un autre élément jouait dans ce complexe idéologique. Monseigneur Classe et son homologue

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CONTROVERSES

au Burundi Monseigneur Gorju, tous deux Français, craignaient que la masse des Bahutu ne fût
rapidement séduite par les idées socialistes et communistes qui animaient, en France, les partis
qui allaient bientôt former le « Front populaire ». C’est aussi ce qui les avait conduit à considérer
que la masse hutue était ingouvernable sans les grands féodaux tutsis.
35. Cf. Le livre de l’Abbé Alexis Kagamé, Nganji Kalinga. I, Kagbayi, 1943, 116 pages ; Nganji
Kalinga. II, Kabgayi, 1947, 164 pages. (I-II, Kagbayé, 1959). Inganji Kalinga signifiant « Kalinga
victorieux », c’est-à-dire que le tambour royal avait vaincu tous les pouvoirs rivaux. Parfois qualifié
de premier « historien » rwandais, l’Abbé Kagamé se réfère explicitement aux livres du Père Pagès
et du chanoine Louis de Lacger quand le mwami le chargea d’écrire en kinyarwanda un ouvrage
résolument nationaliste célébrant la royauté. Les deux volumes narrent les conquêtes de la dynastie régnante en reprenant l’idée d’une origine « éthiopienne » des Tutsis afin d’exalter leur fierté et
leur sentiment de supériorité. Cf. Dominique Franche, Rwanda, généalogie d’un génocide, Paris,
Editions des Mille et Une Nuits, 1997, p. 48.
36. L’instauration d’une carte d’identité ethnique devait faire la preuve de sa funeste efficacité lors
du génocide d’avril-juin 1994 puisqu’elle servit aux extrémistes hutus à faire le tri pour exterminer
les Tutsis.
37. Cf. (http://www.tlfq.ulaval.ca/AXL/AFRIQUE/rwanda.htm).
38. Cf. Dominique Franche, Rwanda, généalogie d’un génocide, Paris, Editions des Mille et Une
Nuits, 1997, p. 15.
39. Cf. Ian Linden, Church and Revolution in Rwanda, Oxford, Manchester University Press, 1977,
304 pages.
40. Elle ne le sera jamais et servira à l’extermination des Tutsis durant le génocide de 1994.
41. Cf. M.C. OVERDULVE, Rwanda, Un peuple avec une histoire, Paris, l’Harmattan, 1997, 272 p,
pp 98-111. Pour le texte intégral du « Manifeste des Bahutu » du 24 mars 1957, cf. également
Fidèle Nkundabagenzi, Rwanda Politique, in Les dossiers du C.R.I.S.P., Bruxelles 1962.
42. Cf. Dominique Franche, Rwanda, généalogie d’un génocide, Paris, Editions des Mille et Une
Nuits, 1997, p. 54.
43. Cf. Luc de Heusch, « Anthropologie d’un génocide : le Rwanda », in Les Temps Modernes,
n° 579, décembre 1994, p. 7.
44. Cf. Jean-Paul Gouteux, Un génocide secret d’Etat. La France et le Rwanda (1990-1997), Paris,
Editions sociales, 1998, p. 98.
45. Cf. Colonel Guillaume Logiest, Mission au Rwanda : un Blanc dans la bagarre Tutsis-Hutus,
Bruxelles, Editions Didier Hatier, 1988. Cité par Christian Terras Ed., Rwanda, l’honneur perdu de
l’Eglise, in « Les Dossiers de Golias », Paris, Editions Golias, 1999, p. 27.
46. Cf. Jean-Paul Harroy, Rwanda. De la féodalité à la démocratie (1955-1962), Bruxelles,
Académie des sciences d’outre-mer, Hayez, 1984. Cité par Christian Terras Ed., Rwanda, l’honneur
perdu de l’Eglise, in « Les Dossiers de Golias », Paris, Editions Golias, 1999, p. 27.
47. Cf. Colonel Guillaume Logiest, Mission au Rwanda : un Blanc dans la bagarre Tutsis-Hutus,
Bruxelles, Editions Didier Hatier, 1988.

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dossier

48. Cf. Discours, messages et instructions de Kayibanda (1960-1973), stencilé, p.2.
49. Cf. Dominique Franche, « Généalogie du génocide rwandais. Hutu et Tutsi : Gaulois et
Francs ? », in Les Temps Modernes, n° 582, mai-juin 1995, p. 29. Pour le texte original, cf.
Emmanuel-Joseph Sieyès, Qu’est-ce-que le Tiers-Etat ?, Paris, Edition électronique, Paris, Frantext,
1997, pp. 32-33. Reproduction de l’édition originale de la Société d’Histoire de la Révolution française, Paris, 1888. (http//www.gallica.bnf.fr/arkc/12148/bpt6k89685n).
50. Cf. Ibidem, p. 30.
51. Cf. Ibidem, p. 39.
52. La tuerie commença le 23 décembre dans la préfecture de Gikongoro.
53. Cf. René Lemarchand, Rwanda and Burundi, Londres, Pall Mall Press, 1970, p. 224.
54. Cf. Filip Reyntjens, L’Afrique des grands Lacs en crise, Paris, Karthala, 1994, p. 27.
55. Cf. René Lemarchand, Rwanda and Burundi, Londres, Pall Mall Press, 1970, p. 224.
56. Cf. Shyiramebre Barahinyura, Rwanda Trente deux ans après, Frankfurt am Main, Editions
Izuba, 1992, 167 pages. Cité par Ludo Martens, « Rwanda : la responsabilité de la Belgique dans
la création de l’idéologie raciste », Rapport présenté au Colloque sur le Rwanda, Bruxelles, 56 avril
1997 (http://users.skynet.be/wihogora/_lai-ptb/ludo-martens-rw-1.htm).
57. Vice-président du comité préfectoral du M R N D. de Gisenyi (la préfecture de feu le président
Juvénal Habyarimana), il est fréquemment décrit par les principaux spécialistes de la région comme
l’un des représentants de la tendance « Hutu Power » (Hutu Pawa) du M R N D.
58. Paul Dijoud, qui dirigea le département Afrique du Quai d’Orsay (1991-1992) et qui fut
conseiller Afrique à l’Elysée, l’avait rappelé à Paul Kagame : « Si vous n’arrêtez pas le combat, si
vous vous emparez du pays, vous ne retrouverez pas vos frères et vos familles parce que tous auront
été massacrés. » Déclaration de Paul Dijoud à Kagamé (fin 1991) selon Kagamé rapporté à Renaud
Girard, le 22 novembre 1997, dans le Figaro.
59. Ministre de la Défense de Kayibanda dont le fils était le filleul, cela n’empêchait pas l’existence de rivalités entre Bakiyas (« Gens du Nord »), c’est-à-dire Hutus du Nord (comme Habyarimana)
et Banyanduga (« Gens du Sud »), c’est-à-dire Hutus du Sud (comme Kayibanda) qu’a toujours fait
figure de centre politique historique. Cela renvoyait également à une opposition entre clientélisme
agraire au Nord et clientélisme pastoral au Sud, la frontière Nord-Sud étant traditionnellement
matérialisée par la rivière Nyabarongo.
60. La crise de Fachoda renvoie à un incident diplomatique sérieux qui opposa en 1898 les deux
puissances coloniales principales d’Afrique qu’étaient alors la France et l’Angleterre. Elle a eu pour
cadre le poste militaire avancé de Fachoda, au Sud du Soudan actuel. Dans l’imaginaire collectif
français, la crise de Fachoda a été vécue comme une profonde humiliation. Dans certains milieux
anglophobes, elle demeure l’archétype de la prétention hégémonique anglo-saxonne comme une
profonde humiliation infligée par la « perfide Albion ». Le site de Fachoda (ou Kodok) est situé à
650 kilomètres au sud de la capitale soudanaise Khartoum. Fachoda est, entre 1865 (date de sa
création) et 1884 (année de son démantèlement), un poste militaire égyptien avancé destiné à lutter contre les trafiquants arabes. Bien que désertée, cette place demeurait le principal point de

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CONTROVERSES

contrôle du Bahr el-Ghazal. Cette région du Soudan, depuis le départ des britanniques, suite à la
révolte « mahdiste » de 1885 au cours de laquelle le général britannique Charles George Gordon
fut tué, était très convoitée par les principales puissances coloniales européennes de l’époque qui
cherchaient un débouché sur le fleuve et, de la sorte, un point d’ancrage vers l’Égypte. Ainsi, les
projets d’expansion française vers l’est et les projets d’expansion britanniques « du Caire au Cap »,
selon les vœux de Cecil Rhodes, se heurtèrent violemment à Fachoda le 18 septembre 1898 au
point de laisser un moment craindre le pire, à savoir un conflit ouvert. Dans une certaine mesure,
cette représentation obsidionale française sur le théâtre africain a perduré jusqu’à nos jours et a
certainement été opératoire dans le cas du Rwanda.
61. Cf. Le Monde en date du 23 octobre 1962. Cité par Jean-Paul Gouteux, Un génocide secret
d’Etat. La France et le Rwanda (1990-1997), Paris, Editions sociales, 1998, p. 175.
62. Cf. Le Monde en date du 21 octobre 1965. Cité par Jean-Paul Gouteux, Un génocide secret
d’Etat. La France et le Rwanda (1990-1997), Paris, Editions soiales, 1998, p. 175.
63. Cf. Le Monde en date du 17 mai 1979. Cité par Jean-Paul Gouteux, Un génocide secret d’Etat.
La France et le Rwanda (1990-1997), Paris, Editions sociales, 1998, p. 176.
64. Cf. Audition de Robert Galley en date du 13 mai 1998.
65. Cf. Rapport de la Mission d’Information Parlementaire sur le Rwanda, Assemblée Nationale, 15
décembre 1998, page 167
66. En avril 1993, il sera formellement nommé adjoint au chef d’état-major particulier du Président
Mitterrand. Il succède au général Jean Varret à ce poste depuis octobre 1990 et « démissionne »
pour avoir manifesté son désaccord sur la politique conduite par la France au Rwanda.
67. Cf. Jean-Paul Gouteux, Un génocide secret d’Etat. La France et le Rwanda (1990-1997), Paris,
Editions sociales, 1998, p. 100.
68. Le Hutu Power est la mouvance extrémiste hutue dont le noyau, l’Akazu (« la maisonnée »
en Kinyarwanda) était constitué de proches de la famille du président Juvénal Habyarimana et
surtout de celle de son épouse. Son nom tient du mot d’ordre utilisé par ces dignitaires pour
exprimer en anglais le pouvoir exclusif des Hutus sur un Rwanda « purifié » de la présence des
Tutsis.
69. Cf. Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable. La France au Rwanda, Paris, Editions Les Arènes,
2004, p. 101.
70. Cf. Ibidem, p. 101.
71. Cf. Ibidem, p. 102.
72. Cf. Ibidem, p. 102.
73. Cf. Ibidem, p. 102.
74. Cf. Ibidem, p. 103.
75. Cf. La crise rwandaise divise les députés de la majorité, in Le Monde, 7 juillet 1994.

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